TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: COUMUS1 TEXT
Author: Cousu, Antoine du
Title: La Musique universelle, Livre premier
Source: La Musique universelle, contenant tovte la pratiqve, et toute la Theorie (Paris, 1658; reprint ed. Genève: Minkoff, 1972), 1-74.
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[-i-] LA MVSIQVE VNIVERSELLE, CONTENANT TOVTE LA PRATIQVE, et toute la Theorie.

LIVRE PREMIER.

Definition de la Musique en general, sa diuision, et son etymologie.

CHAPITRE PREMIER.

MOn dessein estant de faire vne exacte description de la Musique et de toutes ses parties je ne m'arresteray pas à montrer s'il y a vne Musique ou Harmonie, puisque pour le connoistre il suffit d'auoir des oreilles, comme il suffit d'auoir des yeux pour connoistre s'il y a vne lumiere ou vn Soleil; Ie me contenteray de faire voir quelle est la Musique, son sujet, son objet, ses especes et ses parties, sa fin, et quel rang son excellence luy fait tenir entre les Mathematiques, et je commenceray par la definition qui est comme l'ame de la chose definie.

La Musique (parlant en general) n'est autre qu'Harmonie; ou bien c'est vn accord de diuerses choses qui se peuuent joindre ensemble.

Il y a trois sortes de Musique, sçauoir est Mondaine, Humaine et Instrumentale.

La premiere considere les diuers mouuemens et parties des Cieux, auec toutes les relations harmoniques qui s'y rencontrent.

La seconde contemple la proportion des parties et des humeurs du corps humain, et les harmonies de l'Ame, tant à raison de ses facultez, passions et actions, que de ses vertus.

[-2-] Et ce mot de Musique est pris le plus souuent pour vne proportion, symmetrie, concorde et amitié des corps celestes, et de la Nature vniuerselle, tant en l'vniuers generalement, que particulierement d'vn corps particulier à vn autre particulier, et c'est pour cela qu'elle est nommée Musique Mondaine et Humaine.

La troisiesme, traite des Instruments naturels et artificiels, et de tout ce qui leur appartient, et generalement de tout ce qui regarde le chant; et c'est de cette troisiesme Musique Instrumentale que je veux traiter à present, laissant a part les deux premieres qui sont la Mondaine et l'Humaine que j'estime beaucoup plus curieuses que necessaires.

Le mot de Musique est veritablement pris des Muses, quoy que plusieurs Autheurs ayent d'autres opinions particulieres pour ce sujet; mais la plus commune et la plus asseurée est, que La Musique tire son etymologie des Muses.

Definition de la Musique Instrumentale, et sa diuision en Speculatiue et Pratique.

CHAPITRE II.

APres auoir donné la definition de la Musique en general, et ayant fait sa diuision et montré l'essence et la Nature de chaque partie separément: Il reste à faire voir particulierement ce que c'est que la Musique Instrumentale, puisque c'est la seule des trois que j'ay choisie, et que j'entreprens de traiter.

La Musique Instrumentale est l'harmonie qui procede des Sons et des Voix.

C'est vne science Speculatiue des Mathematiques, laquelle considere auec le sens et la raison, les Sons, les Voix, les Nombres, les Proportions et leurs differences, disposant les voix graues et aiguës chacune en son lieu selon leurs proportions requises.

Elle se diuise comme quelques autres sciences en deux parties; c'est à dire, en Theorique ou Speculatiue, et en Pratique.

La premiere examine les Sons, leurs Proprietez, et leurs Raisons harmoniques.

La seconde les reduit en pratique, en composant et chantant toute sorte de pieces de Musique.

Or ces deux parties de la Musique, sont tellement jointes ensemble (considerant la Musique en sa perfection) qu'on ne les peut separer en façon quelconque; car si par la Speculation ou Theorie, on descouure quelque secret, quoy que ce ne soit pas en vain, ce sera pourtant sans aucun fruict, si on ne le reduit à sa derniere fin, qui consiste en l'execution et en l'exercice des Instruments naturels ou artificiels: Comme aussi il est bien difficile (s'exerçant dans la Pratique) [-3-] de faire quelque chose de bien et qui approche de la perfection, sans la raison et sans la Speculation ou Theorie; et c'est ce qui m'oblige à ne les point separer.

Or quoy que ma principale intention soit de traiter la Pratique tres-amplement et fort clairement, je diray pourtant de la Speculation tout ce que j'en jugeray necessaire pour mon dessein, et je la rendray fort intelligible.

Doncques la Musique Instrumentale est Speculatiue et Pratique.

La Speculatiue considere le nature des Sons, des Voix, des Consonances et des Interualles.

Et la Musique Pratique (que les Grecs appellent Melopée) donne les preceptes pour bien composer en Musique, et pour faire, et pour chanter toutes sortes de pieces, et pour jouër auec toutes sortes d'Instruments, tout ce qui a esté composé, et tout ce qu'on veut.

L'on diuise encore celle cy en Naturelle ou Vocale, et en Artificielle, laquelle aussi on appelle Organique ou purement Instrumentale; et c'est à cause qu'il y a des Instrumens naturels et artificiels: La Naturelle est celle qui se fait auec les voix naturelles.

L'artificielle est celle qui se fait auec les Instrumens artificiels.

L'on diuise encore la Musique Pratique en Figurée ou Mesurée, et en Plaine ou vnie, ou Plainchant.

La Musique Figurée est celle de qui les notes et figures sont inégales, et que l'on augmente ou diminuë selon le Signe qui les precede.

L'autre que l'on appelle Gregorienne ou Plainchant, est celle qui garde vne mesure égale en ses notes ou figures, sans augmentation ny diminution aucune.

L'on diuise encore la Musique, en Harmonique, Rytmique, Metrique et Accentuelle; La premiere considere seulement les Sons quant au graue et à l'aigu: La seconde considere la vitesse et tardiueté des Sons et des Mouuemens harmoniques: La troisiesme, considere quels vers sont propres pour mettre en Musique et en toutes sortes de Concerts, et joint les pieces Metriques aux Consonances. Finalement la quatriesme enseigne de quel Air, Ton ou Accent on doit chanter, ou prononcer ce qu'on dit quand on parle ou qu'on chante. En vn mot l'Accentuelle signifie les accents qui nous seruent pour hausser ou baisser les syllabes; c'est pourquoy, il faut que ces accents soient accompagnez de l'aigu, ou du graue, et d'vne promptitude, ou tardiueté: Les Accents prennent leur nom de ces deux dictions Latines, ac cantus, c'est à dire, comme le chant, ou semblable au chant, parce que les accents rendent nos discours semblables aux chants: Cette partie peut estre appellée Prosodie, parce qu'elle sert aux Chansons et à la prononciation. Mais je laisse toutes ces diuisions pour m'arrester à celle que j'ay faite cy-dessus, qui contient la Theorique ou Speculatiue, et la Pratique; où je feray voir tout ce qui est de plus necessaire et vtile à vn veritable Musicien.

Or pour definir proprement la Musique selon cette diuision, l'on peut dire auec Boëce liure 1. chapitre 1. que, La Musique est vne science qui considere auec le sens et la raison, la difference des Sons graues et aigus, donnant le moyen de bien et harmonieusement chanter, ou bien auec Franchin. Liure 1. chapitre 1.

[-4-] La Musique est vne disposition de Sons proportionables, separez par propres interualles, laissant au sens et à la raison vne vraye preuue de sa Consonance.

Cette science en general traite des Sons, Harmonies, Consonances, Tons, Interualles, Diastemes, Systemes, Genres ou Especes, Muances, Modulations, et de semblables autres matieres qui luy sont propres, desquelles chacune à part je donneray vne entiere intelligence, auant que d'entrer dans les matieres de la Pratique.

Elle est appellée Science, parce qu'elle est vne partie des Mathematiques, et par consequent vne Science qui montre les causes, les effets et les proprietez des Sons, des Chants, des Compositions, et de tout ce qui leur appartient; c'est pourquoy, la Musique est noble, excellente, et tres-certaine; puisqu'elle est vne partie mixte des Mathematiques, et quelle a des demonstrations tres-veritables, qu'elle fonde sur ses propres principes, comme je feray voir cy-apres, en traitant des Sons, de l'Interualle, de la Consonance, de la Dissonance et des autres matieres cy-dessus promises.

La Musique est subalterne et despendante de l'Arithmetique, à cause des Nombres qui luy seruent; et de la Geometrie, à cause des lignes et des raisons connuës et explicables, ou inconnues et inexplicables, et de ses principes dont elle se sert: Et aussi de la Physique de qui elle emprunte la cognoissance du Son et de ses causes, tels que sont les Mouuemens, l'Air, et les autres corps qui produisent le Son.

Finalement cette Science est vn Art, car elle se sert d'vn grand nombre de regles et de preceptes qui enseignent la maniere de joindre les Sons, les Mouuemens et les Mesures, afin de faire toutes sortes de compositions: Or il faut remarquer que l'Art et la Pratique, ne sont qu'vne mesme chose, quand l'Art montre la verité de ce qu'il fait, ou de ce qu'il considere pouuoir estre fait.

De l'vtilité et des effets admirables de la Musique: En quelle estime elle a esté chez les Anciens: Et comment sa Pratique et sa Theorie se doiuent joindre ensemble, et de la façon qu'on s'en doit seruir.

CHAPITRE III.

L'Art de la Musique nous apporte vne grande vtilité, et ses effets sont merueilleux quand nous nous en seruons honnestement et auec la temperance requise.

La Musique adoucit et appaise l'ire de Dieu: Elle gouuerne les esprits des hommes auec vne merueilleuse douceur, et leur oste tout soin, chagrin, et soucy, pour fascheux qu'il puisse estre, et elle fait vn meslange des choses vtiles et necessaires, auec celles qui sont douces et agreables: Il n'y a personne de quelque aage que ce soit, qui ne prenne plaisir et ne se res-joüisse d'entendre vne Melodie et vne bonne Harmonie.

[-5-] Elle adoucit et diminuë la peine de ceux qui trauaillent; et mesme les petits enfans s'appaisent d'entendre chanter, et tesmoignent apres les pleurs vne allegresse bien grande, tant il est vray que la Musique est agreable, et qu'elle resjoüit non seulement l'homme qui est capable de raison, mais aussi beaucoup d'autres animaux qui en sont priuez, lesquels sont transportez aussi bien que les hommes par la Melodie.

Le Laboureur charme ses boeufs fatiguez en chantant, tesmoin le Boucoliasme des Grecs: Les Cerfs prennent plaisir au son des Flustes, et les Clochettes ou Cimbales releuent de peine les Mulets et autres bestes de voiture, en ce qu'elles ont vn air de consonance: Et Iean Leon asseure que les Chameaux font vne plus grande journée par le moyen de certaines chansons, que par le foüet ou le baston.

Les Daulphins se laissent charmer par la voix au trauers des eaux, et s'assemblent autour d'vn Arion qui joüera melodieusement de sa Harpe, et sont particulierement sensibles au jeu de la Fluste.

Finalement la Grece licencieuse a voulu que les bois et les rochers suiuissent les doux accens de la voix d'Orphée, parlant ainsi fabuleusement de ce grand Philosophe Musicien, pour en quelque façon nous faire comprendre la puissance de son Art: De forte que l'on pourroit dire auec verité que celuy qui n'aymeroit pas la Musique, ne seroit pas fait ny composé auec Harmonie; mais que la Nature luy auroit manqué en beaucoup de choses, ayant l'esprit bas et sans jugement.

Anciennement la Musique tenoit le premier rang entre les sciences necessaires pour l'institution des bonnes moeurs; Et tout ainsi que la Luite, la Course, le Sault, l'Escrime, et tels autres exercices estoient receus pour l'entretien necessaire de la santé corporelle; de mesme la Musique seruoit d'exercice pour reduire l'Ame en vne parfaite temperie de bonnes moeurs, loüables et vertueuses, ayant la force d'esmouuoir et d'appaiser ou d'adoucir les passions et affections, par vne naïfue puissance et secrete energie, en ramenent les esprits à la droite raison.

Et pour entrer dans ses plus secrets mysteres, ne lisons-nous pas auec estonnement, que Pithagore a guery par la Musique les malades tant du Corps que de l'Ame, moderant les passions de celle-cy, et tenant celuy-là en bonne disposition? Qu'en la ville d'Amasie Metropolitaine de l'Hellespont, par vne Chanson du Ton Phrygien il a remis en bon estat vn Enfant presque mort de trop boire? Qu'il purgeoit au soir la teste par certains chants, jusques à concilier par ce moyen le doux sommeil à ses Disciples, et leur procurer des songes agreables? Que par d'autres chants au matin il se deliuroit des pesanteurs qui empeschent le liberté des fonctions de l'Ame? Que vacquant à la contemplation des Astres, et trouuant la nuict vn jeune homme Taurominitain desesperé à la porte de sa Maistresse, de ce que son Riual la possedoit, il le remit en son bon sens, faisant changer au joüeur de Fluste, qui donnoit la Serenade, le Son ou Mode Phrygien en vn autre Spondaïque ou Sacrifical?

Ne lit on pas qu'Achille en joüant de la Harpe reprimoit le boüillon de sa cholere? Que Chiron deuoit aux doux accords de la sienne, la parfaite constitution [-6-] de son esprit? Ne sçauons-nous pas que Thales le Candiot commande par Apollon deliura les Lacedemoniens de peste par la Musique? Et que les Grecs s'en aydoient comme de remede ordinaire en ce mal? Que certaines Melodies de Flustes guerissent les gouttes? Que le Medecin Asclepiades par d'autres a guery des phrenetiques? Qu'Erophilus faisoit battre le poulx és arteres à la cadence de sa Musique? Qu'Antigenidas joüeur de Flustes, ou Xenophante comme l'appelle Seneque, sonnant vne Chanson militaire deuant Alexandre, ce Prince en fut si encouragé, qu'il courut soudainement aux armes? Que les Lacedemoniens se sentoient esmeus à la guerre au son des Haubois, et de la Chanson Castorienne? Ne sçauons-nous pas encore que les Candiots se portoient droit à l'ennemy au son de la Lyre? Que Clitias Pythagorien radoucissoit les fureurs joüant du Cithre? Que Terpandre appaisa la sedition de Lacedemone? Qu'Empedocle chantant d'vne façon particuliere vn vers d'Homere, retint vn jeune homme, qui pour venger la mort de son pere, auoit la main à l'espée pour porter vne estocade dans le corps d'Anchitas son hoste?

Mais outre cela, l'on a tenu pour certain que les moeurs des peuples prennent pied à l'espece de Musique de laquelle on vse parmy eux: Surquoy fondez les Lacedemoniens bannirent de leur Estat le grande Musicien Timothée, pour auoir changé quelque chose en l'ancienne Musique, et pour auoir ajousté vne chorde à son Instrument, comme s'il eust par là corrompu leur jeunesse, en rendant la Musique trop molle, de modeste et virile qu'elle estoit.

Les Cynethenses deuindrent farouches et cruëls ayant quitté et mesprisé la Musique qui autrefois les entretenoit, comme tous les autres peuples d'Arcadie, en vne douceur de vie et humanité de moeurs, et se rendirent par là abominables à tous, et furent enfin chassez de leur ville.

Au contraire les Afriquains de Bugie, qui anciennement estoient reputez gens fort belliqueux, sont deuenus si lasches et poltrons, par l'exercice de certains Chants qu'ils ont en recommandation, qu'eux et leur Roy s'enfuïrent au seul abord de Pierre de Nauarre, qui les alla attaquer auec vne petite flotte de quatorze vaisseaux.

Bref, ces diuerses puissances de la Musique l'ont fait distinguer par les Maistres en Morale, Effectrice, et Enthusiastique ou Abstractiue.

Les causes de tels effects ont esté jusques icy admirées, et non plus descouuertes à plein que celles de la Voix, de l'Odeur ou du Vent: La force desquelles choses est fort experimentée, et la substance fort cachée.

Il y a des Auheurs qui ont donné à la Voix des noms differents selon les diuers effets qu'elle produit; ils l'ont nommée Belle, Agreable, Douce, Admirable, Illustre, Diuine, Oeuure admirable, Don excellent, et tres-Aymable: Ils ont dit qu'elle enfante tantost le contentement et l'amour, tantost qu'elle porte à la rage et à la fureur les esprits: Qu'ores elle rabat les fumées des plus esmeus, puis elle calme les ames passionnées: qu'elle endort, et qu'elle esueille agreablement, elle domine les moeurs et r'asseure les plus timides; bref, l'on peut dire que la belle Voix est maistresse de nos voloutez, guide nos pensées où il luy plaist, et possede toute nostre Ame.

Mais cela s'entend quand elle est bien gouuernée sous vn Mode propre à la [-7-] nature du sujet, en y obseruant exactement les Mouuemens, les Temps, et les Mesures, (comme le pratique parfaitement bien l'incomparable Monsieur Berthod de la Musique eu Roy;) Et alors, bien que la Voix soit seule, ou qu'elle soit jointe auec d'autres Parties, cette melodie ou Musique excite et resueille l'esprit, elle adoucit et appaise la cholere et la furie, et rend vne Ame tranquille.

Elle fait passer le temps moralement bien, et a cette puissance que de faire naistre en nous des habitudes loüables et vertueuses, particulierement si l'on en vse comme l'on doit, et auec la temperance requise; parce que le propre de la Musique estant de plaire, l'on s'en doit seruir honnestement, et non pas au contraire, de peur qu'il n'arriue le mesme qu'à ceux qui prenant du vin outre mesure, en ressentent du dommage et du blasme, non que la nature du vin soit mauuaise; mais c'est pour en auoir pris auec intemperance et trop d'auidité: car toutes les choses sont bonnes, quand auec la temperance l'on en vse pour la fin à laquelle elles ont esté ordonnées; comme au contraire elles sont mauuaises, nuisibles et pernicieuses, quand l'on s'en sert contre leur fin principale.

Or l'homme estant né non seulement pour chanter, ou jouër du Luth, ou d'autres Instrumens qui ne satisfont qu'a l'oüye; mais encore pour des choses plus excellentes, il abuse de sa nature et s'esloigne de sa propre fin, quand il ne donne pas aussi l'aliment necessaire à son esprit, qui desire et aspire toujours de sçauoir et apprendre des choses nouuelles: C'est pourquoy il ne se doit pas arrester à la Pratique seulement; mais il faut qu'il s'adonne encore à la Theorie, par le moyen de laquelle il paruiendra à vne plus grande connoissance de ce qui concerne son vsage, moyennant lequel il reduira en l'action tout ce qu'il aura compris par vne longue Speculation, et c'est ainsi qu'vn Art et vne Science sont vtiles, quand elles sont accompagnées de la sorte, et faisant autrement, l'on n'en receuroit pas grande vtilité ny beaucoup de gloire, ains au contraire du desplaisir et du mespris; dautant que s'exerçant continuellement en la Pratique de la Musique sans autre estude ou Speculation, elle cause vne certaine negligence et paresse, et rend assez souuent les esprits mols et effeminez.

Or j'ay fait tout ce discours apres vn rare Autheur, et sans dessein d'offencer ny de blasmer qui que ce soit de ceux qui font de semblables exercices; mais seulement afin qu'on ne s'atreste point tant à cela, que l'on ne s'applique aussi à d'autres sciences honnorables et serieuses, et afin encore que ceux qui veulent faire profession de cet Art s'addonnent auec plus de courage et d'affection à la Speculation ou Theorie, laquelle estant jointe auec la Pratique, leur facilitera le moyen pour toutes sortes de vertus, et pour plusieurs autres Sciences, pour l'intelligence desquelles et des autres Arts, la Musique est necessaire, ou du moins peut de beaucoup seruir; comme aussi (pour estre parfait Musicien) l'on auroit besoin des autres Sciences, des Arts liberaux, et de quelques vns des Mechaniques, à cause de la liaison qu'elles ont toutes les vnes auec les autres.

La Theorie de la Musique fait les loix sourdement et en silence pour les Sons agreables et pour les belles Voix, et en reconnoist la perfection deuant qu'elles paruiennent à l'oreille: voire mesme en donne vn jugement plus asseuré que le propre sens, qui peut estre empesché ou offencé, et se tromper en la [-8-] naïfue distinction des Sons aigres ou doux, des aigus ou des graues: là où l'Ame apres auoir discouru sur vne composition musicale, elle en jugera infailliblement par ses Nombres, la beauté ou le deffaut, à quoy acquiescera vn jugement bien pur et net, si tost qu'il l'entendra.

Merueilleuse sympathie de l'Ame et du Corps, des Nombres et des Sons, des plaisirs exterieurs et interieurs; veu mesme que non seulement l'oreille de l'homme se plaist en cette beauté vocale que la raison a ordonnée; mais celle des bestes mesme s'en recognoist flattée, ainsi qu'il a esté dit cy-dessus.

I'apporteray encore icy pour l'vtilité et pour la loüange de la Musique, ce qu'en a escrit ce torrent de science Ponthus de Thiard, Masconnois, Euesque de Chaalons, dans le Traité qu'il en a fait, et ce par ces propres mots.

La Musique (dit-il) est estimée par la moins recuable trouppe des Sages contenir en soy toute perfection de symmetrie, et est retenuë comme pour image de toute l'Enciclopedie, et semble si viuement rapporter entre nous le vray porrait de la Temperance, que celuy qui ignore la Musique, doit penser et estimer son ame estre impuissante d'arriuer au but que luy montre cette vertu, qui ne peut estre jamais assez loüée. Finalement il dit, Que la Musique contient toute discipline, et qu'elle est entierement propre à esmouuoir et à moderer les passions.

Aristoxene asseure qu'elle occupe en nous l'esprit et le corps, le jugement et l'oreille, et que nostre Ame n'estoit rien qu'vne Harmonie, ou pour le moins qu'elle ne subsistoit que par l'Harmonie, ce qui estoit aussi l'opinion des Anciens Philosophes. Et Platon dit, Que la Musique est vne Science qui comprend tout, remplit tout, forme tout, a composé les Cieux, entretient les elemens, et donne loy de l'estre à toutes choses par ses proportions: En vn mot Pythagore dit, Que Dieu mesme et toute la Nature n'estoit rien qu'vne Harmonie.

Les Anciens ont dit encore, Que les Cieux font vn Concert et vne Harmonie tres-agreable, et pour cette cause les Grecs ont inuenté neuf Muses, comme autant de Syrenes et de Voix qui annoncent les loüanges du Createur: Vranie a esté mise au Firmament, à laquelle on attibuë l'inuention de l'Astrologie, et a eu l'Astrolabe pour Musée; Polymnie a eu le Ciel de Saturne, et la Lyre pour Pindare; Erato le Ciel de Iupiter, et les Balets pour Sapho; Terpsycore celuy de Mars, et la Harpe pour Hesiode; Melpomene le Soleil auec ses beaux chants pour Thamire; Thalia la Comedie, et l'Agriculture pour Virgile, et le Ciel de Venus; Comme Euterpe celuy de Mercure, auec les Mathematiques pour Ouide; Clio le Ciel de la Lune, et l'Histoire pour Homere; Enfin Calliope, qui est la Maistresse du Concert, la neufiesme Sphere, et la Poësie pour Virgile.

On peut icy remarquer qu'entre les noms des Muses, celuy d'Heliconiades a donné le nom à l'Instrument de neuf chordes, qu'ils appellent Helicon, qui seruoit peut estre à chanter leurs loüanges sur Helicon Montagne de Boëoce, et à representer les neuf diuers mouuemens des Cieux, qui dansent vn Balet à l'honneur du premier Moteur.

Vn ancien Autheur rapporte encore les neuf Muses, à la liaison des sciences, quand il met neuf choses pour estre sçauant: Clio, signifie la pensée de sçauoir [-9-] et d'apprendre: Euterpe, le plaisir qu'on prend aux Sciences: Thalia, la proprieté qu'on a d'apprendre: Melpomene, la meditation: Polymnia, la memoire: Erato, l'inuention: Terpsycore, la disposition: Vranie, la contemplation et la Theorie: et Calliope, la beauté de la voix.

Or puisque le nom de la Musique (de laquelle je descris icy l'vtilité, les effets et les merueilles) a tiré son origine des Muses, il estoit bien à propos de mettre icy leurs noms, leurs proprietez, et les autres particularitez, (outre que cela faisoit au sujet qu je traite:) afin que celuy qui se veut perfectionner à la Musique, puisse parler de tout ce qui la regarde auec certitude et par Science: car ce seroit peu de dire que la Musique et les Muses sont nommez l'vn de l'autre, si on ne sçauoit ce que c'est des Muses aussi bien que de la Musique.

Ie finiray ce Chapitre en rapportant pour la loüange de la Musique, ce qu'en ont escrit plusieurs anciens Philosophes et grands Autheurs, ce qui fait bien voir l'estime qu'ils en ont fait, et particulierement les Grecs, au rapport de Ciceron: Platon deffendoit tres expressément par ses Loix de rien chanter que ce qu'elles auroient authorisé, parce qu'il ne croyoit pas qu'on pust alterer la Musique, sans qu'il se fit vn notable changement dans l'Estat, Negabat mutari posse Musicas leges, nisi mutatione legum publicarum: Et en effect beaucoup de Villes dans la Grece s'estoient desprauées par l'oreille.

Socrate fait tant d'estat de la Musique, qu'il chante dans le conuiue de Xenophon, et n'a point de honte (tout vieillard qu'il est) d'apprendre à joüer des Instrumens, et d'aller prendre des leçons chez vn Cithariste.

Dés la plus grande antiquité, les Philosophes et les Musiciens n'estoient qu'vne mesme chose, Fidem Musici, et Vates, et Sapientes iudicabantnr: Et les Intelligences des Cieux, des Syrenes: Pour nous, il est vray que nous conceuons presque toûjours les Anges chantans, et nous croyons que Dieu a la Musique si agreable, que nous taschons de l'appaiser de nos Hymnes; Et les fausses Religions mesmes s'efforcent de le payer en Chansons.

La Musique a ses graces, et ses Modes differents, qui symbolisent et vsent de complaisance enuers les plus bigearres, et les plus austeres. Elle entretient nostre joye, et flatte nostre tristesse également; elle s'accomode aux malades comme aux plus sains, et captiue doucement nostre esprit de quelque passion qu'il soit preuenu. Les autres plaisirs corporels ne moderent pas les passions, car ils nous jettent dans l'excés, dont ils sont les boutefeux; mais le plaisir de la Musique est si moderé, si innocent, et si spirituel, qu'il appartient plustost à l'entendement qu'au corps, et aux Anges qu'aux hommes: Et nous lisons que Pythagore fit quitter le dessein d'vne mauuaise action à vn jeune homme, par le moyen de la Musique. La santé est si musicale, que la maladie n'est rien qu'vne dissonance, qui est tellement addoucie et corrigée par la Musique, qu'on dit d'Arion et de Terpandre, qu'ils guarirent vn grand nombre d'Ioniens et de Lesbiens en chantant; aussi bien qu'Ismenias vne infinité de Boeociens trauaillez de la sciatique, ausquels il fit passer la douleur au son des Flustes.

Voila vne partie de ce qui se dit à l'aduantage de la Musique, laquelle au rapport de Quintilien, est la plus ancienne de toute les Sciences: Et Strabon ajoûte [-10-] que si l'on auoit raison de dire, Qu'on imitoit Dieu en bien faisant, c'estoit l'imiter beaucoup mieux en chantant.

Qui est celuy que l'on doit reputer pour veritable Musicien; Quel est le Praticien: Et quelle difference il y a entre l'vn et l'autre: Et l'vtilité de la Theorie et de la Pratique.

CHAPITRE IV.

C'Est vne maxime selon Boëce, que chaque Science et Art ont naturellement vne Speculation, vne Theorie ou raison, qui est beaucoup plus honnorable que l'Art ou l'ouurage qui s'exerce et se fait par la main et industrie de l'Ouurier: Car (dit-il) c'est vne chose bien plus releuée et excellente de sçauoir ce qu'on fait, que de faire ce qu'on sçait; dautant que l'Art ou l'artifice corporel est comme le Seruiteur, et la raison comme la Maistresse; Et l'Ouurier ou l'Artisan trauaille en vain, s'il ne fait ce qui luy est ordonné par la raison. Doncques (dit-il) la science de la Musique (en la cognoissance de la raison) surpasse d'autant l'artifice ou la pratique (qui ne gist qu'en l'action) que l'esprit surpasse le corps; Et l'on peut conclure (poursuit-il) quelle est l'excellence et le merite de sa Speculation ou raison, de ce que d'ordinaire ceux qui exercent quelque partie de sa Pratique, sont appellez et nommez, non pas du nom de la Science, mais bien du nom de leurs Instruments, comme le Trompette, le joüeur de Harpe, et autres.

Or celuy-là est veritablement Musicien qui auec la raison s'attribuë la Science de chanter, non par l'action, mais par la seule Speculation.

Il preuue encore l'excellence de la Speculation et raison par dessus l'Artifice ou Pratique, (mais par vne contraire application de noms) en ce que nous voyons ordinairement, que l'on nomme les superbes bastimens, edifices, et hostels, du nom de ceux qui par leur commandement, ordre, conduite et raison les ont fait bastir, et non pas du nom des Ouuriers ou Artisans qui les ont faits.

Apres cela il montre qu'il y a trois genres de personnes qui s'attribuent la Musique; à sçauoir, les joüeurs d'Instruments, les Poëtes, et ceux qui ont la Science et l'experience de les juger; mais il exclud de la Speculation de la Musique les deux premiers, et ne l'accorde qu'à ceux du dernier genre, qui jugent de tout par la Speculation et par la raison.

Doncques celuy-là est Musicien qui peut juger par la Speculation et par la raison de tout ce qui concerne la Musique, comme des Systemes, et des regles qu'on applique sur le Monochorde; des diuerses especes des Consonances, des diuers Genres, tant simples que meslez et composez; et de la proprieté des diuers Sons, des Voix, et de toutes les autres choses desquelles il sera parlé cy apres.

Bachius Autheur Grec, appelle celuy-là Musicien, qui connoist tout ce qui [-11-] appartient à la Modulation; c'est à dire les Sons que la Nature et l'Art nous fournissent.

Or le Praticien est celuy qui met en pratique ce que le Musicien propose auec raison: Et comme la fin du Speculatif est de sçauoir, ainsi la fin du Praticien est d'agir et d'exercer; Mais comme il est beaucoup plus loüable de sçauoir ce qu'on fait, que de faire ce qu'on sçait: il s'ensuit que le Speculatif et Theoricien est de beaucoup preferable au Praticien: L'on peut voir la difference qu'il y a de l'vn à l'autre, dans le Traité de la Musique qu'en a fait le Pape Iean XXII. au Chapitre second, où il dit entre plusieurs choses sur ce sujet, Est profecto Musicus ad Cantorem, sicut Praetor ad Praeconem. En vn mot suiuant l'opinion du Philosophe, il faut conclure en faueur du Theoricien, puisqu'il est le Legislateur et le Prince de la Science, et est comparé à l'Architecte, comme le Praticien au Maçon, qui ne sçait pas pourquoy on met plustost vne pierre d'vtelle quantité, figure, ou grandeur, en vn lieu qu'en vn autre.

Le Theoricien juge de tout selon la regle de la verité, et rejette toutes sortes d'affections, il n'espouse aucune passion, et ne suit point les tenebres de l'imagination; mais la seule lumiere de la raison: Et le Praticien n'a autre lumiere ny conduite, que la coustume, l'vsage et l'oreille, sans la raison; et juge de la bonté et de la beauté des chants, selon sa phantaisie, ses passions, et les impressions qu'il a receuës de ses Maistres, ou qu'il a acquises par l'vsage.

La pratique de la Musique n'est qu'vn effect de la Theorie, dont elle dépend absolument, et s'il n'y auoit point de Theorie, il n'y auroit point de Pratique; Il est vray que la Theorie suppose la Pratique, et on n'a pas commencé à rechercher les Sons auant que l'on ait ouy chanter; mais cela n'empesche pas que la Theorie ne soit plus excellent que la Pratique, dautant qu'il est necessaire que la Speculaton ait quelque matiere pour en discourir, et que l'object soit en mesme temps que la Science: Il est neantmoins facile de conclure de tout ce discours, que la Pratique estant jointe à la Theorie, ou la Theorie à la Pratique, vallent beaucoup mieux, que quand elles sont separées, parce que deux biens valent mieux qu'vn, et que l'vne apporte de l'ornement à l'autre. Mais lors que l'on fait la comparaison des deux ensemble, il faut toûjours preferer la Theorie à la Pratique, si l'on ne veut preferer le sensible à l'intellectuel, et le corps à l'esprit: Que si l'on dit que la Pratique a precedé la Theorie, l'on ne doit pas inferer qu'elle soit plus excellente qu'elle, puis que l'on ne doit pas conclure que le corps soit preferable à l'Ame, encore qu'il l'ait precedé.

[-12-] Des Inuenteurs de la Musique

CHAPITRE V.

LEs Pythagoriciens ont estimé que la science de la Musique estoit celeste, à cause qu'ils n'en connoissoient pas le premier Autheur, et à grand peine sçait-on encore aujourd'huy desmesler les Fables de quelques Histoires, pour en connoistre le premier Inuenteur. L'un nous renuoye à vn Dieu Mercure, comme Diodore, l'autre l'attribuë à Orphée et à Line, comme Fabius.

Il y a des Autheurs qui disent que c'est Amphion, Thamire, Philammon, qui l'ont inuentée: Il y en a qui nomment Timothée, Terpandre, Ardale, Clonas, Archiloc, Xenocrate, et plusieurs autres pour le mesme sujet, mais auec aussi peu d'apparence de verité que les premiers.

Or pour ne pas demeurer dauantage dans le doute, il faut croire à la verité de la saincte Escriture, qui dit en la Genese Chapitre 4. Que Iubal fut pere de ceux qui touchent la Harpe et les Orgues, ce qui est interpreté par Iosephe, qu'il exerça l'Art de la Musique, et fust inuenteur du Psalterion et de la Harpe; Par ainsi l'on peut dire auec asseurance qu'apres Adam, (à qui Dieu auoit donné la connoissance de tous les Arts,) Iubal (fils de Lamech et frere de Iobel) a esté le pere de la Musique et son premier Inuenteur: Et pour la conseruer contre le Deluge, elle fut grauée comme les autres Sciences sur deux pilliers esleuez, dont l'vn estoit de brique et l'autre de pierre, à cause qu'Adam (au rapport du mesme Iosephe) auoit predit vne destruction generale de toutes choses, vne fois par le feu, et autrefois par le Deluge; Et afin que ces Sciences ne vinssent à desperir auant que d'estre connuës, elles furent grauées sur la brique et sur le marbre, afin que si l'eau venoit à effacer ce qui estoit sur le pillier de brique, l'autre demeurast en son entier; comme de fait on le voyoit encore en la Syrie du temps du mesme Iosephe: Et c'est l'opinion que l'on doit tenir pour l'inuention de la Musique, qui est l'opinion mesme des Hebreux, qui disent que Iubal est le premier qui l'a inuentée, et que depuis ce temps-là elle a esté cultiuée, amplifiée, et augmentée par Moyse et par Dauid.

Les Grecs disent que c'est Pythagore, Mercure, Amphion, Orphée et Line: Et les Latins l'attribuënt à Boëce Romain qui est S. Seuerin. Pourtant le mesme Boëce dans son Traité de Musique liure 1. chapitre 10. dit, Que Pythagore est le premier qui a trouué les proportions des Consonances; car comme il n'estoit pas satisfait du sens de l'ouye, à cause du changement qui s'y rencontre à tous momens; ny aussi des Instruments qui (pour plusieurs raisons) sont sujets à des alterations bien grandes; il cherchoit vn moyen asseuré et certain, pour le fondement desdites Consonances, ce qu'il rencontra fauorablement (dit Boëce) par inspiration diuine, en passant par la Boutique d'vn Mareschal, où il entendit [-13-] vne Harmonie composée par les sons differens des marteaux, qui frappoient ensemble sur l'enclume; Et croyant que cette diuersité de sons procedoit de la force de ceux qui frappoient, il fit changer à vn chacun les marteaux, mais en vain; car il apperceut incontinent que la proprieté et difference des sons, ne suiuoit pas la force des bras; c'est pourquoy il s'aduisa de peser separément tous les marteaux, et par les poids differents il rencontra les proportions de toutes les Consonances, comme la double pour l'Octaue, et ainsi des autres, ce qui luy donna sujet encore de les esprouuer sur vne chorde tenduë, et diuisée selon les proportions requises: Voila ce qu'en escrit Boëce, mais il ne paroist pas qu'il en ait fait la preuue, comme je l'ay trouuée facile à faire.

Expliquer ce que c'est que le Son, d'où il est engendré, et quel est son office dans la Musique.

CHAPITRE VI.

LE Son est vne harmonieuse estenduë ou continuation de voix: Et ce que je nomme estenduë ou continuation, est l'estat de la Voix; c'est à dire, quand la Voix ne monte ny baisse, mais qu'elle demeure toûjours en vn mesme estat. Ce mot harmonieuse, demande que la Voix puisse estre baissée ou haussée, dautant que sous ce nom, l'on ne pourroit pas comprendre vn tonnerre, ou tel autre bruit extreme qui ne peut estre outrepassé, non plus que seroit vne Voix si basse qu'vne autre ne la pourroit moins estre, tant elle approcheroit du silence; Tellement que l'estenduë ou continuation a deux extremitez, dont la premiere se nomme Eleuation, à sçauoir mouuement de basse en haute Voix; l'autre Abbaissement, qui est mouuement de haut en bas; Or le Son s'engendre necessairement d'vn frappement d'air, et en figure ronde petit à petit augmentée en cercles (en la maniere de ceux qu'vn jet de pierre forme dans l'eau) paruient à l'oreille, où elle se fait oüyr diuersement: A sçauoir bas, si le coup est lent ou tardif; ou bien haut, si le coup est grand et soudain: (pour essay dequoy, vne verge, ou baguette, maniée en l'air peut suffire.) L'on fait mesme estat du Son dans la Musique, que de l'vnité dans l'Arithmetique, et du point dans la Geometrie.

Il faut remarquer que je n'entens pas parler icy du Son en general qui se definit, vn frappement d'air qui paruient à l'oreille sans estre diuisé ou separé: car ainsi on le pourroit conceuoir de toutes les choses qui sont; et mesme des choses inanimées; mais je parle seulement du Son, qui est le sujet et l'objet de la Musique, et qui est propre à la Melodie, et que les Grecs appellent Phtongue, ce que nous appellons ordinairement Voix, ou Son, qui est la mesme chose.

Or si ces Voix ou Sons estoient toûjours égaux entr'eux, il n'y auroit jamais de Consonance, et par consequent jamais d'Harmonie. Car l'Harmonie (comme l'on verra cy-apres) se fait de Consonances; et la Consonance se fait de [-14-] deux Sons ou Voix dissemblables qui s'accordent ensemble: Le Son se fait par vn frappement, et le frappement est precedé du mouuement: Et les Sons ont mesme raison entr'eux, que les mouuemens de l'Air par lesquels ils sont produits; Et le Son represente la grandeur et les autres qualitez des corps par lesquels il est produit.

Or les mouuemens sont esgaux ou inesgaux; s'ils sont inesgaux, les Sons le seront de mesme, comme aussi ils seront esgaux et semblables si les mouuemens sont tels; mais j'esclairciray toutes ces matieres quand je traiteray des cinq Genres des proportions d'inegalité.

L'on diuise encore la Voix en Continuë, et discrette.

La Voix Continuë est celle que nous entendons quand on parle ou qu'on lit, laquelle change de lieu en telle sorte, que l'oreille ne peut juger en façon quelconque du lieu où elle s'arreste.

La Voix Discrete est tout à fait contraire à la Voix Continuë; dautant qu'elle s'arreste, et que l'on discerne facilement dans ses extensions, le procedé qu'elle fait de bas en haut, et aussi de haut en bas: L'on appelle ce Genre de Voix Chanter et non pas Parler: aussi dit-on que les Voix Discrettes sont propres pour le Chant et pour la Melodie.

Il y a encore vn autre Son qui s'appelle Eccho, qui ne conuient ny à la parole et locution, ny au chant ou à la Melodie; Il se fait aussi en l'Air; mais c'est par la repercussion d'vn premier Son: car le Son ne peut estre fait que le mouuement n'ait procedé: Le mouuement se fait en diuers temps, et le temps est la mesure du mouuement et de son estat.

On met encore vne difference entre ces deux noms Son, et Voix, qui sont equiuoques dans la Musique, mais je n'estime pas qu'on s'y doiue beaucoup arrester: L'on dit que le Son est vn frappement d'air continu<&.>, qui paruient à l'oreille, lequel peut naistre d'vn corps dur et inanimé: Et la Voix est vn battement d'air respiré, lequel naist seulement d'vn corps animé: C'est pourquoy l'on dit, que la Voix est le Son de l'animal; De maniere qu'vne Voix est bien vn Son; mais tout Son n'est pas Voix: Or la Voix n'est pas commune à tous les animaux; car ceux qui n'ont point de sang, n'ont point de Voix; non plus que les Poissons, à cause qu'ils ne respirent point d'air, la Voix n'estant qu'vn mouuement d'Air.

Pour donc la definir proprement, l'on dit que La Voix est vn Son articulé, produit par la bouche de l'animal, auec intention de signifier quelque chose; et par ainsi la Toux n'est pas Voix, ny aussi le Grincement des dents; ny le bruit que l'on fait auec les mains en les frottant ou frappant l'vne contre l'autre, ou auec quelqu'autre partie du corps.

[-15-] Des Voix ou Sons de la Musique, et de leurs noms tant anciens que modernes: Quels estoient les Caracteres et Notes des Anciens: Qui les a changez, quand, et pourquoy.

CHAPITRE VII.

L'Estime auoir clairement expliqué dans le precedent Chapitre, ce que c'est que du Son et de la Voix: à present je diray comme on les appelloit anciennement, et comme on les nomme à present dans la Musique.

La Voix en la Musique n'est autre chose qu'vne certaine syllabe qui exprime la teneur, l'ordre et la suite des Notes; Et la Note est la figure que designe et marque l'extension ou procedé du Chant, soit de bas en haut, ou de haut en bas. Or toute Modulation ou Chant se fait par le moyen des Sons ou des Voix; mais comme les Sons et les Voix ne se peuuent escrire; pour les retenir dans la memoire, on leur a donné des noms differens, afin que les distinguant les vnes d'auec les autres, on pust plus facilement les imprimer dans l'esprit et dans la memoire.

L'vsage des Voix est bien tel qu'il estoit anciennement, mais les noms sont changez, et le nombre augmenté; car les Anciens n'auoient que quinze chordes ou Voix, et à present nous en auons beaucoup dauantage, comme l'on voit dans les diuers Clauiers d'Orgues; toutefois cette augmentation est vne repetition et non pas vne diuersité.

Les Anciens nommoient leurs quinze chordes, commes l'on voit en la Table suiuante qui contient trois rangs, dans le premier desquelz sont les noms ou Caracteres que nous auons à present, qui correspondent à ceux des Grecs qui sont au milieu, et le troisiesme contient l'explication de chaque nom en François.

A, ré.             Proslambanomene.        Acquise ou Adjoûtée.
[sqb], mi.         Hypate-Hypaton.         Principale des principales.
C, fa, vt.         Parhypate-Hypaton.      Sous principale des 
principales.
D, sol, ré.        Lychanos Hypaton.       Indice ou montre des 
principales.
E, mi, la.         Hypate Meson.           Principale des moyennes.
F, vt, fa.         Parhypate Meson.        Sous principale des moyennes.
G, ré, sol, vt.    Lychanos Meson.         Indice ou montre des moyennes.
A, mi, la, ré.     Mese.                   Moyenne.
b, fa, [sqb], mi.  Paramese.               Sous-moyenne.
C, sol, vt, fa.    Trite Diezeugmenon.     Troisiesme des dis-jointes.
D, la, ré, sol.    Paranete Diezeugmenon.  Penultiesme des dis-jointes.
E, mi, la.         Nete Diezeugmenon.      Derniere des dis-jointes.
F, vt, fa.         Trite Hyperboleon.      Troisiesme des excellentes.
G, ré, sol, vt.    Paranete Hyperboleon.   Penultiesme des excellentes.
A, mi, la, ré.     Nete Hyperboleon.       Derniere des excellentes.

[-16-] Voila les noms des Sons ou des quinze chordes des Grecs, la premiere ayant esté adjoûtée pour parfaire le Diapason d'A, ré, contre A, mi, la, ré, aussi l'appelle t'on Proslambanomene, qui signifie Adjoûtée. Puis apres l'on adjoûta encore vne autre chorde au dessous de cette premiere, pour correspondre à nostre G, vt, que l'on nomme Hypo-Proslambanomene, c'est à dire, Sous-ajoûtée, ainsi

G, vt.            Hypo-Proslambanomene.   Sous-adjoûtée.

Il faut sçauoir qu'en l'année 1022. vn certain Religieux de l'Ordre de Sainct Benoist, nommé Guido, de la ville d'Areze, tres-sçauant en la Musique, examinant (par inspiration diuine) l'Hymne de S. Iean Baptiste, Vt queant laxis, et le reste; choisit les six syllabes capitales des six premiers vers, qui sont vt, ré, mi, fa, sol, la, pour adapter aux sons et caracteres de la Musique, et trouua vne methode si facile pour apprendre promptement la Musique, qu'elle fut receuë generalement de tous, et auec vne approbation si vniuerselle; qu'il ny a presque nation, qui ne s'en serue à present, pour le progrès des Notes de Musique que l'on applique, tant sur les lignes parallelles, que sur les espaces pour toutes sortes de chants.

Mais anciennement au lieu des lignes, Clefs, Notes, espaces, et autres marques, desquelles nous nous seruons à present en toutes sortes de chants; l'on écriuoit sur les vers ou autres lettres certains Caracteres adaptez à chaque syllabe, selon lesquels la Voix se deuoit hausser ou baisser en tout le Systeme, tant Diatoniquement, Chromatiquement, qu'Enharmoniquement; c'est à dire, en toutes sortes de Musique. I'ay esté assez heureux d'auoir trouué dans vne des plus curieuses Bibliotheques de Paris, vn ancien Manuscrit duquel j'en ay tiré les Caracteres, qui approchent fort de ceux que nous rapporte Boece, dans son Traité de Musique, liure 4. chapitre 3. et de ceux aussi de Ponthus de Thiard, qui en fait voir de deux sortes, dont les derniers sont differens de ceux de Boëce, et de ceux de ce Manuscrit.

En voicy de deux sortes dont se seruoient les Anciens, lesquels j'ay tiré de Boëce, de Ponthus de Thiard Euesque, d'vn ancien Manuscrit d'Ocdo Abbé, et de celuy que j'ay veu dans ladite Bibliotheque à Paris: Ils auoient autant de Caracteres que de chordes, Sons, ou Voix; afin que par leurs moyens on pust esuiter de mettre leurs noms tout au long sur chaque syllabe: Ie parleray des premiers, et en suite des derniers.

Ils marquoient leurs cinq plus basses chordes, comme les cinq Caracteres suiuans.

Le premier representoit A, ré, qu'ils nommoient Proslambanomene, dont je ne repeteray pas la signification non plus que des autres chordes, qui sont expliquées cy-deuant.

Le second marquoit [sqb] mi, qu'ils nommoient Hypate Hypaton.

Le troisiesme C fa, vt, qui est Parhypate Hypaton.

Le quatriesme D, sol, ré, Lichanos Hypaton.

Et le cinquiesme E, mi, la, Hypate Meson.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 16] [COUMUS1 01GF]

Les autres cinq Caracteres suiuans representoient par ordre F, vt, fa, [-17-] Parhypate Meson. G, ré, sol, vt, Lychanos Meson. A, mi, la, ré, Mese. b, fa, [sqb], mi, Paramese. Et C, sol, vt, fa, Trite Diezeugmenon.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 17,1] [COUMUS1 01GF]

Les cinq derniers Caracteres qui suiuent marquoient par ordre D, la, ré, sol, Paranete Diezeugmenon. E, mi, la, Nete Diezeugmenon. F, vt, fa, Trite Hyperboleon. G, ré, sol, vt, Paranete Hyperboleon. Et A, mi, la, ré, Nete Hyperboleon.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 17,2] [COUMUS1 01GF]

Les trois Caracteres suiuans marquoient par ordre le Tetrachorde des Conjointes qui se nomme Synemmenon, dont le premier marquoit Trite Synemmenon. Le second Paranete Synemmenon. Et le troisiesme, Nete Synemmenon.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 17,3] [COUMUS1 01GF]

Or afin de faire voire comme ils accommodoient les Notes aux paroles, j'en ay fait vn Exemple, qui en donnera icy vne parfaite intelligence.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 17,4; text: SAncta Caecilia, ora pro nobis. Reduction du susdit Exemple par les Notes ordinaires.] [COUMUS1 01GF]

Voicy l'autre sorte de marques ou caracteres, dont se seruoient les Anciens en leurs Chants, et en leur Systeme de quinze chordes qu'ils diuisoient par Tetrachordes; (je diray cy-apres ce que c'est que Systeme et Tetrachorde,) les chordes desquels estoient nommées, à sçauoir, La premiere Archos ou Protos: La seconde, Deuteros; La troisiesme, Tritos; Et la quatriesme, Tetratos: Mais les marques de chaque Tetrachorde estoient differentes; car celles du premier nommé Hypaton, qui est le plus bas, estoient telles que l'on voit en l'exemple suiuant.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 17,5] [COUMUS1 01GF]

Le second Tetrachorde Meson, estoit nommé des Finalles, duquel Protos, Deuteros, Tritos, et Tetratos, estoient marquez, comme l'on voit en l'exemple suiuant.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 17,6] [COUMUS1 01GF]

Le troisiesme Tetrachorde estoit nommé des Superieures, et auoit pour ses quatre chordes les quatre Caracteres suiuans.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 17,7] [COUMUS1 01GF]

[-18-] Et le quatriesme Tetracorde nommé des Excellentes, auoit pour ses quatre chordes, les quatre marques suiuantes.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 18,1] [COUMUS1 01GF]

Voicy encore vn Exemple que j'ay fait de ces derniers Caracteres, qui fera voir la maniere dont ils se seruoient pour chanter toutes sortes de chants.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 18,2; text: SAncta Caecilia, ora pro nobis. Reduction du susdit Exemple par les notes ordinaires.] [COUMUS1 01GF]

Il est aisé à voir par cette diuersité de Caracteres, comme les Anciens marquoient les Notes en plusieurs façons, pour montrer en quelle part il falloit estendre la Voix, et quel deuoit estre son procedé, et l'on voit aussi comme ils desguisoient les Tetracordes en differentes manieres.

Il faut sçauoir que cette sorte de Musique marquée par ces Notes ou Caracteres, est fort ancienne: Car il y vnze cens ans et plus, que Boëce l'a redigée par escrit: Et lors qu'il en parle il dit, Que les Anciens ont inuenté certaines Notes ou Caracteres, afin de ne point mettre toûjours les noms tous entiers, comme Proslambanomenos, et les autres; Si doncques en son temps il parle des Anciens; il faut conclure qu'elle est bien ancienne, et qu'elle passe de beaucoup vnze cens ans; tellement que ce ne seroit pas vne chose nouuelle si l'on voyoit à present de la Musique marquée et Notée par semblables ou autres Caracteres, disposez et accommodez sur la lettre de la sorte qu'on faisoit anciennement, et comme l'on voit dans les deux susdits exemples.

Elle a esté abolie du consentement general de toutes les nations, pour des raisons si claires et si euidentes, que l'on ne peut estre trompé en les embrassant, et qui ne sont pas plustost veuës et conceuës, qu'elles sont receuës de tout le monde. Et cela a esté fait, conclud, et arresté, par les doctes et par les Maistres de l'Art, à qui il appartient de juger des Ouurages et des artifices qui en dépendent, et non aux ignorans, qui ne sont pas plus capables de juger des Sciences, ny des Arts, que les aueugles des couleurs: Or il n'y a personne qui ne sçache et n'auoüe qu'il faut connoistre les choses dont on juge, et qui ne confesse que le parfait jugement suppose et requiert vne parfaite connoissance.

[-19-] Declarer comme il n'est pas permis de changer les maximes generales et anciennces d'vn Art et d'vne Science, sans vne approbation vniuerselle, et sans vne particuliere et notable vtilité Et en suite faire voir quelles conditions sont requises pour cela.

CHAPITRE VIII.

COmme la Musique est vn Art et vne Science vniuerselle, il n'est pas permis de changer ses maximes, ny d'inuenter aucune chose sans des raisons fortes et pressantes, et sans l'aduis et l'approbation de tous les plus sçauans et plus habiles en la Theorie et Pratique de la Musique, en quelque part qu'ils puissent estre; autrement ce ne seroit plus vne Science ou vn Art qui doit auoir ses maximes et regles tres-certaines: dautant que s'il estoit permis à quelqu'vn de changer et d'inuenter selon sa phantaisie, (chacun abondant en son sens) l'on ne verroit que desordre et confusion par ces diuersitez insupportables. L'on dira peut-estre (ce qui est veritable) que des particuliers ont inuenté la pluspart de ce nous auons aujourd'huy enla Musique, comme vn certain Nicolas Parisien, les Notes que l'on appelle Maxime, Longue, Brefue, Semibrefue, et Minime; et comme le susnommé Guido Aretin, qui a inuenté et trouué ces noms Vt, ré, mi, fa, sol, la, auec la methode de s'en seruir; Mais je respondray que deux choses se doiuent rencontrer necessairement lors que l'on veut changer et inuenter en quelque Science, à sçauoir la capacité des Inuenteurs, et l'vtilité des choses inuentées.

Premierement, je dis qu'ils doiuent estre capables, sçauans et tres-habiles, tant en la Theorie qu'en la Pratique; car en ces entreprises l'vne sans l'autre est inutile et sans effect; parce qu'il faut que ce que l'on change, ou que l'on inuente soit pour vn plus grand bien, et pour vne plus grande vtilité, facilité, et intelligence.

Or il faut voir à present si les deux conditions requises, desquelles je viens de parler, se rencontrent dans ce dernier Autheur, tant pour sa capacité, que pour l'vtilité de ce qu'il a inuenté.

Pour prouuer sa capacité, l'on ne peut pas tirer vn argument plus fort, que l'approbation vniuerselle de ses oeuures et de ses escrits, receus auec vn applaudissement general de toutes les nations, et de tant de doctes et rares hommes qui ont esté depuis six cens ans: Et ce qui est bien plus considerable, est l'approbation qu'en ont donné plusieurs Papes, ainsi que je l'ay rapporté amplement dans la Preface de cet Ouurage, et comme nous l'apprenons du Cardinal Baronius dans ses Annales Ecclesiastiques, qui dit que sur les derniers temps du Pape Benoist VIII. en l'année 1022. parut Guido Aretin Moine, excellent Musicien, [-20-] qui trouua auec l'admiration d'vn chacun, vne nouuelle Methode d'apprendre la Musique, de sorte qu'vn enfant pouuoit apprendre en peu de mois, ce qu'vn homme d'esprit à peine pouuoit sçauoir en plusieurs années; ce qui donna enuie à ce Pape de le faire venir à Rome; comme fit aussi Iean XX. son successeur, sous lequel ce docte Religieux aagé de 34. ans, composa vn Liure de Musique qu'il appella Micrologue, et le dédia à l'Euesque Theobalde, ainsi qu'il paroist par les Epistres qu'il en a écrites; Et dans l'Epistre dedicatoire de son Liure, il dit, Que quelques-vns ont appris à chanter des Versets et des Chants, en moins d'vn mois par le moyen d'vne chorde et de ses Notes; de sorte qu'il semble qu'il vsoit d'vn Monochorde pour accoustumer la voix au chant, ce qui est tres-aisé à faire, ou auec vne Espinette, ou auec vne Orgue.

Or trois cens ans apres l'inuention de Guido, sa methode et ses oeuures furent approuuées, mesme par écrit, par le Pape Iean XXII. qui estoit tres-docte en toutes les sciences, comme il paroist par ses oeuures, ses Constitutions qui sont dans le droict Canon, et autres matieres, et mesme par ce qu'il a escrit de la Musique dans vne si docte et si parfaite connoissance; d'où nous deuons tirer vne gloire tres-particuliere, à cause qu'il estoit François et natif de la Ville de Cahors; Cela estant je voudrois demander à vn homme de bon sens, s'il est croyable que tant de rares hommes qui ont esté depuis six cens ans, et qui sont encore maintenant, ayent voulu quitter, abolir, et abandonner cette vieille et ancienne Musique de Caracteres, pour prendre celle que nous auons aujourd'huy, si premierement ils n'auoient connu en cette derniere vne plus grande perfection et vtilité; qui est la seconde condition requise, de laquelle je veux parler.

De l'vtilité et des perfections que nostre Musique a par dessus l'ancienne qui se marquoit par des Caracteres.

CHAPITRE IX.

SI je voulois faire voir autant que je puis les perfections et l'vtilité que nostre Musique a par dessus l'ancienne, ou celle qui se marque auec des Caracteres controuuez à plaisir, j'employerois vne partie de mon Liure, contre ce que j'ay deliberé de faire, et en perdant le temps inutilement je le ferois perdre de la sorte; et le tout pour prouuer facilement vne chose tant par raisons que par exemples, qui est, et qui doit estre entierement hors de doute. Ie me contenteray d'en dire vn mot, et d'en apporter quelques exemples, ce qui fera bien croire et presumer de tout le reste.

Les exemples seront les deux que j'ay donné cy-dessus des Caracteres anciens, dont la reduction est au dessous par les Notes de nostre Musique ordinaire; en laquelle l'on voit par le moyen des lignes, des espaces, et des Notes, qui sont ou qui peuuent estre dessus, par chaque degré, combien il est facile de hausser [-21-] ou baisser la voix, à mesure que l'on apperçoit visiblement les Notes placées de la sorte: Et en effect, si l'on veut chanter l'exemple de Sancta Caecilia, ou bien les seules notes; l'on voit facilement et sans se troubler beaucoup l'esprit, que la seconde Note est plus haute que la premiere, par consequent il faut hausser la voix; l'on voit encore que de l'vne à l'autre il y a vne espace d'vn seul degré vuide entre deux, et par ainsi sçachant vne fois entonner Vt, ré, mi, fa, sol, la, (ce qu'il faut aussi sçauoir pour l'vsage des Caracteres) on laissera la Note qui n'est pas marquée entre les deux autres: De la seconde à la troisiesme Note l'on fera le mesme, et de la troisiesme à la quatriesme on ne montera que d'vn degré, à cause que l'vne suit l'autre immediatement: De la quatriesme à la cinquiesme on descendra d'vn degré, parce que visiblement l'vne suit aussi l'autre de mesme, et de la sorte on chantera tout le reste en baissant de degré en degré comme les Notes sont placées, et pour tout cela on n'a que faire de grande memoire; car la veuë conduit facilement où il faut aller.

L'on doit encore considerer vne autre chose, c'est qu'outre la disposition des Notes qui conduisent la voix en son lieu; leurs differentes formes, inuentées par Nicolas Parisien, marquent encore les differentes valeurs, ou durée de temps qu'on leur doit donner en chantant.

De plus l'on voit à l'instant par le moyen de la Clef qui est au commencement d'vn chant, quelle de quatre, voire de cinq Octaues, est celle qui est notée, sans que l'on soit obligé de marquer des signes ou accents particuliers en chaque Note, pour discerner les Octaues les vnes des autres, comme l'aiguë de la moyenne, et la moyenne des plus basses.

Ie n'aurois jamais fait si je voulois apporter les aduantages et vtilitez que nous receuons de nostre Musique ordinaire, en comparaison de l'ancienne et de celle qui se marque par des Caracteres: Et pour en faire l'essay on peut auoir recours aux deux exemples que j'en ay donné cy dessus, dans lequels on verra vne partie des grandes difficultez qui s'y rencontrent.

En premier lieu ces Caracteres estant tous en droicte ligne, parallelles auec la lettre, l'on ne peut pas sçauoir quand il faut hausser ou baisser la voix, si l'on ne sçait de combien de degrez l'vn est esloigné de l'autre, et pour ce sujet il faudroit auoir vne memoire angelique, et appliquer tout son esprit à cela sans pouuoir penser à autre chose, et s'il falloit chanter promptement, ou bien sous vn signe diminué; il seroit impossible de faire vne partie des reflexions qui sont necessaires.

De plus l'on ne peut pas marquer en ces Caracteres les longues et les brefues, ny la diuersité des temps qu'il faut donner à chaque Note: Que si l'on me dit, qu'il est permis de mettre et escrire la Note telle qu'on voudra au bout du Caractere pour denoter sa valeur; je demande pourquoy en se seruant de nos Notes, on ne les met pas simplement sur des lignes parallelles, veu l'vtilité que nous en receuons, sans les accoupler auec des Caracteres qui font peur à la veuë, et qui ne font que troubler l'esprit.

Ie diray encore vn mot auant que de finir cette matiere, c'est que si par rencontre il se trouuoit quelqu'vn qui eust enuie de faire renaistre cette Musique de Caracteres, il feroit croire s'il pouuoit, que c'est vne Musique nouuelle, [-22-] et pourtant j'ay fait voir cy-dessus assez clairement sa nouueauté, qui est de douze à quinze cens ans tout au moins; et j'ay montré aussi comme elle a esté abolie vniuersellement par toutes les nations, il y a plus de six cens ans.

Il faut remarquer encore que l'on ne pourroit pas faire autrement que de se seruir de toutes nos maximes, regles, preceptes, instructions, et de tout ce qu'il y a de bon dans nostre Musique, pour l'appliquer à ces Caracteres; et la plus part du monde croiroit que tout cela auroit esté inuenté auec ces nouuelles marques; et pourtant il n'y auroit rien de nouueau, que la hardiesse qui seroit bien extraordinaire de l'entreprendre, à la face de tant de rares hommes, et au mespris de cette diuine Science. Iu passe des Sons et des Voix, à la Consonance et à l'Harmonie.

Definition de la Consonance, et de la Dissonance, et d'où elles s'engendrent.

CHAPITRE X.

LA Consonance n'est autre chose qu'vn meslange du Son graue et de l'aigu, touchant l'oreille doucement esgalement et vniformément; ou bien, la Consonance se fait de deux Sons, dont la conjonction est agreable à l'oreille. Consonantia est acuti soni grauisque mixtura suauiter vniformitérque auribus accidens. Boëthius liber I. capitulum 8. Quant à sa cause elle n'a pû estre recherchée par les Anciens qui ont esprouué, qu'alors qu'on touche deux chordes, ou que l'on entend deux voix differentes, si les deux Sons qui s'entrerencontrent par l'air sont mesurables l'vn à l'autre par quelque bonne proportion; il se fait vne douce confusion des deux, et ne deuiennent quasi qu'vn Son; d'où naist la Consonance agreable à l'oreille.

Mais si les Sons ne peuuent souffrir vne mesure proportionable l'vn de l'autre, ils viennent toucher l'oreille chacun en son entier, comme combatans à qui vaincra, et pour n'estre confondus ensemble sont receus aigroment de l'ouye; dautant qu'ils se font oüyr separez: d'où vient la fascheuse Dissonance et discord mal-plaisant. Et par là il s'ensuit que la Dissonance se fait, lors que deux Sons differents touchent ensemblement l'oreille rudement et aigrement: ou bien, la Dissonance est le meslange du Son graue et de l'aigu, qui blesse l'oreille, Dissonantia, est diuersorum sonorum mixtura, naturaliter aures offendens. Tinctoris.

Il est donc certain qu'il y a des Consonances et des Dissonances, et que les premieres sont agreables, et les autres sont des-agreables; Et pour sçauoir si les Dissonances sont aussi des-agreables, que les Consonances sont agreables, il les faut comparer ensemble, afin que leur nature et leurs proprietez soient mieux entenduës, comme il arriue à tous les contraires, dont l'opposition mutuelle leur sert de lumiere.

[-23-] Or les Consonances n'ont rien qui s'oppose dauantage aux Dissonances que leur agréement qui vient de leur vnion; mais comme ces vnions dépendent entierement de la Theorie, je referue d'en traiter cy-apres amplement et clairement dans le septiesme Liure, n'estant pas icy son lieu d'en parler. Ie compare donc les Consonances et les Dissonances, en ce qu'elles ont d'agreable, ou de des-agreable: Et parce que les Consonances font la principale partie de l'Harmonie, par qui toute la Musique doit estre reglée, elles doient seruir de regle pour juger des Dissonances, comme la ligne droite sert pour juger des lignes obliques.

Cecy estant posé, je dis premierement que les Dissonances qui ont autant de battemens d'air separez, que les Consonances en ont de conjoints, sont aussi des-agreables comme lesdites Consonances sont agreables, puisque la douceur, ou la rudesse des sons differens que l'on oyt en mesme temps, se doit prendre de l'vnion ou de la des-vnion des battemens de l'air qui font lesdits Sons, comme l'on verra nettement dans le septiesme Liure.

Or il est constant qu'il n'y a point de Dissonance qui ne soit plus des-agreable que la meilleure des Consonances (qui est l'Octaue) n'est agreable: dautant que chaque Dissonance a plus de battemens d'air qui ne s'vnissent point, que les Consonances n'en ont qui s'vnissent; car l'Octaue qui est la plus excellente, n'vnit que deux de ses battemens pendant que la seconde majeure qui est vne Dissonance, a sept battemens qui ne se rencontrent point.

Il semble que l'on peut conclure de ce discours, que le mal est ordinairement plus desplaisant que le bien n'est agreable, comme l'on experimente aux douleurs et aux ennuis qui donnent beaucoup plus de mescontentement, et sont beaucoup plus sensibles et plus cuisans, que les voluptez du corps et de l'esprit n'apportent de plaisir et de contentement: Et la raison pourquoy les des-plaisirs et les douleurs nous sont plus sensibles que les plaisirs et la volupté, se doit prendre de ce que les douleurs nous destruifent, et nous font en quelque façon retourner dans le neant, dont nous sommes tirez; et de ce que nous receuons les biens et les plaisirs comme choses qui sont conformes à nostre nature, et qui nous sont deubs; joint que la volupté ne dure pas si long-temps que la douleur: De mesme les Dissonances donnent plus de mescontentement, que les Consonances n'apportent de plaisir; De sorte qu'il semble que le desordre fait plus de mal, que l'ordre ne fait de bien, si nous demeurons dans le sensible, et dans le mesme genre. Et en effect, il n'y a point de volupté dans ce monde, pour excessiue qu'elle puisse estre, que l'on ne quitte tres-volontiers pour esuiter (par exemple) la douleur de la cholique nephretique, ou autres de mesme nature; ce qui tesmoigne que la grandeur des douleurs excede celle des plaisirs: Ce qui se doit entendre des plaisirs corporels, et non de ceux de l'esprit, particulierement lors qu'il s'attache aux plaisirs eternels qui nous sont promis, qui sont beaucoup plus grands que ne sont toutes sortes de douleurs.

[-24-] Expliquer ce que c'est qu'Harmonie, et de combien de sortes il y en a.

CHAPITRE XI.

L'Harmonie est vn meslange conforme de voix basse, haute et moyenne, qui procede des Consonances et des accords bien couchez; et s'appelle aussi Symphonie, qui signifie chanter et s'accorder par ensemble.

Il y a deux sortes d'Harmonie, à sçauoir Propre, et Non-propre: La Propre est descrite par Lactance, qui nomme proprement Harmonie, le Chant ou la composition qui est faite auec des Voix consonantes, qui ne blessent aucunement l'oreille: tellement que l'Harmonie Propre, est vne composition ou meslange de Voix basses, hautes, et moyennes, qui frappent le sens doucement et agreablement, et elle procede des parties qui s'accordent ensemble jusques à la fin du Chant, ayant la puissance de disposer et de porter l'esprit à diuerses passions. Cette Harmonie ne procede pas seulement des Consonances; mais aussi des Dissonances, lesquelles estant regulierement ordonnées et disposées, font vn effect admirable: Si bien que l'on peut considerer l'Harmonie en deux façons, à sçauoir Parfaite et Imparfaite. La Parfaite, est lors que dans vne composition, il y a beaucoup de parties qui chantent et s'accordent ensemble, et sont entremeslées les vnes auec les autres en la façon qu'il a esté dit cy-dessus: Et l'Imparfaite est lors que deux Parties seulement chantent et s'accordent ensemble. L'Harmonie Non-propre, ou Impropre, est celle de laquelle je viens de parler, qui se peut nommer, vne Consonance harmonieuse plustost qu'Harmonie; dautant qu'elle ne contient en soy aucune Harmonie, comme fait l'Harmonie Propre, laquelle se compose de plusieurs Harmonies Non-propres.

Monstrer la difference qu'il y a entre l'Harmonie et la Consonance.

CHAPITRE XII.

L'Harmonie est differente de la Consonance, (combien que l'vne et l'autre soit vn meslange conforme de voix basse et haute touchant agreablement l'oreille) en ce que l'Harmonie contient du moins deux Consonances, et la Consonance n'est autre chose simplement qu'vn accord, comme seroit vne Quinte, laquelle est vn accord ou Consonance; De sorte que ceux-là se trompent qui croyent que la Consonance et l'Harmonie soient vne mesme chose; dautant que (comme il a esté dit cy-dessus) [-25-] la Consonance procede seulement du Son graue et de l'aigu; mais l'Harmonie se fait du graue, de l'aigue, et du moyen. L'on peut bien dire que l'Harmonie est vne Consonance; mais la Consonance n'est pas vne Harmonie: Vne proportion (appellée quelquefois Raison) fait la Consonance; mais il en faut deux tout au moins pour faire l'Harmonie, et c'est ce qu'on appelle Proportionalité. Et l'Harmonie contenant au moins deux Consonances, il s'ensuit qu'il faut tout au moins trois Sons ou Voix, et pour la Consonance il n'en faut que deux.

Or l'Harmonie se peut composer de plus de deux Consonances, si l'on veut, comme de trois, de quatre, cinq, six, et d'autant que l'on voudra ou que l'on pourra, pourueu qu'elles soient disposées comme il faut, et qu'elles touchent doucement et agreablement l'oreille.

Expliquer ce que c'est que la Melodie, le Chant, et la Modulation.

CHAPITRE XIII.

LA Melodie est vne Chant doux et agreable, que l'on appelle pour cette raison Melodieux; Et la Melodie ne procede que des beaux Chants: Elle est composée de Sons, d'Interualles, et de Temps; et a quatre proprietez affectées, à sçauoir le Baisser, le Hausser, la Demeure et la Tenuë de la Voix: L'on entend le Baisser, quand le chant vient de l'aigu au graue, et le Hausser du graue à l'aigu; La Demeure, quand l'on chante plusieurs paroles sur vne mesme chorde, sans hausser ny baisser; et la Tenuë, quand le mesme Son tient ferme, comme il arriue en toutes les Notes finales, ou au poinct d'Orgue: Doncques la Melodie proprement est vn Chant parfaitement doux et agreable; et quelquefois aussi l'on nomme Melodie vne bonne et agreable Harmonie.

Le Chant (qui vient de chanter) est vne liaison de Sons et d'Interualles differens, qui se forme des voix et des Sons; il s'appelle Modulation, lors principalement qu'il naist de la Voix humaine; Car le Chant se prend encore pour l'Harmonie qui procede du Son des Instrumens artificiels, et aussi pour le Chant des animaux, comme seroit des Rossignols ou autres: Mais il faut laisser cette derniere façon, pour s'arrester seulement aux deux premieres, qui comprennent vne Harmonie et vne Melodie. Tellement que la Modulation se fait par le mouuement d'vn Son à l'autre en diuers Interualles, d'où procede vne sorte d'Harmonie et de Melodie.

On s'en sert en deux manieres, dont la premiere procede esgalement d'vn Son à l'autre par diuers interualles en mesme temps, comme dans le Pleinchant; laquelle se nomme Modulation improprement; parce qu'elle procede simplement sans aucune Consonance, qui doit estre sa fin principale: Mais quand par [-26-] son moyen l'on paruient à l'Harmonie ou Melodie, qui est sa principale fin; comme l'on fait auec le chant figuré, où l'on va d'vn interualle à l'autre par differents mouuemens de temps; alors on la nomme proprement Modulation.

Or quand l'on touche diuerses Consonances dans le Chant; il se forme vne sorte d'Harmonie et de Melodie qui ne peut estre sans icelles, encore que la Modulation puisse estre sans l'Harmonie propre, sans aucune Consonance, et sans Melodie: Car simplement la Modulation est le progrés et la suite de plusieurs sons graues et aigus. Elle a trois parties, à sçauoir le lieu arresté où commence le Son; Le Meslange des Sons et des genres, selon que requiert le sujet; et l'vsage du Chant, qui est vne progression de Sons reglez par degrez conjoints et autres interualles.

Du Ton, et de ses diuerses significations et especes.

CHAPITRE XIV.

LE Ton dans la Musique est pris en quatre differentes manieres; à sçauoir, 1. pour la Voix: 2. pour l'interualle: 3. pour le lieu de la Voix: 4. et pour le Ton de la Voix. Premierement, il est pris simplement pour la Voix; Car Ton, Son, Voix, et Phtongue signifient vne mesme chose; ainsi le Ton est la Voix qui tient ferme sur vne mesme Note, et qui est propre au Systeme.

En second lieu, le Ton est pris pour l'Interualle Sesqui-octaue, quand nous disons qu'il y a vn Ton entre A, ré, et [sqb], mi, qui est l'Interualle par lequel la Quinte surpasse la Quarte.

En troisiesme lieu, il signifie le lieu de la Voix, et c'est ce que l'on appelle Mode, qui est vne certaine façon ou maniere de chanter differente d'vne autre; de sorte que l'on dit d'vne composition, qu'elle est d'vn tel Ton, comme seroit du premier, du second, et ainsi des autres, en se seruant des noms de Ton et Mode, l'vn pour l'autre.

Finalement, le Ton est pris, pour ce que nous appellons ordinairement le Ton de la Voix, qui est haut, bas, ou moyen, c'est quand nous disons en quel Ton est la Voix; à sçauoir, si elle est graue ou aiguë, basse ou haute.

Or le Ton qui est pris pour l'Interualle Sesquioctaue; c'est à dire, le Ton majeur, se diuisoit anciennement (par les Grecs, et mesme par Boëce liure 3. chapitre 8.) en plusieurs parties, desquelles il est à propos de sçauoir les noms et leur signification; parce que souuentefois on les rencontre dans les anciens Autheurs.

Le Ton se diuisoit en Apotome, Diesis, Diaschisma, Comma, et Schisma. Apotome est le grand demy-Ton ou Semiton majeur: et Diesis est le petit Ton ou Semiton mineur: Diaschisma est la moitié du Diesis: Comma est la partie [-27-] dont le grand demy Ton surpasse le petit: et Schisma est la moitié du Comma. Et ainsi le Ton se diuisoit en vn Apotome, qui est leur Semiton majeur, et vne Diese, qui est leur Semiton mineur: Ou en deux Dieses et vn Comma: ou en quatre Diaschismes et deux Schismes: ou en deux Dieses et deux Schismes: ou en vn Apotome et deux Diaschismes. I'en feray voire les raisons au Traité de la Theorie, auec les rapports et les differences qu'il y a de tous ces petits interualles aux nostres, en traitant du genre Enharmonique: mais l'on ne se sert plus maintenant de cette diuision, dautant que nous en auons vne autre beaucoup plus excellente et plus parfaite, de laquelle je parleray dans ce Traité.

Il faut sçauoir pourtant auant que de finir cette matiere des Tons, que les Anciens les ont diuisé en deux sortes, dont les premiers (appellez par les Grecs Isotoni) ont vne extension incommuable. Les autres au contraire (appellez Anisotoni,) sont ceux qui sont changez par l'extension. Et dautant qu'ils sont differens entr'eux, il est necessaire d'en faire vne diuision; et c'est ce que je feray voir au Chapitre suiuant.

Or de ceux cy les vns sont nommez Continus, et les autres Definis: Les Continus, sont ceux qui coulent si prés de l'Vnisonance, que l'esloignement de l'vn à l'autre est obscur et incomprehensible, lesquels ne sont pas propres à l'Harmonie.

Les auttes qui sont appellez Definis, dont on peut aisément discerner l'espace du mouuement; seruent de fondement necessaire à l'Harmonie, et aux accords de la Musique.

Or l'Harmonie naist de la proportion, et la proportion doit estre rapportée à quelque chose; et jamais l'on ne considere le Son simplement à part soy dans la proportion; dautant que la proportion consiste en deux choses.

Et afin que l'Harmonie procede de la proportion de deux Tons, il faut que l'vn soit different de l'autre; et pourtant tous ceux qui sont differens ne se peuuent pas accorder ny rapporter l'vn à l'autre dans vne harmonieuse proportion, comme je feray entendre cy-apres: Les vns s'vnissent et se joignent l'vn à l'autre, et touchent doucement le sens, rendant vne Melodie qui est agreable; Mais s'ils ne se peuuent vnir et joindre ensemble, il n'y a ny Melodie ny Accord ou Consonance, ny chose qui puisse estre agreable.

De tous les Tons susdits, nommez Anisotoni, les Anciens en ont encore fait trois ordres, dont le premier est pour les graues; l'autre pour les aigus; et le dernier pour les moyens, qui sont entre les vns et les autres; desquels je feray voir toutes les differences dans les Chapitres suiuans.

[-28-] Des Interualles de la Musique simples et composez: et quels sont les Interualles Simples.

CHAPITRE XV.

LE mot Interualle pris en general, signifie plusieurs choses; mais je ne m'y arresteray pas, parce que cela n'est pas necessaire, ny à mon propos; il me suffira de dire que l'Interualle dans la Musique, est la distance qui est entre le Ton aigu et le Ton graue.

Et pour petite ou grande que soit la distance entre les deux Sons, c'est toujours vn Intervalle, comme seroit le Comma ou la double Octaue, ou autres.

Doncques l'Intervalle est la difference de deux Sons, dont l'vn est aigu, et l'autre est graue. Or il y en a de plusieurs sortes, dont je veux faire voir les differences; Et pour cet effect il faut sçauoir qu'il y a de deux sortes d'Interualles, à sçauoir Simples et Composez.

I. Les Interualles Simples sont la Voix, l'Vnisson composé ou Diapason, autrement l'Octaue, qui est de la proportion double entre 2. et 1.

II. Diapente, la Quinte, qui est de la proportion Sesquialtere, entre 3. et 2.

III. Diatessaron, la Quarte, qui est de la proportion Sesquitierce, entre 4. et 3.

IV. Diton, ou Tierce majeure, de la proportion Sesquiquarte, entre 5. et 4.

V. Semiditon, ou Tierce mineure, qui est de la proportion Sesquiquinte, entre 6. et 5.

VI. La Quarte auec la Tierce majeure, ou Sexte majeure qui est de la proportion Surbipatiente Tierces, entre 5. et 3.

VII. La Quarte auec la Tierce mineure, ou Sexte mineure, qui est de la proportion Surtripartiente Quintes, entre 8. et 5.

VIII. Ton majeur, de la proportion Sesquioctaue, entre 9. et 8.

IX. Ton mineur de la proportion Sesquineufiesme, entre 10. et 9.

X. Semiton majeur, de la proportion Sesquiquinziesme, entre 16. et 15.

XI. Semiton moyen, entre 135. et 128.

XII. Semiton mineur, de la proportion Sesqui-vingt-quatriesme, entre 25. et 24.

XIII. La Diese mineure, qui est de la proportion Surtripartiente cent vingt-cinquiesme, entre 128. et 125.

XIV. Comma de la proportion Sesquioctante, entre 81. et 80.

XV. Le Prisme, qui est entre la Sesquioctante-sixiesme, et Sesquioctante-septiesme; et l'Acroprisme, tres-petits Interualles qui ne sont point en vsage, non plus que l'Ectome, qui est la difference du Prisme et de l'Acroprisme.

[-29-] XVI. La Quinte auec la Tierce majeure, ou Septiesme majeure, qui est de la proportion Surseptpartiente-Octaues, entre 15. et 8.

XVII. La Quinte auec la Tierce mineure, ou Septiesme mineure, qui est de la proportion Surquadripartiente-Quintes, entre 9. et 5.

En dernier lieu, sont les Interualles qui ne sont pas justes, et qui sont diminuez, ou augmentez de l'vn des Semitons, ou du Comma, ou des deux ensemble.

Comme la fausse Octaue, ou diminuée, qui est de 48. à 25.

La fausse Quinte, ou diminuée, qui est de 64. à 45.

La Quinte superfluë, qui est de 25. à 16.

La Quarte diminuée, qui est de 32. à 25.

La Quarte superfluë qui se nomme Triton, qui est entre 45. et 32. et

La Tierce diminuée ou Ton superflu, qui est entre 256. et 225.

Quels sont les Interualles composez.

CHAPITRE XVI.

LEs Interualles Composez des Simples (desquels il faut faire le mesme jugement) sont dits estre composez en premier lieu.

Comme Disdiapason, la double Octaue ou Quinziesme, qui est de la proportion Quadruple, entre 4. et 1.

Diapason Diapente, l'Octaue auec la Quinte ou Douziesme, qui est de la proportion Triple, entre 3. et 1.

Diapason Diatessaron, l'Octaue auec la Quarte ou Vnziesme, de la proportion double sur Bipartiente-Tierces, entre 8. et 3. et cetera.

D'autres sont composez en second lieu.

Comme Tris-Diapason, la triple Octaue ou vingt-deuxiesme, de la proportion octuple, entre 8. et 1.

Disdiapason Diapente, la double Octaue auec la Quinte ou dix-neufiesme, de la proportion Sextuple, entre 6. et 1. et cetera.

D'autres sont composez, en troisiesme lieu, comme Tetra-Diapason, la quadruple Octaue ou vingt-neufiesme, de la proportion Sedecuple, entre 16. et 1. et cetera.

D'autres sont composez en quatriesme lieu, et de cette sorte l'on peut continuër à l'infiny.

Il y a encore vn Interualle composé qui n'est pas juste, et qui excede du Semiton moyen sa juste estenduë; c'est l'Octaue superfluë qui est entre 135. et 64.

Il faut sçauoir que de tous les susdits Interualles Simples et Composez, justes et non justes; il s'en trouue des secondes especes, que l'on verra toutes auec leurs raisons, dans le 7. Liure.

Ie me suis seruy cy-dessus du mot de Raison, et de Proportion pour vne mesme signification, mesme entre deux parties, ou Euclide veut que ce soit Raison, et Boëce Proportion; mais ce dernier semble mieux conuenir à la Musique.

[-30-] Expliquer les differences qui sont entre les Interualles.

CHAPITRE XVII.

LEs Interualles sont encore differens les vns des autres en cinq manieres; à sçauoir, 1. en grandeur: 2. en ce qu'ils sont Consonans ou Dissonans: 3. Simples ou Composez: 4. differens au genre: 5. et Rationels ou Irrationels.

En premier lieu, les Interualles sont differens en grandeur: Par exemple, la Quinte est plus grande que la Quarte; La Tierce majeure plus grande que la mineure: Le Ton plus grand que le Semiton, et ainsi des autres.

En second lieu, il y a des Interualles consonans ou accordans, comme l'Octaue, la Quinte, et autres; et d'autres qui ne le sont pas, comme le Ton, le Semiton, le Triton, et autres.

En troisiesme lieu, la difference des Interualles se trouue entre les Simples et Composez; mais ce n'est point de ceux que j'ay parlé cy-dessus, ou j'appelle Interualles simples l'Octaue, et tout ce qui est au dessous d'elle; et Interualles Composez, tous ceux qui sont au dessus de l'Octaue: I'entends parler icy de tous les susdits Interualles Simples, lesquels estant comparez les vns auec les autres sont Simples ou Composez: Les Simples sont ceux qui sont entre deux Sons prochains, et qui se suiuent immediatement comme Vt, ré; Ré, mi, et ainsi plus outre. Les Composez sont entre les Sons ou Chordes qui sont separées, comme Vt, mi; Vt, fa; Ré, sol, et ainsi des autres. Or il y a pourtant certains Interualles depuis le Semiton jusques au Diton, qui sont Simples et Composez selon le genre de Musique où ils se trouuent.

Par exemple, le Semiton est Composé dans le genre Enharmonic, et Simple dans le Chromatic, et Diatonic. Le Ton est Composé au Chromatic, et il est Simple au Diatonic. La Tierce mineure est Simple au Chromatic, et Composée au Diatonic: Et la Tierce majeure est Simple enl'Enharmonic, et Composée au Chromatic et au Diatonic.

Tous les Interualles qui sont moindres que le Semiton, sont Simples, parce qu'ils ne se peuuent diuiser par aucune chorde ou Voix; Et tous ceux qui sont plus grands que le Diton ou Tierce majeure, sont Composez; parce que (en chaque genre) on les peut diuiser en mettant vne chorde ou Voix entre leurs extremitez: et c'est ce que l'on verra clairement cy-apres, dans le progrés du Systeme parfait de chaque genre de Musique. Quand doncques l'on comparera l'Octaue et tous les Interualles qui sont au dessous d'elle, les vns aux autres; ils seront Simples ou Composez selon les differences susdits; mais ils seront tous Simples, si on les compare auec ceux qui sont au dessus de l'Octaue, qui sont tous Composez.

En quatriesme lieu, les Interualles sont differens au genre; car les vns sont [-31-] Diatoniques, d'autres Chromatiques, et d'autres Enharmoniques.

En cinquiesme et dernier lieu, les Interualles different encore, en ce qu'ils sont Rationels ou Irrationels; Les Rationels sont ceux desquels on peut expliquer la grandeur comme du Semiton, de la Tierce majeure et autres: Les Irrationels sont ceux desquels on ne peut monstrer la grandeur.

Lors que j'ay parlé cy-deuant de tous les Interualles Simples, j'en ay fait voir la Proportion, et non pas de tous les Composez; mais il sera facile à vn chacun de les trouuer, pourueu que l'on double le nombre majeur de la proportion, et qu'on laisse le mineur en son estat: Par exemple, l'Octaue est entre 2. et 1. Or si l'on veut auoir la proportion de l'Interualle Composé qui est la quinziesme, et qui luy fait Octaue; Il faut doubler le nombre majeur qui est 2. et laisser l'vnité; par ainsi l'on trouuera 4. et 1. qui est la proportion de la quinziesme; et le mesme se doit faire de tous les autres Interualles composez, soit en premier, second, troisiesme, et quatriesme lieu, et mesme jusques à l'infiny.

Mais quand l'on voudra trouuer la proportion d'vn Interualle Composé, et que des deux nombres qui font la proportion, l'on pourra diminuër le mineur; il vaut mieux le faire que d'augmenter le majeur; Par exemple, si l'on veut trouuer la proportion de l'Interualle Composé qui fait Octaue à la Quinte, l'on prendra la proportion de la Quinte, qui est entre 3. et 2. et au lieu d'augmenter le 3 on diminuëra le 2. et l'on mettra 3. et 1. qui est la proportion de la douziesme, l'Interualle Composé et qui fait Octaue à la Quinte.

Expliquer ce que c'est que Diasteme, et en quoy il est different de l'Interualle.

CHAPITRE XVIII.

DIasteme est vne distance composée de deux ou plusieurs Interualles, et il faut que le Diasteme contienne pour le moins entre ses deux extremitez, deux Interualles de quelque espece ou genre que ce soit; d'où s'ensuit que l'on ne peut pas appeller Diasteme, vn Interualle moindre que la Quarte; car puisqu'il faut tout au moins deux Interualles de quelque genre que ce soit, et que le Diton est vn Interualle Simple dans l'Enharmonique, l'on ne peut pas moins adjoûter pour vn second Interualle qu'vn Semiton, lequel estant joint auec le Diton, compose la Quarte qui par consequent fait vn Diasteme composé de deux Interualles: Et par ainsi tout Diasteme peut estre nommé Interualle, mais non pas au contraire; car tous les Interualles ne sont pas Diastemes.

[-32-] Declarer ce que c'est que Tetracorde.

CHAPITRE XIX.

TEtracorde, est vne continuation de quatre chordes ou voix, desquelles la plus basse à la plus haute resonne Diatessaron; c'est à dire, vne Quarte. Si bien que le Tetrachorde, est la disposition des Sons conjoints qui font la Quarte. Cette disposition rencontrée par les Anciens, fut si favorablement receuë sous le nom de Tetracorde, que d'vn commun consentement, ce mot est retenu pour diuiseur du grand et parfait Systeme de quinze chordes, en chaque espece de Musique.

Et voicy la raison particuliere qui a porté Pythagore, et apres luy les autres Philosophes, de composer et de diuiser ce grand Systeme par Tetracordes, et non par Pentacordes ou Quintes; c'est à cause, qu'en chaque genre de Musique, le Tetracorde garde toujours vne mesme raison, et vne mesme distance et mesure, ce qui n'arriueroit pas si on diuisoit par Pentacordes; dautant que poursuiuant en chaque genre le Systeme, successiuement de chorde en chorde, l'on rencontre des Pentacordes ou Quintes differentes les vnes des autres, qui sont plus grandes ou moindres qu'il ne faut, ce que l'on verra facilement dans les Systemes que j'apporteray cy-apres en traitant des trois genres ou especes de Musique.

Definition du Systeme.

CHAPITRE XX.

LE mot, Systeme, est pris pour diuerses choses, signifiant neantmoins toujours vn amas ou assemblage; et mesme dans la Musique, il est pris pour vn assemblage de Voix par Interualles et Diastemes contenant en soy les Deux.

Ptolomée considerant simplement le Systeme, dit que c'est vne certaine grandeur ou distance, composée de Consonances.

Briennius dit, que le Systeme est la Consonance des Consonances, comme est Diapason ou l'Octaue, et Disdiapason ou la Quinziesme.

Franchine dit, que le Systeme est vn amas ou assemblage de plusieurs Sons, composé d'vn ou de plusieurs Diastemes, et par cette definition Diatessaron et Diapente peuuent estre nommez Systemes: Toutefois sa vraye et plus entiere definition est de la prendre pour vne Harmonie accomplie pour le moins de deux Consonances, comme Diapason, ou Disdiapason.

[-33-] Quels Systemes sont parfaits et muables; Et pourquoy Disdiapason est parfait et immuable.

CHAPITRE XXI.

IL y a de deux sortes de Systemes, dont l'vn (qui est Diapason) est parfait, mais muable: et l'autre (qui est Disdiapason) est parfait et immuable. Le premier (qui est le moindre, et qui est composé des plus petits et simples Diastemes, à sçauoir Diatessaron et Diapente) est parfait; parce qu'il contient en soy toutes les especes de sa Consonance continuë, qui est Diapente; mais il est muable, parce qu'il se change en diuerses sortes par ses especes.

L'autre (qui est Disdiapason, desduit par les grands Diastemes et Composez) est parfait; parce qu'il contient sa Consonance continuë Diapason, en toutes les mutations de ses especes: Et est immuable, dautant que ne luy defaillant rien de sa perfection, il ne reçoit qu'vne maniere de reuolution, en laquelle, sans se changer en rien, il souffre les mutations des trois Consonances, Diatessaron, Diapente, et Diapason: et procedant Diatoniquement, il contient en ses quinze chordes, toutes les Consonances et routes leurs especes; c'est pourquoy et auec raison, on l'appelle le grand Systeme parfait et immuable.

Doncques Diapason et Disdiapason, qui sont l'Octaue et la Quinziesme, sont estimées (entre toutes les Consonances) les seules parfaites, et non pas Diapente qui est la Quinte, comme quelques-vns ont pensé; car bien qu'elle soit vn bon accord au jugement de l'oreille, on ne la tient pas pourtant pour Harmonie ou Systeme parfait, à cause que procedant Diatoniquement, elle ne s'estend qu'en cinq Sons, et ainsi elle n'est pas suffisant de montrer les trois especes de Diatessaron la Quarte, qui est sa Consonance continuë; non plus que Diapason Diapente, celles de Diapason, qui est aussi sa Consonance continuë.

Il faut remarquer encore, que Disdiapason ne s'attribuë pas pour sa Consonance continuë Diapason Diapente, quoy que moindre et plus prochaine; parce que procedant Diatoniquement, elle ne possede pas entierement ses quatre especes; mais elle reçoit Diapason pour sa Consonance continuë, à cause que (comme il a esté dit cy-dessus) elle en possede toutes les sept especes. Ainsi Diapason a pour sa Consonance continuë mineure, Diapente: Et Diapente a pour la sienne Diatessaron: Et finalement Disdiapason a pour sa Consonance continuë, Diapason; et non pas Diapason Diapente (quoy que mineure et plus prochaine) pour les raisons susdites.

[-34-] Expliquer quel estoit le Systeme anciennement: Et comment il a esté augmenté de temps en temps jusques à maintenant: Et qui en sont les Autheurs.

CHAPITRE XXII.

LE premier et plus ancien Systeme, qui a esté inuenté par Mercure, n'estoit que de quatre chordes, ausquelles peu à peu l'on en adjoûta jusques au nombre de sept, et fut (dit-on) la Lyre ainsi accordée, montrée par ledit Mercure à Orphée; Mais Pythagore y adjoûta vne huictiesme chorde, particulierement pour la perfection du Systeme Diapason, afin d'acheuer entierement l'Octaue; Boëce dit pourtant que ç'a esté Samius Lychaon: Et comme l'on eust encore adjousté les autres chordes jusques à la Quinziesme, pour rendre le Systeme parfait en ses Tetracordes; le mesme Pythagore les disposa harmoniquement, et en montra les raisons depuis le plus aiguë (qui est Nete Hyperboleon) jusques à la plus graue, qui est Proslambanomenos.

Mais maintenant l'on passe plus auant, car l'on va jusques à vne troisiesme et quatriesme Octaue, et encore plus outre, à cause de la varieté et de la grace de la Musique vocale et Instrumentale, qui procede de l'excellente et admirable perfection de l'eschelle Syntonne: De telle sorte que nostre Musique est incomparablement plus parfaite et excellente qu'elle n'estoit anciennement; car au rapport de Nicomachus, elle estoit si simple, qu'elle consistoit en vn seul Tetracorde pour toute estenduë, ce qui continua jusques à Orphée, et il n'y auoit qu'vne seule Voix en toutes les sortes de Chants, sans autre meslange de Consonances ny d'Harmonie: Apres l'on augmenta peu à peu les chordes, comme l'on verra cy apres, et il y eut des Autheurs qui y adjousterent des Tetracordes, pour parfaire le Systeme de quinze chordes, comme nous voyons maintenant: tellement que nous n'vsons pas seulement d'vne voix; mais de 2. 3. 4. 5. 6. 8. et de plusieurs ensemble, pour former dans nos Chants vne parfaite Harmonie.

Or les Pythagoriens se sont arrestez entierement à la Quinziesme ou Disdiapason, et ne l'ont point voulu augmenter ny outrepasser, pour demeurer toujours dans la mediocrité, ce que mesme l'on a fait long-temps apres eux, estimant que c'est la propre et la veritable estenduë que la Nature a donné pour la Voix Humaine. Nous voyons d'ordinaire qu'vne Voix ne passe gueres l'estenduë d'vne quinziesme sans estre forcée, et si elle la passe (soit en bas ou en haut,) l'on entend assez souuent, que les Tons ou Sons n'en sont pas esgalement naturels, et Pythagore a toujours estimé que l'excés par dessus ou dessous ladite quinziesme etoit importun et sans aucun fruit.

[-35-] Il est à propos auant que de finir ce Chapitre, de faire voir qui sont les Autheurs, qui ont inuenté et adjousté des chordes à ce premier Systeme, qui n'estoit que de quatre chordes ou Voix et qui fut inuenté par Mercure, et qui continua jusques à Orphée, comme il est rapporté par Boëce, dans le 20. Chapitre de son premier Liure de la Musique, où en suite l'on voit qu'vn certain Chorebus Roy des Lydiens adjousta la cinquiesme chorde: Puis vn nommé Hyagnis Phrygien augmenta le Systeme d'vne sixiesme chorde, et Terpandre Lesbien d'vne septiesme pour en faire vn Eptacorde: En suite de cela, fut encore adjousté vne huictiesme chorde par Samius Lychaon, qui fut Autheur de l'Octocorde, que Franchine attribuë à Pythagore: Puis l'on adjousta encore trois chordes du costé des plus basses; à sçauoir, la neufiesme, la dixiesme et l'vnziesme: La neufiesme fut adjoustée par vn nommé Prophrastus Periotes: La dixiesme par Estiacus Colophonius: Et l'vnsiesme par Timothée Milesien, qui est celuy qui a encore inuenté la Musique Chromatique.

A cela on adjousta vne plus basse chorde (pour faire l'Octaue de Mese) qui fut nommée Proslambanomenos; et par quelques autres Prosmelodos, distante d'Hypate Hypaton sa prochaine d'vn Ton entier. Les Autheurs des trois chordes aiguês ne sont pas nommez; mais l'on croit que c'est Pythagore, à cause qu'il a reglé le Disdiapason ou Quinziesme en quadruple proportion, auec toutes les autres raisons et proportions: Or il estoit necessaire de les adjouster et de faire vn autre Tetrachorde au dessus de Nete DieZeugmenon; à cause que la chorde Mese (ainsi appellée pour estre placée au milieu des quinze chordes) estoit trop esloignée des plus basses et trop voisine des aiguês, et n'estant pas placée en son propre lieu, il fallut adjouster le Tetracorde Hyperboleon, par le moyen duquel, la chorde Mese se trouue placée comme il faut, estant justement au milieu de Disdiapason. L'on verra cy-apres combien il y a de Tetracordes dans le grand et parfait Systeme, leur differences et leurs noms.

Declarer ce que c'est que Genres ou especes de Musique, et combien il y en a.

CHAPITRE XXIII.

LE Genre de Musique est vne certaine façon de Melodie qui montre les differentes formes des Tetracordes; ou bien, le Genre est vne particuliere diuision du Tetracorde; c'est à dire, de la Quarte.

Il y a trois Genres dans la Musique, à sçauoir, Diatonic, Chromatic, et Enharmonic. Le Diatonic se poursuit continuellement en chaque Tetracorde, en montant par vn Semiton majeur en son premier Interualle, et deux Tons (majeur et mineur) immediatement en ses deux derniers Interualles, et au contraire en descendant; Il est appellé Diatonic, parce qu'il procede par des Tons l'vn apres l'autre, et c'est celuy dont nous vsons ordinairement; il esleue sa voix auec plus de vehemence et conuient dauantage [-36-] à la prononciation naturelle; et il se treuue le plus facile des trois, pour estre chanté familierement d'vn chacun, mesme de ceux qui chantent naturellement sans aucune science.

Le second Genre qui se nomme Chromatic, (qui signifie coloré,) procede en tous ses Tetracordes par deux Semitons (majeur et mineur) aux deux premiers Interualles, et par vn Semiditon ou Tierce mineure en son dernier Interualle en montant, et au contraire en descendant: Il est appellé Chrome, couleur, parce qu'il change l'intention, et par maniere de dire la couleur du Diatonic, aussi est-il entre le 1. et le 3. comme la couleur entre le blanc et le noir: Il abonde en Semitons, (comme le premier fait en Tons) plus qu'en autres Interualles; et l'artifice en est beaucoup plus difficile que du premier: Il a esté trouué par Timothée Milesien.

Le troisiesme et dernier Genre, est l'Enharmonic, comme l'on pourroit dire de parfaite Harmonie, ou tres-bien et conuenablement conjoint; qui procede en tous ses Tetracordes, par vn Semiton mineur et vne Diese, en ses deux premiers Interualles, et par vn Diton ou Tierce majeure immediatement en son dernier Interualle en montant, et au contraire en descendant: Il est appellé Enharmonique, qui signifie le mesme quasi, que propre et bien-seant; Il abonde en moindres et plus petits Interualles que les autres genres; et a esté inuenté par Olympe.

Or il est aisé à conclure que les differences des genres, procedant de la diuersité des Interualles.

Quant à ces dictions, Genres et Especes, il faut remarquer que les Musiciens s'en seruent dans vn autre sens que les Philosophes; Car dans la Musique le Genre n'est autre chose que le rapport que les quatre Sons, ou les trois Interualles de la Quarte, ont les vns auec les autres: Et parce qu'ils peuuent auoir des rapports differens dans la Quarte de chaque Genre, l'on met autant de differentes especes, qu'il y a de rapports differents: Et c'est ce que je veux montrer presentement auec des exemples bien clairs en chaque Genre, par le Systeme parfait des quinze chordes déduit successiuement par Tetracordes.

Le Systeme parfait des quinze cordes depuis Proslambanomenos, qui est A, ré; jusques à Nete Hyperboleon, qui est A, mi, la, ré; se déduit en quatre Tetracordes l'vn apres l'autre, dont le premier s'appelle Tetracorde Hypaton; c'est à dire, des principales et plus basses, à sçauoir, depuis [sqb] mi, jusques à E, mi, la.

Le second est surnommé Tetracorde Meson; c'est à dire des moyennes, commençant à E, mi, la, jusques à A, mi, la, ré.

Le troisiesme est appellé Tetracorde DieZeugmenon; c'est à dire, des dis-jointes, prenant son nom de dis-jonction; parce qu'il est separé par l'interualle d'vn Ton du precedant Tetracorde Meson, aussi commence t'il à Paramese, qui est le mi, de [rob], fa, [sqb], mi, jusques à Nete DieZeugmenon, qui est E, mi, la, ou le quatriesme Tetracorde Hyperboleon commence, acheuant à A, mi, la, ré, et c'est le Tetracorde des excellentes et plus hautes.

Tellement que Proslambanomenos demeure hors des deux premiers Tetracordes, ne seruant que d'ajointe pour faire vne Octaue à Mese: Et Mese est hors des deux Tetracordes d'en-haut, seruant seulement d'Octaue à Nete Hyperboleon.

[-37-] Or il se trouue encore vn Tetracorde collateral et conjoint, lequel on nomme Tetracorde Synemmenon, c'est à dire, des conjointes; parce que sa premiere et plus basse chorde, est la plus haute et derniere de celles du Tetracorde Meson, à sçauoir de Mese; tellement qu'il est lié au Tetracorde des moyennes, et meslé dedans celuy des dis-jointes; par ainsi sa premiere chorde sonnant mi, est Mese, qui est A, mi, la, ré; La seconde, est Trite Synemmenon, sonnant le fa, de [rob], fa, [sqb], mi; La troisiesme est C, sol, vt, fa, sonnant sol; Et la quatriesme, D, la, ré, sol, sonnant la: Et de ce que dessus, l'on peut recueillir les cinq Tetracordes, leurs noms, et le rang qu'ils tiennent dans le parfait Systeme des quinze chordes, comme l'on verra dans les trois Systemes suiuans, qui sont pour les trois genres de Musique.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 37; text: Systeme parfait du genre Diatonic. Tetracorde Hypaton. Meson. Diezeugmenon. Hyperboleon. Synemmenon. Chromatic. Enharmonic.] [COUMUS1 02GF]

L'on voit cy-dessus dans les trois Systemes, la difference des Genres ou Especes de Musique; et chaque Systeme est noté seulement en montant, mais l'on descend aussi par les mesmes degrez et interualles que l'on monte.

Or il faut remarquer vne chose particuliere dans les deux genres, Chromatic [-38-] et Enharmonic; à sçauoir que la seconde et la troisiesme chorde de chaque Tetracorde du Chromatic, ne sont pas toutes deux d'vn mesme nom, quoy qu'elles soient posées sur vne mesme Espace, ou sur vne mesme Ligne; Par exemple dans le premier Tetracorde, la seconde, et la troisiesme corde sont posées en l'espace C, mais pourtant la troisiesme est en D, qui est baissée d'vn Semiton du Diatonic; d'où s'ensuit qu'entre la troisiesme et quatriesme chorde, l'on ne peut mettre aucune Note, parce que ce Tris-hemiton est vn Interualle simple dans le Chromatic, comme j'ay dit cy-dessus. L'on doit entendre la mesme chose des deux premieres chordes de chaque Tetracorde de l'Enharmonic; car pour estre sur vne mesme Ligne ou sur vne mesme Espace, elles ne sont pas pourtant de mesme nom; dautant que la seconde corde se baisse d'vne Diese, et la troisiesme encore d'vn Ton entier du Diatonic; si bien que le Diton en ce Genre est vn Interualle simple, qui ne doit auoir aucune chorde en son milieu, aussi chaque Tetracorde ou Quarte est composée seulement de quatre chordes ou Sons, et de trois Interualles et non plus. Mais je reserue de traiter cette matiere cy-apres sur la fin du septiesme Liure, où je feray voir clairement et fort amplement, tout ce qui se peut dire, et ce que l'on peut faire en ces trois Genres de Musique Diatonique, Chromatique, et Enharmonique, soit conjoints ou separez.

Il faut remarquer que le second Semiton du Chromatic est mineur, quoy que dans la scituation naturelle où il est dans le Systeme, il soit vn Semiton moyen; parce qu'autrement la Quarte ne se trouueroit pas dans sa juste proportion de 4. et 3.

Enseigner ce que c'est que Melopée.

CHAPITRE XXIV.

MElopée est l'art du Contrepoint, et de tout ce qui se traite en la Musique; et la Musique Pratique s'appelle Melopée; c'est à dire, l'art de composer: Or il a esté dit cy dessus, que la Musique Pratique se diuise en plusieurs parties, dont l'vne est appellée Musique figurée ou Mesurée, qui a ces Notes et figures inégales, d'autant qu'on les augmente ou diminuë, selon le Signe qui les precede, soit des Modes, du Temps, ou de la Prolation, de quoy je veux parler à present: En suite, je traiteray de toutes les autres matieres qui concernent la Musique Pratique, comme de tous les signes ou degrez parfaits et imparfaits: De la Mesure et de toutes ses especes: Du Contrepoint tant Simple que Composé: Des Interualles de la Musique: Des Consonances et Dissonances qui entrent au Contrepoint: Des Modes, et generalement de tout ce qui est necessaire pour la Musique Pratique.

[-39-] Des Figures ou Notes differentes de la Musique: Et de combien de sortes il y en a.

CHAPITRE XXV.

LA Figure en la Musique, est vn Signe qui represente la Voix et le Silence; l'on dit la Voix, à cause des diuerses especes de Notes que l'on chante; et le Silence à cause des pauses qui sont equiualentes aux Notes, lesquelles sont mesurées par le Silence.

Il y a huict figures ou Notes differentes dans la Musique, à sçauoir, Maxime, Longue, Brefue, Semibrefue, Minime, Semiminime, Fuze, et Semifuze; dont les trois dernieres ont esté adjoustées pour chanter plus promptement; Car les Anciens ne se seruoient que des cinq premieres.

Ie mettray cy-apres leurs Figures, leurs Noms, et leur Valeur, sous le Signe seul du Temps imparfait, qui est marqué au commencement; et leurs Pauses, dont chacune sera proche de sa Note; laquelle valeur des Notes et des Pauses se change sous tous les autres Signes, tels qu'ils puissent estre; et c'est à quoy il faut bien prendre garde, parce que d'ordinaire l'on se trompe fort en ce rencontre; mais j'esclairciray en suite toutes ces matieres, et feray voir quelle valeur il faut donner aux Notes et aux Pauses sous chaque Signe.

Pour les Notes qui ont des queuës, j'en mettray deux de chaque espece, pour montrer qu'il est loisible de mettre la queuë en bas ou en haut, quand la Note n'est point liée à vne autre.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 39; text: Maxime. Longue. Brefue. Semibrefue. Minime. Semiminime. Fuze. Semifuze. 8. 4. 2. 1. 16. pour 1. mesure] [COUMUS1 02GF]

La Pause de la Semifuze se marque par vn demy soupir doublé, qui est tourné du costé gauche, et on la peut marquer encore par vn demy soupir triplé, qui est tourné du costé droit.

Le nombre qui est dessous chaque Note ou Pause du premier rang, montre combien elle vaut de Mesures entieres: et les nombres du second rang, font connoistre combien il faut de semblables Notes ou Pauses pour vne Mesure; [-40-] mais c'est toujours sous le seul Signe du Temps imparfait; dautant que sous vn autre Signe la valeur des Notes et des Pauses sera toute differente: I'ay mis sur chaque Note, son nom; afin qu'on les puisse nommer, quand on parlera d'elles, et que l'on ne commette pas la faute, qui n'est que trop ordinaire à quelques-vns, qui nomment la Longue, la Note de quatre; et pour parler de la Brefue, disent, la Note de deux, et ainsi des autres; et ils n'apperçoiuent pas qu'vne mesme Note ou Pause peut valoir deux, quatre, six, ou huict Mesures; selon les differens Signes qui les precedent; ainsi que l'on verra cy-apres au Traité des Signes.

Des Ligature des Notes.

CHAPITRE XXVI.

VOicy vne maniere qui est traité presque par tous les Autheurs qui escriuent de la Musique; et qui en voit vn pour ce sujet, peut dire auoir vue quasi tous les autres; parce que c'est la seule des matieres où ils s'accordent le plus: Ce qu'ils disent (quelques articles exceptez) est veritable et necessaire; mais ce qu'ils ne disent pas, ne laisse pas de l'estre; Ie veux dire qu'ils n'ont pas parlé de beaucoup de choses, touchant ces Ligatures, desquelles je traite icy auec tout le reste qui en despend, si clairement et si amplement, et auec tant d'exemples, qu'on n'y peut rien souhaiter dauantage. Et pour commencer je dis, que

La Ligature se fait par la conjonction des principales Notes, auec certains traits que l'on met en bas ou en haut.

Il n'y a que les quatre principales Notes qui se peuuent lier et joindre ensemble; à sçauoir, la Maxime, la Longue, la Brefue, et la Semibrefue. Et pour connoistre leur nom et leur valeur lors qu'elle sont liées; il faut obseruer trois choses: Premierement il faut voir si la Figure ou Note est quarrée ou oblique: On appelle obliques, les Notes qui ne font qu'vn seul corps, en changeant de chorde, soit en montant ou en descendant, ainsi [Lig2vcdsnod,Lig2vod].

Secondement, il faut prendre garde, si la Note a vne queuë ou non; et ayant vne queuë, si elle est du costé droit ou du costé gauche, et de plus si elle tend en haut ou en bas.

Finalement, il faut obseruer la scituation de la Note, et voir si elle est au commencement de la Ligature, ou au milieu, ou à la fin: Si elle est la premiere, elle est nommée Principale ou Initiale: Estant au milieu, elle est dite Mediane, telles que sont toutes les Notes qui sont entre la premiere et la derniere; Si elle est à la fin, on la nomme Finale.

Par ces trois moyens l'on connoist toutes les Notes liées; et leur valeur se connoist par les Signes differens qui les precedant, qui les font augmenter, diminuër, [-41-] ou demeurer en leur essentielle valeur, qui est celle dont j'ay parlé cy-dessus, sous le Signe de Temps imparfait.

Les Notes en Ligature, qui se trouuent sous des degrez ou Signes parfaits; peuuent estre parfaites, imparfaites, alterées, diuisées, et subjetes aux Poincts de Perfection, Augmentation, Diuision, et Alteration, comme celles qui sont desliées.

Des premieres Figures, ou Notes liées.

CHAPITRE XXVII.

TOvte premiere Note, oblique ou quarrée, qui a la queuë en haut du costé gauche, est toujours Semibrefue auec sa suiuante: Ie mettray cy-apres tous les Exemples de suite, marquez auec les Lettres de l'Alphabet. (a) Si l'on veut faire trois Semibrefues de suite, l'on mettra encore la queuë sur la seconde, et non pas sur la der-derniere: (b) Et si l'on en met plusieurs de suite, l'on mettra la queuë de deux en deux Notes: (c) Ainsi que l'on voit dans les Exemples suiuans, qui le feront mieux comprendre; à cause que j'ay mis sur chaque Note liée, les Notes qui sont hors de Ligature, et qui sont de mesme valeur.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 41,1; text: (a), (b), (c), 1. 2.] [COUMUS1 03GF]

Toute premiere Note, qui a la queuë en bas du costé gauche; est Brefue, quand la Note suiuante descend. (d)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 41,2; text: (d), 2. 4.] [COUMUS1 03GF]

Toute premiere Note quarrée, qui a la queuë en bas du costé droict, est longue, quand la suiuante monte. (e)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 41,3; text: (e), 4. 2.] [COUMUS1 03GF]

Toute premiere Note, oblique ou quarrée, qui n'a point de queuë, est longue lors que la suiuante descend. (f) Et si la suiuante monte, cette premiere sans queuë, est brefue.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 41,4; text: (f), (g), 4. 2.] [COUMUS1 03GF]

[-42-] Des Notes du milieu en Ligatures.

CHAPITRE XXVIII.

TOvte Note en Ligature, qui est entre la premiere et la derniere, est nommée Mediane.

Toute Note du milieu qui n'a point de queuë, est brefue, (h) exceptée la Maxime, et la seconde Semibrefue.

Les quatre Notes qui entrent en Ligature, à sçauoir, la Maxime, la Longue, la Brefue, et la Semibrefue, se peuuent lier aussi bien au milieu, à la fin, qu'au commencement; contre ceux qui ont pensé que la Longue ne se pouuoit pas lier par le milieu.

Et lors qu'il y aura vne queuë en bas, au milieu des Ligatures; elle seruira pour la Note qui la precede, et à laquelle elle est attachée, qui par consequent sera longue. (l)

Vne seule en est exceptée, car si cette queuë tient à vne Maxime, elle seruira pour la Note qui suit la Maxime, pourueu qu'elle soit la derniere, et qu'elle descende, et consequemment elle sera brefue. (m)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 42,1; text: (h), (l), (m), 1. 2. 4. 8.] [COUMUS1 03GF]

Lors qu'au milieu des Ligatures, il y aura vne queuë en haut; elle seruira pour la Note qui suit, et à laquelle elle est attachée; et sera Semibrefue, auec sa suiuante liée. (n)

Si apres vne Longue qui a la queuë en bas, l'on veut mettre vne Semibrefue; il faut mettre encore pour cette Semibrefue vne queuë en haut, qui sera contiguë à celle de la Longue. (o)

La Maxime ne perd jamais sa forme; et vaut autant au commencement, et au milieu, qu'à la fin; et n'a besoin de queuë, sinon lors qu'elle est la derniere; c'est pourquoy elle est exceptée de toutes les regles des Ligatures. (p)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 42,2; text: (n), (o), (p), 1. 2. 4. 8.] [COUMUS1 04GF]

[-43-] Des dernieres figures ou notes liées.

CHAPITRE XXIX.

TOvte derniere Note quarrée qui n'a point de queue, et qui descend, est Longue. (q) et si elle est oblique, elle sera Brefue. (r)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 43,1; text: (q), (r), 4. 2. 1.] [COUMUS1 04GF]

Toute derniere Note, qui n'a point de queu et qui monte, est Brefue. (s)

Toute derniere Note qui monte, et qui a la queue du costé droit, en haut ou en bas, est Longue. (t)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 43,2; text: (s), (t), 2. 1. 4.] [COUMUS1 04GF]

Il faut excepter de toutes les susdits Regles, (tant des Notes du milieu, que des dernieres liées;) la Note qui suit immediatement la Semibrefue, qui a vne queue; dautant que cette suiuante est toujours Semibrefue, si elle n'est Maxime. (u)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 43,3; text: (u), 1. 2. 4. 8.] [COUMUS1 04GF]

Lors que deux Notes quarrées sont liées, et esloignées l'vne de l'autre; il ne faut pas estimer pour vne queuë, ce qui les lie, et qui tient les deux extremitez. (x) Car il faut que les queuës outrepassent les Notes, si l'on veut qu'elles seruent. (y)

Et lors quil y aura deux Notes l'vne sur l'autre; il faut chanter la plus Basse auparauant que la plus haute. (z)

Et si la Note qui est dessus, est esloignée au moins d'vne Quarte ou plus, de celle qui est dessous, elle sera Longue. (a) Toutefois ce dernier aduertissement des trois derniers Exemples, n'est pas mis pour s'en seruir, mais seulement pour connoistre la valeur de semblables Notes, dans les anciens Autheurs; dautant que l'on ne met plus de la sorte, les Notes l'vne sur l'autre.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 43,4; text: (x), (y), (z), (a), 4. 2. 1.] [COUMUS1 04GF]

[-44-] Exemples de toutes les sortes de Ligatures; qui donneront vne parfaite instruction, pour en faire en toutes les façons possibles.

CHAPITRE XXIX.

VOicy des Exemples de toutes les differentes Ligatures, que l'on connoistra facilement par leur nom, et par leur valeur; si l'on prend tant soit peu de peine de voir et de considerer les Regles precedentes; Et si dans le commencement l'on y trouuoit quelque difficulté; il faudroit prendre garde à leur scituation; et sçauoir, si elles sont des premieres, ou de celles du milieu, ou des dernieres; afin de recourir aux Regles données pour chaque sorte de ces Notes.

EXEMPLES.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 44; text: 2. 1. 4. 8.] [COUMUS1 05GF]

Le nombre qui est dessous chaque Note, montre combien elle vaut de Mesures sous le Signe du Temps imparfait seulement; et c'est afin d'en faciliter la cognoissance, pour tous les autres Signes tels qu'ils puissent estre.

I'ay dit cy-dessus, que toute premiere Note ayant la queuë en haut du coste senestre, est Semibrefue auec sa suiuante; mais cela se doit entendre aussi bien [-45-] pour le milieu, que pour le commencement, ainsi qu'on le peut voir dans les precedens Exemples. Et quand l'on dit, que sa suiuante est aussi Semibrefue; cela s'entend quand elle n'a point de queuë en bas, car ayant vne queuë elle est Brefue ou Longue; Auec cette obseruation que si la premiere Semibrefue, qui a la queüe en haut (soit au commencement ou au milieu,) a encore vne queüe en bas; alors cette suiuante sera Brefue; parce que la queüe en bas sert pour elle. (a)

Mais si la queüe en bas est à la seconde Semibrefue du costé droict, alors cette seconde sera Longue, et non Semibrefue, et la queüe sert à la Note qui la precede. (b) Et par ainsi toutes les Notes, (à sçauoir, la Maxime, la Longue, la Brefue, et la Semibrefue,) peuuent estre liées, tant au commencement, au milieu, qu'à la fin. (c)

Exemple.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 45,1; text: (a), (b), (c), 1. 2. 4.] [COUMUS1 05GF]

Il faut conclure de ce qui a esté dit cy-dessus, que la queuë qui est en haut par le milieu des Ligatures, sert pour la Note qui suit; qui par consequent est Semibrefue: et si la queuë est en bas, elle sert pour la Note qui precede, si ce n'est que cette queuë en bas soit à la Semibrefue, qui a des-ja vne queuë en haut; car alors elle sert pour la suiuante en ce seul rencontre, ainsi que je l'ay montré clairement par des Exemples.

Il a esté dit cy-dessus, parlant des Notes liées obliques, qu'elles ne font qu'vn seul corps, c'est à dire que les deux ne se diuisent point; Il est permis pourtant en vn seul rencontre de les diuiser, en mettant par le milieu vne queuë en bas, lors que l'on veut auoir vne Longue par le milieu de trois Notes liées; dont la derniere est Brefue en descendant; autrement il s'ensuiuroit que jamais l'on ne pourroit faire Longue la penultiesme Note, quand la derniere descendroit pour estre Brefue, et pourtant cela se doit pratiquer de la sorte, n'y ayant aucun autre moyen de le faire, ainsi que l'on voit dans l'Exemple cy-dessous cotté. (d)

Il faut sçauoir encore, que lors qu'il y a deux Notes obliques, plus ou moins esloignées l'vne de l'autre, soit d'vne Quinte, d'vne Octaue, ou d'autre Interualle; il ne faut chanter que les deux extremitez, comme l'on voit cy-apres à l'Exemple cotté. (e)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 45,2; text: (d), (e), 2. 4. 1.] [COUMUS1 05GF]

Voila tout ce qui se peut dire des Ligatures, et l'on aduouera necessairement, que jusques icy on ne les a point traitées de la sorte; ce qui est aisé à verifier, [-46-] puisque c'est vne question de fait. Ie n'ay point mis de Clefs en tous les susdits Exemples, parce qu'il n'est pas besoin de les chanter, il suffit de nommer chaque Note par son nom, et d'en connoistre sa valeur, sous le Signe qui est au deuant.

Des Signes de la Musique, et premierement des Signes ou degrez parfaits.

CHAPITRE XXXI.

CEtte matiere des Signes ou des degrez parfaits, est celle presque de toute la Musique, qui est la plus mal entendue, et plus mal pratiquée; aussi est-ce la plus embrouïllée, et la plus mal expliquée, de beaucoup d'Autheurs qu'aucune autre; et tres-peu se sont accordez ensemble, pour marquer comme il faut lesdits degrez parfairs.

Quelques-vns ont marqué le premier des quatre par vn Cercle entier, et vn trois tout joignant; ainsi, [O3]: Le second par vn Cercle et vn deux, de la sorte [O2]: Le troisiesme en trois façons comme l'on voit icy, [O3], ou [C3], ou bien [O]: Et le quatriesme auec vn Cercle, ou demy Cercle, et vn Poinct dedans, ainsi [Od] ou [Cd]: Il y en a qui les ont marquez en mettant plusieurs Cercles les vns dans les autres; et quelquefois auec vn Triangle dans les Cercles. Il y en a d'autres qui ont voulu faire connoistre les Notes parfaites, en mettant trois Poincts au dedans; et les imparfaites par deux Poincts: Il s'en trouue mesme qui ont marqué le premier degré auec deux Pauses seulement, contenant trois espaces; et le second par vne seule Pause de pareille grandeur, sans autre signe. Et des particuliers en ont fait voir encore en plusieurs autres manieres, et ont donné aussi des differentes marques ou caracteres, qui sont faux, pour ces quatre degrez, lors qu'ils sont imparfaits.

Or comme j'ay veu cette diuersité insupportable, de differences marques ou caracteres, qui sont sans fondement et sans raison: I'ay trauaillé auec des peines incroyables, pour esclaircir et expliquer clairement toutes ces matieres; et enfin je les ay toutes reduites au poinct où elles doiuent estre, et où il s'en faut tenir absolument: Et pour en donner vne parfaite intelligence, je dis que

Les Signes de la Musique, sont certains Caracteres, posez immediatement deuant les Notes, et apres la Clef, en chaque commencement de Chant, Motet, Chanson, ou autres pieces; par le moyen desquels on connoist quelle valeur ou durée de Temps, doit auoir chaque espece de Note et de Pause: Et ces Signes se peuuent mettre encore par le milieu, ou en tous autres lieux de la Composition, selon la volonté du Compositeur.

Il y a des degrez ou Signes parfaits, et d'autres imparfaits: Les degrez parfaits sont quatre, qui seruent pour les quatre principales Notes. Le premier s'appelle Mode majeur parfait, et sert pour la Maxime seulement, qui est mesurée par trois Longues: Il se marque par deux Pauses qui remplissent trois espaces, et par vn demy Cercle (qui est le Temps imparfait) suiuant immediatement. (a) ce degré n'est plus en vsage.

Le second degré parfait, s'appelle Mode mineur parfait, et sert pour la Longue [-47-] seulement qui est mesurée par trois Brefues: Il se marque par vne Pause, qui remplit trois espaces, et par vn demy-Cercle qui suit immediatement: (b) Il n'est non plus en vsage que le precedent. Les pauses dont j'ay parlé tant pour ce degré, que pour l'autre, ne seruent de rien pour le silence; mais seulement pour marque du degré; et il faut obseruer que par tout où est le Mode majeur parfait, le Mode mineur parfait y est aussi, et non pas au contraire.

Le troisiesme degré ou Signe parfait, qui seul nous est demeuré, et duquel l'on se sert à tous momens, (mais le plus souuent tout au contraire de bien) s'appelle Temps parfait: il sert pour la Brefue seulement, qui est mesurée par trois Semibrefues; et il se marque par vn Cercle entier. (c)

Le quatriesme et dernier degré parfait, qui est encore assez delaissé; s'appelle Prolation parfaite. Il sert pour la Semibrefue seulement, qui est mesurée par trois Minimes; et il se marque par vn demy Cercle, auec vn Poinct au dedans. (d)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 47; text: Mode majeur parfait. mineur, Temps, Prolation, (a), (b), (c), (d)] [COUMUS1 05GF]

Vn seul Signe (qui est le demy Cercle) fait connoistre l'imperfection de tous les degrez: Car si l'on oste du Mode majeur parfait, seulement les deux Pauses qui precedent le demy Cercle, il sera imparfait; c'est à dire; que la Maxime ne vaudre que deux Longues.

Et si l'on oste seulement du Mode mineur parfait, la Pause qui precede le demy Cercle, il sera imparfait; et la Longue ne vaudra que deux Brefues.

Et si au temps parfait, l'on oste la moitié du Cercle du costé droict, n'y laissant que l'autre moitié du costé gauche, pareille aux susdits degrez: il sera imparfait, et la Brefue ne contiendra que deux Semibrefues.

Finalement si en la Prolation parfaite, l'on oste le Poinct qui est dedans le demy Cercle, elle sera imparfaite ou mineure, et la Semibrefue ne contiendra que deux Minimes: et par ainsi le seul demy Cercle denote l'imperfection de tous les degrez. Or l'on peut joindre, si l'on veut, deux, trois, ou quatre degrez parfaits ensemble; et la perfection ne s'estendra que sur les Notes des degrez qui sont marquez: Par exemple, si l'on met seulement le Temps et la Prolation ensemble, ainsi [Od], la Brefue, et la Semibrefue y seront seulement parfaites, à cause que le Temps et la Prolation y sont parfaits. Le mesme iugement se doit faire des autres degrez, qui se peuuent joindre ensemble: si on les veut auoir tous quatre, il les faut marquer ainsi (a). Si l'on veut les trois premiers, ainsi (b); les trois derniers, ainsi (c); les deux premiers (d); les deux derniers (e); Le premier, [-48-] le second, et le troisiesme (f): Le second et le quatriesme, ainsi (g): Le premier, le second, et le dernier; (h) Le second, et le troisiesme. (i)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 48; text: (a), (b), (c), (e), (f), (g), (h), (i)] [COUMUS1 06GF]

A present je feray voir tout ce qui est necessaire pour ces degrez, et ce sera en traitant seulement le Temps parfait, puisque c'est celuy de tous les degrez que nous mettons le plus souuent en vsage; et par lequel on aura vne parfaite connoissance des autres degrez, dont il faut faire le mesme jugement.

Or chaque degré ou Signe parfait, n'a aucune Note parfaite sous soy, sinon celle qui luy est destinée. On dit vne Note estre parfaite, quand elle vaut trois fois sa suiuante; ainsi la Maxime parfaite, vaut trois Longues au Mode majeur parfait: La Longue vaut trois Brefues au Mode mineur parfait: La Brefue vaut trois Semibrefues au Temps parfait; Et la Semibrefue vaut trois Minimes dans la Prolation parfaite.

Et si vne Note parfaite d'vn degré inferieur, est contenuë dans vne plus grande Note, elle vaudra toujours autant comme si elle en estoit separée, et aussi toutes celles que la grande Note contiendra en soy: Par exemple, si au seul Temps parfait, il y a vne Longue, elle vaudra deux Brefues; et s'il y a vne Maxime, elle vaudra deux Longues, et consequemment quatre Brefues, lesquelles vaudront autant, comme si elles estoient separées l'vne de l'autre, et il faudra obseruer en icelles, la perfection ou imperfection, selon les Regles qui en seront données cy-apres.

On dit vne Note estre imparfaite, quand elle vaut vn tiers moins que lors qu'elle est parfaite. Il faut remarquer que la Pause de la Note parfaite, d'vn degré parfait; n'est jamais imparfaite, et vaut toujours trois fois la suiuante de la Note parfaite: Et en tous les degrez parfaits, les Pauses ne sont sujetes à aucun accident, ny à l'Imperfection, ny à l'Alteration: Et lors qu'on se seruira du Temps proportionné, dont il sera parlé cy-apres en la Page 66. et que mesme on n'y mettra que le seul Signe du Temps imparfait, auec vn 3. ainsi C3, la Pause de la Longue vaudra six Semibrefues; c'est à dire, deux Mesures proportionnées; et celle de la Brefue vaudra trois Semibrefues, bien qu'il n'y ait point de Signe parfait. Or chaque Note parfaite en son degré, peut estre imparfaite, et perdre sa perfection en plusieurs façons; mais il faut voir premierement, comme elle demeure parfaite, et en apres l'on verra par quels accidens, elles deuiennent imparfaites: Il est pourtant necessaire auparauant de parler des Poincts.

[-49-] Expliquer toutes les especes des Poincts dont on se sert dans la Musique.

CHAPITRE XXXI.

LE Poinct en la Musique, est vne fort petite marque; ou bien, c'est vne certaine quantité indiuisable, que l'on adjouste par accident, aux Notes qui se doiuent chanter; soit pour les diuiser, ou augmenter, ou pour les conseruer en leur perfection; et il se met apres ou dessus les Notes, ou bien entr'elles.

Il y a quatre especes de Poincts, à sçauoir, le Poinct de Perfection; le Poinct de Diuision; Le Poinct d'Alteration; et le Poinct d'Augmentation: Les trois premiers seruent seulement pour les degrez parfaits; et le quatriesme sert pour les imparfaits; et encore pour toutes les Notes des degrez parfaits, qui sont de moindre valeur, que la Note propre du degré. L'on met ces Poincts, à sçauoir, ceux de Perfection et d'Augmentation, apres et tout proche des Notes; et ceux de Diuision et d'Alteration, dessus ou dessous, et vn peu esloignez d'icelles.

Le Poinct de Perfection, ne sert que pour conseruer vne Note parfaite en son degré, laquelle autrement seroit imparfaite par quelque accident. L'on en verra cy-apres les Exemples, marquez par les Lettres de l'Alphabet. (a)

Le Poinct d'Augmentation, qui sert aux degrez imparfaits, et aux Notes inferieurs de la Note parfaicte d'vn degré parfait; augmente la Note qui le precede, de la moitié de sa valeur. (b)

Le Poinct de Diuision ne se chante pas, et ne sert que pour les degrez parfaits: Il se met entre deux Notes mineures, qui sont entre deux majeures; et il conjoint la premiere mineure, à la premiere majeure; et la seconde mineure, à la seconde majeure, pour parfaire le nombre de trois. (c)

Il se met encore, dans le degré du Temps parfaict, entre deux Pauses de Semibrefues, posées sur vne mesme ligne. (d) Et dans le degré de la Prolation parfaite, aussi entre deux Pauses de Minimes, posées sur vne mesme ligne; et c'est pour empescher que la Note majeure qui precede lesdites deux Pauses, ne soit parfaite. (e)

Le Poinct d'Alteration ne se chante pas, non plus que celuy de Diuision, il sert seulement aux degrez parfaits, pour mettre deuant deux Notes mineures, qui precedent vne majeure; et son office est de redoubler la seconde mineure qui est plus proche de la seconde majeure. Il y a des Autheurs qui le mettent precisément sur la Note Alterée; mais il se doit mettre au mesme lieu que l'on met le Poinct de Diuision. (f)

L'Alteration se fait encore sans Poinct; car lors que deux Notes mineures, n'acheuent pas le nombre de trois, estant deuant vne Note majeure, la [-50-] seconde mineure doit alterer: c'est à dire, qu'elle doit doubler sa valeur; dautant que c'est vne regle generale, que jamais la Brefue au Temps parfaict, (et ainsi chaque Note en son degré) ne doit commencer au leuer de la Mesure, si elle n'est toute noire: Et pour esprouuer si tout est bien obserué; l'on pourra (si l'on veut) adjouster vn trois apres le Signe parfaict, afin de battre la Mesure par trois, et par ce moyen on descouurira le tout facilement. (g)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 50; text: Poinct de Perfection. d'Augmentation. de Diuision. d'Alteration. Alteration sans Poinct. 3. 1. 2. (a), (b), (c), (d), (e), (f), (g)] [COUMUS1 06GF]

Quand l'on entendra bien toutes les matieres suiuantes qui concernent les degrez parfaits, l'on aura vne plus parfaite cognoissance des susdits Exemples, touchant les differentes especes des Poincts.

[-51-] Enseigner tout ce qui est necessaire pour la perfection des Notes.

CHAPITRE XXXIII.

TOvte Note (qui est propre et destinée pour chaque degré parfait) se peut maintenir en sa perfection en plusieurs façons; ainsi que l'on verra dans les Exemples suiuans, qui seront seulement de la Brefue pour le Temps parfaict; sur laquelle il faut faire le mesme jugement, pour toutes les autres Notes particulieres de chaque degré.

Premierement, la Brefue sera parfaite au Temps parfait qui est son degré, deuant sa semblable ou sa Pause, ou deuant vne Note de plus grande valeur. (a)

En second lieu, la Brefue sera encore parfaite deuant la ligature de deux Semibrefues, pour estre ses prochaines mineures. (b)

En troisiesme lieu, la Brefue sera parfaite quand le Poinct de Perfection luy sera conjoinct. (c)

En quatriesme lieu lors qu'entre deux Brefues, il y aura deux Semibrefues sans Poinct de Diuision: La premiere Brefue sera parfaite, si d'ailleurs elle n'est des'ja imparfaite. (d)

En cinquiesme lieu, quand il y aura trois Semibrefues sans Poinct, entre deux Brefues; la premiere Brefue sera parfaite, si precedemment elle n'est faite imparfaite. (e)

En sixiesme lieu, lors qu'il y aura cinq ou six Semibrefues sans poinct entre deux Brefues; la premiere Brefue sera parfaite, si precedemment elle n'est des-ja imparfaite; Et s'il n'y a que cinq Semibrefues, la cinquiesme sera alterée ou doublée, pour parfaire le nombre de trois. (f)

En septiesme et dernier lieu, la Brefue sera parfaite au Temps parfait, lors qu'elle precedera immediatement deux Pauses de Semibrefues, posées sur vne mesme ligne, ce qui est particulier aux degrez du Temps et de la Prolation, et non aux deux premiers des Modes. (g)

Il est donc particulier encore à la Prolation parfaite, que la Semibrefue soit parfaite deuant deux Pauses de Minimes, posées sur vne mesme ligne. (h)

Exemples de tout ce qui a esté dit cy-dessus.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 51; text: (a), 3. 6.] [COUMUS1 07GF]

[-52-] [Cousu, Musique Vniuerselle, 52; text: (b), (c), (d), (e), (f), (g), (h), 3. 1. 2. 6.] [COUMUS1 07GF]

Dans tous les susdits exemples, la derniere Note est marquée pour parfaite, mais pourtant elle peut estre imparfaite par quelque accident, ainsi que l'on verra cy-apres. Or pour faire aisément la preuue de tous ces Exemples, et de tous ceux qui seront cy-apres, il faut battre la Mesure par trois, et mettre trois Semibrefues ou leur valeur à chaque Mesure, à cause du trois qui suit le Signe; car si le trois n'y estoit pas, il faudroit battre la Mesure esgalement par deux (nonobstant le Signe du degré parfait,) et mettre pour chaque Mesure vne Semibrefue, et de cette sorte, la preuue de toutes ces regles ne seroit pas si facile à faire.

[-53-] Expliquer tout ce qu'il faut obseruer pour l'imperfection des Notes.

CHAPITRE XXXIV.

IL est important de sçauoir qu'vne Brefue au Temps parfait, (et ainsi chaque note en son degré parfait) peut estre imparfaite en plusieurs façons; je parleray icy de la seule Brefue pour le Temps parfait, comme j'ay fait cy-deuant; dont il faudra faire mesme jugement pour la Maxime au Mode majeur parfait; pour la Longue au Mode mineur parfait; et pour la Semibrefue à la Prolation parfaite.

Premierement vne Brefue est imparfaite quand deuant ou apres soy, elle a sa mineure, qui est la Semibrefue, ou sa valeur, outre le nombre de trois. (a) Or si cette Brefue est contenuë dans vne Longue, ou dans vne Maxime; l'imperfection que l'on nomme Partialle, ne se fait qu'à la derniere Brefue, contenuë dans la Langue ou Maxime, parce qu'il n'y a que le degré parfait de la Brefue. (b)

En second lieu, la Brefue est imparfaite, lors qu'elle est remplie ou noircie; comme aussi toutes les Notes particulieres aux degrez parfaits, perdent le tiers de leur valeur estant noircies. (c) Il faut noter qu'aux degrez parfaits, l'on ne peut pas noircir les Notes, que la Mesure de trois ne soit toute noire; Et si apres la troisiesme Note, l'on veut encore noircir la quatriesme; il faut continuër jusques à six, ou à neuf, et plus outre, de telle sorte que l'on precede toujours de trois en trois le plus qu'il sera possible. Et si au Temps parfait il y a vne Longue, ou vne Maxime toute noire; il faut estimer estre noires et imparfaites toutes les Brefues contenuës dans cette grande Note. [d] Et si cette Longue ou Maxime n'est noircie qu'à moitié; l'imperfection ne se fait qu'à la moitié de la Note: Par exemple, s'il y a vne Longue à demy noircie, elle vaut cinq mesures, dautant que la premiere Brefue est estiméé parfaite, pour estre deuant sa semblable, et la seconde Brefue est imparfaite, à cause de sa noirceur; ainsi la Maxime à demy noire vaut dix mesures, parce que la premiere Longue vaut deux Brefues parfaites, et la derniere Longue n'en vaut que deux imparfaites. [e]

En troisiesme lieu, la Brefue est imparfaite, lors que par le poinct de Diuision, on luy conjoint la Semibrefue suiuante ou sa valeur. [f]

En quatriesme lieu, lors qu'entre deux Brefues il y a quatre Semibrefues sans aucun Poinct de Diuision; la premiere Brefue est imparfaite. (g)

En cinquiesme lieu, lors qu'entre deux Brefues, il y a plus de six Semibrefues; la premiere Brefue est imparfaite. (h) Les Anciens la faisoient encore imparfaite en quelqu'autres façons; mais elles ont esté entierement rejettées, et elles ne se pratiquent plus; Il faut s'arrester à celles qui sont cy-dessus escrites, [-54-] qui sont les veritables regles de la perfection et de l'imperfection.

Il faut sçauoir encore qu'il y a vn Poinct de Perfection, qui se nomme Partial; lequel sert seulement pour perfectionner la derniere Brefue, contenuë dans vne plus grande Note: Par exemple, il a esté dit cy-dessus qu'il y a vne imperfection dite Partialle, qui se fait lors que la derniere Brefue, contenuë dans vne plus grande Note, est faite imparfaite; Or pour maintenir cette derniere Brefue en sa perfection, on y adjouste le Poinct de Perfection, qui se nomme Partial, à cause qu'il sert particulierement pour cette derniere Note. (i)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 54; text: (a), (b), (c), (d), (e), (f), (g), (h), (i), 1. 2. 5. 11. 4. 8. 10. 3. 6. 12. 9.] [COUMUS1 08GF]

[-55-] Des Signes imparfaits de la Musique, et comment il en faut vser.

CHAPITRE XXXV.

LEs Signes imparfaits de la Musique, sont ceux qui n'ont aucune Note parfaite sous eux; et celuy auquel tous les autres se doiuent rapporter, se nomme Temps imparfait, et on le marque par vn demy cercle sans barre, ainsi, [C] [signum]; l'on ne dit pas que le Signe soit barré, lors qu'vne des lignes parallelles trauerse par le milieu du demy cercle comme l'on voit cy-dessus; car pour estre barré ou diminué, il faut que la ligne qui le trauerse, soit perpendiculaire, ainsi [signum]. Or tous les autres Signes augmentent ou diminuent; et pour ce ils sont appellez, Signes d'Augmentation ou de Diminution.

Il faut obseruer que sous le Signe du Temps imparfaict, la Semibrefue vaut vne Mesure entiere, qui est composée d'vn frapper et d'vn leuer esgaux; et c'est son essentielle valeur, à laquelle toutes les autres se doiuent rapporter: Mais il faut remarquer particulierement vne chose qui est tres necessaire et tres-importante, et ou beaucoup de personnes choppent par vne pure ignorance: C'est qu'il faut tenir toujours la Mesure esgalement par deux, en tous les Signes de la Musique soient parfaits ou imparfaits, si ce n'est qu'immediatement apres le Signe parfait ou imparfait, l'on mette vn seul 3; car alors la Mesure sera proportionnée, et se battra ou tiendra par trois et non jamais autrement; c'est à dire qu'au lieu d'vne Semibrefue ou sa valeur, que l'on mettoit à chasque Mesure Binaire, l'on mettra trois Semibrefues ou leur valeur pour chasque Mesure proportionnée ou Ternaire, et ainsi des autres; et cette Mesure proportionnée, est vsitée pour l'ordinaire, sous les degrez Parfaits: parce que outre qu'elle accourcit de beaucoup; c'est qu'elle rend bien plus facile l'vsage de la perfection et imperfection des Notes, par le nombre de trois que s'acheue en chaque Mesure; et c'est pour cette raison, qu'en tous les Exemples que j'ay donnez cy-dessus pour la perfection et imperfection des Notes; j'ay mis la Mesure proportionnée; c'est à dire, vn trois apres le Signe, afin de mieux verifier, et plus promptement, tous ces Exemples: ce n'est pas que j'aye esté obligé de le faire; car il est permis aussi bien d'vne façon que d'autre; à sçauoir de mettre ou de ne pas mettre le trois, apres le Signe parfait ou imparfait, auec les obseruations cy-dessus prescrites.

De plus, il faut sçauoir que comme en tous les Signes (soient parfaits ou imparfaits, non diminuez,) ou la Prolation parfaite n'est point; la Mesure se doit reduire à vne Semibrefue ou à sa valeur; De mesme, en tous les Signes ou la Prolation parfaite sera, la Mesure se reduira à la Minime: Par Exemple, La Maxime parfaite, au Mode majeur parfait, vaut 18. Mesures entieres, à cause [-56-] qu'elle vaut autant de Semibrefues; car comme parfaite, elle vaut trois Longues, et chaque Longue vaut encore trois Brefues, à cause qu'elle y est parfaite; dautant que le Mode majeur parfait, ne peut point estre sans le mineur parfait, ainsi qu'il a esté dit cy-dessus, et la Brefue ne vallant que deux Semibrefues pour y estre imparfaite; l'on trouuera que cette Maxime parfaite vaut justement dix-huict Mesures, qui sont reduites à la Semibrefue, à cause que la Prolation parfaite n'y est pas. [a]

La Longue parfaite au Mode mineur parfait, vaut 6. Mesures entieres, dautant qu'elle vaut trois Brefues; et chaque Brefue vaut deux Semibrefues seulement, parce que le Temps y est imparfait. (b) Et au Temps parfait, la Brefue parfaite vaut trois Mesures entieres, parce qu'elle vaut trois Semibrefues. (c) Mais à la Prolation parfaite, la Semibrefue parfaite vaut trois Mesures entieres, à cause qu'elle vaut trois minimes, lesquelles valent chacune vne Mesure entiere en ce Signe de Prolation parfaite. (d)

[Cousu, Musique Vniuerselle, 56; text: (a), (b), (c), (d), 18. 6. 3.] [COUMUS1 08GF]

Il faut que ceux qui n'entendent pas tout ce qui concerne les degrez parfaits, n'entreprennent point de s'en seruir, mais seulement des imparfaits; car alors ils ne seront pas obligez à obseruer la perfection et imperfection des Notes, ny les poincts de Perfection, de Diuision, et d'Alteration, et beaucoup d'autres choses qu'il faut pratiquer: Que si l'on desire faire chanter sous la Mesure Ternaire, il sera tres-facile; dautant qu'il n'y a qu'à mettre vn seul 3. apres le Signe imparfait; et de la sorte, l'on ne pourra point manquer: Mais si l'on se sert de quelques degrez parfaits, il faut obseruer tout ce qui les concerne; autrement ce seroit vn abus insupportable, de se seruir d'vn Signe ou degré parfait; et de ne pas obseruer tout ce que le Signe demande: I'adjouste que rien n'oblige de se seruir des degrez parfaits, et aussi que l'on en tire fort peu de fruict, à l'esgard de l'estude et du soin inconceuable qu'il y faut apporter; cela doit estre reserué pour les plus subtils et plus grands Maistres, qui doiuent tout sçauoir, ce que les Anciens ont fait, et ce que l'on peut faire à present, tant pour cette matiere que generalement pour toutes les autres de la Musique.

Il faut aussi esuiter de mettre (comme plusieurs font tres-mal à propos) vn 3 sur vn 2 perpendiculairement apres le Signe, en toutes les parties de la composition: dautant que c'est faire contre la proportion qui est Sesquialtere et inesgale, et là ils font chanter vne proportion esgale à toutes les parties, ce qu'ils appellent encore improprement, Tripla. L'on verra cy-apres ce que c'est que Tripla, et ce que c'est que Sesquialtera; mais auparauant il faut voir encore quelques particularitez des Signes imparfaits.

[-57-] Faire voir par des Exemples bien clairs, la Pratique de tout ce qui a esté dit touchant la Perfection, Imperfection et Alteration des Notes, et les Points de Perfection, de Diuision et d'Alteration, sous les Signes ou degrez du Temps parfait, et de la Prolation parfaite.

CHAPITRE XXXVI.

APres auoir donné separément des Exemples de toutes les Regles de la Perfection, de l'Imperfection, et Alteration des Notes; et des Points de Diuision, de Perfection, et d'Alteration, au seul Signe ou degré du Temps parfait; il est à propos de joindre toutes ces Regles separées, tant des Notes que des Points, en vn seul exemple au mesme Signe ou degré du Temps parfait; afin d'en faciliter la connoissance, et que l'on en ait vne parfaite intelligence. Le trois est apres le Signe, pour montrer qu'il faut battre la Mesure ternaire, et mettre pour chaque Mesure trois Semibrefues ou leur valeur; l'on verra sous chaque Note et sous chaque Pause vn nombre, qui montre combien elles vallent de Semibrefues; l'on y verra de plus la pratique de quelques ligatures, et la valeur des Notes imparfaites; et en chantant souuent cet exemple auec la Mesure ternaire, l'on sçaura bien tost et auec facilité, toutes les Regles prescrites pour les degrez parfaits, et aussi pour les ligatures.

En suite de cet Exemple, j'en donne encore vn autre au seul degré de la Prolation parfaite; pour faciliter sous ce Signe tout ce qui regarde les degrez parfaits, tant pour la Perfection, Imperfection et Alteration des Notes, que pour les Points de Perfection, de Diuision et d'Alteration, et aussi pour la Pratique des Ligatures; Le trois qui est apres le Signe, montre qu'il faut tenir la Mesure ternaire, et donner à chaque Mesure trois Minimes ou Blanches, ou leur valeur; et le nombre qui est sous les Notes, et sous les Pauses; marque combien elles valent de Minimes.

I'ay fait sous ces deux Signes du Temps parfait et de la Prolation parfaite, quelques pieces à quatre parties, que je mettray cy-apres en son lieu, auec quelques autres, qui sont faites pour differens autres sujets.

L'on voit dans la page precedente, les Signes essentiels des quatre degrez parfaits, dont le premier qui est le Mode majeur se doit marquer auec deux Pauses, contenant trois Espaces deuant le demy cercle; Le Mode mineur doit auoir vne Pause seule de pareille grandeur deuant le demy cercle; Le Temps auec vn cercle entier seul, et ne doit point auoir la Pause deuant le cercle: Et la Prolation parfaite par vn demy cercle seul et vn poinct au dedans: Or l'on ne doit jamais entreprendre de se seruir de ces degrez, si l'on ne sçait parfaitement toutes les matieres qui en despendent; mais bien des imparfaits, en y adjoustant vn 3. apres.

[-58-] Exemple de la Perfection, Imperfection, et Alteration des Notes; et des Points de Perfection, de Diuision, et d'Alteration, sous le Signe du Temps parfait.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 58; text: 2. 3. 5. 6. 4. 9. 1. 11. 12. 10.] [COUMUS1 09GF]

[-59-] Exemple de la Perfection, Imperfection, et Alteration des Notes; et des Points de Perfection, de Diuision, et d'Alteration, sous le Signe de la Prolation parfaite.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 59; text: 2. 3. 5. 12. 6. 10. 1. 11. 9.] [COUMUS1 10GF]

[-60-] Declarer le Signe qu'il faut mettre en la Musique, quand il y a des Notes ou figures lentes: Et comment il faut tenir la Mesure sous iceluy.

CHAPITRE XXXVI.

LOrs que dans la Musique il y a des Notes vn peu lentes, comme des Principales, ou Brefues, Semibrefues, Minimes, et encore Semiminimes; Il faut barrer le Temps imparfait ainsi, [C]; et alors il se nomme Temps imparfaict diminué: Et bien que l'vsage soit d'accelerer la Mesure en ce Signe diminué, et de mettre toujours vne Semibrefue pour vne Mesure; c'est pourtant contre la Regle, et contre ce que le Signe marque; car tant en cestuy-cy, que generalement en tous les autres Signes; il faut toujours tenir vne seule et semblable espece de battuë.

Doncques en ce Signe, qui est le Temps imparfait diminué, il faut diminuer tout de la moitié, tant les Notes que les Pauses, et mettre en chaque battuë ou Mesure, deux Semibrefues ou leur valeur: autrement il arriueroit de la confusion, lors qu'en vn mesme Chant vne partie auroit le Temps imparfait entier, ainsi [C], et vne autre auroit le Temps imparfait diminué, de la sorte [signum], comme plusieurs bons Autheurs anciens et modernes, ont pratiqué et pratiquent encore. La quatorziesme Fantaisie de Du Caurroy sur Ave maris stella, peut seruir d'exemple pour cecy, en laquelle toutes les Parties ont le Signe du Temps imparfait entier, excepté la Haute-contre qui a le Signe du Temps imparfait diminué, et consequemment il faut diminuër toutes les Notes et Pauses de la moitié, en mettant deux Semibrefues ou leur valeur pour vne Mesure entiere. Or l'on peut mettre ce Signe du Temps imparfait diminué, en quatre façons differentes, qui ne signifieront qu'vne mesme chose; car les quatre, sont Signes diminuez, comme l'on voit cy-dessous.

Signes diminuez.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 60,1] [COUMUS1 10GF]

Les deux premiers Signes de cet Exemple s'appellent, Temps imparfait diminué; le troisiesme s'appelle Cancer; Et le quatriesme se nomme proportion double: On peut encore appeller le premier, Temps imparfait barré; et sous vn chacun de ces quatre Signes, il faut deux Semibrefues ou leur valeur pour vne Mesure entiere. Il y a encore des autre Signes qui sont doublement diminuez, comme sont les trois suiuans, qui signifient vne mesme chose.

Signes doublement diminuez.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 60,2] [COUMUS1 10GF]

[-61-] Chaque Signe des trois se nomme Temps imparfait doublement diminué; mais le second s'appelle (à la difference des autres) Cancer Barré, ou Cancer diminué; Et le troisiesme se nomme, Proportion quadruple; Et sous vn chacun d'iceux, il faut quatre Semibefues ou leur valeur pour vne Mesure entiere; Si bien que l'on doit mettre toujours vne Semibrefue ou sa valeur pour vne Mesure sous ce Signe du Temps imparfait, [C]; et deux Semibrefues ou leur valeur pour vne Mesure sous vn chacun des quatre signes diminuez; Et finalement il faut quatre Semibrefues ou leur valeur pour vne Mesure, sous vn chacun des Signes qui sont doublement diminuez. Or il est loisible (si l'on veut) de mettre dans vne piece de Musique, des Signes differens en des Parties differentes: Par Exemple, l'on peut mettre en vne ou plusieurs Parties le Temps imparfait,et en d'autres Parties le Temps imparfait diminué, et aussi celuy qui est doublement diminué; et estant tous ensemble, l'on obseruera de mettre sous vn chacun d'iceux pour vne Mesure, autant de Semibrefues ou leur valeur, comme il faut pour chaque Signe, et comme il a esté enseigné cy-dessus. L'on peut encore mettre (si l'on veut) auec tous ces Signes, en vne Partie ou en plusieurs, le Signe du Temps parfait; et tous ces Signes estant joints ensemble, l'on tiendra toûjours vne seule et vnique espece de battue; la difference sera seulement, en ce que la Partie qui aura le Temps parfait, obseruera tout ce qui a esté dit touchant ce degré, à sçauoir la Perfection et Imperfection des Notes, et les Poincts de Perfection, de Diuision et d'Alteration, s'il en est de besoin: I'en mettray vn Exemple à 4. de la mesme piece susdite, qui aura tout ensemble les quatre Signes differents; à sçauoir, le Temps imparfait au Superius; Le Temps imparfait diminué à la Haute-contre, qui est le Bas-dessus; Le Temps imparfait doublement diminué, à la Taille; Et le Temps parfait à la Basse: Par ainsi le Superius mettra vne Semibrefue ou sa valeur pour vne Mesure, la Haute-contre en mettra deux, la Taille quatre, et la Basse vne, en obseruant ce qui sera necessaire pour ce degré parfait.

Exemple.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 61] [COUMUS1 11GF]

[-62-] [Cousu, Musique Vniuerselle, 62] [COUMUS1 11GF]

L'on peut continuër toute la piece de la sorte qu'elle est commencée, et elle se chantera, comme il a esté dit cy-dessus; obseruant en la Partie de la Basse où est le Temps parfait, que les Pauses qui sont au commencement, valent 9. Mesures; c'est à dire, autant que trois Brefues parfaites.

Or il est permis (si l'on veut) de mettre en vne mesme piece de Musique cette diuersité de Signes; mais tout cela est assez inutile et de peu d'effect; Il est necessaire de le sçauoir, et il n'est pas mauuais de le laisser: Ie ne loüe ny blasme celuy qui le met en pratique, ou qui ne le met pas; la chose est indifferente: Mais comme Adrien Vuillaert, Du Caurroy, et autres, ont composé des pieces sous de semblables Signes; il est necessaire de le sçauoir pour les chanter, et mesme pour en faire de la sorte, si on le desire.

L'on peut encore adjouster en vne ou en plusieurs Parties la Prolation parfaite; mais les Parties qui l'auront, reduiront la Mesure à la Minime, [-63-] comme il a esté dit cy-dessus: Enfin, il est permis de joindre ensemblement tant de degrez ou Signes differents que l'on voudra, sans pourtant que l'on y soit obligé: et j'en ay enseigné la façon, plustost pour donner à connoistre les Pieces anciennes et modernes qui sont de la sorte, que pour exciter d'en faire de semblables.

Voicy la reduction du susdit Exemple, sous le seul Signe ordinaire du Temps imparfait, aux 4. parties; par le moyen duquel l'on sera plus facilement l'espreuue de tous ces Signes differents joints ensemble.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 63] [COUMUS1 12GF]

L'on peut continuër la piece, de la sorte qu'elle est commencée, mais cela suffit pour en faire l'espreuue. L'on appelle quelquefois ce Temps imparfait qui n'est pas barré [C], Temps imparfait entier; et bien que cela semble se contredire, de dire imparfait et entier; si est-t'il ainsi appellé quelquesfois, à la difference seulement du Temps imparfait diminué: Car l'on appelle le Temps parfait, et le [-64-] Temps imparfait qui ne sont pas barrez, Signes entiers, à cause que sous iceux vne Semibrefue vaut vne Mesure entiere, et ceux qui sont barrez de la sorte [signum. signum.] sont nommez Signes diminuez.

Il est à noter qu'en tous les Signes d'Augmentation, de Diminution, et des Proportions, les Pauses ainsi que les Notes augmentent et diminuënt.

De l'Imperfection des Notes, aux Signes imparfaits.

CHAPITRE XXXVIII.

IL faut sçauoir qu'en tous les Signes imparfaits, les Notes noircies ou remplies, perdent le quart de leur valeur, lequel quart est donné à la Note suiuante aussi noircie: ainsi la Brefue noire perd le quart de sa valeur qui est donné à la Semibrefue suiuante qui est noire, ou à la valeur de cette Semibrefue: et si la Semibrefue est noircie (ne suiuant pas immediatement la Brefue noire) elle perdra encore le quart de sa valeur qui sera donné à la Minime suiuante qui est noire: Et si vne Note n'est noircie qu'à moitié, l'imperfection ne se sera qu'à cette moitié, qui perdra le quart de sa valeur. Sous cette regle ne sont point comprises les Semiminimes, ny les autres Notes de moindre valeur.

Exemple de tout ce qui a esté dit cy-dessus, auec la Resolution au dessous.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 64; text: Resolution du susdit Exemple.] [COUMUS1 13GF]

[-65-] Autre Exemple pour les Notes à demy noircies.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 65; text: Resolution du susdit Exemple.] [COUMUS1 13GF]

L'on voit en ce dernier Exemple, comme les Notes à demy noircies ne perdent que la huictiesme partie de leur valeur, qui est le quart de la moitié noircie.

Il se faut souuenir de ce qui a esté dit des Ligatures, afin de sçauoir discerner la Longue d'entre la Brefue et la Semibrefue, et ainsi des autres; comme il se rencontre par le milieu du dernier Exemple, où il y a trois Notes liées, dont la premiere est Longue, et les deux autres sont Semibrefues.

Monstrer ce que c'est que Mesure, et de combien de sorte il y en a: Et ce qu'il faut obseruer en chacune d'icelles.

CHAPITRE XXXIX.

LA Mesure est vn certain mouuement (esgalement diuisé par la Battuë) sous lequel les Notes et Pauses de tous les Chants, sont chantées et mesurées selon la qualité de chaque Signe: Ou bien la Battuë (que l'on appelle Mesure) est vn vertain mouuement, par le moyen duquel l'on regle, l'on dispose et ordonne le Chant auec Mesure et esgalité.

Il y a sept sortes de Mesures, à sçauoir, 1. de Prolation. 2. de Temps. 3. de Mode mineur. 4. de Mode majeur. 5. des Proportions. 6. d'Augmentation. 7. et de Diminution; Et par ces differentes especes, la valeur des Notes et des Pauses, est changée et [-66-] variée, et elles sont estimées parfaites ou imparfaites, augmentées ou diminuées. La Prolation regarde seulement les Semibrefues, et le Temps les Brefues; Le Mode mineur ne s'estend que sur les Longues; et le Mode majeur sur les Maximes; mais les Proportions, Augmentation et Diminution, s'estendent sur toutes les Figures ou Notes sans aucune exception, et aussi sur leurs Pauses.

De la Mesure de Prolation.

CHAPITRE XL.

IL y a trois especes de Prolation; à sçauoir, Prolation entiere, Prolation diminuée, et Prolation proportionnée. La Prolation entiere est celle ou chaque Minime, vaut vne Battuë ou Mesure: La Semibrefue imparfaite deux Mesures, et la parfaite trois, sous ce Signe [Cd]. La Prolation diminuée est celle où deux Minimes; ou bien vne Semibrefue imparfaite valent vne Battuë ou Mesure, et la Semibrefue parfaite vne Mesure et demie, sous ce Signe du Temps imparfait barré, auec vn Poinct au dedans [Cdrv]. La Prolation proportionnée est celle, où l'on chante trois Minimes ou vne Semibrefue parfaite en vne Battuë ou Mesure proportionnée, qui est vne Mesure de trois, sous ce Signe [Cd]3.

De la Mesure du Temps, et de celle des Modes mineur et majeur.

CHAPITRE XLI.

IL y a trois especes de Temps; à sçauoir, Temps entier, Temps diminué, et Temps proportionné. Le Temps entier a pour vne Battuë ou Mesure vne Semibrefue, et si l'on veut que le Temps y soit parfait, l'on mettra le cercle entier, ainsi [O]; si on le veut imparfait, on mettra le demy cercle, ainsi [C]. Le Temps diminué a pour vne Battuë ou Mesure vne Brefue, sous ce Signe imparfait [Crv]. Et si l'on veut que le Signe y soit parfait; quoy que diminué, on le mettra de la sorte [Orv], sous lequel vne Brefue imparfaite vaudra vne Mesure, et la parfaite vne Mesure et demie: Et de là on connoistra facilement les fautes que l'on fait si souuent, en se seruant de ce Temps parfait diminué, sans obseruer ce qui est du Signe.

Le Temps proportionné, est lors que pour chaque Battuë ou Mesure proportionnée de trois; l'on met trois Semibrefues ou leur valeur, sous ce Signe [-67-] imparfait [C]3, ou bien sous le parfait [O]3: Mais il sera bon de ne point mettre les Signes parfaits, lors que l'on se seruira de la Prolation ou du Temps, si on ne les entend parfaitement, ainsi qu'il a esté dit cy-dessus.

La Mesure du Mode mineur ne regarde pas que la Longue; et celle du Mode majeur, la Maxime seulement: Il a esté dit cy-deuant comme l'vn et l'autre se marque; c'est pourquoy il y faut auoir recours, et ne s'y pas trop arrester; dautant qu'ils ne sont plus en vsage ny l'vn ny l'autre. Le demy cercle [C], est le seul Signe ou les quatre degrez sont imparfaits; Et pour auoir les quatre degrez parfaits, il suffit de mettre seulement vn Signe, qui est le Cercle entier auec vn poinct au dedans, et deux Pauses contenant trois espaces, immediatement deuant ledit cercle: alors tout y sera parfait, et vne Maxime vaudra 81. Mesures, à cause que la Mesure se reduit à la Minime, ainsi que la Prolation parfaite le requiert: la Longue parfaite vaudra 27. Mesures: La Brefue parfaite en vaudra neuf; et finalement la Semibrefue vaudra trois Mesures, qui sont autant de Minimes. Or si le poinct n'estoit pas dans le Cercle, il n'y auroit que trois degrez parfaits; à sçauoir, le Mode majeur, le mineur, et le Temps parfait, et alors la Mesure se reduiroit à la Semibrefue; et la Maxime parfaite vaudroit 27. Mesures; la Longue parfaite 9. et la Brefue trois; ces degrez se peuuent mettre en diuerses façons, tant separez qu'ensemblement.

De la Mesure des Proportions, d'Augmentation, et de Diminution.

CHAPITRE XLII.

IL y a deux especes de Proportions; l'vne s'appelle Proportion d'esgalité, et l'autre Proportion d'inesgalité: En la premiere l'on compare deux nombres esgaux de semblables Notes ou Figures, pour estre proferées et chantées en mesme temps en diuerses parties, sous vne mesme Mesure; et elle se marque par vn mesme nombre, ou par vn mesme Signe en toutes les Parties. En la seconde Proportion qui est inesgale, l'on compare deux nombres inesgaux de semblables Notes, pour estre chantées en mesme Temps en diuerses Parties: Et cette Proportion d'inégalité se diuise en deux especes; à sçauoir en Proportion d'inesgalité majeure, et en Proportion d'inesgalité mineure: En la majeure toutes les Notes et Pauses, sont diminuées de leur essentielle valeur; Et en la mineure toutes les Notes et Pauses augmentent; et c'est ce que l'on nomme Mesure de Diminution, et Mesure d'Augmentation.

Ces Proportions inesgales (majeure et mineure) sont marquées par deux nombres differents, posez l'vn sur l'autre; dont celuy qui est dessus marque les Notes, et le dessous les battuës ou Mesures; c'est à dire, que le nombre qui est dessus, montre qu'il faut autant de Semibrefues, pour autant de battues que marque le nombre qui est dessous: Par exemple, si c'est la Proportion triple qui se [-68-] marque par vn trois dessus l'vnité ainsi 3/1; le trois denote qu'il faut trois Semibrefues pour vne Mesure ou Battuë, sous le Signe du Temps parfait ou imparfait entier; Mais si c'estoit la Prolation parfaite, il faudroit mettre des Minimes au lieu des Semibrefues.

Or en toutes les Proportions, le nombre qui est dessus, ne denote pas toujours les Notes, ny le dessous les Battuës: c'est seulement aux Proportions double, triple, quadruple, et autres especes du premier Genre, car en la Sesquialtere, Sesquitierce, et autres especes du second Genre; les deux nombres ne marquent que les Notes; c'est à dire, qu'il faut qu'vne ou plusieurs Parties, chantent en mesme temps autant de Notes, que le nombre dessus en marque; comme vne ou plusieurs autres Parties en chantent (de mesme especes) autant qu'en marque le nombre qui est dessous: par ainsi l'on voit en la Sesquialtere, qui se marque par vn trois dessus vn deux 3/2, qu'il y a vne ou plus de Parties, qui chantent trois Notes en mesme temps, que les autres en chantent deux de mesme espece que les trois. Les Proportions de majeure inesgalité et de Diminution, ont le nombre majeur dessus le mineur, ainsi

[Cousu, Musique Vniuerselle, 68,1; text: Proportion double. Triple. Quadruple. Sesquialtere. Sesquitierce. 2, 1, 3, 4] [COUMUS1 14GF]

Les Proportions de Mineure inegalité et d'Augmentation, ont le nombre Mineur dessus, et le Majeur dessous.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 68,2; text: Proportion Sousdouble. Soustriple. Sousquadruple. Sous-sesquialtere. Sous-sesquitierce. 2, 1, 3, 4] [COUMUS1 14GF]

Or l'on peut faire des compositions, sous toutes ces differentes especes de Mesures, ainsi que l'on en voit de toutes les sortes dans plusieurs des Anciens Autheurs: Mais je me contenteray à present d'enseigner seulement les proportions Triple, et Sesquialtere, qui sont les plus necessaires, et que l'on met plus ordinairement en vsage; et l'on verra clairement combien sont esloignez de la verité, ceux qui croyent composer du Tripla, et du Sesquialtera.

Il faut obseruer, lors que l'on met vne de ces proportions en quelque composition, soit au commencement ou au milieu, qu'elle subsistera toujours, jusques à ce que l'on rencontre sa contraire, ou bien le Temps parfait ou imparfait, entier ou diminué: Par exemple, si c'est la Proportion double, elle continuëra toujours jusques à ce qu'il y ait sa proportion contraire qui est la sousdouble, ou bien [-69-] l'vn de ces Signes: et en toutes les especes des proportions, il faut toujours tenir la Mesure Binaire, qui est composée d'vn frapper et d'vn leuer esgaux; et mettre vn Signe parfait ou imparfait, entier ou diminué, deuant la proportion telle qu'elle puisse estre; et jamais on ne doit obmettre vn Signe entier ou diminué, au commencement de chaque composition, quelque Mesure que l'on puisse souhaitter; car mesme aux Mesures d'Airs, où l'on met ordinairement ou vn trois ou vn deux, selon qu'il eschet pour la Mesure, et selon la volonté du Compositeur, il faut pourtant mettre auparauant le trois ou le deux, vn Signe, sous lequel on puisse regler la Mesure.

De la Mesure ou Proportion Triple.

CHAPITRE XLIII.

LA Proportion Triple se doit marquer auec vn trois, dessus l'vnité, ainsi 3/1, et l'on met trois Semibrefues ou leur valeur, pour vne seule Battuë ou Mesure Binaire, par ainsi les Parties qui ont cette proportion chantent trois Semibrefues aussi-tost, et en mesme Temps, que les Parties qui ne l'ont pas, chantent vne seule Semibrefue; ce qui se doit entendre quand la Prolation parfaite n'y est pas, dautant qu'en tous les Signes, et en toutes les differentes especes de Mesures et de proportions où elle se trouue, la Mesure se reduit à la Minime, et non pas à la Semibrefue, comme il a esté dit cy deuant.

Or en cette Proportion triple, et en la Proportion Sesquiautre ou Sesquialtere, il faut faire passer trois Notes esgales en vne Mesure Binaire; si bien qu'il est permis d'en mettre deux au frapper, qui ne dureront pas dauantage, que celle qui est au leuer: Il est pourtant plus loüable de diuiser esgalement en deux, les trois Notes esgales ou leur valeur, ce qui est facile à faire, mais l'on n'y est pas obligé. L'Exemple qui suit facilitera la connoissance de tout ce que j'ay dit cy-dessus.

Exemple de la Proportion Triple à deux Parties.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 69; text: 3. 2.] [COUMUS1 14GF]

L'on obseruera dans cet Exemple qu'il faut tenir la Mesure Binaire; et parce que la Basse a la Proportion Triple; il faut qu'elle passe trois Semibrefues ou [-70-] leur valeur, aussi-tost que la Taille, qui n'a pas la proportion, passera vne Semibrefue: Le Temps parfait y est; estant loisible de la mettre aussi bien que l'imparfait.

Autre Exemple de la Proportion Triple, à deux Parties.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 70; text: 2. 3. 4. 6. 7. 8. 9. 11. 12. 13. 15.16. 17. 18. 19. 21. 1. 5. 10. 14.] [COUMUS1 14GF]

L'on voit dans cet Exemple, comment l'on peut mettre la Proportion au milieu, ou dans vn autre endroit du Chant; et comment elle prend fin lors que l'on y met sa Proportion contraire; ce que l'on pourroit encore faire, si au lieu de cela, l'on mettoit le Cercle ou demy Cercle; et alors elle se doit remettre à la mesme Mesure, où elle estoit auparauant qu'elle eust la Proportion.

La Mesure s'y doit tenir toujours esgalement par deux, comme au precedent Exemple; et lors qu'vne Partie a la Proportion Triple, il faut qu'elle chante ou passe trois Semibrefues ou leur valeur, en mesme temps que la Partie qui n'a pas la Proportion, chante vne Semibrefue.

Le Temps y est imparfait, et l'on peut mettre toutes les Proportions aussi bien sous les Signes imparfaits, que sous les parfaits.

De la Mesure ou Proportion Sesquialtere.

CHAPITRE XLIV.

LA Proportion Sesquialtere se doit marquer auec vn trois dessus vn deux perpendiculairement, ainsi 3/2, et les Parties qui ont vn Signe entier auec cette Proportion; chantent en vne Battuë ou Mesure, trois Minimes ou leur valeur, en mesme temps que les Parties qui n'ont pas la Proportion, chantent ou passent deux Minimes ou leur valeur; comme l'on voit en l'Exemple cy-dessous, où il faut tenir la Mesure Binaire, tout ainsi qu'en toutes les autres Proportions inesgales.

[-71-] Exemple à deux Parties.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 71,1; text: 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9] [COUMUS1 15GF]

Dans cet Exemple, la Basse marque par ses nombres la Proportion Sesquialtere; c'est pourquoy il faut qu'elle chante trois Minimes en vne seule Mesure, et en mesme Temps, que l'autre Partie en chante deux: Et si l'on ne peut diuiser les trois Minimes esgalement en deux, l'on en pourra mettre deux au frapper de la Mesure, qui ne dureront pas dauantage, que celle qui est au leuer; mais il sera mieux de diuiser les trois esgalement en deux, soit en les chantant, et bien plus encore en les composant; car les trois se doiuent accorder auec les deux; c'est à dire, que la seconde des trois se doit accorder d'vne moitié auec la premiere des deux, et de l'autre moitié auec la seconde, ce que l'on doit pratiquer aussi en la Proportion Triple.

Autre Exemple de la Sesquialtere, à quatre Parties.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 71,2; text: 1, 2, 3] [COUMUS1 15GF]

Dans cet Exemple, les trois Parties qui ont la Proportion Sesquialtere, chantent en vne Mesure Binaire trois Minimes, en mesme temps que la Taille, qui ne l'a pas en chante deux ou leur valeur.

[-72-] Autre Exemple de la Sesquialtere, à deux Parties.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 72,1; text: 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 5, 9, 15] [COUMUS1 15GF]

Ce dernier Exemple, fait voir comme l'on peut mettre la Proportion par le milieu du Chant, ou en tel lieu que l'on voudra; et encore comme la Proportion cesse, quand l'on met sa contraire ou le demy cercle, ainsi que l'on voit en chaque Partie de l'Exemple: Car auparauant que la Proportion y soit, l'on met pour chaque Mesure Binaire deux Minimes ou leur valeur; et apres y auoir mis la Proportion, il faut pour la mesme Mesure Binaire trois Minimes ou leur valeur; ainsi que la Proportion le marque, trois pour deux. Or si l'on met deuant ladite Proportion, vn Signe diminué parfait ou imparfait, ainsi [Orv], ou ainsi [Crv]; alors les Parties qui auront la Proportion, chanteront pour chaque Mesure Binaire, trois Semibrefues ou leur valeur; et les Parties qui n'auront pas la Proportion, n'en chanteront que deux pour vne Mesure: Car cette Proportion qui est inesgale, doit toujours faire passer en mesme temps, trois Notes contre deux autres de mesme espece, telles qu'elles soient en differentes Parties, en obseruant tout ce qui appartient aux degrez parfaits, si le Signe y est parfait.

Exemple.

[Cousu, Musique Vniuerselle, 72,2; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9] [COUMUS1 15GF]

[-73-] Il est aisé à voir ces Exemples, que jamais on ne doit mettre aucune Proportion inesgale, en toutes les Parties d'vne composition, comme plusieurs font aujourd'huy contre toute sorte de raison; car s'il y a des Parties qui en ayent vne, il faut necessairement qu'il y en ait d'autres, qui ne l'ayent pas.

Or celuy qui entendra bien la Proportion Sequialtere, sçaura bien aussi ce que c'est que Hemiola; dautant que c'est la mesme Proportion, que la Sesquialtere ou Sesquiautre, ou Sesquialtera, qui se dit en Grec Hemiola, qui signifie le tout et la moitié du tout, comme 3 à 2; car 3. contient 2. et le moitié de 2.

Il est vray qu'vne tres-longue et ancienne pratique nous sert aujourd'huy de loy, et nous enseigne qu'il ne faut point mettre de nombres à l'Hemiola; dautant qu'il se marque par des Notes noires en vne ou en plusieurs Parties, et non pas en toutes; ainsi que l'on peut voir en plusieurs Autheurs anciens et modernes.

L'on en voit vn Exemple dans vne Messe de Du Caurroy; intitulée, Quam bonus Israël Deus; dans ces paroles du Credo, Et iterum, où la Mesure se doit tenir esgalement par deux, mettant en mesme temps vne Semibrefue et demy noircie, contre vne seule Semibrefue qui ne l'est pas, qui sont trois Minimes contre deux; ou bien trois Semibrefues noires, contre deux qui ne le sont pas; et cependant il est constant, qu'il y en a beaucoup qui jusques à present, ont eu de la peine à faire chanter comme il faut le Credo de cette Messe, particulierement le lieu cy-dessus cotté, pour ne sçauoir ce que c'est des Proportions, et particulierement de l'Hemiola; estimant qu'il falloit tenir en cet endroit, la Mesure Ternaire, au lieu qu'elle s'y doit tenir Binaire, ainsi qu'en toutes les autres Proportions. Or les Chants ou toutes les Parties sont noircies, doiuent auoir immediatement apres le Signe, vn seul 3. et alors, cela s'sppelle Proportion esgale de trois, et non pas Hemiola, qui est vne proportion inesgale de 3. à 2. comme le signifie le mot: Car en la Proportion esgale, l'on met esgalement en chaque Mesure Ternaire, trois Notes contre trois autres de mesme espece en toutes les Parties: Et en l'Hemiola, on fait passer en chaque Mesure Binaire, trois Notes noires en mesme temps, contre deux autres de mesme espece, qui ne le sont pas.

Il faut encore obseruer qu'en tous les Chants imaginables, soit de Mesure d'Airs, où l'on met vn trois ou vn deux selon le rencontre, soit d'autre Mesure, ou de Proportions: il faut toujours mettre au commencement du Chant, vn Signe parfait ou imparfait, entier ou diminué, selon les Notes que l'on desire mettre; ainsi qu'il a des-ja esté dit cy-dessus: Et si l'on barre vn Signe parfait; toutes les Notes et Pauses diminueront de la moitié; mais la perfection du Signe y demeurera toujours, en obseruant tout ce qui regarde les degrez parfaits, que j'ay expliquez clairement; afin que l'on sçache tout, mais non pas afin que l'on s'y applique beaucoup, dautant que cela ne fait qu'embarrasser l'esprit.

Ie pourrois encore donner des Exemples en Musique, de la Sesquitierce, et de la Sesquiquarte, et de toutes les autres Proportions, tant de majeure que de mineure inesgalité, mais tout cela est tres-inutile; Il suffit d'auoir expliqué celles qui sont le plus en vsage; à sçauoir, la Proportion Triple, et la Proportion [-74-] Sesquialtere, par le moyen desquelles on pourra composer sous les autres Proportions, en mettant (par exemple) en la Sesquitierce, quatre Notes contre trois de mesme espece en mesme temps, et ainsi des autres, selon que les Proportions sont marquées.

Ie finis ce premier Liure, par l'aduis que j'ay des-ja donné cy-deuant deux ou trois fois, et que je ne puis me lasser de repeter; à sçauoir, qu'il ne faut point pratiquer les degrez parfaits, si l'on n'en sçait parfaitement toutes les regles; I'aduouë qu'elles sont vn peu difficiles; mais de la sorte que je les ay expliquées, on les trouuera tres-faciles, pourueu que l'on y apporte tant soit peu d'attention; et l'on pourra dire auec verité, que l'on sçait generalement tout ce qui concerne les degrez, tant pour la Perfection, Imperfection et Alteration des Notes, que pour les Poincts de Perfection, de Diuision et d'Alteration: Si l'on desire composer sous la Mesure Ternaire, sans courir risque de faire des fautes; il faut mettre vn seul trois, apres vn Signe imparfait; et consequemment il n'y aura aucune perfection ny imperfection, ny ces Poincts à obseruer: Et il ne faudra pas faire comme quelques-vns, qui ne laissent pas de noircir des Brefues deuant leurs semblables, quoy qu'il n'y ait aucun Signe ou degré parfait dans le Chant.

Finalement il ne faut jamais mettre vn 3 sur vn 2, ainsi 3/2, ny vn trois sur l'vnité, ainsi 3/1, en toutes les Parties d'vne Composition, parce que c'est faire tout à fait contre ce que marquent ces Proportions qui sont inesgales; En vn mot, il faut voir exactement et auec attention, tout ce que j'ay dit dans ce Liure, tant pour ces matieres, que generalement pour toutes les autres, qui sont tres-importantes.

Fin du premier Liure.


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