TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Rameau, Jean-Philippe
Title: Génération harmonique, ou traité de musique théorique et pratique
Source: Génération Harmonique, ou Traité de Musique Théorique et Pratique (Paris: Prault fils, 1737; reprint ed. in Jean-Philippe Rameau [1683-1764] Complete Theoretical Writings, Miscellanea, vol. 3 [n.p.: American Institute of Musicology, 1968]), ir-viiv, 1-227, iiv-viiiv.
Graphics: RAMGEN 01GF-RAMGEN 11GF
[-ir-] A MESSIEURS DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES.
MESSIEURS,
La Musique n'est pour le commun des hommes qu'un Art destiné à l'amusement, et dont il n'appartient qu'au goût d'enfanter et de juger les productions: pour Vous, elle est une Science fondée sur des principes, et qui, en enseignant [-iv-] à flatter l'Oreille, fournit à la raison de quoi s'exercer.
Long-tems avant que la Musique eût acquis le degré de perfection où elle est parvenue, plusieurs Sçavans l'ont jugée digne de leur attention et de leurs recherches; et presque depuis qu'elle existe, elle jouit de l'honneur d'être regardée comme une Science Phisicomathématique; on peut dire même qu'elle a cet avantage singulier, qu'elle peut toujours offrir en même-tems à l'esprit et aux sens tous les rapports possibles par le moïen d'un Corps sonore mis en mouvement; au lieu que dans les autres parties des Mathématiques l'esprit n'est pas ordinairement aidé par les sens pour appercevoir ces rapports.
C'est à Vous, MESSIEURS, que sont dûs la plûpart des progrès qu'on a fait dans les Sciences et dans les Arts, et c'est de Vous principalement qu'il faut attendre ceux qu'il reste à faire: daignez donc seconder mes efforts pour [-ijr-] découvrir les secrets d'une Science qui a été en recommandation dans tous les tems, et chez tous les Peuples éclairés, et qui ne peut être-regardée comme étrangere dans aucune Academie, puisque non-seulement elle embrasse, comme les autres parties des Mathématiques, la connoissance des rapports, mais qu'elle peut encore se vanter, aussi bien que l'Eloquence et la Poësie, d'exciter et de calmer à son gré les passions.
Beaucoup de Musiciens, même de ceux qui se sont servis le plus heureusement des moïens que peut leur fournir leur Art dans les cas déja cités, les ont emploïés sans les connoître; il n'est pas cependant douteux que ces mêmes moïens ne puissent être réduits en théorie par les personnes aussi accoutumées que Vous à joindre la réflexion au sentiment. Je sens ma foiblesse, et je n'aurois pas osé, sans votre secours, former une entreprise dans laquelle plusieurs autres ont échoué avant moi; je suis même obligé [-ijv-] d'avouer que si j'ai fait quelques découvertes dans un païs si peu connu, quoique très-fréquenté, j'en suis redevable sur-tout aux lumieres dont quelques-uns de Vous, MESSIEURS, ont bien voulu m'éclairer.
C'est un Disciple qui a mis à profit tout ce qui a été en son pouvoir; peut-être est-il encore loin du but; mais il ne désespere pas d'y arriver, pourvû que les mêmes Maîtres, qui lui ont ouvert la carriere, ne dédaignent pas de l'y conduire. C'est dans cette vûe, MESSIEURS, que j'ai l'honneur de vous dédier ce Livre; s'il peut mériter votre suffrage, je suis trop récompensé des soins qu'il ma couté. J'ai l'honneur d'être avec un très-profond respect,
MESSIEURS,
Votre très-humble et très-obéissant seviteur.
Rameau.
[-iijr-] PRÉFACE
JE suis enfin parvenu, si je ne me trompe, à pouvoir démontrer ce principe de l'Harmonie, qui ne m'avoit encote été suggeré que par la voïe de l'expérience, cette Basse fondamentale, l'unique Boussole de l'Oreille, ce guide invisible du Musicien, qui l'a toujours conduit dans toutes ses productions, sans qu'il s'en soit encore apperçû, mais dont il n'a pas plutôt oüi parler, qu'il l'a regardé comme son propre bien; je connoissois déja cette Basse fondamentale, a-t'il dit; cependant s'il se fût bien examiné, il auroit dit simplement, je la sentois: c'est effectivement un de ces sentimens naturels auxquels on peut fort bien ne pas penser, mais qui se développent en nous au moment qu'on nous les rappelle.
C'étoit déja beaucoup pour moi d'avoir [-iijv-] découvert cette Basse fondamentale, telle que je l'annonce dans mon Traité de l'Harmonie; on peut dire que c'est le plus pur raïon d'une lumiere, dont, à la vérité, la source m'étoit encore inconnue; j'ai commencé à l'entrevoir, cette source, dans mon nouveau Systême, et je crois maintenant la toucher de près.
L'expérience m'a d'abord fait sentir ce principe, je l'ai reconnu ensuite dans le Son qui naît de la totalité d'un Corps sonore, et avec lequel résonnent en même tems son Octave, sa Quinte, et sa Tierce majeure; de sorte qu'il ne s'agit plus que d'en découvrir la cause; et pour cet effet, j'ai adopté une Hipothese qui m'a paru très-féconde, et très-lumineuse, dont on trouvera l'énoncé dans le premier Chapitre de cet Ouvrage.
Quelques précautions que j'aïe prises dans mes autres Livres contre l'usage et l'autorité, je n'ai pû cependant m'empêcher d'y souscrire en certains cas où mon principe ne m'éclairoit pas d'assez près, comme dans les bornes du Mode, dans son origine même, aussi-bien que dans celle du Tempéramment de la Dissonnance, de sa succession, des differens genres d'Harmonie, et dans la définition de quelques [-iiijr-] régles: mais plus attentif qu'auparavant, et plus en garde que jamais contre mes premieres idées, je suis rentré de nouveau dans la carriere, à la faveur de l'Hipothese en question, et de plusieurs expériences qui tendent au même but.
J'ai reconnu pour lors que tous les principes sur lesquels on avoit prétendu fonder la Musique, soit chez les Anciens, soit chez les Modernes, naissoient au contraire de la chose même, c'est-à-dire, de l'Harmonie qui résulte de la résonnance d'un Corps sonore; d'où il ne m'a pas été difficile de concevoir la raison pourquoi on avoit fait encore si peu de progrès dans sa théorie.
Laissant à part ce qui regarde les Anciens, dont je toucherai cependant un mot qui suffira pour tout; passons d'abord à Zarlin, ce Prince des Musiciens, selon Monsieur de Brossard, celui auquel effectivement tous les Modernes se sont soumis, Kirchers, Mersennes, et tant d'autres; et voïons s'il étoit bien fondé.
Cet Auteur part de la Proportion Harmonique, et divise, en conséquence, l'Octave, la Quinte, et la Tierce majeure, dont il tire presque toutes les Consonnances, et même le Ton majeur avec le mineur; [-iiijv-] mais pour avoir les Demi-tons, il est forcé d'abandonner son principe, et ne peut plus les tirer que des differences qui se trouvent entre les intervales qu'il a reçus jusques-là de ses divisions; telle a été la conduite des Anciens, puisqu'ils disent tous qu'ils ont tiré le Ton de la difference entre la Quinte et la Quarte, après avoir tiré celles-ci de la division de l'Octave; division qui est pour lors Harmonique: or un principe qui ne donne pas tout, mérite-t'il ce titre, en est-il un effectivement? Ce n'est tout-au-plus qu'un moïen d'arriver jusqu'à un certain point.
La Proportion Harmonique peut bien être regardée comme un principe en Musique, mais non pas comme le premier de tous; elle n'y existe qu'à la faveur des differens Sons qu'on distingue dans la résonnance d'un Corps sonore, et ceux-ci n'y existent qu'à la faveur du Son de la totalité de ce même Corps: donc ce dernier Son en est le principe fondamental, et c'est de là, qu'il falloit absolument partir: l'Hipothese annoncée, et toutes les expériences possibles sur ce sujet le confirment unanimement.
Se servir à propos des Proportions, même des Progressions, les appliquer à leur [-vr-] objet, rien n'est mieux; mais vouloir en tirer leur principe même, et ses dépendances, c'est s'exposer infailliblement à l'erreur: on peut bien, par ce moïen, et sur-tout à la faveur de l'expérience, arriver à un certain point, comme je viens de le dire; mais on ne peut que s'égarer à mesure qu'on avance.
Le but de tous les Auteurs en Musique, tant anciens, que modernes, a été d'abord de trouver les rapports d'une succession Diatonique, telle que l'Oreille la suggere dans cet ordre de Sons, ut. ré. mi. fa. et cetera sans se mettre en peine si cet ordre étoit effectivement le premier de tous, s'il ne dépendoit pas d'un autre, si l'Oreille, en le suggérant, n'y sous-entendoit rien de plus, si la nature, enfin, n'avoit pas en elle d'autres secrets plus cachés qu'il fallût développer; puis ils ont bâti là-dessus; quel fondement! Et d'où ont-ils tiré ces Tons et Demi-tons qui forment une pareille succession, lorsqu'on ne distingue dans la résonnance d'un Corps sonore que l'Octave, la Quinte, et la Tierce majeure du Son fondamental? Si l'on n'y distingue, en effet, que ces Consonnances, on ne connoît donc que cela, et par conséquent on ne pouvoit partir que de là, on ne pouvoit [-vv-] d'abord imaginer de successions possibles qu'entre ces mêmes Consonnances: et je demande pour lors si le Son qu'on fera succéder à celui de la totalité du Corps sonore, qui est en même-tems le fondamental de tous les autres, ne devra pas être également fondamental? C'est ce qu'on ne pourra nier, pour peu qu'on y fasse attention; puisqu'on ne pourra le séparer du premier que par l'entremise d'un nouveau Corps sonore, dont la totalité réponde à son Ton.
Ceci change bien l'ordre des choses, les Sons successifs y deviennent également fondamentaux, chacun d'eux y fournit son Harmonie parfaite, et par conséquent avec chacun d'eux résonnent d'autres Sons, dont il ne s'agit plus que d'examiner tous les ordres possibles de succession, pour voir si l'on n'y découvrira pas celui que l'Oreille pourroit avoir dicté d'avance; et c'est ce qui ne manquera pas d'arriver: la Nature est aussi féconde que simple, elle nous offre dans son sein des trésors inépuisables; mais c'est à nous de découvrir les routes qui doivent y conduire.
Par ce moïen, l'ordre, les rapports, et les dépendances de tous les Sons successifs seront pour lors connus, rien n'y échappera: [-vjr-] mais on en a usé tout autrement; et c'est ainsi qu'abandonnant la racine et le tronc, on ne s'est attaché qu'à l'une des branches.
Une conduite aussi naturelle que celle que je propose, auroit fait ouvrir les yeux au Musicien, bien-tôt il y auroit reconnu la source de toutes ses sensations en Musique, le vrai guide de son Oreille, en un mot, cette Basse fondamentale que donne la succession nécessaire et indispensable des Sons fondamentaux: car enfin tout Son que l'on croit unique, dans quelque Corps sonore que ce soit, porte toujours avec lui la même Octave, la même Quinte, et la même Tierce, dont se forme l'Harmonie: et remarquons bien sur-tout que, non-seulement tous ces Sons ensemble constituent l'Harmonie de leur Son fondamental, mais encore le degré de son Ton, de sorte qu'il n'est apprétiable qu'à la faveur de leur résonnance, selon ce qui paroît dans le premier Chapitre, où j'ai déja renvoïé: or comment veut-on, après cela, qu'il soit possible de détacher ces branches de leur tronc, sans s'exposer en même-tems à perdre le fruit qu'on en doit attendre?
Sçavons-nous ce que l'Oreille sous-entend [-vjv-] dans toutes les successions de Sons qui nous plaisent? D'où vient qu'elle y reçoit les mêmes rapports, tantôt pour des Consonnances, tantôt pour des Dissonnances, tantôt pour des Intervales naturels, tantôt pour d'autres qui ne le sont plus? Comment il se peut faire qu'on chante juste au milieu de plusieurs Instrumens qui ne peuvent jamais être d'Accord entr'eux, quand ce ne seroit même qu'avec le Clavecin seul, dont tous les Intervales sont faux, excepté l'Octave? Et comment il se peut faire encore que la Voix tempére d'elle-même certains rapports de Sons, les altére, en un mot, soit que l'on chante seul, soit qu'on se trouve accompagné d'un ou de plusieurs Instrumens?
S'il est possible de rendre raison de toutes ces choses, ce n'est certainement pas à la faveur du principe qu'on a suivi jusqu'à ce jour: on ne sçait pas même encore pourquoi trois Tons de suite déplaisent, pourquoi l'on ne peut les entonner naturellement, pourquoi deux Octaves, deux Quintes de suite sont défecteuses, en un mot, pourquoi telle succession est plus ou moins agréable: mais qu'a t'on appris jusqu'ici sur le Tempéramment, qu'on doit cependant regarder comme la pierre de [-vijr-] touche d'un Systême de Musique? Tous y ont également échoué; ceux même qui ont pû en trouver les vrais rapports ne les ont dû qu'au hazard, qu'au tâtonnement; je n'en veux pour preuve que le cas qu'on en a fait dans le tems, et celui qu'on en fait encore aujourd'hui.
Laissons en arriere tout ce qui a paru sur la Musique, et examinons seulement le fruit que nous en avons tiré, à présent que l'expérience nous favorise plus que jamais; nous ne trouverons encore aucune régle de l'Art qui porte sa juste définition, ni dont on connoisse par conséquent la juste application: ce n'est pas à dire, pour cela, que nous n'aïons de grandes obligations à ceux qui ont ouvert la carriere, et qui ont bien voulu nous en fraïer les routes; ce n'est, sans doute, qu'à la faveur de leurs lumieres que nous découvrons aujourd'hui ce qui a pû leur échapper: mais il ne faut pas aussi que la prévention nous tienne toujours dans l'aveuglement, et nous empêche de céder à la vérité, quand une fois elle est évidente.
J'aurois pû pousser les conséquences du principe annoncé bien au-delà du but que je me suis proposé dans ce livre; mais le tems n'est pas à moi; et j'espere qu'on voudra bien se contenter, quant à présent, [-vijv-] de ce que j'en ai tiré, soit pour la succession fondamentale, ou Basse fondamentale dont dépend toute la variété de l'Harmonie, et de la Mélodie, soit pour le Tempéramment, soit pour l'origine des Modes, et de leurs rapports, soit pour leurs véritables bornes, où se découvrent, et la raison pourquoi telle succession plaît ou déplaît, et la nécessité de la Dissonnance, non-seulement pour donner un caractere distinctif à chaque Son fondamental, mais encore pour les empêcher de pouvoir jamais s'écarter des routes naturelles au Mode qui existe, et le double emploi de cette Dissonnance pour porter la succession Diatonique d'un Mode jusqu'à l'Octave de son premier Son fondamental, ce qui est encore absolument ignoré; soit enfin pour les régles de la Modulation en général, qui comprennent un abregé de celles de la Composition, et de la maniere de trouver la Basse fondamentale sous un Chant donné.
J'ai renvoïé plus d'une fois à cet Ouvrage, soit dans le Mercure, soit dans les Journaux de Trevoux, pour résoudre des questions qui demandoient un trop long détail, et sur lesquels on pourra prononcer maintenant avec connoissance de cause.
[-1-] GENERATION HARMONIQUE.
CHAPITRE PREMIER.
Origine de l'Harmonie.
L'Harmonie qui consiste dans un mélange agréable de plusieurs Sons différens, est un effet naturel, dont la cause réside dans l'Air agité par le choc de chaque Corps sonore en particulier.
Cet effet naturel se découvre dans une infinité d'expériences, où il frappe distinctement l'Oeil et l'Oreille; on s'y apperçoit non-seulement de l'action des Corps sonores sur l'Air, mais encore de la réaction de cet Air sur ces mêmes Corps sonores, aussi-bien que sur tous ceux qui les environnent; [-2-] ce que nous allons tâcher de développer.
Premiere Proposition.
Ne connoissant point la nature de notre Ame, nous ne pouvons apprétier les rapports qui se trouvent entre les différens sentimens dont nous sommes affectés: cependant lorsqu'il s'agit des Sons, nous supposons qu'ils ont entr'eux les mêmes rapports qu'ont entr'elles les causes qui les produisent.
Deuxiéme Proposition.
L'Air agité par le choc des Corps sonores produit le Son, et forme pour lors un certain nombre de vibrations qu'il reçoit de ces mêmes Corps, et qui répond à leur longueur, grosseur, ou tension; de sorte qu'à mesure qu'ils sont plus ou moins grands, plus ou moins gros, plus ou moins tendus, le nombre de ces vibrations augmente ou diminue dans un même tems donné, d'où nous concluons que le rapport qui se trouve entre un certain nombre de ces vibrations et un autre, est celui des différens Sons qui en naissent.
Troisiéme Proposition.
Nous devons supposer l'Air divisé en une [-3-] infinité de particules, dont chacune est capable d'un Ton particulier; lorsque par exemple, on entend à la fois les deux Sons de la Quinte, dont l'un fait deux vibrations pendant que l'autre en fait trois, on ne conçoit pas comment la même masse d'Air peut fournir dans un même tems ce différent nombre de vibrations; à plus forte raison encore s'il se trouve un plus grand nombre de Sons ensemble, au lieu qu'il est bien plus plausible d'imaginer en ce cas que chacun de ces Sons naît d'une masse d'Air particuliere, dont le nombre des vibrations occasionne le degré du Ton qui nous affecte pour lors.
Il y a dix ou douze ans que Monsieur de Mairan, dont le nom seul fait l'éloge, raisonnant avec moi sur mon sistême, me communiqua cette réflexion sur les particules de l'Air, et qu'il m'expliqua son idée fort en détail, conformément à ce qui en a été rapporté dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de l'année 1720. page 11. Mais n'ayant pas encore les vûes tournées de ce côté-là, je ne sçus pas en profiter, et je l'avois même oublié, lorsque Monsieur de Gamaches me rappella ce que m'avoit dit Monsieur de Mairan; et par une bonté dont je ne puis trop lui témoigner ma reconnoissance, [-4-] me fit si bien sentir le rapport de ce principe avec ceux sur lesquels j'avois déja fondé mon sistême, que je me le suis enfin approprié.
Quatriéme Proposition.
Les différentes longueurs des cordes étant en raisons renversées de leurs différentes vibrations, on peut également appliquer aux unes ce qui convient aux autres; car le tiers d'une corde, par exemple, fait trois vibrations, pendant que cette corde n'en fait qu'une, ainsi du reste à proportion; d'où il suit que les vibrations les plus lentes naissent des plus grands corps, et occasionnent par conséquent les Sons les plus graves, ou les plus bas.
Cinquiéme Proposition.
Un Corps sonore mis en mouvement, communique ses vibrations, non-seulement aux particules de l'Air capables des mêmes vibrations, mais encore à toutes les autres particules commensurables aux premieres; et ces différentes particules réagissant à leur tour sur ce même Corps, aussi-bien que sur tous ceux qui l'environnent, tirent non-seulement différens Sons des différentes parties aliquotes de ce [-5-] premier Corps; et par-là lui font rendre des Sons plus aigus que celui de sa totalité; mais elles agitent encore tous ceux d'alentour, qui sont capables des mêmes vibrations, et les font quelquefois, même, résonner.
A l'égard des vibrations plus lentes que celles du corps total, si elles ne peuvent avoir d'action que sur de plus grands corps, elles servent du moins à fortifier dans l'Oreille le Son qui les occasionne.
Sixiéme Proposition.
Les plus grands corps ont plus de puissance sur les plus petits, que ceux-ci sur les premiers; d'où il suit que les vibrations les plus lentes ont plus de puissance sur les plus promptes, que celles-ci sur celles-là; et que par conséquent les plus promptes n'agitant que foiblement les plus lentes, ne peuvent donner aux corps qui les reçoivent tout l'ébranlement nécessaire, pour que le Son puisse en être transmis à l'Oreille.
Septiéme Proposition.
Les Sons les plus commensurables sont ceux qui se communiquent leurs vibrations le plus aisément et le plus fortement; d'où il suit que l'effet de la plus grande commune [-6-] mesure entre les Corps sonores, qui se communiquent leurs vibrations par l'entremise de l'Air, doit l'emporter sur celui de toute autre partie aliquote, puisque cette plus grande commune mesure est la plus commensuable.
Huitiéme Proposition.
La résonance des plus grandes parties aliquotes doit naturellement étouffer celle des plus petites.
Neuviéme Proposition.
Moins une partie aliquote est grande, moins elle est flexible, et moins elle se prête, par conséquent, à l'ébranlement qu'elle doit recevoir des vibrations du corps total, dont la puissance est déja, en partie, épuisée sur les plus grandes parties aliquotes: ajoutez à cela que les plus petites parties étant les moins commensurables, et leur résonance devant naturellement être étouffée par celle des plus grandes, il est difficile que cette résonance puisse parvenir jusqu'à l'Oreille.
Dixiéme Proposition.
Plus une partie aliquote approche du rapport d'égalité, plus sa résonnance se confond [-7-] avec celle du corps total; c'est un fait d'expérience reconnu dans l'Unisson, dans l'Octave, et que la raison confirme d'ailleurs.
Onziéme Proposition.
Il y a des Sons qui, relativement aux bornes de nos sens, ne peuvent plus être apprétiés par l'Oreille, soit parce qu'ils sont trop graves, soit parce qu'ils sont trop aigus.
Douziéme Proposition.
Ce qu'on a dit des Corps sonores doit s'entendre également des Fibres qui tapissent le fond de la Conque de l'Oreille; ces Fibres sont autant de corps sonores auxquels l'Air transmet ses vibrations, et d'où le sentiment des Sons et de l'Harmonie est porté jusqu'à l'Ame.
Premiere expérience.
Prenez un Monocorde dont vous diviserez la corde en autant de parties égales que vous le jugerez à propos; appliquez un obstacle léger, comme la pointe d'un curedent, à l'une de ces divisions, de maniere cependant qu'il y ait un plus grand nombre de parties d'un côté que de l'autre; [-8-] pincez l'un de ces côtez; en même-tems que celui-ci résonnera dans sa totalité, vous entendrez dans l'autre l'Unisson de leur plus grande commune mesure.
Si, par exemple, l'un des côtez vaut 6, l'autre 4, vous entendrez résonner 2 dans le côté non pincé, parce que 2 est la plus grande commune mesure entre 6 et 4; au lieu que si ce dernier côté vaut 5, vous n'y entendrez résonner que 1, parce que 1 est pour lors la plus grande commune mesure entre 6 et 5.
Cette expérience qui a déja été proposée par Monsieur Sauveur, répond à la septiéme Proposition.
Divisez cette corde en trois côtez, de façon, par exemple, que l'un vaille 6, l'autre 5, et celui du milieu 4; pincez celui-ci, vous entendrez résonner 2 dans 6, et 1 dans 5.
Deuxiéme expérience.
Prenez une Viole, ou un Violoncello, dont vous accorderez deux cordes à la Douziéme l'une de l'autre; raclez la grave, vous verrez frémir l'aiguë, vous l'entendrez peut-être même résonner, et vous l'entendrez indubitablement, si vous l'effleurez avec l'ongle pendant qu'elle frémit: [-9-] raclez ensuite l'aiguë, vous verrez non-seulement la grave frémir dans sa totalité, vous la verrez encore se diviser en trois parties égales, formant trois ventres de vibrations entre deux noeuds, ou points fixes.
Pour s'assurer que la corde grave frémit dans sa totalité, pendant qu'elle se divise en trois, lorsque l'aiguë est raclée, il faut y effleurer les points fixes avec l'Ongle, et on la sentira frémir en ces endroits, où pour lors ce frémissement est imperceptible à l'Oeil.
La Douziéme est en rapport d'1 à 3, la corde grave y contient trois fois l'aiguë, 1 en est la plus grande commune mesure, d'où l'aiguë frémit dans sa totalité quand la grave résonne; au lieu que celle-ci frémit non-seulement dans sa totalité, mais elle se divise encore en trois, quand l'aiguë résonne, pour rendre cette plus grande commune mesure.
Outre que dans une pareille expérience les cordes doivent être parfaitement d'accord, il faut en avoir deux ou trois aiguës à l'Unisson, pour augmenter leur puissance sur la grave; l'effet annoncé en sera plus sensible par ce moyen.
Cette expérience répond aux Propositions [-10-] V, VI, VII, et à ce que nous avons annoncé à la tête de ce Chapitre sur ce qui s'y trouve de sensible pour l'Oeil et pour l'Oreille.
Troisiéme expérience.
Raclez une des plus grosses cordes d'une Viole, ou Violoncello, vous entendrez, avec le Son de la totalité, ceux de son Octave, double, peut être même triple, de sa Douziéme et de sa Dix-septiéme majeure, qui sont en rapport de 1 1/2 1/3 1/4 1/5 1/8, vous les entendrez quelquefois ensemble, quelquefois l'un après l'autre, quelquefois vous n'en entendrez qu'un seul, selon l'attention que vous donnerez plûtôt à l'un qu'à l'autre, et selon, encore, la maniere dont vous tirerez le Son de la corde; ce qui doit se faire plutôt avec douceur qu'avec force, et de tems en tems plus près du Chevalet qu'à l'ordinaire; vous pourrez encore y distinguer le Son de son 1/7, pour ne pas dire plus; mais il sera si foible, qu'il vous échappera sans doute: nous l'avons cependant distingué, ce Son, mais sans pouvoir l'apprétier relativement à aucun des autres; et il nous a fallu, pour en juger, prendre à part le 1/7 de [-11-] la corde, dont le Son nous a effectivement rendu l'Unisson de ce que nous venions d'entendre: ce qui n'est point du tout nécessaire à l'égard des autres; on y sent l'Octave, la Douziéme qu'on y croit la Quinte, et la Dix-septiéme majeure qu'on y croit la Tierce majeure; on y sent même les Consonnances que celles-ci font entr'elles, comme en y comparant le 1/3 au 1/4, ainsi du reste; de sorte que le Son de ce 1/7 n'y paroît que comme un Son perdu, qui est d'ailleurs si foible, qu'on ne s'imagineroit jamais qu'on dût l'entendre en pareil cas, si l'on n'en étoit averti; encore vous y échappera-t'il peut-être toujours.
Plus on a l'Oreille expérimentée en Harmonie, plus on est capable de distinguer les différens Sons dont il s'agit, non-seulement dans la résonnance d'une Corde, mais encore dans celle de tout autre corps sonore, de la Voix même, pourvû que le Son en soit un peu grave, net et distinct: cependant comme ces Sons se trouvent extrêmement foibles en comparaison de celui du corps total, on peut s'en représenter les Unissons ou les Octaves en soi-même; moïen d'apprétiation qui nous est naturel à l'égard des Sons les plus commensurables, [-12-] et qui facilite beaucoup l'opération, sans qu'on puisse le soupçonner d'artifice, puisqu'il n'y a, pour s'en dissuader, qu'à imaginer pour lors d'autres intervalles que ceux en question; on aura beau se les représenter, on ne les distinguera pas plus pour cela.
Cette Expérience répond aux Propositions V, VII et X; étant à remarquer que si l'Octave 1/2 doit y être plus sensible que la Douziéme 1/3, et celle-ci plus que la Dix-septiéme majeure 1/5, leur plus de commensurabilité avec le Son du Corps total les confond pour lors davantage avec lui, et empêche qu'on les en distingue autant que les moins commensurables, quand une fois celles-ci ont frappé l'Oreille; car il y a des momens où tantôt l'une, tantôt l'autre se distingue seule: il y a plus, le grand rapport des deux Sons de l'Octave fait que nous prenons presque toujours la double, la triple Octave pour la simple, dès que nous n'y donnons pas une attention expresse; d'où la Douziéme, qui est une double Quinte, en ce qu'elle n'est Quinte immédiate que de l'Octave, nous y paroît une simple Quinte; ainsi de la Dix-septiéme, qui est une triple Tierce, et qui ne nous y paroît qu'une simple Tierce: [-13-] toutes les Octaves, qui en font la différence, ne se représentant pour lors en nous que comme des Unissons.
Quatriéme expérience.
Prenez les Jeux de l'Orgue qu'on appelle Bourdon, Prestant ou Flute, Nazard et Tierce, et qui forment entr'eux l'Octave, la Douziéme et la Dix-septiéme majeure du Bourdon, en rapports de 1 1/2 1/3 1/5; enfoncez une Touche pendant que le seul Bourdon résonne, et tirez successivement chacun des autres jeux; vous entendrez leurs Sons se mêler sucessivement les uns avec les autres, vous pourrez même les distinguer les uns des autres pendant qu'ils seront ensemble: mais si, pour vous en distraire, vous Préludez un moment sur le même Clavier, pendant que tous ces Jeux résonnent ensemble, et que vous reveniez ensuite à la seule Touche d'auparavant, vous ne croirez plus y distinguer qu'un seul Son, qui sera celui du Bourdon, le plus grave de tous, le fondamental, celui qui répond au Son du Corps total.
Pendant que ces Jeux sont ouverts, enfoncez les trois Touches mi, sol, si, qui forment entr'elles un Accord très-agréable, auquel on donne même le nom de [-14-] Parfait; vous croirez n'y entendre que ces trois seuls Sons mi, sol, si, vous n'en éprouverez que l'agréable effet de l'Accord qu'ils doivent former entr'eux; lorsque cependant vous sçavez que chaque Touche y fait résonner trois Sons différens, sans compter l'Octave; de sorte même, que si un seul des autres Sons, qu'on n'y distingue pas, venoit à frapper l'Oreille, le tout formeroit une Cacophonie insupportable, comme on peut s'en assurer sur l'exposé de tous ces Sons, dont les rapports pourront se vérifier dans le III. Exemple qu'on trouvent à la fin du Livre.
[Rameau, Génération Harmonique, 14; text: mi. si. sol[x]. sol. ré. fa[x]. ré[x]. 5. 15. 25. 6. 18. 30. 45. 75.] [RAMGEN 01GF]
Imaginez-vous quelle Cacophonie fa[x], sol[x] ou ré[x], sans parler de ré, formeroient avec mi, sol, si, snpposé que l'un de ces Sons vînt à s'y distinguer; et bien plus encore, si tous ces Sons s'y distinguoient? Il y a là quelque chose de bien singulier: c'est ce que nous tâcherons de développer.
On dira peut-être que nous faisons grace encore aux trois Sons fondamentaux que fournissent les Touches, en les supposant parfaitement d'accord entr'eux, lorsque le Tempéramment en usage, par lequel [-15-] il n'y a aucune Quinte de juste entre les Touches de l'Orgue, fait qu'aucune des trois en question n'est parfaitement d'accord avec l'autre; d'où la Touche si ne fait pas la juste Octave du si que le Nazard donne pour Douziéme de mi, non plus que de celui que donne la Tierce pour Dix-septiéme majeure de sol, aucun de ces si n'y est d'accord avec l'autre; pendant que la moindre altération dans l'Unisson ou dans l'Octave doit choquer infiniment l'Oreille: voilà donc encore un nouveau surcroît de discordances, dont on n'avoit pas besoin pour s'assurer du fait.
La différence qu'il y a entre les Jeux et les Touches de l'Orgue, c'est que les Jeux sont parfaitement d'accord entr'eux; de sorte que ce que le Bourdon et les autres font entendre ensemble, est de la derniere justesse; au lieu que le Tempéramment à l'égard des Sons d'un même Jeu que font résonner les Touches, y altére tous les intervales, excepté l'Octave.
Pour vous assurer qu'il n'y a que les Sons rendus par les Jeux de l'Orgue déja cités, ou par d'autres en même proportion, qui se confondent tellement à l'Oreille, qu'ils n'en paroissent qu'un, mêlés en ensemble, qui soient en d'autres proportions, ou [-16-] ajoutez-y-en d'autres, pourvû que ce ne soit pas leurs Octaves, vous en éprouverez bien-tôt un effet tout contraire à celui dont il s'agit: ce qui répond encore à la dixiéme Proposition.
Cinquiéme expérience.
Prenez un des plus gtands Tuyaux de l'Orgue depuis 16 jusqu'à 30 pieds, prenez aussi l'un des plus petits dans le Jeu appellé Cymbale; faites résonner celui qu'il vous plaira, vous ne pourrez en apprétier le Son, comme vous le feriez à l'égard de tout autre; vous n'en sentirez pas même le rapport avec ceux que vous apprétiez naturellement, lorsque cependant le rapport de ceux-ci vous est toujours présent entr'eux, dès qu'ils s'accordent bien.
Ces Tuyaux ainsi inapprétiables par eux-mêmes, et rélativement à d'autres, parce qu'ils excédent pour lors la portée de l'Orgâne, peuvent néanmoins s'apprétier d'une certaine façon par le secours de l'Air; car en les accordant avec un autre qui s'apprétie facilement, et dont on veut qu'ils fassent l'Octave, il se forme des petits battemens dans l'Air, dont la promptitude augmente à mesure que leur Concordance approche, et dont la cessation fait juger [-17-] qu'ils sont parfaitement d'Accord.
Moins il y a de commensurabilité entre les Sons, plus le nombre des Vibrations en augmente, du moins à l'égard des plus aigus; de sorte que ce que les Sons ne peuvent ici par eux-mêmes sur l'Oreille, l'Air y supplée, en marquant d'abord leur grande Discordance par la fréquence et la précipitation de ses battemens, et en marquant ensuite leur Concordance par la cessation de ces battemens: tous les Facteurs d'Orgue sont au fait de ces sortes d'expériences, qui répondent d'ailleurs à la onziéme Proposition.
Sixiéme expérience.
Suspendez une Pincette à un Cordon un peu mince, dont vous appliquerez chaque bout à chaque Oreille; frappez-la, vous n'y distinguerez d'abord qu'une confusion de Sons, qui vous empêchera d'en pouvoir apprétier aucun; mais les plus aigus venant à s'éteindre insensiblement, à mesure que la résonnance diminue de force; le plus grave, celui du Corps total, commence à s'emparer de l'Oreille, résonnant comme un des Sons graves du Bourdon de l'Orgue, qu'elle apprétie pour lors facilement, et avec lequel elle distingue encore [-18-] sa Douziéme et sa Dix-septiéme majeure, c'est-à-dire, son 1/3 et son 1/5, quelquefois l'un des deux seulement, selon l'attention qu'on y apporte, en réïterant l'Acte plusieurs fois.
Lorsque la Pincette ne résonne plus, soufflez dessus le plus fort que vous pourrez, vous y sentirez d'abord la même confusion, mais qui se dissipera beaucoup plus promptement, pour vous laisser entendre ce qui vient d'être expliqué.
Lorsque les bouts du Cordon ne seront plus appliqués à l'Oreille, elle ne distinguera pour lors aucun Son dans la Pincette à l'occasion du souffle, et ce grand bruit dont elle a d'abord été affectée, en frappant cette Pincette, lui paroîtra beaucoup moindre et beaucoup plus aigu, sans qu'elle puisse jamais l'apprétier: ce qui prouve que, non-seulement tout Corps mis en mouvement est capable de résonnance, mais encore que tel Son qui ne paroît point apprétiable, pourroit bien l'être, si l'Oreille pouvoit y distinguer tout ce qui en constitue l'Harmonie.
Une autre Expérience encore sur le même sujet, c'est de prendre une Ficelle, ou une corde à boyau, à l'un des bouts de laquelle on fait un noeud-courant; on embrasse [-19-] la tête avec cette Ficelle, de maniere qu'elle passe sur les Oreilles, puis on passe l'autre bout dans le noeud-courant qui vient s'appuïer sur le Né, ou sur la Lévre supérieure; on tire cet autre bout d'une Main, en lui donnant une tension raisonnable qui n'incommode pas d'ailleurs; on la pince légerement d'un Doigt de l'autre Main, ou plutôt avec un Curedent, ou bien on frappe dessus sans beaucoup de force avec un petit morceau de bois ou de fer; et pour lors on entend un Son grave et bruïant, avec lequel on distingue encore son 1/3 et son 1/5, quand on y prête toute l'attention nécessaire; pendant que les Auditeurs voisins n'y distinguent rien, si ce n'est le bruit insensible que peut produire le tact.
Septiéme expérience.
La Trompette donne différens Sons à proportion de la force avec laquelle on y pousse le Vent, et tous ces différens Sons ne sont autres que ceux que l'Air tire des différentes parties aliquotes du Corps total; par exemple, lorsqu'on y pousse le Vent avec douceur, on oblige la colomne d'Air qu'elle renferme à faire les Vibrations qui répondent à sa longueur et grosseur: [-20-] il y a plus, car avec le Son grave et dominant qu'on y entend, on distingue encore ceux de son 1/3 et de son 1/5, comme l'a fort bien remarqué le Père Mersennes; mais si l'on force l'Air, en lui imprimant uu mouvement plus prompt que celui qui répond à la nature des Vibrations dont toute sa colomne est capable, cette colomne se partage pour lors en deux, pour se prêter à tout le mouvement qu'on lui communique, d'où chacune de ses parties rend l'Octave du premier Son; et si les Vibrations de ces deux moitiez ne suffisent pas pour épuiser tout le mouvement communiqué à la masse totale de la colomne, cette colomne se partage pour lors en trois, en quatre, et cetera à proportion de la force du Vent: voyez l'Article IV. du Chapitre VI.
Conclusions.
L'action des Corps sonores sur l'Air étant généralement reconnue, nous ne devons nous occuper que de sa réaction sur ces mêmes Corps.
La résonnance du côté non pincé d'une Corde divisée par un obstacle léger [premiere Expérience,] le frémissement des Cordes, leur résonnance même, leur division [-21-] visible, à l'occasion de la résonnance d'une autre Corde [Deuxiéme Expérience] enfin la résonnance des parties aliquotes du même Corps Sonore [Troisiéme Expérience] tout cela confirme, à n'en pas douter, la réaction de l'Air sur les Corps sonores, sans qu'il soit besoin de rappeller les réflexions que cela attire naturellement après soi.
Il y a plus, car la résonnance des parties aliquotes ne laisse pas que d'être sensible dans les Corps sonores qui ne se divisent pas, comme dans la Trompette [Septiéme Expérience] dans les Tuyaux et dans la Voix; d'où il résulte que cette résonnance naît directement des particules de l'Air commensurables à celles qui répondent à la totalité du Corps sonore, par lequel elles ont d'abord été mises en mouvement: ainsi l'on ne peut que supposer, en ce cas, l'Air divisé en une infinité de particules qui sont la cause immédiate de tous les différens Tons que l'Oreille puisse apprétier; Troisiéme Proposition.
Le Corps sonore agit non-seulement sur les particules de l'Air dont les Vibrations répondent aux siennes, mais encore sur toutes celles qui leur sont commensurables, et ces particules réagissent à leur tour sur ce même Corps sonore, et sur tous [-22-] ceux qui en sont voisins [Cinquiéme Proposition] à laquelle répondent la premiere, la Deuxiéme et la Troisiéme Expériences.
Dès que l'action a lieu sur des parties, ce ne peut être que sur celles qui sont commensurables, d'où les plus commensurables sont celles qui se communiquent le plus aisément et le plus fortement leurs Vibrations [Septiéme Proposition] leur résonnance étouffant celle des moins commensurables [Huitiéme Proposition] la plus grande commune mesure l'emportant entr'elles sur toutes les autres parties aliquotes, mais en même-tems la résonnance des plus commensurables se confondant le plus souvent avec celle du Corps total [Septiéme et Dixiéme Proposition] tout cela vient d'être confirmé par les Expériences précédentes.
On trouve d'ailleurs, dans la Septiéme Expérience, la raison phisique du mouvement des parties d'une Corde, qui dans sa totalité ne peut se prêter à la vîtesse des Vibrations, par le moïen desquelles l'Air agit sur elle.
Si l'action d'un Corps sonore sur les particules de l'Air, dont les Vibrations sont commensurables aux siennes, est réciproque à l'égard des Vibrations plus promptes et plus lentes [Cinquiéme Proposition] comme on en [-23-] doit juger sur la Deuziéme Expérience, où l'on est assuré par le tact que la Corde grave frémit dans sa totalité, lorsque l'aiguë résonne, on conçoit aisément que cette action doit avoir moins de puissance dans les promptes sur les lentes, que dans celles-ci sur les premieres; aïant expressément recommandé à cette occasion, dans la même Expérience, de doubler la Corde aiguë, pour augmenter sa puissance sur la grave.
Cette puissance réciproque se confirme encore par la Cinquiéme Expérience; puisque le moïen artificiel dont on se sert pour faciliter l'apprétiation d'un Son inapprétiable par lui-même, s'y prend tant au-dessus qu'au dessous, c'est-à-dire, que pour apprétier le Son trop grave, on en prend un plus aigu, dont les Vibrations plus promptes que les siennes agissent pour lors sur lui, de maniere qu'elles le rendent apprétiable, et que pour apprétier le Son trop aigu, on en prend un plus grave, qui produit, à proportion, le même effet à son égard.
Au reste, les Vibrations de la totalité d'un Corps ne pouvant avoir d'action sur de plus lentes que sur un autre Corps plus grand, ce qui est une suite de la Cinquiéme Proposition, puisqu'il ne peut fournir de Vibrations [-24-] plus lentes que celles de sa totalité; c'est principalement sur l'Oreille que cette puissance agit, conséquemment à la Cinquiéme et à la Douziéme Propositions.
Il reste une conséquence à tirer de toutes ces Expériences bien plus essentielle encore qu'aucune autre; sçavoir, qu'un Son ne peut être apprétiable sans le secours de la résonnance d'un certain nombre fixé de ses parties aliquotes, conséquemment aux bornes de nos sens, et conformément à la Cinquiéme et à la Sixiéme Expériences.
En effet, s'il y a des Sons qui, quoiqu'inapprétiables par eux-mêmes, s'apprétient néanmoins par le secours d'un autre Son apprétiable, Cinquiéme Expérience; remarquez que pour lors le trop aigu ne pouvant tirer aucun Son de ses parties aliquotes, à cause de leur extrême petitesse, trouve dans son Octave grave, qu'on accorde avec lui, les Octaves de ces parties aliquotes dont il a besoin, qui les fortifient, ou du moins suppléent à leur défaut, supposé qu'elles n'en puissent augmenter l'ébranlement: or ces Octaves ne peuvent pas être en grand nombre, et ne peuvent pas excéder le 1/5 du Son le plus grave, puisque le trop aigu déja inapprétiable est son 1/<3>.
[-25-] A l'égard du Son inapprétiable par son trop de gravité, sans doute que cela vient de la résonnance d'un trop grand nombre de ses parties aliquotes, qui forment pour lors une confusion à l'Oreille, de même que dans la Sixiéme Expérience; et ce qui se fait de soi-même dans cette derniere Expérience par l'extinction des petites parties aliquotes, se fait ici par l'emprunt d'un Son moins grave et apprétiable, dont les plus grandes parties aliquotes fortifiant celles qui doivent seules concourir à l'apprétiation du trop grave, lui rendent, par ce moïen, ce qu'il n'avoit pû se procurer de lui-même.
Si la Cinquiéme Expérience nous fait appercevoir que le nombre des parties aliquotes, dont la résonnance est nécessaire pour fixer le Ton d'un Son à l'Oreille, doit avoir de certaines bornes, la Sixiéme nous prescrit ces bornes, puisque le Son n'y est apprétiable que lorsqu'on n'y distingue plus avec lui que son 1/3 et son 1/5.
Mais quelle conséquence ne tireronsnous pas à ce sujet de la Troisiéme et de la Quatriéme Expériences, lorsque dans l'un on ne distingue sensiblement que le 1/3 et le 1/5, sans parler du 1/2; et lorsque dans l'autre nous [-26-] sçavons que ce 1/3 et ce 1/5, que sont résonner des Tuyaux particuliers, se confondent et se réunissent avec le Son du Corps total qu'y représente le Bourdon, que même les grandes Discordances qui en devroient naître sont absolument insensibles? Sans doute que les Sons 1 1/3 et 1/5 n'y représentent à l'Oreille que le seul Son 1; ils y sont en effet tellement réunis, que malgré tout l'artifice possible, on n'y distingue jamais que ce seul Son 1 du Bourdon.
Si le 1/3 et le 1/5 résonnent aussi distinctement que le fondamental 1 dans la Quatriéme Expérience, celui-ci n'en est pas moins présent à l'Oreille que s'il y étoit seul; ce 1/3 et ce 1/5 ne servent qu'à fortifier pour lors ces mêmes parties aliquotes du fondamental, sans que les leurs particulieres y apportent le moindre obctacle; celles du fondamental, c'est-à-dire, du Son le plus grave, s'y trouvent répétées par les Tuyaux qui les font entendre distinctement, au lieu que celles de ces derniers Tuyaux n'y sont point répétées: ajoutez à cela que plus le Corps est petit, plus ses parties aliquotes sont roides; moins l'Air y a de prise, et moins par conséquent leur résonnance y est sensible.
[-27-] Plus les Corps sonores qui résonnent ensemble sont commensurables, plus leurs Sons se réunissent en un seul [Troisiéme et Quatriéme Expériences Dixiéme Proposition] et par le contraire, moins ils sont commensurables, plus leurs Sons se distinguent les uns des autres; parce que loin de se prêter mutuellement du secours dans leurs parties aliquotes, ils se les étouffent des uns aux autres par la force de leur résonnance: c'est aussi de la trop forte résonnance qu'on donne aux Sons qui ont le plus de commensurabilité avec ceux dont ils représentent les parties aliquotes, que naît la distinction qu'on en fait pour lors; et cela se pratique exprès pour faire distinguer le Chant que ces parties forment entr'elles.
Toutes ces Expériences réunies, et rapportées particulierement à la Troisiéme et à la Quatriéme confirment, à n'en pouvoir douter, que non-seulement le Son a besoin de la résonnance d'un certain nombre de ses parties aliquotes pour pouvoir être apprétié, mais encore que ce nombre est fixé dans le 1/3 et le 1/5, sans parler des Octaves que donnent le 1/2, le 1/4, et cetera l'Expérience journaliere que nous en faisons d'ailleurs dans l' Accord appellé Parfait, ou Naturel, et qui [-28-] est justement composé des trois Sons différens {ut./1. sol./1/3 mi./1/5} doit y mettre le comble, puisque c'est l'Accord qui nous affecte le plus agréablement, auquel tendent tous nos desirs, et après lequel nous ne souhaitons plus rien.
Donc le Son apprétiable, réputé unique, est Harmonieux de sa nature; son Harmonie se borne aux trois Sons différens que font entendre 1 1/3 1/5, comme l'exige l'Oreille, conformément aux bornes de ce sens; puisque sans la résonnance du 1/3 et du 1/5, ou du moins sans celle de l'un des deux, elle ne peut plus apprétier le Son; elle ne peut l'apprétier non plus, si de moindres parties aliquotes viennent à la frapper aussi distinctement; tout lui devient confus pour lors, et ce n'est qu'au moment que celles-ci lui laissent l'entiere jouissance des premieres [Sixiéme Expérience] qu'elle sent le juste dégré du Son.
Reconnoissons donc désormais l'Harmonie comme un effet naturel qui résulte de la résonnance de chaque Corps sonore en particulier, c'est de là qu'elle tire son origine: le Son apprétiable n'est pas unique de sa nature, il est Harmonieux, et son Harmonie [-29-] donne cette proportion 1 1/3 1/5, qui se reproduit dans celle-ci 1, 3, 5, par la puissance réciproque des Vibrations plus lentes et plus promptes les unes sur les autres.
Cette proportion 1 1/3 1/5 est justement celle qui a été reconnue de tous les tems sous le titre de Trias Harmonica, de Proportion Harmonique; car si nous convertissons ces fractions en nombres entiers, nous trouverons 15.5.3; 5 étant le 1/3, et 3 le 1/5 de 15 pris ici pour le Corps total.
Nous ne nous sommes point conduits en conséquence de cette proportion, nous avons feint de l'ignorer, et nous avons attendu que la nature même des Corps sonores nous la rendît, pour être convaincus par nous-même qu'elle est effectivement
l'unique arbitre de l'Harmonie.
C'est ainsi que nous en userons dans la suite à l'égard de toutes nos recherches, l'Autorité n'aïant aucun droit dans les Sciences, et nous espérons que les conséquences tirées de ce principe, de cette proportion Harmonique, acheveront de nous convaincre sur son évidence.
La cause de la différence du Son apprétiable avec celui qui ne l'est pas étant [-30-] connuë, celle de la différence de ces Sons avec le Son qu'on appelle Bruit, le sera bientôt; mais nous laisserons aux Phisiciens le soin d'approfondir davantage cette question.
CHAPITRE II.
Des différens objets de la Musique.
LA Musique est une Science Phisico-mathématique, le Son en est l'objet Phisique, et les rapports trouvés entre différens Sons en font l'objet Mathématique; sa fin est de plaire, et d'exciter en nous diverses passions.
Jusqu'ici le Son pris pour l'objet Phisique de la Musique a toujurs été réputé seul et unique, lorsque cependant il est Triple de sa nature, puisqu'il n'est apprétiable, dans quelque Corps sonore que ce soit, qu'à la faveur des trois Sons différens qui résonnent ensemble, selon l'exposé du Chapitre précédent; le Son grave et dominant, qu'on croit y distinguer seul, et que nous appellerons dans la suite Fondamental, y est toujours accompagné de deux autres Sons, que nous appellerons Harmoniques, [-31-] et avec lesquels l'Octave sera comprise.
Si ce Son fondamental change de Ton, de degré, il n'en est pas moins accompagné de ses mêmes Sons Harmoniques, sa Douziéme et sa Dix-septiéme majeure résonnent toujours avec lui dans le même Corps sonore, il ne s'en sépare jamais; donc le Son, comme notre objet Phisique, doit toujours être réputé triple de sa nature, dans l'ordre de la proportion Harmonique 1 1/3 1/5; nous en verrons de plus en plus la nécessité.
Quant à l'objet Mathématique, qui consiste dans les rapports qu'ont entr'eux les Sons en proportion Harmonique, on peut le tourner de toutes les façons, le combiner, le renverser, supposer les parties du tout détachées les unes des autres, les supposer successives, les comparer entr'elles, en chercher les différences, et cetera pour en faire usage selon les cas.
Cet objet Mathématique, qui prend sa source dans la proportion Harmonique, va devenir désormais notre seul et unique guide, sans y oublier sa réproduction dans 1. 3. 5, qui sont en proportion Arithmétique.
Ces deux proportions 1 1/3 1/5 et 1. 3. 5, [-32-] qui sont renversées l'une de l'autre, naissent également de l'Harmonie du Corps sonore, en conséquence de l'action réciproque des Vibrations plus lentes et plus promptes les unes sur les autres; de sorte que le Son fondamental, en émouvant les particules de l'Air qui en sont le Tier et le Cinquiéme, émeut en même-tems celles qui en sont le Triple et le Quintuple; mais comme il n'y a que ce Tier et ce Cinquiéme de sensibles, en conséquence de la réaction de ces particules sur les parties aliquotes du même Corps sonore, au lieu que leur réaction du Triple et du Quintuple ne peut se faire que sur de plus grands Corps, il suit de là que ce qui est sensible sans autre artifice, doit être pour nous ce qu'il y a de plus naturel, et par conséquent de plus parfait; mais aussi, comme l'artifice nous est connu, et qu'il dépend de nous d'associer au Corps sonore qui résonne ceux sur lesquels la réaction des particules émues par ce même Corps sonore doit avoir lieu, l'Harmonie qui en résultera, quoique moins parfaite, moins naturelle que la premiere, ne laissera pas que de l'être encore pour nous, puisqu'elle existe dans l'Air; voïez sur ce sujet dans le Chapitre précédent la Deuxiéme Expérience, qui répond à la Cinquiéme Proposition.
[-33-] CHAPITRE III.
Origine des bornes de l'Harmonie et de sa succession; de sa réduction à ses moindres dégrés, et de son renversement.
L'Octave sert de bornes à l'Harmonie et à sa succession; la presqu'égalité de ses deux termes les représente à l'Oreille comme ceux d'un Cercle, qui se réunissent tellement qu'ils n'en font plus qu'un.
Tout ce qui excede l'étendue de cette Octave n'est effectivement que la réplique, c'est-à-dire, la répétition de ce qu'elle contient; de-là vient qu'une Douziéme ne paroît qu'une Quinte à l'Oreille, Troisiéme Expérience du Chapitre premier, en conséquence de quoi l'on n'exprime tout intervable Double, Triple, ou plus, dans la pratique, que par le nom qui convient à ses moindres dégrés; un Son, à quelque Octave qu'il soit porté, n'y change jamais de nom; et quoiqu'il y ait cependant une différence entre les deux termes d'une Octave, leur presqu'égalité les rapproche tellement à l'Oreille, qu'elle les confond [-34-] presque toujours dans l'Unisson, sur-tout dès qu'il s'agit d'apprétier un intervalle qui en excede les bornes: enfin tout le monde est d'accord sur la presqu'égalité de ces deux Sons ou termes de l'Octave, et de la réunion de tous les intervalles dans son étendue.
Par conséquent, si la Douziéme est la Quinte de l'Octave, et si la Dix-septiéme est la Tierce de la double Octave, retranchons ces Octaves, puisque l'Oreille les confond le plus souvent dans l'Unisson, resteront la Quinte et la Tierce; et de-là tout intervalle pourra se réduire à ses moindres dégrés contenus dans l'étendue d'une Octave.
Nous n'appellerons donc, dans la suite, tout intervalle Double, Triple, ou plus, que du simple nom qui en prescrit les moindres dégrés, quand même les rapports exposés les indiqueroient Doubles, Triples, ou plus; 1. 3. indiqueront la Quinte, aussi-bien que 2. 3. du moins cela devra se sous-entendre, quoique dans le fond 1. 3. soient le rapport d'une double Quinte, dite, Douziéme: mais que fait, encore une fois, ce Double, ce Triple, puisqu'il ne consiste que dans des Octaves, qui deviennent, en ce cas, des Unissons du moins pour l'Oreille?
[-35-] Par la même raison, tous les nombres doubles, ou soudoubles les uns des autres seront censés exposer le même Son, 1. 2. 4. 8. et cetera ou 1 1/2 1/4 1/8, et cetera indiqueront toujours ut, 3. 6. 12. 24. et cetera ou 1/ 1/6 1/12 1/24, et cetera toujours sol, ainsi du reste.
Cela étant posé, nous devons en profiter, pour voir de quelle façon l'Harmonie peut se réduire à ses moindres dégrés; ce qui sera tout simple, puisqu'en y portant 1 et 1/3 à leurs Octaves 1/4 et 1/6, au lieu de 1 1/3 1/5 nous aurons 1/4 1/5 1/6, où pour lors tout sera réduit à ses moindres dégrés, et contenu en même-tems dans l'étendue de l'Octave 1/4 1/8. Voïez l'Exemple premier.
[Rameau, Génération Harmonique, 35; text: I. tierce Majeure. tierce Mineure. ut. mi. sol. Quinte. Octave. 1/4, 1/5, 1/6, 1/8] [RAMGEN 01GF]
On voit par cette réduction, qu'après l'Octave, la Quinte est le plus grand intervalle Harmonique, la Tierce le plus petit, que cette Quinte est composée d'une Tierce majeure et d'une mineure, et que le tout est contenu dans l'étendue de l'Octave.
Cette Octave, en procurant des bornes à l'Harmonie, lui procure en même-tems un Renversement possible, par la comparaison réciproque qu'on doit faire naturellement de l'un de ses deux termes avec un [-36-] Son contenu entre ces deux mêmes termes, dont se forme le Cercle auquel aboutissent tous les Raïons.
Un pareil Renversement ne peut, tout au plus, que modifier l'intervalle qui en est formé, sans donner atteinte au fond, puisqu'en comparant 2 ou 4 à 3, qui est contenu entre ces deux termes de l'Octave 2. 4. c'est toujours ut que l'on compare à sol: ce fait est généralement adopté sur ce que nous en avons dit dans le Traité de l'Harmonie; c'est pourquoi nous pouvons passer outre.
Un autre Renversement bien plus prétieux encore, c'est celui qui se présente entre la proportion Arithmétique et l'Harmonique: mais pour en faire usage, il faut considerer auparavant que la proportion Harmonique étant la seule dont les Sons frappent l'Oreille dans la résonnance d'un Corps sonore, elle est par conséquent la seule sur laquelle nos affections en Harmonie puissent se régler; de sorte donc, que tout lui doit être subordonné.
Ainsi, dès que le Son grave et dominant d'un Corps sonore est toujours fondamental pour l'Oreille, il faut d'abord supposer qu'il en sera de même dans la proportion Arithmétique, non quant à ce Son grave [-37-] qui la donne par la puissance réciproque des Vibrations plus lentes et plus promptes les unes sur les autres, mais bien quant au Son le plus grave qui s'y rencontre pour lors; après quoi nous la réduirons aux moindres dégrés, pour qu'elle se trouve contenue entre les deux termes d'une Octave.
L'exposition de ces deux proportions étant la même, dès qu'on en retranche le dénominateur 1 pour celle de l'Arithmétique; 4. 5. 6. la donneront par conséquent réduite à ses moindres dégrés Harmoniques; mais pour que le Son le plus grave y devienne fondamental, il en faudra renverser l'ordre de cette sorte, 6. 5. 4. Voïez l'Exemple II.
[Rameau, Génération Harmonique, 37; text: II. Tierce Majeure. tierce Mineure. Quinte. Octave. 3, 4, 5, 6] [RAMGEN 01GF]
L'Octave 6. 3. sert de bornes à cette proportion Arithmétique, la Quinte 6. 4. y est la même que dans l'Harmonique 1/4 1/6; et il n'y a de différence entre ces deux proportions qu'en ce que des deux Tierces qui y composent la Quinte, celle qui étoit au grave d'un côté, se trouve à l'aigu de l'autre; la majeure est directement attachée au Son fondamental dans la proportion Harmonique, au lieu que c'est la mineure qui jouit du même droit dans cette proportion Arihmétique, en quoi consiste la différence [-38-] que produit le renversement de ces deux proportions.
Ceux qui ont emploïé la proportion Arihmétique dans le même cas que nous, ne l'ont fait que par droit de convenance, et sans fondement Harmonique; au lieu que nous la tenons ici de la puissance réciproque des Vibrations plus lentes et plus promptes les unes sur les autres.
Nous n'entrerons point en matiere sur la succession, parce que c'est le sujet des Chapitres suivans, où l'on verra que toute Loi pour l'Harmonie est la même pour sa succession.
CHAPITRE IV.
Origine des successions fondamentales et Harmoniques, d'où l'on tire des progressions Géometriques, qui en marquent les rapports, et ceux de tous les intervalles possibles.
OUblions pour un moment tout ce que l'expérience peut suggérer en Musique, nous verrons bien-tôt, qu'à l'exception de l'Octave, de la Quinte et de la Tierce majeure, qu'on distingue avec le Son fondamental d'un Corps sonore, nul [-39-] autre intervalle ne se présente pour le faire succéder à ce Son fondamental: ce n'est que de l'impression reçue de son Harmonie que peut naître en nous le sentiment de ce nouveau Son qui peut lui succéder: cependant, loin de s'être soumis à un principe aussi naturel, aussi évident, on n'a pas plutôt imaginé une succession possible entre les Sons, qu'on l'a parsemée de Tons, de Demitons, en un mot, de tous les intervalles que l'Harmonie refuse dans son Origine; et ce qui a mis le comble à l'erreur, c'est qu'on a fait dépendre toutes les autres successions de celle-là, de sorte qu'on y a pris l'inconnu pour principe du connu, le produit pour le générateur; suite infaillible d'une aveugle expérience, qui trouve néanmoins encore ses Sectateurs, et dont on a peine à se départir.
Cette erreur est la source du peu de progrès qu'on a fait jusqu'à présent dans la connoissance de la Musique; le Phisicien mal informé des Loix de la nature, s'y est précipité, comme Géometre, dans des calculs où il s'est perdu. Revenons donc sur nos pas, examinons de plus près les conséquences que nous devons tirer de notre principe: c'est ici le grand noeud de la question, tout roule là-dessus, et l'on ne [-40-] sçauroit y donner trop d'attention.
Puisque le Corps sonore ne fait résonner que l'Octave, la Quinte et la Tierce majeure du Son fondamental, nous ne connoissons que cela, et par conséquent nous n'avons point d'autres intervalles à faire succéder à ce fondamental; toute la liberté que nous aurons seulement, ce sera de les prendre tant au grave qu'à l'aigu, en conséquence de la puissance réciproque des Vibrations plus lentes et plus promptes les unes sur les autres.
Mais quelle sera pour lors la qualité du Son qui succédera au fondamental? Sera-t'il fondamental, ou Harmonique? C'est encore-là le grand noeud; s'il est Harmonique, il n'y aura point de succession, il dépendra toujours du même fondamental, sans lequel il ne peut plus y avoir de Sons Harmoniques; donc il doit être fondamental; et c'est à quoi il faut se résoudre, puisqu'on ne peut l'entendre séparément du premier que dans un nouveau Corps sonore dont la totalité réponde à son Ton: dès qu'on passe d'un Son à un autre, on change de Corps sonore; chaque degré de la Voix, chaque Tuyau, chaque Corde, chaque Touche sont autant de Corps sonores différens, et par conséquent autant [-41-] de Sons fondamentaux différens; l'un n'existe plus, dès que l'autre se fait entendre; on ne peut l'imaginer autrement sans franchir les bornes de nos connoissances actuelles, il s'agit d'une succession, non pas de plusieurs Sons ensemble.
De cette succession ainsi reconnue pour fondamentale, il suit que chacun des Sons y porte son Harmonie particuliere, puisque chacun y est entendu dans son Corps sonore particulier; de sorte qu'autant de nouveaux Sons fondamentaux, autant de nouvelles Harmonies; et par conséquent, de la succession fondamentale ensuit nécessairement une Harmonique; par exemple, quand 3 succede à 1, l'Harmonie de 3 suit par conséquent celle d'1; et la différence qu'il y a, c'est que si la succession fondamentale est déterminée, celle de ses Sons Harmoniques est arbitraire, en ce que chacun d'eux représentant toujours le fondamental qui l'occasionne, ils peuvent être indifféremment substitués les uns aux autres, pourvû qu'on emploïe toujours l'un de ceux du fondamental qui existe.
De-là suit un principe indispensable, qui consiste à ne se guider que sur la succession fondamentale; de sorte que tous les termes de la proportion Harmonique ou [-42-] Arithmétique ne doivent plus être considerés que comme représentant leur Son fondamental.
Ce principe une fois bien conçu, prouve qu'on ne peut faire succéder d'abord que des Sons à l'Octave, à la Quinte et à la Tierce majeure les uns des autres; d'où les rapports de ces intervalles étant connus, il est tout simple d'imaginer, en ce cas, des Progressions déterminées par chacun de ces rapports pour voir quel en sera le produit, et pour tirer de ce produit les avantages qu'on peut en attendre.
Dès que l'Octave est connue, on peut imaginer l'Octave de cette Octave, ainsi de la Quinte et de la Tierce; d'où il suit que le rapport de l'Octave étant 1 1/2 ou 1. 2. celui de la Quinte 1 1/3 ou 1. 3. et celui de la Tierce majeure 1 1/5 ou 1. 5. l'idée d'une Progression Soudouble ou Double, Soutriple ou Triple, et Souquintuple ou Quintuple, peut s'offrir sur le champ.
Nous laissons ici l'arbitraire entre les multiples et soumultiples de l'unité, parce que l'un revient à l'autre, selon l'explication que nous en donnerons dans un moment, l'un naît de la proportion Arithmétique, l'autre de l'Harmonique; voïez la Table suivante.
[-43-] Table de la progression Triple et Soutriple.
[Rameau, Génération Harmonique, 43; text: solb. réb. lab. mib. sib. fa. ut. sol. ré. la. mi. si. fa[x]. 729, 243. 81. 27. 9. 3. 1. 1/3, 1/9, 1/27, 1/81, 1/243, 1/729, Arithmétique. Harmonique.] [RAMGEN 01GF]
Il suffit de cette Progression pour juger des autres dans le cas dont il s'agit.
Que cette Progression soit entierement Triple ou Soutriple, elle produira le même effet, puisqu'il n'y aura qu'à y prendre le terme moïen pour premier générateur, en l'appellant également ut, et nous y verrons pour lors les Quintes se succéder tant au-dessus qu'au-dessous de cet ut, de même que dans l'exposition présente; on y verra les Diézes naître de la Progression subordonnée à la proportion Harmonique, et les Bémols naître de la Progression subordonnée à la proportion Arithmétique; mais quand on sçait une fois de quoi il s'agit dans ces sortes de différences, on peut ne s'en plus mettre en peine, d'autant qu'elles ne sont d'aucune conséquence dans le fond; ne voit-on pas bien que ces signes de Diézes et de Bémols ne servent qu'à suppléer à d'autres noms qu'on devroit donner aux Sons auxquels on les associe, [-44-] mais dont on a jugé à propos de s'exemter, pour éviter la confusion et pour faciliter la pratique, d'autant plus qu'ils sont absolument inutiles dans l'ordre naturel: tout ce qu'il faut sçavoir en pareil cas, par rapport à la maniere d'écrire la Musique, c'est que le Diéze éleve d'un Demiton mineur le Son auquel on l'associe, et que le Bémol le diminue au contraire du même Demiton: on apprendra dans la suite ce que c'est que Demiton.
Puisque cela est ainsi, nous ne devons plus nous occuper de la différence de sus, ou de sous, dans l'exposition des Progressions; et pour plus grande netteté, nous devons même abandonner désormais toute fraction, attendu que la subordination de la proportion Arithmétique à l'Harmonique les réduisant à présent sous le même point de vûe, il ne s'agira que de citer les cas où il sera question de celle de l'Arithmétique, autrement l'Harmonique sera par-tout sous-entendue.
Les Progressions ainsi données sans fractions auront les différentes Vibrations de la Corde pour objet, au lieu qu'avec ces fractions elles auroient pour objet les différentes longueurs ou divisions de cette même Corde; attendu que les différentes [-45-] Vibrations d'une Corde sont en raison renversée de ses différentes longueurs; Quatriéme Proposition du Chapitre premier.
Ces Progressions ainsi déterminées se trouvent dans notre nouveau Systême, planche 24; mais comme nous n'en avons besoin que d'une partie pour l'objet présent, on peut se contenter de ce que contient sur ce sujet l'Exemple III.
[Rameau, Génération Harmonique, 45; text: III. ut. mi. sol. ré. la. si. fa[x]. ut[x]. sol[x]. ré[x]. la[x]. mi[x]. si[x]. 1. 3. 9. 27. 81. 243. 729. 2187. 6561. 19683. 59049. 177147. 531441. 5. 15. 45. 135. 405. 1215. 3645. 10935. 32805. 25. 75. 225. 675. 2025. 125.] [RAMGEN 02GF]
L'exposition de la progession double est inutile, puisqu'il est facile de l'imaginer; elle n'apporte de nouveautés dans les deux précédentes, que celle d'y approcher un terme d'un autre, en doublant l'un, ou en divisant l'autre par sa moitié, jusqu'à ce qu'ils s'approchent le plus qu'il est possible, pour connoître le rapport de l'intervalle immédiat qu'ils forment, c'est-à-dire, de l'intervalle pour lors réduit à ses moindres dgrés; ou encore jusqu'à ce que le plus grand se trouve le plus petit, pour connoître le rapport de l'intervalle qui en est renversé.
Chaque terme de ces Progressions représente un Son fondamental, selon nos remarques précédentes, et ce Son fondamental y porte par conséquent toujours avec lui sa proportion Harmonique: mais pour éviter la peine d'imaginer cette proportion [-46-] relativement à chacun de ces termes, on la trouvera dans les colomnes mêmes; la Quinte est toujours immédiatement au-dessous du Son fondamental dans la même colomne, et la Tierce majeure immédiatement à côté dans la colomne voisine.
On trouve dans le Nouveau Systême une explication plus ample sur ces Progressions, mais dont on peut se passer quant à l'objet présent.
De la comparaison réciproque entre chaque terme de ces Progressions, naîtront les rapports de tous les intervalles possibles en Harmonie, dont on aura les Renversez par le moïen de l'Octave, comme on vient de le dire: et si l'on trouve ailleurs d'autres rapports, comme dans les Auteurs Grecs, reconnoissez-en à présent l'erreur; puisqu'il est absurde de vouloir tirer des rapports Harmoniques d'une autre source que de celle que la nature nous présente.
Cependant, outre les plus parfaits rapports de la proportion Harmonique, on en trouvera ici d'autres pour les mêmes intervalles en apparence qu'elle a déja fournis: mais remarquez bien que l'erreur vient pour lors du même nom qu'on y donne [-47-] à deux Sons différens: le mi, par exemple, qui fait la Quinte de la dans la premiere colomne, n'est pas celui qui fait la Tierce majeure d'ut dans la Deuxiéme à côté de cet ut; et par conséquent si vous prétendez que ce dernier mi doive faire la Quinte de la, ou que le premier doive faire la Tierce majeure d'ut, vous êtes mal fondé, toutes vos raisons n'aboutiront à rien; en vain me direz-vous que ce mi doit être le même sur nos Instrumens: S'il y a de l'erreur, elle est de votre côté; la nature n'a pas introduit cette différence sans raison; et loin de regarder cet accident comme un défaut, tâchez au contraire d'en profiter: la n'est pas fondamental dans le Mode d'ut, ut ne l'est pas dans le Mode de la: mais c'est trop avancer; attendons que nous sçachions auparavant ce que c'est que Mode.
De cette erreur de noms vont naître différens rapports entre les mêmes intervalles; mais en considerant de quelle Harmonie dépendent pour lors les Sons que vous comparerez entr'eux, bien-tôt vous sçaurez à quoi vous en tenir; et vous reconnoîtrez de plus en plus la nécessité qu'il y a de tout faire rapporter aux Sons fondamentaux, où ce tout sera toujours parfait, [-48-] comme vous souhaitez de l'entendre, et comme vous croïez souvent l'entendre, quoiqu'il ne le soit pas: cette question est une suite de la précédente; mais avant que d'arriver à leur solution, il faut en fraïer les routes.
On doit regarder cette découverte des Progressions comme l'une des plus heureuses que le principe ait pû nous fournir, pour démontrer l'Harmonie successive; il y a même lieu de soupçonner que Pytagore pourroit bien nous avoir prévenu dans une partie de ces Progressions, puisque tout son Systême, son Tétracorde, en un mot, tout ce qu'on lui attribue sur ce sujet, est directement tiré de la Progression triple; sans doute que la quintuple ne lui est point venue à l'esprit, sur ce qu'il a d'abord trouvé les Tierces fausses dans la premiere, d'où toute l'antiquité n'a jamais voulu recevoir ces Tierces pour Consonnances; on sçait d'ailleurs que cet Auteur abondoit en Progressions; et comme il ne nous reste rien de lui, apparemment que ses Sectateurs ont expliqué, selon leur portée, les moïens dont il s'est servi pour parvenir à son Systême.
Une chose bien essentielle à remarquer dans ces Progressions, c'est qu'aucune puissance [-49-] de l'une ne peut donner l'Unisson ni l'Octave de l'autre; la Triple même ni la Quintuple ne peuvent trouver d'Octaves dans leurs propres puissances, lorsque cependant l'Octave doit y servir de bornes, selon l'exposé du Chapitre précédent, et lorsque toutes ces puissances doivent être communes entr'elles, de maniere que tel Son qui a fait la Tierce d'un Son fondamental doit faire ensuite la Quinte ou l'Octave d'un autre.
Comment, en effet, frabriquer un Instrument, un Clavecin, par exemple, où se rencontrent tous les Sons propres à l'Harmonie successive, lorsqu'on sera obligé d'y insérer deux mi, l'un comme Tierce majeure d'ut, l'autre comme Quinte de la, ce qui influe sur tous les autres Sons; car la Tierce y aura la sienne, la Quinte de même, ainsi de l'une à l'autre? Voilà bien des difficultez; mais espérons tout d'un principe tel que le nôtre.
[-50-] CHAPITRE V.
Origine des Consonnances et Dissonances, et de leur dégré de perfection, où l'on découvre la Consonnance dont la succession peut fournir tous les intervalles nécessaires en Harmonie.
L'Harmonie d'un Corps sonore donne toutes les Consonnances, en y comparant réciproquement entr'eux tous les Sons qui la composent.
L'Octave doit d'abord être distinguée des autres intervalles par le titre d'AEquisonnance, à cause de la presqu'égalité entre ses deux termes.
Si l'on distingue la Quinte 2. 3. la Tierce majeure 4. 5. et la Sixte majeure 3. 5. dans la résonnance d'un Corps sonore, où nous réduisons à présent ces Consonnances à leurs moindres dégrés, on y distinguera encore la Quarte 3. 4. la Sixte mineure 5. 8. et la Tierce mineure 5. 6. si les Octaves de 2. de 3. et de 4. y peuvent frapper l'Oreille: mais que ces Octaves y soient sensibles ou non, elles doivent toujours y être sous-entendues, d'autant plus que leur trop grande union avec le Son dont elles [-51-] font l'Octave, empêche qu'on ne les en distingue.
Ainsi toutes les Consonnances consistent dans la Quinte, la Tierce majeure et la mineure, d'où dérivent, par renversement, la Quarte, la Sixte majeure, et la mineure: il y en a trois directes, et trois renversées.
Comme la Sixte majeure, non plus que la Tierce mineure ne sont pas directement attachées au Son fondamental d'un Corps sonore, on attribue indifféremment la direction à celle que l'on veut; cependant la Tierce mineure doit l'emporter à présent à la faveur de la proportion Arithmétique qui vient de la rendre directe.
A l'égard des Dissonnances, elles ne sont autre chose que les degrés qui servent à passer d'une Consonnance à une autre,
comme de la Tierce mineure à la majeure, de celle-ci à la Quarte, de cette Quarte à la Quinte, et cetera elles sont aussi par conséquent la différence qu'il y a d'une Consonnance à une autre; on les appelle Ton, Demiton, et dans la pratique Seconde en général.
La différence de la Quarte à la Quinte est d'un Ton majeur, dont le rapport est 8. 9.
[-52-] Celle de la Quinte à la Sixte majeure est d'un Ton mineur, dont le rapport est 9. 10.
Celle de la Tierce majeure à la Quarte est d'un Demiton majeur, dont le rapport est 15. 16.
Et celle de la Tierce mineure à la majeure est d'un Demiton mineur, dont le rapport est 24. 25.
De la différence de ces différences naissent de moindres intervalles; comme, par exemple ...
La différence du Ton majeur au mineur donne le Comma, dont le rapport est 80. 81.
Et la différence du Demiton majeur au mineur donne le Quart de Ton, dont le rapport est 125. 128.
On peut s'assurer, par les Opérations connues, de toutes ces différences; quoique nos Progressions les donnent, et qu'on les trouve toutes énoncées dans la Planche 26. de notre Nouveau Systême.
Remarquons bien ici une circonstance très-digne d'attention; sçavoir, que si les premieres différences doivent être aussi naturelles que les Consonnances dont elles sont formées, puisque si ces Consonnances nous sont familieres, les degrés par lesquels [-53-] on passe de l'une à l'autre doivent l'être également, ou du moins presqu'également; il n'en est pas de même des différences de ces différences, elles sont trop éloignées du principe, l'Oreille n'y trouve rien qui les lui suggére immédiatement, et de-là elle n'en peut jamais sentir le juste degré, elle ne peut les apprétier: car toutes ses facultés en Harmonie naissent directement et immédiatement de la résonnance du Corps sonore, qui ne peut lui faciliter cette derniere apprétiation.
Cette vérité est d'une conséquence infinie; elle tend, comme on en doit juger, à nous préparer les voïes d'un Tempéramment; il ne reste plus qu'à sçavoir si une pareille différence dans une Consonnance, ou du moins une plus petite, pourroit blesser l'Oreille.
Remarquons encore que le défaut de direction de la Tierce mineure doit fatiguer l'Oreille dans l'apprétiation de sa différence avec la majeure; aussi la Voix ne forme-t'elle le Demiton mineur qui en naît qu'avec artifice: ce sera le sujet du Chapitre XIV.
Chaque Consonnance, chaque Dissonnance se montre ici avec son dégré de perfection, conséquemment à son origine; [-54-] par exemple, on ne doute pas que la Quinte ne soit la plus parfaite des Consonnances, l'expérience le prouve dans une infinité de rencontres; mais pour une plus grande évidence, on la voit naître immédiatement après l'AEquisonnance, je veux dire, après l'Octave,
[Rameau, Génération Harmonique, 54; text: 1. 2. 3. Octave. Quinte.] [RAMGEN 02GF]
la Tierce ne vient qu'ensuite dans la proportion Harmonique 1. 3. 5. où le rapport d'1. à 3. est plus simple que celui d'1. à 5. de sorte que ce qui se conçoit le mieux est en même-tems ce qui flatte le plus nos sens; cette Quinte y est rendue par une plus grande partie aliquote que la Tierce, d'où sa résonnance en doit être plus sensible, mais en même-tems plus unie à celle du Son fondamental, et par conséquent moins distincte, à cause de son plus de commensurabilité avec lui; c'est elle enfin, qui, comme terme moïen de la proportion, tant Harmonique qu'Arithmétique, s'attache aux deux autres, les lie, les rapproche, pour ainsi dire, l'un de l'autre, comme si elle en étoit le centre.
La perfection de cette Quinte ne se borne pas-là; on peut voir dans les Progressions du Chapitre précédent, que la seule Progression Triple, celle où s'engendrent [-55-] successivement les Quintes, contient les deux autres plus précisément qu'elle ne peut être contenue dans aucune d'elles; car elle donne l'Octave du premier Son fondamental à sa douziéme puissance, et la Tierce majeure de ce même Son fondamental à sa quatriéme puissance, le tout à un Comma près; au lieu que la Progression Quintuple, celle où s'engendrent successivement les Tierces majeures, n'arrive qu'à un quart de Ton près de l'Octave, et à un Demiton mineur près de la Quinte, dans laquelle de ses puissances que ce soit.
Pour ce qui est de l'Octave, sa Progression ne peut donner que des Octaves, pour servir par-tout de bornes, de quelque côté qu'on la porte.
Dès que la Quinte reçoit l'Octave et la Tierce majeure dans sa Progression, à peu de chose près, elle doit y recevoir toutes les Consonnances et toutes les Dissonnances, toujours à peu de chose près; puisque le tout vient d'être tiré de la proportion Harmonique qu'elle renferme en elle, dans l'Octave et dans la Tierce majeure: reste à sçavoir si cet à peu-près n'est pas capable de choquer l'Oreille; ce sera le sujet du Chapitre VII. après avoir développé [-56-] tout ce qui regarde encore cette Quinte.
Si les Consonnances naissent directement de la proportion Harmonique, elles ne peuvent donc recevoir d'autres rapports que ceux que leur assigne cette proportion; et par conséquent, si aucune des parties aliquotes du Corps sonore 1. ne peut être avec lui en raison de 3. à 4. dont se forme la Quarte, non plus qu'en raison de 3. à 5. dont se forme la Sixte majeure; donc ces Consonnances lui sont incommensurables; même principe pour l'une et pour l'autre: qu'on donne après cela tel nom qu'on voudra aux Sons qui forment ces Consonnances, peu importe.
[-57-] CHAPITRE VI.
Origine du Genre Diatonique, des Tétracordes et Systêmes de Musique, de la Mélodie, des rapports naturels entre les Sons de la Trompette et des Timbales, du Mode naturel, de la Liaison, des Cadences, et de la Note sensible.
LA seule Quinte donne tout ce que ce titre embrasse.
Article premier.
Du Genre Diatonique.
La Quinte reconnue pour la plus parfaite des Consonnances, doit être notre principal objet dans la succession; ainsi nous devons examiner, avant toute chose, quel peut être son produit en pareil cas.
Supposons, pour cet effet, la succession fondamentale et alternative d'[ut/1. à sol/3.], et examinons pour lors tous les ordres dans lesquels leurs Sons Harmoniques pourront se succéder. Voïez l'Exemple IV.
[Rameau, Génération Harmonique, 57; text: IV. ut. mi. sol. ré. si. 1. 2. 3. 5. 6. 9. 15. Sons Harmoniques en proportion Harmonique. Succession fondamentale.] [RAMGEN 03GF]
[-58-] Tous les intervalles devant être réduits à leurs moindres degrés, pour qu'ils puissent être renfermés dans les bornes de l'Octave, Chapitre III. ce qui se fait aisément en portant un Son, un terme, un nombre à l'Octave qui l'approche le plus d'un autre, nous devons d'abord en user de la sorte à l'égard des Sons Harmoniques donnés par les fondamentaux, pour en tirer les moindres degrés possibles.
Prenons donc, pour cet effet, le plus grand terme de ces Sons Harmoniques, qui est 15. approchons-en les autres autant que nous le pourrons, en les portant à leurs Octaves les plus voisines de ce terme 15. nous aurons [si./15. ut./16. ré./18. mi./20.] ne pouvant en approcher sol./3. de si près, puisque son Octave 12. formeroit avec 15. une Tierce majeure, et son Octave 24. une Tierce mineure avec 20. au lieu que .....
de 15. à 16. il y a un Demiton majeur.
de 16. à 18 ... un Ton majeur.
et de 18. à 20 ... un Ton mineur.
Ces derniers intervales sont justement les degrés qui servent au passage d'une Consonnance à l'autre, et chaque Tierce est toujours composée de deux de ceux-là.
Voïons maintenant dans quel ordre notre [-59-] succession fondamentale donnera ce produit. Exemple V.
[Rameau, Génération Harmonique, 59; text: V. ton Majeure. ton Mineure. Demiton Majeur. ut. ré. mi. sol. Si. 1. 3. 15. 16. 18. 20. Succession des sons Harmoniques dans un ordre Diatonique. Succession fondamentale.] [RAMGEN 03GF]
Pour que la succession fondamentale commence par ut, il n'y a qu'à la prendre en rétrogradant, et pour lors les Sons Harmoniques suivront en descendant l'Ordre Diatonique qu'ils suivent ici en montant, où le Demiton se trouve le premier, selon que les Grecs l'ont toujours observé.
On voit naître de la seule succession fondamentale par Quinte les mêmes Dissonnances annoncées au Chapitre V. qui servent au passage d'une Consonnance à l'autre, et qui sont, en même-tems, les moindres degrés naturels à la Voix, dont la succession a reçu pour titre celui de Genre Diatonique, parce qu'elle n'embrasse que des Tons et des Demitons naturels.
Si ce sont-là effectivement les moindres degrés qu'on puisse tirer d'une succession Harmonique produite par la fondamentale en question, où le tout part du même Corps sonore, il faut bien qu'ils soient les seuls naturels; on le voit, on le sent; et le Demiton mineur, qu'on pourroit leur opposer, ne l'est pas à beaucoup près autant, comme nous l'avons déja fait pressentir, et comme nous le prouverons au Chapitre XIV.
[-60-] Article II.
Des Tétracordes et Systêmes.
C'est justement de cet ordre Diatonique que nous venons de découvrir dans l'Article précédent, et qu'on ne peut pousser au-delà de quatre Sons, excepté qu'on n'ajoute un troisiéme Son fondamental à la Quinte des deux qui ont fourni cet ordre, en quel cas on ne feroit que répéter la même chose une Quinte plus haut ou plus bas: c'est justement, dis-je, de cet ordre Diatonique que les Grecs ont formé leurs Systêmes Diatoniques, auxquels ils ont donné le nom de Tétracordes; vous en voïez l'origine dans la succession fondamentale par Quinte; et s'ils n'y ont pas suivi les mêmes rapports, on peut juger à présent de quel côté vient l'erreur.
Il est étonnant que les Anciens aient ainsi découvert l'une des premieres conséquences du principe, sans s'être apperçus de ce principe, sans l'avoir même suivi dans les rapports qu'ils assignent aux intervalles de leurs Tétracordes: on voit par-là ce que peut l'Oreille, mais en même-tems les égaremens où elle peut nous jetter, quand on n'a point d'autre guide dans ses recherches.
[-61-] Article III.
De la Mélodie.
L'ordre Diatonique joint à la succession fondamentale, et à tous les ordres arbitraires entre les Sons Harmoniques tirés des fondamentaux, selon l'exposé du Chapitre IV. forme ce qu'on appelle la Mélodie, c'est-à-dire, le Chant d'une seule partie.
Article IV.
Des Trompettes et Tymbales.
La Trompette, et tout instrument qui se sonne de même, n'ont de Sons parfaitement d'Accords entr'eux, que ceux qui naissent de l'Harmonie de la succession fondamentale d'une seule Quinte; ut et sol y donnent seuls la loi; et après que ces Instrumens ont fourni cet ut et ce sol dans leurs Sons les plus graves, ils fournissent l'Harmonie du premier, puis mêlent avec celle-ci celle du deuxiéme dans un ordre Diatonique; de sorte que tous leurs Sons, depuis le plus grave jusqu'au plus aigu, marchent dans l'ordre des parties aliquotes 1. 1/2 1/3 1/4 1/5 1/6 1/7 1/8 1/9 1/10 1/11 1/12 1/13 1/15 1/16, et plus quand on le peut; ce qui répond à la Septiéme Expérience du premier Chapitre.
[-62-] Les Sons du 1/7, du 1/11 et du 1/13 n'étant point Harmoniques de 1. ni de 3. sont toujours faux dans ces Instrumens; 1/7 fait une Septiéme trop foible, 1/11 une Quarte trop forte, et 1/13 une Sixte majeure trop foible, le tout relativement à 1. 1/14 feroit la même Sixte majeure de beaucoup trop forte, puisqu'il est l'Octave d'1/28 qui surpasse 1/27, où cette Sixte majeure se trouve déja trop forte d'un Comma; ce qui fait qu'on lui préfere 1/13 Octave d'1/26 qui diminue cet excès, mais un peu plus qu'il ne le faut.
Les Tymbales représentent toujours nos deux Sons fondamentaux ut./1. sol./3.; et l'on doit être surpris qu'un principe aussi évident, aussi sensible, qui a même été choisi pour Basse de tous les Airs de Trompette, n'ait pû frapper les yeux de l'esprit, de même qu'il a frappé nos Oreilles.
Article V.
Du Mode naturel.
C'est ici où la Quinte déploïe tous ses ressorts les plus cachés; jusqu'à présent nous n'avons examiné que le produit de la [-63-] Quinte Harmonique, c'est-à-dire, de celle qui résonne dans le même Corps sonore au-dessus du Son fondamental; mais n'avons-nous pas encore à y ajouter celle que donne la proportion Arithmétique au-dessous de ce même Son fondamental, en conséquence de la puissance réciproque entre les Vibrations plus lentes et plus promptes les unes sur les autres?
Le Mode est, en Musique, le principe qui contient en lui la succession la plus parfaite et la plus naturelle; et Moduler signifie pour lors la maniere d'observer cette succession dans les bornes prescrites par ce principe.
Comme on ne connoît encore d'autre principe du Mode que celui qu'on a puisé dans la succession Diatonique, il n'est pas étonnant qu'on en ait fait consister les bornes dans l'étendue de l'Octave, puisqu'effectivement cette succession doit y être renfermée: mais si l'Octave ne peut rien dans la succession fondamentale, excepté pour y marquer jusqu'où elle peut s'étendre, si l'on ne peut y faire aucun usage des Octaves que donne l'Harmonie du premier Son fondamental, et s'il n'y a que ces Quintes tant au-dessus qu'au-dessous, c'est-à-dire, tant à l'aigu qu'au grave, dont [-64-] on puisse profiter dans le cas de la plus parfaite et de la plus naturelle succession; donc les bornes du Mode doivent être prises dans ces deux Quintes; le principe d'où elles naissent, notre premier Son fondamental, en un mot, doit seul contenir tout ce qui constitue le Mode, puisqu'il n'y a de véritablement et sensiblement naturel que ce qui en provient immédiatement.
Après cela, que le produit de la succession arbitraire entre les trois Sons fondamentaux, qui vont nous régler, donne une succession Diatonique plus ou moins étendue, peu importe. Cette derniere succession n'est pas plus nécessaire en Musique que celle des Consonnances; en un mot, elle n'y peut faire loi, elle y dépend du principe qui la donne, et doit s'y soumettre absolument.
Pour ne rien ajouter d'inutile à nos Progressions, où nous avons donné le nom d'ut au premier Son fondamental, selon l'usage où l'on est de tout faire rapporter à cet ut, autant qu'on le peut; nous serons obligés de lui substituer ici sol, et de donner par conséquent à ce sol le titre de premier Son fondamental, sous celui de Principal, afin qu'on puisse trouver dans ces Progressions les deux Quintes dont il a [-65-] besoin: le nom étant arbitraire d'ailleurs, dès qu'il ne change rien à la chose; et ceci ne se faisant que pour éviter de rentrer dans les fractions, puisqu'en exprimant une Quinte de cette sorte 1. 3. il faudroit exprimer l'autre ainsi 1. 1/3; or [fa./3. ut./1. sol./1/3] = [ut./1. sol./3. ré./9.] ce qui évite la confusion où cela pourroit jetter autrement. Voïez l'Exemple VI.
[Rameau, Génération Harmonique, 65; text: VI. demiton Majeur, ton Majeur, ton Mineur, tierce Majeur, ut. ré. mi. sol. la. si. fa [x]. Note sensible. trois tons de suitte. Cadence parfaite. Cadence imparfaite. Dominante. Son principal. Son dominante. 24. 27. 30. 32. 36. 40. 45. 48. 9. 3. 1. Ordre Diatonique des Sons Harmoniques dans le Mode majeur. Succession fondamentale par Quintes dans un seul Mode.] [RAMGEN 03GF]
La Quinte au-dessus du Son principal s'appelle Dominante, et sa Quinte au-dessous Soudominante.
Toute Quarte représente la Quinte, en conséquence du Renversement.
Comme il est naturel que le Mode commence par le Son principal pour en recevoir l'impression, sur laquelle se détermine à notre Oreille la succession fondamenle et l'Harmonique, il devroit commencer par [sol/24.] et finir par l'autre [sol./48.] cependant la succession Diatonique ne peut être poussée jusques-là; eu égard à la fondamentale par Quinte.
Si nous retranchions le ré A. des Sons Harmoniques, pour y conserver la succession Diatonique, on y trouveroit pour lors [-66-] trois Tons de suite depuis [ut./32.] jusqu'à
[fa[x]./45.] qui, comme on le sçait, comme on le sent, ne sont point naturels; et ils le sont si peu, que la succession fondamentale par Quinte ne les donnera jamais; il faudroit, pour les avoir, faire succéder 9. à 1, en quel cas le défaut de rapport entre leur Harmonie prouve de nouveau celui du troisiéme Ton qu'elle forme: car si l'Harmonie de 1. est 1. 3. 5. et celle de 9. 9. 27. 45. doublons 1. et 5. dans le besoin, pour les approcher de 27. on trouvera de 16. à 27. une Sixte majeure trop forte d'un Comma, dont le Renversement 27. 32. donnera une Tierce mineure trop foible d'autant, puis on trouvera encore de 20. à 27. une Quarte trop forte du même Comma, dont le Renversement 27. 40. donnera une Quinte trop foible d'autant: or la succession Harmonique étant une suite nécessaire de celle des fondamentaux, 1. et 9. ne se succéderont pas plutôt que le défaut de rapport entre leur Harmonie se fera sentir, et de là naîtra le desagrément du troisiéme Ton qu'occasionne cette succession: il y a, de plus, un défaut de Liaison, dont nous parlerons dans l'article suivant.
[-67-] Voilà comment les causes les plus ocultes se découvrent insensiblement, quand on est guidé par un principe certain: on ne sçavoit pourquoi trois Tons de suite déplaisoient, ont le sçait à présent; la succession fondamentale par Quinte ne peut les donner; et celle qui les donne, comme d'1. à 9. fournit entre ses Sons Harmoniques des intervales proscrits par la nature.
On les emploïe, cependant, ces trois Tons de suite. Mais remarquez pour lors qu'on pratique un repos sur l'un des Sons fondamentaux du Mode, au premier ou au deuxiéme Ton; repos à la faveur duquel on oublie le passé, pour se livrer tout entier à ce qui suit, comme à une chose nouvelle: ce fait est de pratique, aucun Musicien ne peut le contester.
Ce repos marque un changement de Mode dans le moment qu'il existe, dès qu'il est pratiqué sur un autre Son fondamental que le principal; et si après celui-ci la succession fondamentale cesse de marcher par Quinte, autre changement de Mode, c'est-à-dire, qu'on prend pour lors un nouveau Son principal pour guide de ses deux Quintes, bien que cela puisse n'avoir point de suite; mais le moment où cela arrive, est toujours le moment d'un [-68-] changement affecté, s'il n'est pas réel dans sa suite: c'est ce qui n'a pas été assez consideré, faute de n'avoir pas profité de ce que les Grecs nous ont enseigné sur ce sujet, puisque tous leurs Tétracordes conjoints commencent par le fa[x] séparé de l'exemple, et finissent au mi; de sorte que la succession Diatonique y comprend pour lors tous les Sons contenus dans l'étendue d'une Octave, à la réserve que le plus haut ne peut y monter à l'Octave du premier: et ce n'est que de cette maniere qu'on peut continuer l'ordre Diatonique dans sa plus grande extension, soit en montant, soit en descendant, sans changer de Mode.
Lorsque ces mêmes Grecs nous ont donné des Tétracordes disjoints, ils n'ont jamais manqué de mettre entre deux parentheses, ou hors des rangs, le Son qui les disjoint, et à l'occasion duquel se forment les trois Tons de suite: le sentiment ne leur en a pas dit davantage; mais c'en étoit bien assez pour nous obliger à nous tenir sur nos gardes, sans vouloir absolument faire entrer ces trois Tons dans le même Mode.
Examinez pourquoi les fausses relations, les deux Octaves, Quintes et Tierces majeures [-69-] de suite sont défendues, vous en trouverez la raison dans les trois Tons, et sur-tout dans la succession fondamentale d'[ut./1. à ré./9].
Tout cela peut néamoins se pallier à la faveur de la Dissonnance, dont il faut attendre le développement, avant que de résoudre la question, comme nous le ferons dans le Chapitre XI.
Article VI.
De la Liaison.
La Liaison qui consiste dans un Son commun à l'Harmonie de deux Sons fondamentaux successifs, et où l'un des deux a toujours part, trouve son origine dans le Mode; si la succession fondamentale descend de Quinte, comme de sol à ut, le premier, ou son Octave, reste pour former la Quinte de l'autre; si au contraire elle monte de Quinte, comme d'ut à sol, le dernier existoit déja comme Quinte du premier.
Quelque route que tienne la succession fondamentale, le même principe y regne, et dans le meme ordre où celle de Quinte vient de le donner: la découverte en est d'autant plus heureuse, qu'elle facilite [-70-] extrêmement la pratique de l'Harmonie et du beau Chant, sur-tout aux personnes dont l'esprit ne peut embrasser tous les principes qui conduisent au même but: c'est la source de toutes les régles, source dont l'ignorance a frustré leurs Auteurs de l'unique moïen de les bien définir, et frustre en même-tems ceux qui veulent les suivre de la connoissance de leur juste application.
On a bien reconnu cette Liaison dans les Dissonnances; mais faute de l'avoir puisée dans son principe, on l'a indifféremment appliquée à toutes les Dissonnances, lorsqu'elle ne leur convient que dans les cas où le deuxiéme Son fondamental ne se lie pas au premier par lui-même.
Moins la succession fondamentale est parfaite, plus il s'y trouve de Sons communs, les Harmoniques s'y joignent aux fondamentaux; et c'est ainsi que le plus de perfection d'un côté répare le défaut de l'autre.
Le seul sentiment, le seul bon goût fait appercevoir le défaut de cette Liaison par tout où elle manque, même dans un Chant dénué d'Harmonie: si ré, par exemple, y paroît agréable après ut, c'est qu'il y dépend de l'Harmonie de sol, qui étoit [-71-] Quinte d'ut; car s'il y dépendoit de l'Harmonie de si, ou de la sienne même, sans aucune restriction, il déplairoit certainement.
Quoique l'Auteur d'un Chant ne connoisse pas les Sons fondamentaux dont ce Chant dérive, il ne le puise pas moins dans cette source unique de toutes nos productions en Musique; nous n'en disons pas trop, la suite le prouvera: ainsi lorsqu'un Chant déplaît, on peut s'assurer que la Liaison y manque; car elle influe aussi dans le rapport des Modes, dont nous parlerons en tems et lieu: le défaut de ce Chant peut naître encore d'une autre source; mais elle est y pour lors trop sensible pour qu'on ne l'y reconnoisse pas.
Article VII.
Des Cadences.
Le repos, dont nous venons de parler dans l'Article V. ne se pratique jamais que sur un Son principal; et quel que soit le Son fondamental du Mode sur lequel tombe ce repos, il est dès-lors censé principal, bien qu'il puisse perdre cette qualité incontinent après.
Comme le Son principal, après avoir passé à sa Dominante, ou à sa Soudominante, [-72-] est toujours précédé de l'une ou de l'autre jusqu'à la fin, la différence de ces deux successions qui se fait extrêmement sentir a été distinguée sous le titre de Cadence, qui signifie également Repos.
Lorsque la Dominante passe au Son principal, cela s'appelle Cadence parfaite, et si c'est la Soudominante qui y passe, cela s'appelle Cadence imparfaite ou irréguliere, comme on le voit dans l'exemple de l'Article V.
La premiere de ces deux Cadences est sans doute la plus parfaite, puisque la Dominante y rentre pour lors dans le Corps de l'Harmonie d'où elle naît, et ne laisse plus rien à désirer après cela; au lieu que la Soudominante ne trouvant aucune place dans l'Harmonie du Son principal, ne s'unit point assez avec lui, et empêche, par-là, que le Repos satisfasse plénement.
Il y a des cadences rompues ou interrompues, mais elles dérivent toutes de la Parfaite, comme le spécifient assez leurs Epithétes: nous en parlerons au Chapitre XV.
Article VIII.
De la Note sensible.
Le Demiton majeur, qui doit précéder ou suivre les deux Tons dans toute succession [-73-] Diatonique d'un même Mode, y est le plus sensible, d'autant que l'Oreille le desire ardemment en pareil cas, conséquemment à l'exposé de l'Article V. Or comme on ne monte jamais Diatoniquement au Son principal que par cet intervale, le Son qui le précede pour lors le fait tellement pressentir, qu'on a cru devoir lui donner une Epithéte particuliere; et aucune ne lui convenoit mieux, en ce cas, que celle de Note sensible.
Cette Note sensible est toujours la Tierce majeure de la Dominante, comme on le voit dans l'Exemple de l'Article V. et quoiqu'il en arrive, son droit subsiste toujours, en conséquence de la Loi naturelle que le principe y a d'abord imprimée.
Conclusions.
La Quinte regne par-tout, sa succession fondamentale donne, sinon ce que comprend l'Harmonie, du moins ce qu'elle a de plus naturel et de plus parfait, sans aucune réserve; et ce qu'il y a de plus merveilleux, c'est que ce tout part d'un seul Son Harmonieux, dont même encore tout le produit n'est pas épuisé, puisqu'il n'a pas encore été question de sa Tierce dans la succession fondamentale; Tierce [-74-] qui, sans doute, doit y avoir son produit particulier; mais avant que d'en faire la recherche, il faut épuiser, s'il est possible, celui de la Quinte, en portant sa succession fondamentale jusqu'à ses bornes, dans lesquelles va se découvrir la nécessité d'un Tempéramment.
Remarquez bien la force de cette derniere expression sur la Quinte, dont nous allons porter la succession fondamentale jusqu'à ses bornes; et concluez de-là que si elle a donné le Mode naturel avant que d'être arrivée à ces bornes, l'Octave ne sert donc pas de bornes à ce Mode naturel, mais bien à tous les Modes possibles: il n'y a de véritablement naturel que ce qui part directement du même Corps sonore, c'est de sa seule résonnance que naissent en nous toutes les impressions de l'Harmonie, et de sa succession la plus naturelle; donc c'est lui seul qui contient, qui renferme dans les bornes de ses deux Quintes cette succession la plus naturelle, reconnue sous le titre de Mode naturel.
Reconnoissez en même-tems toutes les proportions continues, l'Harmonique, l'Arithmétique et la Géométrique, dans la résonnance d'un seul Corps sonore, leur subordination, leur usage, les deux premieres [-75-] pour ce qui doit être entendu ensemble, et la derniere pour ce qui doit former succession: la nature aïant pris soin de rassembler ainsi dans un tout Harmonique, et de communiquer, par ce moïen, à l'Oreille, ce que le jugement a saisi d'ailleurs à l'aide d'autres principes.
Mais, ce qui n'est pas moins digne d'attention, c'est cet à peu-près dont nous allons voir que l'Oreille se contente dans ces mêmes proportions, dès qu'il s'agit de les mettre en pratique, tant il est vrai que tout se gouverne par le même principe: je n'ose prononcer en faveur de celui-ci sur toutes les difficultez qu'il pourroit résoudre en s'y soumettant; il faudroit être plus éclairé pour cela.
CHAPITRE VII.
Origine du Tempéramment, sa théorie et sa pratique.
LE Tempéramment, en Musique, consiste dans une altération, ou plutôt, dans une modification nécessaire aux intervales, pour que le même Son Harmonique puisse y appartenir à différens Sons fondamentaux.
[-76-] Le Mode, dans son origine, prescrit la nécessité de ce Tempéramment, puisque la succession Diatonique même ne peut y atteindre à ses bornes, c'est-à-dire, à l'Octave, sans un défaut essentiel, soit du côté des intervales qui s'y succédent, comme dans les trois Tons de suite, soit en y abandonnant la succession fondamentale par Quinte, pour lui en substituer une, comme entre 1. et 9. qui fournit de fausses Consonnances dans la succession de ses Sons Harmoniques, soit enfin par l'obligation où l'on seroit de prendre un nouveau Son fondamental à la Quinte de l'un des deux extrêmes, si l'on vouloit pousser la succession Diatonique jusqu'à l'Octave. Voïez, sur ce sujet, l'Article V. du Chapitre précédent, et de plus l'Exemple VI. [RAMGEN 03GF]
Quoique la succession Diatonique ne puisse atteindre à l'Octave du premier Son dans le Mode, nous ne devons pas moins chercher les moïens de l'y faire arriver, puisque ce sont-là ses bornes, quelqu'indifférentes qu'elles soient dans ce Mode, qui tire immédiatement les siennes de la succession fondamentale entre les Quintes engendrées du même Son fondamental, du même Corps sonore.
N'avons-nous pas d'ailleurs d'autres bornes [-77-] encore plus essentielles à chercher? Si la Quinte, produite par le premier Son fondamental, devient fondamentale à son tour, ne produit-elle pas la sienne dans son Harmonie, et ne peut-elle pas lui substituer le même droit qu'elle a reçu de son Générateur?
Dès-lors la successon fondamentale par Quinte devient infinie, si on ne lui trouve des bornes; et peut-être qu'en cherchant ce qui manque d'un côté, trouverons-nous ce qui manque de l'autre. Voïez l'Exemple VII.
[Rameau, Génération Harmonique, 77; text: VII. Succession Diatonique poussée a l'infini. sol. la. si. ut. ré. mi. fa. et cetera. Succession fondamentale par Quintes qui passent d'un Mode à un autre.] [RAMGEN 04GF]
La succession Diatonique continue, dans cet exemple, jusqu'à l'Octave A, et se poussera si loin qu'on le voudra en conséquence de la fondamentale; mais remarquez que pour lors celle-ci est obligée d'associer un quatriéme Son fondamental, qui est fa, aux trois premiers, d'où le Mode change, puisque fa n'est pas de l'Harmonie de sol: il en est d'ailleurs de fa et de sol, comme d'ut et de ré dans l'Article V. du Chapitre précédent, leurs Sons Harmoniques fournissent entr'eux des Consonnances alterées; et ce que vous trouvez ici, vous le trouverez de trois en trois Quintes dans les Progressions, où la troisiéme forme toujours une Sixte majeure [-78-] trop forte d'un Comma avec le premier Son, comme entre [ut./1. et la./27.] d'où les bornes du Mode nous sont encore une fois assignées par-là; et loin de regarder cette altération comme un défaut, on doit au contraire la regarder comme nécessaire, même à l'Oreille, pour lui faire sentir l'endroit où le Mode change.
Le jugement de l'Oreille est toujours fondé, et tout obscur qu'il est sans le secours de la raison, il ajoute cependant aux lumieres de celle-ci, quand une fois elle nous a développé les causes de ce jugement: c'est pour nous une double confirmation de voir ainsi la Raison et l'Oreille s'accorder ensemble.
Si la juste proportion, qui se trouve entre les trois Sons fondamentaux du Mode, se dément par un quatriéme qu'on y ajoute, le vrai naturel cesse dès-lors, ce n'est plus la même chose; si l'on ose même abuser de ces trois Sons, en faisant succéder les deux extrêmes l'un à l'autre, comme [ut./1. et ré/9.] ce vrai naturel cesse encore entre leurs Sons Harmoniques, et dans les trois Tons de suite qu'ils occasionnent: donc le Mode, avec lequel on doit toujours sous-entendre l'Epithéte de naturel, [-79-] perd sa qualité dans tous ces cas: mais aussi, comme les effets peuvent dégénérer en conséquence de la maniere dont ils sont produits, il peut bien se faire que dans une succession l'Oreille soit moins sensible à l'altération, que dans le tout ensemble, et il n'en faut pas douter.
Les Repos, les Cadences sont d'ailleurs des moïens propres à faire oublier le passé, pour ne plus s'occuper que du présent: aussi voïez-vous, dans la succession fondamemale du dernier exemple, que sol et fa sont séparés par ut, sur lequel on peut pratiquer une Cadence en le prenant pour Principal; et de cette sorte tout est parfait d'un Son fondamental à l'autre; n'y aïant que la succession immédiate de sol à fa qui puisse y amener les défauts en question.
Le tout bien considéré, on voit la possibilité qu'il y a de passer d'un Mode à un autre, par la Liaison qui s'y trouve d'un Son fondamental à l'autre dans la succession par Quinte.
Le passage d'un Mode à un autre, n'est par-tout que celui d'un Son principal à un autre, d'où ces Modes ne différent entr'eux qu'en ce qu'ils y sont entendus une Quinte plus haut, ou plus bas, ce qui s'appelle Transposer.
[-80-] La succession des Modes étant donc annoncée par la génération même des Sons, où chaque fondamental peut exercer les mêmes droits sur son Harmonie; il ne reste plus que d'en trouver les bornes dans l'Octave du premier Générateur.
Nous serions d'abord arrêtés par la Progression triple, qui donne cette succession des Modes, et dont aucune puissance ne peut fournir l'Octave d'une autre, si nous n'avions déja un soupçon sur l'indifférence où peut être l'Oreille à l'égard de quelques légéres altérations: mais ce soupçon suffit-il? Ne devons-nous pas être encore mieux informés, que nous ne le sommes, des droits de l'Harmonie sur l'Oreille, en tâchant de découvrir si effectivement ce sens peut se contenter de l'à peu-près en pareil cas? Il ne suffit pas de trouver un Tempéramment possible, il faut qu'il soit fondé; sans cela nous ne serions pas mieux écoutés qu'Aristoxéne, ni que tous ceux qui ont traité cette matiere: examinons donc, pour cet effet, les Propositions suivantes, et voïons ce que nous en pourrons tirer.
Premiere Proposition.
Quelle différence l'Oreille fait-elle du Demiton majeur d'avec le mineur?
[-81-] Elle n'en fait aucune sur les Instrumens à Touches, puisqu'ils y sont égaux, et que les deux mêmes Sons y forment tantôt l'un, tantôt l'autre, qu'elle y reçoit toujours pour ce qu'on les lui présente; [si./15. ut./16.] qui y forment le Demi-ton majeur, et [si./24. si[x]./25.] qui y forment le Demi-ton mineur y sont rendus par les mêmes Touches, ou Sons; ce fait est constant.
Deuxiéme Proposition.
Quelle différence l'Oreille fait-elle de la Tierce mineure d'avec la seconde superflue?
Elle n'en fait encore aucune sur les Instrumens à Touches; puisque les deux mêmes Sons y forment tantôt l'une, tantôt l'autre, qu'elle y reçoit toujours pour ce qu'on les lui présente; [ré./5. fa./6.] qui y forment la Tierce mineure, et [ré./64. mi[x]./75.] qui y forment la Seconde superflue y sont rendus par les mêmes Touches, ou Sons; ce fait est aussi constant que l'autre, il en est une suite nécessaire; et ce qui se rencontre ici entre deux intervales se rencontre également entre plusieurs autres.
[-92 <recte 82>-] Troisiéme Proposition.
Comment est-ce que l'Oreille s'apperçoit de la différence des quatre intervales cités dans les deux Propositions précédentes, et quelle est l'opération de la Voix en conséquence?
L'Oreille ne s'apperçoit de la différence du Demi-ton majeur d'avec le mineur, ni de la Tierce mineure d'avec la Seconde superflue, qu'à la faveur de la succession fondamentale, dont elle sous-entend l'Harmonie, supposé qu'elle ne l'entende pas.
Si la succession fondamentale va toujours par Quinte, sans y supposer l'Harmonie, l'Oreille y reçoit tous les Demi-tons pour majeurs, et toutes les Tierces mineures pour telles.
Si la succession fondamentale change, et qu'en conséquence le Mode change, le Demi-ton qui occasionne ce changement paroît mineur à l'Oreille, comme il l'est effectivement; et les deux mêmes Touches ou Sons, qui avoient formé auparavant la Tierce mineure, lui font sentir pour lors l'effet d'une Seconde superflue. Voïez l'Exemple VIII.
[Rameau, Génération Harmonique, 82; text: VIII. Exemple du Demiton, de la Tierce mineure et de la seconde superfluë. Chant. A. B. C. D. E. G. II. J. K. L. M. N. P. Q. ut. sol. la. ré. sol[x]. ut[x]. fa[x]. si. Basse fondamentale ou succession fondamentale.] [RAMGEN 04GF]
Ut étant ici le Son principal, il monte de Quinte sur sa Dominante sol, qui y retourne, [-83-] d'où le même Mode subsistant, les Demi-tons d'A à B. et de B. à C. sont majeurs; au lieu que les mêmes Demi-tons d'I. à K. et de K. à L. sont mineurs, parce que le Mode change d'un sol[x] à l'autre; puisque la Tierce y change de majeure en mineure, et de mineure en majeure, dont on sçait que la différence est d'un Demi-ton mineur.
Comme nous ne connoissons encore que la Tierce majeure directe, conséquemment à l'ordre de la proportion Harmonique, on doit conclure de là, que dès que la mineure prend sa place sur le même Son fondamental, le Mode change; en attendant une explication plus ample sur ce sujet.
Si la succession fondamentale marche par Tierce, au lieu de Quinte, d'ut à la, le Mode change, et le Demi-ton C. D. est mineur: au lieu que le troisiéme sol[x] représentant la Dominante d'ut[x] qui le suit en descendant de Quinte, et par conséquent le même Mode subsistant, le même Demi-ton de L. à M. est majeur.
Les Demi-tons de D. à F. et de M. à N. sont également majeurs, parce que la y représente la Dominante de ré, aussi-bien que fa[x] à l'égard de si.
[-84-] Le même Mode subsistant depuis ré jusqu'à la, F. G. y forment pour lors une Tierce mineure, et G. H. un Demi-ton majeur; au lieu que le Mode changeant de si à sol[x], puisque la Tierce y prend la place de la Quinte dans la succession fondamentale, N. P. y forment une Seconde superflue; et P. Q. forment d'un autre côté un Demi-ton mineur, parce que fa[x], au lieu d'y être Son principal, comme l'avoit annoncé sa Dominante ut[x], devient encore Dominante par la Dissonnance de la Septiéme qu'il y reçoit, de sorte que le Mode y change sur le champ.
Si vous exécutez ces deux exemples, séparez par la double barre, sur un Clavecin, vous y remarquerez que les mêmes Touches, ou Sons, serviront pour l'un et l'autre; si vous en séparez la Basse, vous n'y sentirez aucune différence; mais si vous y joignez cette Basse, sur-tout avec son Harmonie, vous y trouverez pour lors une différence totale; et si vous chantez en même-tems le Chant, vous remarquerez que les Demi-tons majeurs vous y seront familiers, au lieu que les mineurs vous y couteront du soin, de l'attention; vous ne pourrez même, en y montant, vous empêcher de monter jusqu'à la petite Note breve [-85-] entre C. et D. et entre K. et L. pour descendre ensuite sur D. et sur L. par une espéce de Coulé: la nature opérant ainsi sur votre Oreille, sans que vous y pensiez, pour vous faire arriver à un intervale peu naturel par ceux qui le sont; car il y a un Ton de C. et de K. à la petite Note, et un Demi-ton majeur de cette petite Note à D. et à L.
La même chose vous arrivera de F. à G. et de N. à P. vous entonnerez, d'un côté, la Tierce mineure sans attention; de l'autre, la Seconde superflue vous en coutera beaucoup, jusques-là même que l'Oreille pourra la refuser a votre Voix, si vous manquez d'expérience; et de même encore que vous descendrez naturellement de G. à H. après la Tierce mineure, cette même succession vous choquera de P. à Q. après la Seconde superflue, vous voudriez, au contraire, monter ensuite d'un Demi-ton majeur: ces expériences sont sans replique.
Remarquez bien ici l'effet de la succession fondamentale, c'est elle qui y opére immédiatement sur votre Oreille: sans elle le Chant des deux exemples étoit pour vous le même sur un Instrument à Touches; mais avec elle tout y change: ce qui est familier d'un côté ne l'est plus de l'autre: [-86-] ce n'est donc pas sans raison que tout doit porter sur cette succession fondamentale.
Quatriéme Proposition.
Sçavoir si l'on entonnera les deux sol à l'Unisson, dans cet ordre de Sons [sol./24. ut./32. la./27. ré./36. sol./24.?] Cette Proposition est de Monsieur Hughens.
Nous dirons d'abord, après Monsieur Hughens, qu'on ne peut entonner le dernier sol à l'Unisson du premier, si l'on donne à chaque Consonnance sa juste proportion dans cet ordre de Sons, c'est-à-dire, si l'on y chante juste, puisqu'il s'y trouve une Tierce mineure de 32. à 27. diminuée d'un Comma, laquelle étant entonnée de 5. à 6. comme le doit suggérer la résonnance du Corps sonore, qui lui assigne ce dernier rapport, le dernier sol devra se trouver pour lors un Comma plus bas que le premier.
Cependant l'expérience nous prouve que, sans le secours d'aucun instrument, il n'y a personne, pour peu qu'on soit initié dans le Chant, qui ne se pique d'entonner le dernier sol à l'Unisson du premier en pareil cas; une telle Proposition paroîtra même [-87-] frivole à quiconque n'a que l'Oreille pour juge.
Quelle est donc la raison qui peut faire entonner ici le dernier sol à l'Unisson du premier, lorsque cependant cela ne peut se faire sans y altérer le juste rapport d'une Consonnance?
Sans doute que l'impression reçue du premier sol, comme fondamental, et de son Harmonie, reste à l'Oreille jusqu'au dernier, et qu'en conséquence elle conduit la Voix, qui tempere d'elle-même la Consonnance en question, ou peut-être toutes, pour arriver à l'Unisson du premier.
C'est donc encore la succession fondamentale, et son Harmonie qui guide ici l'Oreille? N'en doutons plus; tout le confirme.
Cinquiéme Proposition.
De quelle maniere la Voix se conduit-elle, lorsqu'elle est accompagnée d'un, ou de plusieurs Instrumens? Est-ce en y suivant servilement les Unissons, est-ce en s'y soumettant à l'Harmonie qu'elle y entend, ou sous-entend dans la succession fondamentale?
Prenons d'abord un Clavecin dont le [-88-] Tempéramment est le plus faux, car on sçait qu'il n'y a aucune Quinte juste, que Onze y sont diminuées d'à peu près un quart de Comma, et que la Douziéme y est augmentée d'à peu-près les trois quarts de ce même Comma, ce qui influe sur tous les autres intervales, d'où si quelques-uns y sont plus justes, d'autres y sont encore plus faux.
Si cela est, comme on n'en peut douter, il est impossible que la Voix y suive servilement les Unissons, et qu'elle s'y prête à chaque infléxion aux petites altérations qui s'y rencontrent: la justesse avec laquelle elle entonne d'elle-même toutes les Consonnances, ne permet pas de croire qu'elle puisse à chaque instant les tempérer au gré de l'Instrument; ou bien, tout lui est égal: mais n'allons pas si vîte, tout ne lui est pas égal; la moindre altération choque l'Oreille dans l'intervale en particulier, snr-tout dans les plus parfaits; au lieu qu'elle se prête plus volontiers à cette altération dans la succession du tout ensemble; pourquoi cela? Parce que toujours préoccupée du Son principal du Mode dans lequel roule le Chant, elle en presse la succession fondamentale, et conduisant la Voix en conséquence, lui fait entonner tous [-89-] les intervales relativement à cette succession, d'où après en avoir parcouru plusieurs qui ne sont pas certainement à l'Unisson de ceux du Clavecin, elle se réunit avec lui dans ce Son principal, ou dans son Harmonie: car il faut bien remarquer que dans chaque Mode, l'Harmonie du Son principal, celle de sa Dominante, ou celle de sa Soudominante regnent à tour de rôle, et que tout ce qui peut y être étranger, mais qui n'arrive que très-rarement, ne sert qu'à y conduire: de sorte donc, que l'Oreille frappée à tout moment des Sons fondamentaux, sensiblement, ou simplement par le sentiment de leurs rapports, l'Harmonie qui lui en est en même-tems présente, la conduit indépendamment des différens Sons qu'elle entend dans ce Clavecin, et de l'Unisson desquels elle est aussi souvent éloignée, qu'elle se rapproche de celui de ces Sons fondamentaux.
Si l'on s'arrêtoit au moment qu'on entonne la Tierce, ou la Quinte d'un Son fondamental, sur-tout dans une succession déja formée, on sentiroit d'abord que ces Consonnances ne sont point à l'Unisson de celles du Clavecin: mais la différence en est souvent si petite, qu'on peut ne pas s'en [-90-] appercevoir; et d'ailleurs si la Voix vouloit soutenir le même Son pendant que le Clavecin le fait résonner, elle en reprendroit bien vîte l'Unisson, sans qu'on s'en apperçût, parce qu'elle se distrairoit pour lors des Sons fondamentaux qui la régloient auparavant.
Prenons à présent une Viole dont on sçait que les deux Cordes moïennes ut et mi forment entr'elles une Tierce majeure trop forte, et qui doit l'être d'un Comma, dès que les Quartes sont justes d'ailleurs; aussi les Maîtres fortifient-ils, autant que l'Oreille le peut souffir, toutes les Quartes, pour que la Tierce majeure puisse en être diminuée d'autant: nous tenons ce fait de Monsieur Dequai Ordinaire de la Musique de Sa Majesté.
La Voix étant donc accompagnée de cette Viole dans un Mode dont ut sera le Son principal, on n'aura pas de peine à comprendre qu'elle n'entonnera jamais la Tierce majeure d'ut à l'Unisson du mi de la Viole, quand même cette Viole le feroit résonner, puisqu'il faudroit qu'elle diminuât sur le champ ce qu'elle y auroit ajouté de trop, pour arriver à la Quinte du même ut: supposons qu'on passe ensuite dans le Mode de mi, la Voix prendra sur le [-91-] champ l'Unisson du mi de la Viole, et toutes les fois qu'elle passera à ut comme Tierce mineure de la Soudominante la, elle n'entonnera plus cet ut à l'Unisson de celui de cette Viole.
Qui plus est, la Viole ne donne qu'un Son à chaque fois, du moins on le suppose, et la Basse qu'elle fait entendre, étant une Basse de goût, où la fondamentale se trouve rarement, qu'est-ce qui conduit pour lors la Voix, si ce n'est la succession fondamentale que l'Oreille y sous-entend avec son Harmonie, sur laquelle elle gouverne les différentes infléxions de cette Voix? Ne seroit-elle pas autrement déroutée à chaque instant par l'altération de la Tierce majeure ut. mi. qui doit se faire sentir sur la Viole, à chaque fois que ces Sons s'y succédent.
Joignons ces deux Instrumens ensemble, ajoutons-y le Violon, dont toutes les Quintes sont justes, et en conséquence de quoi les deux Cordes extrêmes doivent former entr'elles une Sixte majeure trop forte d'un Comma; aussi les habiles Maîtres font-ils à cet égard ce que les autres font sur la Viole à proportion; ils diminuent un tant soit peu les Quintes, comme me l'a assuré Monsieur Guignon Ordinaire de la [-92-] Musique de Sa Majesté, pour y adoucir la dureté de la Sixte en question.
Or chacun de ces Instrumens aïant son Tempéramment particulier, l'ut de l'un n'étant pas absolument celui de l'autre, ainsi d'une infinité d'autres Sons; les Quintes étant justes d'un côté, les Quartes de l'autre, pendant que ni les unes ni les autres ne le sont sur le Clavecin: qu'est-ce qui conduit pour lors la Voix dans un mélange aussi continuel, je ne dis pas simplement d'Harmonie imparfaite, mais encore d'Unissons faux? On voit assez que loin de l'aider tous ensemble, ils seroient au contraire capables de la dérouter par leurs Discordances continuelles, si l'Oreille s'en préoccupoit.
Il n'y a donc que la succession fondamentale, et son Harmonie sous-entendue, qui puissent guider l'Oreille, et la Voix en conséquence, dans un cas pareil à celui que nous venons de citer.
Concluslons.
L'Oreille ne suit pas servilement le Tempéramment des Instrumens, elle a le sien particulier; ces Instrumens servent seulement à la mettre sur les voies des Sons fondamentaux, par eux-mêmes, ou par [-93-] quelques-uns de leurs Sons Harmoniques, d'où prenant l'essor, elle tempére, sans réflexion, par sa justesse, tout ce qui peut s'opposer aux justes rapports de ces Sons fondamentaux; rien n'est plus plausible; toutes les expériences qu'on peut faire sur ce sujet le confirmeront de plus en plus: mais ce que nous connoissons déja ne le confirme-t'il pas assez? Tout ce produit de la succession fondamentale par Quinte, ce Mode naturel renfermé dans trois Sons fondamentaux dérivés d'un seul, l'altération qu'y apporte un quatriéme, tel est celui de la Quatriéme Proposition qui se trouve à 27. le peu de cas que l'Oreille en fait, tant qu'elle est préoccupée du Mode qui existe, la maniere occulte dont elle tempére pour lors le rapport de ce quatriéme Son fondamental avec ses voisins, ou peut-être tous les autres en conséquence, pour que l'altération y devienne insensible; sa conduite avec tous les Instrumens qui accompagnent la Voix; enfin les différens sentimens que la succession fondamentale fait éprouver, Troisiéme Proposition, dans une suite de Sons qui, sans elle, paroît la même: en faut-il davantage pour prouver que cette succession fondamentale est l'unique Boussole de l'Oreille, d'où elle doit être notre [-94-] seul et unique guide dans toutes les opérations Harmoniques, sans s'embarrasser des petites altérations qu'elle peut y introduire; altération qui d'ailleurs sont de peu de conséquence pour l'Oreille, puisqu'elles naissent toutes, non pas simplement de la différence des premieres différences, mais de la différence des différences qu'ont entr'elles ces premieres différences, c'est-à dire, d'un 1/8, d'un 1/4, ou d'un 1/3 de Comma au plus. Voïez, sur ce sujet, le Chapitre V. page 52. et 53.
Théorie du Tempéramment.
A présent que nous sommes certains des Opérations de l'Oreille dans l'Harmonie successive, et que l'à peu-près l'y suffit en beaucoup d'endroits, sur-tout lorsque préoccupée du Ton d'un Son principal, elle lui sacrifie tout ce qui peut s'opposer à lui faire retrouver ce même Ton: nous pouvons dire, sans craindre de trop nous avancer, que le Tempéramment est naturel, ou du moins nécessaire, et nous devons opérer en conséquence.
Tout devant être fondé sur la succession fondamentale, comme on n'en peut plus douter, c'est donc sur cette succession même que nous devons établir notre Tempéramment.
[-95-] La Progression triple nous offre ce que nous cherchons, en la soumettant aux bornes que la nature nous prescrit dans l'Harmonie.
Prenons, en effet, cette Progression triple jusqu'à sa douziéme puissance, qui porte le nom de six, et diminuons proportionnellement chacune de ses puissances de la douziéme partie du Comma, dit, de Pytagore, dont ce six supasse le premier Son ut, il n'en fera plus que l'Octave; et de cette sorte tout ira selon nos desirs, même au-delà; puisque nous trouvons, en même-tems, dans ces douze puissances le nombre des Sons possibles en Harmonie renfermés dans l'étendue d'une Octave, en les réduisant à leurs moindres degrés; d'où autant de Sons, autant de Modes.
L'altération des Quintes est si petite dans ce Tempéramment, qu'à peine l'Oreille s'en apperçoit, et c'est ce qu'il falloit trouver; puisque c'est principalement sur la succession fondamentale de ces Quintes que l'Oreille se guide; et qu'en conséquence leur rapport doit être le plus parfait de tous, après celui de l'Octave, auquel on ne peut toucher, à cause de son AEquisonnance, et des bornes qu'elle prescrit partout.
[-96-] Qu'importe, après cela, que les Tierces, les Sixtes, les Tons, les Demi-tons soient plus ou moins altérés, l'Oreille y fait peu d'attention, dès qu'elle y est soutenue par son guide: tous ces intervales ne sont que passagers; au lieu que les fondamentaux existent continuellement, et font toujours sous-entendre avec eux la perfection qui manque à ce qu'on entend: ils font plus encore, ils donnent aux intervales telle qualité qui leur convient, la changent même, comme le prouve la Troisiéme Proposition.
Ces dernieres réflexions suffisent pour qu'on doive peu se mettre en peine du plus ou du moins d'altération qui tombe en partage à tout autre intervale qu'à la Quinte: mais comme notre Tempéramment se réduit à une proportion Géométrique, les curieux pourront l'examiner dans la formule suivante, qui consiste à trouver onze moïennes proportionnelles entre les deux termes de l'Octave 1. 2. Voïez l'Exemple IX.
[Rameau, Génération Harmonique, 96; text: IX. ut. ut[x]. ré. ré[x]. mi. mi[x]. fa[x]. sol. sol[x]. la. la[x]. si. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12] [RAMGEN 04GF]
Par ce moïen tous les Demi-tons sont égaux, ce qu'il suffit de reconnoître dans notre Tempéramment, pour juger de sa proportion.
En effet, si les deux Demi-tons de si à ut [-97-] et de ut à ut[x] différent entr'eux du Comma de Pytagore dans la Progression triple, comme on le voit ici, où nous rapprochons les termes les uns des autres par le moïon de leurs Octaves, et où pour lors le seul terme d'ut est porté à l'une de ses Octaves .....
[Rameau, Génération Harmonique, 97; text: si. ut. ut[x]. 243. 256. 2048. 2187. 524288. 531441.] [RAMGEN 04GF]
produit qui donne le Comma de Pytagore.
Remarquez que par la diminution des cinq Quintes depuis ut jusqu'à si, ce si est diminué de cinq Douziémes de ce Comma, et que par la diminution des sept Quintes depuis ut jusqu'à ut[x], cet ut[x] est diminué de sept Douxiémes du même Comma.
Le si devant être porté au-dessous d'ut pour former avec lui le Demi-ton, s'en éloigne pour lors des cinq Douziémes dont il a été diminué et au contraire l'ut[x] s'en rapproche des sept Douziémes dont il a été diminué, puisqu'il reste toujours au-dessus; d'où il suit que le premier, qui étoit le plus petit, devient plus grand qu'il n'étoit, [-98-] et que l'autre, qui étoit le plus grand, devient plus petit qu'il n'étoit; de sorte que se rapprochant, l'un de 5/12, l'autre de 7/12, ils se rapprochent par conséquent de 12/12, qui font le Comma entier par lequel ils différoient, d'où ils deviennent égaux: ce qui suffit pour concevoir que la précédente Formule rend de point en point le Tempéramment proposé.
Le 1/12 du Comma en question, qui se retranche de chaque puissance, se prend dans son rapport avec la premiere puissance, et pour lors ce même rapport se retranche d'une puissance autant de fois que l'exprime son degré de puissance, une fois de la premiere, deux fois de la deuxiéme, trois fois de la troisiéme, et cetera mais en y observant, que s'il faut le retrancher plus d'une fois, on ne le retranche d'abord qu'une fois, puis encore une fois de la somme qui reste, et toujours ainsi jusqu'à la derniere fois; par exemple, si l'on vouloit convertir une Progression triple en une double, on retrancheroit d'abord le 1/3 de 3. pour avoir 2. et dans la deuxiéme puissance qui est 9. on en retrancheroit deux fois ce 1/3, c'est-à-dire, d'abord 3. qui est le 1/3 de [-99-] 9. et ensuite 2. qui est le 1/3 de 6. qui reste; d'où l'on auroit 4. qui est aussi la deuxiéme puissance de la Progression double; ainsi du reste à proportion.
Quelle autre proportion que la Géométrie pouvoit, en effet, nous rendre ce que nous souhaitions dans une pareille succession de Modes? N'est-ce pas de cette proportion que nous avons reçu le Mode, et ne seroit-ce pas violer les droits de la nature que de lui en substituer une autre en ce cas, supposé que cela se pût? Si l'Harmonie en souffre, l'Oreille ne sçait-elle pas en sous-entendre la perfection dans chacun des Sons fondamentaux? Que peut-on souhaiter de plus parfait, lorsque tout est soumis à l'ordre de la proportion même, dont nous avons reçu la chose, que nous poussons jusqu'à ses bornes?
La maniere dont ce Tempéramment vient d'être découvert, et les Autoritez que nous tirons de la nature même pour le fonder, doivent fermer la bouche à ceux qui voudroient encore nous traiter de Plagiaire: ce que le hazard, le seul sentiment à pû dicter aux autres de relatif à ce qui est contenu dans cet ouvrage, ne peut y être comparé: je n'ai par-tout que mon principe pour guide, j'affecte même d'ignorer, dans [-100-] mes Opérations, ce que l'expérience m'a appris jusqu'à ce jour, et je ne le rappelle qu'à mesure que ce principe me le présente comme une découverte neuve: qu'on ne me reproche donc plus qu'un autre a dit les mêmes choses, dès qu'il n'y a eu pour fondement que des moïens de convenance; je ne rappelle pas seulement ce que j'ai touché de ce Tempéramment dans mon nouveau Systême, parce que je m'y étois égaré en faveur de l'usage: je ne parle ici qu'à la raison, et ne veux y être fondé qu'en raisons, non en raisonnemens.
Pratique du Tempéramment, sur le Clavecin, ou sur l'Orgue.
Prenez telle Touche du Clavecin qu'il vous plaira, accordez-en d'abord la Quinte juste, puis diminuez-la si peu que rien, procédez ainsi d'une Quinte à l'autre, toujours en montant, c'est-à-dire, du grave à l'aigu, jusqu'à la derniere, dont le Son aigu aura été le grave de la premiere, vous pouvez être certain que le Clavecin sera bien d'accord.
Comme le jugement de l'Oreille n'est pas si exact sur les Sons trop graves, ou trop aigus, que sur les moïens, il faut commencer sa Partition au milieu du Clavier, [-101-] et quand on se trouve un peu trop haut, on accorde très-juste l'Octave au-dessous du Son aigu de la Quinte qu'on vient d'accorder, puis l'on continue à l'ordinaire.
La preuve de la parfaite Partition consiste à ce que la derniere Quinte se trouve d'accord d'elle-même, puisque son Son grave vient déja d'être accordé, et que l'aigu, qui étoit le grave de la premiere, ne doit plus changer: or comme il peut arriver qu'on aura trop, ou pas assez diminué quelques Quintes, peut-être toutes, cela se reconnoitra infailliblement dans la derniere, qui pour lors ne se trouvera pas d'accord; et pour y rémedier, vous remarquerez que si la derniere est trop forte, c'est que vous aurez trop diminué les autres, au lieu que si elle est trop foible, c'est que vous ne les aurez pas assez diminuées; en quel cas vous retournerez sur vos pas, en rétrogradant, si vous voulez, jusqu'à ce que vous trouviez votre compte.
La diminution, dont il s'agit, fait encore trouver la Quinte presque juste, donc elle est infininiment petite, et beaucoup plus que celle qui est en usage; puisque pour remplacer ce qu'on a ôté de trop aux onze premieres Quintes, on est obligé de donner à la douziéme presque trois [-102-] quarts de Comma plus qu'il ne faut.
Si le plus simple est le plus facile et le plus naturel, donc notre Tempéramment doit l'emporter sur celui qui est en usage; et nous ne voïons pas quelle raison peut empêcher de l'adopter, puisque tout parle en sa faveur; sa facilité, sa simplicité, sa justesse, et sur-tout son rapport avec les Instrumens sans Touches, comme le Violon, qui sont les plus parfaits, et où il faut diminuer les Quintes presqu'autant que dans ce Tempéramment, sans parler des fondemens sur lesquels il est établi.
A présent que toutes les Transpositions sont indifférentes, je demande si l'on peut Accompagner du Clavecin, ou de l'Orgue, ni même y toucher des Pieces, sur les Modes où entrent les Sons d'une Quinte aussi disproportionnée que celle qu'on y pratique: l'usage pouvoit passer dans le tems où ces Modes n'étoient pas connus, ou du moins usités; mais ce seroit une erreur de vouloir encore s'y soumettre, lorsqu'on sçait le moïen d'y rémedier.
Je sçais que l'habitude d'entendre une certaine Concordance d'un côté, et une certaine Discordance de l'autre dans le Tempéramment en usage, peut faire qu'on se révoltera d'abord contre des impressions [-103-] toutes différentes: mais il suffit qu'il y ait de l'arbitraire, et que la seule habitude puisse faire pancher d'abord plutôt d'un côté que de l'autre, pour qu'on doive opiner pour le plus parfait: accoutumez-vous au nouveau Tempéramment, bien-tôt vous n'y sentirez plus rien de tout ce qui peut vous y déplaire à présent; l'excès des Tierces majeures vous y choquera moins avec le tems, que la diminution des Quintes dans le vôtre: d'ailleurs, sur quoi doit tomber la correction si ce n'est sur ce qu'il y a de moins parfait? Si vous n'osez altérer l'Octave qui est plus parfaite que la Quinte, pourquoi altérerez-vous celle-ci plutôt que la Tierce, qui est moins parfaite qu'elle? Vous voïez vous-même, que le Ton, moins parfait que la Tierce, et que le Demi-ton moins parfait encore s'altérent à proportion de leurs imperfections, sans que l'Oreille en soit offensée; elle ne sent pas la différence d'un Comma entre le Ton majeur et le mineur, elle ne sent pas, non plus, la diminution de l'un, ni l'augmentation de l'autre dans le Tempéramment; il en est de même des Demi-tons, qui dans leur origine différent d'un quart de Ton: ainsi, l'ordre de l'altération possible entre les intervalles vous est tellement assigné [-104-] par la nature, qu'il est étonnant que vous y fassiez si peu d'attention: que dis-je, vous y avez fait effectivement attention dans le Violon, et dans la Viole, où vous avez préferé la justesse des Quintes et des Quartes à celle des Tierces et des Sixtes; mais vous n'en êtes, en cela, que moins excusables par vos contradictions, puisque vous faites tout le contraire sur le Clavecin.
Celui qui croit que les différentes impressions qu'il reçoit des différences qu'occasionne le Tempéramment en usage dans chaque Mode transposé, lui élevent le génie, et le portent à plus de variété, me permettra de lui dire qu'il se trompe; le goût de variété se prend dans l'entrelacement des Modes, et nullement dans l'altération des intervales, qui ne peut que déplaire à l'Oreille, et la distraire par conséquent de ses fonctions.
Il est vrai que si c'est un défaut d'être toujours le même, notre Tempéramment le possede au suprême degré; car quelque Son qu'on y prenne pour principal, tout y est toujours en même proportion.
[-105-] CHAPITRE VIII.
Origine sensible des Progressions, et Proportions.
UNe Corde mise en mouvement présente à l'Oreille et à l'Oeil toutes les Progressions et toutes les Proportions
continues, selon ce que nous en avons déja touché à la fin du Chapitre VI.
Si l'on fait résonner une Corde, on distingue différens Sons, dont si l'on cherche les Unissons sur les parties de la même Corde, on les trouve entr'eux comme 1. 1/2 1/3 1/4, et cetera si l'on prend plusieurs Cordes accordées au Ton de ces différens Sons, et qu'on fasse résonner celle qui donne le plus grave, on voit frémir les autres; de sorte que l'Oeil y apperçoit ce que l'Oreille y distingue: or dans 1. 1/2 1/3 1/4, et cetera de la Corde se reconnoît justement la Progression Harmonique, et dans les Vibrations de chacune de ces parties se reconnoît la Progression Arithmétique; car pendant que 1. fait une Vibration, 1/2 en fait 2. 1/3 3. ainsi du reste: qui plus est, la puissance réciproque des Vibrations plus lentes et plus [-106-] promptes les unes sur les autres fait que si la Corde émeut son 1/2, son 1/3, et cetera elle émeut également son double, son triple, le tout étant confirmé par les Expériences du Chapitre premier.
D'un autre côté, la proportion Harmonique se reconnoît entre les différens Sons qu'on distingue le plus sensiblement dans la résonnance d'un Corps sonore; Sons qui, d'ailleurs, concourrent seuls à l'apprétiation du Ton de ce même Corps sonore; ils naissent justement de 1. 1/3 1/5; et ce que leurs différentes Vibrations ont produit dans la Progression, elles le produisent également dans la Proportion, de même encore que leur puissance réciproque, d'où naît la Proportion Arithmétique 1. 3. 5.
Si l'on ne considere qu'un intervale dans chacune de ces deux Proportions, on y reconnoît sur le champ la Proportion Géométrique, 1. 2. 4, 1. 3. 9, 1. 5. 25, mais bien plus, si l'on veut donner une succession aux Corps sonores pour en tirer ce qu'il y a de plus naturel, comme dans l'Article V. du Chapitre VI. les Sons fondamentaux s'y trouvent pour lors arrangés d'eux-mêmes dans l'ordre de cette Proportion [-107-] 1. 3. 9. et pour avoir tout ce qui en peut naître, il faut étendre ces proportions en Progressions, comme dans le Chapitre précédent, 1. 3. 9. 27. et cetera.
Ce ne sont ni ces Proportions ni ces Progressions qui donnent l'Harmonie, c'est elle au contraire qui les fournit, et qui auroit pû en donner les premieres notions, si l'on n'avoit pas sçû les tirer d'ailleurs.
CHAPITRE IX.
Origine de la Dissonnance Harmonique, et de son double emploi.
LA nécessité de la Dissonnance se reconnoît dans l'uniformité de l'Harmonie que produisent les trois Sons fondamentaux du Mode; de sorte que par cette uniformité chacun d'eux peut prendre le même empire sur l'Oreille.
En effet, si les deux premiers Sons fondamentaux qui se succéderont n'ont rien qui les distingue dans leur Harmonie, le troisiéme sera toujours arbitraire; d'où le Son principal, et par conséquent le Mode, ne sera jamais parfaitement décidé. Voïez l'Exemple X.
[Rameau, Génération Harmonique, 107; text: X. Sons Harmoniques. premier Exemple. deuxiéme Exemple. Succession fondamentale. Son principal. sol, re. 9. 3. 1. 27.] [RAMGEN 05GF]
[-108-] Le Musicien voit au premier coup d'Oeil la facilité qu'il y a de le tromper, dans ces deux exemples, sur le Son principal du Mode: le Géométre peut le voir plus sûrement encore, puisqu'après lui avoir proposé les deux termes 3. 9. il y ajoutera indifféremment 1. ou 27. pour le troisiéme d'une proportion continue; 1. 3. 9, ou 3. 9. 27. donnent la même proportion: mais ce qui peut lui suffire dans un cas, ne lui suffira pas dans un autre, surtout dès que le terme moïen n'y sera plus arbitraire; car en le rendant tel, on voit que d'un côté sol./3. peut être Principal, et de l'autre ré./9.: or il ne faut pas laisser l'Oreille dans une pareille incertitude, il faut, du moins, pouvoir l'en tirer, quand on le veut; et il n'y a que la Dissonnance Harmonique qui puisse nous favoriser en ce cas.
Le moïen de donner un caractere distinctif, du moins au Son principal du Mode, ne peut consister que dans l'altération de son Harmonie, ou de celle des deux autres Sons fondamentaux; mais il n'y a pas à balancer; ce Son principal sur lequel roule toute l'impression du Mode, qui doit toujours nous représenter l'Harmonie [-109-] pure et parfaite du Corps sonore, sur lequel se terminent toutes les Cadences, et qui ne doit rien laisser à desirer après lui, ne peut par conséquent recevoir aucune altération dans son Harmonie; on doit d'ailleurs le regarder comme le centre du Mode, auquel tendent tous nos souhaits; il y est effectivement le terme moïen de la proportion, auquel les extrêmes sont tellement liés, qu'ils ne peuvent s'en éloigner un moment; s'il passe à l'un d'eux, celui-ci doit y retourner sur le champ; tel est le droit du Mode établi sur la succession fondamentale par Quinte, de laquelle seule peut naître tout ce qu'il y a de plus naturel en Harmonie; comme nous l'avons assez prouvé, pour ne pas dire, démontré.
Ce qui ne peut donc regarder ici le Son principal, doit sans doute retomber sur sa Dominante et sur sa Soudominante: la subordination est indispensable entre ces trois Sons fondamentaux du Mode, sinon l'arbitraire y regneroit toujours.
Si, après avoir réduit les intervales à leurs moindres degrés, en conséquence des bornes que l'Octave leur prescrit, nous avons reconnu la Tierce pour le moindre intervale Harmonique, nous pouvons remarquer à présent que ces mêmes bornes [-110-] nous laissent un vuide propre à recevoir encore une Tierce dans l'Harmonie naturelle; ce qui n'est pas à négliger: mais avant que d'en venir là, rappellons toutes les conséquences qui peuventy être favorables, et voïons ce qu'on en pourra conclure.
Les Sons Harmoniques du Mode ne peuvent être alterés ni changés, sans donner atteinte à ce Mode; ils doivent y suivre, d'ailleurs, la route Diatonique, qui leur y a été déterminée par les fondamentaux.
Le Son fondamental qui recevra une nouvelle Tierce dans son Harmonie, ne le pourra que dans l'ordre de la proportion où il a pris racine; et cette Tierce devra y être soumise au genre que la proportion lui assigne du côté où elle sera placée.
Il doit y avoir même subordination entre la Dominante et la Soudominante, qu'entre celles-ci et le Son principal; et leur dépendance doit y être tellement sensible, qu'elles ne puissent plus s'éloigner de ce Son principal sans choquer l'Oreille.
Tels sont les principes en conséquence desquels nous devons agir.
Si la Tierce, dont l'addition paroît possible, [-111-] ne peut être tirée que du même Mode, si sa route Diatonique doit y être soumise à celle que la succession fondamentale lui a déja déterminée; et si sa situation, aussi bien que son genre doivent être soumis à la proportion d'où naît le Son fondamental auquel on l'ajoute, il faut qu'elle soit mineure, et qu'elle soit ajoutée au-dessus de l'Harmonie de la Dominante, et au-dessous de celle de la Soudominante, puisque la Dominante naît de la proportion Harmonique, qui donne tous les Sons Harmoniques, et sur-tout la Tierce mineure à l'aigu, et que la Soudominante naît au contraire de la proportion Arithmétique, qui donne tous les Harmoniques, et sur-tout la Tierce mineure au grave; ainsi
[Rameau, Génération Harmonique, 111,1; text: ré. 36. fa[x]. 45. la. 54. ut. 64. Tierce mineur] [RAMGEN 05GF]
pour la Dominante, où la Tierce mineure est ajoutée audessus de son Harmonie, et
[Rameau, Génération Harmonique, 111,2; text: la. 27. ut. 32. mi. 4 . sol, 48. Tierce mineure] [RAMGEN 05GF]
pour la Soudominante, où la Tierce mineure est ajoutée au-dessous de son Harmonie.
Les deux mêmes Sons, la et ut, forment de chaque côté la Tierce mineure ajoutée, [-112-] dont le rapport est même altéré, pour mieux y faire sentir la Dissonnance; altération qui vient, comme on le sçait, du défaut de rapport entre l'Harmonie de la Dominante [ré./9.] et celle de la Soudominante [ut./1.] qui justement se prêtent mutuellement, en ce cas, un de leurs Sons Harmoniques.
Ce secours mutuel que se prêtent la Dominante et la Soudominante, les lient pour lors tellement au Son principal, qu'elles ne peuvent plus s'en éloigner; le Son Harmonique de l'une, dont elle a déja déterminé la succession Diatonique, oblige l'autre à s'y soumettre, et par conséquent à retourner au Son principal: il ne peut plus y avoir d'arbitraire; le droit de l'Harmonie naturelle, et de sa succession l'emporte par-tout.
La subordination entre cette Dominante et cette Soudominante est d'ailleurs bien marquée; puisque la premiere, comme la plus parfaite, reçoit dans son Harmonie l'Octave de l'autre, et la reçoit à l'aigu, dans l'ordre de la proportion Harmonique; au lieu que celle-ci ne reçoit dans la sienne que la Quinte de la premiere, et ne la reçoit qu'au grave, dans l'ordre de la proportion Arithmétique. Voïez l'Article [-113-] V. du Chapitre VI. pour vous mettre au fait de tout ce qui regarde le Mode, et les conséquences que nous en tirons.
Si la Soudominante reçoit la nouvelle Tierce mineure au-dessous d'elle, remarquez que, conséquemment au premier ordre de la proportion Arithmétique, et à sa subordination nécessaire à l'Harmonique, cette Tierce peut être réduite en une Sixte majeure au-dessus de la même Soudominante; puisque dans
[Rameau, Génération Harmonique, 113,1; text: Sixte. majeure. Quinte. 5. 3. 1.] [RAMGEN 05GF]
où le Son grave de cette proportion Arithmétique doit être censé fondamental, en conséquence de sa subordination à l'Harmonique, la Sixte majeure est directe.
On peut donc réduire cet ordre [la./27. ut./32. mi./40. sol./48.] en celui-ci
[Rameau, Génération Harmonique, 113,2; text: Sixte majeure. ut. 16. mi. 20. sol. 24. la. 27.] [RAMGEN 05GF]
où pour lors la Soudominante [ut./1.] conservera toujours son droit de fondamentale, en y recevant la Sixte majeure pour directe, mais cependant comme Dissonnance; d'autant que toute addition à l'Harmonie naturelle ne peut être que Dissonnante.
La proportion Harmonique nous apprend que le premier ordre, la. ut. mi. sol, [-114-] est le plus parfait, d'autant plus encore qu'il est pareil à celui de l'Harmonie de la Dominante, dans sa division par Tierces: mais ne faut-il pas de la subordination entre cette Dominante et la Soudominante? la différence de leur route, où l'une descend de Quinte, et où l'autre monte de même, ne doit-elle pas être pressentie par la différence de leur Harmonie, et ne falloit-il pas leur associer un nouveau Son dont la succession Diatonique déja déterminée les obligeât à suivre cette route? Tout y est compassé; ce seroit sans raison qu'on voudroit s'opposer à une addition si bien mesurée, et tellement du goût de l'Oreille, que les Musiciens mêmes, dont les régles s'opposent à cette addition, ne peuvent s'empêcher de la pratiquer, lorsque, sans y penser, ils n'écoutent que l'Oreille: tous les Ouvrages de Musique en sont garants.
Si d'ailleurs cette addition procure un nouvel Accord, qui par sa conformité avec celui de la Dominante doit paroître pratiquable, il faut bien se garder de le rejetter; c'est une nouvelle faveur que nous recevons, lorsque nous nous y attendons le moins.
C'est justement cet Accord qui nous [-115-] procure le nouveau Son fondamental dont nous avions besoin, pour porter la succession Diatonique du Mode jusqu'à l'Octave; ce même [la./27.] qui, dans la Quatriéme Proposition du Chapitre précédent, oblige la Voix de Tempérer d'un sol à l'autre, ce même [la./27.], dis-je, s'offre heureusement à nous pour mettre l'Ouvrage à son comble: nous croïons n'ajouter qu'une Dissonnance à la Soudominante, nous lui faisons, en même-tems, présent d'un nouveau Son fondamental, auquel elle peut prêter toute son Harmonie, en le soutenant par ce moïen.
Dès-lors, double emploi dans cette même Harmonie de la Soudominante, qui, selon le cas, sera fondamentale, ou cédera ce droit à sa Dissonnance même.
Mais comment ce double emploi peut-il se pratiquer; puisque si la Dominante, et la Soudominante sont forcées de passer au Son principal, sur-tout depuis l'addition de la Dissonnance à leur Harmonie, il n'y a plus que ce Son principal qui puisse passer au nouveau Son fondamental; lorsque cependant cette succession, qui sera pour lors d'une Seconde en montant de [sol./24. à la./27.] comme de [ut./8. à ré/9.] est reconnue mauvaise?
[-116-] C'est ici où les ressorts de la nature se déploïent avec le plus de dextérité: si le Son principal fait souhaiter après lui sa Dominante, ou sa Soudominante, en conséquence de la puissance réciproque des Vibrations plus lentes, et plus promptes les unes sur les autres, l'Oreille y prend pour lors le nouveau Son fondamental, comme lui représentant la Soudominante elle-même, puisqu'elle y est affectée de la même Harmonie, dont le Renversement ne peut la distraire; si-bien que jusques-là elle n'éprouve rien de nouveau, si ce n'est un Renversement qui modifie un peu la chose; et c'est justement de cette modification que naît en elle le sentiment d'une nouvelle succession possible à l'Harmonie dont elle est affectée: je m'explique.
L'ordre de l'Harmonie qui se trouve au-dessus du nouveau Son fondamental, étant pareil à celui de la Dominante, sur-tout entre les deux Sons d'où naît le sentiment de la Dissonnance, fait adopter ce nouveau Son fondamental pour Dominante, et dès-lors fait souhaiter qu'il descende de Quinte, comme le requiert le passage de la Dominante au Son principal; de sorte qu'il satisfait l'Oreille en se soumettant à cette succession; ne s'agissant plus que de [-117-] sçavoir si cela peut suffire, pour la distraire de la préoccupation où il semble que la Soudominante doive encore la tenir.
Il y a dans cette occasion deux moïens de prévenir l'Oreille, l'un par la succession fondamentale, l'autre par l'Harmonie fondamentale.
Lequel des deux Sons fondamentaux qu'on présente à l'Oreille après le Principal, soit la Soudominante, soit sa Dissonnance, l'Harmonie qu'elle entend lui suffit pour y sentir la succession fondamentale par Quinte de ce Son principal à sa Soudominante: mais comme l'ordre des Sons Harmoniques est plus conséquent à l'ordre naturel au-dessus de cette Dissonnance, qu'au-dessus de la Soudominante, bientôt elle oublie le passé pour se livrer au présent; et ce qu'on lui donne ensuite, soit ce qui devoit suivre naturellement la Soudominante, soit ce qui doit suivre naturellement la Dissonnance prise pour Dominante, lui devient également agréable.
On peut aisément donner le change à l'Oreille en ce cas, mais ce sont de ces surprises heureuses, dont loin d'être choqué, on n'en est que plus agréablement affecté: ce que l'esprit n'y conçoit qu'avec un peu de réflexion, l'Oreille le saisit d'abord, et [-118-] sçait attribuer à la succession fondamentale, ou à son Harmonie, l'effet qu'elle éprouve.
La découverte de ce double emploi est des plus heureuses, c'est un nouveau moïen de varier l'Harmonie qui a ses agrémens particuliers: mais remarquez, sur-tout, que sans cela nous n'aurions jamais pû fonder un Accord pareil, en apparence, à celui de la Dominante, et qui cependant en différe, en ce que l'un a la Tierce majeure au grave, et l'autre la mineure.
EXEMPLE.
[Rameau, Génération Harmonique, 118; text: Tierce majeure. Tierce mineure. ré. fa[x]. la. ut. mi. sol. 36. 45. 54. 64. 27. 32. 40. 48. Accord de la Dominante. Accord de la nouvelle Dominante.] [RAMGEN 05GF]
La Dissonnance ajoutée dans l'ordre Harmonique forme un intervale de Septiéme avec le Son fondamental, appellé pour lors, Dominante; d'où l'Accord qui en résulte porte le même nom de Septiéme: et celle qui est ajoutée dans l'ordre Arithmétique forme un intervale de Sixte majeure au-dessus de la Soudominante; d'où l'Accord qui en résulte porte le nom de Sixte [-119-] ajoutée, de grande Sixte, ou de Sixte-Quinte.
S'il ne s'agissoit que d'exposer les faits sans les établir, nous serions certainement plus concis: mais il ne falloit pas moins prouver la nécessité de la Dissonnance, que son origine dans le Mode, qui en avoit effectivement besoin, pour porter sa succession Diatonique jusqu'à l'Octave, comme on va le découvrir dans le Chapitre XI.
CHAPITRE X.
Origine de la succession déterminée aux Dissonnances, sous les titres de Préparer, et de Sauver.
LA Liaison naturelle entre les Sons fondamentaux, Article VI. du Chapitre VI. et la succession Diatonique naturelle aux Sons Harmoniques dans le Mode, sont les seuls principes sur lesquels se détermine la succession des Dissonnances.
Article premier.
De la Préparation des Dissonnances.
Moins l'objet est parfait, plus il exige de précaution dans l'emploi qu'on en veut [-120-] faire; si toutes les Consonnances ne sont pas également soumises à la Liaison dans une succession fondamentale, si même celles qui s'y trouvent soumises peuvent s'en écarter, si leur succession, en un mot, est arbitraire, comme nous l'avons annoncé dans le Chapitre IV. c'est que l'Oreille les sous-entend toutes dans le Son fondamental qui les donne; de sorte que de quelque côté qu'elles passent, nous sentons toujours en nous-mêmes celui où elles auroient dû passer pour entretenir la Liaison: mais il n'en est pas de même de la Dissonnance, les Sons fondamentaux ne la donnent point, ils ne la reçoivent que par surabondance; de sorte que ne pouvant être sous-entendue, il faut nécessairement que la Liaison l'annonce, c'est le seul moïen de la faire agréer à l'Oreille.
On doit remarquer, cependant, que la Dissonnance ajoutée à l'Harmonie de la Dominante, et de la Soudominante, n'exige point une pareille Liaison, parce qu'elle est déja sous-entendue dans le Son principal qui est lié par lui-même au Son fondamental et à la Dissonnance qui lui succédent pour lors, car il est Quinte de sa Soudominante, et sa Dominante est sa Quinte; de sorte qu'à laquelle des deux qu'il passe, comme [-121-] cela lui est libre, il se trouve que, par l'entremise de la Dissonnance, il passe en même-tems à toutes les deux, puisque la Septiéme de la Dominante est justement la Soudominante elle-même, et que la Sixte majeure de cette Soudominante est justement tirée de l'Harmonie de la Dominante.
Si la loi ne paroît pas aussi exactement observée à l'égard de la Sixte majeure, qu'à l'égard de la Septiéme, on doit remarquer que cette Sixte est par elle-même une Consonnance; de sorte qu'elle peut du moins jouir en partie de son privilege, je dis, en partie, puisque comme Quinte de la Dominante, elle est déja, en quelque façon, sous-entendue dans le Son principal.
Il y a d'ailleurs une raison plus forte encore pour que tout ce qui est du genre majeur ne soit soumis à aucune Liaison obligée, puisque la Dissonnance ajoutée n'a été formée que d'une Tierce mineure; d'où nous devons distinguer les Dissonnances en majeures, et mineures, comme nous l'avons déja dit dans le Traité de l'Harmonie, où nous avons même fait encore remarquer qu'il n'y avoit pas, proprement, de Dissonnances majeures, puisqu'elles [-122-] naissent toutes de la Note sensible qui est une Consonnance, qui, en un mot, est la Tierce majeure de la Dominante; la seule Sixte majeure en est exceptée; mais à la faveur de sa nature, de son genre, et de ce qu'elle est en quelque façon sous-entendue dans le Son principal qui précéde le fondamental qui la porte, la Liaison lui devient inutile, elle est même impossible, aussi-bien que celle de la Note sensible.
Nous devons donc conclure, par ce qui vient de paroître, que les seules Dissonnances mineures, dont l'origine subsiste uniquement dans la Septiéme, doivent être soumises à la Liaison annoncée, encore pourvû que la Note sensible ne se trouve point dans l'Harmonie qui les reçoit, puisqu'elles appartiendroient pour lors à la Dominante, d'où suit cette régle.
Toute Septiéme dont le Son fondamental n'est pas lié par lui-même à celui qui le précéde, ou bien, toute Dissonnance mineure, qui n'est point accompagnée de la Note sensible, doit être soumise à la Liaison, ce qui s'appelle Préparer la Dissonnance: on en trouve l'Exemple à la fin de
ce Chapitre.
Le Renversement de l'Harmonie, dont on peut prendre connoissance dans nos [-123-] autres Ouvrages sur le même sujet, fera voir que toute Dissonnance mineure possible n'est autre que la Septiéme proposée; les noms différens qu'elle reçoit dans ce Renversement ne viennent que de ce qu'on la compare à d'autres Sons qu'au fondamental; d'où elle reçoit pour lors le nom de l'intervale qu'elle forme avec l'un de ces autres Sons.
Voïez les régles qu'on a données jusqu'à présent sur la Préparation des Dissonnances, et jugez de là si leurs Auteurs étoient bien informés des secrets de l'Harmonie, s'ils méritent d'être écoutés.
Une chose bien essentielle encore, c'est que la Préparation de la Dissonnance, c'est-à-dire, de la Septiéme, prend son origine dans le double emploi; c'est-là où elle se lie pour lors à l'Octave du Son principal. Voïez l'Exemple XI.
[Rameau, Génération Harmonique, 123; text: XI. 8. 7. A. B. w] [RAMGEN 05GF]
A. marque le Son principal, dont l'Octave 8. reste pour former la Septiéme 7. du Son fondamental B. substitué à la Soudominante marquée d'un guidon au-dessous, selon les loix du double emploi: la Note sensible n'a point lieu dans ce nouveau Son fondamental, qui prend néanmoins le titre de Dominante en vertu de la Septiéme qu'il reçoit: ainsi de quelque [-124-] point que l'on parte, les conséquences conduisent toujours au même but.
Article II.
Origine des Régles pour sauver les Dissonnances.
Comme la Dissonnance prend son origine parmi les Sons Harmoniques, elle doit par conséquent y être soumise aux Loix les plus rigoureuses, et ces Loix sont sans doute les plus naturelles: or la succession la plus naturelle aux Sons Harmoniques est d'être Diatonique, d'autant que nous réduisons naturellement en nous-mêmes tous les intervales à leurs moindres degrés, et que nous les parcourons ainsi de la Voix en conséquence.
La variété des successions est une cause de la différente impression que nous recevons des Sons fondamendaux et des Harmoniques, de sorte que l'Oreille reconnoît les derniers, principalement dans une succession Diatonique, qui n'appartient pas naturellement aux fondamentaux, puisqu'elle ne leur est admise dans l'intervale d'une seconde qu'à la faveur du double emploi.
Non-seulement la succession des Dissonnances doit être Diatonique, mais elle [-125-] doit encore se borner à passer du côté qui est le plus naturel à la succession de la Consonnance dont elle est formée.
L'Octave de la Soudominante, dont se forme la Septiéme ajoutée à l'Harmonie de la Dominante, doit plutôt descendre que monter, pour rendre complette l'Harmonie du Son principal qui la suit, d'autant que sa Tierce n'a d'autre Son Diatonique où elle puisse passer que celui où cette Octave pourroit monter. Voïez l'Exemple XII.
[Rameau, Génération Harmonique, 125; text: XII. 3. 8. 5. C. D. w] [RAMGEN 05GF]
La Tierce 3. de la Soudominante C. ne peut monter Diatoniquement sur le guidon, puisque le Son qui en naîtroit n'est pas de l'Harmonie du Son principal D. donc elle doit descendre sur la Quinte 5. de ce Son principal, et par conséquent l'Octave 8. de C. doit aussi descendre sur la Tierce 3. de D. pour rendre l'Harmonie complette.
Quand d'ailleurs cette Octave de la Soudominante forme la Septiéme de la Dominante, l'Octave de celle-ci forme une Liaison avec la Quinte du Son principal qui la suit; de sorte que la Septiéme ne peut plus y monter, puisqu'elle ne donneroit rien de nouveau dans sa succession et détruiroit même l'effet de la Liaison; l'Octave de la [-126-] Dominante n'aïant d'ailleurs aucun Son voisin où elle puisse passer Diatoniquement dans le cas présent.
Mais ce qu'il y a de plus parfait en ceci, c'est que la Dissonnance semble n'être ajoutée de tous côtés que pour annoncer le genre du Mode par sa succession Diatonique obligée; car elle passe toujours, soit la Septiéme de la Dominante, soit la Sixte majeure de la Soudominante, sur la Tierce du Son principal; Tierce qui constitue le genre en question, comme nous le verrons dans la suite. Voïez l'Exemple XIII.
[Rameau, Génération Harmonique, 126; text: XIII. 8. 5. 7. 3. 6[x]. F. G. H. J. Cadence parfaite, Cadence imparfaite] [RAMGEN 06GF]
L'Octave 8. de la Dominante F. se lie à la Quinte 5. du Son principal G. n'y aïant au-dessus ni au-dessous d'elle aucun Son Harmonique de ce G. où elle puisse passer Diatoniquement; donc sa Liaison qui est forcée oblige la Septiéme 7. de F. à descendre sur la Tierce 3. de G. ainsi de la Quinte 5. de la Soudominante H. qui se lie à l'Octave 8. du Son principal J. et qui oblige, par la même raison, la Sixte majeure 6. de H. à monter sur la Tierce 3. de J.
Si la Dissonnance ne peut être soumise elle-même à la Liaison avec ce qui doit la suivre, c'est du moins en conséquence d'une autre Liaison forcée que sa succession [-127-] est déterminée; et sans doute que l'addition de la Sixte majeure à l'Harmonie de la Soudominante n'est pas moins nécessaire ici, que celle de la Septiéme à l'Harmonie de la Dominante, puisque toutes deux concourent au même but par les voïes les plus naturelles; but qui est d'annoncer le genre du Mode, dont l'impression n'est pas moins nécessaire que celle du Mode même, annoncé, de son côté, par les Cadences.
Dès que la Dissonnance mineure est jointe à l'Harmonie de la Dominante qui a toujours la Note sensible pour Tierce majeure, elle communique une partie de sa dureté à cette Note sensible, de maniere que pour la satisfaction de l'Oreille la succession de l'une et de l'autre devient obligée; mais cela ne sert seulement qu'à nous rappeller la succession la plus légitime de cette même Note sensible, qui pour lors doit nécessairement monter Diatoniquement sur le Son principal, ou sur son Octave, comme le principe en a d'abord ordonné dans l'origine du Tétracorde, selon l'exposé du Chapitre VI. Articles I. et VIII.
Cette succession des Dissonnances s'appelle Sauver, et la régle générale, en ce [-128-] cas, est que toute Dissonnance mineure doit descendre Diatoniquement, et que toute Dissonnance majeure doit monter de même.
Quand on connoîtra toutes les successions fondamentales possibles, on verra que la Dissonnance mineure peut être Préparée et Sauvée par quelque Consonnance que ce soit, et que le principe en réside pour lors dans une succession fondamentale en descendant de Tierce, de Quinte, et de Septiéme: on doit sçavoir que descendre de Septiéme, ou monter de Seconde, c'est la même chose, quant au fond. Voïez l'Exemple XIV.
[Rameau, Génération Harmonique, 128; text: XIV. Preparer. Sauver. Descendre de Tierce. de Quinte, de Septième. 5. 7. 8. 3.] [RAMGEN 06GF]
La Quinte, la Tierce, et l'Octave Préparent et Sauvent la Septiéme dans cet exemple, il n'y a point d'autres Consonnances directes; les routes fondamentales font voir comment cela peut se pratiquer: ainsi appliquez cet exemple à tels Sons fondamentaux que vous voudrez, dans le même ordre de succession, renversez ensuite l'Harmonie à votre gré vous trouverez tout ce qui est possible sur ce sujet, sans aucune exception.
[-129-] CHAPITRE XI.
De l'extension de l'ordre Diatonique jusqu'à l'Octave, par le moïen du double emploi, dans le Mode naturel, dit, majeur.
VOïez l'Exemple XV.
[Rameau, Génération Harmonique, 129; text: XV. Sons Harmoniques en montant Diatoniquement jusqu'à l'Octave. Mode Naturel, dit Majeur. Son principal. Dominante. Soudominante. Succession fondamentale. 3. 9. 1. 27. w] [RAMGEN 06GF]
où tout est conforme à celui de l'Article V. du Chapitre VI. excepté la Note 27. qui est justement le Son fondamental substitué à la Soudominante 1. marqué d'un guidon au-dessous de 27. selon ce qui en a été dit dans le Chapitre IX.
Nous voïons l'ordre Diatonique du Mode naturel commencer par le Son principal, et continuer sans interruption jusqu'à son Octave; ce qui sembloit d'abord devoir être interdit par la succession fondamentale des Quintes; mais à la faveur du double emploi que procure la Dissonnance ajoutée à la Soudominante, le tout y devient naturel; bien entendu que l'on suppose pour lors un repos sur le Son principal 3. qui précéde immédiatement 27.
Dans ce double emploi, l'Oreille entend à 27. la même Harmonie qu'elle souhaitoit au-dessus d'1. après 3. et cette même [-130-] Harmonie, dont toutes les différentes combinaisons ne peuvent la distraire, lui présentant néanmoins au-dessus de 27. une combinaison pareille à celle que reçoit la Dominante 9. avant le Son principal 3, elle en est pour lors suffisamment affectée pour qu'elle adopte la succession fondamentale de 27. à 9. sous les mêmes conditions que celle de 9. à 3. d'autant plus que 3. qu'elle auroit souhaité d'abord après 1. réprésenté par 27. n'y est retardé que pour un moment, et même dans un cas où il n'en est que plus desiré, en vertu de la Note sensible que porte sa Dominante 9. et de la Dissonnance que celle-ci ne peut plus éviter.
Remarquez en cet endroit tous les ressorts dont l'Harmonie se sert pour faire adopter à l'Oreille ce qui pourroit la choquer autrement: si l'on souhaite naturellement [sol./3.] après [ut./1.]; cet [ut./1.] reste nécessairement dans l'Harmonie de [ré./9], lorsque [sol./3.] ne vient pas immédiatement après, pour faire sentir qu'il est simplement suspendu: ce même [ut./1.], cette même Soudominante n'en domine pas moins l'Oreille, quoique représentée par 27; de sorte qu'elle subsiste [-131-] toujours, du moins dans son Octave, jusqu'à ce que le Son principal [sol./3] paroisse: en un mot, la Liaison, qui fait tout l'agrément de l'Harmonie successive, conserve ici ses droits, comme par-tout ailleurs.
Le repos proposé sur [sol/3.] avant [la./27.] laisse de l'arbitraire pour ce qui doit le suivre; et certainement [la/27.] annonceroit un changement de Mode après [sol./3.], sans la Tierce majeure de [ré./9.], qu'on est libre de rendre
pour lors mineure.
Si les Musiciens admettent souvent le repos sur 9. à l'endroit où nous le prescrivons à 3; ils n'en font pas mieux, tant qu'ils ont dessein de conserver l'idée du même Mode; j'avoue ce pendant que cela est toléré, en faveur d'un sens fini qui peut y tomber; et en ce cas, ils substituent 27. à 1. pour précéder 9, comme nous le faisons immédiatement après: ils sont plus scrupuleux dans l'ordre Diatonique en descendant, parce que l'effet y est trop sensible, pour qu'ils puissent s'en distraire; ils changent pour lors de Mode, c'est-à-dire, de Son principal, et rendent cel la Dominante 9. dès qu'ils lui assignent [-132-] un repos en pareil cas. Voïez l'Exemple XVI.
[Rameau, Génération Harmonique, 132; text: XVI. Sons Harmoniques en descendant Diatoniquement jusqu'à l'Octave. Mode Naturel, dit Majeur, Succession fondamentale. 3. 9. 27.] [RAMGEN 06GF]
La succession fondamentale par Quintes 3. 9. 27, sans double emploi, désigne assez 9. pour terme moïen de la proportion, c'est-à-dire, pour principal; et la Soudominante 1. que le même 9. reçoit ensuite dans son Harmonie, rend pour lors son privilege à 3; n'y étant plus question de 27.
Ce Mode naturel se distingue de celui dont nous allons parler dans le Chapitre suivant, par l'épithete de Majeur, en conséquence de la Tierce majeure qui se trouve directe, ou au grave, dans l'Harmonie de chacun de ses Sons fondamentaux.
CHAPITRE XII.
Origine du Mode mineur, où il est démontré qu'il n'y a que deux Modes.
LA proportion Arithmétique réduite à ses moindres degrés, et surbordonnée à l'Harmonique, donne le Mode mineur.
Il n'y a qu'une seule succession fondamentale pour tous les Modes possibles; [-133-] mais comme l'Harmonie en est le principe immédiat, elle y donne principalement la loi; de sorte que cette Harmonie aïant la la Tierce majeure directe d'un côté, et la mineure de l'autre, Chapitre III, le Mode doit se soumettre à ces deux différens genres; d'où le précédent est appellé Majeur, et celui-ci Mineur.
Pour suivre l'ordre de nos Progressions, nous prendrons le Son principal de ce nouveau Mode à [81./mi.], pour qu'il puisse y trouver sa Dominante, et sa Soudominante, selon la proportion requise, [la./27. mi./81. si./243.]
De quelque puissance que l'on tire un Son, l'Harmonie, qui lui est une fois supposée, va toujours de droit avec lui; par conséquent nous supposons à présent la Tierce mineure directe à chacun des Sons fondamentaux du nouveau Mode, dans cet ordre de rapports 10. 12. 15; sans se mettre en peine si l'on trouvera ce même ordre relativement à 27. ni relativement à quelqu'autre nombre que ce soit, d'autant que le Tempéramment reconnu nécessaire nous met à couvert de cette recherche: au reste 10. 12. 15. qui indiquent les différentes Vibrations, sont en raisons renversées de 6. 5. 4. donnés au Chapitre III. [-134-] comme indiquant les différentes longueurs des Cordes.
Cette derniere supposition à l'égard de la Tierce mineure directe n'est cependant pas générale dans le Mode mineur, d'autant que la Dominante, comme telle, doit toujours avoir la Note sensible pour Tierce majeure directe, en conséquence du repos qu'elle annonce sur le Son principal qui la suit, et qui ne peut être sensible comme principal, ni sur-tout comme terminant une Cadence décidée, qu'au préalable il ne soit immédiatement précédé de sa Note sensible; telle est la loi du principe, selon l'exposé du Chapitre VI, Article VIII.
La Soudominante, dans son double emploi seulement, doit se soumettre encore à cette derniere loi; elle doit y recevoir la Tierce majeure directe dès que la succession Diatonique monte à la Note sensible, parce qu'elle n'y précéde plus immédiatement le Son principal, mais au contraire la Dominante, dont la Tierce majeure directe exige celle de cette Soudominante dans le cas prescrit. Voïez l'Exemple XVII.
[Rameau, Génération Harmonique, 134; text: XVII. Sons Harmoniques en montant Diatoniquement jusqu'à l'Octave. Mode Mineur. mi. fa[x]. sol. la. si. ut[x]. ré[x]. Succession fondamentale. 81. 243. 27. 729. w] [RAMGEN 07GF]
Les remarques faites sur le premier Exemple du Chapitre précédent sont absolument [-135-] les mêmes pour celui-ci, excepté que la Soudominante 27. ne doit y recevoir la Tierce majeure directe que dans son double emploi, au guidon au-dessous de 729; encore faut-il que la succession Diatonique l'exige formellement: car si au lieu de monter, l'ut A. descendoit, son Diéze qui l'éleve d'un Demi-ton mineur seroit contre l'ordre primitif du Mode; ce Diéze ne lui étant associé que pour procurer une succession Diatonique de tous côtez, puisque sans cela il y auroit un Ton et demi d'ut à re[x], lorsque le plus grand intervale Diatonique est d'un Ton: remarquez que pour lors la succession Diatonique en montant depuis la Note si, est pareille à celle du Mode majeur, quant aux intervales, et à leurs rapports, et cela justement pour se soumettre aux droits de la Note sensible dans toute Cadence parfaite, conséquemment au premier ordre dicté par la succession fondamentale de la Quinte.
Ce Mode mineur rentre dans tous ses droits en descendant, excepté dans le cas d'une Cadence parfaite, pour les raisons déja alleguées. Voïez l'Exemple XVIII.
[Rameau, Génération Harmonique, 135; text: XVIII. Sons Harmoniques en descendant Diatoniquement jusqu'à l'Octave. Mode Mineur. mi. fa[x]. ré. ut. sol. la. si. Succession fondamentale. 81. 243. 27. 729.] [RAMGEN 07GF]
Mêmes observations à faire encore sur cet Exemple, comme sur le dernier du [-136-] Chapitre précédent; excepté que 243. y paroissant d'abord Son principal dans cette proportion 81. 243. 729, il s'y assujettit pour lors au naturel du Mode, en y prenant sa Tierce mineure directe; au lieu qu'immédiatement après 729. il doit reprendre sa Tierce majeure directe, pour annoncer le véritable Son principal qui va le suivre.
729. reçoit ici une Fausse Quinte au lieu de la Quinte juste annexée de droit à tout Son fondamental: mais remarquez bien qu'il n'est par-tout, dans le Mode, que comme y représentant la Soudominante 27, dont la Tierce mineure directe forme naturellement cette Fausse Quinte; car la Dominante 243. qui le suit renonçant à la qualité de Son principal qu'elle avoit auparavant, pour reprendre la sienne, dès-lors 729. est forcé de se soumettre aux loix primitives de ce Mode, puisque la succession Diatonique n'y met plus d'obstacle.
Ce Mode mineur a bien des singularités qui ne sont pas à négliger, il les tient de l'imperfection de son origine.
Si le Mode prend sa source dans l'Harmonie du Corps sonore, il ne peut s'y trouver de différence qu'à l'occasion de cette Harmonie, ou à l'occasion de la succession [-137-] fondamentale, et si cette succession ne peut y être alterée, puisque la seule Quinte donne tout ce qu'il y a de plus naturel; ce ne peut donc être que dans la différente direction des deux Tierces, causée par le renversement de la proportion Arithmétique avec l'Harmonique, que les Modes peuvent puiser leur différence; d'où il ne peut y avoir que deux Modes, le majeur, et le mineur; tout autre Mode n'est pas un nouveau Mode, il est simplement transposé de l'un de ces deux-là, en y prenant tel Son que l'on veut pour Principal à la suite d'un autre, mais non pas sans réserve; il y a des rapports à y observer, comme nous l'apprendra le Chapitre suivant.
CHAPITRE XIII.
Origine du rapport des Modes.
LE rapport des Modes se tire de celui-là même qu'ont entr'eux les termes de la Proportion triple, dont nous avons reçu le Mode naturel; Mode qui se reproduit à chaque Quinte de la Progression fondée sur cette même Proportion.
On a déja vû dans le Chapitre IX. que, [-138-] sans le secours de la Dissonnance, deux termes de cette Proportion étant donnés, le troisiéme est arbitraire; avec [sol./3. ré./9.] par exemple, [ut./1.] ou [la./27.] peuvent également la former; de sorte que [sol./3.] peut y être consideré comme principal dans cet ordre [ut./1. sol./3. ré./9.] ou bien dans celui-ci [sol/3. ré./9. la./27.] Or la Dissonnance n'étant reçue que pour déterminer plus sûrement le Mode; dès qu'on la retranchera, l'arbitraire renaîtra entre ces deux Sons principaux, et par conséquent entre les deux Modes dont chacun d'eux ordonne; d'où il suit que ces deux Modes doivent avoir un grand rapport entr'eux.
Souvenez-vous qu'il n'y a que deux Modes, le majeur et le mineur; de sorte que la distinction que nous ferons dans la suite des Modes, ne consistera que dans la différence des Sons qu'on peut prendre, à son gré, dans l'un ou dans l'autre, pour Principaux.
Ce rapport que nous venons de remarquer entre deux Modes, se fonde encore sur ce qu'ils ont deux termes communs, 3. et 9. dans 1. 3. 9, ou dans 3. 9. 27; d'où il suit que ces termes représentant des Sons [-139-] fondamentaux, plus les Modes auront de Sons communs entr'eux, plus ils feront relatifs; de sorte que la Liaison est ici, comme ailleurs, le principe sur lequel se fonde l'agrément de la succession.
Remarquez que nous admettons la communauté des Sons sans distinction, puisque les Harmoniques étant une suite des fondamentaux, ce qui existera d'un côté devra nécessairement exister de l'autre.
On voit par-là qu'un Mode étant donné, soit majeur, soit mineur, le Son principal y trouve dans ses deux Quintes, sa Dominante, et sa Soudominante, deux Sons qui peuvent devenir Principaux à leur tour, et dont les Modes auront un grand rapport avec le premier, puisqu'il s'y trouvera de chaque côté deux Sons fondamentaux communs avec ce premier.
Ce rapport des Modes, dont la Dominante et la Soudominante peuvent devenir les Sons principaux, ne doit être consideré que relativement au premier donné, et non pas relativement entr'eux, n'aïant même qu'un Son fondamental commun, qui est justement le Principal du premier, à la faveur duquel ils peuvent s'entrelacer; car la raison qui condamne la succession immédiate de cette Dominante et de cette [-140-] Soudominante dans le même Mode, doit en même-tems condamner celle de leurs Modes; de sorte qu'ils ne peuvent s'entrelacer que par la médiation du Son principal, dont dépend leur rapport, ou bien à la faveur du Chromatique, dont nous parlerons dans le Chapitre suivant.
Quoique le rapport du Son principal à sa Dominante ou à sa Soudominante paroisse le même, il faut cependant y faire la différence de la Quinte Harmonique, d'avec la Quinte Arithmétique; l'Oreille ne s'y trompe pas, la premiere lui est toujours la plus présente, parce qu'elle se distingue dans l'Harmonie même du Son principal; de sorte que la Dominante qui en est formée est justement celle que nous adoptons le plus volontiers pour Son principal du Mode qui doit suivre immédiatement le premier donné.
Ainsi l'on trouve non-seulement dans un même Mode trois Sons fondamentaux dont chacun peut devenir, à son tour, Principal de son Mode particulier, mais on y reconnoît de plus lequel de ces Modes est le plus relatif au premier donné.
Le Mode mineur, dont le Son principal se trouve à la Tierce mineure au-dessous de celui du Mode majeur, remplace, [-141-] par le grand nombre de Sons Harmoniques qu'il a de communs avec ce majeur, le défaut de communauté entre leurs Sons fondamentaux; ces Sons Harmoniques lient tellement les uns aux autres les fondamentaux de ces deux Modes, que lorsque ceux-ci en sont dénués, comme dans une succession Diatonique, l'Oreille ne sçait le plus souvent auquel de ces deux Modes les attribuer: voïez, en effet, les Exemples XV. XVI. [RAMGEN 06GF] XVII. et XVIII. [RAMGEN 07GF] de ces deux mêmes Modes, vous trouverez que la succession Diatonique du mineur en descendant contient les mêmes Sons, et dans le même ordre que celle du majeur de tous côtez, à la réserve que chacun y commence et finit son ordre par le Son principal qui le caractérise.
Pour juger du grand rapport entre ces deux Modes, il suffit d'en exposer les Sons fondamentaux avec leur Harmonie, sçavoir,
sol. ré. la. mi. si. fa[x]. ut. sol. ré. 1. 3. 9.
pour le majeur, et
mi. si. fa[x]. ut. sol. ré. la. mi. si. 27. 81. 243.
pour le mineur, où l'on voit tout d'un coup que chacun [-142-] des Sons fondamentaux d'un Mode a deux Sons Harmoniques communs avec deux fondamentaux de l'autre Mode; ut. mi. sol. du majeur, par exemple, ont ut. et mi. communs avec la. ut. mi. du mineur, et mi. et sol. avec mi. sol. si; il n'y a qu'entre ré. fa[x]. la. du majeur, et la. ut. mi. du mineur où la communauté ne consiste que dans un Son Harmonique; mais si l'on y ajoute la Dissonnance nécessaire pour en rendre le Mode plus déterminé, au lieu d'un, on en trouvera trois communs, ainsi
ut. fa[x]. la. mi. fa[x]. ut. ré. la.
ré, comme Dominante, recevant la Septiéme ut; et la, comme Soudominante, recevant la Sixte majeure fa[x].
Le grand nombre de Sons Harmoniques communs entre ces deux Modes, ou même la plus grande partie de ceux d'un Son fondamental de l'un des Modes rappelle l'idée de deux Sons fondamentaux de l'autre Mode, remplace tellement le défaut de communauté entre leurs Sons fondamentaux, que si l'Oreille ne préfére point ce dernier rapport à celui de la Quinte Harmonique, du moins en est-elle presqu'également affectée; et de ce que chaque [-143-] Son fondamental de chaque Mode peut devenir Principal à son tour, le rapport égal qui s'y trouve dans la Dominante de l'un relativement à la Dominante de l'autre, ainsi de la Soudominante, fait que d'un premier Mode donné naissent cinq autres Modes qui lui sont relatifs, plus ou moins, selon l'ordre de leur génération déja expliqué.
La Dominante, et la Soudominante devant suivre dans leur Harmonie la nature du Mode dont elles tirent leur origine, il suit de-là que tout Mode à la Quinte d'un autre doit être de même genre, au lieu que conséquemment au rapport du Mode majeur avec le mineur, tout Mode à la Tierce d'un autre doit être d'un genre différent.
Rien n'est plus facile que de connoître ces rapports relativement à un premier Mode donné, soit majeur, soit mineur, puisqu'il ne s'agit que d'y prendre à part les deux Sons principaux du majeur et du mineur à une Tierce mineure l'un de l'autre, qui donnent, chacun, leurs Dominantes et leurs Soudominantes pour Sons principaux des autres Modes relatifs au premier: c'est ce que les Musiciens ont appellé jusqu'ici, mais improprement, Cadences [-144-] du Mode, puisque toute Cadence est sensée terminer sur le Son principal, ou du moins, dans certains cas, sur la Dominante, jamais sur la Soudominante; outre qu'ils ont mis souvent plus de Cadences dans un Mode que dans un autre, sans en déterminer les rapports. Voïez sur ce sujet le Chapitre VII. page 37. du Nouveau Systême.
Ce rapport du Mode majeur au mineur introduit une succession fondamentale par Tierces, laquelle jointe à celle du double emploi, où l'on monte de Seconde, rend cette succession susceptible de tous les intervales, excepté la Seconde en descendant, qui cependant y trouvera sa place, à la faveur de quelques licences: mais remarquez bien que chaque succession a ici son objet particulier, celle de Quinte pour le même Mode; celle de Tierce pour changer de Mode, et celle de Seconde en montant pour le double emploi, à la faveur duquel on peut conserver le même Mode, ou en changer.
Ces rapports de Modes sont fondés, comme on le voit, sur la liaison qui entretient par-tout l'agrément de la succession.
Tous ces Modes relatifs different au moins entr'eux d'un Demi-ton chromatique, [-145-] dont l'origine va se découvrir dans le Chapitre suivant.
Ce Demi-ton Chromatique se reconnoît dans la différence des Sons Harmoniques produits par les fondamentaux de chaque Mode, où lon peut voir qu'un quatriéme Son fondamental, ajouté à la Quinte au-dessus de la Dominante, ou au-dessous de la Soudominante, améne d'un côté un Diéze de plus dans son Harmonie, et de l'autre un de moins, qui se marque pour lors par un Béquarre, ou un Bémol: c'est une suite des Progressions annoncées dans le Chapitre IV. Or ce Diéze de plus ou de moins marque changement de Mode, et fait connoître à quel Mode il appartient, par le rapport que ce Mode doit avoir avec celui qui le précede, et sur-tout avec celui qui le suit.
CHAPITRE XIV.
Origine du genre Chromatique, et de l'Enharmonique.
L'Origine du genre Chromatique se tire d'une succession fondamentale par Tierce, et celle du genre Enharmonique [-146-] d'une succession de deux Modes non relatifs par l'entremise d'une nouvelle Harmonie qui leur est commune.
Article premier.
Du genre Chromatique.
Il est tems d'examiner le produit d'une succession fondamentale par Tierce, et l'on ne peut qu'être surpris de voir que nous n'en aïons pas encore eu besoin dans tout ce qui a paru jusqu'à présent, excepté dans le rapport du Mode majeur avec le mineur.
Prenez un Son fondamental à la Tierce d'un autre, soit majeure, soit mineure, soit au-dessus, soit au-dessous, et supposez-y toujours l'Harmonie sensible tirée de la proportion Harmonique, où la seule Tierce majeure est directe, comme cela se doit naturellement, puisque pour avoir la mineure directe, il nous a fallu joindre l'Art à la Nature; vous trouverez toujours entre quelques-uns de leurs Sons Harmoniques un nouveau Demi-ton inconnu jusqu'ici. Voïez l'Exemple XIX.
[Rameau, Génération Harmonique, 146; text: XIX. Chromatique. Succession fondamentale par Tierce. 5. 3[x]. 8.] [RAMGEN 07GF]
C'est par-tout la Quinte, la Tierce majeure, et l'Octave qui occasionnent à la suite l'une de l'autre le nouveau Demi-ton qu'on apperçoit dans cet exemple, il s'y [-147-] trouve de droit, et il doit, comme on le voit, son origine à la succession fondamentale par Tierce, puisque celle de la Quinte ne le donne point.
Ce Demi-ton qu'on appelle Mineur, ou Chromatique, parce qu'il est moindre d'un quart de Ton que le majeur, ou Diatonique, n'est pas à beaucoup près si naturel que le dernier, pour ne pas dire, qu'il n'est pas naturel; et cela se prouve par l'expérience même, où toute personne qui ne s'y précautionne pas, qui n'y est pas sur ses gardes, monte, sans y penser, d'un Ton, puis descend sur le champ d'un Demi-ton majeur pour former le Demi-ton mineur au-dessus du Son d'où elle part, et cela en forme de Coulé, ou pour y battre un Tremblement, selon l'Exemple XX.
[Rameau, Génération Harmonique, 147; text: XX. demiton Majeur. demiton Mineur.] [RAMGEN 07GF]
Chacun peut, en chantant successivement ces deux Demi-tons, remarquer que le premier coulera de source, qu'on ne pensera jamais à y arriver par le moïen du Coulé marqué pour le deuxiéme, au lieu que ce Coulé se présentera de lui-même dans celui-ci, et il en coutera à ceux qui voudront l'éluder; on croit même quelquefois l'éluder, quoiqu'on le fasse imperceptiblement: peu de Musiciens entonnent juste ce même Demi-ton mineur en [-148-] descendant; sur-tout lorsqu'il y a plusieurs Demi-tons de suite, au lieu que le Majeur est naturellement familier à tout le monde.
Ce qui rend le Musicien plus assuré dans l'intonation du Demi-ton mineur, c'est qu'il s'y appuïe, sans qu'il s'en rende compte néanmoins, du Son fondamental du nouveau Mode où ce Demi-ton le conduit; sans quoi il y seroit tout aussi embarrassé que le moins expérimenté.
Remarquez donc bien que pour former ce Demi-ton mineur, on s'y aide, sans qu'on y pense, ou des intervales naturels, comme du Ton, et du Demi-ton majeur, ou de la succession fondamentale qui l'occasionne.
Aussi ce Demi-ton mineur n'a-t'il jamais lieu que pour changer de Mode; changement qui déroute l'Oreille, et sur lequel elle ne peut se raffermir que par les moïens cités.
Ce nouveau genre d'Harmonie, dont l'intervale qui le forme se reconnoît dans la différence de la Tierce majeure avec la mineure, Chapitre V; ce nouveau genre, dis-je, joint au rapport du Mode majeur avec le mineur, introduit la succession fondamentale par Tierces, généralement [-149-] pour changer de Mode; car quoiqu'on n'en veuille pas changer, le moment où elle existe menace du moins changement, et ce n'est qu'à la faveur de la Dissonnance que la Liaison du même Mode peut s'y faire sentir.
L'origine de ce nouveau genre étant connue, on peut en profiter dans d'autres successions que celle de la Tierce, comme par exemple, en changeant la Tierce d'un Son fondamental de majeure en mineure, soit pour changer le genre du même Mode, soit pour passer dans un autre, ou bien encore dans un enchaînement de Dominantes, où la Tierce majeure de l'une peut descendre Chromatiquement sur la Septiéme de l'autre, et où pour lors chaque Dominante annonce un Son principal qui devient Dominante par le Chromatique annoncé.
ARTICLE II.
Du genre Enharmonique.
L'Accord Dissonnant réduit à ses moindres degrés n'offrant que des Tierces entassées les unes sur les autres dans l'étendue d'une Octave, et toutes formées des Sons Harmoniques engendrés par les fondamentaux du Mode, l'intervale de la fausse [-150-] Quinte qui s'y trouve entre la Tierce majeure et la Septiéme de la Dominante, cette même Fausse-Quinte directement attachée au nouveau Son fondamental que fournit le double emploi, selon ce qui paroît à la fin du Chapitre XII. la licence même de ce double emploi autorisée par l'Harmonie commune aux deux Sons fondamentaux qui l'occasionnent; tout cela nous autorise, d'un autre côté, à chercher les moïens de varier l'Harmonie par les mêmes voïes; et c'est justement ce que nous offre la Note sensible du Mode mineur.
En arrangeant par Tierces les Sons Harmoniques les plus légitimes du Mode mineur depuis la Note sensible, nous trouvons ré[x]. fa[x]. la. ut, qui forment un Accord de Septiéme pareil, en partie, à celui de la Dominante; la différence qu'il y a, c'est que toutes les Tierces en sont mineures, et que la Septiéme y est moindre d'un Demi-ton, d'où on l'appelle Diminuée; d'ailleurs la Fausse-Quinte de ré[x] à la y est pareille à celle que forment entr'elles la Tierce majeure et la Septiéme de cette Dominante; et la Fausse-Quinte de fa[x] à ut y est aussi pareille à celle du double emploi dans le cas que nous venons de citer; outre [-151-] que ces Sons ré[x]. fa[x]. sont engendrés par la Dominante si du Mode mineur, et ceux-ci la, ut, par la Soudominante la, voïez le Chapitre XII; de sorte que la réunion de l'Harmonie de ces deux Sons fondamentaux concourent ici au même but que leur réunion particuliere dans le Chapitre IX; c'est également pour être forcés de passer au Son principal qu'ils se réunissent ainsi; et dans ce cas la Note sensible est censée fondamentale, quoiqu'elle y emprunte tous ses droits de la Dominante dont elle dérive.
Ce que la Soudominante nous a fourni dans le double emploi de son Harmonie, la Dominante peut le fournir aussi dans l'emprunt que la Note sensible, sa Tierce majeure, fait de ses droits, d'autant que la construction de l'Harmonie s'y trouve conforme à celle qui seule peut nous affecter agréablement: nous avions attribué cet emprunt à la Sudominante dans le Traité de l'Harmonie, parce qu'elle y est pour lors substituée à la Dominante; mais quant au Son fondamental qui y donne la loi, cela n'appartient qu'à la Note sensible.
Selon le Tempéramment, toutes les Tierces qui composent l'Accord en question sont en même proportion; mais selon [-152-] l'ordre de la nature, la Tierce mineure formée du renversement de la Septiéme diminuée est une Seconde superflue, dont la différence avec la Tierce mineure est d'un quart de Ton en rapport de 125. à 128, cette différence n'étant autre que celle qui se trouve entre le Demi-ton majeur et le mineur, selon ce qui en a été touché au Chapitre V, puisque la Tierce mineure est composée d'un Ton et d'un Demi-ton majeur, au lieu que la Seconde superflue n'est composée que d'un Ton et d'un Demi-ton mineur.
Cette différence qu'abolit le Tempéramment fait que toutes les Tierces de l'Accord étant en même proportion, chacun des Sons peut y être pris indifféremment pour Note sensible, en y changeant le nom de quelques-uns, sans que pour cela leurs rapports avec les autres y souffrent la moindre altération; par exemple, au lieu de ré[x]. fa[x]. la. ut, je puis dire fa[x]. la. ut. mi[rob] ; car mi[rob]. et ré[x]. ne font qu'un même Son dans le Tempéramment, quoique dans la nature de la chose il y ait une différence d'un quart de Ton; aussi cette différente dénomination fait que ré[x] est du Mode mineur de mi, au lieu que mi[rob] est du Mode mineur de sol, d'où si ré[x] étoit Note [-153-] sensible, fa[x] le devient ici; et ce qui se fait entre ces deux Sons, peut se faire également entre tous les quatre; ainsi voilà un moïen sûr de faire succéder immédiatement deux Modes, qui n'ont aucun rapport entr'eux, par une même Harmonie qui leur est commune à la faveur du Tempéramment; défaut de rapport qui est pour lors remplacé par un plus grand nombre de Sons Harmoniques communs, conformément à nos remarques sur ce sujet: mais ne croïons pas d'ailleurs que l'Oreille en soit la dupe, elle sent dans ce défaut de rapport toute la dureté qu'il occasionne, on y est frappé du quart de Ton, sans qu'on puisse s'en rendre compte, on en est révolté parce qu'il n'est pas naturel, parce que l'Oreille ne peut l'apprétier; cependant l'Harmonie commune, par laquelle ce passage d'un Mode à l'autre a lieu, en modifie la dureté, le moment de la surprise passe comme un éclair, et bien-tôt cette surprise se tourne en admiration, de se voir ainsi transporté d'un Hémisphere à l'autre, pour ainsi dire, sans qu'on ait eu le tems d'y penser.
Il n'y a pas de doute que de pareils accidens en Harmonie ne soient propres à de certaines expressions; mais il y a un [-154-] grand art à sçavoir en faire usage à propos: cela ne se peut guéres encore sur le Théatre François, à cause du peu d'exercice de nos Acteurs sur ce point; le Théatre Italien nous offre des scénes admirables dans ce genre, par exemple, celle de Coriolano qui commence par O iniqui marmi: nous en avons donné quelques échantillons dans deux de nos Pieces de Clavecin, dont l'une a pour titre L'Enharmonique, et l'autre La Triomphante.
Ce genre Enharmonique peut se mêler avec le Diatonique, et le Chromatique, le tout à la faveur de certaines successions fondamentales qui passent de Modes en Modes non relatifs: nous avions trouvé le moïen d'inserer dans le deuxiéme Trio des Parques de l'Opera d'Hipolyte et Aricie un chant formé du genre Diatonique Enharmonique, dont nous nous promettions beaucoup par rapport à la situation; mais si quelques-uns des Chanteurs étoient capables de s'y prêter, tous n'y répondoient pas également; de sorte que ce qui peut être de la plus grande beauté dans la plus parfaite exécution, devenant insupportable quand cette exécution manque, nous avons été obligés de le changer pour le Théatre, l'aïant toujours laissé dans l'impression tel [-155-] que nous l'avons d'abord imaginé, pour que les Curieux puissent en juger: mais il ne faudroit pas l'entendre qu'on ne fût assuré auparavant de la parfaite exécution, parce qu'on juge souvent sur la premiere impression qu'on reçoit, sans approfondir si le défaut qu'on y éprouve vient de la chose, ou de l'exécution.
Nous ne désesperons pas de trouver une occasion plus favorable pour emploïer ce dernier genre, aussi-bien que le Chromatique Enharmonique, du moins dans la Symphonie; mais il faudroit, pour cela, des Musiciens dociles, qui voulussent bien s'entendre entr'eux, et se prêter à la chose avec toute la patience qu'exige une nouveauté de cette espece pour des Oreilles qui n'y sont point accoutumées.
La Musique est susceptible d'une infinité de variétez encore inconnues, soit faute de recherches, soit faute de sujets, soit faute de docilité de la part de ces Sujets à l'égard des Inventeurs.
[-156-] CHAPITRE XV.
Origine des Cadences Rompues et interrompues.
LEs Cadences Rompues et Interrompues sont fondées sur la succession fondamentale en montant Diatoniquement, et en descendant de Tierce, et sur ce que la Dissonnance peut indifferemment se sauver sur quelque Consonnance que ce soit.
Quoique les termes de Rompu et d'Interrompu soient presque sinonymes, l'effet qu'on éprouve, dans le cas des Cadences en question, étant presque le même par rapport à la Parfaite, dont elles s'éloignent pour lors, nous a déterminé à ne les distinguer que par des épithétes presque semblables.
La Cadence Rompue se forme d'une succession fondamentale, où la Dominante, au lieu de descendre de Quinte sur le Son principal, monte Diatoniquement sur un autre Son fondamental, qu'on peut rendre, ou Principal, ou Dominante, d'autant que sa Septiéme s'y trouve pour lors préparée par l'Octave. Voïez l'Exemple XXI.
[Rameau, Génération Harmonique, 156; text: XXI. Sons Harmoniques. Cadence Rompuë. 3. 5. 7. 8. A. B. w] [RAMGEN 08GF]
[-157-] La Dominante A, au lieu de descendre de Quinte sur le Son principal marqué d'un guidon, monte Diatoniquement, ou de Seconde, à B, pendant que sa Tierce majeure 3. la Note sensible, monte, comme elle le doit sur la Tierce 3. de B, et pendant que sa Septiéme 7. se sauve sur la Quinte 5. de B; on y voit d'ailleurs son Octave 8. préparer la Septiéme 7. de B, d'où ce dernier Son fondamental peut être rendu Dominante.
La Cadence Interrompue se forme d'une succession fondamentale, où la Dominante, au lieu de passer au Son principal, descend de Tierce sur une autre Dominante, qui ne peut être que telle, parce que la Note sensible, la Tierce majeure de la premiere Dominante ne trouvant aucun Son Harmonique auprès d'elle qui appartienne à l'Harmonie du nouveau Son fondamental où l'on passe, elle est obligée de rester sur le même degré, et par-là détruit l'effet d'une Cadence, selon l'Exemple XXII.
[Rameau, Génération Harmonique, 157; text: XXII. Sons Harmoniques. Cadence interrompuë. 3. 5. 7. 8. C. D. w] [RAMGEN 08GF]
La Dominante C, au lieu de passer au Son principal marqué d'un guidon, descend de Tierce sur D, et pour lors sa Septiéme 7. se sauve sur l'Octave de D; mais sa Tierce majeure 3. ne trouvant auprès [-158-] d'elle aucun Son Harmonique de ce D, est obligée de rester pour en former la Quinte.
Il faut sçavoir profiter de tout dans l'Harmonie; une tige fournit plusieurs branches, une branche en fournit d'autres, on les rassemble, on y trouve des rapports, on en éprouve l'effet, et l'on s'assure par ce dernier moïen du succès de la découverte.
Si l'on vouloit s'en tenir à la mauvaise régle qui défend de Sauver la Septiéme sur l'Octave, la Cadence Interrompue nous seroit interdite; cependant chacun la pratique: mais que fait-on? On évite la Septiéme au-dessus de la Dominante C, pour éluder sa succession sur l'Octave; comme si le fond de l'Harmonie n'y existoit pas toujours, et que ce que nous en excluons n'y fût pas toujours sous-entendu.
CHAPITRE XVI.
Origine de la Supposition, et de la Suspension.
LA Supposition prend sa source dans l'un des Sons de la proportion Arithmétique ajouté au-dessous de la proportion [-159-] Harmonique; la Suspension n'en est qu'une suite.
On doit bien juger que cette addition ne pourra se faire au-dessous d'un Son principal, puisque son Harmonie doit toujours être pure et parfaite; mais ce sera du moins au-dessous du Son fondamental le plus parfait après ce Principal, c'est-à-dire, au-dessous d'une Dominante; de sorte que, pour exposer le fait plus clairement, on peut, dans certains cas, ajouter une Tierce, ou une Quinte, au-dessous d'une Dominante, et de son Harmonie.
Les cas où cette addition peut se faire, n'ont d'autre principe que le gout du chant d'une Basse, qui n'est plus la fondamentale, et qu'on appelle vulgairement Continue; mais pour mieux s'assurer encore du fait, il faut que le Son, ou la Note de Basse ainsi ajoutée au-dessous d'une Dominante, soit elle-même, ou la Dominante, ou la Tierce de la Dominante qui doit suivre celle-là; de sorte que cette Note par Supposition, c'est ainsi qu'on doit appeller celle qui est ajoutée, anticipe toujours sur son Harmonie, en recevant d'abord celle de la Dominante qui peut la précéder immédiatement; nous disons, qui peut la précéder, parce qu'effectivement telle [-160-] Supposition ne se fait jamais qu'après un Son principal, ou après son Harmonie, sinon c'est une Suspension; ce qu'il falloit développer. Voïez l'Exemple XXIII.
[Rameau, Génération Harmonique, 160; text: XXIII. Sons Harmoniques en Accords complets. 3. 4. 5, 6, 7, 8. 9. A. B. C. D. F. G. H. J. K. L. Basse Continue, ou se forment les suppositions, et Suspensions. Basse fondamentale.] [RAMGEN 08GF]
Les chiffres au-dessus des Notes de chaque Basse, marquent non-seulement les intervales, mais encore les Accords complets qu'elles doivent porter; ainsi 7. signifie non-seulement la Septiéme, mais encore tout l'Accord parfait auquel cette Septiéme est ajoutée.
Les chiffres 9. et 4, ou 9/4 marquent des Accords par Supposition, ou plutôt que les Notes de la Basse continue sont admises par Supposition: or l'on n'y trouve jamais ces Suppositions qu'après un Son principal, et l'on y voit qu'elles ont toujours lieu une Tierce ou une Quinte au-dessous de la Dominante, qui, après le Son principal de la Basse fondamentale, auroit pû précéder le Son qui y anticipe sur son Harmonie, ou qui est remplacé par sa Tierce; par exemple, A anticipe sur son Harmonie qui est à B, et se trouve une Quinte au-dessous de la Dominante L, qui auroit pû le précéder; ainsi de C, qui est Tierce de G, qui le remplace tant à C qu'à D, et qui se trouve pour lors une Tierce [-161-] au-dessous de la Dominante F, dont il auroit pû être précédé en ce cas.
Les Dominantes dont nous parlons sont toujours censées dans la Basse fondamentale.
A l'égard des Notes H et J, dès que la Note sensible n'entre point dans l'Harmonie de la Dominante qu'elles supposent une Quinte au-dessus d'elles, on en rend rarement l'Accord complet, à cause du trop grand nombre de Dissonnances mineures qui s'y rencontrent, et qui en augmentent beaucoup la dureté; de sorte que pour lors on conserve seulement dans l'Harmonie le Son fondamental, c'est-à-dire, son Octave, et sa Septiéme, en y ajoutant, si l'on veut, l'Octave de la Note par Supposition: il n'y a que dans le cas de H, où l'Harmonie puisse être complette.
Le cas de J. doit être plutôt regardé comme Suspension, que comme Supposition.
La Suspension consiste à conserver autant de Sons Harmoniques que l'on veut d'un Accord, pour les faire entendre à la place de ceux qui doivent exister dans l'Accord suivant, dont pour lors le Son fondamental est généralement employé dans la Basse continue, pourvû que ces Sons conservés [-162-] puissent arriver Diatoniquement à ceux qu'ils suspendent, pendant que le Son fondamental de ces derniers existe toujours, comme on le voit dans l'exemple des Sons Harmoniques, où l'Octave 8. reste pour former la Quarte 4. au-dessus de J, et suspend ainsi la Tierce 3. du même Son fondamental J, qui reste à K, pour recevoir cette Tierce 3.
La Suspension n'a point de fondement, et n'a que le goût pour principe, excepté cependant qu'elle dérive de la Dissonnance, et que sa succession Diatonique doit être soumise à celle de la Dissonnance majeure ou mineure qu'elle forme; il n'en faut point abuser, non plus que de la Supposition, le goût du chant doit amener le tout sans le chercher.
CHAPITRE XVII.
Récapitulation.
UN Son, celui-là même qu'on croit distinguer seul dans la résonnance d'un Corps sonore, est l'unique principe de la Musique, de sa théorie, et de sa pratique.
[-163-] Ce Son occasionne, par sa résonnance, celle de deux autres Sons, qui, se trouvant avec lui en proportion Harmonique, composent toute l'Harmonie; dont il est par conséquent le principe fondamental. Chapitre premier.
Ces mêmes Sons forment entr'eux toutes les Consonnances, Chapitre V. sur lesquelles seules s'établit la succession de l'Harmonie qu'ils composent; de sorte que chacune d'elles, peut y devenir, à son tour, Son fondamental. Chapitre IV.
Ce principe, ce premier Son fondamental, en passant alternativement à chacune de ses Quintes, tant au-dessus qu'au-dessous, en faveur desquelles il nous a déja prévenu par sa puissance réciproque sur l'une et sur l'autre, fournit dans une proportion Géométrique de Sons fondamentaux, la plus parfaite et la plus naturelle succession que l'Oreille puisse desirer entre toutes les Consonnances, et entre les principales Dissonnances, d'où naît ce que nous appellons le Mode. Chapitre VI.
Dans ce Mode même se découvrent, et les Tétracordes des Grecs, et les Systêmes de Musique, tant Anciens que Modernes, et les Cadences, et la Note sensible, [-164-] et sur-tout, la Liaison nécessaire dans toute succession d'Harmonie et de Chant; outre quantité de successions arbitraires, parmi lesquelles se rencontre celle des moindres degrés naturels à la Voix, cette même succession Diatonique, qui a servi jusqu'ici de principe à tous les Auteurs en Musique. Chapitre VI.
Si cette suecession Diatonique ne peut d'abord atteindre à l'Octave d'un premier Son donné, bien-tôt on en trouve le moïen par celui de la Dissonnance même qu'exige l'Harmonie des Sons fondamentaux du Mode, soit pour leur donner un caractere distinctif, soit pour les entretenir dans les bornes de ce Mode; car de cette Dissonnance se forme un double emploi, Chapitre IX. et XI. qui, sans interrompre le fond de l'Harmonie donnée par la premiere succession fondamentale, laisse à la Diatonique la liberté de se porter jusqu'à l'Octave du premier Son d'où l'on est parti; fournit en même-tems une nouvelle succession fondamentale en montant d'un degré Diatonique, c'est-à-dire autrement, d'une Seconde, et apprend qu'il faut nécessairement Préparer la Dissonnance dans tous les cas où elle n'appartient, ni à la Dominante, ni à la Soudominante, qui [-165-] sont les Quintes du premier Son fondamental, appellé Principal, et qui en ont ordonné autrement dans leur origine. Chapitre X.
Ce même double emploi amene des beautez peu connues dans la pratique; et quoique les régles en usage y soient contraires, l'Oreille y supplée presque toujours.
De la liberté que les Quintes du Son principal ont, aussi-bien que lui, de passer à chacune de leurs Quintes, dès que la Dissonnance n'est plus associée à leur Harmonie, suit un enchaînement de Modes pareils au premier; la même proportion 1. 3. 9, que donne le premier, se trouve dans 3. 9. 27, 9. 27. 81. et cetera Chapitre XIII. et quant aux bornes qu'on peut donner à cet enchaînement, on les trouve dans les deux Sons de l'Octave, que la Nature a placée par-tout pour bornes des intervales, de l'Harmonie, et par conséquent de tout ce qui en est tiré. Chapitre III.
Ces Modes ne peuvent atteindre à leurs bornes sans le secours d'un Tempéramment, Chapitre VII. et ce Tempéramment nous est assigné par l'altération inapprétiable entre certains Sons Harmoniques appartenans, non-seulement à différens [-166-] Modes, mais encore au même Mode, Chapitre VI. outre que la Nature nous le prescrit d'ailleurs, puisqu'elle nous le fait observer de nous-mêmes, sans que nous y pensions, comme le confirment les Expériences proposées pour cet effet dans le même Chapitre VII. où nous venons de renvoïer.
Si la proportion Géométrique donne le premier Mode, donc elle doit regner entre tous les Modes possibles, quelqu'altération qu'y puisse apporter le Tempéramment nécessaire. Chapitre VII.
Quant au plus ou moins de rapport que ces Modes ont entr'eux, le Son principal nous l'annonce par sa Liaison avec ses deux Quintes; ainsi même principe pour le rapport des Modes, comme pour le Mode même. Chapitre XIII.
La proportion Arithmétique, et l'Harmonique, que produit le Son principal par sa puissance réciproque sur ses Multiples, et Soumultiples, fournissent également une Quinte divisée en deux Tierces, mais où la Tierce mineure est d'un côté au grave, et de l'autre à l'aigu; d'où le Mode participant de ces deux genres, reçoit par conséquent la distinction de majeur et de mineur, relativement au genre de la Tierce [-167-] directe au Son principal; de sorte qu'on s'assure par-là que le Mode ne peut se distinguer que par ces deux seuls genres, puisque l'Harmonie naturelle ne peut se varier autrement. Chapitre XII.
La communauté des Sons Harmoniques entre le Mode mineur et le majeur, où le Son principal de celui-ci fait la Tierce du Son principal de l'autre, assigne un rapport si intime entre ces deux Modes, qu'ils peuvent se prêter mutuellement du secours dans leurs dépendances, c'est-à-dire, dans leurs Quintes; d'où chaque Mode en a cinq autres relatifs, dont le plus ou le moins de perfection se tire du principe même de la chose. Chapitre XIII.
Si la succession fondamentale par Tierces est naturellement autorisée par l'Harmonie même d'où on la tire; ce rapport des Modes, et le Chromatique, Chapitre XIV. en sont une suite nécessaire.
Par ce moyen, la succession fondamentale reçoit toute sorte d'intervales Harmoniques et Diatoniques, excepté celui de la Seconde en descendant, qui peut néanmoins se pratiquer encore à la faveur du double emploi, selon l'explication qui en sera donnée dans le Chapitre suivant.
On sçait qu'en vertu du Renversement, [-168-] la Quinte, la Tierce, et la Seconde donnent la Quarte, la Sixte, et la Septiéme.
Ces différentes successions fondamentales, toutes arbitraires qu'elles peuvent paroître d'abord, ne le sont cependant que relativement aux différens objets auxquels on les applique.
Le même Mode ne souffre que la succession fondamentale par Quintes entre les trois Sons fondamentaux qui en ordonnent, où cependant le double emploi de la Soudominante peut introduire de tems en tems celle de la Seconde en montant; la succession de Tierce en descendant peut encore y être admise; bien que toutes les fois qu'on l'employe, on menace changement de Mode; d'où elle ne doit être généralement reçue que pour ce dernier effet.
A l'égard de l'Enharmonique, c'est un genre particulier dont il ne faut pas abuser; on voit dans le Chapitre XIV. ce qui l'autorise, et par quelles successions fondamentales on peut passer d'un Mode à un autre qui ne lui est pas relatif.
De ces différentes successions fondamentales naissent des Cadences Rompues, et Interrompues, en profitant de tout ce qui est connu, selon le cas. Chapitre XV.
[-169-] La puissance réciproque du Son principal sur ses Multiples et Soumultiples va jusqu'à autoriser l'union de l'un des Sons de la proportion Arithmétique avec ceux de l'Harmonique; mais ce ne peut être qu'en y supposant toujours l'Harmonie fondamentale dans toute sa perfection, dont la succession déterminée par celle de ses Sons fondamentaux ne souffre aucune atteinte pour cela: et de cette Supposition naît la possibilité d'une Suspension qui n'en est qu'une suite. Chapitre XVI.
Il ne s'agit maintenant que de voir le fruit qu'on peut tirer d'un pareil principe; et c'est ce que nous allons tâcher de développer dans le Chapitre suivant.
CHAPITRE XVIII.
De la Modulation en général, avec un abregé des régles pour la Composition, et pour trouver la Basse fondamentale sous un Chant donné.
L'Art de la Composition dépend de la connoissance de la Modulation; et cette connoissance consiste dans celle des Intervales, des Accords, ou de l'Harmonie, [-170-] des Modes, et de toutes les successions Harmoniques possibles, soit dans un même Mode, soit dans le passage d'un Mode à un autre: qui sçait Moduler, sçait Composer de la Musique.
A l'égard du goût, du génie, cela ne se donne pas, mais on peut du moins en procurer des idées assez distinctes à la faveur de la Basse fondamentale, pour que les personnes, dont les talens ne sont pas encore bien développés, puissent néanmoins trouver d'elles-mêmes des Chants, des Desseins, et des successions agréables d'Harmonie.
Article premier.
De la Composition.
Nous donnons à présent le nom de Basse fondamentale à toute succession fondamentale; et celui de Note Tonique, ou Finale au premier Son fondamental du Mode, dit autrement, Son principal.
Il n'y a d'intervales propres à l'Harmonie fondamentale que la Tierce, la Quinte, et la Septiéme, dont on doit sçavoir que le Renversement donne la Sixte, la Quarte, et la Seconde; ainsi nous les avons tous par ce moïen; bien entendu que l'Octave doit y être comprise.
[-171-] Les Fausses-Quintes, Tritons, et tout intervale diminué ou superflu, naissent de la comparaison réciproque que l'on fait entre les différens Sons d'un Accord, dont on transpose l'ordre à son gré, ou encore de ce qu'on les compare à une Note de Basse par supposition.
Un Accord fondamental est toujours divisé par Tierces dans l'étendue de l'Octave, excepté celui de la Soudominante, à l'Accord parfait de laquelle la Sixte majeure est ajoutée; bien qu'en portant cette même Sixte majeure au-dessous de la Soudominante, le tout y revienne dans le premier ordre prescrit.
Il n'y a que trois Sons fondamentaux, la Tonique, sa Dominante, qui est sa Quinte au-dessus, et sa Soudominante, qui est sa Quinte au-dessous, ou simplement sa Quarte.
Nous distinguerons la Dominante d'une Tonique par l'épithéte de Dominante-tonique; de sorte qu'autrement, le mot seul de Dominante signifiera simplement une Dominante d'une autre Dominante.
La seule Note tonique porte l'Accord parfait, ou naturel; on ajoute la Septiéme à cet Accord pour les Dominantes, et la Sixte majeure pour les Soudominantes.
[-172-] Il n'y a qu'une seule Note tonique dans chaque Mode ou Ton, il n'y a, non plus, qu'une seule Soudominante; et toute autre Note de la Basse fondamentale est Dominante.
On peut passer d'une Tonique à une autre par toute sorte d'intervales Consonnans, Tierce, Quarte, Quinte, et Sixte.
La Tonique peut d'ailleurs descendre de Quinte sur sa Soudominante, monter de Quinte, ou de Tierce, sur une Dominante-tonique, sinon descendre de Quinte, de Tierce, ou de Septiéme sur une simple Dominante, qu'on peut rendre également Dominante-tonique, si l'on veut.
La Soudominante doit toujours monter de Quinte sur la Tonique, sinon elle prête pour lors son fondement à sa Sixte majeure, qui est toujours la Seconde au-dessus de la Tonique, et cette Seconde au-dessus, où la Tonique peut passer en ce cas, devient Dominante; ce que nous appellons, Double emploi.
Toute Dominante doit descendre de Quinte; excepté dans les cas de Cadences Rompues, ou Interrompues, Chapitre XV. dont il ne faut user que très-rarement, et avec beaucoup de discrétion.
[-173-] La seule Tonique passe où l'on veut; si elle passe à une autre Tonique, celle-ci jouira des mêmes droits, sinon elle ne pourra passer qu'à une Dominante, ou à une Soudominante, dont la succession est décidée.
Une Note-tonique peut devenir ce qu'on veut, relativement à ce qui la suit; de sorte qu'y étant arrivé comme à une Tonique, on peut l'appeller sur le champ Dominante ou Soudominante de ce qui la suit, en y ajoutant même la Dissonnance qui lui convient pour lors, quoique cela ne soit pas nécessaire; il suffit de l'y sous-entendre: en un mot, une Tonique peut toujours être commune à son Mode, et à celui qui vient immédiatement après.
Toutes ces routes propres à la Tonique, peuvent se pratiquer dans le même Mode ou Ton, aussi-bien que dans le passage d'un Mode à un autre; excepté qu'elle ne peut monter de Tierce sur une Dominante-tonique que pour changer de Mode: à l'égard des Dominantes, et Soudominantes, leur route est la même par-tout.
Toute Note où l'on monte de Quinte est censée Tonique, ce qui dépend du Compositeur.
Toute cadence, ou tout repos se forme [-174-] par le passage de la Dominante-tonique, ou de la Soudominante à la Tonique, qui doit se faire entendre pour lors dans le premier moment de la mesure; excepté dans de certains cas de fantaisie où cette régle générale peut être transgressée, sur-tout dans une Mesure à trois Tems, où la Cadence peut se terminer sur le dernier Tems.
Les Repos, ou Cadences se font généralement de 4. en 4. Mesures, quelquefois de 2. en 2, ils y sont plus ou moins sensibles, plus ou moins finals, simplement possibles, sans qu'on s'en apperçoive souvent; et c'est à quoi il faut cependant faire attention; car nous trouvons de nous-mêmes, c'est-à-dire, naturellement, la Basse fondamentale de tous ces Repos, selon l'explication donnée dans le Chapitre X. de mon Nouveau Systême, page 54.
La Dominante-tonique peut aussi-bien terminer une Cadence que la Tonique, mais le Repos n'y est pas pour lors si sensible, et en ce cas la Tonique lui sert de Soudominante; sa Dominante même peut n'y point porter la Tierce majeure, et manquer par-là du caractere de Dominante-tonique, dont le propre est d'avoir toujours [-175-] la Note sensible pour Tierce majeure: c'est un défaut qui se tolére à la faveur du Repos; car la Tierce mineure de cette derniere Dominante est obligée de monter pour lors sur l'Octave, contre l'ordre naturel.
Quoique toutes les Cadences Parfaites, même les Rompues, et Interrompues, doivent commencer par une Dominante-tonique, on peut néanmoins, dans tous ces cas, lui substituer une simple Dominante, qui pour lors sera suivie d'une autre Dominante, et ainsi de l'une à l'autre jusqu'à une Dominante-tonique, après laquelle doit naturellement suivre la Tonique: cela s'appelle Imitation de Cadences.
La Basse fondamentale ne doit jamais Syncoper, si ce n'est dans la Mesure à 3. Tems, où de deux Mesures on peut n'en
faire qu'une, comme dans les Passepieds. Voïez ce que c'est que Syncope dans le Traité de l'Harmonie, page 296.
Voilà toutes les routes de la Basse fondamentale, d'où l'on peut s'assurer que tous les Chants imaginables sont directement tirés; il y aura seulement quelques cas particuliers à y ajouter, qui sont de peu de conséquence.
Il ne s'agit plus que de sçavoir comment [-176-] pratiquer ces routes dans un même Mode, ou dans le passage d'un Mode à un autre; ce qui sera bien-tôt décidé, quand on sçaura en quoi consiste le Mode et ses rapports.
Il n'y a qu'un Mode majeur, et un mineur; on sçait que dans le majeur chacun des trois Sons fondamentaux qui le constituent, sçavoir, la Tonique, sa Dominante, et sa Soudominante, doit porter l'Accord parfait avec la Tierce majeure directe, dont se forment tous les Sons propres à ce Mode; de sorte qu'il n'y a pas moïen de prendre un Mode pour l'autre. On sçait, de même, que la Tonique et la Soudominante d'un Mode mineur doivent avoir la Tierce mineure directe, excepté que dans le double emploi de la Soudominante, celle-ci peut recevoir quelquefois la Tierce majeure directe; pour ce qui est de la Dominante-tonique, sa Tierce doit être par-tout majeure, pour former la Note sensible; sinon cette Dominante devient, ou simple Dominante, ou Tonique.
Un Mode étant donné, on en connoît les rapports; on sçait qu'on peut passer dans le Mode de chacune de ses Quintes, Mode qui sera du même genre que le premier; on sçait de plus que ce Mode a un rapport [-177-] mineur s'il est majeur, ou majeur s'il est mineur, dont les Toniques sont à une Tierce mineure l'une de l'autre. Voïez les Chapitres XI. XII. et XIII, et de plus, le Chapitre VII. de mon Nouveau Systême, page 37.
De cette connoissance suit celle des Diézes, ou des Bémols qui doivent entrer dans un Mode: voïez sur ce sujet le Supplément de mon Traité de l'Harmonie, page 12, si vous ne vous contentez pas de l'explication suivante.
Il ne doit entrer dans un Mode que les Diézes, ou Bémols donnés par l'Harmonie de ses Sons fondamentaux; si vous en imaginez d'autres, le Mode change; le nouveau Diéze marque généralement une Note sensible, et le nouveau Bémol, ou bien l'exclusion d'un Diéze marque que le Diéze qui reste, ou que la Note qui devroit avoir un Bémol à la suite de celui qu'on emploïe, est Note sensible.
On suit l'ordre des Diézes, et des Bémols dans celui que donne la Table des Progressions, Chapitre IV. page 43; fa[x]. est le premier Diéze, et si[rob]. est le premier Bémol.
Voulez-vous à présent composer dans un même Mode, faites-en passer la Tonique [-178-] où il vous plaira, soit à sa Dominante, soit à sa Soudominante, soit à sa Tierce au-dessous, soit à sa Seconde au-dessus, et donnez à chacune de ces dernieres Notes la route qui leur a déja été prescrite, jusqu'à ce que vous soïez arrivé à la Tonique par ces mêmes routes prescrites; vous ne pourrez manquer de bien faire.
Voulez-vous changer de Mode, passez d'une Tonique à telle autre qu'il vous plaira, soit tout d'un coup par les routes dictées, soit en rendant Dominante, ou Soudominante la Tonique que vous quittez, soit enfin en rendant Dominante-tonique la Note où vous passez après cette même Tonique; n'y aïant, pour cet effet, qu'à substituer la Tierce majeure à la mineure, que cette derniere Note, où vous passez, auroit dû naturellement porter dans le Mode que vous quittez.
Après avoir laissé de l'arbitraire pour un moment, on est obligé de dire que cet arbitraire ne passe pas les Modes relatifs connus, que dans le commencement de la Piece de Musique, il faut assurer son Mode par son passage dans ceux qui lui sont les plus relatifs, sçavoir, dans le Mode de sa Dominante, ou dans celui de son Mode relatif à la Tierce, rarement dans celui de [-179-] sa Soudominante; et qu'ensuite on peut se donner carriere, en observant que moins les Modes sont relatifs, plus les Phrases Harmoniques doivent y être courtes, une Mesure suffit dans les uns, une Note dans les autres, comme lorsqu'on passe immédiatement d'une Tonique à une autre, soit par Tierces, soit par Quintes, pouvant en faire succéder plusieurs dans une marche de Quinte en montant; la marche de Quinte en descendant étant généralement plus convenable à un enchaînement de Dominantes, qui se succédent pour lors immédiatement jusqu'à la Note qu'on veut rendre Tonique.
Il faut chercher la variété par-tout, soit dans les routes de la Basse fondamentale, soit dans le passage d'un Mode à un autre, de sorte que si l'on passe deux fois dans un même Mode, il ne faut pas y arriver à la suite d'un autre Mode qui se trouveroit le même de chaque côté; les Phrases doivent être aussi variées dans leur étendue, en y pratiquant d'abord une Cadence sur la Dominante, supposé que la marche fondamentale y conduise naturellement, et en passant ensuite à une autre Cadence sur la Tonique; Cadence qu'on peut cependant éviter, quand on le veut, par une Rompue, [-180-] ou Interrompue, ou encore en changeant sur le champ cette Tonique en Dominante-tonique.
La variété de la Basse fondamentale ne doit pas se prendre à la rigueur dans un même Mode, parce que le Chant peut se varier aisément dans une même route fondamentale; par exemple,
[Rameau, Génération Harmonique, 180; text: sol. ré. mi. si. fa. ut.] [RAMGEN 08GF]
le Chant formé par la ligne supérieure ne peut avoir par-tout pour Basse fondamentale que sol ut; excepté au-dessous de fa, où la Soudominante fa peut être substituée à sol dans la Basse fondamentale; bien que ce sol, comme Dominante-tonique, puisse recevoir aussi sa Septiéme fa sans Préparation, mais toujours Sauvée sur mi.
Ce défaut de variété dans la Basse fondamentale se corrige par la Basse continue, que l'on compose pour lors de l'une des Notes comprises dans l'Harmonie de cette Basse fondamentale, et dont la marche doit aussi former variété avec celle du Chant; de sorte que si le goût y fait pratiquer quelques Octaves, il faut toujours faire en sorte d'y arriver par une marche contraire, c'est-à-dire, que si une partie descend sur cette Octave, l'autre y doit [-181-] monter, excepté que la Basse ne marche par Quinte, ou Quarte, pendant que le Dessus marche Diatoniquement.
Pour tirer un Chant agréable de cette Basse fondamentale, il faut non-seulement le varier par toute sorte d'intervales, sans se mettre en peine si on y emploïe quelquefois les mêmes que ceux de cette Basse; mais il faut sçavoir de plus que le Chant Diatonique est le plus agréable de tous, et qu'il doit être par conséquent le plus fréquent, sur-tout quand on approche des Cadences, et quand on les termine.
La Basse continue n'est obligée de conformer sa route à celle de la fondamentale que dans les Cadences finales, ou sensées telles dans quelqu'endroit que ce soit.
Le Chant de toutes les parties de Musique se tire de la seule Harmonie que produit la Basse fondamentale; de sorte que pour y pratiquer les Dissonnances, il faut sçavoir quelles elles doivent être au-dessus de la Basse fondamentale, et comment on peut les emploïer. Voïez les Chapitres IX. et X.
La Basse continue peut profiter quelquefois de la Supposition au-dessous d'une Dominante; mais il faut que le goût du Chant y améne, toujours par une marche [-182-] contraire à celle du Dessus, excepté qu'elle n'y arrive par Quinte, ou par Quarte.
On peut aussi user de la Suspension dans le Dessus, par-tout où l'on voit qu'on pourroit faire Syncoper la Basse fondamentale, sans gâter le Chant, sinon elle se pratique de même que la Supposition, ou bien encore on suspend simplement la marche Diatonique d'une Note pour un moment, sans que cela puisse porter à conséquence; cette Note qui suspend ainsi la véritable, qu'exige l'Harmonie fondamentale, étant sensée la représenter.
Nous ne parlons point du Chromatique, parce que nous venons d'en enseigner la pratique sans le spécifier, lorsque nous avons dit qu'on pouvoit rendre une Tonique, ou une simple Dominante, Dominante-tonique: car dans le cas de la Tonique, si l'on y arrive après sa Dominante, la Tierce majeure de celle-ci peut descendre Chromatiquement d'un Demi-ton sur la Septiéme de cette Tonique rendue Dominante-tonique; et cela se perpetue autant qu'on le veut d'une Dominante-tonique à une autre parmi les Modes relatifs.
Pour ce qui est de l'Enharmonique, outre ce que nous en disons dans le Chapitre [-183-] XIV, et dans Article suivant, l'Accord qui l'occasionne donne souvent lieu à certaines licences, dont il est bon d'être averti.
Premier. Dans tous les cas où la Note sensible porte l'Accord de Septiéme diminuée, elle est toujours substituée à la Dominante-tonique dont elle forme la Tierce majeure; de sorte que tout ce qui se pratique à cet égard, soit dans la succession fondamentale, soit dans la Supposition, doit se rapporter uniquement à cette Dominante, comme si c'étoit effectivement cette Dominante même qu'on emploïât pour lors, au lieu de la Note sensible: Exemple XXIV, où les guidons marquent la Dominante à laquelle la Note sensible est substituée.
[Rameau, Génération Harmonique, 183; text: XXIV. Basse fondamentale. 7, w] [RAMGEN 08GF]
Deuxiéme. Lorsqu'on pratique un Chant Chromatique en descendant, la Note sensible peut y être traitée, elle-même, comme Dominante, sans s'occuper du genre de la Quinte qu'elle y forme pour lors avec ce qui la précede et ce qui la suit, parce que toute succession, aussi-bien que toute Harmonie, ne peut être formée que des Sons Harmoniques donnés par les fondamentaux du Mode qui existe, conséquemment à ce qui a paru sur le même sujet dans le Chapitre XII: et c'est la seule exception [-184-] que puisse souffrir la régle précéden- Voïez l'Exemple XXV.
[Rameau, Génération Harmonique, 184,1; text: XXV. Basse fondamentale. 7, 6, 5, Basse Continue] [RAMGEN 09GF]
Troisiéme. La différence de l'Harmonie que portent une Dominante-tonique, et la Note sensible qui la représente, consistant dans l'Octave de l'une, et dans la Septiéme diminuée de l'autre; on peut former un Chant Diatonique de cette même Octave et de cette même Septiéme, pendant que le reste de l'Harmonie, qui est le même de chaque côté, subsiste toujours; et pour lors la Basse fondamentale ne fait que passer alternativement de la Dominante-tonique à sa Tierce majeure, jusqu'au moment où arrive le repos sur la Tonique, qui doit suivre l'une et l'autre dans cette Basse fondamentale. Exemple XXVI.
[Rameau, Génération Harmonique, 184,2; text: XXVI. Basse fondamentale. 7, Accords complets. Dominante. Note sensible.] [RAMGEN 09GF]
Quatriéme. Et finalement, lorsque la Note sensible est fondamentale, elle peut monter seule sur la Tonique, pendant que le reste de son Harmonie subsiste, et cela seulement dans une partie supérieure: or quoiqu'une pareille succession n'appartienne pas directement au fond de l'Harmonie, la durée des Sons oblige cependant quelquefois de donner à chacun d'eux sa Basse fondamentale; de sorte que la Tonique en question, ou plutôt son Octave peut recevoir pour lors la Dominante de la Dominante-tonique [-185-] pour Basse fondamentale: mais comme la Note où aura monté la sensible doit revenir sur ses pas, elle ne fait simplement que suspendre l'effet de cette Note sensible, et par conséquent la Basse fondamentale retourne également, après la nouvelle Dominante, ou à cette même Note sensible, ou à la Dominante-tonique, selon la disposition de l'Harmonie qu'on emploïe à ce retour, et qui dépend de la fantaisie de l'Auteur. Voïez l'Exemple XXVII.
[Rameau, Génération Harmonique, 185; text: XXVII. Basse fondamentale. Accords complets. 7] [RAMGEN 09GF]
Cette maniere d'opposer quelques Sons étrangers à une Harmonie, dont l'Oreille et par conséquent la régle exigent une succession déterminée, n'est qu'un moïen d'en suspendre l'effet, comme nous venons de le dire, et de le faire souhaiter avec plus d'ardeur; de sorte donc que ces Sons étrangers ne doivent jamais tenir au Corps de l'Harmonie: une Dissonnance qui doit être nécessairement Sauvée, fait toujours souhaiter ce qui doit la suivre, et si vous la conservez au-dessus d'une autre Harmonie que celle dont elle dépend, il faut nécessairement lui rendre sur le champ la sienne propre; de sorte que cette autre Harmonie est comptée pour rien: il en sera de même d'une Consonnance rendue [-186-] Dissonnance pour reprendre ensuite sa premiere forme: on ne change ainsi, pour un moment, le véritable fond d'Harmonie, que pour mieux faire accorder entr'eux les Sons qui marchent, pendant que la même Dissonnance, ou la même Consonnance subsiste fondamentalement, en restant toujours sur le même degré jusqu'à ce qui doit la suivre naturellement, Exemple XXVIII.
[Rameau, Génération Harmonique, 186; text: XXVIII. Basse fondamentale. 7, 6, 5, Dissonance. Consonance. Trio, lent. Basse Continue.] [RAMGEN 09GF]
où la Dissonnance forme une Consonnance au-dessus de la Note A, pour reprendre incontinent ensuite sa premiere forme, de même encore que la Consonnance qui devient Dissonnance au-dessus de la Note B: remarquez au reste qu'une pareille licence ne peut se pratiquer que dans une succession Diatonique entre toutes les parties.
Il y a des cas où l'on peut faire descendre Diatoniquement une Dominante sur une autre; mais ce n'est qu'en conséquence du double emploi, où pour lors la premiere Dominante représente la Soudominante de celle qui la suit, comme si effectivement celle-ci étoit Tonique; aïant déja remarqué que toute Tonique pouvoit recevoir la Septiéme dans le moment qu'elle existe, pour devenir Dominante: ceci se reconnoîtra par les Accords complets, et [-187-] par le guidon placé sur la Soudominante au-dessous de la Dominante qui la représente dans la Basse fondamentale de l'Exemple XXIX.
[Rameau, Génération Harmonique, 187,1; text: XXIX. Basse fondamentale. 7, 9, 5, Accords complets. Basse Continue. ou, Cadence rompue. Cadence parfaite. w] [RAMGEN 10GF]
Au reste, une pareille suite d'Harmonie ne se pratique guéres que dans son Renversement, conformément aux deux Basses Continues de cet Exemple.
Le goût du Chant d'une Basse Continue fait quelquefois abuser de cette derniere licence, où pour lors l'Harmonie de la premiere Dominante n'est pas absolument celle de la Soudominante qu'elle doit y représenter, parce qu'elle peut être, en ce cas, Dominante-tonique: mais cela est si rare, et si peu nécessaire, qu'on ne doit pas y faire grande attention.
Remarquez que dans ces derniers cas la Septiéme est Sauvée par une autre.
On peut entrelacer les Suspensions de Quarte, et de Neuviéme, dont la Basse fondamentale consiste pour lors dans un enchaînement de Dominantes, selon l'Exemple XXX:
[Rameau, Génération Harmonique, 187,2; text: XXX. Basse fondamentale. 7, 8, 9, 5, 4, 3, ou, Accords complets. Basse Continue. Suspension forcée.] [RAMGEN 10GF]
mais il faut y remarquer d'abord que la nécessité de retrancher, le plus souvent, deux Sons de l'Harmonie qui doit naturellement accompagner la Quarte, selon ce qui en a été dit au Chapitre XV. occasionne ici la même chose, à peu près, dans l'Harmonie de la Neuviéme, [-188-] pour n'emploïer de chaque côté que le même nombre de parties; et que de là suit une autre nécessité, non pas tout-à-fait indispensable, sçavoir, que l'une des Consonnances de l'Accord de la Neuviéme ne peut y suivre une route Diatonique; quoique toutes les parties d'une succession Harmonique réguliere puissent toujours marcher de la sorte, ou du moins Chromatiquement, c'est-à-dire en général, par degrés conjoints, dès qu'elles ne peuvent former Liaison d'ailleurs, en exceptant de ce cas la Basse fondamentale.
Toutes les fois que la Quarte suspend la Tierce d'une Tonique, cette Tierce peut être regardée comme si elle existoit déja, d'où elle peut être sensée Préparer une Septiéme, qu'elle formera dès le même instant qu'on y arrivera; et cela par une marche de la Basse, qui, au lieu de rester sur la Tonique dans le moment qu'elle doit recevoir cette Tierce, descendra pour lors de Quinte, pour former ensuite une imitation de Cadence Rompue, Exemple XXXI:
[Rameau, Génération Harmonique, 188; text: XXXI. 7, 4, 5, w, Imitation de Cadence rompue. Basse Continue.] [RAMGEN 11GF]
ce qui prouve bien que la Suspension n'est qu'un agrément de pure goût, et que par conséquent elle n'a point de Basse fondamentale; puisque l'Oreille même la reçoit dans ce cas comme si elle étoit effectivement [-189-] la Consonnance qu'elle suspend.
Il faut retrancher la Note sensible de l'Harmonie d'une Dominante-tonique, dont la Quinte va suspendre l'Octave de la Tonique, en formant la Neuviéme au-dessus de cette Tonique; parce que la Note sensible et la Neuviéme devant passer chacune à la même Note tonique par leur route Diatonique déterminée, l'effet de l'une détruiroit celui de l'autre: il n'y a que dans le cas de la Supposition où l'on puisse conserver toute l'Harmonie d'une Dominante-tonique au-dessus de la Tonique.
La seule exception à nos Régles générales, exception que Zarlin a toujours condamnée, pour une raison, qui, quoique tirée de la véritable, ne l'est pas cependant en elle-même; c'est de pouvoir faire succéder Diatoniquement plusieurs Toniques de suite, où il ne se trouve pour lors aucune Liaison: aussi cela ne se pratique-t'il jamais que dans son Renversement, en y prenant pour Basse la Tierce de la Fondamentale, rarement la Quinte: ce qui n'a pas besoin d'exemple.
Souvenez-vous d'observer par-tout la Liaison nécessaire d'un Accord à un autre, d'un Mode à un autre, c'est-là le grand [-190-] noeud; et ce seul objet présent à l'esprit doit certainement empêcher de s'égarer.
S'il y a quelques préférences à donner à certains intervales plutôt qu'à d'autres entre les parties de Musique qu'on veut faire entendre, comme de préférer les Consonnances aux Dissonnances, excepté que le beau Chant n'améne naturellement celles-ci; cela dépend plus du goût que des régles; le beau Chant en est généralement l'arbitre.
On peut insérer des Notes pour le goût du Chant entre celles qui dépendent de l'Harmonie fondamentale; nous en toucherons un mot dans l'Article suivant, aussi-bien que sur ce qui regarde le Dessein, la Fugue.
La Basse fondamentale n'est donnée que pour connoître l'Harmonie et ses routes, nullement pour être entendue au-dessous des autres parties.
Voïez d'ailleurs les Chapitres qui traitent des matieres que nous n'avons touchées que succintement dans cet Article.
Les personnes qui ne se sentent aucun talent pour la Composition, pourront néanmoins y réussir jusqu'au point qu'exige un certain choix, par le seul secours de ces régles; rien ne leur y échappera, si ce [-191-] n'est ce qui peut y dépendre du goût: mais celles qui se sentent déja du talent pour cet Art, diront peut-être que de pareilles régles leur tiennent le génie dans l'esclavage, qu'elles ne peuvent deviner quel Chant leur fourniront les successions fondamentales qu'elles auront ainsi emploïées à l'avanture, et qu'elles aimeroient mieux des régles qui leur fiissent connoître l'Harmonie nécessaire aux Chants qu'elles auroient déja imaginés: c'est aussi à quoi nous allons satisfaire: mais il est bon de les avertir en même-tems que tout ce qui a jamais été imaginé en Musique, et que tout ce qu'on pourra imager dans la suite, est directement tiré de la Basse fondamentale prescrite dans cet Article, et qu'il est impossible de rien produire de bon ni d'agréable dans cet Art, qui n'en soit une suite nécessaire: quiconque entreprendra de prouver le contraire, y échouera indubitablement; j'ose l'assurer d'avance: c'est par ce principe que le Musicien se conduit; sans ce principe qui est en lui, quoiqu'il puisse n'y pas penser, il ne seroit pas Musicien; et toutes les régles précédentes, tirées de la nature même de la chose, ne font que rendre de point en point le principe qui nous guide tous.
[-192-] Il suffit de bien concevoir toutes les routes que nous venons de prescrire, pour qu'on ne puisse jamais s'y tromper; il faut d'abord commencer par le plus simple, et insensiblement on parvient à ce qu'il y a de plus composé: rien n'est plus facile que de se former soi-même des exemples sur tout ce qui a été dit; c'est même par ce moïen que s'acquiert une certaine expérience, sans laquelle le plus sçavant Musicien n'a pas toujours le don de produire des choses agréables: la pratique d'un Instrument, et sur-tout celle du Clavecin, est bien utile en ce cas, parce qu'on y éprouve l'effet de ce qu'on a composé, et pendant qu'on y exécute la même Basse fondamentale, on cherche toutes les différentes combinaisons des Sons qui peuvent être tirés de son Harmonie, ou bien encore on y exécute ces différentes combinaisons, pour en éprouver l'effet, et pour y choisir celle qui plaît le plus.
Article II.
Trouver la Basse fondamentale d'un Chant donné.
Trouver la Basse fondamentale d'un Chant donné, c'est trouver non-seulement toute l'Harmonie dont ce Chant est susceptible, [-193-] mais encore le principe qui l'a suggére: or, avant que de nous mettre en devoir de la chercher, cette Basse fondamentale, voïons ce qui doit nous y engager, et cela par une question toute simple.
Si l'on demandoit à un Musicien, pourquoi, lorsqu'il veut procéder Diatoniquement après un premier Son donné, auquel il a dessein de retourner sur le champ, il entonne le Ton au-dessus, et le Demi-ton au-dessous? Il seroit peut-être fort embarrassé, lorsque cependant rien n'est plus naturel.
Frappez de l'Harmonie d'un premier Son, sa Quinte nous préoccupe tellement, comme la plus parfaite Consonnance, qu'à son défaut nous entonnons pour lors un de ses Sons Harmoniques, qui, comme on doit le sçavoir à présent, représentent toujours leur Son fondamental, ne font, en un mot, qu'un seul Son avec lui.
Prenons, par exemple, que ut soit ce premier Son; sa Quinte sera sol, dont les Sons Harmoniques sont ré et si: or c'est justement ce ré qui fait le Ton au-dessus d'ut, et ce si qui en fait le Demi-ton audessous; d'où il est évident que le principe de cette succcession Diatonique est dans le Son fondamental sol, dont nous avons été [-194-] frappés en entendant ut, que c'est lui seul qui nous guide ici après ut, et qu'à son défaut nous y entonnons un de ses Sons Harmoniques: ainsi l'expérience confirme, en ce cas, ce que la raison nous avoit déja dicté: tâchons donc de profiter d'une correspondance si parfaite; sans doute que les autres routes du Chant trouveront également leur principe dans une Basse fondamentale, ou pareille à celle ci, ou du moins telle que nous l'avons déja développée.
Avant que d'établir cette Basse fondamentale relativemnt à un Chant donné, il falloit en connoître l'Harmonie et les routes; et c'est justement ce qui a fait le sujet de l'Article précédent, dont le contenu n'est qu'une suite précise de tout ce que le principe proposé dans le premier Chapitre nous a donné successivement par ordre de Génération: rappellez-vous donc bien cette Harmonie et ces routes, pour sçavoir en faire usage relativement au Chant qui va vous conduire; songez seulement à y préférer les plus parfaites routes aux autres, comme la Quinte à la Tierce, et celle-ci à la Seconde, autant que le Chant et la succession déterminée aux Sons fondamentaux le pourront permettre: si vous [-195-] y trouvez plus d'une Basse fondamentale possible, emploïez-les toutes, c'est pour lors l'expression, l'esprit de la chose, qui en détermine le choix.
Pour qu'un Commençant puisse aisément trouver de lui-même la Basse fondamentale d'un Chant donné, qui doit être naturellement le principal sujet, il faut que ce Chant soit simple, et que chaque Note y soit susceptible de sa Basse fondamentale particuliere.
Il ne faut d'abord prendre des Chants que dans un seul Mode, où la Dissonnance mineure, c'est-à-dire, la Septiéme de la Basse fondamentale, soit évitée; puis on entrelace avec ce premier Mode un ou deux de ses plus relatifs, et insensiblement on passe aux autres, on y joint enfin la Dissonnance: mais tout cela doit se faire par degrés, et l'on ne doit passer à une régle que lorsque la précédente est bien conçue.
Si l'Harmonie de la Basse fondamentale ne consiste que dans la Tierce, la Quinte et l'Octave, par conséquent le Chant donné doit toujours former au-dessus de cette Basse l'une de ces trois Consonnances, qui peuvent d'ailleurs s'y succéder immédiatement, sans qu'on soit obligé de changer la [-196-] Note de Basse, excepté que sa succession déterminée n'y contraigne, soit pour arriver à la Tonique ou à sa Dominante, dans le moment du repos sensible qu'exprime le Chant, soit pour y éviter la Syncope.
Il ne faut s'attacher à changer une Note fondamentale que d'une Mesure à l'autre, excepté qu'on n'y soit forcé, ou par le Chant qui ne sera plus dans son Harmonie, ou par les raisons déja alleguées.
Si le Mode change, c'est toujours après la Tonique, ou après sa Dominante sensée pour lors Tonique à la faveur d'un repos qui y sera forcé; de sorte que cette Tonique, ou cette Dominante prend sur le champ la qualité qui lui convient dans le nouveau Mode, ou bien elle passe à la nouvelle Tonique, ou bien encore elle prend l'une des autres routes fixées à la Basse fondamentale; le tout relativement aux Notes du Chant contenues dans l'Harmonie de celles qu'on peut emploïer dans la Basse fondamentale.
Comme la même Note du Chant peut également faire la Tierce d'une Note de la Basse, la Quinte d'une autre, ou l'Octave d'une autre, même la Septiéme d'une autre encore; on ne peut emploïer pour cette Basse, que la Note dont la succession [-197-] déterminée pourra conduire jusqu'à la Tonique, toujours par les successions déterminées, auxquelles le Chant ne manquera pas d'être assujetti; et cette Tonique se reconnoîtra par le moïen d'un repos pratiqué dans le Chant, ou, au défaut du repos, par sa Note sensible, même par sa Tierce, l'une devant avoir naturellement pour Basse fondamentale la Dominante-tonique, l'autre la Tonique, sur-tout quand le Chant y tombe dans le premier moment de la Mesure, en descendant de Tierce.
Quand le Chant marche par Quintes ou Quartes, l'une des deux Notes, au moins, est toujours l'une des fondamentales du
Mode qui existe; elles pourroient cependant bien n'en former que la Tierce, mais cela est rare, et pour lors les Diézes ou Bémols contenus dans ce Chant empêchent de s'y tromper.
Il faut avoir égard aux Diézes et aux Bémols du Chant, selon ce qui en a été dit dans le précédent Article, ils indiquent certainement le Mode qui existe; excepté que la Note sensible du majeur peut bien quelquefois appartenir à son Mode relatif mineur, comme Seconde de la Tonique; par exemple, cette suite du Chant, mi. ré. mi. fa, mi. ré. ut. si. ut, peut aussi-bien appartenir [-198-] au Mode mineur de la, qu'au majeur d'ut; le si reconnu pour Note sensible d'ut peut y être également Seconde de la; si j'y vois sol ou sol[x], dès-lors je sçais à quoi m'en tenir, sol exclut la comme Tonique, et sol[x] au contraire le décide comme tel: mais dans de pareils cas, dont il faut s'assurer relativement aux Notes sensibles des Modes majeurs, le choix du Mode incertain dépend de son rapport avec celui qui le précéde, et sur-tout avec ce-celui qui le suit: par exemple, si je vois avant ce Mode incertain, et sur-tout après, celui de fa ou de sol, ce sont des Quintes d'ut, qui pour lors me déterminent absolument en sa faveur; au lieu que celui de ré ou de mi, qui sont des Quintes de la, m'auroit déterminé pour ce Mode de la; excepté cependant que le même Mode que j'aurois dû choisir ne vînt incontinent après, et que le goût de variété ne pût m'engager pour lors à y préférer le moins relatif, sur-tout si la phrase y est courte; mais remarquez-bien que cette derniere préférence ne doit avoir lieu qu'entre-deux Modes à une Seconde l'un de l'autre, lesquels seront également relatifs au premier donné.
S'il est question de la Dissonnance, qui [-199-] ne consiste que dans la Septiéme d'une Dominante, laissant à part, pour un moment, la Sixte majeure d'une Soudominante; il ne faut jamais emploïer une Note du Chant comme Septiéme qu'elle n'y soit Préparée, excepté au-dessus d'une Dominante-tonique, ou encore excepté qu'aïant déja emploïé une Dominante quelconque, sa Septiéme ne se présente ensuite dans le Chant, pendant qu'on pourra conserver cette même Dominante; car, comme telle, la Septiéme lui étoit déja avenue de droit.
Sans doute que toute Note du Chant emploïée pour Septiéme, sera Sauvée ensuite en descendant Diatoniquement sur la Tierce de la Note fondamentale qui doit suivre naturellement la Dominante accompagnée de cette Septiéme; excepté qu'il n'y ait, en ce cas, uue Cadence Rompue, ou Interrompue, ou simplement une imitation de ces Cadences; de sorte que la Septiéme, au lieu de se Sauver sur la Tierce, se sauveroit pour lors sur la Quinte, ou sur l'Octave, mais toujours en descendant Diatoniquement.
Au reste, ces deux dernieres Cadences ne sont jamais forcées dans la Basse fondamentale d'un Chant simple, et la Parfaite, [-200-] dont elles prennent la place dans une Basse continue, en faveur de la variété, peut toujours leur être substituée dans la fondamentale: ce n'est donc, par conséquent, que lorsqu'on compose celle-ci sous une Continue, qu'on est obligé de l'y soumettre: ce qu'il falloit sçavoir, pour que du moins on soit libre d'en user, quand le goût de variété semble pouvoir l'exiger.
Si la Septiéme ne se Sauve pas immédiatement, et qu'entr'elle et la Note sur laquelle elle doit descendre Diatoniquement il s'en trouve une ou plusieurs autres qui appartiennent à l'Harmonie de la même Dominante accompagnée de cette Septiéme, il n'y a qu'à conserver cette Dominante jusqu'à ce que sa Septiéme se Sauve, d'autant que celle-ci est sensée subsister toujours jusqu'au moment qu'elle se Sauve.
Quelquefois la Septiéme, au lieu de descendre Diatoniquement, passe à une autre Note de l'Harmonie appartenant à la Note fondamentale qui doit suivre celle qui a porté cette Septiéme: mais cela ne se pratique jamais que lorsque cette même Septiéme forme la Tierce mineure de la Basse continue, qui monte pour lors Diatoniquement sur la Note dont cette Septiéme doit être Sauvée, en remplaçant ainsi [-201-] d'un côté ce qui manque de l'autre; encore cela ne convient-il qu'à l'Harmonie d'une Dominante-tonique, laquelle Dominante doit être exclue pour lors de sa propre Harmonie. Exemple XXXII.
[Rameau, Génération Harmonique, 201; text: XXXII. Basse fondamentale. 7, 3, w, Chant. Basse Continue. Note qui sauve la Septiéme.] [RAMGEN 11GF]
Dans tout Chromatique les Notes du Chant peuvent former consécutivement la Tierce mineure et la majeure d'une Tonique, même d'une Dominante; si la Tierce majeure étoit la premiere, son changement en mineure conviendroit pour lors beaucoup mieux à une Tonique qu'à une Dominante: si le Chromatique procéde en montant, la Basse fondamentale y descend généralement de Tierce, et peut néanmoins y monter de même: mais s'il procéde en descendant, sa Basse fondamentale la plus ordinaire consiste dans un enchaînement de Dominantes-toniques, où la Note sensible descend Chromatiquement par-tour sur la Septiéme.
Les différentes Basses fondamentales propres au Chromatique sont toujours subordonnées au Mode reconnu, ou par un repos, ou par son rapport avec ce qui le précéde et le suit, mais sur-tout par la derniere Note sensible: si l'arbitraire peut y regner quelquefois, c'est sur le goût de variété sur l'expression même, qu'il faut en régler le choix.
[-202-] Nous avons expliqué dans l'Article précédent ce qui regarde l'Accord de la Septiéme diminuée, à l'occasion de l'Enharmonique: mais si par hazard le Chant se trouvoit effectivement Enharmonique, c'est-à-dire, qu'un Diéze y devînt Bémol, ou qu'un Bémol y devînt Diéze, comme par exemple, que Sol-Diéze y devînt La-Bémol, et cetera ce sol[x] qui étoit Basse fondamentale du premier, comme Note sensible, céderoit pour lors sa place à si, qui seroit à son tour Note sensible; ainsi du reste à proportion; n'y aïant qu'à remarquer le Mode mineur dans lequel conduit un pareil changement.
A l'égard de la Sixte majeure d'une Soudominante, elle est très-arbitraire, parce qu'il n'y a point de cas où elle ne puisse servir d'abord d'Octave à sa Basse fondamentale, à la faveur du double emploi, et ensuite de Quinte à la Dominante-tonique.
Cependant le goût de variété demande qu'on use quelquefois de cette Sixte majeure, sur-tout quand on trouve, par son moïen, celui de former des imitations de Chant en montant de Quinte, ou en descendant de Quarte, conséquemment à la marche naturelle et unique de la Soudominante: or pour en user, il faut d'abord [-203-] que la succession fondamentale permette de passer à la Soudominante, et que dans ce moment, même lorsque cette Soudominante existe déja, le Chant donne sa Sixte majeure suivie Diatoniquement en montant; et supposé que cette Sixte majeure descendît Diatoniquement, il faudroit sous-entendre pour lors une autre partie, qui ne fût cependant pas la Basse continue, laquelle pût monter Diatoniquement après cette même Sixte majeure; sinon une pareille Sixte seroit mal imaginée.
Ceci n'est rien encore; les Suspensions du Chant peuvent souvent dérouter quiconque n'en seroit pas averti; mais remarquez-bien qu'il n'y en a jamais que lorsqu'on se voit forcé de faire Syncoper une Dominante, ou du moins une Tonique qui montera ensuite de Quinte; les autres cas de Suspension sont des Suppositions qui n'innovent rien dans la Basse fondamentale, excepté que si on vouloit la composer sous une Basse continue, il faudroit en avoir en même-tems le Dessus sous les yeux, pour y reconnoître les cas de Supposition, où pour lors les Notes de cette Basse continue sont des hors-d'oeuvre, comme n'étant nullement comprises dans l'Harmonie.
[-204-] Reste à sçavoir distinguer dans un Chant figuré les Notes de goût de celles de l'Harmonie; connoissance qui dépend uniquement de celle de la Basse fondamentale.
Tant que les Notes du Chant ne marchent point Diatoniquement, elles sont toutes comprises dans l'Harmonie: ainsi les Notes de goût n'y sont autres que celles qui y procédent Diatoniquement; encore faut-il en excepter les Notes, qui, dans ce cas, peuvent faire la Septiéme d'une Dominante déja placée dans la Basse fondamentale.
C'est sur la route déterminée à la Basse fondamentale que l'on distingue les Notes d'Harmonie de celles de goût dans une succession Diatonique du Chant: par exemple, si je pars d'une Dominante, ou d'une Soudominante, sa route déterminée me dit que parmi telles et telles Notes du Chant ce sont-là les seules qui appartiennent à l'Harmonie, parce qu'effectivement ce sont-là les seules qui soient contenues dans l'Harmonie de la Note fondamentale qui doit suivre cette Dominante, ou cette Soudominante: si je pars d'une Tonique, sa route arbitraire peut me laisser de l'incertitude; mais comme je sçais que je ne puis prendre une telle Note fondamentale [-205-] après cette Tonique, qu'aux conditions qu'elle passera à une telle autre, dès ce moment je vois clair, d'autant que le Chant m'indiquera peu après un repos, une Note sensible, ou cessera d'être figuré, et me sera connoître par ce moïen où je dois arriver; connoissance qui m'indiquera pour lors la Note qui doit suivre la Tonique, pour arriver par les routes prescrites à celle dont je viens de m'assurer; par exemple, si je vois dans un seul Tems d'une Mesure très-vive, cette suite de Notes sol. fa. mi. ré. ut. ré, du Mode majeur d'ut, où il est supposé que ut commence d'un côté un nouveau Tems de la Mesure, et que le dernier ré le commence de l'autre; je dis que si c'est ut, il doit avoir le même ut pour Basse fondamentale, qu'ainsi sa Dominante sol doit le précéder sous les Notes sol. fa. mi. ré; au lieu que si c'est le dernier ré, il doit avoir la Dominante sol pour Basse fondamentale, qu'ainsi il doît être précédé de sa Tonique ut sous les Notes sol. fa. mi. ré. ut; de sorte que toutes ces Notes étant supposées de valeur égale, excepté ré et ut qu'on y doublera lorsque le dernier ré viendra ensuite, on ne peut pas dire, selon les Musiciens, que ce soit la premiere du Tems, plutôt que la deuxiéme, qui [-206-] porte Harmonie; sol et mi seront par-tout les premieres, pendant que d'un côté elles appartiendront à sol, et de l'autre à ut, quand même elles seroient pointées. Il y a mille autres cas semblables, où si le Musicien n'a pas assez d'Oreille, il est toujours prêt à s'égarer: d'ailleurs il est souvent tres-à-propos de prendre ainsi pour le goût, des Notes auxquelles on pourroit faire porter Harmonie, pour éviter de faire entendre dans le milieu d'une Mesure, ou à la fin, le même esprit de Cadence, qui doit regner dans le premier moment de la Mesure qui suit celle-là; moment le plus sensible de tous, et dont on détruiroit tout l'agrément, si l'on prévenoit immédiatement auparavant l'Oreille sur ce qu'elle doit y éprouver de nouveau; et c'est encore pour cette raison que la Basse fondamentale, c'est-à-dire, la même Harmonie ne doit jamais Syncoper, si ce n'est dans le cas de la Suspension.
Si l'on étoit obligé de chercher dans le Chant une Note connue, ainsi que nous venons de le dire, pour en distinguer les Notes de goût de celles de l'Harmonie, ou encore parce qu'on ne seroit pas assez initié dans les routes fondamentales pour sçavoir précisément quelle Note y emploïer [-207-] après une Tonique; il y a un moïen de composer la Basse fondamentale, en rétrogradant depuis la premiere Note connue du Chant jusqu'à cette Tonique où l'on se seroit arrêté.
Les Notes connues dans le Chant, sont, comme nous l'avons déja dit page 197, celles qui terminent une Cadence, la Tierce de la Tonique, la Note sensible, ou l'une de celles qui marchent par Quinte, ou Quarte; et pour ne pas se tromper à l'égard des Notes sur lesquelles le Chant descend de Tierce, il n'y a qu'à voir si les Diézes, ou les Bémols, qu'exige le Mode dans lequel on voudroit comprendre ces mêmes Notes, se trouvent effectivement dans le Chant depuis la Tonique où l'on se sera arrêté jusqu'à cet endroit.
La Note connue du Chant ne pouvant m'indiquer pour sa Basse fondamentale, que la Tonique, ou la Dominante-tonique; je dis, si c'est une Tonique, elle doit être précédée de sa Dominante, sinon de sa Soudominante; et si c'est une Dominante, elle doit être précédée de la sienne, sinon de la Tonique, soit du Mode qui existe avec cette Dominante, soit de celui qui existoit immédiatement avant que d'arriver à cette même Dominante; [-208-] et procédant toujours ainsi jusqu'à la Tonique où l'on s'étoit arrêté, on ne manquera jamais de rencontrer juste; bien entendu que le Chant conduira la marche fondamentale, en contenant toujours une des Notes de son Harmonie: on sçait, au reste, que toute Soudominante doit être précédée de sa Tonique.
A l'égard des petites licences proposées dans l'Article précédent, elles n'ont jamais lieu dans un Chant seul, et l'on ne peut les trouver qu'entre la Basse Continue et une autre partie, auxquelles on conforme pour lors la Basse fondamentale, de même que dans ce qui regarde les Cadences Rompues, et Interrompues, et la Supposition.
Souvenez-vous qu'une Note de la Basse fondamentale n'est forcée de changer que d'une Mesure à l'autre, quoiqu'elle puisse néanmoins changer d'un Demi-tems à un autre, selon la tournure du Chant, et selon encore la vîtesse ou la lenteur du mouvement: ce qui donne toutes les facilitez nécessaires pour distinguer les Notes d'Harmonie de celles de goût; car on est libre de n'emploïer qu'une seule Note fondamentale pour chaque Tems, même pour toute la Mesure, toujours à proportion de la vîtesse ou de la lenteur du mouvement.
[-209-] Il y a certains cas où l'on est obligé de partager une Note du Chant en deux parties égales, pour pouvoir y suivre les routes fondamentales, en lui donnant pour lors deux Notes différentes pour Basse; mais cela est rare.
Quand la Basse fondamentale est composée, il y a un moïen d'en confronter la succession avec celle du Chant, pour voir si l'on y aura suivi les mêmes Cadences dans les mêmes Modes.
Par exemple, si après la Tonique je passe à une autre Tonique, je sçai que celle-ci peut encore passer où je veux; si au contraire je passe à une Soudominante, je sçais que celle-ci doit retourner à sa Tonique; mais enfin si je passe à une Dominante, je dis, cette Note est Dominante de celle qui la suit, et ainsi de l'une à l'autre, jusqu'à ce qu'en aïant trouvé une qui n'est plus Dominante de celle qui la suit, je dis pour lors qu'elle est Tonique: or c'est en ce cas que je confronte cette Tonique avec le Chant, pour voir si ce Chant forme un repos possible en cet endroit, ou si du moins le Mode dans lequel il existe appartient à la Tonique ainsi connue: si cela n'étoit pas, ce seroit signe que je me serois trompé; je retournerois pour lors sur mes [-210-] pas jusqu'à une Tonique certaine, je m'appercevrois sans doute qu'après celle-là je n'avois pas pris la véritable route qu'exigeoit le nouveau Mode, et je ne manquerois pas d'y remedier.
Il faut chiffrer la Basse fondamentale avec un 6. pour les Soudominantes, un 7. pour les Dominantes, et rien pour les Toniques, si ce n'est un Diéze, ou un Bémol pour en marquer la Tierce majeure ou mineure accidentelle; ce qu'il faut également observer à l'égard des Dominantes en pareil cas.
Le Mode dans lequel roule quelque Phrase que ce soit du Chant sera toujours connu, soit par les Sons qui doivent appartenir à l'Harmonie de chacun de ses Sons fondamentaux, soit par la Note sensible, soit par la Tierce de la Tonique, selon ce qui en a déja été dit, soit par une marche de Quinte, ou de Quarte, soit enfin par tous les repos possibles dans ce Chant, qui doivent y paroître généralement de 2. en 2. Mesures, du moins de 4. en 4, et dont nous pouvons trouver de nous-mêmes la Basse fondamentale, selon encore ce qui en a été dit dans l'Article précédent.
Si le nombre fixé des Mesures n'est pas observé dans une Phrase, il y sera pour lors [-211-] si sensible qu'on ne pourra s'y tromper, surtout s'il y a des Paroles.
Ces deux Articles doivent se prêter mutuellement du secours, il faut tirer de l'un ce qui convient à l'autre, et c'est à nous d'en sçavoir profiter: si notre imagination s'égare, les routes connues de la Basse fondamentale, et le rapport des Modes lui seront pour lors d'un grand secours pour la conduite.
A l'égard du Dessein, de l'Imitation, et de la Fugue, nous pouvions en parler dès l'Article précédent; mais comme l'idée en peut naître après avoir imaginé un Chant, comme avant que de l'imaginer, nous sommes toujours à tems d'en prescrire les loix.
Le Dessein, l'Imitation, et la Fugue dépendent autant de la Basse fondamentale que de l'imagination; il suffit d'en avoir l'idée pour que cette Basse procure les moïens d'en faire usage à propos.
Le Dessein qui consiste dans l'arondissement d'un Chant, et de ses Phrases, aussi-bien que dans l'Imitation, et dans la Fugue, prend sa source dans la Basse fondamentale, dont la longueur des Phrases est déterminée par le Son fondamental qu'on choisit après une Tonique, et dont la route [-212-] doit toujours être la même toutes les fois qu'on veut répéter le même Chant, en quoi consistent l'Imitation et la Fugue.
Il est vrai que le même Chant est quelquefois susceptible de différentes Basses fondamentales; mais c'est à nous de les trouver, elles ne peuvent subsister d'ailleurs que conséquemment aux routes déterminées; plus elles peuvent être variées, plus elles fournissent de nouveaux Chants, avec lesquels on peut accompagner celui qu'on veut imiter, lorsqu'on compose à plusieurs parties: au reste, l'esprit de la chose, l'expression en dicte le choix, outre que tel Chant qui se trouve dans un même Mode, peut aussi se former en passant d'un Mode à un autre, en quel cas la Basse fondamentale pourra en être différente de droit.
Rien n'est plus simple que ce moïen à l'égard de l'Imitation, où il ne tiendra qu'à vous de la faire naître tant qu'il vous plaira, en amenant dans votre Basse fondamentale les mêmes routes sur lesquelles le Chant que vous voulez imiter a été bâti: mais à l'égard de la Fugue, il y a des régles plus précises, dont on peut s'instruire dans le Chapitre LIV. du troisiéme livre de mon Traité de l'Harmonie, page 332; on [-213-] y trouvera pareillement, dans les Chapitres qui précédent celui-ci, ce qui regarde la Composition à plusieurs parties.
C'est ici où les exemples seroient effectivement nécessaires, nous sentons qu'ils abrégeroient beaucoup de difficultez aux personnes qui auront quelque confiance au principe proposé: mais si nous avons pû le trouver de nous-même, ce principe, et si nous avons pû le porter jusqu'au point où nous le présentons, qui est-ce qui ne trouvera pas de lui-même le peu qui y manque pour le mettre dans toute son évidence? Il n'y manque rien d'ailleurs que ces exemples: mais, outre qu'ils exigeroient de grands détails, c'est qu'il est nécessaire, pour en tirer tous les avantages dont on a besoin, qu'on se les forme soi-même: on est obligé, par-là, de se représenter souvent les mêmes choses, et de se les inculquer souvent dans l'esprit; de sorte qu'elles nous deviennent propres à la fin, nous les possédons d'autant mieux que nous en sommes, en partie, les Créateurs; et flattés d'un premier succès, nous en sommes d'autant plus curieux pour ce qui reste à découvrir.
Pour composer un Chant dans un même Mode, il n'y a qu'à le composer dans [-214-] le Mode d'ut, où il ne doit entrer ni Diézes ni Bémols, et où l'on ne terminera de repos que sur la Tonique ou sur sa Tierce; pour n'y point emploïer de Dissonnances, il n'y a qu'à n'y jamais faire Syncoper de Notes qui soient forcées de descendre ensuite Diatoniquement; et pour changer de Mode, il n'y a qu'à suivre son goût naturel; plus on a d'expérience, plus on trouve de Chants susceptibles de ce changement; on s'en apperçoit par les nouveaux Diézes ou Bémols qu'on est obligé d'y insérer, et par les Repos ou Cadences; à l'égard des Dissonnances, le hazard, le goût les aménent, sans qu'il faille s'en occuper: prenez d'ailleurs un Maître de l'Art, dont la spéculation réponde à sa pratique.
Ce n'est ici qu'un abregé, qui cependant pourroit bien passer pour une Méthode complette auprès des personnes capables d'application, et que les premieres difficultez ne rebutent point: nous serons d'ailleurs trop satisfaits, si l'on en peut tirer quelques inductions favorables: tout ce que nous demandons seulement, c'est de bien examiner avant que de conclure: souvent nous attribuons à la chose un défaut qui ne vient que de notre peu de pénétration, ou du moins de notre négligence; [-215-] nous nous lassons de chercher, et ce que nous n'avons pû trouver, nous nous imaginons qu'il n'existe pas.
Voïez ma Dissertation sur les différentes Méthodes d'Accompagnement, vous y retrouverez tout ce qui vient d'être annoncé; la succession obligée des Accords conséquemment à la longueur des Phrases, vous y rappellera justement la succession fondamentale qui la détermine; le double emploi s'y découvre aisément, en ce que l'Accord de la Seconde du Ton y appartient pour lors à la Soudominante, dès qu'il passe à celui de la Tonique, sinon il appartient à la Dissonnance ajoutée à l'Harmonie de cette Soudominante, Dissonnance qui est, elle-même, la Seconde au-dessus de la Tonique, qui devient pour lors Dominante, et qui doit marcher ensuite de Dominante en Dominante jusqu'à la Tonique: par la comparaison que vous pourrez faire des régles qui y sont contenues avec celles de la Basse fondamentale, vous reconnoîtrez que les unes sont tirées des autres, et que leur différence ne consiste que dans la différence des deux objets auxquels on les applique pour lors: là, ces régles sont relatives à la Méchanique des Doigts dans l'exécution d'une [-216-] Musique déja composée, ici elles le sont au fondement de toute cette Musique; et rien n'en prouve mieux la certitude, puisqu'elles sont données pour y suivre son imagination, aussi-bien que celle des autres, qui s'y trouve nécessairement soumise.
Trouver une Méthode pour guider l'imagination, c'est déja beaucoup; mais en trouver une sur laquelle les choses imaginées sont nécessairement établies, et par laquelle le fond de toutes ces choses se rend de point en point dans l'ordre où elles ont été dictées, je crois que c'est-là le grand noeud: rappellez-vous le principe de la Liaison, la possibilité de faire marcher Diatoniquement tous les Sons Harmoniques, et la succession obligée des Dissonnances, vous y reconnoîtrez bientôt le principe de la Méchanique des Doigts dans l'Accompagnement du Clavecin.
[-217-] CHAPITRE XIX.
Réflexions sur les différens Systêmes de Musique, et sur les Méthodes en consequence.
IL ne faut qu'examiner le principe d'où sont partis tous les Musiciens, tant Anciens que Modernes, pour juger sur le champ de la validité de leurs Systêmes, et de leurs Méthodes.
Tous sont partis, non pas simplement d'une seconde conséquence, mais seulement de l'une des combinaisons de cette seconde conséquence, en un mot, du Systême Diatonique tiré de la succession fondamentale par Quintes; succession qui, de son côté, prend sa source dans la résonnance d'un Corps sonore, et dans la puissance réciproque des Vibrations plus lentes et plus promptes les unes sur les autres.
Pithagore, selon le rapport unanime, après avoir tiré la Quinte et la Quarte de la division de l'Octave, trouva le Ton dans la différence de cette Quinte avec cette Quarte, puis ajoutant ce Ton à un autre pareil, dont il forma l'intervale appellé Diton, il chercha la différence de ce Diton [-218-] avec la Quarte, et du tout forma le Tétracorde Diatonique, dont l'addition à lui-même donne le Systême complet.
On pourroit dire aussi, comme nous l'avons annoncé dans le Chapitre IV, que cet Auteur a tiré son Systême de la Progression triple, l'un n'est pas plus certain que l'autre: mais à cela près, tous les Anciens étant partis de là, toutes leurs conséquences étant directement tirées des genres Diatoniques, Chromatiques, et Enharmoniques, dont ils n'ont puisé la source que dans des Hipotheses, dans des Suppositions, chacun aïant même donné tels rapports qu'il a voulu aux intervales dont se forment ces genres * [* Voïez Ptolémée. in marg.]; on n'en peut conclure autre chose, sinon que tous leurs raisonnemens, tous leurs calculs n'aboutissent à rien dans la Musique; sans leur disputer néanmoins la gloire d'avoir fait à cet égard des découvertes au-delà de ce qu'on pouvoit attendre d'un principe aussi imparfait que celui qui les y a guidés.
Ignorer, d'ailleurs, l'Harmonie, qui est le principe du principe de tous ces genres, car c'est l'ignorer que d'en parler comme les Anciens, il ne faut que les voir tous s'accorder sur la Tierce, à laquelle ils refusent [-219-] le titre de Consonnance, pour juger de leurs connoissances sur cet article; je ne dis pas même, ignorer la succession fondamentale, ce seroit leur trop demander: ignorer tout cela, c'est bien ignorer la Musique.
J'appelle ignorance, toute connoissance qui ne vient que d'une expérience simplement formée par le sentiment; cette connoissancc n'en est pas une, à proprement parler, c'est seulement une réminiscence d'un effet éprouvé à l'occasion d'un certain arrangement entre les parties, dont on ignore la cause.
Les Grecs peuvent avoir éprouvé des effets surprenans de leur Musique, on ne leur dispute rien là-dessus, ils en ont cherché la cause dans tout ce que leur expérience a pû leur suggérer; mais si l'on s'en rapporte aux Ecrits qui nous en restent, ils ne nous ont donné que des raisonnemens et des calculs, qui, pour n'être pas fondés sur le véritable principe, sont non-seulement vagues et de peu d'utilité par rapport à l'objet, mais souvent faux, quoiqu'ils trouvent encore des partisans.
Quoiqu'Aristoxene eût trouvé le véritable Tempéramment dans la proportion Géométrique, il fut néanmoins blâmé de [-220-] tous ses Contemporains, parce qu'effectivement il ne l'avoit pas sçu fonder; Zarlin y a plus mal réussi encore en prenant une autre route; et l'usage, tout mauvais qu'il est, a toujours prévalu.
On peut admirer un Auteur dans ce qu'il a d'admirable, mais où le principe manque, tout manque.
Quoique nos Musiciens d'aujourd'hui pratiquent leur Art avec beaucoup de succès, ils n'en sçavent pas, pour cela, plus que leurs Maîtres, et ces Maîtres n'en ont guéres sçu davantage que les Grecs, à quelques petites nouveautez près que l'expérience leur a suggérées, pendant que, d'un autre côté, ils n'ont pas sçu profiter de tous les avantages qu'ils auroient pû tirer de ces mêmes Grecs.
Zarlin, par exemple, prend pour principe la Proportion Harmonique; mais il n'entre pas plutôt dans la carriere, qu'il en abandonne ce qu'elle a de plus prétieux; l'Harmonie inséparable de cette Proportion n'y est plus son objet principal, tout Son n'en est pas moins sensé unique pour lui, toute succession lui est égale, et les accidens du Dionatique, du Chromatique, et de l'Enharmonique y deviennent ses principes immédiats.
[-221-] Je veux bien qu'à la faveur de son expérience cet Auteur nous en ait beaucoup plus appris que les Grecs, sur-tout pour ce qui regarde l'Harmonie; mais la faire dépendre de la Mélodie, c'est absolument changer l'ordre de la nature, c'est en ignorer les voïes; aussi tout est il vague chez lui, et parmi quelques véritez, car enfin, une longue expérience peut bien en laisser entrevoir quelques-unes, on y trouve une infinité d'erreurs, soit pour la succession de l'Harmonie, soit pour les Modes, soit pour le Tempéramment; telle régle bonne en certains cas n'y vaut rien dans d'autres, et cela pour l'avoir mal définie; parce qu'en effet, il est presqu'impossible d'en trouver la juste définition, dès qu'on ne connoît pas le principe qui la donne; celle, par exemple, qui regarde les Octaves, Quintes, et Tierces majeures consécutives, y est si mal expliquée, qu'on en a fait jusqu'à présent un abus; le Musicien ne sçait presqu'encore que cela, et le sçait mal, parce qu'il l'applique à tout, lorsque le défaut de Liaison en est l'unique objet.
Ce n'est pas comme Octave, ni comme Quinte que deux de suite peuvent déplaire, ces Consonnances sont trop agréables par elles-mêmes pour cela; mais c'est comme [-222-] pouvant représenter une succession fondamentale sans Liaison: examinons la chose de près, et nous verrons bien-tôt que c'est dans un cas pareil, comme dans la succession fondamentale d'ut à ré que Zarlin a puisé la régle en question, où la Tierce majeure doit être aussi comprise: ainsi quand on observe la Liaison, on doit peu s'embarrasser du reste.
Il est vrai que préférer une deuxiéme Octave, ou Quinte, à une autre Consonnance possible, c'est pécher contre la variété, mais jamais contre l'Harmonie; et excepté que le beau Chant, ou même le Dessein n'en ordonnent autrement, il faut toujours avoir égard à cette variété: l'Harmonie marche la premiere, ensuite, le beau Chant, le Dessein, et enfin la Variété.
Presque toutes les régles de cet Auteur péchent par le même endroit, c'est-à-dire, par le défaut d'une juste définition; de sorte que l'Oreille du Musicien qui les lui fait approuver dans certains cas, ne sçait pas toujours le redresser à propos dans les cas où elles ne conviennent point; on y a bien trouvé quelques exceptions par-ci, par-là, mais à ces exceptions il y en a tant d'autres à joindre, que quiconque voudra [-223-] approfondir le fait, verra que toutes ces régles demandent une refonte, et qu'on ne peut les tirer que des conséquences mêmes que nous fournit notre principe, pour en extirper toute exception, et pour en avoir une juste définition.
Nous en sommes encore là, les seules régles de Zarlin sont encore celles de tous nos Musiciens, à quelques exceptions près, à quelques amplifications près, qui ne servent qu'à les rendre plus équivoques, parce qu'aucune n'y porte sa juste definition; d'où il suit qu'on n'est jamais certain de les avoir suivies fidélement, que lorsqu'on a l'Oreille assez formée pour en tirer cette certitude: ce n'est point la régle qui a fait opérer jusqu'ici le Musicien, c'est l'Oreille, excepté dans des cas si simples par eux-mêmes, qu'il n'y a pas moïen de s'y tromper: j'ai senti, par exemple, dès l'âge de 7. ou 8. ans, que le Triton devoit être Sauvé de la Sixte, et je m'en suis fait une régle; ainsi de quelques autres qui ne ménent pas bien loin.
Le grand détail où ces régles nous jettent est une premiere preuve de leur insuffisance, parce qu'il est presque impossible que tout y soit compris; il y échappe toujours quelque chose, malgré qu'on en ait; [-224-] la seule expérience ne peut mettre sous les yeux toutes les différentes combinaisons d'un objet composé de plusieurs parties, sur-tout dans l'entrelacement de ces parties avec d'autres: n'a-t'on pas confondu, jusqu'à présent, la Supposition, la Suspension, et lHarmonie renversée avec la Fondamentale?
Le Musicien commence à goûter la Basse fondamentale, mais je ne crois pas qu'il en conçoive bien encore la succession, sur-tout dans les différentes combinaisons qui en dépendent; la préoccupation où son Oreille le retient, l'empêche le plus souvent d'y faire usage de sa judiciaire; j'en ai fait quelquefois l'expérience.
Il n'est pas assez en garde contre son Oreille; il ne songe pas qu'elle ne peut l'instruire que sur la partie qui lui est sensible dans le moment, au lieu qu'en faisant abstraction de ce sentiment, la raison embrasse le tout, et peut ensuite en faire part à l'Oreille dans chacune de ses parties; sinon tout ce qu'il croira sçavoir, il ne fera simplement que le sentir, et ne le sentira que par détail; détail qui produit la confusion dans l'esprit, qui fait que souvent on applique à une régle ce qui convient à l'autre, et qu'on n'en connoît pas tous les défauts, [-225-] le véritable sens, la juste définition: mais à qui parle-t'il, ce Musicien? toujours à des gens qui en sçavent moins que lui. Et c'est ce qui lui fait tort; on se contente de ses raisons, d'où il conclud qu'elles sont bonnes.
Ce qu'il y a de particulier en ceci, c'est que le simple Musicien de pratique a toujours méprisé la source de la science dont il veut se parer; comment cela peut-il s'accorder? A quoi servent tous ces calculs, dit-il, à quoi bon ces Comma, et cetera lorsque je fais de la bonne Musique sans cela? Il voit à présent à quoi cela sert; sans ce secours je ne serois jamais parvenu à démontrer la vérité d'un principe aussi simple, aussi naturel que celui de la Basse fondamentale, je n'en aurois jamais sçu tirer toutes les conséquences nécessaires pour parvenir à la véritable connoissance des régles de l'Art, et pour pouvoir en donner ensuite des Méthodes simples et abrégées.
Il est vrai que la maniere, dont on avoit saisi la Musique dans les Mathématiques, étoit dautant plus rebutante, qu'après en avoir essuïé toutes les difficultez, on n'en étoit pas plus avancé dans la pratique; les Ouvrages des simples Mathématiciens, sur ce sujet, prouvent effectivement qu'ils y [-208 <recte 226>-] étoient très-bornés dans leurs connoissances: mais les épines en sont à présent arrachées, il n'y reste que les roses, les routes en sont si simples et si bien fraïées, qu'il n'y a plus moïen de s'egarer en les suivant.
Ne croïons pas que le principe de la Basse fondamentale se borne à ce que nous en avons déja tiré; il s'étend jusques sur le goût, et sur quantité de moïens de varier l'Harmonie, le Chant, le Dessein, et le Rapport des différentes parties de la Musique; ceux qui sont capables de réflexion, n'auront pas de peine à l'entrevoir.
Cette Basse fondamentale doit même fournir les moïens de trouver les rapports de Modes les plus conséquens aux rapports des Phrases qui se succedent dans le discours; enfin elle peut conduire jusqu'à faire connoître les differens intervales les plus propres aux differentes expressions, et de quelle Harmonie, aussi-bien que de quels Modes ils doivent pour lors dépendre. Je serois trop riche si je possedois cette matiere, j'avoue que je cherche encore, j'entrevois l'objet de trop loin, je n'y puis atteindre sans le secours d'un habile Philosophe qui me mettroit au fait de la juste difference entre les rapports des sentimens, sur laquelle difference je pourrois peut-etre en [-201 <recte 227>-] découvrir quelques-unes d'Anologues entre les Modes, et entre les differentes manieres de passer de l'un à l'autre.
On peut juger, sur l'exposé du Chapitre précédent, combien il est facile de donner une Méthode simple, précise, et abregée de la Composition, et du peu de tems qu'il faut pour en tirer toutes les connoissances nécessaires dans la pratique.
Fin de l'Ouvrage.
[-Pijv-] TABLE DES MATIERES.
Chapitre I. Origine de l'Harmonie. Page 1.
Ce Chapitre contient plusieurs Propositions, Premiere et Deuxiéme. Sur la maniere dont le rapport des Sons peut nous être connu; Troisiéme. Sur la division de l'Air en une infinité de Particules; Quatriéme. sur l'action des Corps sonores sur l'Air, et sur la réaction ce cet Air sur ces mêmes Corps, et cetera en outre, plusieurs Expériences qui confirment ces mêmes Propositions, qui prouvent que le Son apprétiable est Harmonieux de sa nature, et en quoi consiste son Harmonie.
Chapitre II. Des différens objets de la Musique. 30
Chapitre III. Origine des bornes de l'Harmonie, de sa Succession, de sa Réduction à ses moindres degrés, et de son Renversement. 33
Chapitre IV. Origine des Successions fondamentales et Harmoniques, d'où l'on tire des Progressions Géometriques, et cetera. 38
Chapitre V. Origine des Consonnances, et des Dissonnances. 50
Chapitre VI. Origine du genre Diatonique, des Tétracordes et Systêmes tant anciens que modernes, de la Mélodie, des rapports naturels entre les Sons de la Trompette, et des Tymbales du [-Piijr-] Mode naturel, de la Liaison, des Cadences, et de la Note sensible; origine qui consiste dans la Quinte. 57
Chapitre VII. Origine du Tempéramment, sa Théorie, et sa Pratique. 75
Ce Chapitre contient plusieurs Expériences, qui prouvent que la Voix tempére d'elle-même, et que l'Oreille qui la conduit n'y a d'autre guide que la Succession, ou Basse, fondamentale.
Chapitre VIII. Origine sensible des Progressions et Proportions. 105
Chapitre IX. Origine de la Dissonnance, et de son double emploi. 107
Chapitre X. Origine de la succession déterminée aux Dissonnances, sous les titres de Préparer, et Sauver. 119
Chapitre XI. De l'extension de l'ordre Diatonique jusqu'à l'Octave dans le Mode naturel. 129
Chapitre XII. Origine du Mode mineur, où il est démontré qu'il n'y a que deux Modes, le majeur, et le mineur. 132
Chapitre XIII. Origine du Rapport des Modes. 137
Chapitre XIV. Origine du Genre Chromatique, et de l'Enharmonique. 145
Chapitre XV. Origine des Cadences Rompues, et Interrompues. 156
Chapitre XVI. Origine de la Supposition, et de la Suspension. 158
Chapitre XVII. Récapitulation. 162
Chapitre XVIII. De la Modulation en général. 169
[-Piijv-] Ce Chapitre contient les régles de la Composition, et la maniere de trouver la Basse fondamentale sous un Chant donné.
Chapitre XIX. Réflexions sur le différens Systêmes de Musique, et sur les Méthodes en conséquence. 217
Il est prouvé dans ce Chapitre, que les Anciens n'avoient d'autre connoissance de la Musique que celle qu'on en peut tirer par la seule expérience, qu'il en est de même encore des Modernes, d'où leurs régles sont presque toutes fausses.
Fin de la Table des Matieres.
[-Piiijr-] TABLE ALPHABETIQUE DES TERMES.
A.
ACcord Parfait, ou Naturel. C'est l'assemblage de trois Sons ou Notes à la Tierce l'un de l'autre, ut. mi. sol, auquel on ajoute l'Octave d'ut, si l'on veut.
Accord Dissonnant. Cet Accord contient une Tierce de plus que le Parfait, du côté que l'on veut.
Accord fondamental. C'est l'un des deux précédens.
Accord Renversé. Voïez Renverser.
Accord Par Supposition. C'est un Accord Dissonnant disposé par Tierces, et au-dessous duquel on ajoûte une Tierce, ou une Quinte.
Ajouté. Ce terme suppose la Note qu'on ajoute au-dessous de l'Accord Parfait, pour en former un Accord Dissonnant.
Aigu, signifie haut, au-dessus. L'Aigu est contenu dans le grave.
Aliquante, Partie aliquante. C'est le double, le triple, le quadruple, et cetera selon l'ordre des nombres; ce qui répond aux multiples.
[-Piiijv-] Aliquote, Partie aliquote. C'est une partie d'un tout qui suit l'ordre des nombres, comme, un demi, un tiers, un quart, et cetera et qui se marque ainsi [1/2 1/3 1/4], et cetera le chiffre d'en haut en est le Dénominateur qui dit toujours un, et celui d'en-bas en est le Numérateur qui dit demi, tiers, quart, et cetera ce qui répond aux Soumultiples.
Appretier un Son. Cela signifie, sentir le degré d'un Ton de ce Son, de maniere qu'on puisse en entonner de soi-même l'Unisson, ou l'Octave.
B.
BAsse fondamentale, ou Son fondamental. C'est le Son de la totalité d'un Corps sonore, avec lequel résonnnent naturellement ses parties aliquotes [1/2 1/3 1/5], et qui composent avec lui l'Accord parfait, dont il est toujours, par conséquent, le Son le plus grave, lors même qu'on y ajoute la Dissonnance.
Bemol. C'est un signe fait ainsi b, et qui diminue un Son d'un Demi-ton mineur, sans qu'il change de nom; par exemple, sib signifie un si qui est un Demi-ton mineur plus bas, plus grave que le si connu.
C.
CAdence. Voïez l'Article VII. du Chapitre VI.
Comma. C'est un très-petit intervale qui naît de la différence des premieres différences, l y en a trois différens; l'un dont le rapport est [-Pvr-] de 80. à. 81. fait la différence du Ton majeur au mineur; l'autre dont le rapport est de 2025. à 2048. compose avec le précédent le quart de Ton, dont différent entr'eux le Demi-ton majeur, et le mineur; le dernier est celui qu'on attribue à Pithagore, et dont le rapport qui est de 524288. à 531441. sert au Tempéramment. Voïez Tempéramment.
Commensurable. Ce terme signifie tout ce qui peut se mesurer comme nombre à nombre, le demi, le tiers, le quart, et cetera ou le double, le triple, le quadruple, et cetera sont commensurables.
Commune Mesure. C'est la Mesure qui peut mesurer deux ou plusieurs grandeurs. La plus grande commune Mesure est celle qui seule peut mesurer deux ou plusieurs grandeurs en moins de fois; par exemple, si 1. et 2. peuvent également mesurer 4. et 6. 2. en est seul la plus grande commune Mesure.
Corps Sonore. C'est tout Corps qui rend un Son, comme la Voix, la Corde, le Tuyau, et cetera.
D.
DEgré. C'est la distance d'un Son à un autre, cela s'appelle plus proprement Intervale.
Le moindre Degré. C'est celui qui est formé de deux Sons, entre lesquels l'Octave de l'un ni de l'autre ne puisse être contenue; par exemple, 2. 8. ne sont pas les moindres degrés, puisque l'Octave aiguë de 2, ou la grave [-Pvv-] de 8, qui est 4, peut y être contenue.
Les moindres Degrés naturels sont ceux entre lesquels nous ne sentons pas qu'on puisse naturellement en insérer un autre.
Demi-ton. Il y en a un Majeur, et un Mineur, le premier est naturel, et s'appelle Diatonique; le dernier n'est pas si naturel, et s'appelle Chromatique, il fait la différence de la Tierce majeure à la mineure.
Diatonique. Ce terme s'applique à tous les moindres degrés, ou intervales que nous entonnons naturellement. Voïez Genre.
Dieze. C'est un signe fait ainsi [], ou ainsi [x], qui éleve un Son d'un Demi-ton mineur sans lui faire changer de nom; par exemple, si[x] signifie si qui a un Demi-ton mineur de plus que le si connu.
Directe, Intervale Directe. C'est un intervale dont le Son aigu est toujours comparé au fondamental. Voïez Basse fondamentale.
Dix-septiéme. C'est la Tierce de la double Octave: on ne cite pas ordinairement cet intervale dans la pratique, non plus que tout ceux qui excédent de même l'étendue d'une Octave, parce qu'on les y réduit tous naturellement à leurs moindres degrés.
Dominante. C'est la Quinte d'un Son quelconque.
Douziéme. C'est la Quinte de l'Octave. Voïez Dix-septiéme.
[-Pvir-] E.
EGal. Ce terme se marque ainsi =, pour dire qu'un rapport, ou qu'une proportion est égale à une autre.
F.
FOndamental, Son fondamental. C'est celui qui domine dans les Corps sonores, qu'on croit y distinguer seul, celui dont on sent d'abord l'Unisson ou l'Octave, le plus grave, le plus bas de tous dans l'Accord fondamental. Voïez Basse fondamentale.
Succession Fondamentale. C'est une succession de Sons fondamentaux.
G.
GEnre. Il y a deux sortes de Genres en Harmonie, d'abord ceux du majeur et du mineur, auxquels la différence de la Tierce majeure à la mineure sert d'origine; ensuite les Genres Diatonique, Chromatique, et Enharmonique, qui ont chacun leur origine particuliere; le premier dans le Chapitre VI. et les deux derniers dans le XIV.
Grave signifie bas, au-dessous.
H.
HArmonie. C'est l'union agréable de plusieurs Sons.
Harmonique. Proportion Harmonique; cette Proportion est renversée de celle de l'Arithmétique, [-Pviv-] elle est toujours continue, c'est-à-dire, composée seulement de trois termes, comme 1. 1/3 1/5, au lieu que celle de l'Arithmétique est 1. 3. 5.
Son Harmonique. C'est un Son compris dans l'Harmonie du fondamental, comme sa Tierce, sa Quinte, ou son Octave, même sa Septiéme, et sa Sixte majeure, lorsqu'il s'agit des Dissonnances.
I.
INtervale. Voïez Degré, Directe, Dix-septiéme.
M.
MElodie. C'est le Chant d'une seule partie.
Monocorde. C'est un Instrument où il n'y a qu'une Corde, mais où cependant on en peut insérer plusieurs; on marque au-dessous de cette Corde toutes les divisions possibles, du moins celles dont on a besoin, et avec un Chevalet mobile qu'on applique sous cette Corde, on la partage à telle division que l'on veut, pour en éprouver l'effet.
Multiple. Voïez Aliquante.
N.
NEuviéme. Voïez Onziéme.
Note-Tonique. Ce terme répond dans la pratique à celui de Son principal. Voïez Principal.
[-Pviir-] O.
ONziéme. C'est la Quarte de l'Octave, et c'est improprement qu'on l'appelle toujours Quarte dans la pratique, puisque celle-ci y est Consonnante, au lieu que la Onziéme y est Dissonnante. On n'en a pas fait de même de la Neuviéme qui est la Seconde de l'Octave, ou les y distingue l'une de l'autre, quoique cependant toutes deux Dissonnantes, mais dérivant d'un principe différent; la Seconde naît du Renversement de la Septiéme, et la Neuviéme de la Supposition. Voïez le Chapitre XVI.
P.
PArtie. Voïez Aliquote.
Partition. Ce terme dont on se sert dans la Musique pour dire que toutes les parties y sont pour lors exposées ensemble, signifie d'ailleurs, sur-tout a l'égard de l'Orgue et du Clavecin, la maniere dont les Sons doivent y être accordés entr'eux.
Principal. Son principal. Ce Son est le fondamental sur lequel roule tout le Mode, toute la Modulation, il est toujours le terme moïen d'une Proportion triple; il est le seul dont l'Harmonie parfaite, c'est-à-dire, l'Accord parfait, ne puisse être altéré par l'addition d'une Dissonnance. On l'appelle Note du Ton, ou Note-Tonique dans la pratique.
Progression. C'est-à-dire, succession; mais c'est le terme propre en Géométrie, pour [-Pviiv-] exprimer une suite de termes qui sont toujours de l'un à l'autre en même proportion, comme 1. 2. 4. 8. et cetera 1. 3. 9. 27. et cetera 1. 5. 25. 125. et cetera.
Proportion. Voïez Harmonique.
Puissance. Ce terme signifie d'abord le pouvoir qu'une chose a sur l'autre, comme, par exemple, le plus fort sur le plus foible, le plus grand sur le plus petit: leur puissance est quelquefois réciproque, mais toujours proportionnée à leur plus de force, ou de grandeur. Il s'appplique aussi aux nombres d'une Progression, ou autant de nombres après l'unité, autant de Puissances, le premier nombre est la premiere Puissance, le second la seconde Puissance, ainsi des autres.
R.
RApport. C'est ce qui résulte de la comparaison de deux termes, de deux Sons; par exemple, ut et sol font en rapport de la Quinte, les termes qui marquent cette Quinte font en rapport de 2. à 5, ou de 1/2 à 1/3; ainsi du reste.
Réduire un rapport à ses moindres termes, c'est prendre le moindre nombre possible qui puisse servir de commune Mesure aux deux termes du rapport; de sorte qu'autant de fois qu'il les mesure donnent deux nombres qui en font justement les moindres termes; par exemple, 20. 25. peuvent se réduire à 4. 5. puisque 20. est mesuré 4. fois par 5, et 25. 5. fois par le même 5.
[-Pviiir-] Réduire un rapport à ses moindres degrés, c'est doubler le plus petit terme jusqu'à ce qu'il approche du plus grand autant qu'il est possible, sans qu'il le surpasse; c'est en fait de Sons, porter un Son d'Octave en Octave jusqu'au point déja cité.
Renverser signifie changement d'ordre entre les Sons d'un Rapport, d'une Proportion, d'un Intervale, d'un Accord, de maniere que tel Son qui étoit au grave se trouve à l'aigu, ou au milieu.
S.
SOudominante. C'est la Quinte audessous, et par Renversement la Quarte du Son principal, dit Note-Tonique, et qui se trouve immédiatement au-dessous de la Dominante dans l'ordre Diatonique.
Soumultiple. Voïez Aliquote.
Succession. Voïez Progression.
Sudominante. C'est la Note qui est immédiatement au-dessus de la Dominante dans l'ordre Diatonique.
Sutonique. C'est par rapport à la Tonique ce qu'on vient d'expliquer à l'égard de la Sudominante.
T.
TEmperamment. C'est la maniere de modifier les rapports naturels des intervales, pour qu'un même Son puisse en même-tems [-Pviiiv-] former la Tierce de l'un, et la Quinte de l'autre.
Terme signifie en Géométrie les choses que l'on compare entr'elles, soit nombres, soit Corps, soit Sons: 2. 3. 4, et cetera sont autant de termes.
Terme moïen, c'est celui du milieu.
Termes extrêmes, ou simplement, les extrêmes, sont le plus petit et le plus grand.
Fin de la Table Alphabétique des Termes.