TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Fn and Ft: PONSOL TEXT
Author: Pontus de Tyard
Title: Solitaire second, ou Discours de la Musique
Source: Les Discovrs philosophiqves de Pontvs de Tyard (Paris: Abel L'Angelier, 1587), ff.38r-131v.
Graphics: PONSOL 01GF-PONSOL 09GF
[-f.38r-] SOLITAIRE SECOND, OV Discours de la Musique
Ie ne me retire iamais dedans mes plus solitaires pensées, sans, entre autres choses, esmerueiller le desir commun, mais plus affectionné, des hommes, qui est, de viure longuement. Combien toutefois, que de tous ses desireux, il se trouue bien petit nombre qui recherche le vray moien de s'alonger une vie, vrayement vie: [Curiosité de viure. in marg.] Le reste n'estant la diligence de se conserver plus loin, qu'à ce qu'vn professeur de Medecine luy aura prescrit et ordonné, pour faire souz la seule cure du corps, trainer vne vie à l'Ame la plus vilement serve que l'on pourroit imaginer, d'où il sembleroit que la partie plus vitale de nous fut ceste chair et materielle masse. Mais de ceux qui s'estudient le plus curieusement à estançonner le corps par tel labeur, l'indisposition accoustumée fait signe qu'un tel chemin n'est au vray le plus seur: Et celà me semble [-f.38v-] estre suffisant, pour aux plus grossiers apprendre, que de meilleur lieu depend la continuation de nostre vie. Si les anciens Philosophes l'ont ainsi cru, leurs escrits tous semez de tels discours le tesmoignent: mais plus apert la verité par la continuelle santé conduisant leurs vies iusques aux bornes du plus grand climactere, si la fortune (ineuitable à tout ce que la Lune enclot) ou la tyrannie des Princes et Magistrats, ou la lacheté de quelques particuliers haineux, ou quelques autres causes estrangeres n'ont coupé le chemin. [Aristote a vescu 63 ans: et Platon 81. in marg.] Dequoy, si ce lieu le requeroit, i'alleguerois autres exemples que de Platon et d'Aristote, desquels cestuy accomplit le neufiesme septenaire, et celuy paruint iusques au grand climactere de neuf, ou de Xenophile musicien qui arriua iusques au cent cinquiesme an de son aage sans auoir souffert aucune maladie. [Vray moyen de prolonger sa vie. in marg.] Mais les histoires enrichies de telles admirables vies sont assez cogneuës, comme encores l'opinion de la plus sainte secte, soustenant, que par vne certaine proportion de l'Ame vnie à ses puissances esparses, et de ses puissances, au corps: naist vne consonance entre le corps et l'Ame, moyennant laquelle toutes choses luy succedent prosperément: Ioint que la prudence moderant les mouuemens de l'Ame et du corps, promet à l'vn et à l'autre vne continuelle santé, et au corps vne bien longue vie. Diuerses sur ce point ont esté les opinions, bien que tendantes à vne mesme fin. Les vns ont appellé à leur aide les carmes de Magie, par lesquels les Platoniques entendent la loüange chantée à Dieu, duquel la cognoissance esleue l'entendement humain en vne merueilleuse tranquillité: [-f.39r-] [Tranquillité d'esprit. in marg.] les autres ont cru que les raisons Philosophiques (comme il est vray) apportent à l'Ame vne tranquillité (i'appelle ainsi ce qu'ils nomment temperance des emotions) et au corps vne santé de longue continuation. [Enchantement de l'Ame. in marg.] De ceux-cy est née celle fameuse opinion de l'enchantement de l'Ame, tendant à la purification d'icelle et à la santé du corps, comme s'il sembloit estre necessaire que la temperance ou intemperance de l'Ame, communiqua au corps la santé ou la maladie. Vrayement, telle façon de prolonger la vie ne peut estre que loüable, et plus certaine que l'inclinée au corporel: comme encores par son moyen seroit reduit en effect le souhait plus commun, par lequel chacun se desire la ieunesse, la beauté, et la noblesse. [[Marasmos], maladie qui fait sembler le ieune homme estre vieil, et d'où elle procede. in marg.] L'on trouue entre les maladies vne sorte d'intemperie et indisposition corporelle nommée Maransis ou Marasmos, qui fait apparoistre la vieillesse en la ieune personne, tant par les rides et le teint de la face, que par le blanchissement des cheueux et par la debilité de tous membres: accident qui suruient des melancoliques emotions intemperées tant en la complexion qu'en l'humeur. [Moyen de iouyr d'une perpetuelle ieunesse. in marg.] Au contraire il peut aduenir que celuy duquel l'Ame est tranquille, et duquel les passions, affections, et emotions sont reduites en bonne temperance, duquel les humeurs sont entretenues en vne balancée temperature sans excez, continuera sa vie iusques aux derniers ans en tant vigoureuse santé que la fin suruiendra plustost par l'humaine necessité, que par occasion que la naturelle raison puisse prouuer. Que ne tend donq ce desireux de perpetuelle ieunesse (qui n'a, croy-ie, rien plus commode que la santé) [-f.39v-] à ceste voye pour y paruenir par effet, sans se repaistre en la passion d'vn vain desir? [Beauté desirable. in marg.] car de la corporelle beauté le temperé (non plus que de la richesse vouloit Socrate) n'en peut auoir qu'assez, aspirant plus à l'aquest d'vne intellectuelle et eternelle beauté qu'à ceste perissable fleur qui se fene sans fruit. [Vain titre de noblesse: et quelle noblesse est desirable. in marg.] Mais qu'a à souhaiter la noblesse, celui auquel les images de ses ayeuls ne semblent embellies d'assez illustres peintures et armoiries: s'il peut s'anoblir d'vne sorte, qui le rendra noble malgré le transport de tout Empire, le renuersement de toute Republique, la mutation de toute religion, voir l'ignominieux meffet de ses predecesseurs? La vertu ne suffit elle à l'accomplissement de ce desir? Et l'autre, qui desià reçoit ce titre de sa genereuse race, ne doit-il rougir honteusement, si le vilain vice souille le pourpre de sa noblesse desià autrement trop espiée pour estre noircie de ses enuieux compagnons? [Faute commune, fardée de politesse. in marg.] O defaut trop insuportable, de se farder de tels agencemens, de proportionner sa contenance, ses pas, ses acoustremens d'vne affectée curiosité, faisant aparoir son dehors parfait en toute modestie, et toutefois le dedans est remply d'vn desordre d'affections et perturbations diuerses, et l'Ame nourrie de cent vicieuses, incompatibles et differentes emotions. [Admirable efficace de Temperance. in marg.] Pour à quoy trouuer remede, ie ne sçay où mieux il faille recourir qu'au secours de la Temperance, mercy de laquelle les humaines actions, autant intellectuelles que corporelles, toutes assemblées en vn compartiment bien proportionné, forment l'Idée de l'homme heureux, et desià goutant la saueur (autant que l'estre mortel le permet) du souuerain bien et derniere felicité, [-f.40r-] plus sans comparaison desirable, que n'est le delay de la mort. [Les Arts mecaniques et les sciences liberales sont simulacre de Temperance. in marg.] De ceste Temperance se treuuent infinis simulacres en nostre vie, tant aux Arts mecaniques, conduis tous par nombres ou par mesures, qu'aux disciplines honnestes et liberales: entre lesquelles, l'Aritmetique, la Geometrie, et l'Astronomie ont gardé vn rang si honorable qu'à peine pourrions nous viure si leur ayde ne nous servoit de guide aux vrays offices de la vie humaine. [La Musique vray image de Temperance. in marg.] Mais la Musique, estimée par la moins recusable troupe des sages contenir en soy toute perfection de symmetrie, et retenue comme pour image de toute l'Encyclopedie, me semble si viuement rapporter entre nous le vray pourtrait de la Temperance, que l'ignorant de Musique doit penser son Ame estre boiteuse et impuissante d'arriuer au but que luy montre celle vertu non iamais assez loüée. Combien s'estend le mot de Musique, et combien telle discipline est subtile, et estimable, ie le pourray dire ailleurs, et d'en toucher icy dauantage seroit repeter ce que i'ay ja escrit en l'vn de mes discours Philosophiques, auquel i'essaye de prouuer la Musique contenir toute discipline, et la Temperance toute vertu. [Entrée et occasion du dialogue. in marg.] Aussi maintenant veux-ie seulement traiter celle partie de Musique qui s'exerce par la voix, ainsi que le propos, duquel mon premier Solitaire a fait l'ouuerture, me conduit auec Pasithée, laquelle, retournant le lendemain en sa maison, ie trouuay (selon sa coustume de iamais n'estre oisiue) embesongnée en la consideration de quelques figures Astronomiques, appartenantes au mouuement de la Sphere, et l'ayant saluée: vous auray-ie point (dy-ie) entrerompu [-f.40v-] quelque agreable imagination, qui estiez tant intentiue? [Archimede tué par vn soudart à la prise de Siracuse. in marg.] Ie n'y estois (respondit-elle souriant) si profondement que celuy qui n'ouit l'horrible bruit de l'assaut et prise de sa ville, ny la violence faite en sa maison par le soudart ennemy, duquel il fut surpris en vne profonde speculation Geometrique et miserablement tué. Bien attendoy-ie à ce plaisir l'heure de quelque autre occupation, ne pensant (au soupçon de vostre triste contenance d'hersoir) vous voir auiourd'huy. Quelque accident (repliquay-ie) qui me puisse survenir, ie n'oubliray le deuoir auquel l'obligation que ie vous doy me pousse: et ne pouuois, puis que vostre volonté me l'auoit commandé, faillir de venir à ma mode, taschant de prouuer mon obeissance. En bonne foy (adiouta-elle, auec vn serenement de face qui ne peut s'escrire qu'en mon coeur) ie voulois former vne figure du Ciel, pour rechercher de quel aspect fut sur vous ceste continuelle solitude descochée, et comme elle pourra, ou quand, estre allegrée. Quel besoin (l'interrogay-ie) auez-vous de consulter auec les corps tant eslongnez, qui au Ciel de vos graces faites luire les Astres, desquels le benin ou le malin aspect me peut allegrer d'heur, ou contrister tant solitairement? La cause de ma solitude vous est assez cogneuë, mais la fin de mon allegresse ne vous est encores experimentée. Ce commancement de harangue melancolique et plaintiue (dit-elle) tend bien loing de musical entretien, lequel vous m'auez promis. L'occasion de ma promesse (adioutay-ie) fondée sus vne melancolie aparuë au dehors, par l'abondance du dedans, n'auroit vray effect si ie la deguisois: [-f.41r-] aussi ne sont plus viuement les plaintes exprimées qu'alors que la Musique veut seruir de truchement, tant elle est propre à esmouuoir, comme à moderer les passions. Nonobstant que la Musique (dit-elle) soit en basse et vulgaire estime pour ce temps, si me donnez vous envie d'en ouir quelque chose: [Eleuation d'ame par la Musique. in marg.] puis que sa cognoissance est de si excellent efficace en l'eleuation de l'ame par aliance auec la fureur Poëtique, et de ce, Solitaire, ie vous prie me satis-faire. De ce que i'en sçay, Pasithée (dy-ie) ne veux-ie vous espargner la parole: vray est que ie debatrois vne chose trop confessée entre les doctes, si ie me trauaillois de recueillir les argumens desquels l'honneur et le merite de la Musique et de la Poësie sont soustenus: [Musique et Poësie, moins estimées qu'elles ne meritent en ce temps. in marg.] mais aussi ie me declarerois homme de trop fraile cognoissance, d'autant que l'une et l'autre ne soient en ce temps deprisées, et contées pour vn rien, en ce qui est requis pour l'aise vertueux de nostre vie. Quant à la Poësie, ie la voy maniée par les mains de tels personnages, que s'ils ne l'esleuent en son dù et honorable siege, en vain attendra ce climat de iamais l'y reuoir. Mais la Musique, demeurée par ie ne sçai quel desastre sans plus loüable nom, que celuy qu'un chantre vagabond et sans sçauoir, ou vn mercenaire menestrier luy en aura aquis, me semble traitée trop indignement: et ne puis ne me plaindre, de voir entre les nostres si bon commancement d'introduction aux autres disciplines, et en ceste, rien: comme si nous en estions incapables, ou si les Grecs et les Latins deuoient defendre ceste partie de Philosophie, à ceux qui ne seroient adoptez en leur famille. Plus encores me deplait le change [-f.41v-] fait du rang, lequel anciennement elle tenoit premier entre les sciences necessaires pour l'institution des bonnes moeurs, à vne reputation d'inutile oisiueté, et exercitation effeminée: [L'honneur de Musique entre les anciens, changé auiourd'huy. Sybarites, desquels l'impudence lasciue a esté tirée en prouerbe. in marg.] pour non dire qu'elle soit reietée par quelque troupe grossiere, auec les raisons de Sybarites, qui ne receuoient en leur Republique aucun art de sonoreux exercice, et defendoient de nourrir aucun coq pour n'importuner le repos de leur paresseux dormir. [Platon en sa Republique et Aristote en sa ciuilité reçoiuent la Musique. in marg.] Superfluz seroit le discours emprunté de Platon et d'Aristote, qui la loüent et l'appellent, l'un en sa police, et l'autre en sa Republique. Aussi sçauez vous qu'ainsi que la luite, la course, le saut, l'escrime et tels autres exercices, estoient receuz pour necessaire entretien de la santé corporelle, [Exercices corporels et intellectuels. Pourquoi la Poësie et la Musique sont compagnes. in marg.] la Musique seruoit d'exercice pour reduire l'ame en vne parfaite temperie de bonnes, loüables, vertueuses moeurs, emouuant et appaisant par vne naïfue puissance et secrette energie, les passions et affections, ainsi que par l'oreille les sons estoient transportez aux parties spirituelles. Qui fut occasion prestée aux premiers Poëtes et Theologiens de l'accompagner de Poësie, au nom de fureur souz la charge des Muses, comme ie vous diz hier. A quoy (puis qu'il vous plait en ouir dauantage) ie veux adiouter maintenant, que la sourse de ceste science fut reputée celeste des Pythagoriens, [Sourse de la Musique. in marg.] à cause que le premier autheur n'estoit en cognoissance, et encor moins auiourd'huy qu'à peine sçauons-nous demesler les fables, des veritables histoires. [Diuers inuenteurs de Musique. in marg.] L'vn nous renuoie à vn Dieu Mercure et à sa lyre de quatre ou de sept cordes, ou au scelette de sa tortuë. L'autre nous met en jeu vn Orphée: qui vn [-f.42r-] Amphion, vn Thamire, qui vn Line, vn Pierie, vn Philammon, vn Lichaon Samien, et infiniz autres inuenteurs ou en tout ou en partie. Apres suiuent Timothée et Terpandre qui ont adiousté, et (disent-ils) trop adiouté: tesmoin l'Edit des Lacedemoniens contre le pauure Timothée: [L'edit contre Timothée Milesien est recité par Boëce, au commancement de sa Musique. in marg.] auec ceux-cy Ardale Trezenien, Clonas Thebein, Archiloc, Glauce, Xenocrate sont nommez: mais en fin telles opinions sans autre tesmoignage ne peuuent faire foy. [Pythagore conceut l'efficace des proportions par les diuers sons des marteaux d'vn mareschal. in marg.] Aussi n'en allegué-ie dauantage pour ne faire ainsi que quelques-vns qui, se vantans de parler de Musique, apres vn grand amas de tels noms, se sont teuz, pensans nous auoir apris vn aussi grand secret que les marteaux, à Pythagore. Il me semble donq plus pertinent de laisser telles letanies à autre loisir, et commancer au mot de Musique, qui vrayement est tiré des Muses, ou le nom des Muses de luy, et signifie trois choses. [Les Muses et la Musique nommés l'vn de l'autre. in marg.] Premierement toute l'Encyclopedie: et par Platon, voire (auant luy) par Pythagore, de ce nom l'vniuerselle Philosophie estoit appellée. [Musique signifie trois choses, à sçauoir l'vniuerselle philosophie, l'estat de tout le Monde et de ce qu'il contient, diuisé en Musique mondaine et Musique humaine. in marg.] Il est quelque-fois mis en vsage pource que vous diriez vne proportion, symmetrie, concorde, et amitié des corps celestes et de Nature vniuerselle, tant en l'Vniuers vniuersellement que particulierement d'vn particulier à vn particulier corps, d'où procedent sous les noms de Musique mondaine et Musique humaine, certaines plus curieuses que necessaires considerations, desquelles l'incertitude apporte telle liberté de dire à ceux qui en discourent, que ie penserois faire tort à ce temps, lequel ie veux employer en plus certaine cognoissance, si ie vous en entretenois. aussi [-f.42v-] sa plus peculiere et propre signifiance, [Propre signifiance de Musique. in marg.] est la science qui considere auec sens et raison, la difference des sons graues et aiguz, ou bas et haux, donnant le moyen de bien et harmonieusement chanter. A quoy est requis que l'on sçache distinctement toutes les especes de Harmonie, et puis que l'on soit industrieusement exercé à entonner et exprimer disertement les voix en toutes mutations, souz vne mesure tousiours bien observée: [Suiet de Musique. in marg.] tellement que son propre sujet est vn chant harmonieusement recueillant en soy des paroles bien dites, mesurées en quelque gracieuse cadence de rime, ou balancées en vne inegale egalité de longue ou brieue prononciation de syllabes. [Les Egyptiens loüoient Dieu par la seule exclamation des voyelles, auec quelque supersticieuse raison, croyans que tout ainsi que nul mot peut estre sans voyelle, aussi rien ça bas peut auoir essence sans Dieu. in marg.] Il seroit long à dire comme la Musique a esté traitée diuersement, aiant vn temps demeurée contente d'vne seule voix, ou pour le moins d'vne simple mesure egale, telle que le plein chant de noz chantres, et l'exclamation des sept voyelles aspirées par les premiers et religieux Egyptiens pour la sainte loüange du nom secret de Dieu. Et comme depuis elle a esté diuersifiée de tons diuersement contr'accordez, et de mesures attribuées à diuerses prononciations aux longueurs et brieuetez inegales du temps. Mais à fin que telle diuersité vous soit euidente, ayez en memoire que les Musiciens en faueur de la facilité de leur discipline cognoissans les voix (nommées par les premiers phtonges) [[Phthongos], voix. in marg.] elemens de Musique, estre nuës, et simplement voyelles prononcées sans ordre, loix, ou aucune reigle, inuenterent des noms, syllabes et signes, pour plus facilement discerner la diuersité des voix: [Diuers noms des voix de Musique. in marg.] comme les premiers disoient Hypate, Mese, Nete, les autres Archos, [-f.43r-] Deuteros, et ainsi de suite: et maintenant les syllabes entre nous sont, vt, re, mi, fa, sol, la. Les signes, sont ce que nous appellons nottes, diuerses en forme et en valeur (c'est à dire en longueur de temps ou en prolation de mesure) comme il appert en la pratique, l'vne noire, l'autre blanche, l'une briefue et l'autre longue. Apres en nostre plus prochain siecle passé, ils ont accommodé aux voix ou syllabes certains sieges qu'ils appellent clefs, distinguez (à parler en leurs termes) par lignes et espaces egales en proportions, combien que les voix y conduites soient inegales entre soy. Pour aisance dequoy fut imaginée vne disposition d'eschelle sur les iointures des dois dans la main gauche, nommée Game, pource que la premiere appellation est [Gamma], lettre Grecque en recognoissance de l'hoirie qui nous est eschuë des Grecs en ceste discipline: [Eschelle, ou Game. in marg.] dont encores porte la marque ce mot Clef, qui en nostre langue ne me semble estre deduit de Clavis Latin, mais plustost de [kleis], qui en Grec signifie Clef: [Clef, en Musique. in marg.] ou [kleis] en plus lente et longue prononciation d'vne pluralité signifient clefs, que nous prononçons ainsi: clefs. Toutefois d'où que ce mot tire sa sourse, il appuye sa signification en la metaphore d'ouurir, car comme la clef ouure la serrure, aussi ceste ouure le chant. Ie serois ennuyeux à vous qui desirez plus sçauoir comme les anciens parloient de Musique qu'ouir les commancemens des Modernes qui vous sont tous cogneus, de vous entretenir des vt, re, mi, fa, sol, la, ny des signes et notes vsitées vulgairement. Ie sçay (dit-elle) celà trop familierement, et ne deuez vous trauailler à m'en dire dauantage. Pour donq (poursuiuy-ie) [-f.43v-] commancer plus suffisante description. [Que c'est que Musique. in marg.] Musique est vne disposition de sons proportionnables, separez par propres intervalles, laissant aux sens et à la raison vne vraye preuue de sa consonance. Et d'autant qu'elle procede de certains nombres et mesures de voix et de son, pour s'accomplir elle considere, les sons, harmonies, consonances, tons, intervalles, diastemes, systemes, genres ou especes, muances, modulations, et autres tels mots propres à elle, desquels les signifiances ne vous demeureront incogneuës. [D'où est engendré le son, et quel est son office en Musique. in marg.] Le son donq s'engendre necessairement d'un frapement d'air, et en figure ronde petit à petit augmentée en cercles (en maniere de ceux qu'vn jet de pierre forme en l'eau) paruient à l'oreille, où elle se fait ouyr diuersement: ores bas, si le coup est lent ou tardif, ores haut, si le coup est grand et soudain: (pour essay dequoy vne verge, ou baguette, maniée en l'air peut suffire), duquel il faut tenir tel conte entre les Musiciens, que de l'vnité entre les Arithmeticiens, et entre les Geometriens du point: autre chose ne signifie-il qu'vne harmonieuse estendue ou continuation de voix: [Que c'est, son. in marg.] et ce que ie nomme l'estendue ou continuation, est l'estat de la voix: c'est à entendre, quand la voix ne monte ny baisse, mais demeure tousiours en vn mesme estat. Ce mot harmonieuse, requiert que la voix puisse estre baissée ou haussée, et ne se pourroit souz tel nom comprendre vn tonnerre, ou tel autre extreme bruit, qui ne peut estre outrepassé non plus que seroit vne voix si basse, qu'autre ne pourroit l'estre moins, tant elle approcheroit du silence: [-f.44r-] tellement que l'estendue ou continuation, a deux extremitez. [Deux extremitez d'estendue de voix. in marg.] La premiere se nomme, esleuation, assauoir mouuement de basse en haute voix: l'autre, abaissement qui est le mouuement de haut en bas. [Esleuation. Abaissement. in marg.] Quant à la Harmonie, elle est differente de la consonance (combien que l'vn et l'autre soit vn conforme emmellement de voix basse et haute, touchant gracieusement l'oreille) en ce que Harmonie contient du moins deux consonances, et consonance n'est autre chose qu'un accord: [Que c'est Harmonie, et consonance, et comme elles sont differentes l'vne à l'autre. in marg.] comme on diroit, vne quinte est vn accord ou consonance, ou (dira quelqu'autre) vne double: mais si vous sonnez dessus la quinte vne quarte, ou vne quinte entre les deux extremes de la double, c'est vne harmonie composée de deux consonances, assauoir Diapenté, qui signifie quinte: et Diatessaron, qui signifie quarte. [D'où s'engendre la consonance. in marg.] Quant à la cause de la consonance elle n'a pù esté recherchée par les Anciens, qui ont esprouué qu'alors que l'on touche deux cordes differentes (ne vous troublent d'orenauant les mots corde ou voix vsitez l'un pour l'autre) si les deux sons qui s'entre-rencontrent par l'air sont mesurables l'un à l'autre par quelque bonne proportion, il se fait vne douce confusion de l'vn en l'autre, et ne deuiennent quasi qu'vn son, d'où naist la consonance agreable à l'oreille: mais si les sons ne peuuent souffrir proportionnable mesure l'vn de l'autre, ils viennent toucher l'oreille chacun en son entier, comme combatans à qui vaincra, et (pour n'estre confonduz l'vn en l'autre) sont receuz aigrement de l'ouye, d'autant qu'ils se font ouyr separez: d'où vient la facheuse dissonance, et discord mal plaisant. [-f.44v-] [Ton. in marg.] Des tons, les Anciens ont dit l'un estre vnison (entre les Grecs [isotonos]), [[isotonos], ton egal. in marg.] assauoir quand il resonne tout vn que celuy auquel il est rapporté: l'autre dissonant (entre les Grecs [anisotonos]), assauoir quand il sonne inegalement à celuy auquel il est rapporté: [[anisotonos], ton inegalement sonnant. in marg.] desquels ceux qui coulent si pres de l'vnisonance, que l'elongnement de l'un à l'autre est obscur et incomprehensible, ne servent à mon propos, mais ceux que les Anciens ont nommez difiniz, et desquels l'on peut aisément discerner l'espace du mouuement, servent de fondement necessaire à la Harmonie et aux accors de Musique: [D'où s'engendre Harmonie. in marg.] car la Harmonie, naist de proportion et la proportion doit estre rapportée à quelque chose: feingnez qu'vn ton soit accomodé en proportion d'vn vnison, ne demeurera pas tel accouplement de deux sons egaux sans Harmonie? il faut donq à fin que de la proportion des deux, la Harmonie procede, que l'vn soit different à l'autre: aussi sourd icy la difficulté, car tous dissonans, ne sont accordans ou rapportables l'vn à l'autre en Harmonieuse proportion, comme ie vous feray entendre s'il vous plait me permettre de continuer ce discours. [Que c'est intervalle. in marg.] Quant au mot intervalle, il n'est necessaire de declarer en combien de sortes il est pris generalement, et suffira qu'en Musique c'est la distance (quelque definition que l'on luy donne autrement) [Que c'est ton. in marg.] d'entre le ton aigu ou haut, et le ton graue ou bas, diuersifiée en plusieurs sortes, [Demi ton petit ou [hemitonos]. in marg.] ainsi qu'en vn ton, qui est l'intervalle d'vn Son, à son prochain Son: comme depuis vt iusques à re. [[ditonos], ou interualle de deux tons. in marg.] Demi ton petit est l'intervalle d'un Son à son prochain, non entier: comme depuis mi, à fa. Diton signifie vne tierce [-f.45r-] parfaite de noz Musiciens, contenant deux tons, comme vt, mi, ou, fa, la. Et faut noter que cest intervalle est necessaire en vne sorte de Musique nommée Enharmonique. [[hemiditonos], ou, presquediton, car [hemi] ne signifie tousiours demy. in marg.] Presquediton, ou Demiditon, signifie vne tierce imparfaite, contenant vn ton et vn demy ton petit, comme re, fa, ou mi, sol, propre à vne autre sorte de Musique nommée Chromatique. [Triton. in marg.] Triton s'appelle auiourd'huy vne quarte dure inusitée, composée de trois tons, comme fa, et mi esleué, en ordre de fa, sol, re, mi. [[diatessaron], de quatre. in marg.] Diatessaron, c'est vne quarte, douce de deux tons, et vn demy ton petit, comme vt, fa: ou re, sol: ou mi, la. [[diapente], de cinq. in marg.] Diapenté, ou quinte parfaite, s'accomplit en trois tons et vn demy ton petit: comme re, la: [Presquediapenté. in marg.] Demidiapenté (ou possible mieux) Presquediapenté, c'est la quinte imparfaite, de deux tons et deux demy tons petis, comme, mi, fa, conduit ainsi, mi, fa, re, mi, fa. [Ton presque diapenté, ou sixte. in marg.] Ton plusque Diapente, pour sixte, ou sixiesme parfaite, de quatre tons et vn demy ton petit, comme vt, la. [Sixte imparfaite. in marg.] Demy ton plusque Diapenté, c'est vne sixiesme imparfaite, de trois tons et deux demy tons petis, comme mi, fa: conduit par mi, fa, sol, re, mi, fa, de E, la, mi, à, C, sol, fa, vt. [Septiesme, grande. in marg.] Diton plusque Diapenté, c'est la grande septiesme, formée de cinq tons et vn demy ton petit, comme vt, mi, conduit par, vt, re, mi, fa, sol, re, mi: depuis C, fa, vt, iusques à b, fa, [sqb], mi. [Septiesme, moindre. in marg.] Presquediton, plusque Diapenté, ou moindre septiesme est de quatre tons et deux demis tons petis, comme re, fa, conduit par re, mi, fa, sol, re, mi, fa: depuis D, sol, re, iusques à, C, sol, fa, vt. [[diapason] de tout, ou octaue, consonance diuisible en deux sortes. in marg.] Diapason (parfaite consonance comparée à la forme ouale) est l'octaue ou la double, composée de Diatessaron et Diapenté, [-f.45v-] en deux sortes, l'vne (comme il sera besoin que ie die plus à plein) en proportion Harmonique, d'vn Diapenté en bas et Diatessaron en haut, [Harmoniquement. in marg.] comme depuis A, re, iusques à, E, la, mi, vn Diapenté re, la: et depuis E, la, mi, iusques à, A, la, mi, re, vn Diatessaron, mi la: changeant, la, de E, la, mi, en mi: [Arithmetiquement. in marg.] l'autre est proportionnée Arithmetiquement, assauoir d'vn Diatessaron en bas, et vn Diapenté en haut, comme depuis A, re, iusques à D, sol, re: Diatessaron, re, sol, et Diapenté, depuis D, sol, re, iusques à A, la, mi, re, sonnant re, la, pour change du sol, de D, sol, re, en re. [Octaue imparfaite. in marg.] Demy diapason, ou Presquediapason, est l'octaue imparfaite nullement vsitée, composée de quatre tons, et trois demis tons petis, comme d'vn mi, de [sqb] mi, à vn fa, de b, fa [sqb] mi, conduit par mi, fa, re, mi, fa, re, mi, fa. Bien peut on trouuer encores d'autres interualles moindres, comme Schysme, comme Apotome: et d'autres plus grans, comme vn ton plusque diapason, et montant iusques à Disdiapason, le plus grand et parfaict interualle, comme celuy qui est composé en la perfection de toute parfaite consonance, de deux fois Diapason: [Differences entre les intervalles. in marg.] mais la facilité de telle recherche me faict passer cest endroit legerement, pour vous dire que les interualles sont differens l'vn de l'autre en plusieurs sortes: comme en grandeur, pour exemple, Diatessaron et Diapenté sont differens en grandeur: car l'vn contient deux tons et vn demy ton petit, et l'autre trois tons et vn demy ton petit. [Interualles accordans, ou non. in marg.] I'adioute pour autre difference, que les vns sont accordans et les autres non: comme Diapenté ou Diapason sont accordans, [-f.46r-] et Presquediapason, ou Diton plusque diapenté, sont sans symphonie. [Intervalles composez. in marg.] Dauantage, aucuns interualles sont composez, comme ceux qui sont recueillis de deux tons ou plus, ainsi que vous diriez depuis vt, fa, ou depuis vt, à sol: [Intervalles simples. in marg.] les autres sont simples, comme ceux qui sont entre deux sons prochains vt, re, ou, re, mi: difference qui n'est toutefois commune à toutes les especes de Musique: [Que c'est qu'espece de Musique. in marg.] desquelles auant que passer outre, il est bon qu'ayez ceste cognoissance, qu'espece de Musique est vne certaine generale façon de melodie, monstrant les differentes formes des Tetracordes differens l'vn de l'autre, par eslongnement ou prochaineté des sons. [Premiere espece de Musique nommée Diatonique. in marg.] L'vn est Diatonique, et se poursuit continuellement en vn demy ton petit, et deux tons entiers suiuans: [La seconde, nommée Chromatique, de [chroma], qui signifie couleur, ou politesse. in marg.] la seconde est nommée Chromatique (comme on diroit colorée) et s'esleue par deux demis tons inegaux en ses deux premiers interualles, et au troisiesme par vn Presquediton ou Demiditon qui signifie trois demis tons: la derniere (car ie n'ay lù que ces trois) est Enharmonique (vous pourriez dire de parfaicte Harmonie) composée en ses deux premiers interualles de la moitié d'vn demy ton petit, nommée Diese, ou Diachisme: [La troisiesme, nommée Enharmonique, de [enarmonios] qui signifie quasi autant que propre et bien seant. in marg.] et au dernier interualle de son Tetracorde, d'un Diton, c'est à dire deux tons: la Diatonique esleuant sa voix plus vehementement et en plus choisissable proportion, d'autant qu'elle conuient plus à la naturelle prononciation, est demeurée iusques à nostre temps et est encores familierement vsitée, mais non pas la Chromatique ny l'Enharmonique: desquelles celle ne se laisse traiter [-f.46v-] qu'auez tant exquis et difficile artifice, qu'elle semble estre reseruée pour les doctes: et ceste requiert vne tant diligente et laborieuse perspicacité qu'à peine a elle esté pratiquée par les plus excellens professeurs de Musique, comme ie pourray vous declarer plus amplement. Mais pour retourner à la difference des interualles composez, il faut (disoy-ie) noter que ceste difference n'est commune à toutes les especes de Musique, car en la Diatonique, Presquediton est composé, et non pas en la Chromatique: le ton est composé en la Chromatique, et non pas en la Diatonique: En l'Enharmonique, Diton est simple, et non pas en la Diatonique, ny en la Chromatique: d'où il faut noter que le plus grand interualle simple est Diton: et le moindre composé est, Demy ton petit. Ainsi cognoissez-vous vne autre difference entre les interualles pour la diuersité des especes de Musique, les vns estans Diatoniques, les autres Chromatiques et les autres Enharmoniques: [[diastema] espace, ou distance. in marg.] et ce suffira pour entendre ce mot, si i'adiouste que tout Diasteme peut estre nommé interualle, et non pas au rebours: [Que c'est que Diasteme, et en quoy il est different d'interualle. in marg.] car Diasteme est vne distance composée de deux ou plusieurs interualles, et faut que le Diasteme contienne pour le moins entre ses deux extremitez deux interualles de toute espece que ce soit: [[sustema], amas, ou congregation. in marg.] le mot Systeme entre les bons Autheurs est pris pour diuerses choses, signifiant neantmoins tousiours vn amas ou assemblée, mesmes signifie entre les Musiciens vne assemblée de voix par interualles, et Diastemes, contenant en soy ces deux. [Systeme ancien. in marg.] Le premier et plus ancien Systeme n'estoit que de quatre cordes, ou quatre tons: ausquels [-f.47r-] peu à peu l'on adiouta iusques au nombre de sept et fut (dit-on) la lyre ainsi accordée, monstrée par Mercure à Orphée: mais la curiosité de Pythagore, qui ne s'en contenant y adiouta vne huitiesme, est cause que celle premiere n'est venue iusques en noz mains, et qu'encores à son imitation, l'on a osé augmenter le nombre iusques à quinze, pour rendre le Systeme parfaict en ses Tetracordes, continuant depuis celle qui represente le plus bas ton auquel l'on puisse descendre en chantant iusques au plus haut auquel l'on puisse monter pour la necessité de melodie. Que signifie (demanda-elle) Tetracorde? [Que c'est Tetracorde. in marg.] ie luy respondy: vne continuation de quatre tons, ou, quatre cordes, desquelles la plus basse, à la plus haute resonne Diatessaron, c'est à dire vne quarte, d'un demy ton petit et deux tons en trois interualles, comme vous voyez depuis mi, iusques à, la, demeurans, fa, sol, enclos entre deux. Ceste disposition (sonnant entre nous, mi, fa, sol, là) rencontrée par les premiers, fut tant fauorablement receuë, souz le nom de Tetracorde, que d'vn commun accord ce mot est retenu pour diuiseur du grand et parfait Systeme de quinze cordes. L'vsage (m'interrogua-elle) des quinze cordes que vous dites, est-il tel auiourd'huy, qu'au temps passé? L'vsage (respondy-ie) est bien tel, mais les noms sont changez, et le nombre augmenté, comme preuuent les diuers clauiers d'orgues: [Les quinze cordes, ou voix du Systeme parfait, [proslambanomenos], voix aquise. in marg.] ceste augmentation toutefois est repetition et non pas diuersité: parquoy ie n'en feray autre mot: et au propos du change des noms diray que la premiere corde (vous l'imaginerez pour ton, son, ou note, ainsi qu'il vous plaira) estoit [-f.47v-] nommée Proslambomene (qui peut estre interpreté aquise ou adioustée, aussi ne sert elle rien aux diuisions par Tetracordes) et auiourd'huy c'est ce qu'on dit A, re. [I. [ypate ypaton], principale des principales. in marg.] La seconde s'appelloit Hypate Hypaton, c'est à dire principale des principales, ou plus basse des basses, qui font le premier et plus bas Tetracorde: nous nommons ceste-cy [sqb], mi. [II. [parypate, ypaton], prochaine de la principale des, et cetera. in marg.] La troisiesme Parhypate hypaton, souz principale des principales, ou prochaine de la plus basse des basses, entre les nostres C, fa, vt. La quatriesme, Lichanos hypaton (nostre D, sol, re) signifie indice ou monstre des principales: et semble estre deduit du mot Grec [lichanos], signifiant le doigt second et prochain du pouce, qui sert plus communément à monstrer (comme l'on dit) au doigt: [III. [lichanos ypaton], monstre des principales. in marg.] ou pource qu'aux anciens instrumens le doigt second estoit accommodé pour toucher celle corde; ou (et possible mieux à propos) pource qu'ainsi que la distance du pouce à ce doigt second, est la plus grande, et s'eslargit ou retressit, selon que l'vsage de la main s'accommode en vne ou autre sorte: aussi la troisiesme corde de chacun Tetracorde, selon qu'elle est vsitée à diuerse melodie, accroit ou diminue son prochain interualle, comme i'espere vous monstrer facilement: combien qu'auiourd'huy, il n'y en ait autre vsage que ce qui en reste en quelques endroits du compartiment des Orgues par le double Disdiapason. [IIII. [ypate meson], principale des moyennes. Tetracordes des moyennes. in marg.] La cinquiesme, Hypate meson, c'est à dire la principale ou plus basse des moyennes, ou du Tetracorde du milieu, est nostre E, la, mi, et s'appelle ce Tetracorde Meson, c'est à dire de celles du milieu, pource qu'il [-f.48r-] est disposé par conionction entre deux Tetracordes: et si l'on ne consideroit la suite des autres Tetracordes, ceste principale ou plus basse des moyennes, pourroit estre appellée Nete hypaton, c'est à dire la plus haute des basses. [V. [Nete ypaton]. [Parypate meson], prochaine de la principale des moyennes. in marg.] La sixiesme, Parhypate meson, signifiant la prochaine de la principale ou souz principale des moyennes, est entre nous F, fa, vt. La septiesme Lichanos meson (ainsi nommée par les raisons dites en Lichanos hypaton( est nostre G, sol, re, vt. [VI. [lichanos meson], monstre des moyennes. in marg.] La huitiesme, Me, qui est nostre A, la, mi, re, se nomme ainsi, comme tenant le rang du milieu au parfait et immuable Systeme du Disdiapason, qui est la double octaue de quinze cordes, desquelles necessairement la huitiesme est au milieu, assauoir la plus haute du Diapason bas, et la plus basse du Diapason haut: [VII. [mese], moyenne. in marg.] ainsi en consideration du Tetracorde Meson on la peut nommer Nete meson, [VIII. [Nete meson]. Tetracorde des deiointes. in marg.] et n'entre au Tetracorde troisiesme nommé Diezeugmenon (c'est à dire des deiointes) non plus que Proslambanomene au premier Tetracorde Hypaton, mais à vn Tetracorde conioint (ils le nommoient Synemmenon) elle sert de basse, et là, peut estre nommée Hypate Synemmenon.
[[paramese], prochaine de la moyenne. in marg.] La neufiesme corde estoit Paramese, c'est à dire la prochaine en ordre de Mese, et eslongnée d'elle d'un ton selon le Systeme auquel les deiointes suiuent le rang prochain des moyennes, comme nostre [sqb] mi, de b, fa, [sqb] mi, est eslongné d'un ton de A, la, mi, re: [IX. [Trite diezeugmenon], troisiesme des deiointes. in marg.] lors qu'on chante en cest endroit, re, mi. La dixiesme, est Trite diezeugmenon, ou la troisiesme des deiointes: [X. [paranete diezeugmenon], prochaine de la haute des deiointes. in marg.] pource qu'elle est la troisiesme de ce Tetracorde [-f.48v-] à conter de haut en bas; ou pource qu'elle est la troisiesme de ce Diapason à conter de bas en haut: nous l'appellons maintenant C, sol, fa, vt. L'onziesme, Paranete diezeugmenon, c'est à dire la prochaine de la haute du Tetracorde diezeugmenon est nostre D, la, sol, re: [XI. [Nete diezeugmenon], la plus haute des deiointes. in marg.] et reçoit mesme mutation selon la diuerse espece de Musique que fait Lichanos, obseruance qu'il ne faut oublier pour entendre la disposition de la troisiesme corde de chacun Tetracorde. [XII. [Trite yperbolaion], la tierce des excellentes. in marg.] La douziesme, Nete diezeugmenon, c'est à dire la plus haute du Tetracorde des deiointes, nostre E, la, mi. La treziesme, Trite hyperboleon, signifie la tierce ou tenant le troisiesme lieu au Tetracorde des plus hautes ou excellentes, à conter depuis la plus haute, comme F, fa, vt. [XIII. [paranete yperbolaion], prochaine de la plus haute des excellentes. in marg.] La quatorziesme, Paranete hyperboleon, c'est à dire prochaine de la plus haute des plus hautes (muable Chromatiquement et Enharmoniquement) est representée en nostre G, sol, re, vt: [XIIII. [Nete yperbolaion], la plus haute des excellentes. in marg.] comme la quinziesme, Nete hyperboleon, c'est à dire la plus haute des plus excellentes, par nostre A a, la, mi, re, le haut. Tel (continuay-ie) est l'ordre des quinze cordes anciennes representées par les notes depuis A, re, iusques à A a, la, mi, re: [XV. Quatre Tetracordes. in marg.] la continuation desquelles se deduit en quatre Tetracordes l'vn apres l'autre. [Tetracorde des basses ou principales. I. in marg.] Le premier s'appelle Tetracorde hypaton, ou des principales et plus basses, assauoir depuis Hypate hypaton iusques à Hypate meson: et selon l'eschelle, ou Game de ce temps, depuis [sqb] mi, iusques à E, la, mi, sonnant mi, la. [Tetracorde des moyennes. II. in marg.] Le second est surnommé Meson, ou des moyennes, commençant à Hypate meson et finissant à Mese, sonnant mi, la: comme nous dirions depuis E, [-f.49r-] la, mi, iusques à, A, la, mi, re. [Tetracorde des deiointes. III. in marg.] Le troisiesme est appellé Tetracorde diezeugmenon, c'est à dire des deiointes, prenant son nom de desionction, pource qu'il est separé par interualle d'vn ton du Tetracorde Meson: [Tetracorde des excellentes ou plus hautes. IIII. in marg.] aussi commance-il à Paramese et s'acheue à Nete diezeugmenon, resonant mi, la: selon nostre Game depuis le mi, de b, fa, [sqb] mi, iusques à, E, la, mi: où le quatriesme Tetracorde hyperboleon commance, et acheue à Nete hyperboleon, par, mi, la: comme depuis, E, la, mi, iusques à, A a, la, mi, re. Ainsi demeure Proslambanomene hors des deux premiers Tetracordes, ne seruant que d'adiointe pour faire vne octaue à Mese. Et Mese est hors des deux Tetracordes d'en haut seruant seulement d'octaue à Nete hyperboleon. [Tetracorde conioint. [Synemmenos], conioint. in marg.] Toutesfois il se treuue icy vn Tetracorde collateral et conioint, lequel i'ay dict estre nommé Synemmenon, c'est à dire des coniointes: [Mese. I. in marg.] pource que sa premiere et plus basse corde est la plus haute et derniere de celles qu'ils appelloient Meson, assauoir de Mese, tellement qu'il est lié au Tetracorde des moyennes, et confuz dedans celuy des deiointes. [[Trite synemmenon], troisiesme des coniointes. II. in marg.] Donq sa premiere est Mese, sonnant, mi, comme de A, la, mi, re: la seconde, Trite Synemmenon, c'est à dire, troisiesme des coniointes, sonnant le fa, de B, fa, [sqb], mi: [[paranete, synemmenon], prochaine de la plus haute des coniointes. III. in marg.] la troisiesme, Paranete Synemmenon, qui signifie prochaine de la plus haute des coniointes, sonnant vn sol en C, sol, fa, vt, qui estoit Trite diezeugmenon. [[Nete synemmenon], la plus haute des coniointes. IIII. in marg.] La quatriesme est Nete synemmenon, c'est à dire la plus haute des coniointes, sonnant vn la, auec Paranete diezeugmenon, nostre D, la, [-f.49v-] sol, re. Et de cecy pouuez-vous recueillir les cinq Tetracordes, leurs noms, et le rang qu'ils tiennent aux quinze cordes desquelles l'on peut tirer en doute la disposition poursuiuie en consideration du cours naturel des Cieux: [Disposition celeste accomodée par les Anciens à la Musique harmonieuse, mais en differentes raisons. in marg.] desquels, (à l'opinion de quelques vns) les superieurs resonnent plus grauement, pource qu'ils sont plus grans, et il semble estre raisonnable que les plus grans corps poussent le son plus gros: au contraire argumentent les autres, que les corps celestes plus hauts, ont le son moindre, et plus aigu: pource que leur mouuement est plus vite, et du plus vite mouuement procede le son aigu, comme du lent et tardif (propre aux corps inferieurs) le son bas et graue est engendré. [Diuerse disposition de cordes aux instrumens Musicaux. in marg.] Encores voyons-nous à quelques musicaux instrumens, comme Lyre, Lut, et Guiterre, les grosses cordes estre tenduës aux plus hauts lieux, et à quelques autres, comme Harpe et Espinette, qu'elles sont au plus bas. Toutefois pource que la voix humaine est conduite (et ie m'en rapporte aux bons Orateurs) de bas en haut, et qu'il a ainsi plu aux plus fameux et doctes Musiciens de les disposer, ie ne veux (contre mon dessein, qui est de vous donner cognoissance comme l'ancienne Musique est continuée) me formaliser en paradoxe de si peu de profit. Donq puis qu'à ce que ie compren (dit-elle) les quinze cordes nommées sont propres à deduire toute sorte de Musique, ie vous prie de poursuiure, et me faire entendre auec quelle industrie ceste discipline est exercée sur tels elemens. Il seroit (respondi-ie) difficile de resoudre la perplexe question de ceux qui enquierent si la [-f.50r-] disposition des cordes a guidé par longue experience la voix humaine, ou, au contraire, si à l'imitation de la voix, les sons ont esté accommodez aux cordes: mais comme qu'il en soit, ie sçay bien que les Anciens, au lieu des lignes, espaces, notes, clefs, et autres marques vsitées pour la chantrerie de ce temps, escriuoient sur les vers certains caracteres accommodez à chacune syllabe, selon lesquels la voix se deuoit hausser ou baisser en tout le Systeme, tant Diatoniquement, Chromatiquement, qu'Enharmoniquement. I'en ay vù quelques exemples, et s'il vous plait les formeray sur ce papier tels que ie les ay retirez d'un vieil liure escrit en main: desquels ceux qui sont venuz à nous, par Boëce, approchent fort, bien qu'en tout ils ne soient semblables. Elle desirant de les voir, me fit approcher vne plume, de laquelle commençant à trasser: [Notes antiques. in marg.] la figure (dy-ie) auec laquelle ils representoient Proslambanomene est vn Z, et vn demy H, ainsi [signum]. celle de Hypate hypaton est vn [Gamma] figuré à l'enuers sus vn [Gamma] droit, ainsi [signum]. Parhypate hypaton estoit noté d'un B, et d'un [Gamma] renuersé le dessouz dessus, ainsi [signum]. Lichanos hypaton estoit marqué d'un [Phi], et d'un E, imparfaict en bas, ainsi [signum]. Hypate meson estoit representé par vn O separé, et les demiz cercles disposez ainsi [signum]. Parhypate meson estoit d'vn P, et d'vn [Omega], le dessus dessouz, ainsi [signum]. Lichanos meson auoit vn M, et vn [signum], ainsi [signum]. Mese se notoit de I, et [Lambda], couché ainsi [signum]. Paramese de Z sus vn [signum], couché ainsi [signum]. Trite diezeugmenon de E, et [signum], le dessus dessouz [signum]. Paranete diezeugmenon M, [-f.50v-] le dessouz, et Z, ainsi [signum]. Nete diezeugmenon [Phi], couché sur N, ainsi [signum]. Trite hyperboleon Y, le dessous dessus, et deux traiz de Z, ainsi [signum]. Paranete hyperboleon d'un M, marqué d'vn trait aigu et vn [Pi], tracé de mesme, ainsi [signum]. Nete hyperboleon d'vn I, tranché sus vn [Lambda], couché et tracé ainsi [signum]. Du Tetracorde des coniointes qu'ils nommoient Synemmenon, Trite auoit pour note vn [Phi], couché en vn [Lambda], le dessus dessouz, ainsi [signum]. Paranete Synemmenon d'vn [Gamma], et d'un N, ainsi [signum]. Nete Synemmenon estoit [omega], et z, ainsi [signum]. Telles sont les figures auec lesquelles ils representoient les sons des quatre Tetracordes, et du cinquiesme conioint, en la Musique Diatonique: car en la Chromatique, et Enharmonique ils notoient auec autres marques les cordes muables, chose qui vous pourra sembler estre plus curieusement recherchée que recitée, pour besoin qu'en ait le discours commancé. En bonne foy (dit-elle) celà me semble bien digne d'estre sù, et me plairoit beaucoup de voir la façon, accommodant ces notes aux paroles. Voyez en vn exemple qui seruira pour satisfaire à vostre enuie, (luy dy-ie, escriuant ceste Strophe:)
[-f.51r-] [Pontus de Tyard, Solitaire second, f.51r; text: Plus, d'vne paix rebelle Vostre douceur cruelle Au trauail me dispose, Plus ie repose. Vous sçauez auec quel air ceste Ode se chante et que les notes vsitées auiourd'huy sont telles:] [PONSOL 01GF]
Mais (demanda-elle) à quoy cognoistray-ie quelle longueur de temps chacune syllabe merite? Icy (respondy-ie) est nostre langue moins parfaite que la Grecque ou la Latine: ausquelles ce scrupule seroit osté par la longueur et briefueté des syllabes obseruées des Orateurs et Poëtes, toutesfois l'vsage et les hommes doctes, pourroient donner quelque loy en cecy qui nous releueroit de doute, et donneroit la perfection requise [-f.51v-] en nostre Poësie. Vrayement telle maniere de noter ne me semble impertinente (dit-elle) si nostre langue en permettoit l'vsage. Il me semble (dy ie) qu'auec peu de labeur de quelqu'vn, qui par venerable authorité et accomplissement des parties requises par Platon en l'inuenteur ou correcteur des langages, tireroit les François à son opinion, nous pourrions estre enrichiz de ce qui nous defaut en cest endroit, à l'imitation des Anciens, desquels vous ne trouuerez hors de propos que i'adiouste vne autre mode de marques, laquelle i'ay recueillie d'un fort vieil exemplaire, venu en mes mains par la grace de mon extremement aimé amy, mais non iamais assez honoré de moy, le Seigneur Maurice Sceue. [Maurice Sceue. Autres noms des cordes, selon le nombre: car [protos] signifie premier; [deuteros] second; [tritos] tiers; [tetartos] ou [tetratos] quart. in marg.] Là (bien qu'ailleurs i'en ay veu quelque chose) amplement il est discouru, que de chacun Tetracorde, la premiere corde estoit nommée Archos, ou Protos, la seconde Deuteros, la troisiesme Tritos, et la quatriesme Tetratos: mais pour donner quelque difference, Protos ou Archos du premier Tetracorde hypaton (qu'ils nommoient les graues) estoit ainsi marqué [signum]: Deuteros, ainsi [signum]. Tritos, ainsi N: et Tetratos ainsi [signum]. [Tetracordes graues. Autres notes antiques. in marg.] Le second Tetracorde meson estoit nommé des finales, duquel Protos estoit marqué ainsi [signum], Deuteros, [signum]: Tritos I, et Tetratos [signum]. [Tetracorde des finales. Tetracorde des superieurs. in marg.] Le troisiesme Tetracorde estoit nommé des superieures pour ses quatre cordes ayant ces quatre marques selon leur ordre
[Pontus de Tyard, Solitaire second, f.51v,1] [PONSOL 01GF].
[Tetracorde des excellentes. in marg.] Au quatriesme Tetracorde nommé des excellentes, les quatre cordes estoient recogneuës souz ces marques
[Pontus de Tyard, Solitaire second, f.51v,2] [PONSOL 01GF].
Mais ceste diuersité me laisse en opinion [-f.52r-] que les Anciens maintes sortes marquoient les notes pour monstrer quelle part il falloit estendre la voix, et que diuersement les Tetracordes ont esté desguisez, comme depuis noz plus prochains ont inuenté vt, re, mi, fa, sol, la, et autres instructions qui vous sont cogneuës: aussi ne veux-ie vous en entretenir plus longuement si auec vostre congé, ie m'en puis exempter. I'accorde (dict-elle) que le fil de ce discours soit continué à vostre fantasie, et ne craignez de le conduire ainsi qu'il vous plaira. [Les nombres de l'Arithmetique, et les quantitez de Geometrie empruntées par la Musique. in marg.] Vous retiendrez donq (poursuiuy-ie) en tres asseurée proposition que la Musique, pour s'accomplir, a pris les nombres de l'Arithmetique, et les quantitez de la Geometrie: consideration laquelle ie desire vous rendre facile briefuement, si vous apprestez vn peu vostre apprehensiue perspicacité, que ie ne veux ennuyer par les longues trainées des nombres enfilez par quelques-vns qui ont traicté la Musique, où ils font plus de preuue d'affection de curiosité, qu'ils n'apportent d'aide pour faciliter la science. Ie laisseray donq les Miliars et Miriades au siege de leur discipline peculiere, et diray que les Anciens, cognoissans la Harmonie des sons consonans et accordez ensemble, estre tirée de la raison d'vn certain mépartement proportionnant les deux extremitez consonantes, imaginerent trois sortes de mépartemens [Trois sortes de Mépartemens, proportionalitez, ou medietez. in marg.] (car ie ne sçay comme dire autrement ce qu'ils nommoient proportionalité ou medieté) et appellerent la premiere sorte mépartement Arithmetiq, la seconde Geometriq, et l'autre Harmoniq. [Que c'est que mépartement. in marg.] Ce mot, Mépartement, ou Proportionalité, [-f.52v-] signifie vn rapport ou rassemblement de deux ou plusieurs proportions: [Mépartement conioint. in marg.] et quand la proportion n'est que de deux pieces, elle est nommée mépartement conioint, comme 2, 3, 4: voyez qu'il n'y a à proportionner que depuis 2, iusques à 3, et depuis 3, iusques à 4. Mais s'il y a plus de parties, comme en cecy 1, 2, 3, 4, tel mépartement est appellé deioint. [Mépartement déioint. in marg.] Ie croy, Pasithée, que ces mots, rudes et non vsitez, vous sembleront mal plaisans: mais le pauureté de nostre langage en vocables des disciplines m'excusera, et suffira si vous comprenez le sens, attendant que quelqu'vn, duquel la hardiesse soit authorisée de l'vniuerselle faueur de France, nous compose des noms: [Mépartement Arithmetiq. in marg.] ce pendant vous retiendrez, que le mépartement Arithmetiq est celuy auquel toutes les parties suiuantes l'vne l'autre tiennent vn tel ordre, que les differences de l'vne à l'autre sont egales: comme en 1, 2, 3, ou plus, qui, selon l'ordre, ne sont entredifferens que d'vn, et d'autant que 2 surmontent 1, 3, surmontent 2, et 4, 3: et ainsi infiniment: demeurant en ceste maniere de mépartement entre toutes les parties, vne egale difference, assauoir, vn: mais non pas vne egale proportion, car 2 est double à 1, le contenant deux fois. Et 3, rapporté à 2, est en proportion d'autant et demy, car 3, contient 2, vne fois et demie: et ainsi des autres: comme encores sort ceste mesme espreuue aux nombres non continuez selon le prochain ordre naturel, 1, 2, 3, et cetera, mais disposez par egale intermission de nombre (quel qu'il soit) entre deux: pour exemple, 2, 4, 6: entre lesquels i'oublie de mettre vn nombre, assauoir entre 2, et 4, i'oublie le 3, et entre 4, [-f.53r-] et 6, i'oublie le 5: toutes-fois il y a mesme difference de 2, à 4, que de 4, à 6, c'est deux: mais non pas mesme proportion, car 4, à 2, est double et 6, à 4, est autant et demy: brief, l'intermission egale laisse vne egale difference: [Reigle des intermissions et differences. in marg.] car si l'intermission est de deux, la difference sera de trois, comme en 1, 4, 7, 10, il est tres facile de voir: si l'intermission est de trois, la difference sera de quatre, comme en 1, 5, 9, 13: (ainsi infiniment) estant la difference egale, mais non pas la proportion. Ie m'eslongnerois trop de mon propos vous declarant toutes les proprietez de ce mépartement Arithmetic, comme il participe du Geometric et du Harmonic, comme ses extremitez se rapportent à ses milieux, car vous les pouuez auoir aprises au fond de la propre science d'Arithmetique, et suffira de vous en auoir ouuert la memoire, pour suiure que le mépartement Geometric est celuy auquel les parties s'entre-rapportent en egale proportion et non pas en egale difference, comme en 2, 4, 8. [Mépartement Geometric. in marg.] Bien est la proportion egale de 4, à 2: et de 8, à 4: assauoir double et en l'vn et en l'autre: mais non pas la difference, car 4, est different de 2, seulement de deux: et 8 est different de 4, du nombre quatre: ce qui se treuue tousiours obserué aux proportions triples, quadruples et autres. Ie vous laisse le souuenir de ses proprietez: comme les differences sont en mesmes proportions que les portions principales: comme la difference en double proportion, du petit au grand est le petit mesme: et quelles sont les differences des proportions triples, quadruples et autres: comme les extremitez [-f.53v-] s'entre-rapportent aux milieux, et plusieurs telles considerations que ie pense ne vous estre incogneuës. [Mépartement Harmonic. in marg.] Reste le mépartement Harmomic, qui ne contient ny egales proportions, ny egales differences, comme 3, 4, 6. Voyez que 6, surmonte 4, de sa tierce partie qui vaut 2: et 4, surmonte 3, de sa quatriesme partie qui est 1: et 6, surmonte 3, de sa moitié qui est 3: ainsi n'y a-il egalité ny de proportions ny de differences: mais ainsi que le grand nombre se rapport au petit, la difference du grand et du moyen nombre, est rapportée à la difference du petit et du moyen. Pour esclarcir, par exemple, en 3, 4, 6, il est euident que 6, est double proportion à 3: aussi, la difference de 4, à 6, qui est 2, est en double proportion au nombre different de 4, à 3, qui est 1: car 2, est double à 1. Ie fais ceste mesme preuue en 2, 3, 6: ainsi 6, est triple à 2: la difference aussi de 6, et 3, qui est 3, est triple à la difference de 3, et 2, qui est 1: car 3 est triple à 1. [Notables differences entre les trois mépartemens. in marg.] Maintenant pouuez-vous recueillir vne singuliere difference entre ces trois mépartemens ou proportionalitez: car l'Arithmetic, rend entre les moindres parties la plus grande proportion: et entre les plus grans la moindre, comme 1, 2, 3: la proportion de 1, à 2, qui sont les moindres, est double, et la proportion de 2, à 3, qui sont les plus grans, n'est que d'autant et demy: bien est-il apparent que la double proportion est plus grande que celle d'autant et demy, comme vn tout est plus grand qu'vne moitié. Le Harmonic mépartement rend entre les moindres la moindre proportion, et entre les plus grans la plus grande: ie le treuue [-f.54r-] ainsi de 3, 4, 6: la proportion de 3, à 4, qui sont les moindres, est d'autant et tiers: et celle de 6, à 4, qui sont les plus grands, est d'autant et demy: qui doute que la proportion d'autant et demy, ne soit d'autant plus grande que la proportion d'autant et tiers, qu'vne moitié est plus grande qu'vne tierce partie? Mais le Geometric, entre les grandes et les moindres portions retient vne egale proportion: car de 2, à 4, est vne double proportion, comme de 4, à 8. Dauantage en l'Arithmetic, le milieu surmonte sa moindre extremité de la mesme partie de soy-mesme qu'il est surmonté de son superieur: Qu'ainsi soit, ie forme 1, 2, 3: ce nombre 2, surmonte 1, de sa moitié qui est vn: et de ceste mesme moitié est surmonté de 3. Au contraire, le milieu Harmonic surmonte sa moindre extremité, de la mesme partie de la moindre qu'il est surmonté de la partie du grand: ce que ie vous rends facile en 2, 3, 6: où 3, qui est le milieu, surmonte deux, qui est le moindre extreme, d'vne moitié de 2: et ce mesme 3, est surmonté par 6, de 3, qui est la moitié de son dict extreme 6. Diuersement à ces deux se conforment les parties Geometriques, ausquelles le milieu surmonte le moindre d'vne telle partie de soy, qu'il est surmonté de son plus grand par la partie du plus grand: voyez en 2, 4, 8: quatre surmontent deux, de leur moitié, qui est 2, et sont surmontez par 8, de la moitié de 8, qui est 4. [L'Armonic mépartement tient partie des mépartemens Arithmetic, et Harmoncie in marg.] Donq il semble (comme il est vray) que l'Harmonic participe et de l'vn et de l'autre, puis que l'Arithmetic, en ses diuisions, obserue l'egalité des differences: le Geometric observe [-f.54v-] l'egalité des proportions, et l'Harmonic s'accomplit en consideration du rapport des differences et des proportions ensemble. Ce peu que ie vien de dire de ces mépartemens pourroit estre estendu toute la iournée en vn discours de proprietez inventées pour leurs perfections par les Arithmeticiens, Geometriens, et Musiciens. Vne autre fois (dit-elle) ie vous remettray bien en ce train, lequel ie voudrois bien estre continué plus longuement, si vn plus impatient desir ne me croissoit l'enuie d'ouir l'assemblement de ce parfaict Systeme de quinze cordes dont vous m'auez entamé le propos. Fussé-ie (repris-ie la parole) autant asseuré que mon desir vous fust cogneu au vray, comme vous pouuez estre certaine combien le vostre m'est plus qu'agreable: car vous cognoistriez en moy auec quelle flame vne vertu peut d'honneste affection estre embrasée: et vous seroit plus recommandable le fruit lequel vous pouuez recueillir de ma deuote obeissance: pour continuation de laquelle (poursuiuy-ie, voyant qu'elle ne faisoit conte de recompenser mes affectionnées, de semblables paroles), ie suis prest de vous monstrer la composition de ce Systeme. Pourquoy faire, ie suis contraint de me dispenser des rigoureuses loix de Mathematiques, qui ne veulent autre demonstration que par raison et consequence sans representation de matiere, ny vsage d'aucun instrument ou compas, sans lequel toutesfois ie craindrois la difficulté du discours, le vous rendit moins facile, et plus desagreable. Apres donc qu'elle eut fait apporter vn estuy couuert de [-f.55r-] velouz, garny de reigle, compas, stile, escarre, et autres instruments propres à l'usage des Mathematiques, auec vne grande Ardoise qui luy servoit à tel exercice: [Assemblement du grand Systeme. in marg.] Le Disdiapason, ou grand et parfaict Systeme (dy-ie) commance à Proslambanomene, prend son lieu à Mese, et finit en Nete hyperboleon. Pour sçauoir donq en quelles proportions s'entre-rapportent ces trois cordes, et leurs prochaines, i'imagine qu'en vn instrument soient assemblées quinze cordes d'une egale grosseur et non differentes en son, que par la difference des longueurs. Soit donq la premiere corde de ceste certaine longueur (selon laquelle ie veux conduire toutes les autres) diuisée en quatre egales parties: desquelles l'extremité en bas (c'est à dire l'entiere estendue de la corde) me represente Proslambanomene, souz vn nombre de 9216: et selon la grandeur du second point diuiseur, qui est celuy du milieu, i'adioute vne autre corde qui me sonnera Mese, ioint vn nombre 4608, qui est la moitié de 9216: Puis à la mesure du troisiesme point diuiseur, vne autre corde, soit Nete hyperboleon, auec 2304, qui sont la moitié de 4608, et la quarte partie de 9216, comme sa longueur se rapporte à l'vne et à l'autre. [Proportion de Proslambanomene à Mese et à Nete. in marg.] Par ainsi Proslambanomene est en quadruple proportion à Nete hyperboleon, ainsi que quatre fois 2304, font 9216: et à Mese en proportion double, ainsi que deux fois 4608 sont 9216. [Proportion de Mese à Nete. in marg.] Mese se rapporte à Nete hyperboleon, en double proportion, ainsi que 4608, contiennent deux fois 2304. [Raison de ce nom Mese. in marg.] Ceste corde Mese est ainsi nommée proprement, tant en consideration de ce, [-f.55v-] que de quinze cordes, la huitiesme est iustement au milieu de toutes les cordes; que pource que sa proportion finit, et commance les deux accors de Diapason: Elle (veux-ie dire) finit le Diapason de Proslambanomene, comme la plus haute des inferieures: et commance le Diapason de Nete hyperboleon, comme la plus basse d'iceluy, tellement que le son de ces trois cordes conclud en symphonie de double proportion, deux fois Diapason, et en quadruple, Disdiapason, qui est la quinziesme ou double octaue, ainsi que vous voyez.
[-f.56r-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.56r; text: 2304 Nete, A, a, la, mi, re. 4608 Mese, A, la mi re. 9216 Proslambanomene, A, re. Diapason en double proportion. Disdiapason en quadruple proportion.] [PONSOL 01GF]
Mais auant qu'entrer plus outre en ce propos, il est necessaire de tenir pour impugnablement asseuré, auec [-f.56v-] les Anciens, que la force et la raison de tout harmonieux chant, sont comprises aux quinze cordes (outre lesquelles la voix haussée, est feinte ou aigre, et non naturellement pleine: et si elle est baissée plus bas, ne gronde qu'vne voix enroüée) Diatoniquement disposées, en la composition du grand parfaict et immuable Systeme Disdiapason, par vn industrieux compartiment des sons et des interualles: [Les consonnances naissent de certaines proportions. in marg.] desquels les estenduës et distances (nommées de tous quantitez) sont rapportées à vne raison mesurée, suiuant les Arithmeticiennes et Geometriennes proportions: comme ie vous ay monstré sur mon Monocorde imité de l'antique, d'escrit par Boëce: par le compartiment duquel i'ay recogneu la proportion des consonances moyennant le cheualet mobile ou coulant, dict des Grecs Cabali, ou Magas, et des Latins, vsurpé Hemispherium ou Semispherium. [[magas], ou [kabale], cheualet. in marg.] Premierement le ton (qui premier de tous les interualles fait naitre les differences de toutes les consonances diuerses) est mesuré en proportion d'autant et huitiesme, nommée Epogdoe, ou Sesquioctaue: et consequemment Diatessaron, Diapenté, Diapason, Diapason-diapenté, et Disdiapason sont mesurées en diuerses proportions, comme consonances premieres et requises en la perfection laquelle nous cherchons: [Proportion autant et huitiesme, qui engendre le ton. in marg.] et la trouuerons ayans noté, que la proportion (ainsi que i'ay commancé de dire) d'autant et huitiesme est, quand le plus grand nombre contient le moindre, et la huitiesme partie du moindre: [Proportion d'autant et tiers, qui engendre diatessaron. in marg.] comme neuf, contiennent huit, et la huitiesme partie de huit, qui est vn: de ceste proportion naist le ton. [-f.57r-] Vne autre proportion qui nous est necessaire est d'autant et tiers (si i'ose ainsi dire ce que l'on nomme sesquitertia) comme 4, à 3: assauoir quand le plus grand nombre contient le moindre et la tierce partie du moindre: aussi 4, contiennent 3, et la tierce partie de 3, qui est vn: de ceste proportion s'engendre Diatessaron. [Proportion d'autant et demy, qui engendre diapenté. in marg.] La proportion d'autant et demy, ou sesquialtera, comme de 6, à 4, assauoir quand le plus grand nombre contient le moindre, et la moitié du moindre, engendre Diapenté. [Proportion double qui engendre diapason. in marg.] La proportion double, comme de 8, à 4, assauoir quand le plus grand nombre contient deux fois le moindre, fait Diapason. [Proportion triple qui engendre diapason-diapenté. in marg.] La proportion triple, comme de 6, à 2, assauoir quand le plus grand contient trois fois le moindre, faict naitre Diapason diapenté: [Proportion quadruple d'où s'engendre disdiapason. in marg.] et de la proportion quadruple comme de 8, à 2, quand le plus grand nombre contient quatre fois le moindre, procede Disdiapason. Maintenant ces proportions necessairement notées, ie retourne à mes trois cordes imaginées: desquelles la plus longue nous represente la plus basse voix souz le nom de Proslambanomene, ou, A, re: et celle qui est moindre de la moitié, est marquée pour Mese, ou, A, la, mi, re, (octaue de A, re.) La plus petite, qui n'est qu'vne quarte partie de la grande, sonne la plus haute voix de Nete hyperboleon, ou A a, la, mi, re, le plus haut: octaue à Mese, et quinziesme à Proslambanomene. Or ie m'aide des nombres et escrits: aupres de Proslambanomene vn nombre qui peut estre diuisé en quatre, et en deux esgales parties, soit 9216: qui diuisé en deux, laisse à chacune part 4608, marquez aupres de [-f.57v-] Mese, à laquelle Proslambanomene est double: et diuisé en quatre, laisse 2304, à chacune partie: desquelles Nete en tient vne, comme ayant Proslambanomene pour sa quadruple. Reste de remplir les espaces qui sont entre ses trois voix, et sçauoir combien il y en faut, pour accomplir les quatre Tetracordes du parfait et immuable Systeme, duquel ie vous veux dire toutes les proportions recognuës par vne diligente et non fautiue obseruance. [Maniere de trouuer vn ton, et la premiere corde du Tetracorde des principales. in marg.] Premierement aiant retenu ma corde longue Proslambanomene pour fondement de toutes les autres voix esleuées sur elle, cherchant vn ton entier prochain, ie diuise sa longueur en neuf egales parties, et à la mesure de huit de ses parties ie forme vne ligne. Il vous est plus que facilement euident que ceste ligne, est proportionnée à Proslambanomene, en autant et huitiesme proportion: comme le nombre arrestera pour souuenance. Ie diuise 9216, en neuf egalement, faisant chacune partie 1024, et de ces neuf i'en assemble huit, qui sont 8192, et escrits ce nombre 8192, (rapporté en proportion d'autant et huitiesme à 9216) au droit de la ligne nouuellement formée, sonnant vn ton contre Proslambanomene, comme veut la reigle de la proportion autant et huitiesme, et adioute la seconde voix, ou corde, ou note (comme il vous plaira la nommer) Hypate hypaton: [Maniere de trouuer Diatessaron. in marg.] c'est (ay-ie desià dit [sqb] mi, eslongné dessus A, re, d'un ton entier. [Troisiesme corde du Tetracorde des principales. in marg.] Apres ie diuise la longueur du Proslambanomene en quatre egales parties, et forme vne ligne moindre d'vn quart que ceste Proslambanomene, tellement que de quatre [-f.58r-] parties, la moindre n'en tient que trois: et par ainsi leur proportion est d'autant et tiers, selon laquelle ie diuise le nombre 9216, et en oste vn quart qui est 2304: donq il reste 6912, que i'escri au droit de ceste nouuelle ligne auec ce nom Lichanos hypaton, ou D, sol, re, qui sonne dessus Proslambanomene Diatessaron, ou vne quarte engendrée par leur proportion d'autant et tiers. [Maniere de trouuer Diapenté. in marg.] Ie diuise encores ceste premiere longueur en trois egales, et figure vne ligne de deux tiers, rapportée par ce moyen à la premiere (i'enten de Proslambanomene) en proportion d'autant et demy: [Quatriesme corde du Tetracorde des principales. in marg.] le semblable fay-ie du nombre premier 9216, qui monte trois fois 3072, et trouue deux tiers de ce nombre, assembler 6144, que i'escri aupres de ceste ligne auec ce nom Hypate Meson, ou E, la, mi, sonnant Diapenté sur Proslambanomene, par la reigle de proportion d'autant et demy euidente et en longueur des lignes, et en la diuision des nombres. Dauantage, ceste ligne rapportée à celle de Hypate hypaton, sonne Diatessaron, comme d'vne proportion d'autant et tiers. Car mesurant (voyez-le) Hypate hypaton contre ceste de Hypate meson, il appert que Hypate meson est plus court d'vne quarte partie que Hypate hypaton, c'est à dire que la longueur d'Hypate meson contient trois quars de celle de Hypate hypaton, par proportion d'autant et tiers descouuerte encores au nombre de Hypate hypaton 8192, duquel la quarte partie est 2048. Assemblez trois fois 2048: vous trouuerez 6144, qui est le nombre approprié à Hypate meson, en proportion (comme i'ay dit) [-f.58v-] d'autant et tiers, à 8192, de Hypate hypaton: [Notable, entre les proportions d'autant et tiers et d'autant et demy. in marg.] mais, puis qu'il me vient souuenir, notez que la quinte ou Diapenté surmonte la quarte ou Diatessaron, d'vn ton: car la proportion d'autant et demy surmonte d'vne huitiesme celle d'autant et tiers: aussi Lichanos hypaton n'est different de Hypate meson, que d'vn ton, pource que la mesure de leur ligne est en proportion d'autant et huitiesme, ainsi que vous voyez souz le compas, et aux nombres: car 6912, de Lichanos hypaton, est rapporté comme autant et huitiesme, au nombre de Hypate meson, qui est 6144, duquel la huitiesme partie 768, faict la difference de ceste proportion. [Maniere de trouuer la seconde corde du Tetracorde des principales. in marg.] En outre, deuisant la ligne de Lichanos hypaton en huit egales parties, ie trace en l'espace qui est entre Hypate hypaton et Lichanos hypaton, vne ligne estendue en longueur de neuf huitiesmes parties de Lichanos hypaton, tellement que Lichanos est moindre d'vne sienne huitiesme partie, que ceste nouuelle ligne laquelle i'inscri de Parhypate hypaton: et pour l'accompagner d'vn nombre propre à sa mesure, ie pren 6912, nombre de Lichanos, auquel i'adiouste vne sienne huitiesme, assauoir 864, montant le tout à 7776, disposez en proportion autant et huitiesme, qui faict vn ton de Parhypate hypaton, ou C, fa, vt, à Lichanos, D, sol, re. [Demy ton petit. in marg.] Reste à considerer de quelle proportion est celle petite difference de Parhypate hypaton, à Hypate hypaton: voyez par preuue du compas, qu'en dimension Geometrique vous ne sçauriez la rapporter en quelque raisonnable proportion: voyez encores par les nombres [-f.59r-] escrits à ces deux lignes, que leur proportion est moindre que celle d'autant et huitiesme d'où s'engendre vn ton: qu'ainsi soit, 8192, nombre de Hypate hypaton, contiennent celuy de Parhypate hypaton, c'est 7776, et 416, qui est moins que sa dix et huitiesme partie: proportion approchante celle de 18, à 19. [Proportion qui engendre le demy ton petit. in marg.] Si faut il que ceste difference engendre quelque son, et puis que ce n'est vn ton entier, il faut dire que c'est vn demy ton. I'ay toute-fois (repliqua-elle) ouy asseurer, qu'vn ton ne peut estre diuisé en deux egalement. [Si vn ton est egalement diuisable, ou non. in marg.] Pour apprendre (adioutay-ie) s'il est egalement diuisable, regardons comment la proportion d'autant et huitiesme, de 9, à 8, mere du ton, peut estre diuisée en deux. Premierement il n'y a aucun nombre entre ces deux: et 9, ne reçoit point de diuision en deux egales parties: car nous ne pourrions diuiser vn, qui est le moindre, voire (si ie puis dire) le point et Atome de tous nombres: mais à fin qu'vn plus grand nombre ne nous semble estre mieux diuisable, doublons 8, et disons 16: doublons 9, et disons 18: nombres proportionnez d'autant et huitiesme, qui ont entre eux deux vn nombre en tel ordre 16, 17, 18: ie dy que l'estendue de 16, à 18, engendre vn ton par proportion d'autant et huitiesme: tellement que 17, qui est entre 16, et 18, semble estre la difference qui cause l'esleuation ou abaissement d'vn ton. Donq pour diuiser vn ton egalement, il faut essayer de diuiser egalement 17, ce qui ne se peut faire: car les plus prochains nombres diuiseurs de ses moitiez sont 8, qui doublez ne font que 16: et 9, qui doublez font 18. Dauantage 17, rapporté [-f.59v-] à 16, contient 16, et la seziesme partie de 16: et ce mesme 17, rapporté à 18, est contenu par ledit 18, auec vne sienne dix et septiesme partie: tellement que la moindre partie est la dixseptiesme, et la plus grande est la seziesme, qui doiuent representer deux parties du ton diuisé en deux le plus egalement qu'on peut: assauoir la grande le demy ton grand, et la petite le demy ton petit. Suffise cecy, pour vous en auoir assez dit, quant aux proportions d'Arithmetique. Mais entre les Grecs, et (grace à Boëce) depuis entre les Latins, le ton est diuisé en plusieurs parties, desquelles les noms sont tels: [Noms, de plusieurs parties d'vn ton. in marg.] Apotome, Diesis, Diaschisma, Comma, et Schisma. [Apotome. Diesis. Diaschisma Comma. Schisma. in marg.] Apotome, c'est le grand demy ton: Diesis, c'est le petit demy ton: Diaschisma, c'est la moitié de Diesis: Comma est celle partie de laquelle le grand demy ton surmonte le petit: et Schisma, est la moitié de Comma. Ainsi le ton peut estre diuisé en vn Apotome et vne Diese: ou en deux Dieses et vn Comma: ou en quatre Diaschismes et deux Schismes: ou en deux Dieses et deux Schismes: ou en vn Apotome et deux Diaschismes. Elle repliquant dit: le ton est diuisable egalement, et ne satisfait l'argument des nombres, vù que par vostre tant asseurée proposition, la Musique s'accomplit et est polie en la Geometrie auec l'Arthmetique. Ores (elle prenant le compas) de ceste difference de longueur de deux lignes, eslongnées seulement d'vn ton, voyez que facilement i'en fais deux portions egales. Outre, par les noms diuiseurs alleguez de Boëce, ie diuise egalement le ton en deux, chacune partie estendue [-f.60r-] en vne Diese et vn Schisme: ainsi me deumeure le ton diuisé egalement. I'ay plus entrepris (luy remonstray-ie) de vous dire ce que i'en ay lù, que de m'enhardir à vous disoudre tous les doutes: mesmes celuy, qui tousiours m'a semblé de difficile resolution: tant pour le respect des raisons, que pour la reuerence des Auteurs qui les ont debatues: [Pythagore. in marg.] entre lesquels Pythagore est nommé le premier, qui est auec la plus belle et curieuse diligence qu'on pourroit imaginer, recherchoit en toutes choses, autant que leur matiere le permettoir, la purité simple et la stable eternité. Pythagore (Pasithée) qui semble auoir esté envoyé ça bas par la prouidence diuine, pour miracle, honneur, et enrichissement des esprits humains, n'eut autre chose en plus affectuese recommandation, que d'arracher l'inconstance et la fortune des oeuures de Nature, des actions, contemplations, et mesme de la vie des hommes: pour leur assigner vn ordre certain, et vn fondement non fortuit ou à l'adventure, mais ferme en vne certaine et constante raison: dont entre autres choses tascha de monstrer que le iugement des consonances des voix, ne deuoit estre mis en l'arbitre des oreilles, desquelles le sentiment (ainsi que des autres sens) est peu asseuré, ains aisé à deceuoir: mais plustost appartenoit à l'entendement, duquel les discours aquierent, par la raison, vne certitude asseurée. [Les nombres, et les interualles musicaux. in marg.] Entreprise, de laquelle il ne pùt voir issuë plus apparente, qu'en l'aide de la commodité et raison des nombres, d'où il considera (voire asseura) les interualles de Musique tirer leur vraye et plus euidente sourse, pource [-f.60v-] qu'ils s'entrerapportoient de quantité à quantité. Quelle est (disoit-il) la cause que des interualles les vns sont accordans, les autres non: si ce n'est pource que la voix procede du mouuement (comme il est certain que sans mouuement la voix ne peut prendre son estre) et que le mouuement ne peut estre sans espace, ny l'espace sans nombre et quantité: et que par suite necessaire, la voix conioint en soy l'essence et l'efficace de nombre, et de quantité: tellement que l'aigu et le graue, c'est à dire le haut et le bas, sont quantité. [Musiciens, nommez Pythagoriens. in marg.] De ceste opinion sourdit vne secte de Musiciens surnommez Pythagoriens Canoniques, ou Reguliers: pource qu'ils attribuoient plus sans comparaison à la raison, qu'aux sens exterieurs. Si est-ce, que l'illustre Pythagore ne peut receuoir tant d'authorité, qu'il demeura sans contrariant: [Aristoxene. in marg.] car ou de la doctrine d'Aristoxene, ou d'autres quels qu'ils ayent esté, se trouua vne autre secte de Musiciens surnommez Harmoniques, [Musiciens Harmoniques. in marg.] qui auoient plus de fiance, et plus fermement authorisoient leur opinion, au rapport du sentiment de l'ouye, que sur la raison: et de ces deux ne sçay-ie à laquelle donner l'honneur de primauté de temps: car pour la verité de l'opinion, ceux-là me plaisent en leurs subtiles speculations, et ceux-cy m'attirent par leurs preuues familieres et euidentes: [Autre secte de Musiciens souz Ptolemée. in marg.] Mais plus me satisfont ceux qui ont suiuy vne moyenne voye auec Ptolemée, donnant à la raison place tres-honorable, et toutefois ne refusant en rien le merite dù au sentiment corporel. Tellement que (si ie ne me deçoy) le iugement de la Musique doit estre advoüé [-f.61r-] bon, et sain, lors que la raison, et les sens se rencontrent sans controuerse ensemble. Et vrayement il faut que ie vous die mon opinion de la Musique en general: flechir la part des Sectistes de Ptolomée, et quant à la diuision du ton (qui m'a poussé à ce discours) Aristoxene me contenter beaucoup, sauué le respect de toute reuerence duë à Boëce, et aux autres desquels les oeuures nous sont demeurées entre les mains. [Boëce. in marg.] Vous croyez donq (dict-elle) que le ton est diuisable en deux egales parties. Ie ne voudrois (respondy-ie) confesser legerement que le ton fust pertinemment nommé quantité, ny qu'en la voix l'interualle du haut et du bas (qui a semblé à quelques-vns n'estre que nuë et simple qualité) reçoiue section comme vne quantité de solide continuité. Il semble (me repliqua elle) que vous ayez enuie de confondre et mettre en tenebres ce point, ou que vous en vouliez dissimuler vostre aduis: ie vous prie declarez-vous. Puis que vous m'en pressez (respondy-ie) et que ceste digression me tient trop longuement eslongné de mon propos commancé, mon aduis est, que le ton se peut difficilement diuiser en deux egalitez, pource que la voix ne peut estre si aisément coulée, ny articulée tant intelligiblement, que l'on puisse en iuger le milieu, non plus que la difference qui est entre l'Apotome et la Diese. Et quand nous serions à la preuue, celuy qui soustiendra l'opinion contraire à la mienne, sera aussi empesché de me faire discerner à l'oreille la difference de l'Apotome et de la Diese, que moy de lui faire sentir la diuision d'vn Comma, qui nous entretient en ceste particuliere opiniatrise. [-f.61v-] Puis (dict-elle) que le sens de l'ouye n'est assez subtil pour vuider ce different, que ne vous remettez au iugement de la raison Pythagorienne et Arithmeticienne, de laquelle vous auez tant vsé en la proportion des tons et consonances? Beaucoup m'esmeut (dy-ie) la dimension nombreuse, quand elle est iointe à la Geometrique. Mais en cecy, le nombre me nie vne diuision par la rigueur de l'vnité et l'apparence de Geometrie (ce que vous mesmes auez apperceu) me la permet autant facilement qu'autre proportion. Si ne suis-ie tant opiniastre que les raisons plus viues (car ie n'aten de l'espreuue que ce que i'en ay dict) ne me guident facilement en autre pas: et ce pendant (sans prendre cecy pour espece d'entiere resolution de ce point) vous souuiendra, pour refrechissement de ce que i'ay dit, que Proslambanomene est vn ton surnommé aquis ou adiouté, au dessouz du plus bas Tetracorde de nostre parfaict Systeme, representant A, re, de la Game vulgaire, duquel la proportion d'autant et huitiesme contre Hypate hypaton, ou [sqb], mi, engendre vne difference d'vn ton de l'vne à l'autre, comme ie vous ay monstré Arithmetiquement, par le rapport de ces deux nombres: et Geometriquement, en la diuision de ces deux lignes marquées de tels noms. [Assemblement du Tetracorde des basses, ou principales. in marg.] Faut maintenant noter que le Tetracorde des plus basses, surnommé Hypaton, commance à Hypate hypaton: au dessus et plus prochainement duquel, est Parhypate hypaton, nostre C, fa, vt, representé par vne ligne de telle estendue que nous auons dict sonner le demy ton petit, et moindre que l'egale [-f.62r-] moitié d'vn ton. Aupres de ceste ligne, est celle que i'ay marquée Lichanos hypaton, c'est à dire, indice ou montre des principales, entre noz Musiciens, D, sol, re, qui est de la longueur de trois quars de la ligne de Proslambanomene, et autant de son nombre en proportion d'autant et tiers, d'où est engendrée la consonance Diatessaron, comme par sa proportion d'autant et huitiesme contre Parhypate hypaton, elle est esleuée d'vn ton sur ledit Parhypate: et par mesme proportion, la ligne suiuante, derniere de ce Tetracorde, nommée Hypate meson ou E, la, mi, sonne plus haut qu'elle d'vn ton, et par proportion d'autant et demy faict Diapenté contre Proslambanomene: et contre Hypate hypaton, proportionnée en autant et tiers, acheue le premier Tetracorde Hypaton des basses, ou principales, comme la figure laisse en assez facile euidence.
[-f.62v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.62v; text: 4608 Mese, A, la, mi, re. 6144 Hypate meson, E, la, mi. 6912 ton, Lichanos hypaton, D, sol, re. 7776 ton, Parhypate hypaton, C, fa, vt. 8192 demy ton, Hypate hypaton, [sqb], mi. 9216 ton, Proslambanomene, A, re. Diatessaron. Le Tetracorde Hypaton des plus basses, ou principales. Diapenté.] [PONSOL 02GF]
Pour trouuer le second Tetracorde surnommé meson ou des moyennes et les contreproportions en luy contenuës, [-f.63r-] ie diuise la ligne qui represente Parhypate hypaton en quatre egalement: [Second Tetracorde, surnommé Meson, ou des moyennes. in marg.] et à la longueur des trois siennes parties, i'en figure vne aupres de Hypate meson, montant deuers Mese, auec le nom de Parhypate meson, ou F, fa, vt, qui luy est rapporté en Diatessaron, par proportion d'autant et tiers: [Maniere de trouuer la seconde corde des moyennes. in marg.] car la ligne de Parhypate hypaton, s'estent outre l'entiere longueur de Parhypate meson, d'vne tierce partie de ce mesme Parhypate meson, aussi le declaré-ie par les nombres, ainsi: Parhypate hypaton est marqué de 7776, duquel la quarte partie est 1944: or' assemblant trois fois 1944, ie treuue 5832: ie les marque donq pour Parhypate meson, comme proportionné d'autant et tiers, à Parhypate hypaton, duquel il est contenu auec vne sienne tierce partie. [Demy ton petit. in marg.] Voicy encores, qu'il ne demeure pas vn ton entier de Hypate meson à Parhypate meson, tant par la proportion des deux lignes, que des deux nombres qui ne sont en proportion d'autant et huitiesme: des lignes il est trop cler au compas: et des nombres, quoy? 6144, nombre de Hypate meson, contient 5832, de Parhypate meson, et 312, qui font moins de sa dix et huitiesme et plus de sa dix et neufiesme partie: tellement que de ceste proportion n'en peut naitre qu'vne partie d'vn ton, nommée (comme i'ay dit) demy ton petit, qui est la difference des lignes de Hypate meson et Parhypate meson, lequel ie diuise en neuf egales parties, [Maniere de former la tierce corde des moyennes. in marg.] et à la mesure de huit, ie tire vne ligne entre la sienne et celle que i'ay marquée pour Mese, pour me representer Lichanos meson, qui, selon la proportion conduite du [-f.63v-] compas, est rapportée auec Parhypate meson comme d'autant et huitiesme. Ce que i'accorde par le nombre 5832, approprié audit Parhypate meson, duquel i'assemble en vn, huit neufiesmes parties, assauoir, huit fois 648, montant à 5184, et marque ce nombre 5184, aupres de Lichanos meson ou G, sol, re, vt: Ainsi, est la proportion d'autant et huitiesme, d'où s'engendre vn ton, duquel ces deux lignes sont differentes, assez euidente: mais parangonnons la longueur de Lichanos hypaton à celle de Lichanos meson voyez: que celle là contient la longueur de ceste cy entierement, et vn tiers d'auantage: et les nombres de mesme: car 6912, de Lichanos hypaton, contiennent 5184, de Lichanos meson: et 1728, qui sont vne tierce partie de 5184: le tout en proportion d'autant et tiers, d'où s'engendre la consonance Diatessaron de l'vne à l'autre ligne Lichanos. Luy voulons nous accommoder vne ligne en Diapenté? Voyez, c'est celle de Parhypate hypaton, qui est plus longue vne fois et demie, c'est à dire que de trois pars egales de Parhypate hypaton: Lichanos meson n'en tient que deux, comme le nombre vous monstre: qui pour Parhypate hypaton faict 7776, et pour Lichanos meson 5184, contenu en 7776 auec 2592, qui sont la moitié de 5184: ainsi de la proportion d'autant et demy resonne vne quinte de Parhypate hypaton, contre Lichanos meson. [Quatriesme corde des moyennes. in marg.] Reste en ce Tetracorde des moyennes, lequel vous voyez tout formé, de recognoistre, entre Lichanos meson et Mese, vne autant et huitiesme proportion, d'où se fait entendre de l'vn à l'autre [-f.64r-] la difference d'vn ton: le compas le descouure: et ce nombre 5184, qui contient 4608, et 576, qui sont la huitiesme partie de 4608, en fair foy. Ainsi est clos le Tetracorde depuis Hypate meson, ou E, la, mi, iusques à Mese, ou A, la, mi, re, par proportion d'autant et tiers: car la ligne de Mese ne s'estend qu'aux trois quars de la longueur de Hypate meson, comme 4608, sont trois fois 1536: et 1536, ne sont que la quarte partie de 6144, nombre de Hypate meson, depuis lesquel iusques à Mese, voyez le Tetracorde meson, ou des moyennes accomply.
[-f.64v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.64v; text: 2304 Nete hyperboleon, Aa, la, mi, re. 4608 ton, Mese, A, la, mi, re. 5184 ton, Lichanos meson, G, sol, re, vt. 5832 ton, Parhypate meson, F, fa, vt. 6144 demy ton, Hypate meson, E, la, mi. 6912 ton, Lichanos hypaton, D, sol, re. 7776 ton, Parhypate hypaton, C, fa, vt. 8192 demy ton, Hypate hypaton, [sqb], mi. 9216 ton, Proslambanomene, A, re. Diatessaron. Le Tetracorde des plus basses, ou Hypaton. Le Tetracorde des moyennes ou Mese. Diapenté. Diapason, ou Octaue.] [PONSOL 02GF]
[-f.65r-] [Tetracorde des déiointes. in marg.] Apres quelque petite pause, le troisiesme Tetracorde (poursuiuy-ie) est nommé Diezeugmenon, c'est à dire des déiointes, pource qu'il ne se conioint auec celuy des moyennes par vsage d'vne corde, qui, servant de plus haute à son prochainement inferieur Tetracorde, luy serue aussi de plus basse: comme Hypate meson sert de plus haute pour finir le Tetracorde hypaton, et de plus basse pour commancer le Tetracorde meson. [Maniere de trouuer la premiere corde des déiointes. in marg.] Aussi laisse-ie Mese, qui est la plus haute du Tetracorde de son nom: et pour trouuer vne prochaine corde, qui commance ce Tetracorde que ie cherche, ie coupe la longueur de Mese en neuf parties, desquelles i'esten huit en vne ligne prochaine de Mese tirant la part de Nete hyperboleon, et luy donne le nom de Paramese, ou [sqb], mi, de b, fa, [sqb], mi, sonnant au dessus de Mese vn ton par autant et huitiesme proportion: (vous le voyez aisément) car la longueur de Paramese est d'vne sienne huitiesme partie surpassée par Mese: et pour appeller les nombres à quelque aide: i'oste à 4608, marquez pour Mese, vne leur neufiesme partie 512: et me reste 4096, (qui sont huit fois 512,) rapportez en autant et huitiesme proportion (d'où procede vn ton) contre Mese, auec ses 4608. Icy pouuez-vous prendre garde estre acheué le premier Diapason, estendu en la moitié du parfaict Systeme: euidence prompte au rapport des lignes et des nombres de Proslambanomene et de Mese, qui s'entrerapportent en double proportion: car Proslambanomene contient deux fois Mese, eslongnée d'vn ton de ceste ligne Paramese, à laquelle Hypate hypaton [-f.65v-] est rapporté en double proportion, comme son octaue: ce qui appert aux nombres: car 8192, de Hypate, contiennent deux fois 4096, nombrez pour Paramese. S'il vous plait sçauoir le Diapenté en bas de Paramese, diuisez Hypate meson en trois, voyez que de ces trois parties, Paramese n'en contient que deux: encores diuisez le nombre de Hypate meson 6144, en trois, chacune partie contient 2048: de ces trois prenez en deux, ce sont 4096, que i'ay ordonné à Paramese: ainsi Hypate meson par proportion d'autant et demy, contient vne fois et demie autant que Paramese, et resonnent l'vn Diapenté contre l'autre. [Maniere de former la seconde corde des déiointes. in marg.] Poursuiuons, et pour rencontrer la seconde ligne de ce Tetracorde, prenons la moitié de la longueur de ceste, surnommée Parhypate hypaton, et l'estendons en vne ligne voisine au dessus de Paramese, auec ce nom Trite diezeugmenon, ou C, sol, fa, vt, de laquelle la double proportion à Parhypate hypaton, est apparente par la mesure des lignes: et à fin que les nombres seruent de tesmoignage, ie pren 3888, (qui sont la moitié de 7776, marquez à Parhypate hypaton) et les loge aupres de Trite diezeugmenon: aussi ces deux par leur double proportion, contresonnent vn octaue, ou Diapason. Le Diapenté bas de Trite diezeugmenon est apparent contre Parhypate meson, qui, de longueur de ligne et de nombre, contient Trite diezeugmenon vne fois et demie. Voyez que deux tiers de Parhypate meson font l'entier Trite diezeugmenon, en proportion d'autant et demy: comme 3888, et leur moitié 1944 accomplissent 5832, par ceste proportion [-f.66r-] d'où procede Diapenté. Dauantage, nous recognoissons, que trois parties de la ligne de Lichanos meson, diuisée en quatre, sont la iuste longueur de Trite diezeugmenon: et mesme proportion, assauoir d'autant et tiers, est observée aux nombres, desquels celuy de Lichanos 5184, contient celuy de Trite 3888, auec sa tierce partie qui est 1296, d'où s'engendre entre eux Diatessaron. [Maniere de former la troisiesme corde des déiointes. in marg.] Recherchons maintenant le reste de nostre Tetracorde ainsi: ie diuise la ligne de Lichanos hypaton en deux egalement, et à la mesure d'vne sienne moitié, ie forme aupres de Trite diezeugmenon, ou D, la, sol, re, octaue dessus Lichanos hypaton, par double proportion euidente de l'vne à l'autre longueur: il y faut aiouter pour tesmoignage le nombre 3456, auquel 6912, nombre de Lichanos hypaton, est (pour resonner Diapason) rapporté en proportion double, comme par proportion d'autant et demy contre Lichanos meson, tant par l'apparent compartiment que vous voyez de leurs lignes, que par les contreproportions des nombres, naist de Paranete diezeugmenon vn Diapenté: la ligne de Lichanos meson, contient vne longueur et de Paranete: et le nombre de Paranete 3456, est contenu auec sa moitié 1728, par 5184, de Lichanos meson. Dauantage, pource que ceste ligne de Paranete contient seulement les trois quartes parties de la longueur de Mese, et que son nombre 3456, ne se remplit que de trois fois 1152, c'est à dire de trois quartes parties de 4608, il est plus qu'euidemment apparent, qu'en proportion d'autant et tiers elles ne peuuent [-f.66v-] contresonner que Diatessaron. [Maniere de trouuer la quatriesme corde des déiointes. in marg.] Reste à rencontrer la quatriesme ligne de ce Tetracorde, qui doit estre esleuée d'vn ton sur Paranete diezeugmenon: duquel ie diuise la longueur en neuf, et en esten huit en cest espace prochain, marquant la ligne, que i'en ay formée, du nom de Nete diezeugmenon, ou E, la, mi: et pour continuer les nombres, ie mépars 3456, nombre de Paranete, en neuf: voyez la neufiesme estre 384, assemblant huit fois 384, ie treuue 3072, et en marque la ligne Nete diezeugmenon, contenuë par sa Paranete en proportion autant et huitiesme, d'où procede le ton: ie cherche entre les cordes basses son octaue, procedente necessairement (comme toutes autres consonances sont necessitées souz les proportions) de la proportion double. Donq Hypate meson, de qui la ligne est la plus grande deux fois: et le nombre 6144, contient doublement 3072, luy estant rapporté en double proportion, resonne son Diapason. Vous plait-il de voir vn Diapenté contre Nete diezeugmenon? Ie diuise la ligne de Mese en trois egalement: voicy Nete qui n'estent sa longueur qu'en deux tiers d'icelle, c'est à dire, que la ligne de Mese contient vne longueur et demie de celle de Nete diezeugmenon: aussi leurs nombres s'y accordent: car Mese en 4608, contient Nete en 3072, auec vne moitié de Nete 1536: par proportion d'autant et demy, d'où s'engendre Diapenté. Ores ie vous veux monstrer vne consonance non encores esprouuée en noz figures: et rapporte la longueur de Nete diezeugmenon, sur la ligne de Proslambanomene qui est plus longue trois fois, [-f.67r-] comme 9216, (nombre de Proslambanomene) contient trois fois le nombre de Nete diezeugmenon 3072, le tout en proportion triple, de laquelle entre ces deux naist la consonance Diapason-diapenté. En fin vous voyez ce Tetracorde clos en Paramese et Nete diezeugmenon, par proportion d'autant et tiers, qui rend Diatessaron entre ces deux: car la ligne de Nete ne contient que trois quartes parties de la longueur de Paramese, proportion recogneuë en leurs nombres: car de celuy de Paramese 4096 est contenu celuy de Nete 3072, auec sa tierce partie 1024. Voilà d'vne proportion d'autant et tiers, le Diatessaron du Tetracorde Diezeugmenon que vous voyez.
[-f.67v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.67v; text: 2304 Nete hyperboleon, Aa, la, mi, re. 3072 demy ton, Nete diezeugmenon, E, la, mi. 3456 ton, Paranete diezeugmenon, D, la, sol, re. 3888 ton, Trite diezeugmenon, C, sol, fa, vt. 4096 demy ton, Paramese, [sqb], mi de b, fa, [sqb], mi. 4608 ton, Mese, A, la, mi, re. 5184 ton, Lichanos meson, G, sol, re, vt. 5832 ton, Parhypate meson, F, fa, vt. 6144 demy ton, Hypate meson, E, la, mi. 6912 ton, Lichanos hypaton, D, sol, re. 7776 ton, Parhypate hypaton, C, fa, vt. 8192 demy ton, Hypate hypaton, [sqb], mi. 9216 ton, Proslambanomene, A, re. Diatessaron. Tetracorde des plus basses. Tetracorde des moyennes. Diapenté. Diapason. Tetracorde des deiointes. Diapason diapenté, en triple proportion.] [PONSOL 03GF]
Le quatriesme Tetracorde est nommé Hyperboleon, comme le plus haut et esleué de tous: commençant à [-f.68r-] la fin du Tetracorde diezeugmenon: [Tetracorde des excellentes, ou plus hautes. in marg.] car la derniere et plus haute ligne de Diezeugmenon luy sert de premiere et plus basse: mais à fin que par espreuue et experience vous voyez sa disposition: [Maniere de former la seconde corde des excellentes, ou plus hautes. in marg.] ie coupe la ligne de Parhypate meson en deux egales parties, et en esten vne moitié au dessus de Nete diezeugmenon, auec ce nom Trite hyperboleon, qui est nostre F, fa, vt: ou (pource que Parhypate meson luy est euidemment rapporté en double mesure) ie proportionne vn nombre de la moitié de 5832, qui est 2916, car 2916, doublez, montent 5832: ainsi ie donne à Trite hyperboleon 2916, comme moitié de 5832, nombre de Parhypate meson, engendrant entre eux deux ceste double proportion: la consonance Diapason. Mais en quelle proportion dirons nous estre ceste difference de longueur entre les lignes Nete diezeugmenon et Trite hyperboleon que ie vien de marquer maintenant? [Demy ton petit. in marg.] Le compas ne nous y peut satisfaire commodément: car la contre-mesure des deux n'est point proportionnable: donq aidons nous des nombres de Nete diezeugmenon 3072, et de Trite hyperboleon 2916. Le grand contient le moindre, auec 156, qui est moins de la dixhuitiesme et plus de la dixneufiesme du moindre. Voyez que les nombres nous font aussi mauuais tour que le compas, qui ne nous presentent aucune des proportions seures, choisies pour nostre fondement. Quel remede? dict elle en souriant, ie suis d'advis que ceste proportion soit laissée auec sa facheuse imperfection, au rang des demis tons petis. Aussi (respondy-ie) le faut il ainsi faire. Puis continuant: Essayons de trouuer le [-f.68v-] reste. [Maniere de trouuer la troisiesme corde des plus hautes. in marg.] Ie separe la ligne de Paranete diezeugmenon en quatre, et en trace vne en longueur de trois quars aupres de Trite hyperboleon, auec ce nom Paranete hyperboleon, à laquelle Paranete diezeugmenon se rapporte en proportion d'autant et tiers selon la symmetrie de leurs lignes: aussi à fin que ie continue le fil de mes nombres, ie soutraiz vne quarte partie (assauoir 864,) de 3456, et escrits aupres de ma nouuelle ligne Paranete hyperboleon, les trois quars qui montent 2592, asseurant ceste proportion d'autant et tiers vne consonance Diatessaron entre Paranete hyperboleon, et Paranete diezeugmenon. Or voyez nostre certaine rencontre des nombres à la proportion Geometrique, et recognoissez vn nombre double à 2592. Elle soudain touchant 5184, dict: c'est cestuy cy, au droit de Lichanos meson: duquel, à ce que ie treuue au compas, la ligne s'estend en deux longueurs de Paranete hyperboleon. Sçauriez-vous (luy dy-ie) recognoistre quelque autre proportion? Voicy (respondit-elle, me le montrant) la corde de Parhypate hypaton diuisée en trois, qui se rapporte en triple proportion à celle de Paranete hyperboleon, comme à celle qui n'est longue que de sa tierce partie: chose que leurs nombres tesmoignent clerement: car 7776, contiennent trois fois 2592: dont, si i'ay bien entendu ce que vous auez dit, l'vn contresonne à l'autre Diapason-diapenté. Il est (respondy-ie) ainsi: mais essayez si vous rencontrerez encor quelques autres proportions. Elle ayant taté les lignes à quelque espreuue du compas, dit: ie treuue que la ligne de Trite [-f.69r-] diezeugmenon est à mesure de Paranete hyperboleon en proportion d'autant et demy, car celle de Trite diezeugmenon, est vne fois et demie plus longue que celle de Paranete hyperboleon: comme m'asseurent les nombres de Trite diezeugmenon 3888, contenant celuy de Paranete hyperboleon 2592, et 1296, qui font la moitié de 2592. I'ay apris de vous que ceste proportion est d'autant et demy, et engendre Diapenté. Vous semble il point (demanday-ie) qu'il y ait encores quelque proportion seruant à nostre recherche? En bonne foy (respondit-elle) ie ressemble ceux qui pour auoir la veuë trop viue, ne peuuent iuger les plus prochains euidens objets: et toutesfois choisissent au loing les plus difficilement apparens. Voicy Trite hyperboleon si voisin, que sans trauailler le compas ie me fie au nombre, qui m'asseure la difference de ces deux estre vn ton, sortant de proportion autant et huitiesme: car 2916, notez à Trite hyperboleon, contiennent 2592, notez à Paranete hyperboleon, auec la huitiesme desdits 2592, qui est 324. Vrayement Pasithée, vostre promptitude en supputation si peu accoustumée (luy dy-ie) renforce la bonne opinion que i'ay tres-asseurée de vostre gentil esprit: mais permetez moy (continuay-ie reprenant le compas) que i'acheue nostre Tetracorde commancé: [Quatriesme corde des plus hautes, ou excellentes. in marg.] et voyez que diuisant la ligne de Paranete hyperboleon en neuf, celle que i'ay du commancement marquée pour Nete hyperboleon, ne s'estend qu'en huit parties de sa longueur, esleuée par ainsi sus elle d'vn ton, par autant et huitiesme proportion: chose apparente aux deux nombres: [-f.69v-] car 2592, contiennent 2304, auec leur huitiesme partie qui est 288. Au reste, vous trouuerez incontinent que Nete hyperboleon fait vn Disdiapason, pour accomplissement du grand Systeme, contre Proslambanomene: vn Diapason contre Mese: vn Diapason-diapenté contre Lichanos hypaton: comme leurs proportions quadruples, doubles, et triples le conferment. Vous voyez dauantage, et aux nombres 2304, contenus auec leur moitié 1152, par 3456, et aux longueurs des deux lignes, que Paranete diezeugmenon par proportion d'autant et demy, contresonne Diapenté à Nete hyperboleon. Reste pour conclusion de ce Tetracorde, à considerer que Nete diezeugmenon, et Nete hyperboleon sont en proportion (le compas le vous montre) d'autant et tiers, tesmoins 3072, qui contiennent 2304, et 768, tierce de 2304, et resonnent l'vn Diatessaron à l'autre, cloüant ce quatriesme Tetracorde.
[-f.70r-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.70r; text: 2304 Nete hyperboleon, Aa, la, mi, re. 2592 ton, Paranete hyperboleon, G, sol, re, vt. 2916 ton, Trite hyperboleon, F, fa, vt. 3072 demy ton, Nete diezeugmenon, E, la, mi. 3456 ton, Paranete diezeugmenon, D, la, sol, re. 3888 ton, Trite diezeugmenon, C, sol, fa, vt. 4096 demy ton, Paramese, [sqb], mi. 4608 ton, Mese, A, la, mi, re. 5184 ton, Lichanos meson, G, sol, re, vt. 5832 ton, Parhypate meson, F, fa, vt. 6144 demy ton, Hypate meson, E, la, mi. 6912 ton, Lichanos hypaton, D, sol, re. 7776 ton, Parhypate hypaton, C, fa, vt. 8192 demy ton, Hypate hypaton, [sqb], mi. 9216 ton, Proslambanomene, A, re. Diatessaron. Tetracorde des plus basses. Tetracorde des moyennes. Diapenté. Diapason. le tetracorde déiointes, le tetracorde des plus hautes, Diapason-diapenté. Disdiapason parfait, Systeme en quinze cordes.] [PONSOL 03GF]
[-f.70v-] Ie m'esmerveille (dict-elle) pourquoy les Philosophes (car à ce que i'enten vous honorez la Musique de tant illustre source, et l'appuyez de tant honorable authorité, que de luy attribuer pour Autheurs et Professeurs les Philosophes) [Pourquoi en l'assemblement du Systeme n'est plustost receu pour diuiseur Diapenté que Diatessaron. in marg.] n'ont plustost diuisé le grand et parfaict Systeme par Diapenté, qui est de si douce symphonie, que par Diatessaron, duquel l'ouye, tant peu soit elle delicate, ne se contente s'il n'est accompagné. L'assemblement (respondy-ie) du parfaict Systeme est continué d'un ordre plus certain par quartes que par quintes: car si vous auez souuenance de la façon que i'ay obseruée en la dimension du premier Tetracorde, vous cognoistrez que tous les autres marchent d'vn mesme pied, ce qui n'advient en la disposition du Pentacorde, qui vne fois se parfaict par trois tons et vn demy ton, et l'autre demeure remply seulement de deux tons et de deux demy tons. Elle s'estant excusée de l'interruption faite, et m'ayant prié de passer outre: [Tetracorde des coniointes. in marg.] Ie vous ay dict (continuay-ie) qu'outre ces quatre Tetracordes il s'en treuue vn, qui, du mot conioindre, peut estre nommé de nous Tetracorde des coniointes, comme de pareille deduction il est nommé des anciens Grecs Synemmenon, à la difference de celuy des déiointes surnommé Diezeugmenon: pource qu'entre ce Tetracorde et son inferieur, il y a vne disionction ou separation (ce qu'ils appellent Diezeusis) de l'interualle d'vn ton. Pour exemple vnique voyez comment s'entretiennent Mese et Paramese, ceste commençant le Tetracorde diezeugmenon, et celle finissant celuy des moyennes. Mais le Tetracorde Synemmenon [-f.71r-] ou Synimmenon, est couplé auec celuy des moyennes par vne conionction (ils la nomment Synapheia, ou synaphe) d'vne corde seruant à tous deux: à l'vne (faut-il dire) derniere, ou plus haute, et à l'autre de premiere, ou plus basse: ioint que tel nom luy est bien propre, vù que par son moyen trois Tetracordes se treuuent couplez et vnis l'vn à l'autre, assauoir celuy des basses, à celuy des moyennes, par la corde Hypate meson, celuy des moyennes auec celuy des coniointes, par la corde Mese en ceste sorte: [Maniere de former la seconde corde des coniointes. in marg.] Ie diuise la longueur de la ligne Parhypate meson en quatre egales parties: et entre Mese et Paramese i'esten vne ligne de la longueur de trois quars, auec ce nom Trite synemmenon ou b, fa, de b, fa, [sqb], mi, qui est en proportion d'autant et tiers à Parhypate meson: aussi luy faut-il donner les trois quartes parties de 5832, qui sont 4374, il est euident que 5832, diuisez en quatre laissent à chacune partie 1458, et que trois fois 1458, montent 4374, que ie note pour Trite synemmenon, sonnant sur Parhypate meson, par proportion d'autant et tiers, vn Diatessaron. [Difference des deux demy tons. in marg.] Mais voicy (dict-elle) nouuelle perplexité: car la difference de Trite synemmenon, que vous venez de marquer, et de Paramese, me semble toute impertinente: au moins n'en auez-vous encores en voz diuisions rencontré vne semblable. C'est tresbien et subtilement apperceu, luy dy-ie, et bien me servira la souuenance de ce que ie vous ay declaré diuisant le ton en deux inegales parties, assauoir Diese, ou demy ton petit, et Apotome, ou grand demy ton, desquels voicy l'endroit [-f.71v-] tres à propos pour vous monstrer la difference, au rapport de ceste ligne Trite synemmenon, tracée entre Mese et Paramese, inegale en longueur et à l'vne et à l'autre. Et pource qu'à la verité, nous n'esclarcirons ce scrupule par l'aide du compas, il est besoin de demander secours aux nombres de Mese 4608, et Paramese 4096, et de ceste nouuelle corde 4374. De la proportion autant et huitiesme de Mese à Paramese, d'où naist vn ton, i'ay desià assez dict. Mais contons en quelle proportion 4374, se rapportent à 4608, qui contiennent 234, outre les 4374. Or 234 font moins de la dixhuitiesme, et de la dixneufiesme de 4374, d'où il appert que 4608, contiennent 4374, et moins de leur dixhuitiesme, plus toutes-fois de leur dixneufiesme partie. I'enten bien (dict-elle) que de ceste proportion imparfaicte vous auez declaré le demy ton petit estre trouué, mais pource que ie ne puis me resoudre de cecy, ie vous prie me dire, si l'on pourroit en ce point proceder d'autre façon. [Recherche du demy ton. in marg.] Ouy deà (respondy-ie) et oyez en vne preuue, Ie pren le nombre de Trite synemmenon 4374, et cherche son nombre premier, que ie treuue estre en sa dixhuitiesme partie 243: apres, i'en faits autant de 4608, et treuue sa dixhuitiesme estre 256. Or' considerez comment 256, se rapportent à 243: leur difference est 13, et trieze est moins de la dix-huitiesme, et plus de la dixneufiesme partie de 243: brief, le grand contient le moindre auec celle portion du moindre que i'ay dict, en proportion surpartissante treziesmes, c'est à dire, que 256 contiennent 243, et [-f.72r-] 13, qui sont vne partie de 243: d'où, comme i'ay repeté quelques fois, naist le demy ton petit, qui est la difference de Mese à Trite synemmenon. Ie pren maintenant à nombrer Trite synemmenon en 4374, contre Paramese en 4096, et rencontre que 4374, contiennent 4096, et 278, qui sont plus de la quatorziesme, et moins de la quinziesme partie de 4096, d'où il resort vn demy ton, mais plus grand, et d'interualle plus esleué que celuy que i'ay nommé petit, parquoy i'appelle cestuy-cy grand demy ton. [Grand demy ton, ou Apotome. in marg.] Comment sçauez vous (demanda-elle) que ces deux pieces de ton rapportées ensemble fassent vn ton entier? Vrayement (respondy-ie) vous m'eueillez à vne supputation laquelle ie n'ay iamais essayée, et aidez moy, ie vous prie: quels nombres et quelle proportion auons nous attribuée au ton entier? La proportion (dit-elle) est d'autant et huitiesme, comme elle appert icy en Mese, par 4608, contre Paramese en 4096. Sçauez-vous point (l'interrogay-ie) quel est le nombre de plus ou moins qui les faict ainsi proportionnez? C'est (suiuit-elle) 512, dont 4608, surmontent 4096. Maintenant (adioutay-ie) m'auez-vous acheminé où ie voulois: ie retien 512, pour le partissant de nostre autant et huitiesme proportion: ainsi huit fois 512, font 4096, et recherche si ie me suis point deceu aux nombres des demy tons: voyez le nombre en 4608, excedant 4374, est 244, en proportion presque d'autant et dixneufiesme, d'où se forme le moindre des deux demy tons. Apres le nombre surpassant 4096, en 4374, est 278, par proportion entre autant et quatorziesme, [-f.72v-] et autant et quinziesme, d'où appert vne esleuation de plus grande proportion que l'autre: car 278 passent 234, de 44, qui sont plus d'un sixiesme et moins d'vne cinquiesme de 234. Reste pour montrer que ces deux pieces rassemblées sonnent vn ton entier, de les ioindre, et il appert que 278, et 234, ioinz vallent 512, qui est le nombre partissant la proportion autant et huitiesme, d'où nous auons dict le ton estre engendré de l'vne à l'autre corde, choisie pour exemple veritable et infallible en tous autres endroits. Vrayement (dict Pasithée) vous m'auez en peu de paroles rendu cler et facile ce que ie iugeois tenebreux et impossible: toutesfois si ie ne craignois de vous importuner, et (poursuiuit-elle, souriant auec vne sienne naïfue gracieuse façon) de meriter vn surnom de feminine curiosité, ie vous prierois de me dire combien il y a de difference entre ces deux demy tons. [Quelle difference il y a entre les deux demy tons. in marg.] Vous ne pourriez en commandant, Pasithée, vous ne pourriez estre importune à moy, qui ne me plais (luy repliquay-ie) en rien qu'en ce qui satisfait à l'enuie que i'ay de vous faire seruice: marry toutesfois, que quelque sçauoir ou mienne grace ne suffise au contentement de vostre non feminine curiosité, comme il vous plait de dire, mais curieuse diligence, auec laquelle vous sçauez cueillir le fruit de toutes bonnes choses, en illustration de vos loüables vertus. Et quant à ce dont vous m'interrogez, vous estes curieuse en exemple des plus gentils Philosophes, qui ont recherché exactement, et en partie resolu cecy: comme ie veux adiouter à ce que desià i'en ay dit: d'ou [-f.73r-] vous pourriez conclure, que l'vn de ces demy tons est plus grand que l'autre, de plus d'vne sixiesme, et moins d'vne cinquiesme partie, ainsi que les nombres 278, et 234, contreproportionnez ont fait foy: lesquels ie sçay pouuoir estre diuersifiez et rapportez autrement, mais auec si peu de fruit, qu'en fin la clarté qui en sort, n'est desaccompagnée de tenebres. Mais pour retourner à vous respondre, ie remets en memoire, que le ton est advisé en vne Diese, et vne Apotome: la Diese en deux Diaschismates ou Diachismes: l'Apotome en deux Diaschismates et vn Comma: et Comma en deux Schismates ou Schismes: quant au Diaschisme, il ne reçoit aucune diuision. Ainsi euidente se fait la difference des deux demy tons: car le grand, assauoir l'Apotome, surmonte le petit, c'est la Diese, d'vn Comma. [Comma. in marg.] Ce Comma (demanda-elle) comment est-il rapporté à la Diese ou au Diaschisme? Me voilà (luy respondy-ie) au cruq, et ne sçay comme en eschapper sauue sans l'aide du compas. Donq, ie tire vne ligne egale à Mese, et vne autre egale à Paramese: entre les deux i'en forme vne qui represente Trite synemmenon, sonnant contre Mese vn demy ton petit, et contre Paramese vn grand demy ton.
[Pontus de Tyard, Solitaire second, f.73r; text: Paramese. Trite synemmenon. Mese. Apotome, comma, diese, difference du ton.] [PONSOL 04GF]
Voyez-vous pas la difference de Paramese à Trite synemmenon plus [-f.73v-] grande que celle de Trite synemmenon à Mese? Ouy vrayement, dict-elle. I'ay dict (poursuiuy-ie) que la petite difference est Diese, et la grande Apotome, ie rapporte donq vne longueur de Diese dedans l'Apotome. Or' voyez, ce qui reste de l'Apotome est nommé Comma, c'est à dire celle longueur de laquelle le grand demy ton surmonte le petit, et qui a si peniblement embesongné les Anciens, qui ont iugé (mais le peu d'espace ne faict icy place aux mesures, la Diese contenir plus de trois fois et moins de quatre, vn, Comma: et l'Apotome le contenir moins de cinq, et plus de quatrefois. Bien, bien, Solitaire (dict-elle) il me suffit: mais ie m'apperçoy que fort aisément le ton (comme ie vous ay dict vn coup) est diuisable en deux egalement: et qu'ainsi soit, faites de ce Comma deux parties egales. Les voilà, luy dy ie, obeissant. Ouy en bonne foy (dict-elle) voilà vn ton en deux egalement party, chacune partie contenant deux Diaschismes et vn schisme. Il est vray (repliquay-ie) toutesfois la voix humaine ne pourroit facilement se flechir en telle egalité que l'oreille en fist iugement asseuré: et si faudroit que ce fut vn ton seul qui tomba souz ceste espreuue. [Pourquoy le ton n'est egalement diuisé. in marg.] Mais si vous auez pris garde que nous assemblons nos tons pour s'entremesler en harmonie et consonance, et qu'au grand Systeme lequel i'ay comparty, vn ton se proportionne de l'autre, qui, voudroit hausser la Diese d'vn Schisme, en tous lieux où elle se rencontre, l'ordre seroit entierement troublé et confondu: demeurant tout le Systeme sans proportion ny consonance. Soit ainsi (dict elle) mais [-f.74r-] dites moy quel est l'vsage du demy ton petit, et s'il peut estre discerné du grand par l'ouye. [Moyen de discerner les deux demy tons. in marg.] Prenez (luy dy-ie en me leuant) la peine de venir iusques vers vostre espinette, et ie le vous monstreray. Elle approchée, d'vn treteau expres, duquel son Espinette estoit ordinairement soustenue, iugea que la feinte qui est entre A, la, mi, re, et [sqb], mi, de b, fa, [sqb], mi, rend si euidente difference, que l'oreille le discerne. Car à la verité il semble que le son depuis A, la, mi, re, ou Mese, iusques à la feinte, que i'ay nommée Trite synemmenon, est moins estendu que celuy qui s'esleue depuis la feinte iusques à Paramese, ou [sqb], mi, de b, fa, [sqb], mi. Apres laquelle espreuue, Retournons (dict-elle) Solitaire, retournons nous asseoir, et acheuez s'il vous plait les proportions du Tetracorde synemmenon, lesquelles ie vous ay faict entrerompre. Ie luy respondis: L'entre discours lequel nous auons fait, estoit si necessaire, que, sans luy, mal aisément eusse-ie passé clerement à la declaration du reste, qui est telle: Trite synemmenon, ainsi que ie vous ay monstré, faict Diatessaron contre Parhypate meson, et contre Trite diezeugmenon vn ton, par autant et huitiesme proportion: comme entre 4374, et 3888, nombre contenu dedans 4374, auec sa huitiesme partie, qui est 486, et comme il appert en diuisant la ligne de Trite synemmenon en neuf parties, desquelles i'en esten huit en vne ligne qui est de mesme longueur que celle de Trite diezeugmenon, et la nomme Paranete synemmenon, auec mesme nombre que Trite diezeugmenon, 3888. [Maniere de former la tierce corde des coniointes. in marg.] Reste encores la Nete de ce Tetracorde, surnommée [-f.74v-] Synemmenon, [Maniere de trouuer la quatriesme des coniointes. in marg.] qui par proportion d'autant et huitiesme est esleuée d'vn ton sur Paranete synemmenon, et se rencontre, comme vous voyez, de mesme longueur et proportion qu'est Paranete diezeugmenon, marquée aussi de mesme nombre 3456. Bref, Nete synemmenon par proportion d'autant et tiers accomplit, en Diatessaron contre Mese, ce Tetracorde: duquel la composition seroit inutile (tant il est egal à Diezeugmenon) si Trite synemmenon ne luy apportoit quelque difference, et ne nous aprenoit à cognoistre comment le petit et le grand demy ton sont differens. A lors Pasithée pensant que la composition du Systeme fut acheuée, vouloit me donner nouuelle occasion de parler, quand ie luy dis: [Corde adioutée entre Proslambanomene et Hypate hypaton. in marg.] Vous voyez aux lignes assemblées quinze marques, sans le Tetracorde Synemmenon, et toutesfois il faut que i'adioute encores vn mot necessaire, et trouuer à Trite synemmenon vne double proportion: et pour ce faire, i'esten entre Proslambanomene et Hypate hypaton vne ligne, contenant deux longueurs de Trite synemmenon, rapportée à Proslambanomene et Hypate hypaton en mesme difference qu'est Trite synemmenon à Mese et Paramese: c'est à entendre que ceste corde marquée est esleuée par dessus Proslambanomene d'vn demy ton petit, et Hypate hypaton sonne plus haut qu'elle d'vn grand demy ton. Donq, elle estant double en longueur à Trite synemmenon, doit estre notée d'vn nombre double à 4374, qui est 8748, pour tesmoignage que de ceste double proportion resonne entre ces deux vn Diapason. Et si vous [-f.75r-] voulez ie vous monstreray par le menu, les proportions de ces deux demy tons selon la rencontre de leurs nombres. Il n'est ja besoin (dict-elle) car ie les cognois assez, par ce qu'auez proportionné de Trite synemmenon à Mese et Paramese: entre lesquels, et ceux-cy n'y a qu'à doubler la supputation. Mais comment est nommée ceste corde? vous ne l'auez point mise au rang des autres. Tout ainsi (respondy-ie) qu'il a falu pour proportionner vn Diapason à Mese, et former en accomplissement le Disdiapason iusques à Nete hyperboleon, adiouter Proslambanomene, et la nommer auec ce nom tiré des raisons que i'ay dites. Aussi pour ne laisser Trite synemmenon improportionnable en Diapason, il a esté necessaire d'adiouter ceste corde prochaine de Proslambanomene, meritant vn second nom d'elle. Mais, puis qu'elle n'a point esté autrement appellée par les Anciens, ie la laisseray nommer à plus digne parrain. Pource toutesfois qu'elle n'est inutile, et qu'elle peut quelque-fois venir en termes, en ce discours familier, ie la nommeray, Adioutée, puis que l'usage du mot Proslambanomene me garentit du danger de l'equiuoque. [Consonances contre l'Adioutée. in marg.] Or' pour l'appliquer à quelque chose, ie diuise ceste ligne Adioutée en trois egales parties, et rencontre Parhypate meson en contenir deux, et Trite hyperboleon vne. Ainsi l'Adioutée est en autant et demie proportion à Parhypate meson, comme d'abondant leurs nombres 8748, et 5832, tesmoignent: car 8748, pour l'Adioutée, contiennent les 5832, de Parhypate auec leur moitié, qui est 2916: parquoy ceste proportion est d'autant et demi, [-f.75v-] d'où entre ces deux lignes est engendré vn Diapenté. Dauantage, Trite hyperboleon, qui ne contient qu'vn tiers de la longueur de l'Adioutée, luy est rapporté en proportion triple resonnant Diapasondiapenté, ce que les nombres accordent, vù que 8748 contiennent trois fois 2916: ainsi vous cognoissez l'emmellement du Tetracorde Synemmenon auec les autres.
[-f.76r-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.76r; text: 3456 Nete synemmenon mesme que Paranete diezeugmenon. 3888 ton, Paranete synemmenon mesme que Trite diezeugmenon. Paramese omise en ce Tetracorde: car d'elle et de l'Apotome, iusques à Trite synemmenon, se fait vn ton. 4374 ton, Trite synemmenon, b, fa, de b, fa, [sqb], mi. 4608 demy ton, Mese, A, la, mi, re. 5832 ton, Parhypate meson, F, fa, vt. 8748 Apotome contre Hypate, et ton contre Parhypate, adioutée. 9216 Proslambanomene, Diese, ou demy ton petit contre l'adioutée. Diatessaron. Tetracorde des coniontes, ou Synemmenon. Diapason.] [PONSOL 04GF]
Voilà tout ce qui m'a semblé necessaire, à la declaration et composition du grand Systeme de quinze cordes, [-f.76v-] et de quelles proportions il est capable: outre lequel plusieurs ont opinion rien ne pouuoir estre adiouté, car si bien des instrumens, aucuns s'esleuent plus haut: et se baissent plus bas, il est euident que ce n'est qu'en doublant, triplant, ou quadruplant, plus ou moins, cestuy lequel, i'ay declaré: [Reigles non indignes d'estre notées. in marg.] et à quoy faut il annoter singulierement que la longueur, faisant en proportion d'autant et tiers difference d'vne à autre ligne, se coupe en deux neufiesmes differentes, et reste vn moindre espace qu'vne neufiesme, duquel naist le demy ton petit: et que, diuisant vne corde en trois, et puis en quatre, si vous rapportez l'estenduë d'vne quatriesme dedans vne troisiesme, le reste demeurera pour difference d'vn ton. En bonne foy, Solitaire (dit-elle) telles subtiles considerations me semblent de tant admirable industrie, que ie ne treuue estrange si peu de gens s'enhardissent au plonge de si profond abisme. Que vous fust-il agreable de me donner entendre quel fruit croit de la cognoissance des entremeslées proportions, lesquelles vous m'auez descouuertes. Le fruit (dy-ie) est sçauoir parfaictement iuger de tous les accors, consonances, et harmonies de Musique: auec lesquelles vous sçauez comme l'on peut delectablement tirer les ames par l'oreille. Cecy luy donna envie de me commander la poursuite de ceste partie, laquelle ie commençay ainsi: [Diapason, de Diatessaron et Diapenté. in marg.] Il faut recueillir de tout nostre discours passé, que la parfaicte consonance Diapason, est composée de Diatessaron et Diapenté: contenant Diatessaron deux tons et vn demy ton petit: Diapenté trois tons et vn demy ton petit, et Diapason [-77r-] s'accomplissant en l'assemblement de ces deux, par la resonance de cinq tons et deux demy tons petits. [Diatessaron douze fois repeté en Disdiapason. in marg.] Et combien que ie vous aye dict le parfaict Systeme Disdiapason estre seulement composé de quatre Tetracordes, si se treuue en luy toutefois Diatessaron douze fois repeté. Le premier est de Proslambanomene à Lichanos hypaton D, sol, re: le second de Hypate hypaton [sqb], mi, à Hypate meson ou E, la, mi: le troisiesme de Parhypate hypaton C, fa, vt, à Parypate meson F, fa, vt: le quatriesme, de Lichanos hypaton D, sol, re, à Lichanos meson G, sol, re, vt: le cinquiesme, de Hypate meson E, la, mi, à Mese A, la, mi, re: le sixiesme, de Parhypate meson F, fa, vt, à Trite synemmenon b, fa: le septiesme, de Lichanos meson G, sol, re, vt, à Trite diezeugmenon, ou Paranete synemmenon C, sol, fa, vt: le huitiesme, de Mese, A, la, mi, re, à Paranete diezeugmenon, ou Nete synemmenon D, la, sol, re: le neufiesme, de Paramese [sqb], mi, à Nete diezeugmenon, ou E, la, mi: le dixiesme, de Trite diezeugmenon, ou Paranete synemmenon C, sol, fa, vt, à Trite hyperboleon F, fa, vt: l'onziesme, de Paranete diezeugmenon, ou Nete synemmenon D, la, sol, re, à Paranete hyperboleon, G, sol, re, vt: et le douziesme Diatessaron depuis Nete diezeugmenon E, la, mi, à Nete hyperboleon, ou Aa, la, mi, re. [Raison de douze repetitions de Diatessaron. in marg.] Mais croyez que cecy resent vn ie ne sçay quoy de la vertu cachée des nombres, quatre (sçauez vous bien) multipliez par trois, ou trois par quatre, font douze, et ces deux nombres sont compris, voire accomplissent Diatessaron, qui contient trois interualles, comme depuis Proslambanomene [-f.77v-] iusques à Hypate hypaton, vn interualle, depuis Hypate iusques à Parhypate, vn autre, et le tiers depuis Parhypate iusques à Lichanos hypaton: et quatre sons en ses quatre cordes, comme Proslambanomene et les trois suiuantes. [Trois especes de Diatessaron. in marg.] Dauantage, en consideration de ces trois interualles, Diatessaron resoult ses quatre sons en trois especes ou manieres: [Premiere espece de Diatessaron. in marg.] desquelles la premiere est, quand le premier interualle est d'vn ton, le second d'vn demy ton petit, et le tiers d'vn ton: comme depuis Proslambanomene à Lichanos hypaton, ou depuis Lichanos hypaton à Lichanos meson. [Seconde. in marg.] La seconde est, quand le premier interualle est d'vn demy ton petit et les deux suiuans chacun d'vn ton, comme depuis Hypate hypaton iusques à Hypate meson, ou depuis Hypate meson iusques à Mese. [Troisiesme. in marg.] La troisiesme est du premier et second interualle, chacun d'vn ton, et du dernier d'vn demy ton petit: comme depuis Parhypate hypaton iusques à Parhypate meson: tellement que pour ceste resolution de trois en quatre ou de quatre en trois, la douziesme luy semble estre non impertinemment attribuée. [Diapenté neuf fois repeté au Disdiapason. in marg.] Mesme contemplation peut embellir la description de Diapenté, qui s'accomplit par le nombre de neuf en cinq sons et quatre interualles: aussi est-il repeté neuf fois en eschelle du grand et parfait Systeme. Le premier lieu est de Proslambanomene à Hypate meson: le second, de Parhypate hypaton à Lichanos meson; le troisiesme, de Lichanos hypaton à Mese: le quatriesme, de Hypate meson à Paramese: le cinquiesme, de Parhypate meson à Trite diezeugmenon, ou Paranete synemmenon: le [-f.78r-] sixiesme, de Lichanos meson à Paranete diezeugmenon, ou Nete synemmenon: le septiesme, de Mese à Nete diezeugmenon: le huitiesme, de Trite diezeugmenon, ou Paranete synemmenon, à Paranete hyperboleon: le neufiesme, de Paranete diezeugmenon, ou Nete synemmenon, à Nete hyperboleon. Ainsi pouuez vous aisément comprendre cinq sons au Diapenté: comme au premier, Proslambanomene, Hypate hypaton, Parhypate hypaton, Lichanos hypaton, Hypate meson: et quatre interualles seulement: assauoir trois de chacun vn ton, et vn d'vn demy ton petit, qui sont entredisposez en quatre manieres, d'où naissent quatre especes de Diapenté. [Quatre especes de Diapenté. in marg.] La premiere est d'vn ton adiouté au dessus de la première espece de Diatessaron: [La premiere in marg.] quand l'interualle premier est d'vn ton, le second d'vn demy, et les deux autres chacun d'vn ton: comme de Proslambanomene à Hypate meson, ou de Lichanos hypaton à Mese. [Seconde. in marg.] La seconde est d'vn ton adiouté en haut à la seconde sorte de Diatessaron: quand le premier interualle est d'un demy ton petit, et les trois autres chacun d'vn ton, comme de Hypate meson à Paramese. [Troisiesme. in marg.] La troisiesme est, quand le dernier haut interualle est vn demy ton petit, et les trois autres chacun d'vn ton, comme Parhypate meson à Trite diezeugmenon. [Quatriesme in marg.] La quatriesme est, d'vn ton adiouté en haut à la troisiesme sorte de Diatessaron, quand les deux premiers, et le dernier interualle sont chacun d'vn ton, et le troisiesme d'vn demy ton petit: [Diapason huit fois repeté au grand Systeme. in marg.] comme de Lichanos meson à Paranete diezeugmenon. Reste à considerer Diapason composé de huit [-f.78v-] sons et de sept interualles, desquels cinq sont tous entiers et deux demy tons petits: et notez qu'ainsi qu'il s'estend en huit sons, il est aussi huit fois repeté au grand Systeme, assauoir de Proslambanomene à Mese: de Hypate hypaton à Paramese: de Parhypate hypaton, à Trite diezeugmenon: de Lichanos hypaton, à Paranete diezeugmenon: de Hypate meson, à Nete diezeugmenon: de Parhypate meson, à Trite hyperboleon: de Lichanos meson, à Paranete hyperboleon: et le huitiesme de Mese, à Nete hyperboleon. [Sept especes de Diapason. in marg.] Dauantage, ainsi que Diapason enclot sept interualles, aussi est il diuersifié en sept especes. [La premiere in marg.] La premiere estant composée des premieres sortes de Diatessaron et Diapenté, diuisez par Lichanos hypaton, quand le second et cinquiesme interualle sont chacun vn demy ton petit, et les autres cinq, chacun vn ton: comme de Proslambanomene à Mese. [Seconde. in marg.] La seconde, des secondes sortes de Diatessaron et Diapenté, diuisez par Hypate meson, quand le premier et le quatriesme interualle sont chacun d'vn demy ton, et les autres d'vn ton: comme de Hypate hypaton, à Paramese. [Troisiesme. in marg.] La troisiesme, procedant des troisiesmes sortes de Diatessaron et Diapenté, diuisez par Parhypate meson, quand le troisiesme et septiesme interualle sont chacun d'vn demy ton petit, et les autres, chacun d'vn ton: comme de Parhypate hypaton, à Trite diezeugmenon. [Quatriesme in marg.] La quatriesme, engendrée des premieres sortes Diapenté et Diatessaron, diuisez par Mese, quand les second et sixiesme interualles sont chacun d'vn demy ton petit, et les autres d'vn ton: comme de Lichanos hypaton [-f.79r-] à Paranete diezeugmenon. [Cinquiesme in marg.] La cinquiesme, des secondes sortes de Diapenté et Diatessaron, diuisées par Paramese, quand vn demy ton est au premier intervalle, et autant au cinquiesme, le ton entier remplissant chacun des autres intervalles: comme de Hypate meson à Nete diezeugmenon. [Sixiesme. in marg.] La sixiesme, composée des troisiesmes sortes Diapenté et Diatessaron, diuisez par Trite diezeugmenon, quand les quatriesme et septiesme interualles sont chacun d'vn demy ton, et les autres d'vn ton: comme de Parhypate meson à Trite hyperboleon. [Septiesme. in marg.] La septiesme, formée de la quatriesme sorte de Diapenté, et de la premiere de Diatessaron, diuisez par Paranete diezeugmenon, quand le troisiesme et sixiesme interualles ne s'estendent qu'en vn demy ton chacun, et les autres en vn ton: comme de Lichanos meson, à Paranete hyperboleon.
[-f.79v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.79v; text: Nete hyperboleon, Aa, la, mi, re. ton, Paranete Hyperboleon, G, sol, re, vt. ton, Trite hyperboleon, F, fa, vt. demy ton, Nete diezeugmenon, E, la, mi. ton, Paranete diezeugmenon, D, la, sol, re. ton, Trite diezeugmenon, C, sol, fa, vt. demy ton, Paramese, [sqb], mi. ton, Mese, A, la, mi, re. ton, Lichanos meson, G, sol, re, vt. ton, Parhypate meson, F, fa, vt. demy ton, Hypate meson, E, la, mi. ton, Lichanos hypaton, D, sol, re. ton, Parhypate hypaton, C, fa, vt. demy ton, Hypate hypaton, [sqb], mi. ton, Proslambanomene, A, re. 4, 5, 8, Parfait et immuable Systeme, auec les douze recherches de Diatessaron: les neuf de Diapenté, et les huit de Diapason.] [PONSOL 04GF]
[-f.80r-] [Raison de la diuersité de ces trois consonances. in marg.] Quelle est (demanda-elle) la cause de ceste diuersité? la diuerse disposition (luy respondy-ie) des demy tons qui, bien qu'ils soient la moindre partie de l'accord, ont toutesfois la force de faire mutation autant de fois qu'ils changent de place: et ce, non autant de fois qu'ils sont en nombre, mais autant de fois que l'accord contient d'intervalles, observation euidente aux trois manieres de Diatessaron, qui n'enclot que trois interualles: aux quatre manieres de Diapenté, qui n'en enclot que quatre: et aux sept de Diapason, qui s'accomplit en sept. Tellement que selon le change du lieu des demy tons, l'accord change de sorte: Ioint que, tout ainsi que Diapason est formé par Diatessaron et Diapenté, aussi le nombre de ses diuerses manieres est amassé par le nombre des especes de ses deux parties, qui sont, trois et quatre. Ce que i'ay dit toutesfois, ne seroit suffisant pour entierement receuable introduction de Musique, si ie n'adioutois: que Diatessaron, combien que de luy, comme premiere consonance, le Systeme parfait tire son accomplissement, n'est logeable en toute harmonie: [Comme par le Diatessaron vn Diapason est harmonieus ou non. in marg.] car si vous composez vn Diapason d'vne proportion d'autant et tiers en bas: et vne d'autant et demy en haut, c'est à dire du bas à la corde diuisante Diatessaron et de celle corde diuisante, en haut, Diapenté: ce Diapason ne sera point digne d'estre nommé harmonieuse consonance: pource qu'en toute consonance harmonieuse, la proportion d'Arithmetique demeure inutile, si la naturelle disposition n'y est observée. Ie m'asseure que vous sçauez bien, les consonances premieres estre engendrées des proportions [-f.80v-] surparticulieres, et que Diapason s'esleue en son entier estat par l'assemblement de deux moindres consonances. Ie ne doute aussi que ne sçachiez le fondement de toute consonance et harmonie, estre la corde basse: Ores ses deux points arrestez, considerons pour exemple la consonance Proslambanomene à Mese, quelle est-elle, Pasithée? C'est (respondit-elle) vn Diapason, procedant de proportion double. Si vous vouliez (poursuiuy-ie) le faire naitre d'vn Diatessaron et Diapenté, comment procederiez vous? Ie separerois (respondit-elle) la ligne de Proslambanomene en quatre egales parties, et estendrois en vne ligne, qui representeroit Lichanos hypaton, les trois quars: pour la faire contre-sonner, par proportion d'autant et tiers, Diatessaron contre Proslambanomene: Puis ie compasserois Lichanos hypaton en trois, et de deux tiers de sa longueur, estendrois vne autre ligne pour Mese, sonnant par proportion d'autant et demy, Diapenté contre Lichanos. Ce faisant (l'interrogay-ie) en quel ordre disposez vous les proportions desquelles vous auez vsé? La double (respondit-elle) est la premiere, suiuie par celle d'autant et tiers: et apres est celle d'autant et demy. [Pourquoy Diapason, composé d'un Diatessaron en bas n'est harmonieus in marg.] De ces deux (repris-ie) surparticulieres proportions d'autant et tiers, et d'autant et demy, laquelle vous semble plus naturellement prochaine et voisine de la double? Vrayement (dict-elle) c'est celle d'autant et demy, pource que vn tiers approche plus d'vne moitié, qu'vn quart. Vous confessez donq (adioutay-ie) que la disposition de ce Diapason par Diatessaron et Diapenté n'est naturelle, [-f.81r-] puis que la seconde proportion est deuant la premiere: aussi n'est-il accomply en harmonie requise à sa perfection, puis que aux proportions Arithmeticiennes l'ordre naturel n'est accordé: [Pourquoy Diapason-diatessaron, ou l'onziesme n'est consonance harmonieuse. in marg.] d'où il est encores aisé de comprendre que Diapason-diatessaron n'est pas vne consonance harmonieuse: qu'ainsi soit, suiuant l'ordre naturel, la proportion de Diapason estant double, sa plus prochaine est celle d'autant et demy, et ne se trouue entre ces deux aucune proportion d'entiere multiplication. Ie pren pour exemple 4608, et les donne à Mese: puis ie cherche vn nombre qui luy soit proportionné doublement, c'est 9216, duquel i'ay tousiours signé Proslambanomene, double de Mese: Donq, voilà vne proportion double trouuée entre 9216, et 4608. Continuons et cherchons la plus prochaine proportion qui est d'autant et demy, pour estre rapportée à 4608, nombre diuiseur de la double: pour ce faire, ie diuise 4608, en trois, chacune partie contenant 1536, et en assemble deux, en conte de 3072, marquez en la figure de nostre Systeme, au droit de Nete, diezeugmenon par proportion d'autant et demy, sonnant à Mese Diapenté: et à Proslambanomene vn Diapason-diapenté par triple proportion, entre 9216, et 3072, naissant des proportions double et d'autant et demy. Mais la proportion d'autant et tiers, iointe à la double, ne produit pas vne proportion d'entiere multiplication: ains vne double surpartissante deux troisiesmes: comme 3456, de Paranete diezeugmenon (en Diatessaron par proportion d'autant et tiers à 4608, contre Mese) sont contenus par [-f.81v-] 9216, deux fois auec 2304, qui sont les deux tiers de 3456: tellement que si les nombres sont imparfaitement entrerapportez, la consonance qui en sort, assauoir vn Diapason-diatessaron ou onziesme, n'est pas de moindre imperfection. En bonne foy (dit-elle) ie m'en suis maintefois aperceuë, touchant le Lut, et (bien que non si durement, pour la liquidation ou couuerture des autres accors) sur l'Espinette. Mais les tierces, sixtes, et autres accors ordinaires, sont ils indignes d'entrer en vostre discours? [Des tierces, sixtes, et autres accors. in marg.] I'estois prest (dy-ie) de vous declarer que les tierces, parfaites et imparfaites, les sixiesmes, et autres Diastemes ont esté cogneuz, bien que moins vsitez, des Anciens: qui n'assembloient tant de diuers accors que l'on a fait depuis, et qui au premier temps, se contentoient de Diatessaron et Diapenté, pour seulement accommoder à vne voix (comme nous disons plein chant) la parole et sçauoir discerner par le moien de ces deux, les modes de chanter, et les especes de Diapason. [Maniere de trouuer le demy ton par proportion. in marg.] Qu'ils en ayent ù cognoissance, la dimension des cordes du grand Systeme Diatonique en fait foy: par laquelle ie vous veux (puis qu'il m'en souuient à ce propos) apprendre à trouuer le demy ton engendré par la difference telle qu'elle est entre 256, et 243, selon le Diapason proportionné par Chalcide sur le Timée, et mesme par Platon. Diuisez vne ligne en 256, parties, desquelles, estendez en 243, en formant vne autre ligne, et vous aurez de ceste proportion surpartissante treize deux cent quarante-troisiesmes, vn demy ton petit infaliblement: comme sur mon Monocorde vous l'auez ouy, par la diuision de la ligne en [-f.82r-] 17, entre le huitiesme et neufiesme point diuiseur, mais d'imparfaicte cognoissance pour le petit espace de l'instrument. [Pourquoy les Tierces imparfaites, et parfaites ne sont nommées vrayes consonances. in marg.] Quant aux tierces imparfaictes, de trois sons, comme Hypate hypaton, Parhypate hypaton, et Lichanos hypaton: et de deux interualles, d'vn demy ton l'vn, et d'vn ton l'autre: elles sont différentes des parfaictes, closes en trois sons et deux interualles de deux tons: comme de Parhypate hypaton iusques à Hypate meson: et si n'ont emporté le nom de consonances vrayes, à cause de leurs sources tirées de non raisonnables proportions, et pource qu'elles ont esté trouuées en la composition des interualles Chromatiques et Enharmoniques, en remplissant par l'estendue d'vne corde vn interualle de trois demy tons, ou de deux tons. Bien sont elles entrées en la chantrerie Diatonique, comme touchant harmoniesusement l'oreille: [De quelle proportion sont tirées les deux tierces. in marg.] mais c'est par vne diuision de Diapenté, qui separé en deux, laisse pour ses deux parties la tierce imparfaite, que i'ay nommée Presque-diton, ou Demiditon: et Diton, qui est la tierce parfaite de deux tons: desquelles la proportion est presque telle que de ces trois nombres, 4, 5, 6. Pour exemple de quoy, ie pren Proslambanomene au nombre 9216, rapporté en proportion d'autant et demy, sonnant Diapenté contre Hypate meson, noté d'vn nombre 6144. La corde partissante ce Diapenté est Parhypate hypaton, marqué 7776, contre-sonnant à Hypate meson la tierce parfaite, deux tons, et à Proslambanomene vn ton et demy, pour tierce imparfaite. Maintenant ie trouue que la tierce imparfaite de Proslambanomene à Parhypate hypaton, sourd d'vne non raisonnable [-f.82v-] proportion, assauoir surpartissante cinq vingtseptiesmes, pource que 9216, contiennent 7776, et cinq fois 288, qui sont cinq vingtseptiesmes parties de 7776: En outre la tierce parfaite, de deux tons, procede de deux autant et huitiesmes: l'vne de Parhypate hypaton 7776, à Lichanos hypaton 6912, par difference de 864, huitiesme partie de 6912, entre lesquels est vn ton: l'autre, de 6912, pour Lichanos, à 6144, pour Hypate meson, par difference de 768, autre huitiesme partie du moindre de ces deux nombres, qui engendrent vn ton. Icy nous troubleroit la proportion de deux autant et huitiesmes, qui, tirées de deux nombres differens, ne se peuuent rapporter à vne autant et quatriesme: en quoy, vrayement, les Musiciens sont bien empeschez. Mais ie trouue vn autre moien pour monstrer que ces deux tierces accomplissent vn Diapenté: et repren le nombre qui faisoit la difference d'où procede l'imparfaite tierce, entre 9216, et 7776, c'est cinq fois 288, qui assemblez, montent 1440, pour ma premiere tierce: puis pren deux autant et huitiesmes de la seconde tierce, assauoir 864, et 768, qui assemblées montent 1632. I'ay donq trouué les nombres 1440, et 1632, estre compartissans ces deux tierces entre 9216, et 6144. Parquoy i'assemble ces deux nombres des differences en 3072: par lesquels vous voyez clerement que Proslambanomene contre-sonne Diapenté à Hypate meson, par proportion d'autant et demy entre 9216, et 6144. [Sixtes ou sixiesmes. in marg.] De vous entretenir longuement des sixiesmes, ce seroit perdre les paroles: car assez facilement comprendrez vous qu'elles sont nées [-f.83r-] d'vn ton ou d'vn demy ton petit (desquels ie vous ay mainte-fois redit les proportions) ioint à Diapenté. [Reigle digne d'estre notée pour preuue que la septiesme ou neufiesme ne sont consonances. in marg.] Mais il faut retenir vne conclusion necessaire en Musique: que des proportions surparticulieres doublées, aucune consonance ne peut estre produite: pource que les nombres extremes de telles multiplications ne se rapportent l'vn à l'autre en aucune proportion: exemple, 4 et 6, sont d'autant et demy: pareillement, 6, et 9: donq, 4, 6, 9, sont deux proportions d'autant et demy: et voicy que 4, et 9, ne peuuent aucunement estre proportionnez l'vn à l'autre: et de ces deux toutefois naissent deux consonances, Diapenté. Autrement, ie figure deux autant et troisiesmes, 9 à 12, et 12, à 16, qui font deux fois Diatessaron, desquels les deux extremes ne reçoiuent aucune proportion: tellement que la dissonance de deux quartes, ou de deux quintes (c'est à dire, vne septiesme ou vne neufiesme) est euidente, si aparemment qu'il n'est besoin d'en chercher autre preuue. [De ce mot Systeme. in marg.] Ainsi i'aurois mis fin à ce que ie desirois vous faire entendre du Systeme, si ie ne cragnois vous laisser vn doute de ce mot, duquel ie ne vous ay encores donné bien entiere cognoissance. Sçachez donq que simplement Systeme est appellé tout amas et assemblée de diuers interualles, et sons, d'où procede vne consonance harmonieuse: et par ceste description Diatessaron et Diapenté sont Systemes. [Deux sortes de Systemes. Systeme parfaict et muable. in marg.] Toutefois sa vraye et plus entiere definition est de le prendre pour vne harmonie accomplie pour le moins de deux consonances ou accors: comme Diapason, ou Disdiapason. Il y a deux sortes de Systemes: car l'vn est parfait, [-f.83v-] mais muable: et l'autre parfait et immuable. Le premier est parfait, pource qu'il contient en soy les especes de sa consonance continue, assauoir Diapenté, duquel il se trouue des especes entieres dans Diapason: mais il est muable, pource que (comme i'ay dit) il se change en diuerses sortes. [Systeme parfaict et immuable. in marg.] L'autre est parfait (c'est Disdiapason) pour ce qu'il contient sa consonance continue, Diapason, en toutes les mutations de ses especes: et est immuable, pource que, ne luy defaillant rien de sa perfection, il ne reçoit qu'vne maniere de reuolution, en laquelle, sans se changer en rien, il souffre les mutations des trois consonances, Diatessaron, Diapenté, et Diapason: ioint que par tesmoignage des antiques Musiciens, outre Disdiapason (l'ordre naturel des multiplications n'estant point obserué) toutes les consonances semblent estre inutiles. [Si Diapenté est Systeme parfaict. in marg.] N'estimez-vous pas (demanda-elle) Diapenté estre harmonie et Systeme parfait? Il me semble que les Musiciens praticiens le tiennent bien pour tel. Il ne s'ensuit (respondi-ie) que Diapenté, pour estre bon accord au iugement de l'oreille, mérite nom de perfection de Systeme: car pource qu'il ne s'estend qu'en cinq sons, il n'est pas suffisant de monstrer les trois especes de Diatessaron, qui toute-fois est enclos dedans luy, non plus que Diapason-diapenté celles de Diapason, qui toutefois est sa consonance continue. Les Anciens (m'interroga-elle) ont ils en mesmes noms poursuiuy la dimension des autres genres de Musique, que ceste-cy? Toute Musique (respondy-ie) tient pour son suiet les sons et interualles, et accomplit vn Systeme parfait et immuable en quatre Tetracordes: [-f.84r-] mais les sons et interualles plus ou moins estenduz ou resserrez, baissez ou haussez, descouurent la difference de l'vne à l'autre Musique. Qu'ainsi soit, ie vous ay monstré que le Tetracorde Diatonique, au premier interualle forme vn demy ton petit, et aux deux suiuans, deux tons: et vous ay dit que le Tetracorde Chromatique se continue de deux inegaux demy tons aux deux premiers interualles, et d'vn tiers interualle, qui contient vn ton et vn demy ton petit. Tellement que la difference de ces deux Tetracordes naist de la difference et diuerse disposition de la tierce corde: ce, dont desià ie vous ay entamé le propos, parlant de Lichanos: et pourrois le poursuiure outre si ie ne craignois que le non vsage auquel la Chromatique est reduite auiourd'huy, ne vous desgouta d'en ouir dauantage. Vrayement, Solitaire (dit-elle) vous m'auez en belle opinion, si vous soupçonnez que ie ne me plaise qu'aux choses vulgairement communes: et ne sçay d'où vous pouuez tirer argument qui me soit ainsi desauantageux, vù que vous ne deuez douter par ma façon de viure, combien le vulgaire m'est peu à coeur, et comment ie m'estudie aux choses qui luy sont moins familieres. Sçauroy-ie (repliquay-ie) assoir mon iugement sur plus certaine preuue, que celle que m'en donne la continuelle espreuue de moy en vous? Si vous prenez plaisir au mespris des choses vulgaires, et si les plus esleuées vous demeurent en recommandable desir, que ne fait en vous mon affection, tel effet qu'elle merite, prenant sourse non basse ou commune, mais d'vn Amour tel que les seruices de mon esprit vous tesmoignent en mon continuel estude? Et neaumoins vn beau respet, fondé [-f.84v-] Dieu scet comment, esteindra mon merite, souz la mercy de. Hee Solitaire (dit-elle, me trenchant la parole) si vous auez beaucoup d'honneste amitié, doy ie estre sans bon iugement? croyez, ie vous prie, que vostre merite ne peut estre esteint en mon endroit, par vn respect friuole du commun, et que telle tenebreuse fumée ne peut m'empescher de voir ce qui reluit en vous: mais croyez aussi que ie ne doy tant voir en vous que i'aie la veuë aueuglée en moy-mesme. Ce langage demy couuert me transportoit au cours de ma complexion, quand elle d'vne solaire, mais modeste allegresse de visage me fit signe, que là n'estoit le lieu de sommeiller: reueillez-vous (disant) Solitaire, et faites essay si la Chromatique pour n'estre commune ou vsitée me desgoutera point: souz condition qu'vne autrefois ie vous rendray meilleur conte d'vn merite, que vous, possible, à moy, d'vne reputation. [La Musique Chromatique. in marg.] A quoy ie ne vouluz recharger: mais pour luy satisfaire, commençay. Et bien: ie vous disois que par la diuerse disposition de la tierce corde de chacun Tetracorde (non pas des fredons ou assemblée de diuers accors, comme croyent quelques vns) procede la difference de la Diatonique, de l'Enharmonique, et de la Chromatique: [Composition du parfaict Systeme Chromatique. in marg.] de laquelle l'entier Systeme se proportionne ainsi: [Chromatique Tetracorde des basses ou principales. in marg.] La corde de Proslambanomene demeure en sa Diatonique longueur: Hypate hypaton et Parhypate hypaton, qui sont les deux premiers du Tetracorde Hypaton, en la leur: mais non la troisiesme, qui est Lichanos hypaton. [Maniere de trouuer la troisiesme corde. in marg.] Pour donq trouuer sa difference, ie diuise Hypate meson en huit egales parties, ou Lichanos hypaton Diatonique [-f.85r-] en neuf, car leur difference est d'autant et huitiesme proportion, assauoir vne huitiesme de Hypate, ou vne neufiesme de Lichanos: puis i'esten la longueur de Lichanos hypaton de la iuste moitié de ceste sienne neufiesme, ou huitiesme de Hypate meson, nommant ceste ligne Lichanos hypaton Chromatique. Dauantage, ie pren le nombre de Lichanos hypaton Diatonique 6912, ou de Hypate meson 6144, et diuise cestuy-là en neuf, ou cestui-cy en huit, comme en proportion autant et huitiesme, d'où est vn ton souz la difference de 768: diuisant 768, en deux, et en adioutant vne moitié, qui est 384, à 6912, ie treuue 7296, pour nombre de Lichanos hypaton Chromatique, different de 6144, en Hypate meson, d'vne huitiesme et vne seziesme, d'où resort vn interualle d'vn ton et vn demy ton egal: ou bien sont en vne proportion surpartissante trois seziesmes, c'est à dire que le grand contient le petit nombre et trois seziesmes d'iceluy: comme 19, contiennent 16, et trois seziesmes de 16, qui sont trois: ainsi 7296, contiennent 6144, et trois fois 384: car 384, font vne seziesme partie de 6144: difference euidente d'vne huitiesme et vne seziesme (puis que deux seziesmes valent vne huitiesme) et de laquelle ne peut naistre qu'vn ton et demy entre Hypate meson et Lichanos hypaton Chromatique, qui se rapporte à Parhypate hypaton selon les nombres 7776, en vne proportion surpartissante cinq septantesixiesmes: car 7776, contiennent le nombre de Lichanos hypaton Chromatique, auec cinq fois 96, qui font la septantesixiesme partie de 7296. Il est certain que ceste proportion est plus grande que celle [-f.85v-] d'où procede la difference entre Hypate hypaton et Parhypate hypaton: qui nous doit faire entendre que le demy ton depuis Parhypate hypaton iusques à Lichanos hypaton Chromatique, est plus grand que celui depuis Parhypate hypaton iusques à Hypate hypaton. Il faut donq (dit-elle) que ce soit vn grand demy ton, lequel vous auez nommé Apotome. Ainsi l'a-il semblé aux vns (respondy-ie) et aux autres non: et ce sus apuy d'assez fortes raisons pour l'vne et pour l'autre opinion. [Demy ton egal Chromatique. in marg.] Toutefois pource que nous auons adiouté ce demy ton Chromatique d'vne moitié iuste d'vn ton Diatonique, en coupant vn autre ton, assauoir, vsurpant autant, du ton qui est depuis Parhypate hypaton iusques à Lichanos hypaton, que contient l'egale moitié du ton different de Lichanos hypaton à Hypate meson: il sembleroit que ce ton fust de deux Diaschismes et vn Schisme, comme vous diriez, moins qu'vn Apotome d'vn Schisme, ou plus qu'vne Diese d'vn Schisme: ainsi resonneroit vn demy ton egal: et celuy qui faict difference entre Hypate hypaton et Parhypate hypaton, ne resonne qu'vn demy ton petit. Cecy ne conclud point pertinemment: (repliqua-elle) car les differences qui engendrent la diuersité des tons, diminuent tousiours en montant contre Nete: chose apparente aux differences Diatoniques de Parhypate hypaton à Lichanos hypaton: et de Lichanos hypaton à Hypate meson: qui, en proportion autant et huitiesme, s'esleuent l'vn sur l'autre d'vn ton: et toutesfois la huitiesme partie de la longueur de Hypate meson, n'est pas si longue que la huitiesme de Lichanos hypaton: tellement que par dimension [-f.86r-] Geometrienne vous seriez trompé. Quant aux nombres, ie recognoy bien vne egale diuision entre 6144, 6912, et 7776, d'autant et huitiesme: mais il ne se peut faire, que la mesme proportion d'egalation soit rapportée au nombre inferieur, qui est plus grand, comme il appert euidemment. Respondez-moy, ie vous prie, luy dy-ie: Deux tons, l'vn aigu et l'autre bas, n'ont-ils pas mesme estendue et continuation d'interualle harmonieux? Mesme, respondit-elle. Si donq (repliquay-ie) vous estendez, soit contre bas soit contre haut, la voix, de l'egale moitié d'vn ton, plus qu'vn ton entier, faut-il pas necessairement confesser, que tel interualle se continuera en trois demy tons egaux? Il le me semble, respondit-elle. Et si (poursuiuy-ie) l'on óte d'vn ton vne egale moitié, que reste il? Vn demy ton d'egale moitié, dit-elle. Donq (adioutay-ie) si vn egale demy ton vient occuper l'interualle d'vn ton, ce qui luy reste est vne iuste et egale moitié. Vray, confessa elle: mais auez vous pas dit qu'vn ton ne se peut egalement mettre en deux? Ie n'ay pas dit (reprins-ie) que il ne se peut, mais que difficilement: et que à peine peut l'humaine voix s'escouler assez disertement, pour en laisser à l'oreille iugement asseuré: aussi croy ie que la Chromatique, malle mercy de ceste difficulté, est demeurée inusitée en friche. En bonne foy (dict-elle) ie desirerois que vous prinssiez peine de la cultiuer en quelque sorte, pour, s'il estoit possible, la reueiller au contentement de ce siecle tant heureux en restitution de vie aux disciplines si long temps à peu pres esteintes et enseuelies, principalement [-f.86v-] en ceste nostre langue. Ie voudrois (dy-ie) souz vostre commandement embrasser toute charge, et ne refuse ce labeur à l'essay, si le viure me le permet: bien que ie n'en espere autre heureuse issuë, que ce que m'en apportera la preuue de mon obeissance en vostre endroit, tesmoignant ma deuotion continuelle. Celà (dit-elle) ne vous soit empesché à poursuiure le propos commancé, qui me seruira d'ouuerture pource que i'en pourray voir par cy apres de vous, ou de quelque autre. Ie disois (poursuiuy-ie) que Lichanos hypaton Chromatique est different de Parypate hypaton d'vn demy ton: et Parhypate, de Hypate hypaton, d'vn autre demi ton: qui, bien qu'ils soient differens, ne s'estendent toutefois assez pour ensemble accomplir vn ton: et le preuue ainsi: Le ton, comme i'ay souuent dit, procede d'autant et huitiesme proportion. Ie pren donq 8192, de Hypate hypaton, et les rapporte auec 7296: voyez qu'il n'y a aucune apparence de proportion autant et huitiesme, vù que leur difference est de 896, qui sont moins que la huitiesme, et plus que la neufiesme du moindre, d'où ne peut naitre vn ton: espreuue laquelle vous adiouterez pour aide à la resolution du doute fait sur l'interualle entre Lichanos hypaton Chromatique et Parhypate hypaton: [Tetracorde des moyennes. in marg.] et recueillirez le Tetracorde hypaton Chromatique, l'accompagnant de celuy des moyennes, duquel il ne faut rien changer que la tierce corde Lichanos meson Diatonique, nombres souz 5184, autant et huitiesme à Mese en 4608, par la difference de 576, que ie diuise en deux, et adioute sa moitié 288, aux 5184, de Lichanos meson Diatonique, et en fais 5472, pour Lichanos meson [-f.87r-] Chromatique, surpassant Mese d'vne huitiesme et vne seziesme, ou d'vn ton et d'vn demy ton, par proportion semblable à celle que vous auez vuë en pareil lieu du premier Tetracorde. Reste qu'auec le compas ie diuise la longueur qui fait difference entre Lichanos meson Diatonique et Mese, en deux egales parties. Voyez que la troisiesme corde est celle seule qui reçoit mutation, pour de Diatonique faire la Chromatique: car ie l'alonge d'vne moitié de ceste difference, et la nomme Lichanos meson Chromatique, auec ce nombre 5472: ainsi est ce Tetracorde des moyennes transformé Chromatiquement, s'estendant Parhypate meson d'vn demy ton Diatonique, ou petit, sur Hypate meson: et Lichanos, sur Parhypate d'vn demy ton Chromatique, c'est à dire egal et plus esleué que le premier: et Mese, sur Lichanos, sonnant vn ton et vn demy ton egal. Encores, s'il ne vous ennuye, formeray-ie les autres, suiuant ceste mesme façon de proceder. Il vaut mieux (dit-elle) que i'essaye si i'auray compris ce qu'auez dit. Lors elle continua la disposition des deux suiuans Tetracordes, et nota les nombres, et transposa les lignes tierces, Paranete diezeugmenon, et Paranete hyperboleon, comme i'auois fait les deux Lichanos: puis, iugez (me dit-elle) si i'ai bien acheué ce Systeme, qu'auiez commancé. Tresbien, Pasithée (consenti-ie) mais il faut adiouter (dy-ie, trassant) le Tetracorde synemmenon et alonger sa Paranete, comme les autres, auec acroissement de son nombre d'vne moitié de sa difference autant et huitiesme, contre Nete Synemmenon: à fin que vous gardiez ceste figure, du Systeme parfait et immuable, selon la Musique Chromatique.
[-f.87v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.87v; text: 2304 Nete hyperboleon. 2736 ton et demy, egal, Paranete hyperboleon. 2916 demy, egal, Trite hyperboleon. 3072 demi, petit, Nete diezeugmenon. 3648 ton et demi, egal, Paranete diezeugmenon. 3456 Nete synemmenon. 3888 demy, egal, Trite diezeugmenon. 4104 ton et demy, egal, Paranete synemmenon. 4096 demy, petit, Paramese. 4374 demy, egal, Trite synemmenon. 4608 demy, petit, Mese, 5472 ton et demy, egal, Lichanos meson. 5832 demy, egal, Parhypate meson, 6144 demy, petit, Hypate meson. 7296 ton et demy, egal, Lichanos hypaton. 7776 demy, egal, Parhypate hypaton. 8192 demy, petit, Hypate hypaton. 9216 ton, Proslambanomene, Diatessaron. Tetracorde des basses. Tetracorde des moyennes. Diapason. Tetracorde coniointes, Tetracorde des désointes, des houltes, Systeme parfait et immuable, des Tetracordes disposez à la Chromatique. Disdiapason.] [PONSOL 05GF]
[-f.88r-] [Musique Enharmonique: de laquelle l'inuention est attribuée à Olympe. in marg.] Apres laquelle Olympe, dit-on, inventa l'Enharmonique, encores moins vsitée (pour la difficulté qui est à exprimer sensiblement les sons des petis interualles assemblez en la compaction de ses Tetracordes) que la Chromatique: en laquelle il ne se fait mutation que d'vne corde, qui est la troisiesme: [Deux cordes Diatoniques changées en l'Enharmonique. in marg.] mais en l'Enharmonique il en faut changer deux, assauoir la seconde et la troisiesme, tellement qu'excepté les deux extremes, qui ne bougent aucunement en quelque sorte de Musique que ce soit, au reste ceste est toute differente des deux autres. [Tetracorde des basses, Enharmonique. in marg.] Et pour vous monstrer la forme, ie commance au Tetracorde hypaton Diatonique: pour lequel transformer Enharmoniquement, ie baisse Lichanos hypaton iusques au lieu de Parhypate hypaton, marqué de 7776: [Maniere de former la troisiesme corde. in marg.] et ce, si vous y prenez garde, vn demy ton plus bas que Lichanos hypaton Chromatique, et vn ton entier dessouz Lichanos hypaton Diatonique: ainsi Hypate meson (immuable en toute Musique) est esleué dessus Lichanos hypaton Enharmonique de deux tons. [Maniere de trouuer la seconde corde. in marg.] Or' puis que nous auons deslogé Parhypate hypaton, il lui faut trouuer place en son ordre, assauoir entre Hypate hypaton et Lichanos hypaton: pour quoy faire, ie diuise au compas la difference Enharmonique, de la longueur de Hypate hypaton à celle de Lichanos hypaton, en deux parties egales: et ioingnant à la longueur de Lichanos hypaton vne moitié de celle difference, ie tire vne ligne souz le nom de Parhypate hypaton Enharmonique. Reste que pour luy rendre son nombre, lequel Lichanos hypaton occupe, ie rapporte 8192, de Hypate hypaton (immuable en toute [-f.88v-] Musique) à 7776, appartenant Diatoniquement et Chromatiquement à Parhypate hypaton, et Enharmoniquement à Lichanos hypaton. Voicy leur difference 416, de laquelle la moitié est 208, que i'aioute à 7776, pour nombre Enharmonique de Parhypate hypaton, montant 7984: demeurant, comme vous vouez, le premier Tetracorde Enharmonique disposé. En bonne foy (dit-elle, regardant la figure de ce Tetracorde) vous n'auez pas sans cause allegué la difficulté d'exprimer sensiblement les petis sons Enharmoniques: et deà, en la composition des Tetracordes Diatoniques et Chromatiques, la difference entre Hypate hypaton et Parhypate hypaton n'est que d'vn demy ton petit: que pourra donq resonner ceste, racourcie d'vne moitié? [Diese signifie le moindre interualle du Tetracorde. in marg.] Vn Diaschisme (respondy-ie) ou, comme il plait à quelques autres, vne Diese Enharmonique: car Diese signifie tousiours la moindre partie ou le moindre interualle d'vne sorte de Musique: comme en la Diatonique et en la Chromatique, le demy ton petit est appellé du nom de Diese, pource que c'est le moindre interualle du Tetracorde: et en l'Enharmonique, la moitié du petit demy ton pour mesme raison reçoit vn mesme nom aussi. Toutefois ie le nomme Diaschisme (pour ne confondre ou obscurcir ce que ie vous ay dit) que vous sçauez estre la moitié d'vn demy ton petit. [Que les deux Diaschismes sont egaux. in marg.] Lors, ces deux Diaschismes, dit-elle, sont-ils egaux? La difference des longueurs, compassée en la ligne (respondy-ie) vous en fait foy. Ouy (repliqua-elle) mais des nombres, quoy? Vrayement ie vous veux monstrer (dy-ie) que, bien qu'en leurs proportions il y ait inegalité, il [-f.89r-] y a de l'egalité en leurs differences: pour à quoy venir, ie pren le nombre Hypate hypaton 8192, et l'ayant diuisé en seize, treuue 512, estre sa seziesme partie. Ie diuise de mesme sorte 7984, nombre Enharmonique de Parhypate hypaton (car entre ces deux est vn de noz Diaschismes) et treuue pour sa seziesme 499. Reste de iuger que les deux nombres nez de ceste diuision sont differens de 13, l'vn à l'autre: vù que 512, contiennent 13, auec 499, en proportion surpartissante treize nonante-neufiesmes, que ie ne puis exprimer en plus gracieux mot, pour vous faire entendre que ce nombre 499, et treize siennes quatre cent nonanteneufiesmes parties, qui sont treize, remplissent 512. Essayons maintenant de trouuer si la difference des deux nombres de l'autre Diaschisme ressemble ceste-cy. Ie retien 499, seziesme partie de 7984, et rencontre 486, pour la seiziesme partie de 7776, nombre de Lichanos hypaton Enharmonique: rapportant 499, à 486, de combien est leur difference? De treize, respondit elle. Voyez donq, poursuiuy-ie, que leurs differences sont egales, et les proportions non, estant la proportion de 512, contre 499, surpartissante treize quatre cent nonante-neufiesmes, et celle de 499, contre 486, surpartissante treize quatre cent octante-sixiesmes. Telle est la disposition du Tetracorde Hypaton Enharmonique:
[-f.89v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.89v; text: 6144 Diaschisme, Hypate meson. 7776 deux tons, Lichanos hypaton. 7984 Diaschisme, Parhypate hypaton. 8192 Diaschisme Hypate hypaton, 9216 Proslambanomene. Diatessaron. Tetracorde Hypaton Enharmonique.] [PONSOL 05GF]
[-f.90r-] en imitation de laquelle l'on peut composer tous les autres. [Tetracorde des moyennes. in marg.] Toutesfois ayant trouué cestuy-cy, on peut proceder au reste pour accomplir le grand Systeme en ceste sorte: [Maniere de former la seconde corde. in marg.] ie diuise la ligne de Parhypate hypaton Enharmonique en quatre egales parties, et de la longueur de trois quars i'en esten vne, souz le nom de Parhypate meson, qui est rapportée à l'autre en autant et troisiesme proportion: car celle de Parhypate hypaton contient la longueur auec vn tiers de Parhypate meson. Faut maintenant luy donner vn nombre, ainsi: Ie diuise celuy de Parhypate hypaton 7984, en quatre parties egales, qui sont 1996, à chacune: desquelles trois assemblées montent 5988, pour estre marqué de Parhypate meson Enharmonique, qui, proportionné d'autant et troisiesme, contresonne Diatessaron à Parhypate hypaton. Vous auez retenu que la quatriesme corde de chacun Tetracorde est immuable, et par ceste raison Hypate meson, quatriesme de Tetracorde hypaton, ne change point sa longueur, outre ce que toute premiere corde (comme elle tient tel rang au Tetracorde meson) i'ouit de ce mesme priuilege. Ie repete cecy à fin que vous voyez desià deux cordes disposées en nostre Tetracorde meson Enharmonique: assauoir Hypate meson et Parhypate meson, entr'eslongnées d'vn Diaschisme. [Maniere de former la troisiesme corde. in marg.] Reste, pour trouuer Lichanos meson que ie mette en quatre parties egales la ligne de Lichanos hypaton, et qu'aupres de Parhypate meson i'en trasse vne en longueur de trois quars de Lichanos hypaton, souz le nom de Lichanos meson, contenu autant et tiercement [-f.90v-] par Lichanos hypaton, duquel les trois quars du nombre sont 5832: car 7776, contient quatrefois 1944, et trois fois 1944, sont 5832: c'est en proportion d'autant et tiers d'où s'engendre Diatessaron entre ces deux. Voyez-vous en outre que Parhypate meson, et Lichanos meson, ne sont differens que d'vn Diaschisme, tel que Hypate meson à Parhypate meson? car (si des nombres comme du compas il vous plait tirer iugement) 6144, et 5988, sont differens de 156, qui est aussi la difference de 5988, et de 5832. Ainsi est acheué le Tetracorde meson, puis que Mese, sonnant Diatessaron contre hypate meson, tient icy son lieu Diatonique. [Tetracorde Synemmenon, ou des coniointes. in marg.] Poursuiuons le Tetracorde synemmenon, à fin que Mese soit coniointe. Ie coupe la ligne de Parhypate meson en quatre, egalement: [Maniere de trouuer la seconde corde. in marg.] et de trois quars, i'esten vne ligne aupres de Mese, pour Trite synemmenon, auec 4491, par la difference de sa tierce partie 1497, rapporté en proportion d'autant et tiers (sonnant Diatessaron) à 5988, nombre de Parhypate meson: [Maniere de former la tierce corde. in marg.] Apres, i'vse de mesme façon, pour en proportion autant et tierce à Lichanos meson, former Paranete synemmenon auec son nombre 4374, semblable (comme aussi la longueur est vne) à Trite synemmenon Diatonique et Chromatique: [Maniere de former la quatriesme corde. in marg.] demeurant vn Diaschisme entre Mese et Trite synemmenon, et vn autre entre Trite synemmenon et Paranete synemmenon, au dessus de laquelle ie tire vne ligne pour Nete synemmenon, finale de ce Tetracorde, auec vn nombre 3456, tout en proportion autant et tierce contre Mese, pour clorre le Tetracorde [-f.91r-] Synemmenon Enharmonique. Mais pour retourner au Tetracorde Diezeugmenon, il faut laisser Mese, et Paramese, en leurs sieges Diatoniques, [Les deux hauts Tetracordes. in marg.] et disposer entre Paramese et Nete diezeugmenon (tousiours immuables) Trite et Paranete diezeugmenon, en mesme proportion que i'ay faict celles du Tetracorde Hypaton: et continuant la poursuite, en allongeant les troisiesme et seconde cordes du Tetracorde Hyperboleon en mesme proportion que i'ay faict pour le Tetracorde Meson. En discourant ie trassois, et assez soudainement luy fiz voir vne figure du Systeme entier Enharmonique: sur laquelle quelque temps ayant tenu l'oeil arresté: vrayement (dict-elle) ie ne sçay qui m'occupe le plus, ou l'admiration de tant excellentes considerations, en la recherche d'vn sujet qui semble à plusieurs fortuit, et non raisonnable: comme qui croiroit les consonances se creer indifferemment par temeraires rencontres de sons, en mode d'Atomes Democritiques en la compaction du monde: ou le regret de si chere perte,
[-f.91v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.91v; text: 2304 Nete hyperboleon. 2916 deux tons, Paranete hyperboleon. 2994 Diaschisme, Trite hyperboleon. 3072 Diaschisme, Nete diezeugmenon. 3888 deux tons, Paranete diezeugmenon. 3456 Nete synemmenon. 3992 Diaschisme, Trite diezeugmenon. 4374 deux tons, Paranete synemmenon. 4096 Diaschisme, Paramese. 4491 Diaschisme, Trite synemmenon. 4608 Diaschisme, Mese, 5832 deux tons, Lichanos meson. 5988 Diaschisme, Parhypate meson, 6144 Diaschisme, Hypate meson. 7776 deux tons, Lichanos hypaton. 7684 Diaschisme, Parhypate hypaton. 8192 Diaschisme, Hypate hypaton. 9216 Proslambanomene. Diatessaron. Tetracorde hypaton. Tetracorde Meson. Diapason. Tetracorde Synemmenon. Tetracorde diezeugmenon. Tetracorde Hyperboleon. Systeme parfait, des Tetracordes Enharmoniques. Disdiapason.] [PONSOL 06GF]
[-f.92r-] qu'est l'vsage de tant gracieuse Musique. Tres-grande (dy-ie) en est la perte: et telle que la negligente incuriosité, nourrie par les hommes de quelques siecles passez, seroit inexcusable, si l'incertitude, laquelle les sens corporels retiennent aux iugemens des choses peu differentes selon leurs sujets, ne servoit de couuerture: eu principalement egard aux dispositions de l'humaine nature, qui ne produit, que rarement, les hommes en perspicacité et sagacité accomplie. [Fragilité des sens corporels. in marg.] Combien peu d'accidens interieurs ou exterieurs faut-il, [Le Touchement. in marg.] pour empescher que la personne au toucher ne puisse discerner vrayement vne difference (si elle est de bien peu) entre deux chaleurs prochaines? [Le Gout. in marg.] Comment est le gout facilement trompé au chois des viandes, si elles ne sont qu'vn bien peu dissemblables? [Le flairer. in marg.] Et des odeurs, auec quelle difficulté peut on iuger les prochaines diuersitez? [La veuë. in marg.] car de la veuë, il est assez descouuert combien le iugement est deceuable, en ce qu'elle mal aisément comprent les approchantes et petites differences des couleurs emmellées. [L'ouye. in marg.] Trouuerons-nous donq estrange, entre si familieres imperfections, que l'ouye demeure stupide, ou du moins, mal asseurée, à rapporter au vray les diuers interualles differens de si petites estendue qu'est vne quarte, ou moindre partie d'vn ton? Il faut confesser, Pasithée, qu'en obiet de petite monstre est requise la perspicacité plus grande non seulement des sens, mais encores de l'intention spirituelle: et ne fais point de doute, que quelques artisans de Musique se soient rencontrez d'assez delicate oreille, pour conceuoir vn Diaschisme: et [-f.92v-] toutefois, le defaut de sçauoir, le peu de cognoissance, et la negligence de rechercher, a rendu leur capacité inutile: comme, au contraire, en la plus part des sçauans et desireux, ausquels la spirituelle intention est tres viue, le corporel sentiment tout morne, demeure incapable d'estre exercité à son deuoir. Ie croy, en bonne foy, qu'vn grand nombre de ceux qui ont escrit la Musique ne sceurent onques entonner vn vray ton: comme aussi la plus grande partie de ceux qui chantent, voire qui composent (ainsi nomment ils pratiquer les accors) ne sceurent onques en quelles proportions se rapportent les vns aux autres tons. Aussi, pour ne plus eslongner mon propos, vous ay ie dict, les Chromatique et Enharmonique, à cause de leur difficulté sur les differences des interualles, estre euaporés auec les contemplations perdues: [Profit des Mathematiques. in marg.] Bien qu'il me semble, qu'auec assez legere peine d'essay l'on trouueroit ouuerture à l'vsage: puis que la Theorique ne nous est du tout incognuë, grace des Mathematiciens, qui, supplians le fraile iugement et l'incertitude des sens, ont trouué les nombres, les poix, et les mesures: à aide de quoy les moindres differences sont apperceuës. Lors croy-ie (print elle la parole) se monstreroient les rares effects de la Musique: lors verroit on les passions, par ces doux rauissemens, esmuës, et appaisées. Vsse-ie tant d'heur (adioutay-ie) que rencontrer l'effect auquel i'aspire, pour vous en donner plaisir, et, à mon advantage, faire naitre quelque affectionné emotion en vostre coeur: en ce coeur, Pasithée, dans lequel, mon ardeur ne peut allumer le [-f.93r-] feu, duquel vostre honnesteté pourroit ardoir auec celuy qui me consume. Et si tant estoit vostre opinion obstinée que ie ne pusse la mouuoir de sa place: la douceur, au moins, de la chanson vous contraindroit d'ouyr, et m'afranchiroit de la loy donnée par vostre rigueur à mes plaintes. Ie veux dire, que telle occasion m'apporteroit liberté de complaindre, contre vostre defence: et exhalant ma peine deuant vous, ouuriroit la porte de l'ouye, par laquelle la pitié, possible, auroit entrée, auec la cognoissance de mon affection. Maintenant i'inuoquerois l'asseurance, et l'esperance, ces deux corriualles, Pasithée, que tous Amans adorent: maintenant ie chasserois le soupçon qui me gele, et tromperois ainsi doucement mes pensées. Pendant que ie m'egarois en ce souhait, elle ayant la figure du Systeme Enharmonique en main, feignoit (croy-ie) de ne m'entendre: puis m'entrerompant la parole, comme d'vn soudain resouuenir de quelque chose oubliée: Mais ie vous prie, Solitaire, dites-moy: la Musique ne receuoit-elle anciennement autres diuersitez que la Diatonique, la Chromatique, et l'Enharmonique, ainsi que vous les m'auez monstrées? Ne voulant preferer le plaisir de ma passion à la satisfaction de sa demande, ie respondis: Pour vous en dire quelque chose qui ne vous ennuyra, puis qu'il vous plait d'en ouyr dauantage, ie remets en memoire qu'entre les diuerses opinions des anciens rechercheurs de Musique, Boëce [Boëce. in marg.] (lumiere de la Latine Philosophie) raconte vne diuision du Ton, inuentée par Aristoxene: [Diuision d'vn ton. in marg.] pour laquelle il faut imaginer [-f.93v-] qu'un ton contienne ce nombre, 24: car sans les nombres, il est fort difficile (n'en deplaise à ce mesme Aristoxene, [Aristoxene. in marg.] qui tousiours n'a esté de cest advis) d'y apperceuoir les differences et diuisions. [Le ton diuisé en quatre sortes. in marg.] Le Ton, donq, reçoit quatre diuisions de son entier. [La premiere in marg.] La premiere, en deux egales parties, chacune de 12, nommées demy tons egaux, tel qu'est le plus haut des deux demy tons Chromatiques. [La seconde. in marg.] La seconde, en trois egales, chacune de 8, nommées Dieses de la Chromatique molle. [La troisiesme. in marg.] La troisiesme, en quatre egales, chacune de 6, nommées Dieses Enharmoniques. [La quatriesme. in marg.] La quatriesme, en huit egales parties, chacune de trois: et cestes sont sans nom expres, pource qu'elles n'entrent toutes seules en aucune espece de Musique, et ne seruent qu'en conionction de quelque Diese: assauoir, quant à la quarte partie d'vn ton, qui est 6, on adioute vne huitiesme, qui est trois, d'où il s'engendre vne Diese du Chrome, d'autant et demy. [Six sortes de Musique, par la diuersité des trois sus escrites. in marg.] Et à fin que ceste diuision ne semble inutile, puis que nous n'auons rencontré toutes ces parties de ton aux trois manieres de Musique alleguées, faut sçauoir que la façon Diatonique peut estre de deux sortes, et la Chromatique de trois. Quant à l'Enharmonique, elle ne reçoit aucune diuersité: qui sont six, recognuës souz ces noms, Diatonique estenduë, Diatonique molle, Chromatique entonnée, Chromatique d'autant et demy, Chromatique molle, et Enharmonique: desquelles pour vous faire voir la difference, ie presuppose (ce que vous sçauez assez) que le Tetracorde est tousiours composé de quatre cordes, et de trois interualles: [-f.94r-] et que les trois interualles ne s'estendent plus ou moins que deux tons et vn demy ton, ou de pareille valeur: [Le Tetracorde souz ce nombre 60. in marg.] comprise au nombre 60, vù que le ton vaut 24, et le demy 12, et que deux fois 24, et vne fois 12, montent 60: celà donq soit tenu pour infallible: [Exemple de la Diatonique estenduë. in marg.] comme il appert au Tetracorde Diatonique estendu, duquel i'en forme la figure Hyperboleon, qui est d'vn demy ton entre Nete diezeugmenon et Trite hyperboleon, ou ie marque 12: vn ton depuis Trite hyperboleon iusques à Paranete hyperboleon, où ie marque 24: vn autre ton depuis Paranete hyperboleon iusques à sa Nete, auec 24, qui accomplissent 60, et le Tetracorde de la premiere espece Diatonique.
[Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.94r; text: Nete hyperboleon. 24 Paranete hyperboleon, ton. 24 Trite hyperboleon, ton. 12 Nete diezeugmenon, demiton. 60. Tetracorde Diatonique estendu.] [PONSOL 06GF]
[Exemple de la Diatonique molle. in marg.] La seconde est Diatonique molle, de laquelle ie forme vne figure en ce mesme Tetracorde, estendant moins la ligne de Trite hyperboleon que celle de Nete diezeugmenon d'vn demy ton, noté 12: et Paranete hyperboleon, moins que Trite d'vn demy ton et la quarte partie d'vn ton, noté 18: et celle de Paranete hyperboleon, vn ton et quart contre Nete hyperboleon, marqué 30. Assemblez 12, 18, et 30, [-f.94v-] vous trouuerez le nombre sexagenaire de ce Tetracorde.
[Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.94v; text: Nete hyperboleon. 30 Paranete hyperboleon, ton et quart de ton. 18 Trite hyperboleon, trois quars de ton. 12 Nete diezeugmenon, demy ton. 60. Tetracorde Diatonique molle.] [PONSOL 06GF]
[Exemple de la Chromatique entonnée. in marg.] La troisiesme mutation de Musique est la Chromatique entonnée, laquelle i'accompagne de ce surnom pource qu'en sa disposition, les differences approchent plus pres de la resonance d'vn ton, qu'aucune autre maniere de Musique épessie, [Que c'est que Musique épessie. in marg.] c'est à dire, qu'aucune espece de Musique en laquelle l'interualle haut, contienne plus que les deux bas: comme en ceste Chromatique, formée ainsi d'vn Tetracorde composé d'vn demy ton, depuis Nete diezeugmenon iusques à Trite hyperboleon, noté 12: d'vn autre demy ton de mesme nombre, depuis Trite hyperboleon iusques à Paranete hyperboleon: et d'vn ton et demy ton, depuis Paranete hyperboleon iusques à Nete, nombré 36, le tout assemblé à 60. En ceste-cy, voyez l'interualle haut de trois demy tons, contenir plus que les deux bas, qui ne sont que d'vn demy ton chacun: pourquoy elle est nommée epesse, à la difference des Diatoniques, desquelles le ton haut n'excede les deux tons bas.
[-f.95r-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.95r,1; text: Nete hyperboleon. 36 Paranete hyperboleon, ton et demy. 24 Trite hyperboleon, demy ton. 12 Nete diezeugmenon, demi ton. 60. Tetracorde de la Chromatique entonnée.] [PONSOL 06GF]
[Exemple de la chromatique d'autant et demy. in marg.] La quatriesme maniere est la Chromatique d'autant et demy épesse, pource qu'entre Nete diezeugmenon et Trite hyperboleon, sont vne quarte et vne huitiesme partie d'vn ton, marquée 9: et mesme estendue entre Trite hyperboleon et Paranete hyperboleon: mais depuis Paranete iusques à Nete de ce Tetracorde, est l'interualle d'vn ton et demy auec vne quarte partie, marqué 42. Assemblez deux fois neuf auec 42, ce sont 60.
[Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.95r,2; text: Nete hyperboleon. 42 Paranete hyperboleon, ton et demy, et quart. 9 Trite hyperboleon, quarte et huitiesme de ton. 9 Nete diezeugmenon, quart et huitiesme de ton. 60. Tetracorde Chromatique d'autant et demi.] [PONSOL 06GF]
[Exemple de la Chromatique molle. in marg.] La cinquiesme est Chromatique molle, ayant ses deux bas interualles chacun de la tierce partie d'vn ton, notez 8: et le haut de Paranete hyperboleon à sa Nete, d'vn ton et demy, auec vn tiers nombré 44, pour auec deux fois 8, faire 60.
[-f.95v-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.95v,1; text: Nete hyperboleon. 44 Paranete hyperboleon, ton et demi, et tiers. 8 Trite hyperboleon, tiers de ton. 8 Nete diezeugmenon, tiers de ton. 60. Tetracorde Chromatique molle.] [PONSOL 07GF]
[Exemple de l'Enharmonique. in marg.] Et la sixiesme est l'Enharmonique, telle que ie vous ay monstrée: assauoir, composée de deux quars de ton en ses deux bas intervalles, que vous marqueriez 6: et deux tons au plus haut, noté 48, montant le tout à 60, pour accomplissement d'vn Tetracorde.
[Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.95v,2; text: Nete hyperboleon. 48 Paranete hyperboleon, deux tons. 6 Trite hyperboleon, quart de ton. 6 Nete diezeugmenon, quart de ton. 60. Tetracorde Enharmonique.] [PONSOL 07GF]
[La Chromatique d'autant et demy semble mal nommée. in marg.] Ainsi voyez-vous en ces six anciennes dispositions de sons diuers, les Tetracordes estre tousiours remplis d'vne mesme estendue par 60, mepartis diuersement. Ie n'ose pas (dict-elle) pour chef d'oeuure de mon aprentissage, blamer l'opinion d'Aristoxene: mais si me semble il que la Chromatique d'autant et demy est impertinemment surnommée: vù que les interualles ne sont aucunement rapportez en telle proportion: et meriteroit mieux ce nom la Chromatique entonnée, de laquelle le plus grand interualle contient [-f.96r-] les deux moindres et leur moitié: comme en 36, sont contenus 24, et 12: ou deuroit ainsi estre appellée la Chromatique molle, en laquelle les deux petis interualles se rapportent à vn ton entier, comme 16 à 24, en proportion d'autant et demy. Et la vaudroit mieux nommer d'autant et tiers, pource que les deux petis interualles sont ainsi proportionnez à vn ton, comme 18, à 24. Ie n'ay pas (luy respondy-ie) mis en auant ceste diuersité pour approuuée: mais seulement pour vous donner plaisir au recit de l'antique Musique. Aussi n'a rencontré l'opinion d'Aristoxene assez de faueur, pour demeurer authorisée de ceux qui luy ont succedé: qui, au contraire, l'ont combatue, par maintes raisons, peu necessaires de vous venir en cognoissance, vù que la recherche en est chere et difficile, et le fruit bien petit. Laquelle toutefois ie vous feray voir quand vous m'aurez commandé de recueillir en vn corps tout ce qu'on peut (si ma diligence y suffit) en ce temps rencontrer des membres espars de cest antique ouurage: comme les diuerses opinions sur le compartiment et entremutations des Systemes Diatoniques, Chromatiques, et Enharmoniques, par diuers Philosophes: qui, se confians en certaine proportion recherchée, et (osé ie dire) accommodée, ou supposée selon leurs volontez, sans aucune preuue ou tesmoignage d'experience, sont tombez en erreur. Et vrayement si l'vsage et l'execution eussent accompagné les desseins imaginez, ils eussent cogneu que la Musique ne reçoit fondement de sa verité, que par vn assemblé consentement des sens, et de la raison: et que difficile est le tesmoignage lequel l'humaine [-f.96v-] curiosité ne portera iamais par la voix, mais bien par la disposition des tuyaux de matiere solide, et cordes plus flexibles pour estre estendues ou laschées en ton aigu ou graue à la volonté de celuy qui les manie. Ie dy cecy, Pasithée, à fin que vous ne me soupçonniez negligent de vous obeir en ceste part. Mais puis que le sujet, lequel vous m'auiez donné pour employer ces heures, requiert presque autant d'actuelles demonstrations et preuue d'effect sensitif, qu'il a de propositions, en raison intellectuelle: i'ayme mieux m'exempter d'vn entretien malgracieusement entrerompu, à cause de sa diuersité, et me charger de vous escrire la science, en stile propre à telle intention. [Occasion nouuelle de continuer le Dialogue. in marg.] Ainsi que i'acheuois ce propos: là bas (me vint on dire) est vn gentilhomme qui vous demande: m'estant enquis, et ayant sceu que c'estoit le Curieux, car de ce nom ie veux masquer vn gentilhomme, mien parent, diligent amateur de toutes disciplines, i'auray (m'adressant à Pasithée) grand contentement de le voir: mais si me desplait-il beaucoup que sa venue me retire de vostre compagnie. En bonne foy (dict-elle) si vous n'auez quelques affaires ensemble de trop serieuse importance, vous me ferez plaisir de me commander ceans qu'on le prie d'entrer. Ce que ie fiz, Et elle continuant dict: A fin que ce banquet litteraire duquel il vous plaist me festoyer soit accomply du premier nombre requis aux festins anciens: I'enten de trois. Car tel nombre representant les Graces estoit le moindre, comme, neuf, representant les neuf Muses estoit le plus grand, pour remplir deüement vn festin gracieux. [-f.97r-] Il n'est besoin (luy respondy-ie) pour ce respect d'y adiouster personne, veu que vous souz le nom de l'vne non seulement representez, mais estes les trois graces: ou (si plus grand nombre vous plaist) pouuez seule suffire à iuste accroissement pour le nombre de neuf qui auez tous les dons des neuf Muses ensemble. Sur ce point le Curieux entra. Lors, Pasithée l'ayant receu: et apres quelques reciproques paroles gracieuses de l'vn à l'autre: le Curieux voyant la table empeschée de noz figures, i'auray pensé (dit-il) estre ce iour doublement heureux iouissant de compagnie tant loüable, et i'auray esté doublement ennuieux, empeschant importunement quelque vostre discours commancé: car ces figures Musiciennes font assez foy, de quel entretien vous-vous seruiez l'vn l'autre. Le Solitaire (respondit elle au Curieux, m'entreregardant) est tant coustumier d'employer les heures ausquelles il m'honore de sa visitation en paroles accompagnantes le profit du plaisir, qu'en la perte d'vne occasion, il me resteroit assez d'esperance d'y recouurer vne autrefois: Mais ce n'est de vostre part que ie puis perdre, Curieux, qui par le diuers estude auez aquis vne doctrine tant meslée, que, sur le plus friuole sujet, vous trouueriez vn grand argument de bien dire. Ie suis (luy respondit-il) assez cognoissant combien trop vostre parole est fauorable à mon merite: et me tien pour tres asseuré que le Solitaire n'espargne aucune partie de son esprit pour empescher que le temps ne vous dure: aussi l'objet de tant de rares graces desquelles vous estes accomplie, pourroit esmouuoir la plus muette solitude à deuenir [-f.97v-] diserte et acointable: mais permettrez-vous que souz ses paroles superfluës, me soit cachée l'intention de ceste assemblée d'outils? Ce sont (luy dy-ie) les petits ferremens auec lesquels Pasithée s'agence. Voilà (adiouta il) vne loüable façon de s'embellir: Et ie vous prie (souriant, et tenant le compas), à quel vsage cestuy? A la voix, respondit Pasithée. Ha, vrayement (repliqua-il) ie suis en admirable main, qui scet compasser les choses inuisibles. Vous trouueriez bien plus estrange (dit-elle) que les choses pures intellectuelles fussent en mesme espreuue: vù que la voix, plus que demy corporelle, vous tire en ebahissement. Ie voudrois que fussiez arriué vne heur plustost, à fin que le Solitaire vous eust fait voir souz le compas, la voix visiblement diuisée. I'enten bien (le Curieux reprenant la parole) que vous estiez aux termes de Musique: et suis marry de n'en auoir ouy l'opinion du Solitaire, auquel ie ne donneray la peine maintenant de redire, pour ne vous ennuyer tous deux, si est-ce que ie sçaurois volontiers, quelle mode de chanter luy est plus agreable. Vostre demande (luy respondy-ie) est telle que requiert le discours auquel ie m'aprestois alors que vous estes venu, si à propos, que vous mesmes nous aiderez à desmeler la confusion engendrée par tant de diuerses opinions, pour, si nous n'en rencontrons vne seure resolution, au moins donner le plaisir de la diuersité à Pasithée. Elle fit apporter vn siege au Curieux: et apres que nous fusmes assis, ie dis: [Des modes de chanter, selon les Anciens. in marg.] Auez-vous souuenance, Curieux, d'vn certain nombre de modes de chanter, auquel l'antiquité se soit arrestée? Il est (respondit-il) [-f.98r-] tout vulgaire entre les doctes, que les Anciens auoient en tres frequent vsage, la Dorienne, la Phrygienne et la Lydienne: desquelles la sourse ne doit estre attribuée qu'aux peuples d'où elles ont tiré le nom. Encores se trouuent vne Eolienne, et vne Iästienne, par lesquelles ils esmouuoient diuersement les escoutans. [La Dorienne. in marg.] Car la Dorienne (à l'opinion des vns) estoit propre aux religieuses deuotions: [La Phrygienne. in marg.] la Phrygienne, estoit guerriere: [La Lydienne. in marg.] la Lydienne, plaintiue: [L'Iästienne. in marg.] l'Iästienne, variable et fredonnée: [L'Eolienne. in marg.] l'Eolienne, simple. [Mixolydienne. in marg.] Depuis, à la Lydienne, par Saphon, fut adioustée vne Mixolydienne, ainsi nommée, pource qu'elle est entremelée à la Lydienne. Mais ie vous prie (dit Pasithée) faites moy entendre, que signifie tout cecy. Ie ne veux (respondit-il) descharger le Solitaire de son deuoir: et puis qu'à ce que i'enten, il s'en apprestoit, le prie de poursuiure ce qu'il auoit deliberé vous en dire. [Quatre Modes premierement vsitées entre les Anciens. in marg.] Apres vn commandement de Pasithée: les plus Antiques vrayement, (dy-ie chantoient ou à la Dorienne, ou à la Phrygienne, ou à la Lydienne Mode: accommodant les basses voix à la Dorienne, les moyennes à la Phrygienne, et à la Lydienne les hautes et aiguës: ausquelles (ainsi qu'a dit le Curieux) fut, par la Lesbienne Saphon; adioutée vne Mixolydienne, en faueur du nombre accomply des quatre Tetracordes. [Du mot Mode: entre les Grecs [trope], ou [tropos]. in marg.] Quant à ce mot Mode, il est en mesme vsage entre les Latins, soit pour maniere, façon, ou autre telle signification, qu'il est dés longtemps receu en nostre langue, combien que les Musiciens vulgaires d'auiourd'huy (ie le dy sans pique) souz assez friuole raison, appellent ceste diuersité [-f.98v-] de chanter, Ton, ou premier, ou second, iusques à huit: desquels auant que rien dire, ie ne veux oublier les proprietez des quatre Modes premiers. [Dorienne. in marg.] La Dorienne, plus graue et pesante, emporta quelque temps la faueur entiere de tous: et ce, lors que les hommes plus simples (et possible meilleurs) n'approuuoient aucunement les obscures subtilitez: mais sans feintise tenoient tout en euidente et pure simplicité, à quoy la Dorienne estoit tres propre, pour sa constante grauité, continuée dedans le Diapason de Lichanos hypaton à Nete synemmenon, ou Paranete diezeugmenon. Depuis que la facile humanité rendit les hommes plus accointables et gracieux, vindrent en cours les autres, selon les diuerses affections: [Phrygienne. in marg.] car la Phrygienne, propre à l'irritation de la colere des plus seueres discrets, continuant ses sons au Diapason, depuis Hypate meson iusques à Nete diezeugmenon, fut vsitée des vns: pendant que les autres esmouuoient les pleintes et lamentations par la Lydienne, [Lydienne. in marg.] continuée au Diapason de Parhypate meson à Trite hyperboleon: [Mixolydienne. in marg.] ou les autres, plus estrangement, à la Mixolydienne esmouuoient et appaisoient les passions, en la variation du Diapason de Lichanos meson à Paranete hyperboleon. [Trois Modes adioustées à ces quatre. in marg.] Celà ne suffit au desir des Musiciens, qui adiousterent à ces quatre Modes, trois, surnommées comme les autres: [[hypo], dessouz. in marg.] excepté [hypo], qu'ils accouplerent: assauoir à la Dorienne, Hypodorienne (nous dirions Sousdorienne, et ainsi des autres) à la Phrygienne, Hypophrygienne, et à la Lydienne, Hypolydienne. Tellement que la disposition de ces Modes de chanter, estoit conduite selon l'ordre des sortes de Diapason, [-f.99r-] contenant la Sousdorienne, [Sousdorienne I. in marg.] le Diapason de Proslambanomene à Mese: [Sousphrygienne II. in marg.] la Sousphrygienne, le Diapason de Hypate hypaton à Paramese: [Souslydienne III. in marg.] la Souslydienne, le Diapason de Parhypate hypaton à Trite diezeugmenon: [Dorienne IIII. in marg.] la Dorienne, de Lichanos hypaton à Paranete diezeugmenon, ou Nete synemmenon: [Phrygienne V. in marg.] la Phrygienne, depuis Hypate meson iusques à Nete diezeugmenon: [Lydienne VI. in marg.] la Lydienne, s'estendant au Diapason de Parhypate meson à Trite hyperboleon: [Mixolydienne VII. in marg.] et la Mixolydienne, de Lichanos meson à Paranete hyperboleon. Cestes sont les sept Modes qui comprennent toutes les varietez de chanter, à cause de leur contraire disposition, qui par vne secrete energie, esmeut contraires passions. [Des sept Modes, quatre principales, et trois suietes. in marg.] Aussi de ces sept, les quatre dessus sont nommées de ceux qui les ont escrites, Autente, et les trois dessouz, Collaterales, ou Plagij. Mais ie ne veux m'abuser aux mots estrangers: et les vous nommeray en nostre langue, quatre principales, et trois sujettes. Ie vous ay dit (m'adressant à Pasithée) que la disposition d'vn harmonieux et parfait Diapason, est quand le Diapenté tient le lieu bas, et le Diatessaron le haut: au contraire, le moins parfait se conduit par vn Diatessaron en bas, et vn Diapenté en haut: de l'exemple facile la repetition seroit ennuyeuse, et suffit que ie vous die que de ces deux diuerses dispositions sont nées les Modes diuerses: [Maniere de discerner la suiete de la principale mode. Sousdorienne. in marg.] pour preuue de quoy recherchons d'où procede la Sousdorienne. Nul pourroit nier, oyant ce nom, que ce ne soit de la Dorienne. Donq, trouuant Lichanos hypaton estre la premiere corde Dorienne, i'adiouste souz elle vn Diatessaron iusques à Proslambanomene [-f.99v-] (car plus ne puy-ie, puis que le Systeme ne s'estend plus bas) et emprunte son Diapenté, à fin que de Diatessaron et Diapenté naisse vn Diapason à la Mode Sousdorienne, depuis Proslambanomene iusques à Lichanos hypaton, en Diatessaron: et depuis Lichanos hypaton iusques à Mese, en Diapenté, qui est le Diapenté de la Dorienne. [Pour trouuer la Sousphrygienne. in marg.] Autant en fay-ie pour former la Sousphrygienne, adioustant souz la Phrygienne, qui commance à Hypate meson, vn Diatessaron contre Hypate hypaton, puis que la Sousdorienne m'empesche de descendre plus bas: et emprunte de la Phrygienne son Diapenté, depuis Hypate meson iusques à Paramese, demeurant le Diapason à la Mode Sousphrygienne, depuis Hypate hypaton iusques à Paramese, en disposition de Diatessaron en bas, et Diapenté en haut. [Invention de la Souslydienne. in marg.] Ce qui se trouue semblablement obserué en l'inuention de la Souslydienne: car adioustant dessouz la Lydienne, qui commance à Parhypate meson, vn Diatessaron en bas (ne pouuant, sans entreprendre sur la Sousphrygienne, le baisser dauantage) contre Parhypate hypaton: et luy accommodant en haut, le Diapenté de la Lydienne, depuis Parhypate meson iusques à Trite diezeugmenon, ie trouue à la Souslydienne le Diapason d'vn Diatessaron en bas, et d'vn Diapenté en haut. Ainsi voyez vous les trois dessous estre sujettes à celles de dessus: et moins parfaites, d'autant que les principales sont accomplies en Diapason, bien ordonné de son Diapenté bas, et Diatessaron haut: qui pourroit me mouuoir de les nommer trois moins parfaites, et quatre parfaites: ioint [-f.100r-] que le parfait Diapason est en mespartement Harmoniq, et le moins parfaict en Arithmetiq, desquels ie vous ay desià dit la difference. [Disposition des consonances et puissances des Modes. in marg.] Reste à noter que les sujettes ou moins parfaites, sont proprement les principales ou parfaites renuersées: c'est à dire, que leurs consonances transposées, sont engendrées de mesme disposition d'interualles: car le Diatessaron de la Dorienne, et celuy de la Sousdorienne, sont de la premiere espece de Diatessaron, d'vn ton, d'vn demy ton petit, et d'vn ton. Le Diapenté de l'vne, est le Diapenté de l'autre: et ainsi de toutes, comme vous pouuez facilement comprendre. Aussi sont opposez les effects de leur puissance: car la passion esmeuë, par la principale, est appaisée par la sujette, et au contraire, l'emotion de la sujette s'esteint par sa principale. Vous deuez (dit Pasithée) excepter la Mixolydienne, à laquelle vous n'auez point opposé de Sousmixolydienne. [Pourquoy il n'y auoit point de Sousmixolydienne. in marg.] L'on ne pourroit (respondy-ie) dessous la Mixolydienne aquerir vn Diatessaron (selon l'opinion apparente de quelques-uns, non advoüez de tous: vù que croissant le nombre des Modes, ceste y fut adioustée) sans emprunter le premier Tetracorde de la Dorienne: vù que Lichanos meson, premiere corde de la Mixolydienne, est rapporté en Diatessaron contre bas à Lichanos hypaton, qui est la premiere corde de la Dorienne: tellement que ceste quarte empruntée dessouz la Mixolydienne, n'engendreroit aucune difference à la Dorienne, que par l'eschange de la corde mépartissante en l'vn ou l'autre mépartement: mais ce seroient tousiours mesmes sons et mesmes cordes. [-f.100v-] [Surmixolydienne adioustée aux sept precedentes par Ptolemée. in marg.] Si voy-ie (repliqua-elle) encores vne impertinence: car ces sept Modes ne s'estendent assez entierement pour employer le parfait et immuable Systeme de quinze cordes. Qu'ainsi soit, la Sousdorienne commence à Proslambanomene, et la Mixolydienne finit à Paranete hyperboleon, doit donq Nete hyperboleon demeurer inutile? [[hyper], dessus. in marg.] Ptolemée s'en apperceut (respondy-ie) et pour y donner ordre, adiouta sur la Mixolydienne, vne mode Hypermixolydienne, c'est à dire Surmixolydienne, contenant le Diapason de Mese à Nete hyperboleon: du tout semblable à la Sousdorienne: comme vous sçauez le Diapason de Proslambanomene à Mese, estre tout egal à celuy de Mese contre Nete hyperboleon. Elle est donq (dit-elle) du nombre des moins parfaites, ou sujettes, puis qu'elle est semblable à la Sousdorienne. [Ressemblance de deux Modes coniointes. in marg.] La principale qualité (adioustay-ie) requise à la composition de la sujette luy defaut. Avez-vous point noté que la sujette doit auoir son Diatessaron de mesme espece que sa Mode coniointe? Pour exemple, voicy à la Dorienne coniointe la Sousdorienne, de laquelle le Diatessaron est vn ton de Proslambanomene à Hypate hypaton, vn demy ton petit de Hypate hypaton à Parhypate hypaton, et vn ton de Parhypate hypaton à Lichanos hypaton, où commence la Dorienne: de laquelle le Diatessaron est depuis Mese iusques à Paranete diezeugmenon, coulé par l'ordre d'vn ton, vn demy ton, et vn ton: chose laquelle vous trouuerez obseruée aux autres Modes. Ou, autrement, notez que de deux Modes coniointes, les deux bas Tetracordes doiuent estre semblables, [-f.101r-] comme il appert en toutes, continuant, la Lydienne en disposition du Tetracorde Synemmenon: combien que de ceste-cy semble naitre vne autre Mode, depuis nommée Iönienne, plus vsitée auiourd'huy. Euident donq est le defaut de ceste qualité à la Surmixolydienne, coniointe à la Phrygienne: de laquelle le Tetracorde bas est d'vn demy ton, et deux tons suiuans, et celui de la Surmixolydienne est d'vn demy ton, entre deux tons. Ie voy bien (dit-elle) que le Tetracorde de la Phrygienne est de la seconde espece de Diatessaron, et celuy de la Surmixolydienne est de la premiere: mais si vous la disposez selon le Tetracorde Synemmenon, vous les recognoistrez semblables, par ainsi demeurera sans effect vostre reigle. Ce doute (respondy-ie) est assez subtil: la solution toutesfois en est facile, s'il vous souuient que la disposition du parfait et immuable Systeme, ne permet pas qu'il y ait quelque difference entre le Diapason de Proslambanomene à Mese, et celui de Mese à Nete hyperboleon: autrement l'inconuenient seroit contre vne infallible proposition de Musique, asseurant que deux consonances sont en tout semblables, quand elles n'ont qu'vne corde commune: [Reigle vielle de Musique. in marg.] ce qui se treuue vray en cest endroit: car le Diapason des basses n'a rien de commun auec celuy des hautes, excepté Mese, qui acheue, comme plus haute, le premier Diapason, et commence, comme plus basse, le second Disdiapason ou parfait Systeme, composé de sept cordes immuables, et huit muables: [Des quinze cordes, sept sont immuables, et huit muables. in marg.] assauoir les sept immuables, Proslambanomene, Hypate hypaton, Hypate meson, [-f.101v-] Mese, Paramese, Nete diezeugmenon, et Nete hyperboleon: [Les sept immuables, et pourquoy elles sont telles. in marg.] ainsi surnommées pource que Diatoniquement, Chromatiquement, et Enharmoniquement, elles tiennent tousiours mesme longueur, comme ie vous ay monstré, Pasithée, en la disposition diuerse de ces sortes de Musique, où vous auez semblablement cogneu les huit muables, Parhypate hypaton, Lichanos hypaton, Parhypate meson, Lichanos meson, Trite diezeugmenon, Paranete diezeugmenon, Trite hyperboleon, et Paranete hyperboleon: [Les huit muables, et la raison de tel nom. in marg.] ainsi dites, pource qu'elles ne sont semblables en la Diatonique, Chromatique, et Enharmonique: car les quatre tierces, assauoir Lichanos et Paranetes, se changent Chromatiquement, et toutes huit, Enharmoniquement. Ores, pource que vous auez assez bon oeil à discerner comme ces Modes sont eslongnées l'vne de l'autre en haut ou en bas, et combien chacune d'elles retient de cordes muables et immuables, ie serois superflus et ennuyeux, d'estendre plus loing ce propos: d'où vous recueillirez ces huit Modes de si long temps vsitées, et encores auiourd'huy retenues souz la vulgaire appellation de ton premier, second, et ainsi consequemment par ordre iusques à huit, mais non pas selon l'ordre que i'ay conduit: [Les huit Modes antiques accommodées aux huit Tons des Musiciens de ce temps. in marg.] car (disent les modernes Musiciens) de huit Tons, quatre sont de nombre imper, assauoir, le premier, le tiers, le quint, et le septiesme: et quatre de nombre per, le second, le quart, le sixiesme, et le huitiesme. Les impers sont principaux: et les pers sont suiets, ou colateraux: et ainsi ordonnent ils que nostre Dorienne soit leur premier, [-f.102r-] nostre Sousdorienne, leur second: leur tiers, nostre Phrygienne: et nostre Sousphrygienne leur quart: et ainsi des autres iusques à la Surmixolydienne, qu'ils forment en Sousmixolydienne, toute semblable à la Dorienne, leur premier: excepté que le premier s'escoule en son Diapason, méparty Harmoniquement, et le dernier se mépart Arithmetiquement.
[Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.102r; text: Nete hyperboleon, Aa, la, mi, re. Paranete Hyperboleon, g, sol, re, vt. Trite hyperboleon, f, fa, vt. Nete diezeugmenon, e, la, mi. Paranete diezeugmenon, d, la, sol, re. Trite diezeugmenon, c, sol, fa, vt. Paramese, [sqb], mi, de b, fa, [sqb], mi. Mese, a, la, mi, re. Lichanos meson, G, sol, re, vt. Parhypate meson, F, fa, vt. Hypate meson, E, la, mi. Lichanos hypaton, D, sol, re. Parhypate hypaton, C, fa, vt. Hypate hypaton, [sqb], mi. Proslambanomene, A, re. Mixolydienne. 7, Lydienne. 5, Phrygienne. 3, Dorienne. 1, Souslydienne. 6, Sousphrygienne. 4, Sousdorienne. 2, Surmixolydienne, ou Sousmixolydienne, selon le divers mépartement. 8] [PONSOL 07GF]
[-f.102v-] [Estranges effects de puissance de Musique. in marg.] Si les histoires (dit lors le Curieux) doiuent trouuer entre nous quelque credulité: de la diuersité de ces modes de chanter sont sortis plus de miracles que d'aucunes autres humaines actions. [Maniere d'Egiste pour iouyr de Clitemnestre. in marg.] Quelle force auoit la Dorienne, par laquelle Clitemnestre estoit conseruée pudique souz le chant d'vn Musicien, laissé aupres d'elle, à cest effect par Agamennon allant au siege de Troye? demeura-elle pas constante contre les lasciues importunitez d'Egiste, qui n'emporta d'elle l'auantage amoureux, iusques à ce que le malicieux l'eust priuée de ce parfaict Musicien? [D'vn ieune Taurominitein. in marg.] Moindre efficace n'auoit la Phrygienne, par laquelle vn ieune Taurominitein fut irrité, et mis en tant extreme colere, que, plus que transporté, à feu et glaiues, il vouloit forcer vne maison voisine, en laquelle la ieune fille, qui luy poingnoit le coeur en quelque endroit, faisoit part de soy à vn sien fauorit: quand par le conseil de Pythagore, vn Musicien le remit en son sens, et luy esteingnit si furieuse violence moyennant la Sousphygienne mode. Empedocle vsa de ce moyen pour appaiser la colere d'vn ieune homme qui poursuiuoit son hoste l'espée nuë au poing pour le tuer. Mesme espreuue de ces deux chants Phrygiens et Sousphrygiens fit Timothée, irritant par vn chant Phrygien, Alexandre estant à Table, iusques à courir aux armes: [D'Alexandre et de Timothée. in marg.] et soudain par vn Sousphrygien, le reduisant calme et tranquille d'esprit. [Aristote approuue la Lydienne. in marg.] Combien la Lydienne estoit puissante, tesmoigneroit Aristote, qui l'aduouë, comme accommodable à la doctrine et à l'ornement, et la permet aux ieunes gens ainsi que les autres (chacune [-f.103r-] douée d'vne secrette puissance) estoient par Theophraste, Thales, Asclepiade, Xenocrate, Iërophile et cent autres, employées à la guerison des perturbations d'esprit, et des corporelles maladies. [Puissances de Musique, estendues sur le corps et sur les esprits. in marg.] Somme, la Musique est maistresse souueraine, à consoler vn dueil, à rapaiser vne ire, refreindre vne audace, temperer vn desir, guerir vne douleur, soulager vn ennuy de misere, conforter vne langueur, et adoucir vne amoureuse peine. Vous pourriez faire conte (Pasithee luy prenant la parolle) d'vn grand nombre d'anciennes histoires sur ce sujet: mais mal-aisément en rencontrerez-vous vne de plus viue preuue qu'est celle qui dernierement nous fut racontee, à ce mesme propos, par Monsieur de Vintimille [Iacques des contes de Vintimille. in marg.] (duquel la frequente memoire vostre, Solitaire, descouure assez combien vous est chere son amitié) qui seiournant à Milan, et n'espargnant, suiuant son naturel diligent en toute vertu, la peine de cognoistre ce qui meritoit d'estre vù, fut appellé (comme tel personnage ne peut demeurer obscur, en lieu qu'il soit) à vn festin somptueux et magnifique, fait en faueur d'vne plus illustre compagnie de la cité, et en maison de mesme estofe: [Effect de mesme puissance aduenu en nostre temps. in marg.] ou entre autres plaisirs de rares choses assemblées pour le contentement de ces personnes choisies, se rencontra Francesco dy Milan, [Francesco dy Milan. in marg.] homme que l'on tient auoir ateint le but (s'il se peut) de la perfection à bien toucher vn Lut. Les tables leuées il en prent vn, et comme pour tater les accors, se met pres d'vn bout de la table à rechercher vne fantaisie. Il n'eut esmeu l'air de trois pinçades qu'il romt les discours commancez entre les vns [-f.103v-] et les autres fetiés, et les ayant contraint tourner visage, la part où il estoit, continue auec si rauissante industrie, que peu à peu, faisant par vne sienne diuine façon de toucher, mourir les cordes souz ses dois, il transporte tous ceux qui l'escoutoient, en vne si gracieuse melancolie, qu l'vn, appuyant sa teste en la main soustenue du coude: l'autre, estendu lachement en vne incurieuse contenance de ses membres: qui, d'vne bouche entr'ouuerte et des yeux plus qu'à demy desclos, se cloüant (eust-on iugé) aux cordes, et qui d'vn menton tombé sur sa poitrine, desguisant son visage de la plus triste taciturnité qu'on vit onques, demeuroient priuez de tout sentiment, ormis de l'ouye, comme si l'ame, ayant abandonné tous les sieges sensitifs, se fust retirée au bord des oreilles pour iouir plus à son aise de si rauissante symphonie: et croy (disoit Monsieur de Vintimille) qu'encor y fussions nous, si luy mesmes, ne scay-ie comment se rauissant, n'eust resuscité les cordes, et de peu à peu enuigourant d'vne douce force son jeu, nous eust remis l'ame et les sentimens, au lieu d'où il les auoit desrobez: non sans laisser autant d'estonnement à chacun de nous, que si nous fussions releuez d'vn transport ectastiq de quelque diuine fureur. Telle puissance (adioutay-ie) est tres certaine, et pourrois moy-mesme porter tesmoignage de pareil accident. Ouy en bonne foy (dit Pasithée, s'adressant au Curieux) car hier-soir à ma requeste ayant sur ce Lut sonné vne sienne Ode finissante par Epode remplie de quelques passions, il deuint si melancolique, que i'en pris pitié. Celà (repliqua le Curieux) ne preuue pas la puissance [-f.104r-] de Musique, ny l'efficace de son jeu, quand il ne passionne que soy-mesme. Curieux (dy-ie) vous touchez le point d'où ie me dueils, et descouurez mon imperfection: toutesfois Pasithée, autant esleuée hors des affections, comme ie suis passionnaire, peut si diligemment preuoir à telles violences, que l'Aspic, mieux qu'elle ne sçait clorre l'ouye. Vous me faites (repliqua elle) de plus austere naturel que ie ne suis: car i'ay confessé que vous esmeutes en moy la pitié. C'est (repris-ie) trop peu d'aide qu'vne pitié legere. Si n'ay-ie occasion (dit-elle) de m'aduancer plus outre, ignorant l'endroit de vostre mal, et le remede desiré. Que fust (adioutay-ie) la santé aussi preste, que la maladie est cogneuë. De quelque sorte que le mal soit (respondit-elle) i'en doy estre pitoyable, mais tel remede pourroit estre requis, qu'il demeureroit à faute de mon aide à iamais incurable. Et vrayement, Solitaire, ie croy ceste melancolie vous estre tant naturelle que vous ne pourriez en guerir, sans mourir. Bien luy est elle naturelle (dit le Curieux) mais si le sen-ie d'assez traitable complexion, pour se laisser manier au contentement. En bonne foy (repliqua Pasithée, souriant au Curieux) si nous le voulons croire il nous rendra aussi tristes qu'il est: mais, Solitaire (tournée à moy) dites nous quel tesmoignage vous auiez à mettre en auant de l'efficace Musical. Que maintefois (respondy-ie) vostre voix, accommodée au son de vostre Harpe, ou Espinette, m'a transporté. Ha ha, Solitaire (dict-elle, m'empeschant de poursuiure) vous voulez auoir vostre reuanche: et bien, possible me prierez-vous d'en [-f.104v-] toucher, que vous serez esconduit. Vous plait-il (rechargea le Curieux) que pour luy donner vn peu loisir de refroidir son desir de vengeance, ie vous allegue vne estrange puissance de Musique? Luy estant permis: [Effets de la Musique militaire. in marg.] Quelle émotion de courage (continua-il) faict le bruit des trompettes, fiffres, et tabourins? Iugez vous point que gentille et braue a esté la conception de ceux qui ont inuenté vne mode d'agaillardir les soudars au son d'vne fanfare: de les enhardir, en sonnant vn alarme: de les rendre forts en encouragez au long combat, par vne autre continuation de sons trenchans: de les faire sagement retourner souz l'Enseigne, à l'ouye d'vne retraite? Et ce, selon le naturel des nations diuerses? L'Allement, le Lansquenet, le Souïsse, le Hongre, le Turq, chacun à sa mode, bat le tabourin, fredonne son fifre, embouche sa flute, sonne de sa trompette, bruit de sa trompe, de son corps ou autre instrument belliqueux. Le François, l'Espagnol, l'Italien, l'Anglois, s'esmeuuent à diuerses façons: [Les Cretes. in marg.] les Cretes auant que venir au combat, s'esmouuoient au son de la Harpe: [Les Lacedemoniens. in marg.] les Lacedemoniens (qui iamais ne combatoient auant qu'auoir sacrifié aux Muses) vsoient de flutes: [Les Amazones. in marg.] et les Amazones de hautbois à la guerre: Tellement que selon le Climat, la nation, et la complexion, la Mode de Musique reçoit son efficace. [Les Laboureurs. in marg.] Le laboureur, d'vne chanson rustique pousse ses beufs, et rend sa peine plus aisée. [Pourquoy au chant les petis enfans cessent les pleurs. in marg.] Le petit enfant pleurant au berceau, s'appaise au chant de sa nourrice ou à quelque autre son: commençant d'employer la naturelle consideration à admirer si [-f.105r-] grande perfection, et (s'esmouuant à recueillir tout en vn, les puissances de son ame, logée encores en vn corps imparfait) deseiche, par la chaleur causée du mouuement, vne partie de l'humidité superfluë et coulante par les yeux, et repousse l'autre iusques au cerveau, l'induisant à dormir. [Les animaux passionnables de Musique. in marg.] Les Elefans, les Cheuaux, les Cerfs, les oiseaux, et les Serpens sont passionnables de Musique, voire les poissons, s'il est vray ce que l'on escrit d'vn lac d'Alexandrie. [Sciatiques gueries par la Musique. in marg.] Mais entre les estranges effets, ne doit point estre rangé le remede contre les maladies dangereuses des Lesbiens et Iöniens, donné par le chant de Terpandre, Arion Methimnée, et Hismenias Thebain, à plusieurs Beociens trauaillez d'vne douloreuse Sciatique? [Morsures de Tarantoles, ou Phalanges, et le remede Musical? in marg.] I'ay souuenance d'auoir vù en maints lieux d'Italie, des Phalanges (petite espece d'araignés) nommées entre eux Tarantola, si dangereuses, que mal pour celuy qui en est piqué, principalement en la Pouille, où ie me suis rencontré quelquefois, à voir la diuerse misere qu'engendre la pointure de si petit animal: Les vns rient incessamment, les autres pleurent, les autres chantent, les autres dorment, les autres sont affligez d'vn veiller perpetuel, d'vne Phrenesie, d'vne manie lymphatiaque, au moins de semblables aiguës passions, toutes diuerses (croy-ie) pour la difference du venin de l'vne à l'autre Tarantole, ou pour la diuersité de la complexion des piquez, ou des differentes affections par eux imaginées à l'heure de la piqueure. De remede, il n'en est nouuelle que d'vn souuerain, duquel la preuue veuë, mal-aisément vous permetroit de contenir le rire: car, aupres du malade l'on fait venir vn ioueur de [-f.105v-] Lut, de Lyre, ou autre harmonieux instrument, à l'ouye duquel, soudain, le languissant perd sa grande douleur, et commance ou à se reueiller, s'il est endormy, ou s'il veille, à dancer: et de peu à peu reprenant le sens, est remis en son premier naturel. [Aristote. in marg.] Et certes en cecy se trouue approuué le Probleme d'Aristote, soutenant que de tout ce dont les sens sont passibles, rien n'a pouuoir sur les moeurs, que ce qui, par l'ouye, paruient à l'entendement. [Ce qui vient à l'entendement pas l'ouye change les moeurs, et si la vuë a mesme efficace. in marg.] Ie voudroy (repliquay-ie) soustenir, par preuue manifeste, que la vuë fait souffrir aux moeurs autant de mutation que l'ouye. Lors Pasithée, vous en parlez, possible, comme n'ayant iamais rencontré obiet, duquel la voix fut de plus viue force que les parties visibles: [Force de la voix. in marg.] si ne pouuez-vous, toutefois, nier que la voix ne soit de plus puissante energie que la vuë: vù que la voix penetre les corps plus solides, epaiz, et opaques, comme murailles, et autres semblables entredeux: et la vuë ne peut seulement outrepasser ce chassi de papier. La raison de celà (adioustay-ie) est, non tant en la debilité de la vuë, qu'en ce que sa vertu ne peut estre portée à l'objet que par vne ligne droite: laquelle l'epesseur d'vn corps, entre la vuë et l'objet, ne permet d'estre continuée. [Que c'est que voix. in marg.] Quant à la voix (qui, à vrayement la descrire, est vn air esmeu de l'esprit poussé hors de la bouche, portant la conception de l'entendement) elle est guidée en toute ligne et droite et courbe: voire plustost en mouuement rond. Parquoy elle cherche les pores, les spirals, et ouuertures, tant petites soient elles, des corps plus espaiz, pour, tant qu'elle peut, poursuiure ce mouuement de [-f.106r-] l'air continu: mais si l'air souffre solution de sa continuité (parlant ainsi bon langage) par l'epesseur d'vn corps, le mouuement de l'air finy, finira semblablement la voix. Sçauez-vous pas que la vuë penetre bien dans l'eau, soit de droite ligne, ou renuersée, et la voix non? Si vous n'y prenez garde (me dit le Curieux) vous serez compagnon des contr'Aristoteliens. Rien moins (respondy-ie) car ie l'admire, et me plait sa doctrine, mesmes ce que ie vien de dire est à peu pres tout emprunté de luy. Soit ainsi, dit Pasithée: mais si auez vous faict tort à voz affections (si estes, comme vous dites, affectionné) asseant en la beauté visible plus de force sur vous, qu'en celle de la voix, compagne de l'esprit: ou en bien froide reputation vous est l'obiet, duquel les couleurs, trais, ou lineamens, vous arrestent plus que l'intellectuelle puissance d'vn entendement, faisant par la voix, monstre de son merite. I'ay dit, Pasithée (reprin-ie) que la vuë fait souffrir aux moeurs plus de mutation que l'ouye: et n'ay failly: si c'est mutation de moeurs que de ioyeux, deuenir triste, et de compagnable, solitaire: si c'est mutation, que changer vne liberté, ou asseurance calme, en Amour naissant ordinairement par les yeux: ou en jalousie, procedant communément par la vuë, et par icelle (plustost que par l'ouye) se formant en caractere certain et asseuré. Vous-vous eslongnez de nostre Musique (dict Pasithée) et faictes que le Curieux ne continue les gentiles remarques sur la puissance musicienne. Ie voudrois (dit-il) ou du taire, ou du parler, pouuoir acheter quelque tranquillité au Solitaire: qui, [-f.106v-] pour exhaler sa melancolie en la gaye Musique, doit reprendre sa charge, et poursuiure le discours des Modes de chanter, desquelles le nombre (si i'ay bonne memoire des choses luës) excede ces huit dont il nous a parlé: [Autres Modes, outre les huit precedentes. in marg.]. car i'ay leu, vne Eolienne, Iästienne, Iönienne, Sureolienne, Suriästienne, Suriönienne, Souseolienne, Sousiästienne, et autres semblables noms, desquels les bons Autheurs font frequente mention. [Henry Glarean. in marg.] Ces noms (respondy-ie) ont trauaillé beaucoup de doctes hommes assez vainement: iusques à ce, que Henry Glarean, amateur et cognoissant de toutes disciplines, par vne loüable opiniastrise de vingt ans, y despendus laborieusement, a defait (à mon aduis) ce neu, s'il le peut estre: combien qu'à si fascheuse entreprise, il ait eu peu d'aide des Latins: [Franchin Gaphurien. in marg.] entre lesquels l'vnique moderne, Franchin (auquel ie doy, apres Boëce, le plus en ceste discipline) ne le contente sur ce point: en esclarcissement duquel, et pour satisfaire autant à vous, Curieux, qu'à Pasithée, laquelle ie prie ne s'ennuyer de ceste redite, notez qu'vn Diapason peut estre diuisé en deux sortes: assauoir Arithmetiquement, faisant Diatessaron en bas, et Diapenté en haut: et Harmoniquement, faisant Diapenté en bas, et Diatessaron en haut. Ores, si selon ces deux diuisions, vous voulez autant de fois que faire se peut, conioindre ces deux moindres consonances, il s'en monstrera vingt et quatre compositions de Diapason: [Vingt et quatre compositions de Diapason. in marg.] car bien que Diatessaron ne soit diuersifié qu'en trois manieres, si est-il repeté douze fois dans le parfaict et immuable Systeme, comme ie vous ay dit, Pasithée: ioint que telle repetition [-f.107r-] est necessaire, pour ioindre ces trois especes à chacune des quatre manieres de Diapenté. [Douze compositions de Diapason Harmoniq. in marg.] Tellement que si dessus chacune de ces especes, ou manieres de Diapenté, vous adioutez les trois de Diatessaron, trois, multipliez par quatre, feront douze formes de Diapason, en mépartement Harmoniq, pource que Diapenté est dessouz: [Douze compositions de Diapason Arithmetiq. in marg.] Et si vous adioutez dessouz chacune de ces quatre especes de Diapenté, les trois de Diatessaron, de mesme multiplication naistront douze formes de Diapason, composé Arithmetiquement, pource que Diatessaron est dessous. Pourquoi donq (demanda Pasithée) auiez-vous dit qu'il n'y a que sept especes de Diapason? [Que nonobstant ces 24. compositions, il n'y a que sept especes de Diapason. in marg.] Ie respondis: Encores ne suis-ie pour m'en desdire: car bien que par l'assemblement de ces deux consonances l'on en forme vingt et quatre, toutefois le genre de Musique Diatonique n'en reçoit que douze, et reiette les autres: ou, pource que leur disposition continue quatre ou cinq tons suiuans, sans estre emmellez de demy ton: ou, pource qu'ils n'ont qu'vn ton entre deux demy tons, ou bien qu'ils ont deux demy tons l'vn ioingnant à l'autre, conditions toutes impertinentes à la Diatonique. Donq il ne reste que douze formes: qui sont neantmoins reduites en sept especes de Diapason: ou, pour le dire plus clerement, les sept especes de Diapason, peuuent receuoir douze formes. Ie ne sçay (repliqua Pasithée) quelle difference vous faites entre forme et espece. [Difference entre forme et espece de Diapason. in marg.] I'appelle espece (respondy-ie) celle diuersité, qui procede à cause de la differente disposition des demy tons: et la forme vient seulement, à cause de la diuerse situation des consonances [-f.107v-] Diapenté et Diatessaron. Ie le vous descouure par cest exemple: La premiere espece de Diapason est de Proslambanomene à Mese, poursuiuie par cinq tons disposez au premier, troisiesme, quatriesme, sixiesme, et septiesme, et deux demy tons petits, aux second et cinquiesme interualles. La seconde est dissemblable à la premiere, pource que ces deux demy tons sont disposez aux premier et quatriesme interualles. Cecy vous est trop cogneu pour estre repeté plus diligemment. Mais la difference des formes de Diapason est telle: Imaginez que la premiere forme soit de Proslambanomene à Mese, composée d'vn Diatessaron de Proslambanomene à Lichanos hypaton, et d'vn Diapenté de Lichanos hypaton à Mese, par mépartement Arithmetiq. La seconde sera semblablement de Proslambanomene à Mese, mais en mépartement Harmoniq, montant d'vn Diapenté, depuis Proslambanomene à Hypate meson, et d'vn Diatessaron, de Hypate meson à Mese. Voyez-vous pas que la premiere espece de Diapason reçoit deux formes? Evidemment, dit elle. [Deux especes de Diapason non transformables. in marg.] Mais toutes les autres especes sont elles ainsi transformables? I'en excepte deux, luy respondy-ie, assauoir la seconde, qui ne peut estre formée Harmoniquement: pource que depuis Hypate hypaton iusques à Parhypate meson, (qui deuroit estre Diapenté pour composer vn Diapason Harmonique) il n'y a que Demidiapenté, de deux tons et demy tons: et depuis Parhypate meson iusques à Paramese (qui deuroit seulement sonner Diatessaron, de deux tons et vn demy) il y a ce que i'ay nommé Triton, c'est à [-f.108r-] dire trois tons entiers. Parquoy ceste seconde espece ne reçoit pas deux formes, non plus que la sixiesme, qui, diuisée Arithmetiquement, souffriroit (bien que transposée) mesme imperfection, de trois tons, en bas, pour Diatessaron, et en haut de deux tons, et deux demy tons seulement, pour le Diapenté: comme il appert depuis Parhypate meson iusques à Trite hyperboleon. I'enten bien maintenant (dit-elle) que de cinq especes trans-formables, et des deux autres naissent douze formes de Diapason: et m'est euident que ces douze formes sont reduites en sept especes: mais à quoy tend ceste diuision? Pour vous monstrer (adioutay-ie) que tout ainsi que des sept especes de Diapason tirent leur sourse les sept anciennes Modes de chanter: aussi des douze formes les Modes ont esté augmentées iusques à mesme nombre. [Douze Modes de chanter, tirées de douze formes de Diapason. in marg.] I'ordonne donq les douze formes de telle sorte que la premiere espece de Diapason, disposée en mépartement Arithmetiq (Mode Sousdorienne entre les Anciens) soit la premiere forme: et celle mesme espece disposée Harmoniquement, soit la seconde forme: et la tierce, de la seconde espece (Mode Sousphrygienne) qui n'est point transformable. Les quatriesme et cinquiesme formes sont de la troisiesme espece, (anciennement vsitée en la Souslydienne) disposée Arithmetiquement pour la quatriesme, et Harmoniquement pour la cinquiesme: et ainsi des autres trans-formables, accommodant chacune espece en ces deux mépartement, et de chacun mépartement composant vne forme de Diapason. Reste, puis que nous [-f.108v-] auons trouué ces formes, de leur donner les noms desquels les Modes de chanter ont esté surnomées. [Comment les douze Modes estoient nommées anciennement. I. II. III. in marg.] Donq, la premiere Mode estoit Sousdorienne, de Proslambanomene à Mese, en mépartement Arithmetic: et la seconde estoit Eolienne, contenant ces mesmes interualles, mais en mépartement Harmoniq. La troisiesme estoit Sousphrygienne, depuis Hypate hypaton iusques à Paramese, en Arithmetic mépartement. Quant à l'Harmonic, ces interualles n'en reçoiuent point Diatoniquement, pour les raisons dites. [Mode non receuë. in marg.] Toutefois quelques-vns, peu aduoüez, les mépartant ainsi: outre le nombre de douze y accommodoient vne Mode au nom de Sureolienne. [IIII. in marg.] La quatriesme estoit Souslydienne, de Parhypate hypaton à Trite diezeugmenon, en mépartement Arithmetic: [V. in marg.] et la cinquiesme, estendue en ces mesmes interualles mépartis Harmoniquement, estoit nommée Iästienne, ou Iönienne, qui ne sont qu'vne. [VI. in marg.] La sixiesme, Suriästienne, Suriönienne, ou Sousmixolydienne, estoit depuis Lichanos hypaton iusques à Paranete diezeugmenon, Arithmetiquement: estant en ces mesmes interualles mépartis Harmoniquement, la septiesme surnommée Dorienne. [VII. VIII. in marg.] La huitiesme, nommée Souseolienne ou Surdorienne, se continuoit de Hypate meson à Nete diezeugmenon, Arithmetiquement, [IX. in marg.] et la neufiesme, Phrygienne, en ces mesme interualles, par mépartement Harmonic. [X. in marg.] La dixiesme estoit Lydienne, depuis Parhypate meson iusques à Trite hyperboleon, Harmoniquement: [Mode non receuë. in marg.] car Arithmetiquement ne peut estre diuisé ce Diapason, qui est de la sixiesme espece en la Diatonique: combien que quelques-vns [-f.109r-] ayent icy adiouté vne Surphrygienne ou Surlydienne Mode. [XI. in marg.] L'onziesme estoit Sousiästienne, ou Sousiönienne, de Lichanos meson à Paranete hyperboleon, disposez Arithmetiquement: et en ces mesmes interualles par mépartement Harmonic, estoit la Mixolydienne, douziesme et derniere du nombre lequel ie voulois vous accomplir. [XII. in marg.] Ie ne recognoy point icy (dit Pasithée) l'ordre lequel vous auez tenu en la deduction des huit vsitées Modes de chanter. Il m'a semblé plus facile (respondy-ie) de les vous faire comprendre, suiuant l'ordre des sept especes de Diapason: mais pour ne vous laisser en plus long desir de sçauoir l'ordre commun:
Autre ordre des Modes. La premiere est Dorienne Harmonique. I. La seconde, Sousdorienne, en mépartement Arithmetique. II. La troisiesme, Phrygienne, Harmonique. III. La quatriesme, Sousphrygienne, Arithmetique. IIII. La cinquiesme, Lydienne, Harmonique. V. La sixiesme, Souslydienne, Arithmetique. VI. La septiesme Mixolydienne, Harmonique. VII. La huitiesme, Suriästienne, Suriölienne, ou (d'opinion plus fauorisee) Sousmixolydienne, née de la Dorienne mépartie Arithmetiquement. VIII. La neufiesme, Eolienne, par mépartement Harmoniq de la Sousdorienne. IX. La dixiesme, est Souseölienne, de la Phrygienne disposée en Arithmetiq mépartement. X. L'onziesme est Iästienne, ou Iönienne, de la Souslydienne Harmonique. XI.
[-f.109v-] [XII. in marg.] La douziesme est Sousiästienne, ou Sousiönienne, de la Mixolydienne Arithmetiquement mépartie. Pourquoy (demanda le Curieux) ne donnez vous quelque lieu à celle, laquelle Ptolomée, en accomplissement du Systeme parfait, adiouta souz le nom de Surmixolydienne? [Pourquoi la Surmixolydienne n'a lieu en cest ordre. in marg.] Pource que ce ne seroit que repeter (respondy-ie) les deux formes de la Sousdorienne, ausquelles elle est semblable, comme i'ay dit, declarant les huit Modes premieres. En bonne foy (dit Pasithée) les Modes de chanter ont esté traitées d'vne estrange diuersité. Il est vray (adioutay-ie) et toutefois il y a bien peu de contrarieté: car (pour confesser ce que i'en pense) toutes ces Modes ne peuuent estre si bien desguisées, que par necessité elles ne soient vrayement reduites au nombre des sept especes de Diapason, et des sept antiques Modes. Encores ne me plait la supersticieuse opinion de ceux, qui les veulent contraindre sous vn ordre certain, combien que les Anciens (dont ie sois souuenant) n'en ayent fait aucune ordonnance. Car les premiers Doriens, Phrygiens, et Lydiens, delectez des quatriesme, cinquiesme, et sixiesme especes de Diapason, ont donné noms aux Modes deduites par tels interualles: mais qui de ces trois principales merite reputation de plus eslongnée antiquité, ie ne croy estre facile d'asseurer. Aussi me suffira-il de vous auoir nommé ces Modes par vn ordre, auquel le mépartement Harmoniq est suiui d'vn Arithmetiq: à fin que la principale ait tousiours sa sujette voisine: assauoir, la Dorienne, sa Sousdorienne: la Phrygienne, sa Sousphrygienne: la Lydienne, sa Souslydienne: la Mixolydienne, [-f.110r-] sa Sousmixolydienne: l'Eolienne, sa Souseolienne: l'Iönienne, sa Sousiönienne: pensant bien que vous ne receurez agreablement la confuse controuerse qui en est: mesmes entre Boëce et aucuns de ceux qui l'ont precedé et suiuy: de laquelle (comme de tout le discours des Modes de chanter) si le Curieux veut se donner du plaisir, Glarean en son Dodecacorde (oeuure digne d'vn tel esprit) luy satisfera: et ie m'offre, Pasithée, d'en escrire en faueur de vous, et si vous me le commandez, assez pour vous en contenter. Ie ne refuse (dit-elle) cestui vostre labeur: mais si ne veux-ie tant m'apuyer sur telle esperance, que ie ne desire de sçauoir de quels tons, selon nostre Musique vsitée en ce temps, l'on poursuiuoit ces Modes. Puis qu'il vous plait ie les repeteray en l'ordre que ie les ay nommées. [La Dorienne. I. in marg.] La Dorienne est la premiere, conduite par Harmoniq mépartement, d'vn Diapenté depuis Lichanos hypaton, nostre D, sol, re: iusques à Mese, ou a, la, mi, re, sonnant re, la: et d'vn Diatessaron, depuis a, la, mi, re, iusques à Paranete diezeugmenon ou, D, la, sol, re, sonnant re, sol. Ceste Mode est graue, seuere, belliqueuse, et (comme ie pense vous auoir dit) propre à l'entretien de Prudence et de Chasteté, honorée et receuë par Platon, pource que les Lacedemoniens (qui se disoient Doriens, comme les Atheniens, Iöniens) Autheurs et amateurs de ceste Mode, contrains souz les loix de Licurge, si sont par continuation et obseruance des moeurs de leurs predecesseurs, tousiours faict cognoistre pour seueres et belliqueux: et en ceste leur Mode chanter retenoient vne graue et Heroïque maiesté. [Sousdorienne. II. in marg.] La seconde est Sousdorienne, [-f.110v-] mépartie Arithmetiquement, s'esleuant d'vn Diatessaron, de Proslambanomene (c'est, A, re,) à Lichanos hypaton, D, sol, re, sonnant re, sol: et depuis Lichanos hypaton d'vn Diapenté, iusques à Mese, a, la, mi, re, sonnant re, la. Ceste Mode retient encores de la grauité de sa principale, et luy a l'on donné vsage aux paroles religieuses tendantes à la contrition et penitence. [Phrygienne. III. in marg.] La troisiesme est Phrygienne, Harmoniquement mépartie, car elle est conduite d'vn Diapenté bas, de Hypate meson, ou e, la, mi, à Paramese, ou [sqb], mi, de b, fa, [sqb], mi, sonnant mi, mi; et s'acheue d'vn Diatessaron, depuis Paramese iusques à Nete diezeugmenon, ou e, la, mi, sonnant mi, la: Et peut estre ceste-cy accommodée aux paroles douces et amoureuses, combien que les Anciens l'ayent appropriée aux emotions coleriques. [Sousphrygienne. IIII. in marg.] La quatriesme, Sousphrygienne, par vn mépartement Arithmetiq, s'eleue d'vn Diatessaron, de [sqb], mi, ou Hypate hypaton, à Hypate meson ou E, la, mi, sonnant mi, la: et d'vn Diapenté, depuis hypate meson iusques à Paramese [sqb], mi, de b, fa, [sqb], mi, sonnant mi, mi: et est propre aux paroles lamentables et appaisantes l'ire: [Lydienne. V. in marg.] comme est aux tristes et lentes la cinquiesme, nominée Lydienne, mépartie Harmoniquement, se formant d'vn Diapenté depuis F, fa, vt ou Parhypate meson, iusques à Trite diezeugmenon ou, C, sol, fa, vt, sonnant fa, fa: et d'vn Diatessaron, depuis Trite diezeugmenon iusques à F, fa, vt, ou Trite hyperboleon, sonnant, vt, fa: toutesfois elle est confondue le plus souuent, et transformée Iöniquement de Diezeugmenon en Synemmenon, changeant le mi, de Paramese, au fa, [-f.111r-] de Trite synemmenon. [Souslydienne. VI. in marg.] La sixiesme est Souslydienne, par mépartement Arithmetiq, composée de Diatessaron, depuis Parhypate hypaton, ou, C, fa, vt, iusques à Parhypate meson, ou F, fa, vt, sonnant vt, fa: et de Diapenté, depuis F, fa, vt iusques à Trite diezeugmenon, ou c, sol, fa, vt, sonnant fa, fa: et n'est plus familierement vsitée que son Harmonique Lydienne. [Mixolydienne. VII. in marg.] La septiesme est Mixolydienne, plaintiue, Harmoniquement diuisée d'vn Diapenté depuis Lichanos meson, nostre G, sol, re, vt, iusques à d, la, sol, re, ou Paranete diezeugmenon, sonnant vt, sol: et d'vn Diatessaron, depuis Paranete diezeugmenon iusques à Paranete hyperboleon, ou G, sol, re, vt, sonnant re, sol. [Sousmixolydienne. VIII. in marg.] La huitiesme est Sousmixolydienne, mesurée Arithmetiquement par vn Diatessaron, depuis D, sol, re, Lichanos hypaton, iusques à Lichanos meson, ou G, sol, re, vt, sonnant re, sol: et vn Diapenté depuis G, sol, re, vt, iusques à Paranete diezeugmenon, ou D, la, sol, re, sonnant vt, sol: vsitée et propre pour delecter l'oreille auec paroles indifferemment remplies de toute gracieuse et naïfue douceur. [Eolienne. IX. in marg.] La neufiesme, Eolienne, par mépartement Harmoniq, s'esleue d'vn Diapenté depuis Proslambanomene, ou A, re, iusques à Hypate meson, ou E, la, mi, sonnant re, la: et d'vn Diatessaron, de Hypate meson iusques à Mese, ou a, la, mi, re, sonnant mi, la: et trespertinemment appropriée aux vers lyriques, desquels la parole est pleine de quelque douce grauité. [Souseolyenne. X. in marg.] La dixiesme est Souseolienne, mépartie Arithmetiquement, et composée d'vn Diatessaron depuis Hypate meson, E, la, mi, iusques à Mese, a, la, mi, re, sonnant mi, la: et d'vn Diapenté, [-f.111v-] depuis Mese iusques à Nete diezeugmenon, ou E, la, mi, sonnant re, la. [Ionienne. XI. in marg.] L'onziesme est Iönienne, d'vn Harmoniq mépartement, s'esleuant par Diapenté depuis C, fa, vt, ou Parhypate hypaton, iusques à Lichanos meson, G, sol, re, vt, sonnant vt, sol: et par Diatessaron, depuis Lichanos meson iusques à Trite diezeugmenon, ou C, sol, fa, vt, sonnant vt, fa. Ceste estoit estimée des Grecs (au tesmoignage de Lucian en son Harmonide) plaisante et delectable, et mise en vsage pour les danses et vers lascifs: aussi la legiereté et lasciueté Iönique luy a presté pertinemment son nom. [Sousiönienne. XII. in marg.] La douziesme Sousiönienne, deduite en Arithmetiq mépartement, est depuis Lichanos meson G, sol, re, vt, en Diatessaron, iusques à C, sol, fa, vt, sonnant vt, fa: et en Diapenté depuis C, sol, fa, vt, iusques à Paranete hyperboleon, ou G, sol, re, vt, sonnant vt, sol: propre anciennement aux reueils amoureux et aubades de nuit.
[-f.112r-] [Pontus de Tyard, Solitaire Second, f.112r; text: Nete hyperboleon, Aa, la, mi, re. Paranete hyperboleon, g, sol, re, vt. Trite hyperboleon, F, fa, vt. Nete diezeugmenon, E, la, mi. Paranete diezeugmenon, D, la, sol, re. Trite diezeugmenon, C, sol, fa, vt. Paramese, [sqb], mi, de, b, fa, [sqb], mi. Mese, a, la, mi, re. Lichanos meson, g, sol, re, vt. Parhypate meson, F, fa, vt. Hypate meson, E, la, mi. Lichanos hypaton, D, sol, re. Parhypate hypaton, C, fa, vt. Hypate hypaton, [sqb], mi. Proslambanomene, A, re. Mixolydienne. 7, Lydienne. 5, Phrygienne. 3, Dorienne. 1, Iônienne. 11, Eolienne. 9, Sousiônienne: 12, Souseolienne. 10, Sousmixolydienne. 8, Souslydienne. 6, Sousphrygienne. 4, Sousdorienne. 2, Les six Modes sujettes. Les six Modes principales.] [PONSOL 07GF]
[-f.112v-] Ie m'estois tù, et pensois auoir trop longuement estendu ce discours, quand le Curieux me demanda: Ces Modes de chanter estoient elles obseruées anciennement auec tant supersticieuse religion, qu'on n'osa entremesler ou changer l'vne à l'autre? [Vsage d'adiouter aux Modes, ou en conioindre l'vne à l'autre. in marg.] Non deà (luy respondy-ie) car souuent ils outrepassoient vn Diapason et ioingnoient quelquefois vn ton ou, vn demy ton, ou vn Diatessaron, ou vn Diapenté, et faisoient preuue de la plus viue efficace de Musique, accommodant au chant proprement les paroles, selon qu'elles meritoient: ores en vne Mode ioyeuse, ores en vne triste: auec vn diligent et curieux respect de la bien-seance requise. Bien faut-il pour comprendre ceste conionction, noter que toute Mode sujette, ou disposée Arithmetiquement, par adioutement d'vn Diatessaron en haut se vn auec sa principale, disposée Harmoniquement: et que tousiours il y a deux especes de Diapason entre le Diapason de la sujette et celui de la principale. Soient pour exemple, la Sousdorienne, sujette qui est de la premiere espece de Diapason: et sa principale Dorienne, qui est de la quatriesme. Voyez qu'entre la premiere et la quatriesme, la seconde et la troisiesme sont closes: chose qui est obseruée en toutes les autres especes, si nous prenons la huitiesme pour la premiere (aussi n'est-ce qu'vn) la neufiesme pour la seconde, et la dixiesme pour la troisiesme: car la proposition de sept seules especes de Diapason demeure inuiolable. [Exemples des conionctions des Modes. in marg.] Dauantage, pour rendre facile l'exemple de leurs conionctions: i'imagine encore la premiere espece de Diapason depuis Proslambanome à [-f.113r-] Mese: et la quatriesme depuis Lichanos hypaton à Paranete diezeugmenon: ces deux, par commun, ont le Diapenté re, la, depuis Lichanos hypaton ou D, sol, re, iusques à Mese ou a, la, mi, re. Pour donq les conioindre, adioustez le Diatessaron en bas, re, sol, depuis Proslambanome, A, re, iusques à Lichanos hypaton D, sol, re, qui appartient à la Sousdorienne: et faites le mesme au dessus de Mese, y adioustant vn autre Diatessaron, re, sol, contre Paranete diezeugmenon, qui est le Diatessaron Dorien: ainsi voilà la sujette Mode Sousdorienne coniointe à sa principale Dorienne, d'où peut estre deduite vne tres gracieuse et plaisante harmonie. Autant de la seconde espece de Diapason, depuis Hypate hypaton iusques à Paramese: et de la cinquiesme, depuis Hypate meson iusques à Nete diezeugmenon, qui ont vn commun Diapenté, mi, mi, depuis Hypate meson ou E, la, mi, iusques à Paramese, ou mi, de b, fa, [sqb] mi: adioustez au bas de ce Diapenté vn Diatessaron, mi, la, depuis Hypate hypaton iusques à Hypate meson, ceste Mode sera Sousphrygienne: adioustez au dessus de ce Diapenté vn Diatessaron, mi, la, depuis Paramese iusques à Nete diezeugmenon, et vous verrez la Phrygienne coniointe à sa sujette Sousphrygienne. Autant des troisiesmes et sixiesmes especes coniointes qui nous representent la conionction et emmellement de la Souslydienne et Lydienne: comme la quatriesme et la septiesme conioignent la Mixolydienne et Sousmixolydienne: la cinquiesme et la huitiesme, semblable à la premiere, font conionction des Eolienne, et Souseolienne: la sixiesme et la neufiesme [-f.113v-] (i'enten par la neufiesme l'octaue de la deuxiesme, comme la huitiesme de la premiere) sont inusitées en la Musique Diatonique, assauoir la Surphrygienne et Sureolienne. Et la septiesme et dixiesme (octaue de la troisiesme) iointes ensemble, rendent coniointes les Iönienne et Sousiönienne Modes. Mais ie requiers en ceste partie de Theorique vne naturelle grace en celuy qui voudra faire preuue actuelle de ces conioinctions: par lesquels il resentira, non les fabuleuses puissances dont l'on arme communément l'honneur dù à la Musique, ains vn veritable rauissement d'ame, en la douceur de tant rare et exquise modulation. Et si peu de Musiciens se rencontrent bienheureux en cest endroit: croyez qu'ainsi que ie vous disois hier, Pasithée, la Poësie prendre sa sourse d'vne bien-naissance naturelle, et de l'afflation du sainct Choeur de Parnasse: aussi la Musique requiert vne naturelle veine, poussée par mesme Enthusiasme, plus necessairement (possible) en l'inuention d'vne seule mutation de voix à exprimer vne parole, qu'on appelle l'air ou le sujet d'vne chanson, qu'en l'industrie de sçauoir contre vn sujet rapporter deux, trois, ou plusieurs voix harmonieusement, qu'on nomme Musique figurée, ou chose faicte. [Qui plus merite en Musique, ou [Phanaskos], conducteur d'vne voix, ou [Sumphonete], assembleur de plusieurs. in marg.] Donq (me demanda le Curieux) estimez-vous autant vn Phonasce, de quel nom les Grecs appelloient celuy qui d'vne seule voix proprement et melodieusement accompagnoit la chanson, que l'autre, nommé Symphonete, qui d'vne subtilité laborieuse accommode plusieurs voix ensemble, d'où l'accomplissement de la harmonie procede? Le premier (respondy-ie) [-f.114r-] est à mon iugement beaucoup estimable: car si l'intention de Musique semble estre de donner tel air à la parole que tout escoutant se sente passionné, et se laisse tirer à l'affection du Poëte: celuy qui scet proprement accommoder vne voix seule me semble mieux atteindre à sa fin aspirée: vù que la Musique figurée le plus souuent ne rapporte aux oreilles autre chose qu'vn grand bruit, duquel vous ne sentez aucune viue efficace: Mais la simple et vnique voix, coulée doucement, et continuée selon le deuoir de sa Mode choisie pour le merite des vers, vous rauit la part qu'elle veut. Aussi consistoit en ce seul moyen la plus rauissante energie des anciens Poëtes lyriques, qui, mariant la Musique à la Poësie (comme ils estoient nez à l'vne et à l'autre) chantoient leurs vers, et rencontroient souuent l'effect de leur desir: tant la simplicité bien observée aux Modes de chanter est doüée d'vne secrette et admirable puissance. De cecy nostre aage peut tesmoigner: et moy-mesme faisant essay, i'ay auec plus de peine rencontré vn seul chant propre à mes vers, qu'escrit les vers, tels qu'ils sont, ny contr'assemblé trois ou quatre parties: recognoissant en ce dernier vn vulgaire vsage, familier à infinis chantres: mais au premier, sentant estre requise vne naturelle inclination qui nous sert de Minerue, et sans laquelle toute entreprise resort inutilement. Non toutefois, que ie croye estre impossible d'accommoder proprement la Musique figurée aux paroles, ny que ie desespere de ce temps: mais la difficulté de nostre langage non encores mesuré en certaines longueurs ou [-f.114v-] brieuetez de syllabes, et le peu d'egard que ie voy y estre pris par les Musiciens, qui tous, ou la plus part, sont sans lettres, et cognoissance de Poësie: comme aussi le plus grand nombre des Poëtes mesprise et, si i'ose dire, ne cognoit la Musique, me fait craindre que tard, ou rarement, nous en puissions voir de bons et naturels exemples. [Musiciens ecclesiastiques. in marg.] I'enten assez que les Musiciens ecclesiastiques (desquels la maniere de proceder n'est en tout semblable à celle que ie vous ay deduite) pensent auoir l'image de la plus diligente obseruation: si toutefois ils sont deceuz ou en tout ou en partie, i'en remets le iugement aux personnes doctes et curieuses de ceste discipline: pensant auoir beaucoup auancé, puis qu'en ce familier discours i'ay satis-faict à vostre commandement, Pasithée. Reste à vous, d'estre asseurée qu'à toute espreuue vostre volonté iamais en vain n'employera ma puissance. Ie vous remercie, me (dit-elle) et vous prie aussi de croire ceste mienne familiarité auec laquelle ie vous interrogue, naistre d'vne bonne opinion que i'ay de vous. Quelques telles paroles repliquées entre nous, le Curieux s'adressant à Pasithée: [Musiques mondaine et humaine. in marg.] Avez-vous, dit-il, ouy de quelle harmonie le Monde et le corps humain sont participans de Musique? Le Solitaire (respondit-elle) au commancement du discours qu'il a faict, en a seulement touché les noms, auec ie ne sçay quelle excuse, qui m'empesche de ne le soliciter plus instamment d'en dire quelque chose. Vrayement (adiouta-il) ie voy encores telle heure de ce iour, que si ie ne craignois de vous ennuyer, vous en auriez le plaisir: car tant belles considerations meritent bien de vous [-f.115r-] estre cognuës. D'ennuy! (repliqua-elle) iamais ie n'en prendrois en tant gentil entretien, duquel ie vous prie donner les premiers traits, et le Solitaire (sçay-ie bien) ne se voudra tenir tousiours la bouche close. [Deux façons d'anciens Philosophes. in marg.] De ceux qui anciennement ont faict profession de la Philosophie (commença le Curieux) et se sont adonnez aux contemplations, et disciplines, les vns esleuez par ie ne sçay quel melancolique rauissement, plus abstraits de toute matiere corporelle, ne discouroient rien que ce, qui, non sujet aux sentimens corporels, estoit seulement imaginaire object de la fantasie. Les autres, plus amis de l'humanité, par vne diligente recherche ont traité les disciplines, fondées sur la seurté des demonstrations plus naturelles et persuasiues. Comment le labeur de ces deux sortes d'estude a esté fertile, les admirables et innombrables oeuures des Autheurs anciens en font foy. Et si entre eux il y a eu de la curiosité à qui mieux, i'en laisse le iugement à ceux qui les liront. [Trauail des Anciens, sur la Musique. in marg.] Mais i'ose dire qu'autre partie de Philosophie n'a esté traitée en plus de diuerses façons, accommodée à plus hautes contemplations, ny exercée en vsage plus familier, que la discipline de Musique: de laquelle, en ce qu'elle est conduite par les sons de l'instrument, ou par la voix humaine, ie croy, Pasithée, que le Solitaire vous en a satisfait: combien que, de ce qu'elle s'est en plus de perfection rencontrée à la composition de ce grand Monocorde, il semble, puis qu'il s'excuse de vous en rien dire, qu'il tienne pour legere et friuole telle opinion. Ie croy (dit-elle) que si par seures demonstrations, ou argumens [-f.115v-] raisonnables, il s'en est imprimé quelque chose, malaisément luy pourriez-vous persuader le contraire par le recit de quelques nues contemplations: toutefois il ne vous refusera vn peu d'audience, à fin que ayant ouy ce qu'en direz, il se confesse ou vaincu, ou trop difficile à convertir. Ce pendant que le Curieux (adioutay-ie) nous contera la harmonie en l'assemblement des parties de ce grand Tout vniuers, i'auray ce plaisir de voir, au petit Monde de voz perfections, Pasithée, vne autre harmonie plus certaine et veritable, comme ayant tant d'efficace que la vuë, l'ouye, et la plus raisonnable partie de mon ame, sont flechies et tirées la part, où, en sa faueur me conduit incessamment le doux rauissement de sa cognoissance. Ie ne fais doute (reprint le Curieux) que pleine d'efficace ne soit la composition de tant émerveillables beautez, et qu'en la compassion de l'humaine raisonnable creature il n'y ait vne proportion de parfaite Symmetrie: [Mondaine Musique en general. in marg.] mais confessant ceste-cy, il semble estre assez impertinent de nier, que ces Cieux, tournans d'vn ordre tant certain, eslongnez en tant iustes proportions: ces Elemens, conioins ensemble tant convenamment: et les Saisons rechangées par vne tant constante inconstance, ne soient composez et rapportez l'vn à l'autre en mesure de quelque iuste et raisonnable proportion. [Musique celeste. in marg.] Peut-il estre que des corps si grans et si vistes en leurs cours comme sont les Cieux, fissent vn continuel mouuement sans aucune son? Car si nous ne les oyons, les raisons tant redites par les Philosophes, et la vulgaire comparaison du bruit de la Mer et des Catadupes du [-f.116r-] Nil resoulent ce doute. Combien pensez vous que soit grand, par tout nostre Hemisphere tant que le iour dure, le bruit fait par les innombrables animaux terrestres, crians et hurlans: par les oiseaux, se degoisans à gorge desployée: par les hommes parlans, et, trauaillans d'infinies sortes de mestiers, à coups de marteaux, et autres intrumens, parmy les forges, ou lieux d'exercices mechaniques: par tant de mouuemens differens, qui se font auec si grands et tumultueux sons par les villes, et par les champs? Et toutefois vous n'en sentez, à l'ouye, aucune distinction: et n'en estes empesché de comprendre les plus basses paroles qui se prononcent aupres de vostre oreille. tellement qu'à peine pouuez vous discerner le bruit du iour, durant lequel toutes choses s'esmeuuent, d'auec le silence de la nuict, pendant laquelle tous les animaux reposent, et les plus grans bruits cessent. Il semble donc raisonnable de croire que l'accoustumance de ces tumultes et murmurs, continuez autour de noz oreilles, comme bruyans sans cesse, ne nous laisse choisir la distinction des sons, voire nous les fait semblables (bien qu'ils tonnent ordinairement) à la taciturnité du plus muet silence. D'autant possible que parmy tant de bruits differens, il s'y rencontre si grand nombre d'agreables symphonies, que telle harmonie, rapportée, et insinuée plaisamment dans nostre sens de l'ouye, empesche que son repos en soit aucunement troublé, luy laissant si viue impression du tintinement qu'auant qu'il soit amorty, le bruit successif recommance. [Musique elementaire. in marg.] Mais pour discourir, loing de l'oreille et prez du sens intellectuel, pourroient les Elemens [-f.116v-] en leurs contrarietez, s'entre-souffrir, et compatir l'vn l'autre, s'ils n'estoient conioints par vne harmonieuse Symmetrie de leurs diuerses qualitez? Et les Saisons, comme sont elles entre-mesurées par ordre, et poursuiuies par vne infallible proportion? [Musique temporaire. in marg.] L'vne restreint, l'autre lasche: l'vne eschaufe et cuit, l'autre meurit: et tout celà tant pertinemment, selon qu'il est besoin, que ces contraires actions, et puissances accordées, sont le seul soustenement de ce Monde durable. [Musique elementaire. in marg.] Nul, pensé-ie, voudroit nier que par la proportion des quatre Elemens entremellez ça bas, toute chose ne soit engendrée: [Tetracorde de Mercure en consideration des Elemens. in marg.] harmonie industrieusement comprise par Mercure, ou Orphée, en vn instrument Tetracorde, composé (comme le nom sonne) de quatre cordes, l'vne sonnant Hypate hypaton (car ie ne le pren pour vn lequel Boëce a descrit) en son graue, representant la qualité de la Terre: l'autre, Parhypate hypaton, sonnant moins grauement que la premiere, pour figure de la qualité de l'Eauë. La troisiesme estoit pour Paranete, d'vn son aigu, en imagination de l'Air: et la plus haute estoit Nete, pour representer le Feu. Et vrayement la comparaison ne semble impropre: pource qu'ainsi que des Elemens deux sont pesans, et deux legers: et des deux pesans l'vn plus pesant: et des deux legers l'vn plus leger que l'autre: aussi en ce Tetracorde des deux hypaton, ou basses, l'vne l'est plus que l'autre: et des deux aiguës, l'vne plus aiguë que l'autre. Ioint aussi que par les passions, emmellemens, et changemens alternatifs de l'vn à l'autre, en l'autre, et de l'autre Element, par entrerencontres accommodées à la raison [-f.117r-] naturelle, plusieurs choses sont engendrées, ainsi que des quatre cordes de ce Diasteme, harmonieusement proportionnées en diuersité, naissent diuerses especes de Melodie. [Proportions entre les Elemens. in marg.] Il me souuient d'auoir noté quelquefois de l'accord qui est entre les Elemens, le Pythagorien Timée faire foy par les harmonieuses proportions, doubles, triples, et quadruples, desquelles ils sont rapportez l'vn à l'autre: [Le Feu. in marg.] comme le Feu est deux fois plus aigu, trois fois plus subtil, et quatre fois plus mobile que l'Air: l'Air est deux fois plus aigu, trois fois plus subtil, et quatre fois plus mobile que l'Eau: [L'eau. in marg.] et l'Eau est deux fois plus aiguë, trois fois plus subtile, et quatre fois plus mobile que la Terre. Dauantage, il est asseuré entre la plus seine partie des naturels Philosophes, que ainsi que le Feu se rapporte à l'Air, l'Air se rapporte à l'Eau, et l'Eau à la Terre: et aussi mesme difference qui est de l'vn à l'autre est rencontrée entre tous, selon la disposition de leur ordre, doublant, triplant, ou quadruplant selon la distance de leur eslongnement. [Figures des Elemens et leurs contre-proportions. in marg.] Quelle plus gentille speculation peut estre imaginée que celle par laquelle nous imaginons leurs figures? [Figure de la Terre. in marg.] La Terre est Cubique, assauoir de huit coinz, et six faces plaines: [Figure de l'Eau. in marg.] figure assez pertinemment à elle attribuée, en consideration de sa stable pesanteur, et de son difficile mouuement: comme à l'Eau, l'eicosedre, ayant vingt faces plaines, et douze coins, pour cause de sa flexible et mobile nature. [Figure du Feu. in marg.] La figure Piramidale de quatre faces et autant de coins est donnée au Feu, pour la facilité de s'esleuer: [Figure de l'Air. in marg.] et l'Air est figuré octoedre, c'est à dire, de huit bases, et six coins, comme suiuant de pres le Feu en son [-f.117v-] esleuation: [Contre-proportions musicales de l'vne à l'autre figure. in marg.] tellement que les quatre coins de la figure Piramidale du Feu au six de l'octoedre de l'Air, sont en proportion d'autant et demy, qui engendre Diapenté: [Entre le Feu et l'Air. in marg.] et les faces en proportion double, qui engendre Diapason. [Entre le Feu et la Terre. in marg.] Entre le Feu et la Terre, par la proportion d'autant et demy de quatre à six faces, est vn Diapenté: et vn Diapason par double proportion de leurs coins. [Entre la Terre et l'Eau. in marg.] Entre la Terre et l'Eau, la proportion d'autant et demy en leurs huit et douze coins, faict naitre Diapenté: et les faces, vingt à six, en proportion triple et d'vn tiers de troisiesme, font sonner Diatessaron plus que Diapason et Diapenté. [Entre l'Eau et l'Air. in marg.] Reste l'Eau et l'Air, desquels les coins, douze à six, par double proportion, representent Diapason: et des faces, de vingt, à huit, la proportion double, et de la moitié du moindre nombre, peut sonner vn Diapason et vn Diapenté. [Des cinq Tetracordes, le bas accommodé à la Terre. in marg.] Tellement qu'en recherchant telles mesures, l'approche ou l'eslongnement des qualitez elementaires, se peuuent facilement trouuer: à quoy n'aide peu la disposition des cinq Tetracordes lesquels vous auez figurez: [Le moyen à l'Eau. in marg.] si l'on ordonne celuy des plus basses, Hypaton, à la Terre: [Le conioint à l'Air. in marg.] et à l'Eau, sa voisine, Meson: Synemmenon à l'Air, comme conioint à l'Eau: [Le deioint au Feu. in marg.] et au Feu, Diezeugmenon, qui ne peut sans violence se conioindre aux inferieurs. [L'excellent à la quinte essence. in marg.] Quant au cinquiesme Hyperboleon, il represente la naturelle ou surnaturelle cinquiesme Essence etherée. [Musique celeste. in marg.] Mais laissant les Elemens, pour sçauoir si par quelque Symmetrie (puis que nostre oreille n'en peut rien sentir) les Cieux, ou les Astres et Planetes, semblent auoir quelque part [-f.118r-] d'harmonie: [Proportions Musicales au Zodiaque ou Porte-signe. in marg.] considerons le Zodiaque, semé de douze signes tant proportionnément qu'au seul nombre de douze, toutes les consonances et harmonies luy sont accommodables. Qu'ainsi soit, douze à trois, en quadruple proportion, sonnent Disdiapason: [Disdiapason. in marg.] Douze à quatre, en triple, sonnent Diapason-diapenté: [Diapason-diapenté. in marg.] douze à six, huit à quatre, six à trois, ou quatre à deux, font Diapason en double proportion. [Diapason. in marg.] Douze à huit, en proportion d'autant et demy, comme neuf à six, ou six à quatre, resonnent Diapenté: [Diapenté. in marg.] et douze à neuf, et huit à six, et quatre à trois, en proportion d'autant et tiers, sonnent Diatessaron. [Diatessaron. in marg.] Encore seroit ceste diuision peu persuasiue, si elle n'estoit obseruée aussi diligemment par le menu, et ce au nombre de 360 parties, ausquelles le cercle Zodiaque est diuisé par distribution de 30, à chacun des douze signes. [Proportions des aspects aux degrez du Zodiaque. in marg.] Vous sçauez assez que des aspects les vns sont nommez Trigones, par occupation de quatre signes qui font la tierce partie du Zodiaque en nombre de 120, parties: [Aspect Trigone. in marg.] les autres Tetragones, par interualle de trois signes, qui sont la quarte partie du Zodiaque, en nombre de 90, parties: [Aspect Tetragone. Aspect Exagone. in marg.] et les autres Exagones, par distance de deux signes, qui contiennent le sixiesme du Zodiaque, en nombre de 60, parties. Desià voyez-vous que ces trois nombres 120, 90, et 60, rapportez l'vn à l'autre, engendrent vn Diapason Harmonique composé de ses Diapenté et Diatessaron: [Diapason parfaict en contre-proportion des trois aspets. Diapenté. in marg.] assauoir, 60, à 90, par proportion d'autant et demy: vn Diapenté, car 90, contient 60, et 30, qui sont la moitié de 60: [Diatessaron. in marg.] Ie constitue Diatessaron, par la proportion [-f.118v-] d'autant et tiers, entre 90, et 120: car 120, contiennent 90, et 30, qui sont la tierce partie de 90. Or', si i'assemble ces deux proportions en vne, et que ie rapporte 120, à 60, ie recognoy trop euidemment vn Diapason, par double proportion: [Diapason. in marg.]
[Pontus de Tyard, Solitaire second, f.118v; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 30, 60, 90, 120, 360.] [PONSOL 08GF]
Tellement que les Astres disposez en ces aspects tant proportionnément mesurez, ne me semblent pouuoir estre sans harmonie, non plus que les sept illustres Planetes, Saturne, Iupiter, Mars, et les autres selon l'ordre desquelles, Orphée monta sa Lyre à sept cordes: [Harmonie des sept Planetes, selon laquelle Orphée monta vne Lyre. in marg.] ordonnant la plus basse Hypate pour la Lune, Parhypate pour Mercure: pour Venus, Lichanos: pour le Soleil, Mese: Paramese pour Mars: et Paranete pour Iupiter: representant la septiesme, comme du plus haut son, Saturne, souz le nom de Nete. [-f.119r-] I'aurois long temps ha (dy ie, l'entrerompant) recogneu ceste Symphonie veritable, si ceux qui se sont si subtilement esleuez, n'eussent esté (preuue de chose ignorée et incertaine) en different non apointable. Ceste heure n'est propre (respondit-il) pour resoudre les doutes qui pourroient suruenir en cecy: ny pour renouueller entre nous la vieille querelle des effets et accors celestes, autant hardiment niez qu'opiniatrement soustenus. [Raisons qui ont esmeu les diuerses opinions des sons celestes. in marg.] Toutefois, le diuers mouuement de Spheres, assauoir, d'Orient en Occident: ou d'Occident en Orient, peut raisonnablement auoir esmeu ces diuersitez plustost que contrarietez: pource que si les Erratiques se meuuent d'Occident en Orient, Saturne semble plus lent et tardif que la Lune, et par ainsi deuoir estre Hypate et non Nete: et si leur mouuement est d'Orient en Occident, la Lune au contraire est plus tardiue. Mais ie ne doy égarer mon propos pour les disputes de l'Astronomie, ny le confondre par exemplaire argument de la voix des hommes, causée ou graile ou grosse par l'esleuation du Pole sur la region de leur naissance: ou, des arbres, qui d'autant qu'ils sont plus hauts, rendent au mouuement du vent, vn bruit plus aigu: et suffit, que m'arrestant à la plus apparente et recuë opinion, ie die la Lune, comme plus basse et de plus lent mouuement, sonner Hypate, et les corps superieurs ainsi haussant le son, selon l'ordre que i'ay deduit: [La lune. in marg.] tellement que depuis la Terre iusques à la Lune, est l'interualle d'vn ton: depuis la Lune iusques à Mercure vn demy ton, comme depuis Hypate iusques à Parhypate: [Mercure. in marg.] et depuis Mercure iusques à Venus, [-f.119v-] representée par Lichanos, vn ton: [Venus. Soleil. in marg.] comme vn autre ton depuis Venus iusques au Soleil, auec le nom de Mese: [Mars. in marg.] depuis lequel iusques à Mars, representé par Paramese, vn demy ton: demeurant chacun pour vn ton les deux derniers, Iupiter et Saturne, [Iupiter. Saturne. in marg.] souz les noms de Paranete, et Nete. Ie n'enten point (dit Pasithée) cest ordre: car outre ce que depuis le premier Lichanos iusques à Mese il y a (suiuant sa doctrine du Solitaire) plus d'vn ton, encores est l'interualle depuis Mese iusques à Paramese, estendu (contre ce que vous dites) en vn ton tout entier. [Difference entre la disposition de l'Eptacorde d'Orphée, et Pentadecacorde d'auiourd'huy. in marg.] Ou soit Orphée (respondit-il) ou soit Mercure, qui premier monta sa Lyre souz telle contemplation, il nomma le premier, de tels noms, selon ceste disposition, les cordes Diatoniques: vous sçauez que c'est vn genre de Musique poursuiuy par vn demy ton, et deux tons. Donq il sonnoit de Hypate à Mese, comme nous dirions, mi, fa, sol, la: recommençant à Mese vn mesme ordre, comme pour conioindre vn second Tetracorde, sonnant mi, fa, sol, la, de Mese à Nete. Mais depuis qu'vn Timothée y eut adiouté, ou, possible, quelque autre deuant luy: et que les cordes furent multipliées en plus grand nombre par l'accroissement d'vn Tetracorde des desiointes, ceste premiere disposition fut changée. Toutesfois les noms ne nous doiuent arrester: car si vous voulez donner à la Lune Hypate, et poursuiure selon l'ordre du Tetracorde des basses, et des moyennes, Mese sera ordonnée à Saturne: ainsi serez-vous hors de doute: et plus (de la doctrine Pythagorienne) si Proslambanomene est adioutée souz [-f.120r-] le nom de la Terre, depuis laquelle les Anciens croyoient s'estendre vn ton iusques à la Lune. [Consonances celestes. in marg.] Ainsi trouuerez-vous de la Terre à Saturne, Diapason: de la Terre au Soleil, Diapenté: de la Lune au Soleil, Diatessaron: de Venus à Saturne, Diapenté: et du Soleil à Saturne, Diatessaron. Mais (luy demanday-ie) quels accords ferez-vous, si (comme quelques-vns soustiennent, et auec Platon, les plus honorez Philosophes ont crù) les Planetes sont autrement disposées que vous ne dites, et que le Soleil soit second, et Mercure quatriesme? [Discours Platonique, sur la composition de l'ame vniuerselle. in marg.] Quel! respondit-il: vrayement vous me remettez en memoire l'admirable proportion obseruée (selon la doctrine Platonique) en la composition de l'Ame de ce grand Vniuers, par l'Architecte souuerain, rassemblant des parties de sa matiere, en portions egalées par paritez et imparitez de sept nombres: assauoir, premierement vne partie qui est 1, pour la seconde, deux fois autant que la premiere, qui sont 2, et trois fois autant que la premiere pour la tierce, qui est 3. Pour la quatriesme il print le double de la seconde, qui faict 4: et pour la cinquiesme, trois fois autant que la troisiesme, qui est 9. Pour la sixiesme il print huit fois autant que la premiere, qui font 8: acheuant par la septiesme, qu'il remplit de trois fois autant que la cinquiesme, qui font 27. Ie sçay bien que ceste secrete obscurité Pythagorienne sur le discours du point, de la largeur, longueur, et profondeur, vous a arresté quelquefois, Solitaire, et qu'elle n'est du tout incogneuë à Pasithée: et me suffit de vous rapporter les sept nombres, pour, [-f.120v-] par leurs proportions de l'vn à l'autre, recognoistre entre les Planetes vne Symphonie procedante de leur mouuement, poussé par vertu de ceste grande Ame de l'Vniuers, influant en tous les corps, non seulement celestes, mais encores aux inferieurs et terrestres, vne Musicale vertu: de laquelle elle est composée en tant de perfection: ainsi que ce septenaire de nombres mariez de pair à impair nous aprend par cest ordre: 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27. [Nombres attribués aux Planetes selon leur ordre ancien: in marg.] Ores de ces nombres i'attribue le premier à la Lune, pour l'interualle qui est entre la Terre et elle: et continue le second, qui est 2, pour le Soleil (second en ordre, selon les plus Anciens) [L'vnité à la Lune. in marg.] pource qu'il y a deux fois autant de distance depuis la Lune iusques au Soleil, qu'il y a depuis la Terre iusques à la Lune. [Au Soleil second en ordre 2. A Venus, 3. in marg.] Le troisiesme nombre 3, est à Venus, tierce Planete autrement nommée Lucifer, pource qu'elle est trois fois autant eslongnée du Soleil que la Lune est de la Terre. [A Mercure, quart en ordre, 4. in marg.] Mercure (qu'ils nommoient Stilbon) est au quatriesme rang, et luy appartient le nombre 4: car il y a deux fois autant de distance depuis le Soleil iusques à Mercure, qu'il y a depuis la Terre iusques au Soleil, [A Mars, 9. in marg.] Et pource qu'il y a trois fois autant depuis la Terre iusques à Mars ou Pyroïs, qu'il y a depuis la Terre iusques à Venus, il a, comme cinquiesme Planete, le cinquiesme nombre, 9. [A Iupiter, 8. in marg.] La sixiesme, Iupiter, d'autre nom dict Phaëton, huit fois autant esleuée de la Terre que le Soleil, tient le sixiesme nombre, 8: [A Saturne, 27. in marg.] comme Saturne ou Phenon, trois fois autant eslongné de la Terre que Mars, a le dernier et le septiesme nombre, 27. Voilà les sept nombres accommodez [Qui prendra plaisir d'en voir dauantage, lise Chalcidius sur le Timée de Platon, et Ficin. in marg.] (non que [-f.121r-] i'ignore quelques-vns les auoir autrement mespartis, multipliant les distances par multiplication double, ou triple, du nombre de la haute à la basse et plus voisine Planete, ou donnant 8, à Phyroïs, et 9, à Phaëton) de telle façon qu'aisément vous recueillirez tous deux par leur contre-proportion, triples, doubles, et autres, que les Planetes ne demeurent sans accors. Vous sçauez que Platon faisant raconter à Erus Armenien les merueilles diuines et celestes, entre autres choses dit, que sur chacun des huit pesons du diuin fuseau, est assise vne Syrene qui iette vne voix de tel ton, que les 8 ensemble rendent vne parfaite Harmonie. Celà (à mon advis) se doit entendre que chacun peson represente vn Ciel, et que chaque Ciel tournoiant) rend vn son si bien proportionné, que tous ensemble ils font vne Harmonie parfaite. Mais pour le vous representer, imaginez que la Syrene du cercle de la Lune sonne Proslambanomene, ou, A, re.
Celle du cercle du Soleil, Parhypate hypaton, ou, C, fa, vt. Celle du cercle de Venus, Hypate Meson, ou, E, la, mi. Celle de Mercure, Mese, ou, A, la, mi, re. Celle de Mars, Trite diezeugmenon, ou, C, sol, fa, vt. Celle de Iupiter, Nete diezeugmenon, ou, E, la, mi. Celle de Saturne, Nete hyperboleon, ou, A, la, mi, re.
Et la huitiesme Syrene assise sur le Ciel 8 excedent et plus haut que les sept Planetes mobiles fait vne 17, à la Lune en C sol fa: non exprimée ou nommée, des musiciens antiques, qui se contentoient de la description du parfait Systeme en quinze cordes: comme aussi les Astronomes, ne recognoissoient que les sept mouuemens [-f.121v-] des sept Cieux Planetaires: tenant le 8. pour fixe. Mais les espris plus esleuez tels que Socrate et Platon, comprenoient le Cercle 8. estre mobile, et pource luy attribuerent la Syrene huitiesme sonnant vne tierce par dessus le Systeme commun, et rendant ainsi vne Symphonie harmonieuse en toute perfection. [Les iours de la semeine nommez par vn ordre des Planetes disposées en Diatessaron. in marg.] Mais auez vous iamais pris garde en la disposition des noms celestes attribuez aux iours de la semaine? Les Egyptiens (desquels la doctrine sacrée a tiré les plus Philosophes de si loing) l'asseuroient auoir esté ordonnée par la constitution de la consonance Musicale Diatessaron: et s'il vous plait en voir l'espreuue, imaginez en ce cercle (continua-il, prenant le compas) les sept Planetes disposées selon leur ordre commun. Le premier iour (saint entre les Hebrieux) et Samedy, souz le nom de Saturne: tirez maintenant à son quatriesme en ordre, c'est le Soleil, duquel le Dimanche est nommé. La quatriesme du Soleil c'est la Lune, ordonnée au Lundy. Le suiuant est Mardy, lequel vous voyez aussi estre appellé de Mars, quatriesme en rang depuis la Lune: comme Mercure, presidant le Mercredi, est quatriesme de Mars. Continuez depuis Mercure pour le iour suiuant, Ieudi, voyez Iupiter au quart lieu, rapporté de mesme sorte à Venus, de laquelle Vendredy est nommé: demeurant Saturne en son quatriesme lieu, et formant vn Diatessaron l'vne à l'autre consecutiuement par quatre caracteres et trois interualles.
[-f.122r-] [Pontus de Tyard, Solitaire second, f.122r; text: Samedi. Ieudi. Mardi. Dimanche. Vendredi. Mecredi. Lundi.] [PONSOL 08GF]
[Parfait Diapason de deux en deux iours. in marg.] Autrement, si vous le disposez en droite ligne, vous rencontrerez, de deux à deux iours, vn parfait Diapason, par Diapenté et Diatessaron: car la Lune est cinquiesme à Mars, et Mars quatriesme à Mercure, qui font Diapenté et Diatessaron: Mercure est cinquiesme à Iupiter, et Iupiter quatriesme à Venus: aussi Venus cinquiesme à Saturne, et Saturne quatriesme au Soleil, et le Soleil quatriesme à la Lune: voilà trois fois Diapason et vn Diatessaron depuis le Soleil à la Lune: tellement qu'il est euident par constitution de harmonie, les noms auoir ainsi esté donnez aux iours.
[-f.122v-] [Pontus de Tyard, Solitaire second, f.122v; text: Lundi fait Diapenté à Mardi. Mecredi, Diapenté à Ieudi. Vendredi, Diapenté à Samedi. Dimanche, Diatessaron à Lundy. Samedi, Diatessaron à Dimanche. Ieudi, Diatessaron à Vendredy. Mardi, Diatessaron à Mecredi.] [PONSOL 08GF]
I'enten bien (luy dy-ie) qu'encores que telles contemplations n'eussent esté inuentées des Egyptiens et de Pythagore, ny approuuées par Platon et les siens, vous pourriez nous en forger d'aussi bonnes: mais ce ne seroit pour me persuader que les Cieux resonnent aucunement: opinion que ie dirois volontiers Pythagore n'auoir iamais receuë, sinon pour le regard du cours Symmetrié par nombres proportionnez, en l'émotion des Demons ou intelligences motrices. Bien confesseray-ie (à fin que vous ne trauailliez d'auantage à nous reciter telles oisiues subtilitez des Anciens) qu'il ne se peut faire, que l'ouurage admirable de l'incomprehensible Vniuers soit composé sans proportion, [-f.123r-] et mesure balancée en toute perfection: ce qui est encores recogneu en la creation des corps inferieurs, mesmes de l'homme: selon l'iconomie et description duquel, il appert qu'en la bien ordonnée composition de toute chose, la conuenance de proportion est requise, soit en voix, saueurs, couleurs, corps, nombres, figures, paroles, ou affections: tesmoin, d'vne partie, le Septenaire de Straton et de Diocle Caristien, en la conception, nourriture, et accroissement de l'Embrion, auec les Climacteres tant nommez entre les naturels, que mesmes l'ordre en est approuué des Medecins. Mais, pour vous ouurir ma pensée, toute l'Academie ne pourroit, sans plus viues raisons, me faire croire, que les Cieux rendent aucun son, et que l'opinion ne soit moquée auec bon iugement, de penser que nous soyons sours aux plus grans sons, et aux moindres ayons l'ouye si prompte. Aussi le croiray-ie, quand Aristote le croira. Possible (repliqua le Curieux) que pour ne m'estre declaré assez facilement, ou pour n'auoir dit tout ce que ceux qui ont traité ceste harmonie alleguent auec plus d'apparence de raison, ceste opinion vous semble moins receuable. Vous estes (luy dy ie) assez heureusement disert, pour sçauoir descouurir voz conceptions: mais i'ay l'apprehension tant dure, que si subtils discours n'y peuuent aucunement entrer: et imaginerois, à meilleure et plus seure occasion, les proportions de Musique assemblées en Pasithée toutes d'vne egalité accomplie. Ie vous prie (dit elle), Solitaire, si vous voulez rechercher quelques mesures d'accomplissement, formez, vne Idée en vostre esprit: car [-f.123v-] icy peut parfait y trouuerez vous l'exemplaire. Ayant (luy repondy-ie) de si long temps simplement loüé en vous la beauté, mais extremement aimé la vertu: il me deuroit estre, hors de tout soupçon, permis d'en dire dauantage: si vostre modestie, laquelle ie crain d'ennuyer, m'en donnoit liberté. Ce sera (dit-elle) assez, si le Curieux, discourant la Symmetrie du corps, vous releue de la peine de laquelle vous estes excusé. Oui vrayement (dit-il, souriant) pour en rapporter le fruit de son incredulité. Dites Curieux (repondi-ie) dites hardiment: car ie croy bien que des humaines bouches sortent les harmonies: mais si vous me vouliez (hors de l'equiuoque du mot harmonie) faire entendre, que les proportions des membres resonnassent, ie serois contraint de vous en refuser la creance. Qu'auez-vous (adiouta Pasithée) à contreuerser l'vn à l'autre? [Façons ordinaires de ceux qui discourent ou disputent. in marg.] Vous, Solitaire, auez commencé vn recueil de l'ancienne opinion de Musique, et l'auez bien fondé. Et vous, Curieux, recitant quelques anciennes speculations, pour supplément de plus viues demonstrations vous estes appuyé sur l'authorité des hommes plus aduoüez: considerez la raison sans authorité, elle est beaucoup hardie, et non sans danger d'estre cauillée: l'authorité sans la raison: supersticieusement craintiue, et facile à deceuoir: mais où les deux se peuuent accoupler, lors la reuerence duë à l'authorité et la viue force de la raison, forment vne vraye resolution de la chose disputée en nos espris. Quant à moy (si mon respect vous sert de quelque chose) ie vous prie, Solitaire, de croire que ie retien la description faite par vous de la Musique, pour [-f.124r-] vraye cognoissance de la discipline: et vous, Curieux, que le discours de la Mondaine harmonie me plait, et semble indigne d'estre ignoré, puis que tant de grans Philosophes en ont honoré leurs escris. [L'homme est vn petit Monde. in marg.] Reste, que si en nostre espece humaine (qui sommes le petit Monde) il y a quelque iuste et obserué compartiment, et si vray est l'opinion de Pythagore, disant, que l'entiere vie de l'homme ne peut estre sans vne nombreuse consonance: vous m'en donniez cognoissance: à fin que ioint à ce qu'auiourd'huy i'ay ouy, ie puisse m'asseurer d'auoir retiré de vous, au moins les premiers lineamens de la Musique vniuerselle. Apres quelques paroles adioutées à celles de Pasithée de la part du Curieux et de moy, il dit: [Musique humaine. in marg.] Admirable est la Symmetrie auec laquelle les membres de l'homme sont rapportez l'vn à l'autre: et, bien que diuerses soient les statures; semblables toutesfois en la plus part se treuuent les proportions (sinon aux monstreuses) plus communes: les proportions, dy-ie, quadruples, triples, doubles, d'autant et demy, et autres, desquelles vous sçauez les consonances Musicales estre tirées. [Proportions de l'homme. in marg.] Le nez disposé en trois longueurs, remplit au long l'entier espace d'vn visage: deux voutes de deux sourcils, ou deux demi-cercles des oreilles, ou deux rondeurs des yeux ensemble, forment la grandeur de la bouche ouuerte, comme en baillant. Vne longueur de la leure, ou de l'oreille, se treuue egale à la longueur du nez. L'estendue des deux bras, ou l'extreme ouuerture des iambes, se rapporte à la longueur de l'homme: comme fait la longueur de la teste multipliée huit, neuf, ou dix fois selon les [-f.124v-] diuerses statures: [Albert Durer. in marg.] chose qu'Albert Durer a tres-curieusement rapporté en ce qu'il a escrit de la Symmetrie du corps humain: et qui requiert la mesure expresse: mais trop longue empesche à ce peu de loisir que nous auons, et d'autre plus propre sujet (à vray dire) que cestuy, auquel pour vous en contenter, Pasithée, i'adioute, que la main, depuis la iointe du bras iusques au bout du grand doigt, faict vne dixiesme partie de l'entiere personne, et se rapporte egalement à la face, depuis le creux du menton iusques au haut du front où commencent à naitre les cheueux: et depuis ce mesme endroit iusques au bas de la gorge, est vne sixiesme partie. Si vous mesurez depuis le bout du menton iusques à la naissance des cheueux, au haut du front, qui est vne face entiere, vous trouuerez la dimension de tout le corps, en la multipliant neuf fois, et vn tiers, selon vne fort raisonnable mesure: [Comme tout le corps se rapporte à la face. in marg.] car depuis le haut de la poitrine iusques au centre, ou pres de là où le Diaphragme confine à l'estomac, est vne face: et depuis cest endroit iusques au nombril, vne autre: d'où s'estend vne mesme longueur iusques à celle partie qui finit le tronc du corps, et d'où commencent à se separer les cuisses: qui, iusques au neud mouuant le genou, sont estenduës en longueur de deux faces: et la iambe en autre deux, depuis le bas du genou, iusques à la cheuille du pié, depuis laquelle, iusques au bas de la plante, est vn tiers de face: et mesme espace contient le neud, ou mouuement du genou, comme encores fait la distance depuis le plus haut de la poitrine où le col s'arondit, iusques au menton: [-f.125r-] ainsi, ces trois tiers ioins, vallent vne longueur de face, montant le tout neuf mesures, outrepassées d'vn tiers de face, depuis la racine des cheueux sur le front, iusques au sommet de la teste. Que ceste mesure soit infalliblement vraye, il ne se peut asseurer, tant Nature se delecte à declarer en ce sien plus cher ouurage, l'industrieuse diuersité de sa maitrise. Aussi se trauaillent sur ce point les Symmetriens d'vne peine estrange recherchans aux grosseurs, des mesures proportionnées: comme la grosseur de la iambe, rapportée à celle du bras en proportion d'autant et demy: la cuisse triple au bras, et ainsi du pouce, des doigts et autres membres, sur lesquels l'on considereroit aisément mesme harmonie qu'aux nombres entrerapportez pour Diatessaron, Diapenté, et autres accors, mais le Solitaire n'en est d'auis. Ie suis coustumier (dy-ie) d'émerveiller les choses qui portent ou corps ou ombre de verité: aussi me plait la diligence des Anciens, qui n'ont rien espargné, n'ont pris horreur en la cruauté de l'Anatomie, pour s'asseurer des mesures exterieures et interieures du corps humain. Que toutefois en lineamens bien conduis, ny en teint bien coloré, il faille assoir la principale harmonie, nommée par les Anciens humaine Musique, ie n'en suis d'auis. [Vraye Musique humaine. in marg.] Mais si les actions guidées à bonne fin, et les passions, temperées par les vertus, sont dites la vraye Musique de l'homme, ie seray auec vous, et croiray que chacun en soy la peut sentir, si auec quelque consideration il se contemple soy-mesme. Car, comme peut se mesler auec le corps celle incorporelle viuacité de raison, si ce n'est moyennant quelque secrette [-f.125v-] temperance, à bon droit surnommée consonance et harmonie? mercy de laquelle les parties et offices de l'Ame, bien que diuers, toutefois sortent d'vn et retournent en vn, se diuisent, et reioignent ensemble. [Harmonie entre les humeurs complexionnaires. in marg.] En cest endroit (aiouta-il) a esté plus subtilement employé le trauail des Philosophes, qui, outre le mouuement harmoniq des quatre humeurs complexionnaires (desquelles les accors et temperies s'appellent santé: et les discors et excez s'appellent maladie, tesmoin les diuerses alterations du musical mouuement du pous aux febricitans et sains: [Harmonie du mouuement de l'Ame. in marg.] et de l'ordre des iours Critiques, royaux, comme dit Galen, ou Tyranniques) ont consideré trois mouuemens de l'Ame: [Le Desir. in marg.] le premier, du Desir, si ce mot suffit à exprimer ce que l'on dit Concupiscence: [L'ire. in marg.] le second, de l'Ire: [La Raison. in marg.] et le troisiesme de la Raison: par lesquels il s'engendre en nous vne harmonie, et vne Dissonance intellectuelle. [Comparaison des humeurs corporelles, aux puissances de l'Ame. in marg.] Car ainsi que les humeurs du corps, par egalité et temperie, ou par excez et intemperie le rendent sain ou malade: aussi, selon que ces trois puissances sont esmuës, l'Ame est en dissonante ou consonante disposition. [Trois vertus accommodées au Desir. in marg.] Le Desir doit estre conduit en trois especes; l'Ire, en quatre: et la Raison en sept, qui se nomment vertus: [Temperance. in marg.] desquelles, la premiere du Desir est Temperance, qui s'employe aux mespris des voluptez: [Continence. in marg.] la seconde, Continence, souffrant sans ennuy le defaut: [Vergongne. in marg.] la troisiesme, Honte ou Vergongne, qui nous remonstre d'eslongner de nous l'impudente iouyssance des voluptez. [Quatre vertus accommodées à l'Ire. in marg.] Quant à la partie qui exerce le mouuement d'Ire, elle reçoit la Clemence pour vne premiere vertu: [Clemence. in marg.] pour la seconde, la Hardiesse [-f.126r-] ou l'Asseurance: [Asseurance ou Hardiesse. in marg.] ou pour les deux autres, la Force, et la Fermeté ou Constance, qui ne se lasse au labeur. [Force. Fermeté ou Constance. in marg.] Reste la puissance raisonnable, dispensée en sept, assauoir, Entendement, Perspicacité, Curiosité, Consultation ou Consideration, Sapience, Prudence, et Experience. [Sept vertus accommodées à la Raison. in marg.] Ainsi ont ils diuisé ces puissances de l'Ame: comparant le Desir et ses trois vertus à Diatessaron: [Diatessaron du Desir. in marg.] l'Ire et ses quatre vertus à Diapenté: [Diapenté de l'Ire. in marg.] et la Raison à Diapason, selon son septenaire. [Diapason de la Raison. in marg.] Ioint que pour l'accomplissement d'vne parfaicte consonance de l'Ame, la Iustice est necessaire, pource que c'est elle qui rapporte et accorde les affections, passions, et puissances, corporelles et intellectuelles, l'vne à l'autre: et fait aux dissonances de l'Ame, ce que la purgation ou correction des humeurs superfluës ou corrumpuës, pour la restitution de la santé, qui peut estre nommée Harmonie corporelle. Dauantage ces quatre vertus tant renommées, Temperance, tirée du ternaire de Diatessaron: [Perfection du quaternaire. in marg.] Force, du quaternaire de Diapenté: Prudence, du septenaire de Diapason: et Iustice, de l'accomplie consonance: sont honorées de secrettes vertus du sainct et parfaict quaternaire, par plusieurs belles contemplations, estendues souz la Philosophie Pythagorique: en consideration des quatre parties du nombre quaternaire, qui, rapportées l'vne à l'autre, engendrent toutes les consonances: car, 1, contre 2, rend Diapason, en double proportion: et 1, à 4, en quadruple, Disdiapason: 1, à 3, triple, Diapason-diapenté: 3, à 2, d'autant et demy, Diapenté: et 4, à 3, d'autant et tiers, Diatessaron: et qui recueillies [-f.126v-] ensemble engendrent dix: nombre commancement et fin des simples et composées multiplications: et separées en deux, assauoir vn et deux d'vn costé, et trois et quatre de l'autre:
[Pontus de Tyard, Solitaire second, f.126v; text: 1, 2, 3, 4, 7, Perfection du septenaire.] [PONSOL 08GF]
vn et deux representent la naissance de toute parité et imparité, d'où, comme de masle et de femelle, naissent les autres nombres et consonances: Et de trois et quatre est entendu sept: nombre parfait, et (comme disoient les Anciens) digne du nom Minerue, sans mere, et vierge perpetuelle: tant pource qu'il n'est engendré de pair à pair, ny d'impair à impair que pource qu'il n'engendre par multiplication de soy, aucun nombre qui ne soit superflu, outre le dix. Aussi pource qu'à la creation de l'Ame vniuerselle il merita seruir de chef en la proportion de tant parfait ouurage, mesmes si nous croyons Hypocrate, de ce nombre ordonnant les parties plus necessaires à l'vsage vital. Pourray-ie aiouter sans me faire trop curieux, le consentement des vertus espandues de l'Ame au corps par harmonieuse proportion? [Temperance, comparable à beauté. in marg.] comme de la Temperance, autant requise l'embelissement du teint, par les couleurs: et aux lineamens des traits, qu'au choix ou mespris des voluptez, selon qu'elles sont à craindre ou receuables en l'Ame? [Force, comparable à la vigueur corporelle. in marg.] La Force s'estend-elle point en la corporelle vigueur, comme l'Ame constante et magnanime la semble requerir? [Iustice comparable à la santé. in marg.] De la Iustice, il est euident que ce n'est autre chose, en parangon de ce qui touche au corporel, qu'vne iuste proportion d'humeurs, empeschant que l'vne ne surmonte l'autre. Tellement que celle vertu, qui par equité prend en l'Ame nom de Iustice, au corps signifie santé. Ainsi celle [-f.127r-] qui est nommée Force, pource qu'elle efface en l'Ame toute horreur de peril, au corps se peut appeller vigueur (puis que ce mot, Force seroit commun à deux) et nerueuse disposition. Et la Temperance, en ce qu'elle concerne l'Ame, est comparable à beauté corporelle. Ie veux dire que ce qui s'appelle Temperance en l'Ame peut estre comparé à la beauté corporelle: comme Force à la vigueur, et Iustice à la santé. [A quoy est Prudence comparable. in marg.] Quant à la Prudence, elle n'est parangonnable à aucune corporelle vertu, pource qu'elle est toute intellectuelle, si ce n'est à l'officieuse promptitude et sagacité des cinq sens. [Trois vies, comparables aux trois genres de Musique. in marg.] Dauantage, si vous voulez subtiliser en vous mesmes (et non possible impertinemment) sur la Contemplation, l'Action, et le genre meslé des deux, qui est dit Actif-contemplatif, vous pourrez recognoistre les proportions des trois Musiques, Diatonique, Chromatique et Enharmonique: assauoir l'Enharmonique, à la Contemplation: la Diatonique à l'Action: et la Chromatique à la meslée des deux. [Opinion que l'ame soit harmonie. in marg.] Brief, vous ne iugerez auoir esté hors de propos celui qui dit l'Ame estre harmonie, ny celuy qui l'appelle substantielle concorde, ou substance accordée, puis que de tant de diuersitez, par certaines proportions r'accordées ensemble, nous cognoissons qu'elle tient son essence. [Opinion que l'ame n'est harmonie, ny nombre, ny mouuement. in marg.] Toutefois (dy-ie) si harmonie procede d'vne raison de proportion constituée en chose entre meslée, et (si ie puis ainsi parler) composée de pieces rapportées, comme i'ay apris que diuerses consonances font la harmonie: l'Ame indissoluble, et non composée, sauf tout respect Platonique, ne me semblera estre harmonie, non plus que nombre, [-f.127v-] ny mouuement se mouuant, ny (pour ne plus nous perdre en ces disputes) autres telles nuées: qui ont plus monstré de curiosité que de preuue ny apparence de verité, principalement en cestuy nostre sujet de Musique, Pasithée, à laquelle hier i'atribuay, comme essentielle de Poëtique fureur, la puissance premiere de l'esleuation intellectuelle, hors des perturbations et passions humaines, qui, tout ainsi que la Poësie iointe à la Musique, les peut esmouuoir si viuement: aussi, comme nous auons dit auiourd'huy, peuuent par ces deux estre rapaisées, et l'entendement humain remis au chemin pour remonter à sa tranquillité originelle: et les parties de l'Ame escartées et vagabondes çà et là desordonnément, reduites ensemble. [Coustume de Pythagore. in marg.] Chose que Pythagore cognoissoit trop bien, quand soudain apres qu'il auoit vsé de son corps plus corporellement, comme au dormir, et au boire et manger, touchant vne Lyre. Ie rappelle (disoit-il) les Muses eslongnées de moy par ce corporel exercice: et les inuoque à fin que par leur ayde soient rassemblées en vn mesparties plus celestes, égarées quelquefois loin de leur immortelle sourse, pour le soustenement de ceste humanité: Et ce entendant non seulement de la Musique harmonieuse de voix et d'instrument, mais encores de celle harmonie des vertus qui guide l'Ame à son bien souuerain d'extreme tranquillité, et comme par vn rauissement, l'eslieue hors de toutes corporelles passions. Ainsi que les sons d'vne Musique parfaitement mesurée tirent les escoutans hors de toutes autres pensées, et empeschant le seul sens de l'ouïe, font demeurer les autres inutiles, et sans aucun exercice [-f.128r-] de leurs peculieres et propres actions. Ie fiz vne courte pause, puis recommençay: Vous auez, Pasithée, ouy en partie ce que l'on peut dire de la Musique, par laquelle les premieres pennes rompuës aux aisles de nostre Ame precipitée sont renouuellées à l'aide de la Poësie: car l'vne sans l'autre me semble n'auoir grand' efficace. Vrayement (dit-elle) ie desirerois qu'il vous plut me donner autant cognoissance de Poësie, que vous auez fait de Musique: car ce que vous me dites hier, ne touchoit aucunement à l'art. Vous auez (respondy-ie) vne tant gentile naturelle inclination à la Poësie, et en faites si seure preuue par voz doctes et gracieux vers, que i'endoctrinerois Minerue, si, de chose qui vous est tant uaïfue, i'essayois de vous en rien monstrer: aussi que les Poësies Grecque et Latine, n'ont tant de commerce auec noz rimes, que leurs preceptes (car ie ne veux promettre presomptueusement aucune suffisance de mon esprit) pussent assez nous seruir en cecy. [De la Poësie Françoise de ce temps. in marg.] Et bien (dit le Curieux) tenez vous en si peu de pris nostre langage François, que sa Poësie soit indigne de nom? Non vraiement, respondy ie, mais ay en reuerente bienueillance tous ceux qui par imitation ou par inuentions propres, taschent de l'enrichir. Toutefois ie recognoy encores aux parties des vers qui requierent plus d'obseruations (ce sont les syllabes) si peu de mesure certaine, que ie n'oserois entreprendre d'en former vne seule reigle: mesme qu'à nostre Musique ie voy defaillir l'occasion de plus viue energie, qui est de sçauoir accommoder à vne Mode de chanter, vne façon de vers composée en pieds et mesures propres: comme ie croy les anciens Grecs, et Horace (si autre Latin [-f.128v-] y a pris garde) auoir trescurieusement obserué. Comment, (repliqua le Curieux) les Poëtes de ce temps vsent ils indifferemment de toutes sortes de vers sans respect du merite de leur sujet? se peut-il voir en autre langue de plus ingenieux Poëmes? Ie ne veux loüer entre nous les nostres (respondy-ie) parmy lesquels ie souhaite que l'enuie ne s'acharne au mespris l'vn de l'autre: et leur desire au reste, tant heureuse continuation, que les estrangers ayent par cy apres à nous rendre ce que, par l'ignorance de quelques derniers siecles passez, nous auons esté contrains leur prester de loüange et d'admiration. Bien voudroy-ie que quelqu'vn plus hardy, et plus que moy suffisant, entreprint, et vint à chef d'vn art Poëtique approprié aux façons Françoises: [Moyen de parfaire la Poësie Françoise et de la ioindre à la Musique. in marg.] ie requerrois qu'il prescrit des loix Musicales: nommées loix anciennement, pource que selon leur disposition, laquelle il n'estoit permis d'enfreindre, la Mode de chanter: [Loix de Musique et les raisons de tel nom. in marg.] et la façon des rimes estoient gardées inuiolablement: ioint que les premiers, priuez de la commodité des lettres, ausquelles ils pussent fier la conseruation de leurs loix, les chantoient, et ainsi les monstroient aux ieunes, à fin que le plaisir du chant, rechanté souuent, les imprima plus tenamment en la memoire. Ie requerrois donq (veu-ie dire) qu'à l'image des Anciens (si bien leurs Spondées, Trochées, Embateries, Orthies, et telles autres façons sont loin de l'vsage de tous, et de la cognoissance de peu) noz chants vssent quelques manieres ordonnées de longueur de vers, de suite ou entre-mellement de Rimes et de Mode de chanter, selon le merite de la matiere entreprise par le Poëte, qui obseruant en ses vers les proportions [-f.129r-] doubles, triples, d'autant et demi, d'autant et tiers, aussi bien qu'elles sont rencontrées aux consonances, seroit digne Poëte-musicien, et tesmoigneroit que la harmonie et les Rimes sont presque d'vne mesme essence: et que sans le mariage de ces deux, le Poëte et le Musicien demeurent moins iouissans de la grace qu'ils cherchent aquerir. Mais pource que ce propos requiert vne plus longue haleine, que ie n'estime la mienne, ie le laisse: pour vous prier (m'adressant à Pasithée) de ioindre ce que nous auons dit de la Musique, à ce qu'hier i'auois commancé souz le nom des Muses, d'où le Musicien-poëte ou, Poëte-musicien, reçoit l'enthusiasme, et est épriz de celle sainte Poëtique fureur: laquelle (puis qu'à ce que i'ay dit qu'elle tempere les dissonances de l'Ame, ie ne veux rien adiouter) quand il vous plaira i'accompagneray des autres. [Occasion du troisiesme Solitaire. in marg.] Le Curieux ayant su l'occasion de nostre discours, et comme le iour precedent i'auois touché briefuement les noms des quatre fureurs diuines, auec promesse d'en faire plus expresse description, pria Pasithée luy permettre, au iour suiuant, de seruir d'vn tiers. Mais (dit-elle) ie vous en prie, asseurée que ce ne pourra estre sans aide de vostre gentil esprit. L'heure de nous retirer s'aprochoit. Par quoy le Curieux prenant congé (apres qu'entre quelques autres gracieuses façons, elle eut fait monstre de sa rare et admirable industrie de toucher vne Espinette) et moy l'ayant honorée d'vne humble reuerence, la laissant nous retirasmes en ma maison.
[-f.129v-] LA COMPOSITION ET L'VSAGE dv Monocorde.
POvrce que la plus viue demonstration, par laquelle l'on puisse cognoistre les consonances Musicales, est en l'espreuue de certaines proportions, comme i'ay dit en autre lieu: et pource que i'auray plaisir d'en faciliter la cognoissance, à ceux qui voudront tromper les heures plus longues, et plus ennuyeuses à passer, en l'occupation de Musique: il m'a semblé plusque pertinent, de representer icy l'image d'vn instrument creux, et de libre longueur, largeur, et profondeur (car la discretion de celuy qui en voudra faire vn, pourra luy ordonner corps assez aërien pour ne refuser la resonance au maniement de la corde) moyennant lequel, les consonances differentes sont cognuës sur differentes proportions: industrie premierement escrite par Boëce, et depuis accommodée par le docte Glarean: apres lesquels si i'ay esclarci ou adiousté, en soit iuge quiconque en tirera l'experience. Premierement, aux deux extremitez de la longueur, soient fichées deux ou quatre cheuilles: demeurant celles d'vn costé fermes et non remuables, pour seulement soustenir et arrester le neu des cordes y attachées: et celles de l'autre part soient flexibles, pour estre tournées à mode de celles d'vn Lut ou d'vne Lyre, Puis assez pres de chacune de ces deux extremitez soit colé vn cheualet en droit fil: à fin que dés l'vn iusques à l'autre puisse estre estendue vne ligne, tirée droitement, et occupant l'entier espace qui est [-f.130r-] entre cesdits deux cheualets colez. Ici est requis l'egard plus curieux: car la corde attachée aux cheuilles, et passant par dessus l'vn et l'autre cheualet, est representée par ceste ligne: laquelle il faut diuiser en autant de sortes qu'il est necessaire pour rencontrer les diuerses consonances. Donq, diuisez la en trois egales parties, et marquez chacun trait diuisant, de particuliere couleur, ou les conioingnez de demy cercles, à fin que quelque confusion ne naisse par la multitude des autres diuisions qu'il faut continuer, coupant la mesme ligne en quatre: puis en cinq: encores en sept: en outre, en dix et sept: puis en 499, ou (si l'espace ne le permet) en 256. Et faut tres-egalement obseruer les distances: autrement, de vostre diligence ne sortira l'espreuue desirée: qui vous contentera, les ayant mesurées iustement par l'vsage d'vn tiers cheualet remuable et coulant: c'est à dire qui n'est colé ou attaché en lieu expres, mais est transportable en tel endroit qu'il vous plaira. Voicy la ligne tracée et diuisée: la corde (Diametrale comme la ligne) tendue et arrestée: faut maintenant rechercher Disdiapason, ainsi: Choisissez le premier ou quatriesme traict, diuisant vostre ligne en cinq, et sur iceluy posez le cheualet remuable si iustement, auec l'aide d'vne ligne perpendiculairement descendant de son trenchant au milieu de ses pieds, que l'vne des parties de la corde soit vne, et l'autre quatre: ores touchez auec plumes les deux parties de la corde, deçà et là le deux cheualet remuable, et vous orrez le contre-son Disdiapason ou quinziesme par quadruple proportion, [-f.130v-] car l'vne des parties est quatre fois aussi longue que l'autre. Apres, pour la cognoissance de Diapason-diapenté, qu'ils nomment douziesme, coulez le cheualet muable dessouz la corde, sur l'endroit où est marquée la troisiesme ou premiere coupe de la ligne en sa diuision par quatre parties: à fin que la plus longue part de la corde soit trois fois aussi grande que la petite, et que l'vne contre-sonne à l'autre Diapason-diapenté par triple proportion. Suit l'ordre Diapason, Double ou Octaue: dequoy l'oreille vous iugera l'essence naistre en proportion double, si vous disposez le cheualet muable sur la seconde trace, diuisant la ligne en trois: car la plus grande partie, rapportée doublement à la moindre par resonance de Diapason l'vne contre l'autre, en fait foy: comme aussi Diapenté vous sera euident, accommodant droitement le cheualet muable (necessaire ministre de ceste recherche) sur la deuxiesme ou troisiesme marque, diuisant la ligne en cinq: tellement que d'vn costé la corde soit estendue en deux pars de la diuision, et l'autre en trois, à fin que souz vne proportion d'autant et demy, l'vne partie soit ouye contre-sonner Diapenté à l'autre. A mesme euidence s'offre Diatessaron, coulant le cheualet muable souz la corde, droit dessus la troisiesme ou quatriesme trace, diuisant la ligne egalement en sept. Car si de sept egales parties, l'vn des costez en occupe trois, et l'autre quatre, les deux differences resonneront Diatessaron, ou vne quarte, par vertu de proportion d'autant et tiers. Mais si vous voulez esprouuer de quelle proportion le ton entier prend sa naissance, oyez-le en sonnant les deux [-f.131r-] parties de vostre corde mipartie par le cheualet muable, assis sur la huitiesme ou neufiesme coupe, diuisant la ligne en dix et sept: tellement que d'vn costé elle s'estende en neuf, et de l'autre en huit, ceste proportion d'autant et huitiesme, fait la difference d'vn ton. Reste, que ie voudrois ceste fueille estre capable de receuoir en la ligne figurée vne diuision de 499, à fin qu'asseant le cheualet muable sur le trait 243, qui laisseroit de l'autre part 256, vous ouïssiez par le son de l'vne et l'autre partie, la vraye estendue du demy ton petit, vsité auiourd'hui en, mi, fa, et nommé Limma par Platon, ou Diese par les autres. Toutefois à peine de transformer ce corps musical de Monocorde en Dicorde, ie vous dresse vn autre et plus facile moien, tirant vne ligne aupres de la premiere, et de mesme longueur: qui sera diuisée en 256 egales parties. Pour ce respect adiouterez-vous vne seconde corde, de mesme grosseur, mesme estendue, et (comme il sera tres facile) de mesme ton que la premiere: et coulerez le cheualet remuable souz l'vne des deux cordes, droit dessus la trace treiziesme diuisante en 256, parties: tellement que la corde, qui (n'estant touchée du cheualet) estend son entier en 256: et la grande partie de l'autre, laquelle le cheualet diuise, laissant d'vn costé 13, et de l'autre 243, sont en contre-son d'vn demy ton petit, par difference de 256, et 243, selon la preuue du sens de l'ouye iointe à la raison, et opinion authorisée du Timée Platonique. De cecy ie vous ay figuré vn portrait tel quel, ainsi que le papier peut receuoir, asseuré que ny en cestuy, ny aux autres, vous ne requerrez de ma libre et volontaire [-f.131v-] diligence, le deuoir, ou la serue peine d'vn artisan: ou celle exacte obseruation qui ne vous deceura, si vous elaborez, en plus grande longueur et largeur, tel espace, que sus vne mesme face de bois (plus obeissamment fidele au compas que le papier) les proportions Chromatiques, et Enharmoniques soient logeables: i'enten des Diaschimes, Commes, et Schismes, tant difficilement rapportables au iugement de l'oreille, que telles petites, mais necessaires, parties, sont pour demeurer incognuës, et (à grand tort) en reputation de recherche oisiue et inutile: si par la mercy de quelque instrument, tel qu'est le grand Monocorde que ie vous feray voir apart, l'admirable subtilité des antiques Musiciens ne reuient en lumiere.
[Pontus de Tyard, Solitaire second, inter f.131v-f.132r; text: Monocorde. Cheuilles fermes. Cheualet colé, et immuable. Cheuilles flexibles pour tendre ou lascher les cordes. [Magas]: Cheualet coulant, ou muable. A l'endroit de ceste treziesme trasse diuisante, faut couler le cheualet muable, pour iuger la difference de Limma, ou demy ton petit, entre l'vne et l'autre corde. tierce, quarte, quinte, septiesme, dix-septiesme, 3, 4, 5, 7, 17, 256] [PONSOL 09GF]
[-f.132r-] Guillaume Des Autels au Solitaire et à Pasithée.
La vicieuse ignorance vulgaire,
De la vertu l'ennemie dentée,
Creue à ceste heure ardemment depitée
Voyant si clair ton honneur, Solitaire.
Mais toy, à qui rien mortel ne peut plaire,
Belle, sçauante, et sage Pasithée
Ry, en voyant la gloire au Ciel portée
De ta vertu, plus que le Midy claire.
O Deux esprits nez de celeste race,
Qu'à bon droit est ce siecle glorieux
Qui s'enrichit des biens de vostre grace!
Ne sçay comment ja desia furieux
Vous me rendez, de suiure vostre trace
(Mais pourneant helas) trop curieux.
Travail en repos.
Guglielmus Altarii Carolatis, ad Pontum Tyardaeum Endecasyllabi.
Quo mentem rapiant furore Musae,
Ad coelúmque animos vocet Cupido,
Si vis tutius explicare nobis:
Artem desine seculis sepultam
Multis, atque labore pertinaci
Ignotos lyricae modos Camoenae
Chordis reddere, vocibúsque nostris:
Nec quae Pythagoras Platóque sacris
Inuoluunt numeris, refer: quid ergo?
Nobis Ponte tuos refer furores.