TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: ROILET TEXT
Author: Frédéric, Roi de Prusse
Title: Lettre au Public
Source: Lettre au Public Par Sa Majesté le Roi de Prusse (Berlin: Etienne de Bordeaux, 1753; reprint ed. in La Querelle des Bouffons, Genève: Minkoff, 1973), 1:587-632.

[-I-] LETTRE AU PUBLIC.

Par Sa Majesté le Roi de Prusse.

A BERLIN.

Chez ETIENNE de BOURDEAUX, libraire du Roi et de la Cour.

M. DCCLIII.

[-III-] J'Ai toûjours aimé vos goûts, et j'ai respecté vos fantaisies; je connois l'insatiable curiosité que vous avez de Nouvelles, et j'ambitionne de vous servir. Vous êtes ennuyé de ces faits ordinaires que vous racontent deux fois par semaine ces petits Ministres que vous entretenez en Europe; il vous faut du singulier, [-IV-] et des Nouvelles surprenantes. Vos Ministres vous en donnent quelquefois d'incroyable, quoique sans doute véritables; mais cela ne suffit pas; vous aimez dans la Politique les choses secrettes: ce même penchant se trouve en moi avec un grand fonds d'adresse pour les découvrir, ce qui me met à portée de vous instruire de ce qui se traite à présent de plus caché dans une certaine Cour. Vous comprenez, sans que je vous l'explique, que dans notre jargon, certaine Cour signifie celle de Berlin. Je tiens ces Nouvelles de la première main; ce ne sont point des on dit, ce sont des faits bien constatés; j'ai découvert des choses étonnantes, je vous les confie d'autant plus volontiers que vôtre sagesse et [-V-] vôtre discrétion m'est connuë, et que ce secret restera entre nous deux.

Tremblez pour le repos de l'Europe, nous touchons à un événement qui peut renverser l'équilibre et la balance des pouvoirs que nos Péres ont si sagement établies; c'en est fait du Sistème de l'Abbé de saint Pierre, jamais on ne pourra le réaliser. J'ai appris qu'il s'est tenu, il y a quelques jours, un grand Conseil à la Cour, où ont assisté tous les Notables; il s'y est agité une chose aussi importante qu'on en ait connu de mémoire d'homme. Un Musicien d'Aix en Provence envoye deux Menuets, qu'il a mis dix ans à composer, et demande qu'ils soyent joués au Carnaval: ceci paraitra frivole [-VI-] à des esprits superficiels; mais, nous autres Politiques, qui entendons finesse à tout, et qui poursuivons les conséquences jusqu'à leurs dernières conclussions, nous sommes trop profonds pour traiter cette affaire en bagatelle. Cette prétention mise en délibération partagea le Conseil; il y eut un parti pour les Menuets, et un autre que formerent les Opposans. Ceux qui étoient pour les Menuets ont soutenu qu'on devoit les joüer, pour encourager par cette distinction ceux qui veulent du bien à une certaine Puissance, dont le nombre malheureusement n'est pas trop grand. Les Opposans répliquerent, que c'étoit contre la gloire de la Nation, de faire joüer des Menuets étrangers, lors même qu'on [-VII-] en faisait tant de nouveaux dans le Royaume; à quoi les autres répondirent, que ces Menuets pouvoient être bons, quoique faits ailleurs, et que des Amateurs des Arts devoient avoir plus d'égards à la Science qu'à la Patrie, ou au lieu d'où les Menuets leur étoient venus. Ces raisons ne persuaderent point les Opposans, et ils soutinrent que ces Menuets devoient être traités comme de la Contrebande. Les Menuétistes se recriérent beaucoup contre cette décision, et s'efforcerent de démontrer, qu'en cas qu'on traitât des Menuets étrangers de Contrebande, on autoriseroit par-là les autres Nations à prohiber de même toutes les productions que leur fournissoit la Prusse; que gêner le Commerce c'était le [-VIII-] perdre, et qu'enfin les autres Puissances ne souffriroient pas de sang-froid qu'on se donna les airs d'exclure leurs Menuets des Danses et des Fêtes. Sur quoi leurs Antagonistes s'échaufferent en soutenant qu'il fallait toûjours sacrifier l'intérêt et toute autre considération à la gloire; que c'était contre la dignité d'une Cour de danser après d'autres sons que ceux de chez soy; que les Menuétistes étoient des Novateurs qui vouloient introduire dans le païs des usages étrangers; qu'il ne fallait jamais se départir de ses vieilles coûtumes, fussent-elles même mauvaises; et qu'enfin ces Menuets corromproient les moeurs: ce qui échauffa si fort la dispute que tout le monde parla en même-tems, que chacun [-IX-] vouloit avoir raison, que les moins emportés préludoient sur les grosses paroles, et qu'enfin on fut obligé de dissoudre le Conseil. Le lendemain il se rassembla pour reprendre les mêmes délibérations; l'entousiasme avait diminué pendant cet intervalle, et il s'étoit formé un parti pacifique. Ces esprits concilians proposerent, pour contenter tout le monde, de permettre qu'on jouât le Menuet qui était en mineure à l'exclusion de l'autre; mais quoique ce tempérament ne fut pas recû, parce qu'il était raisonnable, cela ne les empêcha pas de hazarder une autre proposition; qui fut de jouer les Menuets sans les danser. Ceci fut rejetté avec une majorité de voix considérable, et l'on assure qu'il y a à présent sous [-X-] Presse une espece de Manifeste, où l'on expose les raisons qu'on a eues de ne point faire exécuter les Menuets. Cette démarche pourra avoir des suites de la plus grande conséquence. Comme cela peut intéresser l'Europe, et sur-tout vôtre curiosité, je serai attentif à m'informer de ce qui se traitera ultérieurement. Il est certain que la Cour est fort occupée de cette affaire, ce qui est fort naturel, quand on réfléchit à son importance: un Menuet peut devenir une chose grave. Combien d'exemples de ce genre ne pourrois-je pas vous citer? Une coëffure que la Reine Anne d'Anglerre marchanda, et qui fut achetée par Miledi Marlboroug, rompit cette formidable Association de Souverains, qui faisoient [-XI-] la guerre à la France, et causa la paix que la Reine Anne fit en 1710. Une révérence que César oublia de faire aux Sénateurs qui s'assembloient au Temple de la Concorde, détermina Brutus à conspirer contre lui. Une pomme ne fut-elle pas la cause de tous les malheurs qui arriverent à la postérité des premiers habitans du Paradis terrestre?

Vous m'avouërez qu'un Menuet vaut bien une coëffure, une révérence, ou une pomme: il n'y a qu'à attendre, et nous verrons à quoi il pourra donner lieu. Je suis encore trop retenu en vous écrivant, à cause que c'est la premiére fois de ma vie que je prends cette liberté; mais je vous promets à la premiére occasion [-XII-] de ne m'en pas tenir aux conjectures ordinaires, et d'en hazarder de plus merveilleuses, de plus vagues, et avec plus d'effronterie, s'il est possibles, que vos petits Ministres, (dont la Monotonie, et l'insipidité commencent à vous ennuyer,) si les Nouvelles de cette ordinaire ne piquent pas vôtre curiosité, je vous en promets d'aussi romanesques et de plus bizarres à l'avenir.

P. S. Dans ce moment j'apprens que les autres Cours ont pris parti dans l'affaire des Menuets, et qu'elles vont faire à la nôtre en conséquence, les représentations les plus sérieuses. Le reste l'ordinaire prochain.

[-XV-] SECONDE LETTRE AU PUBLIC

LA grande affaire qui nous occupe s'embroüille de jour en jour davantage; les incidens que nous avons prévus sont en partie arrivés, on ne voit que des Couriers qui vont et qui viennent, cependant rien ne transpire de leurs depêches. L'Ambassadeur de Fès a présenté un Mémoire à nôtre Ministere, sa Cour s'intéresse vivement pour la Musique d'Aix en Provence, et ce Mémoire porte en termes exprés que le Roy [-XVI-] de Fès regardera le refus qu'on fera de la joüer, comme un affront fait à sa personne dans celle de ses Alliés.

L'Ambassadeur de l'Hospodar de Valachie a joint ses représentations sur le même sujet, et il a ajouté que son Maître seroit obligé de faire cause commune avec la Ville d'Aix pour soutenir l'honneur de ses Menuets, sur-tout depuis qu'il avait établi à Arcim une Académie de Musique française; jusqu'à présent toutes représentations ont été infructueuses, nôtre Cour persiste dans sa résolution, et il parait qu'elle veut pousser cette affaire à l'extrémité. Tout le monde a été surpris de cette infléxibilité; mais on cesse de l'être depuis [-XVII-] qu'on est informé, à n'en pas douter, que la Cour a été encouragée dans sa roideur par l'Alliance défensive qu'elle vient de conclurre en secret avec la République de Santo-Marino. Salomon a bien eu raison de dire, que tout se découvre enfin, car il n'y a rien de caché à nôtre pénétration; Alliances, Traités, Conventions secrétes, nous approfondissons tout, on devine une partie, on apprend quelque chose, on y ajoute ses conjectures, et à la fin on sait les Traités comme fi on les avait faits.

Vous serez bien étonné de trouver ici l'Article secretissime de cette Alliance nouvellement conclüe; mais voici comment il est tombé entre [-XVIII-] nos mains. L'Ambassadeur de Santo-Marino, en dînant l'autre jour chez l'Ambassadeur des treize Cantons, laissa tomber de sa poche l'Article secret du Traité en tirant son mouchoir; l'Article fut aussitôt ramassé, et nous avons été assés heureux pour nous le procurer. Qu'un Ambassadeur doit être circonspect, et qu'il est dangereux pour lui de tirer un mouchoir de sa poche!

VOICI CET ARTICLE SECRETISSIME.

De plus Sa Majesté Prussienne s'engage que, si en haîne de cette Alliance presentement conclüe la Serenissime République de Santo-Marino allait être inquiétée par de mauvaises Serenades, [-XIX-] ou par des Chacones à elle désagreables, Sa Majesté lui fournira à ses frais et dépens un Vaisseau de cent Canons, et quatre Fregates, qu'elle tiendra toujours pretes dans son port de Halberstadt pour le service de ladite République; et au cas que des vents contraires ou d'autres conjonctures fissent préferer des secours pécuniaires, on évaluera cette Escadre à la somme de 400 Livres payables dans la sorte de monnoye dont le Gazetier de Cologne fut payé, il y a dix ans, et dont la République pourra faire un usage merveilleux envers ses Ennemis. En revange la Serenissime République de Santo-Marino s'engage de faire cause commune avec la Prusse dans tout ce qui concerne l'affaire des Menuets, et malgré l'ancienne Alliance qui subsiste avec ladite République et la [-XX-] Ville d'Aix, depuis les tems de Pierre de Provence et de la belle Magalone, et par laquelle elle a garanti à ladite Ville la paisible possession de sa Musique, la République de Santo-Marino tient ces engagemens pour nuls, bien entendu qu'elle se croit Maitresse d'expliquer sa parole comme il lui plait, de prendre en même tems des engagemens contraires selon son bon plaisir, et d'invalider ses anciens Traités lorsqu'il lui prend fantaisie d'en faire de nouveaux. Elle promet à Sa Majesté Prussienne de tenir prét son Contingent pour qu'il soit à portée d'être employé lorsque le casus foederis l'exigera. Ce contingent consistera en trois Menêtriers, et en trois Vivandieres; et au cas que Sa Majesté Prussienne trouvât plus convenable de convertir ce secours en argent, [-XXI-] la Serenissime République payera du moment où la guerre sera déclarée un subside annuel d'un sequin et demi, quatre sols, dix liards.

NB. Les secours seront prêts des deux côtés pour partir au plus tard trois mois après que la requisition leur en sera faite, et au cas que ces secours ne soyent pas suffisans, Leurs Hautes Puissances contractantes s'engagent d'en doubler le nombre. Cet article séparé sera tenu secretissime, et il aura la même force que le Traité général. On s'engage en outre d'inviter les autres Puissances Amies à accéder à cette Alliance.

Le Traité général ne parait pas encore, mais comme il est fait pour [-XXII-] être communiqué à tout le monde, nous vous assurons d'avance que ce n'est pas la peine de le lire; la quintessence du poison, le venin subtil et délicat est tout renfermé dans cet article secret, et c'est ce qui vous le fera savourer avec délices. L'Ambassadeur de Fès qui se trouvait au repas où cet Article secret fut perdu, en a tiré copie sans perte de tems, et l'a envoyé par son Jouëur de Guittarre, (qui joüe un grand rôle à Fès,) immédiatement à sa Cour: et comme toutes les circonstances d'une affaire pareille à celle-ci sont importantes, nous ne devons pas obmettre que le Courier avait l'omoplate gauche convexe, et qu'il montoit un Cheval Travate.

[-XXIII-] Ce grand évenement ouvre un vaste champ à nos Conjectures. Si la guerre survient, la Ville d'Aix, le Roy de Fès, et l'Hospodar de Valachie, pourront fortifier leur Alliance de celle de Coulican le très juste, qui a fait aveugler son Oncle et ses Frères, Schach de Perse présentement régnant, ou en cas qu'il se trouve trop occupé aux guerres intestines qui déchirent son beau Royaume, ils pourront s'unir avec le grand Mogol, ou avec l'Empereur du Japon: ils pourront tirer de ces païs-là des chameaux et des éléphans véritables. Il est impossible qu'une certaine Cour résiste à tant de forces réünies, et l'on doit espérer que l'heureux jour viendra où nous la verront succomber sous le poids de [-XXIV-] ses ennemis. Quelle joye n'aurons nous pas de ces événemens tant attendus! Que vos fabriqueurs de Nouvelles vont être contents de voir enfin accomplir leurs prophéties, et qu'ils auront d'obligations aux deux Menuets dont l'un est en mineure?

Cependant les Fêtes et les Bals vont ici leur train ordinaire, la Cour me pense qu'à se divertir, et vit dans cette sécurité qui précéde les grandes Catastrophes; mais nous qui voyons plus loin que nôtre nés, qui sommes fins au superlatif, nous annonçons, comme la malheureuse Cassandre, que la mesure est comblée, que les jours de deuïl sont arrivés, que malgré la Serenissime République de Santo-Marino, et celle de Luques même, on [-XXV-] verra ici dans peu un essain de Barbares, qui vangeront les Menuets d'Aix en Provence, qui bruleront la Musique qu'on appelle celle du bon faiseur d'Opéra, qu'on verra de véritables Elephans fouler l'Orquestre à leurs pieds; que pour comble de malheurs ce peuple barbare convertira la voix de ces Messieurs qui chantent le dessus sur nos Théâtres en affreuses voix de basse; que les Vierges qui desservent ces mêmes Théâtres avec tant de pudeur seront violées, et qu'on n'entendra pour toute harmonie que les Menuets d'Aix dont l'un est en mineure.

Au cas que cette Prophétie ne s'accomplisse pas à la lettre, nous soutiendrons ce contre-tems avec [-XXVI-] effronterie, et nous ne laisserons pas que de prophétiser. Pour Messieurs nos Compagnons, qui comme nous se mêlent de lire dans l'avenir, nous leurs conseillons de prophétiser les événemens passés, s'ils ne rencontrent pas les événemens futurs, ou d'étendre leur Prophétie au delà de cent ans.

Nous apprenons dans ce moment que l'Ambassadeur de Fès a pris la Colique, et qu'il se veut faire électriser au gros orteüil. Un fameux Medecin assure que son mal provient d'une réplétion d'injures; Son Chirurgien prétend que c'est une maladie de Politique, et qu'il a trouvé à propos de s'absenter de la Cour.

[-XXVII-] P. S. Je suis obligé de vous faire mes excuses sur ce que mon stile n'approche point de l'élégance et de la noble hardiesse de celui de vos Correspondants; j'étudie sans cesse dans vos Archives pour atteindre à ce point de perfection; je commence à m'approprier leurs phrases, je me servirai incessamment de certaines épithétes fortes, nerveuses, et pictoresque; par exemple, cet Hospodar sans foy, sans loy, désignera celui de Valachie; ce Prince perfide et traitre vous fera connaitre le Roy de Fès, et je ferai des efforts pour me rendre par mon application plus digne de vos bontés et de vôtre confiance. Le reste l'ordinaire prochain.

[-XXIX-] TROSIÉME LETTRE AU PUBLIC.

[-XXXI-] LETTRE DU COMTE RINONCHETTI, Premier Senateur de la Republique de Santo-Marino,

AU BARON DE ZOPENBRUG, Ministre De Sa Majesté Prussienne.

Monsieur,

NOus avons appris avec autant de surprise que d'indignation qu'un espéce de [-XXXII-] faiseur de Gazette a écrit des choses insolentes sur le sujet de nôtre Sérénissime République, et que cet ouvrage scandaleux s'est imprimé, et se vend dans la Capitale du Roy vôtre Maitre.

Jusqu'à présent aucun Ecrit, aucune Gazette datée de Berlin, n'a blessé personne; il nous est connu d'ailleurs que sa Majesté Prussienne punit sévérement [-XXXIII-] les Libelles qui touchent les particuliers; nous sommes donc d'autant plus étonnés de voir qu'on ait permis l'impression de l'ouvrage qui donne lieu à nos plaintes, et nous osons espèrer que le Roy vôtre Maitre ne souffrira pas que dans ses Etats un particulier insulte des Souverains. Nous nous flattons qu'Elle daignera faire châtier le misérable qui vient de nous offenser [-XXXIV-] si griévement. Il imprime des Traités, et des Articles secrets; il semble même qu'il nous traitte en ridicule; cela n'est en vérité pas soutenable, et il nous faut une satisfaction éclatante. Il est vrai qu'il y a en Europe quelques Etats plus puissants que le nôtre; mais doit-on nous mépriser parce que nous ne sommes pas les plus forts? Cependant ma Sérénissime République sait se [-XXXV-] faire respecter en Italie; nous avons résisté seuls et sans Alliés aux artifices du Cardinal Alberoni, aux Canons, et Excommunications de l'Eglise, et à tous les efforts de nos Ennemis; nous avons découvert leurs intrigues, détruit leurs projets, combattu pour nôtre liberté, et nous nous sommes maintenus. Ces actions, si elles s'étoient passées à Berne, à Venise, ou à Amsterdam, seroient-elles [-XXXVI-] plus glorieuses que s'étant passées à Santo-Marino? Rome dans son origine ne fut pas même ce que nous sommes à présent; le luxe n'a point corrompu l'austérité de nos moeurs; on voit chez nous des vertus antiques; nôtre frugalité, et nôtre union soutiennent nôtre Etat; nous n'avons de précieux que nôtre liberté et nôtre réputation: ce n'est, ni à un malheureux [-XXXVII-] Gazettier, ni a quelque Puissance que ce soit sur la terre, de nous ravir ce bien inestimable. Nous espérons que Sa Majesté ne souffrira pas plus longtems qu'on nous offense, et que Roy elle embrassera la cause d'une République Souveraine. Nous nous flattons, Monsieur, que vous appuyerez par vôtre grand crédit nos justes représentations, et que vous procurerez à ma Sérenissime [-XXXVIII-] République la satisfaction qu'elle attend de l'équité du Roy vôtre Maitre. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, et cetera et cetera.

[-XXXIX-] RÉPONSE DU BARON DE ZOPENBRUG, Ministre d'État de Sa Majesté Prussienne.

AU COMTE RINONCHETTI, Premier Senateur de la République de Santo-Marino.

Monsieur,

DEs que j'eûs reçu la Lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, j'en ai fait mon rapport [-XL-] à Sa Majesté. Vous pouvez être persuadé, Monsieur, que tout le monde condamne ici hautement les particuliers, qui par leurs Ecrits osent offenser les Souverains. Depuis le Pape et l'Empereur, jusqu'à l'Evêque de Constance et au Prince de Zipentzerbst, il n'est aucun Souverain que le Public ne doive respecter; qu'il soit puissant ou faible, allié ou ennemi, cela n'y fait rien, et la [-XLI-] bienséance exige qu'en faisant mention d'eux, ce soit toujours dans des termes convenables. Les Grands Princes s'honorent dans leurs semblables; s'ils souffre chez eux qu'un Particulier insulte une autre Puissance, c'est oublier ce qu'ils se doivent à eux-mêmes. Depuis un certain tems l'abus de la Presse a été poussé jusqu'au scandale; des Particuliers ont eu à se plaindre de la méchanceté [-XLII-] des Auteurs; et il y a eu plus d'une Puissance qui a été offensée par ces sortes de gens, qui compilent des Nouvelles pour vivre, qui débitent plus de mensonges que de vérités, et qui s'érigent en Aretins de nôtre Siécle. Mais, Monsieur, personne n'ajoute foi aux choses qu'ils débitent, et à force d'en imposer grossiérement au Public, ils ont décrédité leurs Nouvelles. On [-XLIII-] n'a pas attendu que vôtre Sérénissime République ait porté ses justes plaintes des Nouvelles clandestines qui se sont débitées ici; on a d'abord interdit l'ouvrage avec une défense sévére à l'Auteur d'écrire sans permission; je me flatte que la Magnanimité de vôtre Sérénissime République se contentera de ce châtiment; défendre de parler à un Babillard, ou défendre d'écrire à un Cerveau [-XLIV-] brûlé, c'est la plus grande punition qu'on lui puisse faire; nous poussons jusqu'au scrupule les attentions qu'on doit aux Puissances étrangéres, et jamais on ne souffrira ici que qui que ce soit leur manque de respect.

Je suis charmé que cette misére m'ait fourni l'occasion de servir vôtre Sérénissime République, et de faire connoissance [-XLV-] avec un homme dont la réputation est aussi grande que la vôtre. C'est avec ces sentimens que je serai à jamais, Monsieur, et cetera et cetera.


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