TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Ménestrier, Claude-François
Title: Des Representations en musique anciennes et modernes
Source: Des Representations en musique anciennes et modernes (Paris: René Guignard, 1681; reprint ed. Genève: Minkoff, 1972) ff.air-eiiijv, 155-336.
[-155-] Ces restes de Musique Dramatique, qui s'étoient conservez dans l'Eglise, servirent à la rétablir il y a deux cents ans, et Rome qui l'avoit comme perdüe, pour donner à la recitation, et à la declamation des Acteurs, ce que les Grecs donnoient au chant et à l'harmonie, la fit paroître sur le Theatre vers l'an 1480. comme je l'apprens de Sulpitius, en l'Epître dedicatoire de ses Notes sur Vitruve qu'il presenta au Cardinal Riari Camerlingue de l'Eglise et Neveu du Pape Sixte IV. sous qui il ressentit tous les effets de l'une et l'autre fortune, ayant été soupçonné d'avoir attenté sur la vie de son Oncle, et fait Prisonnier dans le Château Saint-Ange, d'ou enfin ce Pape le retira, lui pardonnant son crime, et le rétablissant [-156-] dans toutes ses dignitez. Sulpitius loüant la Magnificence de ce Cardinal, qui avoit fait bâtir dans Rome, et aux environs de Rome de superbes Palais, le sollicite de faire dresser des Theatres publics pour les representations de Musique, dont ce Sulpitius se dit étre le Restaurateur, ayant fait voir à Rome depuis peu d'années, ce qu'elle n'avoit plus en usage depuis plusieurs siecles. Il dit à ce Cardinal dans cette Epître, que Rome attend de lui un Theatre pour ces actions, parce qu'il en a déja donné une fois le plaisir au peuple sur un Theatre mobile dressé au milieu d'une place, et d'autres fois dans le Château Saint-Ange, pour divertir le Pape, et dans son Palais pour quelques Cardinaux.
Tu enim primus Tragoediae quam nos juventutem excitandi gratiâ et AGERE et CANTARE primi hoc ave docu mus, (nam ejusmodi actionem jam multis saeculis Roma non viderat) in media foro pulpitum ad quinque pedum altitudinem erectum pulcherrimè exornasti. Eamdemque postquàm in Hadriani mole Divo Innocentio spectante est acta, rursùs intrà tuos penates tamquam in media Circi caveâ toto consessu, umbraculis tecto admisso populo, et pluribus tui ordinis spectatoribus honorificè [-157-] excepisti. Tu etiam primus picturatae scenae faciem, quùm Pomponiani comoediam agerent nostro saeculo ostendisti: quare à te Theatrum novum tota urbs magnis votis expectat.
Peu d'années aprés, Bergonce Botta, Gentilhomme de Lombardie, ayant à recevoir à Tortone dans sa maison le Duc de Milan Galeas, et sa nouvelle Epouse Isabelle d'Arragon, petite Fille de Ferdinand Roi de Naples, leur fit servir un magnifique souper, et accompagna chaque service d'une espece d'Opera que le rétablissement de ces actions en Musique, commençoit à rendre agreables par la grace de la nouveauté, plûtôt que par les autres beautez, qu'on leur a donné depuis.
Jason commença les divertissemens de ce Regale en apportant la Toison d'or pour couvrir la table. Mercure chanta les addresses dont il s'étoit servi pour dérober à Apollon qui gardoit les Troupeaux d'Admete Roi de Thessalie un Veau gras qu'il vouloit faire servir à ce repas. Diane amena Acteon changé en Cerf, et aprés avoir expliqué ses ressentimens contre lui, elle lui fit entendre qu'elle lui faisoit grace de le faire servir au Repas d'une Nymphe aussi [-158-] belle et aussi sage qu'Isabelle. Orphée ayant appris sur l'Apennin où il pleuroit encore la mort de sa chere Euridice, la celebrité de ces Nopces, s'y rendit pour y chanter sur sa Lyre les louanges de l'Epoux et de l'Epouse, et ayant attiré par la douceur de ses Concerts un grand nombre d'Oiseaux, il les offrit a Isabelle. Atalante y apporta la tête du Sanglier Calydonien, avoüant qu'elle cedoit à cette nouvelle Nymphe la gloire d'étre adorée de toute la Jeunesse de la Grece. Thesée avec une troupe de Chasseurs apporta le reste du Sanglier. Iris parut sur son Char tiré par des Paons, et fit servir un de ces Oiseaux avec sa superbe queüe. Hebé y porta le Nectar des Dieux, qu'elle presente dans le Ciel à Jupiter et à Junon. Apicius y vint des Champs Elysiens, pour faire servir à la delicatesse de ce Repas toutes ses inventions. Les Bergers d'Arcadie y servirent un Fromage fait des mains mémes de Pan. Vertumne et Pomone, y servirent des Fruits. Les Dieux de la Mer, et les Fleuves de Lombardie y porterent de la Marée et des Poissons d'eau douce, et accompagnerent ces Mets d'autant de recits de Musique. Ce repas fut suivi d'une representation en Musique [-159-] plus reglée. Orphée en fit l'ouverture et introduisit Hymen, suivi d'une troupe de petits Amours, qui repondoient à ces recits. Les trois Graces se donnant la main, firent la seconde Scene. Elles furent suivies de la Foi conjugale vétuë de blanc, qui vint s'offrir à la Princesse pour la servir. En méme temps Mercure fit descendre du Ciel la Renommée accompagnée de Virgile et de Titelive. Aprés eux vint Semiramis, avec Helene, Medée, et Cleopatre, qui ayant commencé à chanter leurs folles Amours, furent chassées par la Foi conjugale, qui leur défendit de venir souïller par le recit de leurs desordres une alliance si sainte. Elle lâcha sur elles une troupe d'Amours dont elle étoit accompagnée, qui poursuivirent ces Femmes avec leurs Flambeaux allumez, et mirent le feu aux voiles de gaze dont elles étoient coëffées. Aussitôt aprés parurent Lucrece, Penelope, Thomyris Reine des Scythes, Judith, Porcie, et Sulpitia, qui s'étant renduës celebres par la pureté de leurs moeurs venoient presenter à la nouvelle Duchesse, les Palmes de la pudeur, que leurs siecles leur avoient données. Enfin Silene monté sur un Asne et à demy [-160-] yvre, vint finir cette piece de Theatre par des Chansons plaisantes. Cette Fête est si bien décrite dans un Autheur de ce temps-là, que je crois que les Curieux seront bien-aises de la voir dans la méme langue en laquelle elle fut décrite.
Coena exped<>ri coepta est, quae reliquam omnem opulentiam, et luxum supergredi visa est. Ejus nullum ferculum illatum est, quod non Histrio, Mimus, et Cantor cum aptâ ad rem ipsam fabulâ ex veteri historiâ, et priscorum Poëtarum fabulamentis petita antecesserit. Jason ex Kolcho aureum vellus tulit. Docuit Mercurius quantâ arte vitulum fratri Apollini Admeti armenta custodienti suffuratus sit, ut delicatissimas has epulas carne ornaret. Diana Actionem in Cervum mutatum adduxit: explicatâque suae in eum irae causá nullum nobilius esse ferae ex homine transformatae sepulchrum probavit quàm Isabellae sponsae utriculum. Orpheus se modò in Apennino vagantem dùm uxoris Euridices casum defleret audivisse narrat de superbissimo nuptiarum apparatu, quae in devexo montis factitarentur: ad has visendas cùm descenderet ad lyrae harmoniam advolasse aves, è quibus quas captaverit affert. Atalanta caput Apri Caledonii per tot saecula asservatum huic coenae exhibuit, praefata [-161-] illustris se id victoriae inter totius Graeciae juventutem partae signum atque honorem virtutibus excellentissimae Sponsae libenter ac spontè cedere. Cùm autem sexto loco Pavo coctus inferretur praegressa Iris Junonis nuntia currum tractum à charissimis ejus avibus quarum initium mutatus fuerit Argus obtulit. Reliquum deindè ejusdem apri truncum Theseus, et caeteri nobilissimae expeditionis magis quàm venationis socii attulerunt non sine significatione creptae sibi gloriaefalso Meleagri judicio. Tum Hebe filiae Jovis et pocillatrix, Nectar et Ambrosiam de Deorum mensa attulit. Apicius quoque ille popinarum artifex è campis Elysiis exquisitissimi luxus condimenta, ac ex saccharo et lacte mellitum saporem misit. Pastores Arcadiae sermone ipso rusticano audiendi massam lactis Panos manibus coactam dederunt. Vertumnus et Pomona vim se arboribus adhibuisse dixerunt, ut quamvis parte anni alienâ poma tamen edere maturarent, quibus et ipsi secundam mensam ornarent. Nec Naïades, fonticulorumque omnes Dii, Deaeque sine munusculis venerunt. Glaucus è maritimis fluctibus salsae piscium genera; Padus cùm Aldua et Ticino à dulcioribus aquis mitiores suavioresque adduxerunt. Venit quoque Silvanns è lacu [-162-] Verbano: qui annosâ ejus gravitate excusatâ se missum cum ejus muneribus dixit. Idem Larius Iacus fecit, qui Comum alluit. Sirenem Ulysses cujus ex insidiis ast<> <>ffugerat advexit ac dono dedit, quod pe<>spectâ for itudine ac sapientiâ puelle nullum in eâ ve<>tatur periculum, ne quid blandis monstri fallaciis capiatur.
Sublatis mensis accommodatissima praesenti rei fabula ind<>cta est Ingressus primò Orphaeus G<>aecanico habitu ornatus atque laureatus Hymeneaum ad Cytharam citavit. Is incedens turbâ puerorum Cupidinis specie ornatorum comitatus <..>troivit, qui alternis Epigrammatis Hymenae cantitabant. Tùm Charites uno concinctae cingulo triangularem in formam versae in mu<>uum aspectum se statuerunt, aptosque versiculos earum postrema recitavit. Has fides conjugalis subsecuta est, candidâ v<>ste, obtectâ dextrâ candidissimum lepusculum, sinistrà torquem jaspidum gestans ac ardenti corde officia sua indicans: quae postquam sponsae sese dedit, Mercurius talaribus, et Caducaeo insignis caelo devolavit, famamque introduxit. Pennata ea Virgo fuit Virgilium inter et Livium posita, quae vire<> et magnitudinem suam enarrans docuit se boni ac mali pariter aeternum nuntium esselu eamdem mox sententiam vates Latinum [-163-] carmen cecinit. Tùm incessit Semiramis turbâ impudicarum mulierum comitata, ut Helenâ, Medeâ, Cleopatrâ, quas scelera sua aperire incipientes conjugalis confestim Fides coarguit, vetuitque impuro sermone sanctissimas nuptias, castissimasque menice pollui, profanarique, easque caetu quà<> primùm facessere jussit. In contumaces incitavit Cupidinum manum, qui statim intentis facibus quas accesas gestabant, impetum in eas fecerunt, adustisque velamentis magno tumultu triclinie exturbarunt.
Successit honestarum chorus, et eae quae illustria sanctitatis exempla fuerunt. Lucretia, Penelope, Scytharum Regina Tomyris, Judith, Portia, Sulpitia, quae singulae prius carminibus castimoniâ matronalique sanctitate è moribus et vita sua commendatis in studia Isabella quae sanctiorae ne optare quidem fas sit, ità collaudantes evaserunt, ut suam quaeque ei palmam deferret. Severè actis intulit postremò risus occasionem advectus pando Silenus asello, qui sivè reipsâ vinolentus, sive ebrium simularet, et qui somno vinceretur ruinam è jumento medio in hominum conspecta dedit. Tristanus Calchus in nuptiarum Mediolanensium descriptione.
Ces Musiques Dramatiques furent conservées dans les Carrousels, et [-164-] dans les Ballets, dont les ouvertures se font presque toûjours faites par des dialogues et des recits de Musiciens qui chantoient ou sur des chars, ou sur d'autres machines. Enfin Ottavio Rinuccini Poëte Florentin ayant un talent particulier a exprimer dans ses vers toutes sortes de passions chercha les moyens d'y ajuster tellement la Musique et le chant qu'ils n'ôtassent rien ny à la beauté de ses vers ny à l'intelligence des paroles, qui sont souvent comme absorbées par les portemens de voix, les fugues, et les fredons. Il en confera avec Giacomo Corsi Gentilhomme Florentin qui entendoit la Musique et se plaisoit aux belles choses, et l'un et l'autre, ayant fait appeller Giacomo Cleri, et Giulio Caccini excellens Maîtres de Musique, ils concerterent ensemble une piece qui fut representée dans la maison du Signor Corsi en presence du grand Duc, et de la grande Duchesse de Toscane, et des Cardinaux Monti, et Montalto, avec tant de succés, que cette piece qui étoit les Amours d'Apollon, et de Daphné servit de modele à l'Euridice, que l'on representa peu apres au méme lieu. Claude de Monteverde excellent Musicien, [-165-] composa l'Ariane sur ces deux originaux, et étant devenu Maître de la Musique de Saint Marc de Venise, il y porta cette maniere de representations qui sont devenuës si celebres par la magnificence des Theatres, et des habits, la delicatesse des voix, l'harmonie des concerts, et les sçavantes compositions de ce Monteverde, de Soriano, de Giovanelli, de Teofilo et plusieurs autres grands Maîtres.
Il fallut donner à ces actions Dramatiques tous ces ornemens pour les faire bien recevoir, car tandis qu'il n'y eut que la beauté de la composition on les regarda comme les autres pieces de Musique qui se chantoient à divers choeurs ou par recits, mais dés que l'on y joignit tous les aggrémens des spectacles, les changemens de Scenes, les machines, les habits, la Symphonie, et toutes les autres beautez de la grande Tragedie, ces actions furent receües avec applaudissement dans toute l'Italie, où les Theatres sont si propres, les decorations si belles, et si diversifiées, les machines si justes, les voix si agreables, la Musique si sçavante, et si bien ajustée aux passions, et aux affections de l'Ame.
[-166-] Jean Antoine Baïf, Fils de Lazare si connu par les sçavans traités des habits, et de la Marine qu'il a donnés au public étant né à Venise durant l'Ambassade de son Pere, qu'il eut d'une Damoiselle Venitienne ayant pris le goût de ces representations qu'il avoit vûës en son enfance essaya de les introduire en ce Royaume. Il affecta pour cela comme il étoit bon Poëte de faire des Vers mesurés, comme les Vers des Grecs et des Latins, estimant que des Vers de cette sorte seroient plus propres pour le chant, il acheta une maison de campagne dans un Village voisin de Paris, où il assembla des Musiciens, y faisant certains jours de la Semaine une espece d'Academie, où il cherchoit avec ses amis les moyens de faire reüssir son dessein. Il y avoit des Princes qui assistoient quelquefois à ses Concerts, mais s'étant contenté du chant mêlé à la Poësie, sans y joindre les autres Ornemens des Opera de Venise, il ne fit pas de grand progrés. Scevole de Sainte Marthe a marqué ces soins de Baif pour ces representations dans l'Eloge qu'il a fait de lui, et de Lazare son Pere. Domum et situ, et culta peramaenam incoluit in Lutetiae suburbiis ab omnibus [-167-] politis hominibus assiduè frequentatam praesertim à Musicis, cum eos ad novum istud numerorum genus emodulandum, et fidibus aptandum cupidissimè invitaret institutâ in hunc usum apud se Academia, cujus ad inusitatos concentus summi etiam Principes animi gratiâ saepenumero confluebant.
Disons donc que pour introduire ces actions de Musique, il a fallu leur donner tous les ornemens des autres pieces de Theatre, le choix d'un beau sujet, une agreable disposition, de beaux vers, des sentimens tendres, des décorations propres, des changemens de scene, des voix rares, des accords de divers instrumens, et des entrées de ballet. C'est ce qui a fait dire à un excellent Musicien sur les principes de Saint Augustin, que la parfaite harmonie a neuf degrés, [Musicè gradus multi sunt primus in mente. secundus in ratione. Tertius in imaginatione, Quartus. in affectu [-168-] quintus in sermone, sextus in Cantu. septimus in sono. octavus in saltu, nonus in corporis compositione. in marg.] le premier dans l'esprit, le second dans la raison, le troisiéme dans l'imagination, le quatriéme dans l'affection, le cinquiéme dans la parole, le sixiéme dans le chant, le septiéme dans le son, le huitiéme dans la danse, et le neufiéme dans la composition du corps. C'est à dire que l'esprit, la raison, l'imagination, les mouvemens du coeur, la parole [-168-] qui est l'expression de nos pensées, le ton de la voix qui est le chant, le son des instrumens, et la composition de tout le corps font la parfaite harmonie. Ce sont les neuf Muses que les Anciens ont consideré comme des divinités, et c'est ce qui me persuade que de tous les spectacles, il n'en est point de plus achevé que celui des representations en Musique où se trouvent toutes ces choses.
Le choix du sujet et sa disposition sont l'ouvrage de l'esprit, et de la raison. De l'esprit pour le trouver, de la raison pour le disposer. La Poësie est l'ouvrage de l'imagination qui doit en inventer les ornemens, y mêler les affections et les passions necessaires, et choisir des termes et des figures propres pour exprimer les sentimens d'où naissent les affections. Les concerts, la symphonie, et les ballets regardent le son et les accords des instrumens, la composition du corps, et ses mouvemens figurés.
Le sujet de ces actions est ordinairement tiré de la fable, ou de l'histoire, ou il est allegorique. Euridice, Orphée, Ariane, Medée, Arethuse, Thesée, Alceste, Hercule, Atys, Isis, Cadmus, [-169-] et quantité d'autres sujets qui ont parû sur les Theatres d'Italie sont des sujets tirez de la Fable. Marcel à Siracuse, Darius à Babylone, Pompée, Heraclius, et plusieurs autres qu'on a representez à Venise sont empruntez de l'Histoire. La Verita Raminga, Il disinganno, L'inganno d'Amore, et quelques autres sont allegoriques. La premiere de ces trois representations, fut tout à fait ingenieuse.
Le Temps en fit l'ouverture par un entrée de Ballet pour distribuer l'A gument. La premiere Scene étoit d'un Medecin et d'un Apoticaire qui se réjouïssoient de ce que les maux du monde faisoient tout leur bien, et de ce que la terre couvroit leurs fautes. Cependant la Verité maltraitée par des Avocats, des Procureurs, et des Plaideurs, paroît tout est<>opiée et leur demande du secours, mais dés qu'ils connoissent que c'est la Verité, ils la fuyent. Un Cavalier s'offre à elle pour la defendre, et l'abandonne aussi tôt qu'elle se fait connoître à lui. Un soldat fait la méme chose parce qu'elle se mocque de ses fanfaronneries. Enfin cette premiere partie finissoit par un ballet de villageois qui dansoient au son de quelques courges sechées battuës [-170-] les unes contre les autres. Dans la seconde partie un Marchand faisoit le premier recit, et se réjouïssoit de ce que pour se faire riche il ne faloit que faire banqueroute deux ou trois fois et s'accommoder avec ses creanciers. Un Traitant fit la seconde Scene avec un Marchand qui vouloit se défaire de sa conscience comme d'une marchandise incommode, et de mauvais debit. La Verité se presente à eux sans qu'ils la connussent, et sans vouloir traiter avec elle. Les Dames n'en voulurent point non plus. La Muse de Theatre la reçut à condition que la déguisant agreablement elle la feroit paroître dans ses Representations, pour cela elle la masqua, lui donna d'autres habits, lui fit changer de ton de voix, de geste, et de maniere. Des bouffons la voyant ainsi déguisée et reçuë dans leurs troupes en danserent un ballet de joye.
Comme les pieces de Theatre composées en Musique, sont plus faites pour le plaisir et le divertissement que pour l'instruction, on y cherche plus le merveilleux que le vrai semblable. C'est pour cela que les Machines et les Decorations extraordinaires y sont plus propres qu'aux autres actions de Theatre. [-171-] Quand on representa le Darius de François Beverini, la Scene changea jusqu'a quatorze fois en trois parties. On y vit le Camp de Darius avec des Elephans qui portoient des Tours pleines de Soldats, une Vallée entre deux Montagnes, une place de Babylone, les Tentes du Camp de Darius, une Cour d'un Palais, un quartier de l'Armée avec les machines de Guerre, la Sale Royale du Palais de Babylone, les Pavillons de Darius, le Mausolée de Ninus, la Cavalerie et l'Infanterie rangées en bataille, une Prison affreuse, le Jardin Royal de Babylone, les ruines d'un ancien Château et le Palais entier de Babylone.
Toutes ces Decorations se reduisent à quinze ou seize especes qui se multiplient à l'infini.
Les Celestes sont des assemblées des Dieux, des Nuées, les diverses Spheres, l'Arc en Ciel, le Firmament, le lever ou le coucher du Soleil, les Eclairs, les Tempétes, et cetera.
Les Sacrées font voir des Temples, des Autels, des Sacrifices, des Antres sacrez, les demeures des Prétres, des Augures, des Vestales, et cetera.
Les Militaires sont les Villes assiegées, dont les Remparts, les Murailles et les [-172-] dehors sont garnis de Soldats, d'Artillerie, de Machines de Guerre, des places d'Armes, des Tentes, un Camp, les quartiers des Generaux, des Sales d'Armes, des Arsenaux, des Trophées, des Campagnes couvertes de Cadavres et cetera.
Les Rustiques ou Champétres sont infinies, parce qu'elles peuvent representer toutes sortes de païsages, des Montagnes, des Vallées, des Rochers, des Camps, des Solitudes, des Forets, des Prairies, des Grottes, des Villages, des Hameaux, des Fêtes rustiques. La campagne selon les quatre Saisons couverte de Neige, de Fleurs, de Verdure, de Fruits, des Ruisseaux, des Bocages, des Colines, des Vignes, des Rivages, et cetera.
Les Maritimes representent la Mer, des Vaisseaux, des Galeres, des Ports, des Isles, des Ecueils, des Tempêtes, des Naufrages, des Monstres Marins, des Combats de Mer, et cetera.
Les Royales sont des Palais, des Trones, des Façades de bâtimens enrichies de Colomnes, de Statuës, et d'autres ornemens, des Balcons, des Sales, des Galeries, des Appartemens, des Cabinets, des Jardins, des Fontaines, des Lits d'honneur, des Ecuries remplies de Chevaux de prix, des Garderobes, des Tresors, et cetera.
[-173-] Les Civiles sont des ruës de Ville, des Boutiques de Marchands, des Atteliers de Peintres, de Sculpteurs, et d'Artisans, une Foire, un Magasin, des Maisons particulieres, des Prisons, des Maisons en feu, des Edifices commencez, des Ruines, et cetera.
Les Historiques sont les Villes particulieres Rome, Athenes, Constantinople, Thebes, certains endroits de la Grece ou de la Thessalie, ou de l'Europe, où se sont faites les actions qu'on represente, l'Antre de la Sybille, l'Antre de Cacus, et cetera.
Les Poëtiques sont les Palais du Soleil, de Thetys, d'Eole, de la Fortune, de la curiosité, et le temple de la mort, de l'honneur, de la Renommée. Les lieux qu'Homere, Virgile, l'Arioste, et le Tasse ont decrits.
Les Magiques sont des Palais et des Isles enchantées, le sabbath et des solitudes affreuses habitées de Démons, l'Enfer, la Cour de Pluton, les champs Elysiens, le Styx, le Cocyte, l'Averne, les Cavernes des Magiciens, où tout est noir et plein de Spectres.
Les Academiques sont les Bibliotheques, les cabinets des Sçavans avec des Livres et des Instrumens de Mathematique, [-174-] un cabinet d'antiques, une Ecole de peinture, et cetera.
A cela on peut ajouter cent decorations de caprice, qui peuvent diversifier d'une infinité de manieres la face d'un Theatre.
Quand on representa le grand Pompée sur le Theatre de san Salvador à Venise, la premiere Decoration fut la place triomphale de Rome avec un grand Arc de Triomphe, et toutes les Fenêtres des Palais pleines de monde, tandis que Pompée étoit sur son Char tiré par deux Lions, accompagné d'un grand nombre de Soldats, de plusieurs Princes, et d'une troupe d'Esclaves. A cette decoration succeda celle d'une grande Court avec un Escalier, par lequel montoit un grand nombre de personnes. On vit aprés un grand Jardin avec des allées, des Parteres de Fleurs, des Berceaux. Aprés ce Jardin parut un Temple magnifique, puis des chambres bien parées, et un Tresor plein de Vases d'Or et d'Argent, et quantité d'autres Richesses.
L'une des plus extraordinaires de ces representations, fut celle qu'on fit à Turin le 10. Fevrier 1628. pour celebrer le jour de la Naissance de Madame de [-175-] Savoye. On fit une grande machine du Vaisseau de la Felicité. Toutes les Divinitez qui sont propices aux hommes, parurent dans le Ciel, et firent chacune un recit en Musique auquel tout le choeur repondoit. En méme temps sur les quatre Angles de la Sale parurent quatre machines pour les quatre Elemens, un Montgibel pour le feu, un Arc-en-ciel pour l'air, un Theatre pour la Terre et un Vaisseau pour l'Eau. Tout d'un coup la Sale se remplit d'eau, et le Vaisseau s'avançant fit voir sur sa Prouë un Trone magnifique preparé pour les Princes, et les Princesses. Les deux côtez avoient en divers Boucliers les Armes de tous les Etats des Ducs de Savoye. Dans le corps du Vaisseau étoit une grande table préparée pour quarante personnes. Le Dieu de la Mer invita les Princes, les Princesses, et les Dames à entrer dans ce Vaisseau où il furent servis par les Tritons, qui conduisoient les serviccs sur le dos de divers monstres Marins. On representa sur un Ecueil peu éloigné du Vaisseau, la piece d'Arion jetté dans la Mer et sauvé par un Daufin. La musique fit le Prologue. La premiere partie fut le depart d'Arion, la seconde le fit voir chantant sur le dos d'un Dauphin. Dans [-176-] la troisiéme il fut porté à Corinthe où Periandre lui fit raconter ses avantures et le confronta avec les Nautoniers qui l'avoient jetté dans la Mer. Les Sirenes firent un Ballet à la fin de cette piece qui fut de l'invention du Duc Charles Emmanuel. Le Cardinal de Bourbon avoit fait quelque chose de semblable à cette machine l'an 1581. aux nopces du Duc de Joyeuse avec la soeur de la Reine. Ce Cardinal ayant fait preparer un magnifique festin pour toute la Cour dans son Abbaye de saint Germain des Prez, fit faire sur la riviere de Seine un grand Bac accommodé en forme de char de Triomphe sur lequel le Roi, la Reine, les Princes, les Princesses, et les nouveaux mariez devoient passer du Louvre au Pré aux Clercs. Ce char étoit tiré par des chevaux Marins faits de plusieurs batteaux dans lequels étoient cachez des rameurs. Il étoit precedé de Tritons, de Sirenes, de Tortuës, de Dauphins, de Baleines et de monstres Marins chargés de Musiciens, de joueurs d'instrumens et de feux d'artifice; et de semblables machines de poissons et de monstres Marins suivoient ce char.
En la reception que la Ville et Milan [-177-] fit à Philippe second on fit quelque chose de semblable, et le troisiéme intermede de la Comedie qu'on lui donna, fut de quelques barques pleines de Musiciens, et de joüeurs d'instrumens, qui representerent une de ces promenades qui se font les soirs de l'Eté sur les Canaux de Venise avec des Gondoles et des Peotes magnifiquement parées, et poussées avec une vitesse surprenante. Les neuf Muses firent le quatriéme sur une barque faite en forme de Monstre ou d'Hydre à plusieurs têtes. Et enfin pour finir la piece, la grande Horloge de la Tour de la place Saint Marc sonna minuit.
Dés l'an 1646. Monsieur l'Abbé Mailly secretaire du Cardinal Bichy, et excellent compositeur en Musique, dont il a fait plusieurs petits Traitez fort utiles pour la methode de chanter, se mit à chercher, cette Musique Dramatique que nous avons trouvée seulement depuis quelques années. Il fit déslors à Carpentras où il étoit auprés de ce Cardinal, quelques Scenes en Musique recitative pour une Tragedie d'Achebar Roi du Mogol, et il accompagna ces recits d'une Symphonie de divers instrumens, qui eut un grand [-178-] succez, mais il ne trouvoit pas pour lors dans nôtre langue ces belles dispositions au chant recitatif qu'on y a trouvées depuis.
C'est par les petites chansons qu'on a trouvé le fin de cette Musique d'action, et de Theatre, qu'on cherchoit depuis si long temps avec si peu de succez, parce qu'on croyoit que le Theatre ne souffroit que des Vers Alexandrins, et des sentimens Heroïques semblables à ceux de la grande Tragedie.
Il y a plusieurs Dialogues de Lambert, de Martin, de Perdigal, de Boisset, et de Cambert, qui ont servi pour ainsi dire d'ébauche et de Prelude à cette Musique que l'on cherchoit, et qu'on n'a pas d'abord trouvée. En voici un de Lambert.
SILVIE.
O destin malheureux!
O tourment rigoureux!
TYRSIS.
Helas il faut partir,
Il faut quitter Sylvie.
O tourment rigoureux!
SYLVIE.
O destin malheureux!
[-179-] Il faut abandonner la moitié de ma vie.
TOUS DEUX.
O destin malheureux!
O tourment rigoureux!
TYRSIS.
En vain pour éviter cette cruelle absence
J'ai pleuré, gemi, soupiré;
Le Ciel contre moi déclaré
A méprisé mes voeux et ma souffrance.
SILVIE.
O destin et cetera reprise de tout le rondeau.
SILVIE.
Ny conseil, ny raison dans ce moment funeste
Ne sçauroient plus me secourir,
Et le doux espoir de mourir
Est dans mes maux tout l'espoir qui me reste.
O Destin et cetera reprise comme dessus.
Ce sont ces petites manieres de chansons que l'on a heureusement imitées en ces actions Dramatiques.
Comme c'étoient des Pelerins qui avoient introduit l'usage des premieres representations qui se firent en matiere de pieté, il y a cinq ou six siecles, la [-180-] simplicité de ces temps remplis de superstitions aussi-bien que d'ignorance et de grossiereté, fit peu-à-peu de ces spectacles une partie des Processions et des Fêtes publiques où l'on representoit les Histoires de l'Ancien Testament, et les mysteres du nouveau avec des chants et des danses, qui tenoient plus des manieres Payennes, et des ceremonies Juifves que de la pieté Chrétienne qui est beaucoup plus serieuse. L'Espagne a beaucoup retenu de ces representations en ses principales Fêtes, et je ne doute point que ce ne soit cette nation qui les ait portées aux Païs bas, et en Provence, où elles ont été plus frequentes qu'en aucun autre endroit du Royaume. Le chant, la danse, les machines, et les instrumens sont la principale partie de ces Processions, ou les batteleurs se trouvent mêlez aux marques les plus saintes de la Religion Chrétienne.
Juan Christoval Calvete qui a fait la relation du voyage que Philippe second Roi d'Espagne fit de Madrid à Bruxelles pour aller voir son Pere Charles-Quint, a décrit une de ces Processions qui se fit à Bruxelles l'an 1549. le Dimanche dans l'Octave de [-181-] l'Ascension pour la celebrité d'une image miraculeuse de la sainte Vierge qui est conservée dans une Eglise que l'on nomme du Sablon. Apres avoir décrit les croix et les bannieres, l'ordre des Prêtres, et des Religieux qui composoient une partie de cette Procession, il dit que l'on vid paroître plusieurs chars triomphaux sur lesquels étoient representés les principaux mysteres de la vie de Nôtre-Seigneur et de la sainte Vierge. Cette pompe mysterieuse commença par la figure d'un Diable, en forme d'un puissant Taureau qui jettoit du feu par les cornes entre lesquelles un autre Diable étoit assis, et l'un et l'autre étoit conduit par un enfant vêtu en loup monté sur un courtaut, apres lequel marchoit Saint Michel vétu d'armes luisantes, avec l'épée et la balance en main. Sur les pas de cét Archange marchoit un chariot chargé d'une musique la plus extravagante qu'on ait jamais vû. C'étoit un Ours assis qui touchoit un Orgue non pas composée de tuyaux comme les autres, mais d'une vintaine de chats enfermés séparément dans des caisses etroites où ils ne pouvoient se remuer, leurs queuës sortoient en haut, et étoient [-182-] liées à des cordes attachées au registre de l'orgue, dont à mesure que l'Ours pressoit les touches il faisoit lever ces cordes, et tiroit les queuës des chats pour leur faire miauler des basses, des tailles, et des dessus selon la nature des airs que l'on vouloit chanter avec tant de proportion, que cette musique de bêtes ne faisoit pas un faux ton. Au son de cét Orgue bizarre dansoient des singes, des ours, des loups, des cerfs, et d'autres animaux autour d'une grande cage sur un Theatre porté par un char tiré par un cheval. Je n'ajoûte rien à cette Relation de Calvete, et voici ses propres termes à l'égard de cette musique, car la description de toute la fête est trop longue pour la donner toute entiere en sa langue.
Luega passò una Musica de estraña manera, y invencion, venia un moço en figura de osso assentado sobre un carro tanendo unos organos en que estavan metidos por de dentro en lugar de flaütos gatos bivos y por buena orden y artificio sacavan todo slascolos altas afuera de tal suerte que tocando el osso el organo tirava de las colas a los gatos en devida proporcion y medida a unos mucho y a otros poco, y a otros medianamente a su compas y sintiendo se los [-183-] gatos tirar por las colas aullavan cada uno conforme como se dolia, y bazian con sus aullidos altos y baxos una Musica bien entonada, que era cosa nueva, y mucho de ver. Viño luego una graciosa danza de monos, ossos, lobos, ciervos y otros animales salvajes dançando delante y detras de una gran iaula que en un carro tiraua un quartago. Dans cette cage autour de laquelle dansoient ces animaux, étoient deux singes qui joüoient de la cornemuse, au son de laquelle ces enfans changez en bêtes dansoient pour representer la fable de Circé qui changea les compagnons d'Ulysse en bêtes. L'Arbre que l'on nomme de Jessé faisoit une autre partie de ce spectacle pour representer la Conception de la sainte Vierge, et sur les branches de cét arbre étoient assis des enfans vêtus en Rois, en Patriarches et en Prophetes pour faire voir les degrez de la genealogie de la sainte Vierge, un grand serpent pour exprimer le peché originel venoit apres. Le mystere de la Nativité de la Vierge étoit à peu-prés representé comme celui de sa Conception, celui de la Presentation au Temple étoit accompagné de celui de la salutation de l'Ange, l'étable de Bethleem faisoit [-184-] voir la naissance de Jesus-Christ autour duquel une troupe d'Anges chantoient le Gloria in excelsis. Tandis que d'autres chantoient des dialogues sur le sujet de cette naissance. Le mystere de la Circoncision, celui de l'Adoration des Rois et celui de la Purification suivoient. Trois autres chars representoient la Resurrection, l'Ascension, et la descente du saint Esprit avec des recits propres de toutes ces Fêtes. Enfin le mystere de l'Assomption terminoit toute cette pompe de Theatre et de representations. L'Empereur Charles-Quint, le Roi Philippe second son fils, et les Reines virent ces representations des fenêtres et des balcons de l'Hôtel de Ville, et afin que rien ne manquât à cette ceremonie les Reliques des Saints étoient portées apres toutes ces mommeries, et apres avoir oüi ces recits de musique, et ces concerts extravagans on entendoit les chants graves de l'Eglise, et les croix et les bannieres marchoient apres ces singes, ces ours, et ces autres bêtes qui avoient fait les premices de cette Procession.
Comme on mêloit le profane aux choses saintes en ces temps d'ignorance et de simplicité on faisoit aussi des [-185-] Mascarades des choses les plus saintes, et la Noblesse pour se divertir au temps du Carnaval s'habilloit en Hermites, en Moines, en Prelats, et commettoit cent Sacrileges, sous pretexte de divertissement. C'est ce qui fit degenerer les representations de Musique en Farces, et en Comedies bouffonnes.
Cependant il resta dans l'Eglise une espece de chant Dramatique composé de divers passages de l'Ecriture sainte, que l'on appliquoit à divers sujets, et qu'on chantoit à plusieurs parties, et à plusieurs choeurs. C'étoit particulierement aux solemnitez des Noces, et aux funerailles des Princes, que ces Motets en Dialogues, en Recits, et à divers choeurs se chantoient.
Au premier Mariage de Monsieur avec la Princesse Henriette d'Angleterre, on chanta un de ces recits tiré du Cantique des Cantiques. On commença d'abord par ce Verset pu ement narratif.
Auditi sunt Cantores psallentes in vocibus suis, et in magna domo factus est sonus suavitatis plenus.
Une voix seule dit ensuite
Revertere, Revertere, Sunamitis veni, veni, coronaberis
Une autre voix.
[-186-] Jam hyems transiit, imber abiit, et recessit. Flores apparuerunt in terra nostra,
Tout le choeur.
Revertere, Revertere Sunamitis, veni, veni coronaberis:
Trois voix differentes chanterent les trois Versets suivans en forme de demande et d'interrogation.
Quae est ista quae ascendit sicut Virgula fumi ex aromatibus Myrrha et thuris?
Quae est ista, quae ascendit deliciis affluens innixa super dilectum?
Quae est ista quae progreditur quasi aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut Sol.
Le coeur entier chanta le Verset suivant.
Viderunt eam filiae Sion, et beatissimam praedicaverunt, et Reginae laudaverunt eam.
Le reste se chanta par Dialogues.
Quàm pulchri sunt gressus tui filia principi
Statura tua assimilata est palmae.
Oculi tui sicut oculi columbae super rivulos aquarum.
Collum tuum turris eburnea.
Manus tuae tornatiles.
Tota pulchra es et macula non est in te.
Una es columba, una es perfecta, una es matri tuae, dilecta genitrici tuae.
[-187-] Sicut lilium inter spinas sic tu inter filias.
Dilectus tuus candidus et rubicundus electus in millibus, qui pascitur inter lil<i>ae.
Sicut malus inter ligna silvarum, sic dilectus tuus inter filios.
Coronavit illum mater sua in die desponsationis ejus, et in die laetitiae cordis ejus.
Lampades ejus, Lampades ignis.
Aquae multae non potuerunt extinguere amorem, neque flumina obruent illum.
Enfin tout le choeur acheva par ce Verset.
Revertere, Revertere Sunamitis, veni, veni, coronaberis.
Le Sieur Perrin rendit en Vers ces paroles du Cantique.
Dans un vaste Palais un bruit s'est fait entendre,
Au milieu d'une auguste Cour
Une Musique douce et tendre,
Un chant d'allegresse et d'amour.
Revenez, Revenez, épouse fortunée
De Myrtes et de fleurs vous serez couronnée.
Déja le beau Printemps a banni la froidure,
[-188-] Et la pluvieuse saison;
Déja les fleurs et la Verdure
Ont paru sous nôtre horison.
Revenez, revenez, Espouse fortunée
De Myrtes et de fleurs vous serez couronnée.
Quelle est donc cette belle et cette bien-aimée,
Qui vient de paroître à nos sens?
Qui monte comme une fumée
Que poussent la Myrrhe et l'Encens,
Et qui toute en parfums, toute delicieuse
Exhale dans les airs une odeur pretieuse?
Quelle est cette étrangere à la Cour revenüe,
Qui monte si pompeusement
Amoureusement soûtenüe
Dessus les bras de son Amant,
Et semble à sa demarche une Aurore naissante,
Un Soleil qui se leve, une Lune croissante?
Des filles de Sion belles comme des Anges
Par toute la grande cité
Chantent ses divines loüanges
[-189-] Sa gloire et sa felicité.
Le peuple la benit, les Reines qui l'ont vûe,
Admirent les attraits dont le Ciel l'a pourvûe.
Que vôtre mine est haute, adorable Princesse,
Et que cét air imperieux
Nous figure bien la Noblesse
De vos ancêtres glorieux!
Que cette Majesté nous fait bien reconnoître
L'eclat et la grandeur du sang qui vous fit naître!
Vôtre taille est pareille à la Palme croissante,
Et vos yeux doux, sereins et beaux
Sont d'une Colombe innocente
Qui paît sur les rives des eaux.
Vôtre gorge admirable, et vos mains bien taillées
D'un Yvoire poli paroissent travaillées.
O Belle toute belle! ô belle toute aimable!
O les delices de la Cour
Et d'une mere incomparable,
L'unique, le choix et l'Amour:
[-190-] Vous étes en beauté par dessus vos compagnes
Ce qu'est un jeune lys sur les fleurs des campagnes.
Vôtre Epoux bien-aimé des Princes la merveille
Entre les Lys fait son sejour,
Sa couleur est blanche et vermeille,
Ses yeux plus brillans que le jour.
Il excelle en beauté sur le reste des hommes
Comme le Grenadier excelle sur les pommes.
Dans cette grande Fête illustre et fortunée
Parmi les pompes de la Cour
Où les saints noeuds de l'Hymenée
Se joignent aux noeuds de l'amour,
De roses et de lys sa tête se couronne
Et d'un myrte nouveau que sa mere lui donne.
Ses feux sont trop ardents vous ne devez pas craindre
Qu'ils meurent avant son trépas,
Si la Mer n'a pû les éteindre
Les fleuves ne le feront pas.
Revenez, revenez, Epouse fortunée
[-191-] De myrtes et de fleurs vous serez couronnée.
Tous ceux qui composent des paroles pour ces Musiques Dramatiques n'y réüssissent pas également, il faut choisir les endroits de l'Ecriture les plus pathetiques, et les plus propres à exprimer ces grands mouvemens de l'ame où la Musique triomphe quand elle est d'un excellent maître. Monsieur Charpentier de l'Academie Françoise, qui s'est fait connoître par tant de beaux Ouvrages qu'il a donnez au public, a un talent particulier pour le choix de ces paroles qu'il applique à divers sujets, avec tant de succez que les plus habiles maîtres de Musique ont lieu d'y faire paroître toute la beauté de leur art, et les personnes d'esprit y voyent avec plaisir les allusions fines et spirituelles, avec lesquelles il les applique aux évenemens qui se presentent.
Entre les pieuses addresses dont saint Philippe de Neri se servit pour retablir la pieté dans Rome, on doit mettre la Musique Dramatique, puis qu'ayant remarqué l'attachement que l'on avoit pour cette sorte de Musique dont la nouveauté attiroit tout le monde, il [-192-] entreprit de donner ce pieux divertissement au peuple, et à la noblesse de Rome, et faisant composer par les plus habiles maîtres de Musique, des recits et des dialogues sur les principaux sujets de l'Ecriture sainte, il faisoit chanter par les plus belles voix de Rome ces recits dans son Eglise. Tantôt c'étoit l'entretien de la Samaritaine avec le Fils de Dieu, tantôt l'Enfant prodigue avec son Pere. Job avec ses amis, Tobie avec son fils. L'Ange avec la sainte Vierge pour le mystere de l'Incarnation. Ce pieux exercice y continuë encore, on fait la méme chose dans les Congregations ou la noblesse s'assemble, et à certaines Fêtes dans diverses Eglises.
C'est aussi par des dialogues, que la Musique Dramatique a insensiblement commencé parmi nous. Le Dialogue de Charon, et de l'ame d'un Amant passionné, composé d'une basse et d'un dessus, l'une chantée par Charon, et l'autre par l'ame de cét Amant passionné à été long-temps estimé.
L'an 1582. pour les réjouïssances des nopces de Monsieur le Duc de Joyeuse, et de Mademoiselle de Vaudemont soeur de la Reine, on fit un balet comique, [-193-] où il y eut plusieurs recits et dialogues en Musique à plusieurs parties.
D'abord trois Sirenes et un Triton firent un concert à quatre parties, sur ces paroles.
Ocean Perechenu
Pere des Dieux reconnu
Ja le vieil Triton att<>lle
Son char, qui va sans repos,
Irons-nous sortant des flots
Où ce Triton nous appelle?
On leur répondit du Ciel
Allez filles d'Achelois
Suivez Triton qui vous appelle
A sa Trompe accordez vos voix
Pour chanter d'un grand Roi la loüange immortelle.
Il parut une fontaine autour de laquelle étoient douze Nymphes assises sur des sieges dorez. Ces Nymphes étoient la Reine, la Princesse de Lorraine, les Duchesses de Mercueil, de Guise, de Nevers, d'Auma<>e, et de Joyeuse, la Maréchale de Raiz, Madame de l'Archant, et les Damoiselles de Pons, de Bourdeille, et de Cy<>ierre. Beaulieu et sa femme representoient [-194-] Glaucus et Tethys, qui firent un dialogue en Musique, aprés qu'une troupe de Sirenes eut chanté à cinq parties cette chanson.
Allons compagnes fidelles
Avec des feüilles nouvelles
De mauves blanches de fleurs
Que chacune d'allegresse
Une couronne se tresse
Au chef parfumé d'odeurs.
Voici Tethys qui chemine
Dans une conque marine
En lieu de son char d'argent:
Elle a sa couronne prise
Pour la donner à Louïse,
Son grand char et son Trident.
Glauque se plaignit de ce qu'il n'étoit pas aimé de Scylle et chanta ces Vers,
De quoi me sert Tethys cette écaille nouvelle
Et d'être d'un pescheur en Dieu marin formé?
Je voudrois n'être Dieu, et de Scylle être aimé,
Pour ne brûler en vain d'une flâme cruelle.
[-195-] Tethys lui repond que l'Amour exerce également son pouvoir sur les Dieux et sur les hommes. Glauque appelle un Daufin, pour le porter vers Scylle qu'il aime, mais il apprend de Tethys, que Circé a changé cette belle en un Rocher, et que ses pieds abysmez sous les eaux, ont été transformez en Chiens, qui abboyent contre les flots, et contre les Vaisseaux. Il se plaint de ce changement, et demande à Tethys du secours, mais cette Deesse lui fait sçavoir qu'elle n'a plus l'empire des Eaux, que c'est une autre Nymphe. Glauque veut sçavoir quelle est cette Nymphe, et demande si c'est une Nereide, ou Venus, ou Junon. Il apprend que c'est Loüise à qui Tethys elle-méme va presenter sa Couronne.
L'an 1647. le Cardinal Mazarin, qui vouloit introduire en France les divertissemens d'Italie, fit venir des Comediens de de là les Monts, qui representerent au Palais Royal, Orphée et Euridice en Vers Italiens et en Musique, avec de merveilleux changemens de Theatre, et des machines qu'on n'avoit pas encore vûes. Cette action commença par deux gros d'Infanterie armez de pied en cap, qui representoient deux [-196-] Armées, dont l'une assiegeoit une place, et l'autre la defendoit. Un pan de muraille de cette place étant tombé, donna l'entrée à l'Armée Françoise, lors que la Victoire descendant du Ciel parut en l'air et chanta des Vers à l'honneur des Armes du Roi, et de la sage conduite de la Reine sa Mere. Ce Prologue n'étoit pas de l'action d'Orphée, il faisoit une piece detachée, ce que les Italiens se sont permis assez souvent en ces representations, comme en celle d'Antigone trompée par Alceste, de l'invention d'Aurelio Aureli, où le Prologue fait voir le Palais de la Musique avec toutes sortes d'instrumens. Nous nous sommes conservez dans cette liberté en France, et presque tous les Prologues des pieces de Musique, que l'on a representées, sont à la loüange du Roi pour qui l'on a fait jusqu'icy ces actions de Theatre pour le delasser des fatigues de la Guerre, ou pour celebrer ses Triomphes. Pour revenir à Orphée, on fit voir dés la premiere Scene un Bocage, dont l'étenduë et la profondeur sembloit surpasser plus de cent fois le Theatre, et il parut dans ce Bocage un Augure assis dans sa chaire, consulté par Endymion Pere d'Euridice, sur le succez que [-197-] devoit avoir le Mariage de sa Fille avec Orphée excellent Poëte et Musicien fils d'Apollon, sur quoi deux Tourterelles emportées par deux Vautours, lui en ayant donné un mauvais presage. Endymion demeura d'autant plus effrayé de ce prodige, qu'il ne croyoit pas pouvoir eviter le destin malheureux de ce Mariage, quelque soin que prit la Nourrice de sa Fille de le détourner de cette pensée par de meilleurs Augures qu'elle tiroit du chant et de la pâture des Oiseaux. Tandis qu'Endymion alloit se laver dans une Fontaine pour expier le malheur qu'il avoit prevû, les Ministres de l'Augure chanterent les traverses des Amans, lors qu'Orphée avec Eurydice parurent sur la Scene chantant d'une maniere si gaye qu'ils témoignoient, et par leur chant et par la Danse dont ils l'accompagnerent, qu'ils ne craignoient pas les Presages dont Endymion paroissoit étre touché. Aristée Fils de Bacchus vint en la troisiéme Scene se plaindre des dispositions qu'il voyoit au Mariage d'Orphée dont il étoit le Rival. Un Satyre dansant avec ses pieds de Bouc tâchoit à le divertir, et pour le consoler tournoit en raillerie les bizarreries de l'Amour. Mais sa jalousie [-198-] s'augmentant au lieu de s'appaiser par de si foibles remedes, lui fit pour divertir sa douleur chanter un air sur les peines que lui donnoit le bonheur d'un Amant qu'on lui preferoit, à quoi le Satyre répondit par une autre chanson sur le méme sujet; mais enfin Aristée s'abandonnant à la tristesse et aux regrets, appella Venus à son aide.
Venus aux cris d'Aristée descendit du Ciel dans un nuage avec Cupidon son Fils, les Graces, et une troupe de petits Amours qui chantoient les loüanges de cette Déesse, et de son Fils. Venus tâcha d'inspirer à Aristée d'autres pensées que celles qu'il avoit pour Eurydice, mais ce Berger se plaignant de l'Amour qui n'avoit pour lui que des rebuts, pria Venus de le lui tendre plus propice, et demanda à cette Déesse qu'il pût obtenir d'elle Euridice, tandis que d'un autre côté le Satyre se mettant aussi à genoux, pria Venus de lui ôter sa femme d'une maniere assez plaisante. Venus ayant fait connoître à Aristée, que la negligence qu'il avoit pour sa personne, étoit la cause du peu d'estime qu'Euridice avoit pour lui, commanda aux Graces de l'ajuster, elles descendirent du Ciel, et se mettant à le friser, chanterent [-199-] la difference qu'il y avoit entre la propreté et la negligence pour laquelle le Satyre se declaroit d'un air badin et enjoüé en faisant mille Grimaces, et mille tours assez divertissans, puis ayant prié les Graces de vouloir aussi l'ajuster pour le rendre plus agreable, elles lui firent mille maux en peignant rudement sa chevelure mêlée et toute herissée. Cependant la Perspective s'étant ouverte, fit voir une table superbement servie pour les Noces d'Orphée et d'Euridice, où Momus ne manqua de se trouver, et comme il est le Dieu de la Medisance, il chanta cent choses plaisantes contre le Mariage des personnes laides, et le danger d'étre jaloux quand on en trouve de bien-faites, Des Nymphes et des Bergeres danserent un Ballet autour de la table, mais les torches qu'ils portoient pour celebrer cet Hymenée s'étant éteintes, parurent de mauvais augure à Endymion, qui quitta la table où étoit assis Junon, Apollon et Hymenée avec Orphée et Eurydice, et les Bergeres étonnées quittant leur danse, reclamerent par un Hymne plein de tendresse, le secours des Divinitez pour detourner ces presages.
Au second Acte on vit paroître une [-200-] superbe decoration de Palais, où l'on pouvoit remarquer toutes les beautez de l'A chitecture, et Venus s'étant changée en Vieille dans le Temple de Protée, s'entretint des amours d'Aristée avec lui-méme, jusqu'à ce qu'Euridice venant à passer pour aller au Temple prier les Dieux de détourner les funestes presages de ses noces, Venus lui insinua doucement, que pour changer ces Presages elle n'avoit qu'à changer d'Epoux, mais Euridice lassée des poursuites d'Aristée et des sollicitations de Venus et de sa Nourrice, persevera dans son dessein, de n'avoir qu'Orphée pour Epoux, lorsque le Satyre impatient de tant de refus d'Euridice, offrit son assistance à Aristée pour enlever cette belle au milieu de la danse qui se devoit faire dans le Jardin du Soleil. Ce Jardin parut aussitôt, et Mome y raillant de l'Amour, Junon et Apollon Pere d'Orphée le reprinrent de ses manieres toûjours libres, et toûjours fâcheuses pour ses cruelles medisances, mais lui s'excusant sur la bizarrerie des humeurs, et de la conduite des hommes leur decouvrit que Venus pressoit l'Amour son fils, de rendre Orphée amoureux de quelque autre Nymphe qu'Euridice, ce qui obligea [-201-] ces Dieux de demander à Cupidon qu'il n'en fist rien, chantant les loüanges d'un Amour constant. Cependant l'Amour feignant de vouloir obeir à sa mere, attendit Orphée que les Graces lui amenerent par son ordre, afin qu'il lui inspirât de l'Amour pour quelque autre beauté. On l'invita de chanter pour se rejoüir, mais s'en excusant sur la tristesse des Augures qui le rendoient melancholique, l'Amour lui decouvrit les artifices de Venus pour le detourner de l'Amour d'Euridice, les Graces plus fideles à Venus que Cupidon ne l'avoit été, lui apprirent que ce Dieu avoit revelé à Orphée tout ce qu'elle tramoit contre lui, dont la Deesse en colere lui reprocha ses trahisons, mais pour éviter ses reproches, il s'envola au Ciel, et Venus quittant la forme de Vieille qu'elle avoit gardée jusqu'à lors resolut de se vanger ouvertement d'Orphée. Un Temple ayant changé tout d'un coup la face du Theatre, Endymion et l'Augure y vinrent pour sacrifier à Venus à dessein de l'appaiser. Mais comme l'Autel étoit preparé, et la Victime, Junon survint qui les detourna du Sacrifice qu'ils alloient faire, et les assurant qu'Euridice n'avoit plus rien à craindre, depuis que l'Amour [-202-] se declaroit pour Orphée, elle leur dit d'offrir à l'Amour la victime qu'ils vouloit en immoler à Venus. La Scene changea aussi-tôt de face, et Euridice accompagnée de sa nourrice et des Nymphes vint se rendre au lieu de la danse, et s'endormit attendant les Dryades qui devoient être de la partie. Les Dryades arrivées l'éveillerent, et danserent avec des Castagnetes un ballet qu'Euridice trouva si agreable qu'elle s'y mêla avec ses Nymphes: mais la danse ne fut pas plûtôt recommencée par une chanson à la loüange de l'Amour que le Satyre y accourut pour executer son dessein d'enlever Euridice qui s'enfuit, et en fuyant est morduë d'un serpent, ce qui épouvanta, et écarta toute la troupe. Aristée qui suivoit Euridice ayant vû le serpent qui tenoit enlassé le pied de cette Nymphe le voulut tuer, mais Euridice qui n'avoit que de l'aversion pour lui, refusa ce secours, et le pria de se retirer, cependant le venin de la morsure ayant gagné le coeur d'Euridice, elle mourut en appellant inutilement à son secours Apollon et Orphée. Le Palais du Soleil qui faisoit alors la decoration du Theatre fut rempli des regrets d'Apollon, [-203-] mêlez avec ceux des Nymphes, et finit la seconde partie de cette representation.
En la troisiéme on vid d'abord un desert affreux, des cavernes, et des rochers avec un antre en forme d'allée, au bout desquels à travers l'obscurité, se découvroit un peu de jour, c'étoit au fond de cét antre qu'Orphée fondant en pleurs demandoit aux Parques Euridice, mais ces fieres Déesses lui dirent de s'addresser à Pluton qui seul regne sur les morts. Endymion vint mêler ses larmes à celles d'Orphée, sur la perte de sa fille lorsque la terre trembla, et l'ombre d'Euridice paroissant pour tourmenter Aristée qui l'avoit voulu enlever, le poursuivit un serpent à la main, et le fit devenir furieux, son chant exprimant sa fureur, remplit de terreur la quatriéme Scene de cette troisiéme partie. Junon descendit du Ciel pour consoler Orphée, lui suggera des moyens pour retirer son Euridice des Enfers, tandis que Venus triomphoit de s'être si bien vangée.
Les Enfers où regne Pluton, firent un nouveau changement de Scene, c'est-là que toutes les ombres vinrent voir avec étonnement un homme vivant [-204-] qui avoit pû y penetrer. Pluton reprit le Nautonnier Caron, d'y avoir passé cét homme: mais ce Nautonnier s'excusa sur la puissance de la Lyre de cét homme, qui avoit charmé tous les Monstres, et s'étoit fait passage malgré lui, jusques dans l'Empire des morts. Ce divin chantre parut aussi-tôt, et charma tellement Pluton, qu'il l'obligea de lui rendre son Euridice à condition toutefois qu'il ne la regarderoit point qu'elle ne fût sortie de cette demeure. Un ballet de tous les Monstres d'Enfer, sous cent figures extravagantes de Hiboux, de Bucentaures, de Harpyes, et d'autres bêtes égayerent cette Scene, lorsque Caron vient apprendre qu'Orphée avoit manqué de parole, ce qui fit retenir Euridice dans les Enfers, où déplorant son sort, et demandant en vain de retourner vers Orphée, elle fut conduite par ordre de Pluton aux champs Elysiens qui sont moins affreux, et qui succederent à la representation des Enfers. Orphée peu apres vint faire part de sa douleur aux arbres et aux animaux qui danserent au son de sa Lyre, et Venus voyant que Bachus s'étoit fait de la partie avec une troupe de Bacchantes [-205-] lui vint raconter la mort d'Aristée son fils, causée par les rigueurs d'Euridice qui lui avoit pr feré Orphée, ce qui mit tellement Bacchus et les Bacchantes en fureur, que s'étant jettées sur Orphée elles le mirent en pieces. Jupiter irrité de la mort de ce chantre divin, parut dans le Ciel pour lui decerner l'immortalité, et voulut que sa Lyre fit une constellation dans le firmament, sur quoi tout le Theatre retentit d'un Hymne melodieux pour exprimer que la vertu parfaite se doit entierement détacher de la terre et n'attendre sa recompense que du Ciel. C'est ainsi que l'on fit sur la fin de cette piece une instruction morale de ce divertissement.
Le succez de cette representation dont la nouveauté surprit également tout le monde par les changemens merveilleux des decorations extraordinaires, et par la beauté du chant, aussi-bien que par la varieté des habits et des concerts donna la pensée de renouveller ce spectacle aux Nopces de sa Majesté, où l'on fit representer Ercole Amante, dont la composition Italienne fut traduite en vers François, pour la satisfaction de ceux qui n'entendoient [-206-] pas l'Italien.
Jusqu'alors on croyoit toûjours que nôtre langue n'étoit pas capable de fournir des sujets propres pour ces representations, à cause que sur nos Theatres on étoit accoûtumé à n'entendre que des vers Alexandrins qui sont plus propres pour la grande declamation que pour le chant, ayant plus de majesté pour exprimer de grands sentimens, que de varieté pour favoriser la Musique. Cependant le Sieur Perrin introducteur des Ambassadeurs auprés de feu Monsieur le Duc d'Orleans ayant fait souvent des paroles pour les airs que nos meilleurs Maîtres de Musique composoient, s'apperçut que nôtre langue étoit capable d'exprimer les passions les plus belles, et les sentimens les plus tendres, et que si l'on mêloit un peu des manieres de la Musique Italienne à nos façons de chanter on pourroit faire quelque chose qui ne seroit ny l'un ny l'autre, et qui seroit plus agreable. Car il y a bien des gens qui ne s'accommodent pas des rengorgemens de la Musique d'Italie. Il confera de sa pensée avec Monsieur l'Abbé de la Roüere qui étoit alors Ambassadeur en France pour le Duc [-207-] de Savoye, et qui fut depuis Archevêque de Turin. Ce Seigneur se défioit du succez de cette entreprise contre laquelle la prescription de tant de siecles sembloit une raison assez forte, pour n'en pas faire l'essai. Cependant le sieur Perrin ne laissa pas de lui faire entendre quelques airs en dialogues composez par Cambert sur des paroles qu'il avoit faites à dessein, pour exprimer les passions, et les mouvemens de l'ame les plus pathetiques. Il representa dans un de ces airs, un amant desesperé, qui chantoit un air mélancholique, et transporté par lequel il invitoit la mort à venir finir ses douleurs.
Dans le desespoir où je suis
Les plus noires Forests, les plus profondes nuits
Ne sont pas assez sombres
Pour plaire à ma douleur, et flatter mes ennuis.
O mort pour les finir couvre moy de tes ombres.
Une autrefois il entreprit un air en stile narratif pour voir comment réüssiroient ces expressions naturelles, où il n'y a rien qui ressente la passion, et [-208-] ce fut ce petit air si joli.
Amour et la Raison
Un jour eurent querelle,
Et ce petit oison outragea cette belle,
Quelle pitié depuis ce mauvais tour
O ne peut accorder la Raison et l'Amour.
Il composa ensuite quelques Dialogues de deux Bergers, et d'une Bergere, dont le Sieur Lambert fit la Musique, tantôt de deux dessus et d'une basse, tantôt d'une Taille et d'un Dessus; tantôt d'un seul Dessus et d'une Basse, et aprés avoir remarqué ce qui manquoit à nôtre Musique pour la rendre recitative, et capable d'exprimer les sentimens les plus pathetiques sans rien perdre de la parole, enfin l'an 1659. il entreprit une petite piece en forme de Pastorale composée de trois dessus, d'une Basse, d'un bas Dessus, d'une Taille, et d'une Taille basse. C'étoit un Satyre, trois Bergers, et trois Bergeres, qui en faisoient les Personnages, le succez des Eglogues qu'on avoit chantées autrefois ayant persuadé que ces Representations de Bergers reussiroient mieux que des sujets plus graves. La piece étoit de [-209-] cinq Actes et de quatorze Scenes seulement, qui étoient quatorze chansons, que l'on avoit liées ensemble comme l'on avoit voulu, sans s'assujettir à d'autres lois qu'à celles d'exprimer en beaux Vers et en Musique les divers mouvemens de l'ame qui peuvent paroître sur le Theatre.
Cette petite piece fut representée huit ou dix fois à la campagne au Village d'Issy à une lieuë de Paris dans la maison de Monsieur de la Haye. La nouveauté de l'entreprise y attira quantité de curieux. Tout y reussit admirablement, parce que la Symphonie étoit belle, les Acteurs de belles voix, et des personnes bien faites. Le Roi sur le bruit que l'on en fit, eut la curiosité de la voir: On la joüa à Vincennes où étoit toute la Cour. Monsieur le Cardinal Mazarin qui avoit du goust pour ces representations, et qui s'y connoissoit fort bien, loüa le Poëte, l'Auteur de la Musique, et les Acteurs, et temoigna qu'il se serviroit d'eux pour faire voir de temps en temps de semblables divertissemens.
Ce succez fit entreprendre d'autres pieces, et le Marquis de Sourdiac fort entendu aux Machines, s'étant associé au Sieur Perrin et à Cambert, ce Triumvirat [-210-] entreprit de faire un Theatre public; où l'on pût representer des actions en Musique de Vers françois. Ils obtinrent du Roi la permission de le faire, et ayant donné à ce lieu le nom d'Academie de Musique pour se distinguer des Comediens, ils firent voir durant sept ou huit ans trois ou quatre pieces, qui ne cedoient point à celles d'Italie, ny pour la beauté des machines, ny pour les decorations, ni pour la richesse des habits, ny pour les agrémens de la Musique.
Les Vers libres de mesures inegales, qui s'étoient depuis peu introduits en France pour les lettres enjoüées, ne contribuerent pas peu à faire reüssir ces actions par la liberté que l'on eut d'en faire de cette sorte au lieu des Vers Alexandrins, qui étoient les seuls qu'on recitoit sur nos Theatres. On connut que ces petits Vers étoient plus propres pour la Musique que les autres, parce qu'ils sont plus coupez, et qu'ils ont plus de rapport aux Versi Sciolti des Italiens qui servent à ces actions. On avoit l'exemple de l'Arethuse de Philippe Vitali, composée de cette sorte avec tant et succés, qu'ayant été representée à Rome dés l'an 1620. dans le Palais de Monsignor [-211-] Corsini en presence de neuf Cardinaux, elle eut toute l'approbation qu'on en pouvoit attendre et fut imprimée avec la Musique et dediée au Cardinal Borghese l'un des Spectateurs de cette piece.
L'accez qu'ont à Venise tous les Princes d'Italie, et tous les Princes Etrangers, leur ayant fait goûter le plaisir de ces representations qui s'y font tous les ans sur plusieurs Theatres avec une émulation, qui fait que l'on n'épargne rien pour attirer de tous côtez les plus belles voix, ny pour la dépense des habits, des machines, et des décorations, fit qu'en peu de temps toute l'Italie fut remplie de semblables Theatres. Les Ducs de Savoye, et de Mantoüe, de Parme, d'Urbin, de Modene, et les grands Ducs de Toscane se donnerent de semblables divertissemens. La Cour de Rome les fit voir de temps en temps, et les Princes de l'Eglise y furent attirez par la beauté de la Musique, et des decorations. Le Conseil de l'Empereur s'étant rempli de Ministres Italiens, et ses Armées de Generaux et de grands Officiers de cette méme nation, fit trouver pour ces actions du goust parmi les Allemans, qui entendoient la langue Italienne, et [-212-] qui aimoient la Musique. On fit une de ces pieces aux Nopces de l'Empereur, elles passerent de là aux Cours de Baviere, et de Brandebourg. Et il est peu de Cours en Italie, et en Allemagne, qui n'ayent vû en divers temps de ces Representations. Neanmoins on n'en a guere vû de plus spirituelle et de plus juste que l'Arethuse, dont le Prologue s'addressant aux Cardinaux et aux Dames, fit parler Diane pour expliquer l'Argument de cette action, avec une instruction morale qui apprenoit que le Ciel étoit la recompense de la Vertu, qu'il étoit difficile de vaincre l'Amour, et que pour en venir à bout il faloit comme Arethuse lever les yeux au Ciel pour en attirer du secours, et pourvoir par la fuite à sa sureté.
DIANA FA IL PROLOGO.
Sacrati Heroi che lhonorata chioma
D'ostro, e più di virtù l'alma cingete,
E con opere excels'ogn' hor rendete
Più chiaro il Tebro, e più superba Roma
Donne Reali onde l'idea sovente
Di celeste beltà natura ha tolto,
Che Vener' ne begli' occhi e nel bel volto.
[-213-] Sembrat' e me nella pudica mente.
Jo gran figlia di giove e di Latona,
Jo che spir' honestà nel vostro petto,
So che mirar vi sia nobil diletto
Come s'ha contro' Amor guerr' e corona.
La Vergin Aretusa oggi vedrassi'
Divenir per pietà liquido nume,
Fuggendo pur l'innamorato fiume
Sotterr' ancor con disusatti passi.
Il ciel, mortali, è di virtù mercede,
Ed è rara virtù vincere Amore:
E chi vincer lo vuol per tempo il core
Al Ciel rivolga, ed alla fuga il piede.
Ces Prologues ont toûjours été receus dans ces representations, principalement quand on les à faites à l'honneur de quelque Prince, dont on chante ordinairement les loüanges en ces Prologues. Ils se font quelquefois d'un simple recit comme celui-ci. Quelquefois ce sont des Dialogues comme en la plupart de ceux qu'on a fait en France pour le Roi. Quelquefois un choeur entier repond par intervalles à celuy qui fait le recit. Les Italiens aiment fort le Monologue ou le recit d'un seul, parce qu'ils choisissent une excellente voix, qui est soutenuë d'un concert de Tuorbes et de [-214-] Clavessins. La varieté des Passions qu'ils expriment en ces Prologues, fait voir tout ce que peut la Musique recitative, et c'est là qu'ils font leurs derniers efforts pour reüssir.
Je ne sçai, si l'Italie en a jamais fait d'aussi plaisant que celui que fit l'Academie Royale de Musique, l'an 1672. lorsqu'ayant fait paroître une grande Sale disposée pour un Spectacle magnifique, on y decouvrit une multitude de gens de Provinces differentes, placez dans des Balcons aux deux côtez du Theatre. Un homme qui devoit donner des livres aux Acteurs, se mit à danser dés que la toile fut levée, et toute cette multitude qui étoit dans les Balcons s'écria en Musique pour lui demander des Livres, des hommes et des femmes du bel air, des Gascons, un Suisse, des Bourgeois et des Bourgeoises. Un de ces Gascons chantoit
Aho! l'homme aux libres, qu'on m'en baille
J'ai déja le Poumon usé,
Bous boyez que chacun me raille,
Et je suis escandalisé
De boir es mains de la canaille
Ce qui m'est par bous refusé.
[-215-] Le Suisse.
Mon-sieur le donneur de Papieïr
Que veul dir sty façon de fifre?
Moi l'écorchair tout mon gozieïr
A crieïr
Sans que je pouvre afoir ein lifre.
Le Bourgeois indigné.
De tout ceci franc et net
Je suis mal satisfait
Et cela sans doute est laid
Que nôtre fille,
Si bien faite et si gentille
N'ait pas à son souhait
Un livre de Balet
Pour lire le sujet
Du divertissement qu'on fait, et cetera.
Il y en a de grands et de serieux, et pour l'ordinaire ce sont des Allegories sur l'état present des choses, comme les campagnes du Roi, ses conquêtes, ses entreprises au milieu de l'Hyver, la Paix. Le Prologue de Cadmus et Hermione fut la fable de la naissance et de la mort du serpent Python, que la chaleur du Soleil avoit faif éclore du limon bourbeux qui étoit resté sur la terre apres le Deluge, et qui devint un Monstre si terrible qu'Apollon lui méme fut obligé de le détruire. Des [-216-] Divinitez, des montagnes, des forests, et des campagnes avec leurs troupes champêtres chanterent d'abord ces Vers.
Hâtez vous Pasteurs accourez,
La voix des oiseaux nous appelle,
Nos champs sont éclairez,
Nos côteaux sont dorez
Tout brille de l'éclat de la clarté nouvelle,
Mille fleurs naissent dans nos prez.
Que l'Astre qui nous luit rend la nature belle!
Ne perdons pas un seul moment
D'un jour si doux et si charmant,
Admirons, admirons l'Astre qui nous éclaire,
Chantons la gloire de son cours,
Que tout le monde revere
Le Dieu qui fait nos beaux jours.
Pan, Dieu des Bergers, accompagné de joüeurs d'instrumens champêtres et de danseurs rustiques, se joignit aux réjouïssances des Nymphes, et commencerent ensemble une Fête qui fut interrompuë par des bruits souterrains, et par une espece de nuit qui obscnrcit le Theatre entierement, et tout à [-217-] coup; ce qui obligea toute la troupe champêtre de fuïr avec des cris de frayeur, qui firent une maniere de concert affreux avec les bruits souterrains. Dans cette obscurité soudaine l'Envie sortit de son antre, qui s'ouvrit au milieu du Theatre, elle évoqua le monstrueux serpent Python, qui parut dans son Marais bourbeux, jettant des feux par la gueule et par les yeux. Elle appella les vents les plus impetueux pour seconder sa fureur, et pour l'aider à troubler les beaux jours que le Soleil donnoit au monde, mais les traits enflamez de cét Astre, percerent l'épaisseur des nuages et fondirent sur le serpent Python, qui apres s'être debatu quelque temps en l'air, tomba enfin tout embrasé dans son Marais bourbeux. Une pluye de feu se répandit sur toute la Scene, et contraignit l'Envie de s'abîmer avec les vents souterrains, tandis que les vents de l'air s'envolerent, les nuages se dissiperent, et le Theatre devint entierement éclairé.
Le Prologue de l'Alceste fut le Retour des plaisirr. Le Theatre representoit le Palais et le Jardin des Tuîlleries, et la Nymphe de la Seine fit un Dialogue avec la Gloire, se plaignant de [-218-] l'absence du Roi.
Le Heros que j'attens ne reviendra-t-il pas?
Serai-je toûjours languissante
Dans une si cruelle attente?
Le Heros que j'attens ne reviendra-t-il pas?
On n'entend plus d'oiseau qui chante,
On ne void plus de fleurs qui naissent sous nos pas.
Le Heros, et cetera.
Les Amours, les Graces, les Plaisirs et les Jeux firent le Prologue de l'action de Thesée. Le Temps, les Heures, Flore, les Zephirs, Melpomene, et une troupe de Heros firent celui d'Atys. Le Prologue d'Isis fut le Palais de la Renommée, où entroit Neptune avec ses Tritons, Apollon avec les Muses. En celui de Proserpine le Theatre representoit l'antre de la Discorde. On y voyoit la Paix enchaînée, la Felicité, l'Abondance, les Jeux et les Plaisirs y accompagnoient la Paix et étoient enchaînez comme elle. La Victoire accompagnée d'un grand nombre de Victoires et de Heros, descendit au bruit des trompettes et [-219-] des Tymbales, déchaîna la Paix, et les Divinitez qui l'accompagnoient et enchaîna la Discorde.
Les Allegories qui sont heureuses pour les Prologues de ces actions, ne sont pas si propres pour la peinture, et c'est un grand defaut d'en charger les tableaux d'Histoire, parce qu'ils deviennent enigmatiques. Il s'en faut servir plus sobrement que les Anciens, car si elles faisoient parmi eux une partie de leur Theologie, et de leur Religion, elles ne sont parmi nous qu'une espece de Poësie et de Fiction, qu'il ne faut mêler que rarement aux actions historiques que l'on peint.
Non seulement le Prologue des actions en Musique peut étre une Allegorie, mais toute la piece entiere, parce que ces representations sont des peintures parlantes qui peuvent s'expliquer, et faire entendre aux Spectateurs ce qu'elles sont, au lieu que la Peinture est une Poësie muette qui ne peut parler qu'aux yeux, et qui devient enigmatique quand elle est chargé de figures extraordinaires et d'une application trop scrupuleuse des moindres choses que l'on peint dans un Tableau.
L'an 1668. la Paix ayant été faite entre [-220-] les deux Couronnes à Aix la Chappelle, l'Abbé de Gravel Resident pour le Roi auprés de l'Electeur de Mayence, et Frere de Monsieur le Comte de Gravel, à présent Ambassadeur pour le Roi en Suisse, et alors Plenipotentiaire pour sa Majesté à la Diette de Ratisbonne, fit representer une de ces actions en un Festin solennel, où il traita Monsieur l'Electeur de Mayence, et quelques autres Princes, et comme l'on avoit déja commencé à Paris à faire en nôtre Langue de ces representations, il en fit voir une Latine à l'Allemagne qui n'en voyoit que d'Italiennes.
Le Genie de l'Allemagne fit l'ouverture de cette piece, dont le sujet étoit la Paix nouvellement publiée, et pria les Princes et les Seigneurs invitez de recevoir avec joye l'heureuse nouvelle qu'il venoit leur annoncer au milieu de ce Festin.
Avete bonis avibus, et felici omine
Huc invitati magni hospites,
Praesides Patriae Avete,
Et Avidae vos affandi Germaniae
Nolite succensere.
Nec enim venio festivas epulas
Vel acerbis nuntiis
[-221-] Vel insipidis precibus amaricare.
Sed ad dulces palati delicias
Tam grato, quam inexpectato nuntio
Suavissimo aurium ferculo condire.
Vos igitur tam gratis dapibus
Gratiosas aures apparate.
Triumphalem cordis portam
Huc advolanti laetitiae
Gaudentes aperite.
Serenitas in oculis,
Plausus ore,
Patente cordis in ostio
Approperantem excipiant.
Et intimum cordis conclave
Faustis instructam nuntiis
Famam introducant.
Mars ne respirant que la guerre entra au son des Tambours, et des Tymbales, et chanta d'abord en recit,
Guerre, Guerre,
Et sur la mer et sur la terre,
Que dans tous les climats elle regne aujourd'hui,
Que Mars soit le Maître du Monde,
Et que l'on ne craigne que lui
Sur la terre et sur l'onde.
Bella, bella, saeva bella
Bella tellus atque pontus
Ultimumque bella spirat
Bella tetra clima mundi
[-222-] Nec mavorti quantus ille
Orbis unus sufficit.
Euge fausta perge bella
Adjuvante porrò sorte
Fac in orbe prosequare
Lilium. Fac ore vulgi
Principumque crescat aulis
Et virescat Lilium.
Bella, bella, saeva bella.
Un nouveau bruit de Trompettes s'étant fait entendre, Mars demande si c'est la Guerre, et continuë a chanter.
Annè Civis fremit arma?
Quis tubarum clangor est?
C'est la Renommée qui entre, et qui annonce la Paix chantant
Pax, Pax, Pax.
L'Echo repete la méme chose. Pax, Pax, Pax.
La Renommée
Jo, Jo, Triumphe
L'Echo Triumphe.
La Renommée
Hanc Gallicanis, advolans oris
Orbis è Principe legata regno
Primo Imperii nuntio Principi
Jo triumphe?
Dicite Principes Jo triumphe
Pax niveis pervolat oppida bigis.
[-223-] Dicite Cives, Jo triumphe.
Dicite millies Jo triumphe.
Intonet orbis jo triumphe;
Fundite Musae carmina Paci,
Resonent fontes; reboent montes,
Nemora, valles, avia, colles
Replicent almae carmina Paci.
Oppida vici, Hostes, amici,
Urbes et arces, plebs atque Patres,
Ore sereno, gutture pleno
Canite Deo domino Pacis
Canite Laudes.
Plaudite magno Pacis Autori
Jo triumphe.
Mars troublé par ces chants de Paix demande quelle en est la cause, et veut que l'on chasse la Paix.
Quis? quis ingrato murmure pacis
Verberat aures?
Pax belligeris exulet oris,
La Renommée lui répond en commandant que la Paix regne par tout, et que l'on loüe le Prince qui la donne au monde.
Pax belligeris imperet oris,
Plaudite Principes, Plaudite Cives,
Magnum resonent omnia reddita,
Pacis Authorem.
Mars demande quel est cet Autheur de la Paix.
[-224-] Quem Fama fingis Pacis Authorem?
La Renommée repete trois fois le nom du Roi au son des Trompettes, des Tymbales et des Tambours.
Ludovicum, Ludovicum, Ludovicum,
Regem pacificum Fama depraedico
Pacis Authorem.
Mars lui dit qu'elle se trompe, que Loüis aime les Combats.
Quid fama ludis? Rex Ludovicus
In orbe prima est gloria Martis.
La Renommée replique, que quoy qu'il aime les Combats, il est neantmoins l'Autheur de la paix.
Prima est gloria Martis,
Et tamen praedico Pacis Authorem
Jo triumphe? Pacis Authorem.
Mars demande la cause d'un si pront changement, s'il y a des troubles domestiques qui obligent le Roi à faire la Paix, s'il craint les revers de la Fortune, et ses inégalitez? La Renommée lui repond, que rien de tout cela ne l'y oblige. Que la Paix est dans ses Etats, que les Princes lui font unis, que ses Sujets lui sont fideles, qu'il n'a rien à craindre de la Fortune, dont il est lui-méme l'Arbitre, que c'est la pieté, l'amour des peuples, le desir du Pere commun de [-225-] l'Eglise, et les demandes des Princes ses Alliez, qui l'obligent à donner la Paix, et à preferer le repos de toute l'Europe aux soins d'étendre ses Conquétes.
Mars se rend à ses raisons, et commande aux Tambours, aux Trompettes, et aux Tymbales d'annoncer la Paix, aprés quoi il fait tirer les Canons en signe de réjoüissance.
La Paix entre au milieu de ce grand bruit, et de ces acclamations de joye. On luy prepare un Triomphe, et le Char sur lequel elle doit monter, n'ayant point de rouës, les Graces apportent celles des Armoiries de l'Electeur de Mayence pour rendre cette Paix plus seure, et le Genie de l'Allemagne, leur dit
Afferte rotas Charites
His nixum Pacis essedum
Feliciùs movebitur
Per Urbes et Imperium.
Cette Piece eut un grand succez, et fut imprimée sous ce titre.
[-226-] DRAMA MUSICALE OB PACEM INTER CHRISTIANISSIMUM REGEM ET REGEM CATHOLICUM
NUPER RIMÉ FACTAM.
Cette Piece d'un seul Acte nous fait voir, que ces representations n'ont pas un nombre fixe de parties, comme la Tragedie, et la Comedie, à qui les Anciens ont donné regulierement cinq Actes.
Ce n'est pas la seule piéce en Musique que l'on ait fait en langue Latine. L'an 1676. François Rodolfe de Salis Gentilhomme Grison, et Chanoine dans l'Eglise de Coire, prenant à Rome dans le College Romain le degré de Maître-és-Arts, aprés avoir soûtenu une These dediée à l'Empereur, representée sous l'Image d'un Persée, on accompagna cette ceremonie d'une action en Musique de quatre parties dont le sujet étoit.
PERSEUS AUSTRIACUS
LEOPOLDUS AUGUSTUS ROMANORUM IMPERATOR
REGNORUM VINDEX
MELODRAMMATICO CARMINE INTER MUSICOS CONCENTUS ACCLAMATUS.
En la premiere partie, Minerve par l'ordre des Dieux, armoit Persée pour la défense des Royaumes.
Minerve, Vulcan, les Cyclopes, avec un Choeur de rebelles et de seditieux composoient cette partie.
Minerve commençoit donnant ses ordres à Vulcan.
Fove flammas, funde aera, cude arma,
Steropes.
Ces seditieux chantoient.
Armate Hydros, stringite faces Erynnides
Minerve poursuivoit.
[-228-] Opaca caecis AEtna vaporibus,
Defessa longis antra laboribus,
Vrgete flammas, ignea fundite
Metalla venis flumine torrido.
Nigros fabros, AEtna Regem
Gravis labor, nova cura
Perseus occupet Austriacus.
En la seconde partie Persée armé rendoit la liberté et la Paix aux Royaumes.
En la troisiéme partie Persée triomphoit.
En la quatriéme le Rhein avec les Nymphes demandoit la méme liberté et la méme Paix.
Je trouve de ces actions d'une seule partie de deux, de trois, de quatre, de cinq et de six. La Verità Raminga, et il disinganno representées à Turin l'an 1654. étoient chacune de deux parties. L'Orphée representé au Palais Royal étoit de trois, comme la plûpart de celles d'Italie. On les fait de quatre quand on les fait servir d'intermedes entre les Actes des Tragedies. On a donné le nom de Tragedies, et de Comedies en Musique à celles qui sont de cinq Actes, comme le Thesée representé devant sa Majesté à saint Germain [-229-] en Laye l'onziéme Janvier, 1675. Aux nopces du Duc Ferdinand de Medicis avec Madame Chrétienne de Lorraine, l'an 1589. la representation en Musique qui se fit dans la grande sale du Palais de Florence, étoit de six parties qui n'avoient nul rapport les unes avec les autres, l'Autheur de ces Intermedes s'étant voulu donner cette liberté, pour divertir davantage les spectateurs par la varieté. Il commença par l'une de ses parties la representation d'une Comedie intitulée la Pelerine, il insera entre chacun des Actes une de ces actions, et termina toute la Fête par une autre.
Ce nombre indefini d'Actes et de parties, n'est pas la plus grande liberté que l'on se soit permis en ces representations, qui sont faites pour le plaisir plûtôt que pour l'instruction.
L'an 1656. le Duc de Savoye Charle Emanuel second, s'étant allé promener à Front, qui est une Terre du Marquis de Saint Germain, Chef de la maison de Saint Martin d'Aglié, ce Seigneur pour recevoir son Maître le plus agreablement que le lui pût permettre le peu de temps qu'il eut pour se preparer à cette reception, fit entre [-230-] autres divertissemens, representer en Musique une espece de Chasse, sous le titre de Trattenimento Boscareccio da' Cacciatori armonici concertato All' Altezza Reale di Carlo Emanüele Duca di Savoya e Rè di Cipro nel giorno di sua nascita, e fatto rappresentare dal Marchese di san Germano nel suo luogo di Front.
Cette piece fut de trois Actes. Au premier Dorille, Tyrsis et Ergaste font une partie de chasse pour le Cerf et le Sanglier. Florille et Melisse loüent la beauté du jour, et le lever de l'Aurore, et tandis que Melisse va chercher Silvain, Florille chante des chansons à l'honneur de l'Aurore. Aminte cherchant les premiers chasseurs rencontre Florille dont il devient amoureux. Silvain et Montan font la cinquiéme Scene, se plaignant des Loups qui desolent leurs troupeaux. Au second Acte quatre chasseurs préparent toutes choses pour la chasse. Aminte prend un poste commode à pouvoir rencontrer Florille, qui vient chercher Melisse dont elle est en peine, parce qu'elle l'a vû fuïr aux approches d'un Sanglier. Dorille vient donner avis qu'un Cerf s'est élancé hors de la Forest, et le son des cors en avertit [-231-] les autres chasseurs, tandis que Silvain et Montan sont en peine d'un de leurs Agneaux que ce bruit a effrayé, et fait éloigner du Troupeau.
Au troisiéme Acte, Florille querelle Silvain sur la perte de cet Agneau. Aminte poursuivant le Cerf, demande des nouvelles de Florille qui venoit de se retirer. Il se plaint des duretez de cette Nymphe, et Silvain de ses disgraces, la Chasse s'acheve par les abbois du Cerf et la troupe des Chasseurs qui dansent, et chantent tous ensemble un air à la louange de leurs Altesses Royales.
Cette piece tumultueuse fut composée de plusieurs Chansons, et de plusieurs recits qu'on tâcha de lier ensemble, et on y mêla des Sonnets François à la loüange du Prince dont on celebroit la naissance.
L'an 1645. La Reine regente, Anne d'Austriche, au milieu des soins qu'elle prenoit pour la conduite de l'Etat, voulant faire goûter à ses peuples ces agreables divertissemens de la Musique Dramatique que l'on goûtoit en Italie, demanda au Duc de Parme le Signor Jacomo Torelli, qui s'étoit rendu celebre par les décorations et les machines [-232-] qu'il faisoit paroître en ces representations. Il étoit alors à Venise, d'ou le Duc de Parme le rappella, et ayant apporté la piece d'Achille déguisé en femme, sous le nom de la Philis de Sciro composée par Giulio Strozzi, sous le nom de Festa Theatrale de la finta pazza, piece tout-à-fait differente de la Philis de Sciro, il l'a fit representer au petit Bourbon devant leurs Majestez. Cette piece est divisée en trois parties, ausquelles il donne le nom d'Actions Actione prima, Actione secunda, Actione terza.
Les voix qu'on avoit fait venir d'Italie rendirent cette action la plus agreable du monde, avec les divers changemens de Scene, d'allées de Cyprez, de Palais, de Places publiques, et de Jardins. Les Divinitez qui parurent en l'air, les vols, et les autres machines qu'on n'avoit pas encore vuës en France, surprirent agreablement les esprits. Ce fut cette action qui servit de preparation à l'Orphée dont j'ai déja parlé.
Peu de temps apres la Signora Margherita Costa Romaine, qui avoit du genie et du talent pour la Poësie, prépara pour le Roi une Fête à cheval, en [-233-] forme de Carrousel et de Ballet, le sujet de cette Fête, étoit un defi d'Apollon et de Mars. Le Theatre devoit representer un grand Arc de triomphe sous lequel étoit un Autel consacré à l'Honneur, auprés duquel étoit une fontaine. L'Honneur devoit paroître sous cét Arc, accompagné de la Vertu, et de la Valeur, pour inviter aux grandes actions les Princes et les personnes de la premiere naissance. Jupiter en méme-temps se seroit fait voir dans le Ciel pour en chasser la Discorde, qu'il auroit précipitée dans les Enfers, mais s'arrestant sur la terre, elle auroit éteint son flambeau dans la fontaine de l'Honneur, et le cachant apres, pour vivre en sureté parmi les hommes, elle se seroit déguisée sous les apparences de la Paix. Cependant l'Honneur auroit amené Apollon Roi de l'Isle de Delos avec trente Cavaliers divisez en trois quadrilles blanche, dorée, et rouge, qui sont les trois couleurs du Soleil au lever, au Midy, et sur le soir.
La devise d'Apollon ou du Soleil étoit
OMNIA LUSTRAT.
Le Phosphore étoit son Maistre de Camp.
[-234-] Comme la Vertu accompagnée de l'Honneur, devoit introduire Apollon avec ses trois quadrilles, la Valeur devoit introduire Mars avec autres trente Cavaliers.
Les trente premiers devoient se changer en autant de Constellations pour finir les courses par des feux d'artifice, et les trente derniers en influences celestes.
La device de Mars étoit
OMNIA TERRET.
L'Etoile Hesperus lui devoit servir de Maistre de Camp.
Ces deux Rois devoient commencer par un ballet, où se promettant une amitié mutuelle par des embrassemens, ils seroient aller jurer cette amirié, sur la fontaine de l'Honneur, et à peine s'en seroient-ils approchez pour s'arroser l'un l'autre de cette eau, qu'il en seroit sorti une fumée épaisse, causée par la Discorde, qui venoit d'y éteindre son flambeau, et que devenant comme furieux ils se seroient armez et partagez en six quadrilles, pour combattre. L'Honneur se seroit efforcé de les reconcilier, et se servant de la Discorde [-235-] déguisée sous les apparences de la Paix, pour les faire embrasser, ils se seroient de nouveau irritez les uns contre les autres, jusqu'à ce que Jupiter paroissant dans le Ciel auroit fait connoître l'artifice de la Discorde, que la Vertu, la Valeur, et l'Honneur auroient dépoüillée de ses faux habits. Un grand Dragon auroit paru pour enlever la Discorde, qu'on auroit enfin enchaînée.
L'execution de ce dessein ayant paru trop difficile on lui prefera l'Orphée qui fut representé, l'an 1647. On ne laissa pas de faire imprimer cette Fête de la Signora Costa avec ses autres Poësies qu'elle dédia au Cardinal Mazarin.
Enfin l'an 1669. le Roi ayant donné la Paix à toute l'Europe, par le Traité des Pyrenées, ne pensa plus qu'à faire refleurir les Arts, le commerce, les Loix, la Justice et les Sciences dans tout son Royaume. Il établit pour cela diverses Academies de Peinture, de Sculpture, d'Architecture, de Physique et de Mathematique, et par des lettres Patentes du 28. Juin accorda au Sieur Perrin, qui le premier avoit fait voir des act ons en Musique en nôtre langue, la permission [-236-] d'établir à Paris et dans les autres Villes du Royaume, des Academies de Musique pour chanter en public des pieces de Theatre, comme il se pratique en Italie. Ces actions eurent d'assez grands succez durant quatre ans, mais le Roi ayant depuis jetté les yeux sur le merite et la capacité du Sieur de Lully Sur-Intendant et Compositeur de la Musique de sa Chambre, lui donna le soin de ces Academies, et de former tous les sujets necessaires pour ces representations, lui permettant d'établir des Ecoles particulieres de Musique à Paris, et par tout où il le jugeroit necessaire pour le bien et l'avantage de l'Academie Royale de Musique, sur le pied méme de celles d'ltalie, où les Gentilshommes chantent publiquement en Musique sans déroger, il voulut que tous Gentilshommes et Damoiselles pussent chanter ausdites pieces et representations de cette Academie Royale, sans que pour ce ils fussent censez deroger au titre de Noblesse, ny à leurs Privileges, Charges, droits, immunitez. Voici les termes de la permission.
LOUIS par la grace de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous presens et à venir, salut. Les Sciences et [-237-] les Arts étant les ornemens les plus considerables des Etats, nous n'avons point eu de plus agreables divertissemens, depuis que nous avons donné la paix à nos peuples, que de les faire revivre, en appellant prés de nous tous ceux qui se sont acquis la reputation d'y exceller, non seulement dans l'étenduë de nôtre Royaume; mais aussi dans les Pays étrangers: et pour les obliger d'avantage de s'y perfectionner, nous les avons honorés des marques de nôtre estime, et de nôtre bienveillance: et comme entre les Arts Liberaux, la Musique y tient un des premiers rangs, nous aurions dans le dessein de la faire reussir avec tous ces avantages, par nos Lettres patentes du 28 Juin 1669. accordé au Sieur Perrin une permission d'établir en nôtre bonne Ville de Paris et autres de nôtre Royaume, des Academies de Musique pour chanter en public des pieces de Theatre, comme il se pratique en Italie, en Allemagne, et en Angleterre. Mais ayant été depuis informé que les peines et les soins que ledit Perrin a pris pour cét établissement, n'ont pû seconder pleinement nôtre intention, et élever la Musique au point que nous nous l'étions promis; nous avons crû [-238-] pour mieux réüssir qu'il étoit à propos d'en donner la conduite à une personne, dont l'experience, et la capacité nous f<>ssent connuës, et qui eût assez de suffisance pour fournir des éleves tant pour bien chanter, et actionner sur le Theatre, qu'à dresser des bandes de Violons, Flûtes, et autres instrumens. A ces Causes bien informez de l'intelligence, et grande connoissance que s'est acquis nôtre cher et bien-amé Jean-Baptiste Lully, au fait de la Musique, dont il nous a donné, et donne journellement de tres-agreables preuves depuis plusieurs années, qu'il s'est attaché à nôtre service, qui nous ont convié de l'honorer de la charge de Surintendant, et Compositeur de la Musique de nôtre chambre; Nous avons audit Sieur Lully, permis et accordé, permettons et accordons par ces presentes, signées de nôtre main d'établir une Academie Royale de Musique dans nôtre bonne Ville de Paris, qui sera composée de tel nombre, et qualité de personnes qu'il avisera bon être, que nous choisirons et arréterons, sur le rapport qu'il nous en fera pour faire des representations devant nous, quand il nous [-239-] plaira, des pieces de Musique qui seront, composées, tant en vers François qu'autre langues étrangeres, pareilles, aux Academies d'Italie, et cetera.
Il n'en est pas de ces actions comme des Tragedies où les sujets Historiques sont les plus propres avec des intrigues bien conduites, et un enchaînement de Scenes qui se lient les unes aux autres. Icy les sujets de pure invention, ou ceux qui sont tirez des fables sont les plus propres, parce qu'il y entre plus de machines extraordinaires, et de decorations, des Cieux ouverts, des Enfers, des Mers, des Naufrages, des nuées, des Dieux qui volent du Ciel en terre, ou qui enlevent des mortels dans le Ciel, des Monstres, des animaux extraordinaires, des Palais enchantez qui descendent du Ciel, ou qui y montent, et cetera.
Il n'est guere de sujets plus propres pour les Fêtes et pour les réjoüissances, tant parce qu'ils n'ont rien de triste et de lugubre, comme la Tragedie, que parce qu'on peut aisément les accommoder aux occasions mémes des Fêtes, et des réjoüissances.
Ainsi le Duc de Savoye ayant reçû les Cardinaux Aldobrandin, et de [-240-] Saint Cesaire, l'un neveu du Pape Clement VIII, et l'autre son petit neveu, qui assisterent aux Nopces des Infantes de Savoye, entre les divertissemens qu'il leur donna à Millefonti l'une de ses plus belles maisons, il fit representer une action en Musique, accompagnée de Ballets. Elle commença par un Arion porté sur un Daufin, qui s'avançant sur le Canal chanta un recit, et fut suivi sur le méme Canal d'un Ballet de Tritons, et de Dieux Marins, qui dansoient dans l'eau d'une maniere nouvelle. Le sujet de la piece étoit les Transformations de Bellonde en Millefonti. Elle fut de trois Actes, dont le Duc de Savoye donna lui-méme le dessein, et le Marquis d'Aglié en fit les Vers.
Aux Nopces du Prince Maurice, avec sa Niéce la Princesse. Loüise de Savoye, le jour de la naissance de feu Madame Royale concourant avec cette Feste, on representa l'évenement heureux l'Evento felice. La piece étoit de cinq Actes et purement Allegorique sur l'occasion de ces Noces.
Iris paroissant sur son Arc-en-Ciel fit le Prologue, chantant ces Vers Italiens à l'honneur de Madame Royale.
[-241-] Sgombrate intorno al Cielo
Del tenebroso velo
Belle Ninfe de l'Aria, hoggi ch' al mondo
Nasce Giuno benigna è maestosa,
Pallade forte e bella,
E Venere Celeste,
Cedan pur' al seren Nembi e Tempeste.
Tout est grand, merveilleux, et divertissant dans le ravissement de Cephale du Chiabrera L'Aurore, Cephale, Titon, Phebus, l'Ocean, l'Amour, la Nuit, Berecynthie, et Jupiter en sont les Acteurs, avec des choeurs de Chasseurs, de Tritons, d'Amours, des Signes celestes, et des Divinités.
Le Preti en son Triomphe d'Amour introduit Venus, Mars, Adonis, Pallas, la Beauté, l'Amour, et Rome. Il n'y a rien de si spirituel que leurs querelles, et leurs contestations. Venus commence par ces Vers
Scesa dal terzo Cielo,
Jo gran Dea degli Amori,
Care piagge Latine, a voi ne vegno.
Pace à voi, lieti Colli. Amate mura,
Ou' hebber culla e tomba
Quelle antiche grand' Alme,
[-242-] Si chiare in pace, e si temute in guerra.
Per voi ritorno in terra.
Mars veut la chasser loin de Rome, en chantant ces Vers.
Lungi, lungi, da noi Venere bella
Questo è popol di Marte, è non d'Amore
Mars, Pallas, et Rome chantent ensemble.
Nò nò, cante fuggite
O anime d'amor libere e sciolte
Dolcemente invaghisce,
Mortalmente ferisce,
Vi promette dolcezze, e porta doglie
Il meno viconcede, il più vi toglie.
Les Vers de ces compositions sont ordinairement Lyriques, c'est à dire, Vers de chansons. Car quoi qu'il n'y ait point de Vers qui ne se chantent, les Vers Lyriques de mesures irregulieres, sont incomparablement plus propres pour le chant, parce qu'ils ont plus de varieté. C'est sans doute ce qui obligea Gabriel Chiabrera de distinguer de tant de manieres les Vers de ses chansons en marquant les mesures, com<n > [-243-] celles des Odes d'Horace sont marquee ainsi, il nomme les uns Trocaici dimet<ri> pieni, les autres Giambici dimetri scemi, ceux-cy Trocaici monometri soprabondanti. Ceux là Trocaici dimetri amezati, et cetera.
Il donne pour exemple des premiers ces Vers.
Quando vol sentir mia voce
Amor, l'arco in mano ei piglia
E ne va sotto le ciglia,
D'Amarillide feroce
Iui tacito m'aspetta
E d'un guardo mi saetta.
Les Exemples des seconds sont ceux cy.
Soave libertate
Già per si lunga etate
Mia cara compagnià
Chi da me ti disuiâ?
O dea desiata,
E da me tanto amata
Ove ne vai veloce?
Pour les troisiémes.
[-244-] Tempo, ch' alato
Rapido vai
Me scatenato
Mai non vedrai.
E crescano ire
Per mio martyre
E cresca orgoglio
Per mio cordoglio.
Pour les quatriémes.
Dolci miei sospiri
Dolci miei Martyri
Dolce mio desio
E voi dolci canti
E voi dolci pianti
Rimanete a Dio.
Lorenzo Fabri parlant de ces Vers du Chiabrera, dit que la diversité de ces mesures l'a obligé à faire la Preface dont il les a accompagnez, afin que l'on apprît qu'il y a plus d'Art que de caprice dans cette varieté, et qu'elle est absolument necessaire à ces sortes de compositions. Que la Langue Toscane a des Vers de quatre, de cinq, de six, de sept, de huit, de neuf, de dix, d'onze, et de douze syllabes. Que ces Vers sont naturels à chaque langue, que la Françoise et [-245-] l'Espagnole en ont de toutes ces mesures, qu'il ne falloit pas que sa langue n'en eut que de deux mesures. Que les Grecs avoient été six cens ans sans avoir d'autres Vers, que les Hexametres, jusqu'à ce qu'Archiloque en fit entendre d'autres avec tant de succez, que chacun essaya d'en faire de diverses mesures, ce qui fit que la Poësie Grecque devint si belle par cette varieté de Versification, que le chant méme a des graces particulieres, quand le nombre et la cadence des paroles ne sont pas les mémes, et que le Signor Giulio un sçavant Musicien Romain avoit remarqué les grands effets de cette varieté s'étant fait admirer de tout le monde par cet artifice dont il s'étoit servi si utilement pour le Theatre. Di cio fa prova Giulio Romano, a cui hassi da prestar fede, perche Italia tutta quanta l'ammira.
Le Chiabrera se servit de ces diverses especes de Vers dans l'action celebre du ravissement de Cephale, qu'il fit à la Cour de Florence pour les Nopces de Marie de Medicis Reine de France. La Poësie en fit le Prologue en Vers d'onze et de sept syllabes. Les cinq actes en avoient de toutes sortes. La Renommée acheva par de grands Vers.
[-246-] Nôtre Langue a non seulement tous les avantages des autres pour ces diverses especes de Vers, de tant de mesures differentes, mais elle les mêle si bien dans ces actions de Musique, qu'ils ont une grace singuliere, méme ceux dont les cadences sont rompuës par l'inegalité du nombre des syllabes, ce qui seroit dur dans la recitation, et ce qui fait un bel effet dans les recits qui se chantent, ou dans les Dialogues.
Nos grands Vers ont aussi cette commodité pour le chant, que les Alexandrins ont un repos aprés la sixiéme syllabe, comme si chacun d'eux faisoit deux Vers. Les Communs ont un semblable repos aprés la quatriéme syllabe, et dans les dialogues un Vers se peut separer en plusieurs repos. Dans la piece de Cadmus et d'Hermione Scene IV. du 2. Acte.
Hermione
Vous fuyez
Cadmus
Il le faut.
Hermione.
Demeurez.
Cadmus.
Je ne puis.
On a vû le succez de cette Scene du [-247-] Sacrifice des Prêtres de Mars, où le grand Sacrificateur commence ainsi.
Mars! o toy qui peux
Dechaîner quand tu veux
Les fureurs de la guerre;
O Mars reçoi nos voeux.
Le Choeur des Sacrificateurs repete ce dernier Vers.
O Mars reçoi nos voeux.
Le grand Sacrificateur poursuit.
Ton funeste courroux n'est pas moins dangereux
Que l'éclat du Tonnere:
O Mars reçoi nos voeux.
Le choeur repete ce Vers.
Le grand Sacrificateur
Mars redoutable!
Mars indomptable!
O Mars! ô Mars! ô Mars!
Le choeur repete la méme chose
Le grand Sacrificateur.
[-248-] O Mars impitoyable!
Est il irrevocable
Que ta haine implacable
Accable
Une Ame inebranlable
Au milieu des hasards?
On repete O Mars, ô Mars, ô Mars
Mars redoutable, et cetera.
C'est de ce Royaume que ces representations ont passé en Angleterre. Le Sieur Cambert qui les avoit commencées en France les porta en ce pays là, et fit voir plusieurs fois à Londres la Pomone, les Plaisirs et les peines de l'Amour, et quelques autres pieces qu'il avoit fait joüer à Paris quelques années auparavant. Il receut des marques d'amitié et des bienfaits considerable du Roi d'Angleterre, et des plus grands Seigneurs de la Cour. Mais l'Envie qui est inseparable du merite lui abbregea ses jours, et l'empécha de porter plus loin la gloire de la Musique Dramatique qui lui devoit ses commencemens dans ces deux grands Royaumes.
On a donné divers noms à ces representations. Les Grecs leur ont donné constamment celui de Drames en Musique. Origene, saint Basile, Suidas, et [-249-] quelques autres leur donnent ce nom. Les Latins ne leur changerent pas ce nom, puisque parmy eux on les nommoit Dramata Musica, ou Musicalia. Saint Jerome les nomme ainsi. On les nomma aussi Cantica Dramatis, chants d'action, et l'Eglise aux Fêtes des Vierges, invite les Chrétiens à faire des representations de cette sorte à l'honneur de ces saintes ames, qui ont merité par l'innocence de leurs moeurs et la pureté de leur vie d'étre les Epouses de Jesus-Christ. Ante thorum hujus Virginis frequentate nobis dulcia cantica Dramatis. L'Academie des Gelati de Bologne, a donné le nom de Dramma Musicale, au Persée de Berlingiero Gessi l'un des plus illustres Academiciens. L'Armide, et le Radamiste de Dom Antonio Muscettola y sont nommés Opere per la Musica Le Midas de Charles Comte de Bentivogli Archidiacre de Bologne, y est nommé comme le Persée de Berlingiero Gessi Dramma Musicale: cét ouvrage fut publié sous le nom de Giulio Centralbo qui est l'Anagramme de Carlo Bentivoglio. Charles Amadio de cette méme Academie, s'est rendu illustre par les compositions qu'il a faites pour ces representations, qui ont fait le divertissement [-250-] de plusieurs Princes, et méme du Pape Clement IX. qui voulut en entendre les recits les plus serieux et les plus graves dans sa chambre. La Sophronie de François Carmeni est nommée dans les memoires des mémes Academiciens, Dramma per Musica.
Le Marquis Santinelli, que l'Empereur à fait Gentilhomme de la Clef d'or a fait plusieurs de ces representations pour la Cour de ce Prince. Les principales sont.
L'Armida Dramma per Musica
La disperatione fortunata opera Regia.
La fuga dramma Istorico per Musica
L'Innocente Mezzano della propria moglie opera Regia
L'Alessandro magnanimo opera regia.
Je ne sçai pourquoi il leur donne le nom d'Opera Regia, si ce n'est peut-étre qu'il les ait fait pour la Cour.
Jean Baptiste Sanuti Pellicani qui fit il y a quelques années representer deux de ces pieces sur le Theatre de Bologne, l'une du retour victorieux d'Alexandre, l'autre de la dispute des Fleuves, a donné deux noms differens à ces deux actions de Musique. Il nomme la premiere Féte [-251-] de Theatre Festa Theatrale, et la seconde du nom d'Academie. Academia per Musica.
Jean Capponi Medecin Philosophe, Astrologue, et Poëte, fut celebre pour ces compositions, il fut amy du Guarini Autheur du Pastor-fido, du Cavalier Marin, et du Bracciolino. Ce fut lui qui composa l'Arion qui fut representé en Musique aux Nopces de Victor Amedée Duc de Sa oye avec Madame Chrétienne de France Soeur de Loüis XIII. l'an 1619. Il fut de plusieurs Academies d'Italie.
Louis Manzini fit la Psiché detrompée sous le titre de Drame Tragicomoral, qui fut imprimé a Mantoüe l'an 1656. Psiche desingannata Dramma Tragicomorale per Musica. Il y en a trois autres de lui qui n'ont pas été imprimées.
La Cingara Reale Drammatica per Musica.
L' Eudosia Dramma musicale
La fugitiva innocente Dramma Regio pastorale.
On a vû encore de cette méme Academie
La Dafné dramma Musicale du [-252-] Marquis d'Obizzi Pio Enea.
La siringa overo gli sdegni d'Amore de Nicolas Zoppio Turchi representté sur le Theatre des Guastavillani.
Celles du Comte della Rovere Prospero Bonarelli sont nommées Melodrammi.
L'Abbé Scarlatti Resident en Cour de Rome pour l'Electeur de Baviere fit un magnifique Regale le 22. Aoust l'an 1680 dans sa vigne de la Pariole pour la majorité de ce Prince. Entre les divertissemens qu'il y donna il y eut une representation en Musique, dont le sujet étoit La Baviera Trionfante Applauso festivo per la maggiorità del serenissimo Elettore. Massimiliano Emanuele Duca di Baviera et cetera componimento per Musica. Sur la fin d'une magnifique Collation on entendit d'une Tour qui est au bout de cette Vigne un grand bruit de Trompettes, et de Tambours, qui ayant invité les Conviez à sortir de la Salle pour entrer dans le Jardin, virent au bout d'une grande allée un Char de Triomphe tiré par quatre Chevaux blancs, et precedez de vingt quatre Estafiers vétus de blanc et de bleu, avec chacun un Flambeau allumé en main. Sur ce Char étoit la Baviere assise sur un trône élevé ayant à ses [-253-] pieds l'Heresie enchaînée, qu'elle menoit captive à Rome, son Char étant conduit par le Temps. Rome parut en méme temps, et considerant cette Nymphe sur son Char, elle demanda qui elle étoit. La Baviere descendit appuyée sur le Temps, et alla au devant de Rome, lui disant qu'elle apportoit au Capitole des dépoüilles enlevées sur les Ennemis de la Foy et de la Religion. Le Temps celebra les Heros sortis de la maison Electorale de Baviere, et le nom du Pape Innocent XI. de Maximilien Duc de Baviere, de son Pere l'Electeur Ferdinand, et de sa Mere la Princesse Adelaïde de Savoye, il chanta le Mariage de Monseigneur le Dauphin avec Madame la Princesse Electorale, fit des Voeux pour l'heureux Regne du Duc Maximilien, et Rome et la Baviere prononçant la condamnation de l'Heresie, que la Baviere avoit amenée enchaînée, un Foudre tomba sur elle qui la mit toute en feu avec le Char dont sortirent mille Fusées volantes, et mille Serpenteaux pour finir toute cette Feste par un beau Feu d'Artifice.
Au mois de Septembre de l'an 1680. le Duc de Holstein Gottorp se trouva avec la Princesse son Epouse à Hambourg [-254-] pour voir un Opera Alleman que l'on y representa, ainsi ce n'est plus seulement en langue Latine, Italienne, et Françoise que l'on fait de ces representations en Musique, puisqu'on en a vû d'Angloises et d'Allemandes. Je ne sçai s'il en a paru d'Espagnoles et de Portuguaises, mais je suis bien persuadé, que de toutes ces langues il n'en est plus aucune en laquelle ces actions puissent étre plus agreables qu'en la nôtre par la perfection de nôtre Musique.
Il n'y a pas des sujets plus propres aux Allegories que ces representations, aussi font-elles depuis plus d'un siecle les divertissemens des noces et des Mariages des Princes, de leurs entrées dans les Villes, et de leurs receptions, de la naissance de leurs enfans, du retour des jours de leur naissance, des festins solennels, et des autres occasions de réjoüissances et de divertissemens.
La Cour de Florence a excellé en ces representations, qui lui doivent leur retabl ssement. L'an 1608. le grand Duc Cosme de Medicis ayant épousé l'Archiduchesse d'Autriche, Marie Magdelene soeur des Archiducs de Gratz, et Cousine de l'Empereur Rodolfe, son Tuteur, on fit durant plusieurs jours [-255-] dans cette Cour tout ce qu'on peut faire de plus magnifique en jeux, en Festins, en Carrousels, en Feux d'artifice, en Machines, en Arcs triomphaux, en Comedies, et en representations en Musique. On ne vid rien de plus superbe en cette Fête, que la representation en Musique qui se fit le cinq ou sixiéme jour. La Scene étoit un Palais tout bâti de grandes Glaces de Chrystal, au lieu de quartiers de Marbre pour representer le Palais de la Renommée. Au milieu de ce Palais se levoit une haute Tour sur laquelle parut la Renommée avec ses Aîles et sa Trompette d'argent, vétüe d'yeux, d'oreilles, et de langues comme les, Poëtes la décrivent, et montrant aux nouveaux Epoux, deux grandes Troupes de Heros du sang d'Autriche, et de Medicis, qui étoient leurs Ancestres, elle se mit à chanter ce Sonnet.
La fama son io dell' alte imprese gloria,
Tromba dell' opre generose e grandi,
Lingua d'Eroici fatti, e memorandi,
Che d'eterna incorono aurea memoria.
Specchiarsi in questa Regia mia si gloria
Il mondo, e non e suon ch' a me non mandi,
[-256-] E quanto fai con le mie ali spando
Virtu: mie figli son Poëma e Storiâ.
Meco han ricetto i più graditi eroi,
Ecco i vostri Avi, e le provincie, e Regni,
E mondi nuoui lor trofei vi mostro.
Serenissimi sposi, e ben per voi
Restan corone, e non d'Alcide i segni
Ma più illustri trionfi al valor vostro.
C'est a dire. Je suis la Renommée qui fais la gloire des grandes entreprises, comme je publie au monde avec ma Trompette les grandes et illustres actions. Je suis la langue qui annonce les faits celebres des Heros, et qui couronne leur memoire d'une couronne immortelle. Le Monde se glorifie de voir dans ma Cour et dans mon Palais tout ce qu'il a de plus digne d'être remarqué, rien ne se passe chez lui qu'il n'ait soin de me faire sçavoir, et c'est moi qui porte partout avec la vitesse et la legereté de mes aîles ce qui se fait de plus vertueux. La Poësie et l'Histoire sont mes Enfans, je donne retraite dans mon Palais à tout ce qu'il y a de grands hommes. Princes voyez icy tous vos Ancestres avec leurs Provinces et leurs Etats. Les nouveaux mondes decouverts sont les Trophées de leur gloire. Il en reste encore pour [-257-] vous, car les Colonnes d'Hercule qui bornerent les actions et les entreprises de ce Heros ne sçauroient borner les vôtres à qui je prépare un plus beau Triomphe, et une plus grande étenduë.
Aprés ce Recit chanté par la Renommée, les Heros de la maison d'Autriche et de la maison de Medicis chantant leurs actions glorieuses, prédirent de pareils succez aux deux Epoux.
In qual parte del mondo in qual Impero
Non splendon le nostre armi? Austro ed Oceaso
Oriente; et Aquilon non è rimaso
Di non servirci, e riverirci altero, et cetera.
La Porte du Palais s'étant ouverte ils y entrerent tous, pour de là monter au Ciel. A peine y furent-ils entrez, que le Palais disparoissant tout d'un coup, la Renommée qui demeura au milieu de l'air s'alla cacher dans les Nuées en chantant, que quiconque sur la terre fait des actions glorieuses merite de monter au Ciel et d'y étre changé en Astre.
Ecco chi in terra splende,
Che meco<>l Ciel ascende,
[-258-] Ove io gloria divengo, e l'alme belle
De generosi eroi trasformo in Stelle, et cetera.
Enfin la Renommée s'étant retirée, la Scene representa la Ville de Florence avec ses Collines voisines. D'un côté parut dans une Grotte l'Arne qui est le Fleuve qui passe au milieu de Florence, s'appuyant sur son Urne couronné de Hestre et de fueilles d'eau tenant une Corne d'abondance, auprés de lui étoit couché un Lion qui tenoit un Lys, ou Iris de Florence; de la même Grotte sortirent six Nymphes vétuës de diverses couleurs, et de la partie opposée, on entendit un Concert de voix et d'Instrumens, au son desquels une Nuë étant descenduë, la Deesse Flore parut comme la Divinité de Florence à qui elle donne son nom, et parlant à l'Arne et à ses Nymphes, elle chanta ces Vers.
Sciogli dall' Urna omai latte e cristalli,
Irrigator delle Toscane rive,
E voi dell Arno auventurose Dive
Intrecciatevi al crin perle, e coralli.
L'Arne lui demanda la cause de sa joye et de ses empressemens.
[-259-] Ond è tanto gioir com' Oggi intuonano
Soura le nubi, e Flora in tera auvezza
Le voci, che si dolci al cuor mi suonano?
La Deesse descendant du Ciel lui répond
Scorta dal Sol d'un immortal bellezza
Poggiai soura le stelle
Quindi riporto a voi glorie novelle.
Enfin étant arrivée en terre et la Nuë qui la portoit étant disparuë, une autre qui venoit aprés, et dont il sortoit des êclairs venant tout d'un coup à s'ouvrir, il en sortit un Aigle volant, qui portoit la Déesse Astrée comme elle est figurée entre les signes du Zodiaque, et sur les pieces de la nuë divisée qui faisoient comme autant de degrez, parurent l'Age d'Or, l'Innocence, la Simplicité, la Pureté, la Moderation, et la Felicité, toutes superbement vétuës, et avec tous les caracteres qui pouvoient servir à les distinguer. Astrée et ses compagnes prédirent aux nouveaux Epoux toute sorte de bonheur, et chacune de ses compagnes <de>vant un globe des armoiries de Medi<> en firent comme une Couronne a<utour> [-260-] de l'Aigle, augurant que cette conjonction feroit découvrir de nouveaux mondes. En effet on vid aussitôt aprés changer de face au Theatre où il parut une grande Mer avec des terres inconnues où l'on ne voyoit que des Palmes, des Perroquets, des Oiseaux, et des animaux étrangers, des hommes demy nuds, et vétus de plumes de diverses couleurs. Un grand Vaisseau se découvrit sur cette Mer. Il avoit un Lion sur la Proüe, des Fleurdelis sur l'arbre et sur les Voiles et à mesure que ce Vaisseau s'avancoit, on reconnut que c'étoit celui d'Americ Vespucci Florentin qui étoit assis sur la Poupe un Astrolabe en main. La Science de Naviger étoit au timon fait en forme de Dauphin enchaîné, l'Esperance, la Hardiesse et la Force étoient parmy les Matelots, et lorsque ce Vaisseau eut decouvert la terre, on entendit tout d'un coup des cris de joye exprimez par ces Vers.
Ecco la terra desiata appare:
Oh spectacol giocondo,
E pur del nostro sguardo oggetto il mondo,
Che nuoue stelle à si possente e chiare?
Qui sempre il Ciel seren tranquillo il mare;
Qui celest' aura il buon nocchiero accorto
[-261-] Prend' a guidar d'éternità nel porto.
A peine eurent-ils cessé de chanter, que le Vaisseau prit terre et laissa la place à d'autres merveilles. Car tout d'un coup parut le Char de la Tranquillité en forme d'Ecueil tiré par deux Veaux Marins. La Tranquillité étoit sur ce Char vétuë de la couleur du Ciel serein, elle avoit sur la tête un nid d'Alcyon avec ses petits, et un Cygne auprés d'elle. Les Vents les plus furieux étoient enchaînez sur cét Ecueil. Le Zephyr conduisoit le Char, et une troupe d'autres petits Zephyrs étoient autour du Char, et battoient doucement des Aîles, tandis que la Tranquillité se mit à chanter ce Madrigal.
Il mio tranquillo e placido sembiante,
Al superbir dell onde impone il freno,
Il fosco io rassereno
Il vento io fermo impetuoso, errante;
Quindi è ch' io vengo avante
A voi de Toschi lidi onor sourano
In divino, in benigno aspetto umano.
En même temps l'Immortalité se fit voir au milieu du Ciel assise sur un grand Globe, elle étoit vêtue d'un habit semé [-262-] d'Etoiles, et un Phenix s'élevoit du milieu de sa Couronne, la Gloire, Apollon et les Muses l'accompagnoient, avec dix Poëtes qui ont paru en divers siecles M<>sée, Amphion, Linus, Orphée, Homere, Pindare, Virgile, Horace, Dante, et Petrarque surpris de l'entreprise de Vespucci, commencerent à chanter.
Dal bel seren, che nube mai non vela
Vegniam' bramosi di mirar d'appresso
L'Eroe che non sara dal tempo oppresso,
E giâ par tutto il suo splendor si suela.
Le Choeur du Char de la Tranquillité repondit,
Non mar, non Terra, il cela.
Ceux qui étoient sur les Nuées.
E fino al Cielo ascende.
Tous ensemble
Vive immortal chi per virtù risplende.
Le feu prenant tout a coup la place de l'Eau, fit voir pour troisiéme Scene la Boutique de Vulcain sous le mont-Gibel de Sicile. On ne voyoit que feu [-263-] et que fumée lorsque le Ciel s'ouvrant fit voir le Char de Mars sur les nuës tiré par deux chevaux Bays. La Victoire et la Gloire conduisoient ce Char sur lequel Mars étoit armé, on entendit en méme temps des coups de Marteaux redoublez, comme ceux des Forgerons quand ils travaillent, on frappa à la porte de l'Antre, Vulcain parut à la Fenêtre, et ayant reconna Mars il sortit avec ses Cyclopes, et lui apporta une Armure complette pour le Duc de Toscane. Enfin la Scene fit voir un grand et magnifique Temple, et la Paix descendant du Ciel, en fit sortir l'Amitié, la Sureté, l'Innocence, la Foy, la Concorde, l'Abondance, la Prosperité, la Justice, le Plaisir, les Jeux, les Ris, et cetera qui firent un agreable Ballet.
Il faut de l'esprit, de l'invention, et de la varieté dans ces representations, pour lesquelles peu de personnes ont tous les talens necessaires. Le merveilleux qui est l'ame de ces actions ne se trouve pas si aisément. Quand l'Allegorie est bien conduite, elle a cette grace de nouveauté qui ne se trouve pas si facilement dans les autres sujets. Les Machines sont d'un grand secours pour ce merveilleux, parce que tout d'un [-264-] coup elles font passer de la terre au Ciel, de la Mer aux Enfers, du Ciel en Terre, d'un Jardin, et d'une Forest dans un Desert, d'un Palais dans un Arsenal, et cetera.
Les Chinois ont de ces inventions, et de ces machines, et les Relations du Tunquin nous apprennent, que leurs Bonzes divisent le monde en cinq parties, dont quatre sont les mémes que les nôtres, et celle du milieu, la cinquiéme, qu'ils ont comme nous dans l'Eglise, des couleurs particulieres pour leurs ceremonies, que quand ils adorent le Septentrion ils s'habillent de noir, et n'ont pour leurs Sacrifices que des Victimes et des Instrumens noirs. Que quand ils adorent le Midy ils sont vétus de rouge, et tout ce qui sert au Sacrifice est de la méme couleur. Que lors qu'ils adorent l'Orient, ils ont des habits Verts, et les tables du Sacrifice sont vertes. Lors qu'ils adorent l'Occident ils prennent des habits blancs, et enfin quand ils adorent le milieu ils paroissent tout revétus de jaune.
La maniere dont on place les Musisiciens sur des Niches, dans des Balcons et des Loges de Palais, sur divers animaux, dans des Grottes, dans des Vaisseaux, sur des Chars, et sur d'autres pareilles [-265-] machines sert encore aux merveilleux, aussi bien que leurs habits bizarres, et la forme de leurs instrumens que l'on déguise quelquefois pour les faire paroître ridicules.
Il n'y a rien où l'esprit se donne plus de liberté qu'en ces representations, qui ne sont pas astraintes à des lois aussi exactes que le sont celles de la Tragedie, et de la Comedie. Le Caprice y regne autant que l'on veut, pourvû qu'il y ait quelque proportion et quelque rapport de bienseance avec le sujet que l'on traite, où la diversité des Scenes, des habits, des personnages, du chant, de la danse, des recits, des Dialogues, des faceties, et du serieux mêlez et entrelassez comme l'on veut, font des spectacles agreables, qui sont courts et longs selon la disposition de l'Inventeur, qui peut se donner de l'étendüe, on se resserrer autant qu'il lui plaît, en des representations dont il est absolument le Maître. Les Anciens n'ont prescrit aucune Regle pour ces actions de Musique, ils les ont abandonnées au genie, à l'esprit, et à l'experience de ceux qui les inventent. C'est peut-étre aussi ce qui les a rendu si agreables, parce que l'esprit agit mieux, et invente plus heureusement quand il [-266-] souffre moins de contrainte. Le nombre prodigieux de ces actions, qui ont paru depuis un siecle, fournit une infinité d'Idées aussi ingenieuses que diverses, à ceux qui veulent s'appliquer à ces representations. Les Italiens y excellent, nôtre Nation s'est surmontée dans celles qu'elle a fait voir depuis dix ou douze ans. C'est ce qui m'a engagé à entreprendre ce traité pour faire vo ir l'origine, le progrés, et les ornemens de ces representations, qui ne sont pas le moindre des spectacles qui paroissent sur le Theatre dans un siecle autant éclairé et delicat que celui-cy.
Il y a d'autres spectacles dont la Musique fait une partie des principaux aggrémens, quoi que d'ailleurs elle n'en fasse pas toutes les beautez comme en ces representations que je viens de decrire. Ces spectacles sont les Carrousels, où elle a d'ordinaire tous les Recits qui accompagnent les machines. Les Ballets dont elle fait les ouvertures et les principaux recits, outre les Concerts, et les airs des Entrées. Les Tragedies dont elle remplit les choeurs; Les Festins dont elle accompagne les Mets: et les Zapates dont elle fait les plus agreables surprises. J'ai déja donné un Traité des Carrouzels, [-267-] ainsi je n'en diray rien icy. On verra un Traité particulier des Ballets. Tant de personnes ont écrit de la Tragedie, qu'il ne reste plus rien à dire sur ce sujet. Il ne faut donc parler, que des Festins d'appareil et des Zapates, pour achever ces Traitez des representations en Musique.
Des Festins accompagnez de Representations et de Musique.
IL n'y a rien où les hommes ayent plus affecté de propreté, d'abondance, de delicatesse et de magnificence qu'aux Festins. Celui que fit Assuerus dans la Ville de Susan la troisiéme année de son Regne; passeroit toute creance, si les Oracles sacrez n'en avoient fait la description. Il dura cent quatre-vingt jours: tous les Princes et les principaux Seigneurs d'entre les Perses <> les Medes y furent conviez, tous les Habitans de la grande Ville de Susan y furent receus, et les tables furent dressées durant sept jours dans les Vestibules du Jardin Royal. De superbes Pavillons de [-268-] pourpre et de soye attachez à de grandes Colomnes de Marbre et rattachez avec des cordons et des houpes de soye couvroient les Tables, et les Lits d'or et d'argent sur lesquels se couchoient les Anciens pour manger. Le Pavé de ce Vestibule étoit de pierres fines, et tout ce que la Peinture peut faire de plus exquis faisoit les autres ornemens de ce grand et magnifique Vestibule, où les Buffets dressez faisoient voir un nombre si prodigieux de Coupes d'or, que tous les Conviez ne buvoient point dans d'autres Coupes. [Vt ostenderet divitias gloriae Regni sui ac magnitudinem atque jactantium potentiae suae Esther c. 1. in marg.] Il n'y avoit rien de si riche que les Plats et les Couverts, tout y repondant à la grandeur et à la puissance d'un grand Monarque qui affectoit, comme dit l'Ecriture Sainte, d'étaler en cette occasion tout ce qu'un Regne aussi heureux, et aussi vaste que le sien pouvoit faire paroître de plus magnifique.
Il n'est point parlé de Musique en la description de ce Festin, [Memoria Josiae ut Musica. in convivio vini. Eccl. 49. Vinum et Musica laetificant [-269-] cor Id. 40. in marg.] mais le Sage qui compare le souvenir du Regne de Josias à la douceur de la Musique qui accompagne les Festins, nous apprend, que c'étoit la coûtume des Juifs, aussi bien que des Assyriens, ce qui a fait dire au méme Sage, que le Vin et la Musique [-269-] réjoüissent le coeur. On ne les a guere separez l'un de l'autre aux occasions de réjoüissance. Athenée decrit quelques Festins où la Musique et les Spectacles faisoient une partie de l'appareil et de la magnificence. Il commence méme le dixiéme Livre de son Banquet des Sages par des Vers d'une Tragedie d'Astydamas, où ce Poëte compare la Poësie à un Festin, et à une representation en Musique, qui sont trois choses selon lui qui demandent de l'abondance, de la propreté, et une tres grande varieté. Le Fils de Dieu méme parlant dans l'Evangile du Festin que fit le Pere de l'Enfant Prodigue pour le retour de ce Fils, parle des Instrumens de Musique, du chant et des danses, dont un autre Fils ouit le bruit en retournant au logis. J'ay déja rapporté quelques-uns de ces Festins accompagnez de Musique, de Danses et de Representations, comme celui des Noces d'un Duc de Milan.
L'An 1618. le Duc de Savoye pour finir le Carnaval par un Festin agreable, fit dresser à Raconis une grande Loge soûtenuë de Colomnes argentées avec des Niches remplies de Statües, et soixante Dames étant placées sur des Siéges preparez, une grande Perspective [-270-] qui faisoit le fond de cette Sale, s'ouvrit au son des Trompettes, et sur un Char tiré par quatre Chevaux, on representa le premier Triomphe de Petrarque qui est celui de l'Amour, dont les Personnages porterent le premier Service, tandis que de petits Amours montez sur les Chevaux chantoient les Tercets Italiens du Triomphe de Petrarque. Le Triomphe de la Chasteté fit la representation du second Service. Le Triomphe de la Renommée dont le Char étoit tiré par quatre Elephans, fit le troisiéme Service, et le Triomphe du Temps le dernier, le Char tiré par des Licornes. Ce Festin fut de l'invention du Marquis d'Aglié. Peu de jours auparavant le Duc en fit un autre de sa propre invention, auquel il donna le nom de Ciel de Chrystal La sfera di Cristallo. Il fit dresser pour cette Feste une grande Sale de figure ovale, dont le Plafond et tous les Lambris étoient de grandes Glaces de Miroirs, les Pilastres et les Niches en étoient aussi, et dans les Niches huit Statues avoient les têtes et les mains de Verre. Sous chaque Statuë étoient deux Vers en forme d'Inscription, et huit Madrigaux Italiens entre les Niches. Les Princes, les Ambassadeurs [-271-] et les Dames étant placez comme pour assister à un spectacle, des quatre côtez de la Sale, sortirent quatre grandes Tables chargées de quatre Services, et accompagnées de Recits en Musique qui furent terminez par un Ballet du Caprice.
Ce ne sont pas les seuls Regales ingenieux et magnifiques, qui ayent paru en cette Cour, les Princeses Françoises, Italiennes, et Espagnoles, qui ont regné dans cét Etat, y ont porté tout ce que ces trois Nations ont jamais eu de plus agreable, et de plus divertissant.
Il s'est fait plusieurs de ces Festins en France, principalement durant la Regence de Catherine de Medicis qui apporta en ce Royaume les manieres d'Italie. Ainsi le quinziéme May de l'an 1577 le Roy Henry troisiéme son Fils, ayant fait au Plessis les Tours, un Festin à Monsieur le Duc d'Alençon son frere, et aux Seigneurs et Capitaines qui l'avoient accompagné au Siege de la Ville de la Charité qu'il prit sur les Rebelles, les Dames vétües de Vert firent le service pour representer la saison. La Reine Mere fit aprés son Festin à Chenonceau, où les Dames servirent vétues en Epousées, et les cheveux épars. Beaujoyeux [-272-] Valet de chambre de cette Reine faisoit les recits de ces Festins, il en composoit la Musique et les representations. Ce Beaujoyeux étoit un Italien nommé Balthasarini, l'un des meilleurs Violons de l'Europe, que le Maréchal de Brissac étant Gouverneur du Piedmont envoya à la Reine avec toute la bande de Violons dont il étoit le chef. La Reine en fit son Valet de Chambre, et ce Balthasarini prenant le nom de Beaujoyeux se rendit si illustre à la Cour par ses inventions de Ballets, de Musiques, de Festins, et de Representations, que l'on ne parloit que de lui. Ce fut lui qui fit le Ballet des Noces du Duc de Joyeuse avec Mademoiselle de Vaudemont soeur de la Reine, et ce Ballet fut publié sous le titre de Ballet comique de la Reine, fait aux Noces de Monsieur le Duc de Joyeuse et Mademoiselle de Vaudemont sa Soeur, par Baltasar de Beaujoyeux Valet de Chambre du Roi et de la Reine sa Mere. Un des Poëtes de la Cour fit ces Vers à sa loüange.
Beaujoyeux qui premier des cendres de la Grece
Fais retourner au jour le dessein, et l'addresse
[-273-] Du Balet compassé en son tour mesuré
Qui d'un esprit Divin toy-méme te devance,
Geometre inventif, unique en ta science;
Si rien d'honneur s'acquiert le tien est assuré.
Beaulieu et Salmon Maîtres de la Musique du Roi l'aiderent en la Composition des Recits et des Airs de Ballet, la Chesnaye Aumônier du Roy fit une partie des Vers, et Jaques Patin alors Peintre du Roi le servit pour les Decorations. Mais il faut avoüer qu'il ne s'est jamais rien fait qui approchât la propreté, la magnificence, et l'appareil des Fêtes de Versailles du Mois de May de l'an 1664. où aprés les courses de Bague, et de Têtes, la Comedie, les Ballets, et les feux d'Artifice, on fit une magnifique Collation accompagnée de machines, et de Recits de Musique. Un nombre infini de lumieres ayant éclairé le lieu destiné à cette Collation, trente Concertans y entrerent suivis des quatre Saisons qui y porterent les Mets les plus delicieux pour les servir devant leurs Majestez et les personnes conviées. Ces Saisons avec les douze Signes danserent une des belles Entrées de Ballet que l'on eut [-274-] encore vuë. Le Printemps parut ensuite monté sur un Cheval d'Espagne avec un habit Vert en Broderie d'argent et de Fleurs au naturel. L'Eté le suivoit sur un Elephant couvert d'une riche Housse. L'Automne sur un Chameau, et l'Hiver vétu de Fourrure sur un Ours. Leur suite étoit composé de quarante huit personnes, qui portoient toutes sur leurs têtes de grands Bassins pour la Collation. Les douze premiers couverts de Fleurs pour representer la troupe du Printemps, portoient comme des Jardiniers des Corbeilles peintes de vert et d'argent, garnies d'un grand nombre de Pourcelaines si remplies et Confitures, et d'autres choses delicieuses de la saison qu'ils étoient courbez sous cét agreable faix. Douze autres comme Moissonneurs vétus d'habits conformes à cette Profession, mais fort riches, portoient des Bassins de la couleur Incarnate qu'on remarque au Solell levant, et suivoient l'Eté. Douze autres vétus en Vandangeurs étoient couverts de Fueilles de Vignes, et de Grappes de Raisins, et portoient dans des paniers fueillemorte remplis de petits bassins de cette méme couleur, divers autres fruits et confitures à la suite de l'Automne.
[-275-] Les Douze derniers étoient des Vieillards gelez dont les Fourrures, et les demarches marquoient la froideur et la foiblesse, portant dans des Bassins couverts de Glace et de Neige, ce qui devoit contribuer à cette Collation de la part de l'Hiver. Quatorze Concertans de Pan et de Diane, precedoient ces deux Divinitez avec une agreable Symphonie de Flûtes et de Musettes. Elles parurent aussi-tôt aprés sur une Roche ombragée de plusieurs Arbres, que l'on voyoit portée en l'air sans que l'Artifice se pût decouvrir.
Ces Saisons et ces Divinitez firent leurs recits à la Reine, et ces Recits achevez, une grande Table en forme de Croissant vint à se decouvrir, que l'Abondance, la Joye, la Propreté, et la bonne Chere firent couvrir par les Plaisirs, par les Jeux, par les Ris, et par les Delices.
Les Romains eurent des Festins de cette sorte. Auguste pria un jour onze de ses principaux Amis à venir manger avec lui, mais il voulut qu'ils y representassent autant de Divinitez avec leurs habillemens et leurs Symboles, Mars, Mercure, Saturne, Neptune, et cetera. Lui-méme y parut vêtu en Jupiter, et ce [-276-] Festin s'appella le Festin des douze Dieux.
Celui de Domitien fut extravagant, lors que pour faire peur à quelques Chevaliers Romains qu'il avoit invitez à manger avec lui, il les introduisit dans une sale toute tendüe de noir, où la table n'étoit couverte que de Squelets, et ceux qui servoient vétus de grands Suaires et equippez comme des Morts. Les Lits sur lesquels il les fit coucher étant faits en soufflets s'abbaisserent dés qu'ils furent dessus, et insensiblement ils se trouverent ensevelis dans des Cercueils. Aprés les avoir divertis de cette sorte, il leur fit servir un magnifique repas, se raillant de la frayeur qu'il leur avoit causée par une representation si funeste et si peu attendüe.
Je reviens à la Cour de Savoye, pour y faire voir en cette espece de Spectacles aussi bien qu'en tous les autres, tout ce qu'on peut voir de plus agreable et de plus propre. Le grand Charles Emmanuel qui fut le Prince de son temps le plus splendide aussi bien que le plus ambitieux, ayant à recevoir dans Miraflores maison de la Serenissime Infante son Epouse, les Cardinaux Neveux du Pape Clement VIII. le Prince de Mantoue son nouveau Gendre, et le Duc de Nemours, [-277-] leur fit un agreable Festin. Il les fit tous asseoir à une table élevée sur une Estrade, et placée sous un grand Dais, sans qu'il y eut autre chose sur cette table qu'une grande Nappe étenduë, mais en méme temps au son des Trompettes, Mercure descendit du Ciel comme l'Envoyé des Dieux, et fit entendre à toute l'assemblée que c'étoit les Dieux mémes qui vouloient les regaler, et que ce seroit de leur propre table qu'ils les feroient servir.
Dalle rotanti sfere
Messagiero divin, corriero alato
Messi'l piè fortunato
E per l'aure leggiere
Qui da voi semidei
Venni nontio de i Dei
C'hor tributari, o peregrini Eroi
Da quei tetti sereni
A voi numi terreni
Portano i cibi suoi.
A peine eut-il achevé de chanter, qu'au milieu d'un agreable Concert entra la Deesse Ceres, avec dix de ses Nymphes qui apporterent en dansant le pain dans de riches Corbeilles, et aprés l'avoir posé, firent une belle Entrée de [-278-] Ballet autour de la Table.
Cette Troupe étant sortie, Bacchus entra avec la sienne. Il étoit assis sur un Tonneau au milieu d'une troupe de Musiciens vétus en Vandangeurs, dix Bacchantes couronnées de Pampres apporterent les Bouteilles et les Verres, et firent leur Ballet comme des personnes prises de Vin.
Sur leurs pas vint la Deesse Thetis avec toutes les Nereïdes, qui portoient chacune une Fontaine de Corail pour donner à laver, d'autres portoient des Couverts de Chrystal avec des Fourchettes, des cueillers, et des Coûteaux à manche de Corail, et chanterent ce Madrigal.
Voi che l'onde inargentate
Al mio regno in dono offrite
Alme eccelse, e fortunate
Ecco i numi d'Arfitrite
Farui don tra canti e balli
D'auree conche, e di Coralli.
Flore accompagnée de douze Nymphes, vint semer la table de Fleurs, et la couvrir de Salades avec les entrées de tables toutes garnies de fleurs. Diane Deesse des Forets apporta le Gibier avec [-279-] ses Nymphes. Pomone servit les fruits avec sa suite, et Venus avec les Amours, les Jeux et les Ris apporta les Confitures que les Graecs rangerent sur la table. A la fin du Repas Neptune accompagné des six principales Rivieres des Etats de Savoye, fit porter une Montagne de Coral, d'ou sortoient plusieurs Ruisseaux pour donner à laver, et enfin toutes les Divinitez s'étant reunies ensemble, vinrent faire un grand Ballet portant dans des Bassins des presens pour toute la compagnie. Ces Presens étoient des Gands d'Espagne, des Pastilles, des Vases d'Agate, de Corail, d'Ambre, et de Chrystal, des peaux de senteur, et autres pareilles choses.
L'an 1613. on fit presque la méme chose en Angleterre pour le Mariage de Frideric V. Comte Palatin du Rhin, avec Madame Elizabeth fille unique, et Princesse de la grande Bretagne. Un Poëte assez méchant faiseur de Vers en nôtre langue, décrivant les Triomphes, Entrées, Cartels, Tournois, Ceremonies, et autres magnificences de ce Mariage, parle ainsi de ce Festin.
Enfin les deux Amans s'étant donné la Foy
[-280-] On retourne au Palais, là ou ce puissant Roy
Traita si richement la noble compagnie
Qu'on s'en est étonné par tout la Germanie.
FLORE y fut la premiere avecque ses odeurs
La Sale parsemer de mille et mille Fleurs
Hebé couvre la table, et Cerés y apporte
Le Pain, comme Bacchus des Vins de toute sorte.
Les Nayades portant l'une le platbassin,
L'autre l'Aiguiere d'or, d'Ambre, et de Chrystalin,
Versent l eau sur les mains: et les Nymphes Napées
A faire la Salade ont été occupées.
Diane y apporta sa Chasse et son Gibier.
La Nymphe Lympiade ayant dans son Vivier
Pescké de beaux Poissons quasi de toute sorte
Dans un Vaisseau d'argent sous son bras les apporte.
Pomone ayant cueilli l'honneur de son Verger
Leur fait présent des fruits les plus à manger.
Enfin Liphidriade apporte sur la table
Des Fontaines sans fin d'Artifice admirable.
[-281-] Et Ganymede aussi le celeste Echanson
Leur donne sur la fin le Nectar pour boisson.
Pareillement Orphée y joüe sur sa Lyre,
Et Mome y assistoit pour leur donner à rire;
Puis le Docte Apollon avecque les neuf Soeurs
Charmoit des Assistans par l'oreille les Coeurs.
Ces Festins accompagnez de Machines et de Representations en Musique, firent les plus agreables divertissemens de la reception de l'Infante Catherine d'Autriche Epouse du Duc de Savoye, depuis la Ville de Nizze où elle debarqua, jusqu'à Turin où elle devoit s'arrêter. Etant arrivée à Moncalier, qui est sur le Pò, on l'invita à s'embarquer sur cette Riviere, et à peine en fut-elle sur les bords, qu'il parut un grand Ecueil d'ou sortit le Pò, accompagné de six autres Rivieres, et chanta ce recit à l'Infante.
Poiche da l'aureo Tago, e da l'Ibero
A'i bei lidi d'Italia il Ciel v'adduce
Donna Reale, e a più sublime impero
Vi serba, e chiama il vostro sposo e Duce;
[-282-] E qual Hespero il nostro almo e<m>spero
Lieto acc nd<>e di nov lla luce;
Ecco ch' a vostri pie <> il corso volgo
E ambi voi nel mio seno accolgo, et cetera.
Tous les autres Fleuves lui repondirent avec un Concert de voix et d'Instrumens. Aprés cét Ecueil parut une petite Isle chargée de Nymphes qui firent aussi leurs Recits. A côté de l'Isle étoit un autre Ecueil avec des Bergers, qui sonnoient de leurs Instrumens rustiques et les accompagnoient de leurs chansons. Enfin les Princes et la Cour s'étant embarquez, les Ecueils, et les Isles les suivirent avec des Concerts continuels de Musique. La Princesse fut ravie de voir la beauté des Campagnes, des Isles, et des bords de la Riviere, et aprés une navigation de quelques heures, le Duc lui ayant fait remarquer une Isle qui sembloit un Paradis terrestre par le grand nombre d'Arbres qui la couronnoient, il lui offrit d'y descendre pour se raffraîchir, ils y descendirent, et ayant mené l'Infante par de belles allées dans une Grotte pleine de Fontaines, on entendit un agreable Concert de voix et d'Instrumens sur une Colline voisine. Tout d'un coup les Rochers et les [-283-] Ecueils qui bordoient cette Isle des deux côtez venant par une subite Metamorphose à se changer en hommes vêtus en Matelots, on leur vid à force de Rames rendre cette Isle mobile, comme celle de Delos.
Il s'y fit en méme temps une petite action en Musique des Amours d'Alfée et d'Arethuse, aprés quoi un des Rochers venant à s'ouvrir fit voir une table couverte de toute sorte de fruits, de Confitures et de Liqueurs sous des figures faites de soye et de plumes de diverses couleurs, qui aprés avoir fait le plaisir des yeux durant quelque temps furent emportées tout d'un coup par une bouffée de Vent et firent voir les Fruits et les Liqueurs qu'elles couvroient, tandis que la Deesse des Amours recitoit des Vers Italiens, sur lesquels l'Echo répondoit en Espagnol sur les dernieres Syllabes des mots Italiens, ce qui fut trouvé d'une rare invention. Aussi étoit-ce le Marquis d'Aglié, qui avoit conduit toute cette Feste.
On fait en Allemagne de ces Festins d'appareil, particulierement le Carnaval, où les Princes les Seigneurs, et les Dames se déguisent en Hôteliers et [-284-] Hôtelieres, en Valets et Servantes d'Hôtelerie, ce qu'on nomme Virschafft. Il s'en est fait de cette sorte dans les Cours des Electeurs avec d'agreables Musiques, particulierement dans la Cour de Baviere, où la Feu Electrice Madame Henriette Adelaïde sembloit avoir amené avec elle toutes les Graces, et toute la Magnificence de la Royale Cour où elle étoit née avec la grandeur d'Ame de Madame Chrêtienne de France sa Mere l'Heroïne de son siecle, et la Princesse la plus genereuse que l'on ait vûe.
L'An 1670. l'onziéme de Fevrier on fit dans le Palais de Munich, une de ces Fêtes de Wirschafft ou d'Hôtelerie à l'Allemande, mais d'une maniere la plus agreable et la plus spirituelle du monde. La Serenissime Duchesse Madame F<>bronie Epouse de Monseigneur le Duc Maximilien Frere de l'Electeur, et Soeur des Princes de la Tour d'Auvergne étoit l'Hôtesse, et le President de la Cour l'Hôtelier. Le Baron de Fraofen et la Baronne de Schiodin, le Chevalier de la Perrouse premier Gentilhomme de la Chambre et Capitaine des Gardes, et la Comtesse de Praisin, le Comte Wal, et Mademoiselle de [-285-] Lerchefeld, le Comte de Tattenbach, et Mademoiselle Catherine de Therin, le Comte Bonaventure Fugger, et la Comtesse Maximilienne de Praisin. Le Baron de Reichberg grand Maréchal et la Baronne de Lescin. Le Comte de Montfort et Mademoiselle de Rosay étoient les Serviteurs et les Servantes de cette magnifique Hôtellerie, où toute sorte de Nations, et toute sorte de personnes venoient loger. L'Electeur et l'Electrice y parurent les premiers en Turc et femme Turque vétus superbement à la maniere de cette Nation. Le Prince Electoral avec Mademoiselle de Wolchenstein en Romains. Le Duc Maximilien avec la Comtesse de Tattenbach en Chinois, Madame la Princesse Electorale, aujourd'huy Madame la Dauphine, en Bohemienne, qui disoit la Bonne avanture d'une maniere la plus agreable et la plus spirituelle du monde, donnant à chacun des Vers Italiens qui faisoient allusion à leurs moeurs, à leur Temperament, et à leurs inclinations.
Il parut à cette Fête quarante Nations differentes homme et femme de chacune, Tartares, Indiens, Transilvains, Hongrois, Persans, Armeniens, [-286-] Allemans, <E>spagnols, Portugais, Arabes, Venitiens, Suisses, et cetera. Et pour les conditions des Soldats, des Pelerins, des Bergers, des Jardiniers, des Chasseurs, des Porteurs de Balle, ou Merciers, des Paysans et Paysanes d'Italie.
La jeune Bohemienne diseuse d'Avantures, dit au Chasseur qui étoit le Baron de Mercy.
Va nelle selve
Segui le Belve
E lascia stare Amore
O di veleno
Tinonda il seno
A naufragarti il core.
Elle donna au Baron de Taner, qui representoit un Armenien, avec Mademoiselle de Furstemberg vétuë en Armenienne, ces Vers qui faisoient allusion à cette Demoiselle.
A confini d'Armenia in selva Ircana
Stassi belua inumana
Belua che al' altrui pianto
Festeggiante si mostra ef fuge al canto;
Guarda ben che tra fiori
Sta il serpe Amor che si auvelena i Cori
[-287-] Quelquefois les actions de Musique ne font qu'une partie des Fêtes, et des réjoüissances au milieu d'un Bal, d'un Festin, d'un Ballet, d'une Comedie, de la reception d'un Prince, ou même d'une Procession, ce qui se pratique en Espagne, où il y a des Theatres dresses auprés des Reposoirs où se met le saint Sacrement, ou les reliques que l'on porte en ces Processions.
Le College des Nobles de Bologne ayant à recevoir le Cardinal Ludovisio leur Protecteur, fit peindre sur la grande porte un Ecusson de ses Armoiries, qui descendoit du Ciel comme le Bouclier sacré des Romains décrit dans les Fastes d'Ovide avec les mots de ce Poëte.
TUTELAE PIGNORA CERTA.
Les Muses recevoient à genoux ce Bouclier, reconnoissant qu'il seroit leur Protection
Ce Cardinal Protecteur revenant à Bologne son Pays natal, on choisit pour l'Argument de sa reception, le Retour d'Apollon dans l'Isle de Delos lieu de sa Naissance. Et ce fut de Procope, que l'on emprunta ce sujet sous [-288-] cette Inscription Grecque
[EIS EPIDEMIAN PARONTOS APOLLONOS]
Ce sujet étoit d'autant plus propre que ce Cardinal étoit comme l'Apollon de ce College dont il étoit le Protecteur, qu'il retournoit à son Pays, et que les trois bandes Rouges de ses Armoiries, sont la devise d'Apollon selon Nonnus.
Deux choses firent les honneurs de cette Fête, les Decorations et les Recits, parce que ce sont ces deux choses qui faisoient anciennement selon le Poëte Claudien, l'appareil du retour d'Apollon.
At si Phaebus adest, et fraenis Grypha jugalem
Ripaeo tripodas repetens detorsit ab axe,
Tunc silvae, tunc antra loqui, tunc vivere fontes,
Tunc sacer horror aquis, adytisque effunditur Echo
Clarior, et doctae spirant praesagia rupes.
On fit de la cour du College une Image [-289-] de l'Isle de Delos, un Temple élevé au milieu tel que Virgile le décrit au troisiéme Livre de l'Eneïde étoit environné d'une Forest de Lauriers, distinguée en allées, entre lesquelles d'arbre en arbre étoient attachées des Devises, des Inscriptions, et des Poësies: entre ces mémes arbres étoient placées les Armoiries du Cardinal dans de grandes Couronnes de Laurier, entortillées d'une Echarpe rouge, comme étoit autrefois couronné le Prestre d'Apollon à Delos.
Vittis et sacrâ redimitus tempora lauro.
Toutes ces Couronnes étoient differentes pour representer celles de Jules Cesar, de Tibere, et des aurres Empereurs ou Heros, chacune étant distinguée par des Vers, qui apprenoient à quoi elle s'appliquoit. Les deux autres bandes rattachées aux Lauriers, servoient à y appendre les Couronnes, et representoient en méme temps les trois bandes des Armoiries de la Maison des Ludovisi. Il y avoit encore entre les mémes arbres des Statues, des Illustres de la Maison des Ludovisi, chacune avec un pied d'estal dont la Platebande contenoit un Eloge.
[-290-] Ce fut dans le Temple que se firent les Recits, et parce que Virgile dit que les Driopes, les Cretois, ou Candiots, et les Agathyrses sont les peuples qui celebroient des Jeux autour des Autels d'Apollon, on avoit partagé entre ces trois Nations tout le reste de la Fête.
Qualis ubi Hybernam, Lyciam Xantique fluenta
Deserit, ac Delum maternam invisit Apollo,
Instauratque Choros; mixtique altaria circùm
Cretesque, Dryopesque fremunt, pictique Agathyrsi.
Ces Fêtes de Delos étoient composées de Danses, de Recits et de Dialogues en Musique. Elles commençoient par une espece de Procession, ou de supplication, tout le peuple allant au Temple d'Apollon en chantant des Hymnes. Aprés quoy on faisoit des Danses armées en frappant des Boucliers. Enfin elles finissoient par une action en Musique. La premiere partie de ces Fêtes qui étoit une espece de chant sacré, se nommoit Prosodion, [litaneia] sive supplicatio cum Hymno ubi [-291-] Deos adirent. La seconde étoit le Ballet armé. Erat gladiorum cum scutis collisio, saltabantque bellicum quiddam, et entheon. La troisiéme se nommoit Stasimon ou Stasima, comme la seconde se nommoit Hyporchema, et cette derniere se faisoit, Cum quiescentes aut stantes canerent. On imita en cette occasion ces trois especes de Fêtes, par des Hymnes chantez par les Muses, par un Ballet armé, où tous les Danseurs portoient un Bouclier des Armoiries du Cardinal dont ils se couvroient pour parer les coups, et par une petite action en Musique, où des Bergers se rejoüissoient du retour de leur Apollon, qui gardoit les troupeaux d'Admete auprés du Fleuve Amphrise.
Ludite jam pecudes, pecudum gaudete Magistri
Phoebus io rediit, viduumque invisit Ovile.
Entre les Fêtes qui se representent en Musique, la Chasse a souvent trouvé sa place, car outre celle que le Prince Cardinal Maurice de Savoye fit representer l'an 1620. et dont j'ay déja parlé, les Cardinaux Barberins, le Prince Colonna, [-292-] et les autres Seigneurs Romains ont fait plusieurs fois des Chasses solennelles, avec des équipages de Triomphe, et de Carrousel, où des machines et des chariots chargez de Musiciens et de Representations, accompagnoient des charrettes chargées de Cerfs, de Biches, et de Sangliers, comme les Valets de Chien, les Piqueurs, et les Veneurs étoient agreablement déguisez ou en Nymphes de Diane, ou en Faunes, ou en Satyres, ou en ces Chasseurs de la Fable, dont les Poëtes ont parlé, comme Acteon, Meleagre, Endymion, et cetera. L'An 1668. Monsieur Turinet Comte de Castiglion, ayant à recevoir dans sa maison les Altesses Royales de Savoye, choisit pour sujet du divertissement qu'il leur donna en Musique, une espece de Chasse qu'il nomma la Venerie Royale, parce que le feu Duc de Savoye avoit fait à la Campagne une superbe maison de Chasse et de divertissement sous ce même nom. On feignit pour le sujet de cette action, que ces Altesses Royales ayant choisi pour le lieu d'assemblée de leur Chasse, ce Temple magnifique qu'elles ont fait eriger à Diane la Deesse des Chasseurs: elle vient elle-méme les recevoir à la porte de son Temple, en disant [-293-] au Duc de Savoye
Charmant Chasseur
Dont le grand coeur
N'a point de mouvement qui ne soit heroïque,
Toy qui m'as consacré ce Temple magnifique,
Où comme dans Ephese en foule les mortels
Portent de toutes parts leurs voeux sur mes Autels;
O que ma gloire est redoublée
Losque tu le choisis pour le lieu d'assemblée
Et que tu menes avec toy
Cette Reine plus chaste et plus belle que moy.
Mais de peur que l'Hyver, ses frimats, et sa Glace
Offensent sa rare beauté
Par l'absolu pouvoir de ma Divinité
Je veux dans cette méme place,
Aprés un repas sobre où l'on vous servira
Ce que le temps nous fournira
Vous donner sans Chasser le plaisir de la Chasse
Aprés ce recit la Deesse se tournant vers la troupe qui l'accompagnoit leur dit
[-294-] Cependant Faunes et Silvains
Divertissez ces Souverains
D'une agreable Symphonie,
Imitez le Concert des Cieux,
Ou plutôt la belle Harmonie
Que la Vertu de ces deux demy-Dieux
Entretient dans ces lieux.
Elle alla cependant cette Deesse faire dresser la table et le buffet dans une Sale voisine, où le Couvert fut mis et servi par ces demi-Dieux. Le Bal suivit ce repas, et aprés qu'il eut duré une heure, on entendit les Cors des Chasseurs qui firent cesser les Violons.
Le Dieu Pan entra en méme temps, et fit l'ouverture de la Chasse par ce Recit.
Prince jeune et vaillant, jeune belle Princesse,
Par un ordre absolu de la chaste Deesse
Je viens d'assembler dans ces lieux
Nos Nymphes et nos demy-Dieux
Pour vous donner dans cette sale
Comme au milieu d'un vaste Bois
Le plaisir innocent d'une Chasse Royale
Mais j'entens les Cors et les Voix
Tout est prest. Place, Place.
Adorables Chasseurs
[-295-] Contentez-vous de grace
Pour tous les menus droits d'une si belle Chasse
De prendre pour vous tous les coeurs.
Comme il achevoit ce Recit, on vit entrer Endymion Favory de Diane en équipage de Chasseur qui represente le rapport, tant par les Fumées qu'il porte sur la main, que par l'air et les pas de son entrée. Cette Entrée fut suivie de celle de deux Dryades qui representoient le Laisser-courre, leur Danse étant accompagnée de toutes les actions qui expriment naïvement cette partie de la Chasse. Aprés elles vinrent trois Satyres, qui par leur legereté, et la vitesse de leur danse exprimoient et la Chasse, et tout ce qui peut interrompre le Courre comme le Change, ou les revuës pour relever les defauts. Deux Nymphes des Montagnes, vinrent témoigner la joye qu'elles avoient de la mort du Cerf qu'elles firent connoître par les trois mots longs qu'elles sonnoient. Enfin le Dieu Pan entendant sonner la retraite, assemble tous les Chasseurs pour la Curée, qui fit le grand Ballet.
C'est de ces Festins de spectacle, que [-296-] vint l'usage de tant de jeux, d'exercices, de divertissemens et de Tournois ausquels s'exerçoit la Noblesse, sous les titres fabuleux de Chevaliers de la Table ronde, parce que quittant en cette occasion toutes les distinctions qui font naître tant de querelles pour les rangs et les preseances, ils affectoient de manger à des tables rondes, où la disposition des Seances ôtoit les occasions de ces disputes, n'y ayant point de haut ny de bas bout, de premiere ny de seconde place dans une figure ronde. Les Souverains mêmes se rendoient égaux à leurs Sujets pour rendre ces Fêtes plus agreables, en les rendant plus familieres. Nous en avons un exemple illustre dans l'Histoire de Valenciennes, où à l'occasion des differends du Duc de Brabant et du Comte de Flandres, le Comte ayant assemblé à Valenciennes ses Amis, pour faire la Guerre au Duc de Brabant, et le Comte Guillaume de Hainau ne pouvant faire les Honneurs de sa Maison, parce qu'il étoit malade de la Goutte, il chargea Jean Bernier qui étoit chef de sa Justice sous la qualité de Prevost le Comte, de recevoir tous ces Princes et Seigneurs dans sa Maison. Comme il étoit à table, le Roy de Navarre arriva [-297-] à Valenciennes, et alla descendre à l'Hôtellerie du Cygne sur le Marché. Jean Bernier en ayant été averti, y alla accompagné de Messieurs Oulfart de Ghistelle, et Jean de Florenville, et supplia sa Majesté d'honorer de sa presence sa maison et les Princes assemblez, ce qu'il fit. Il y eut six Tables dressées dans une méme Sale, chaque Prince et chaque Seigneur ayant auprés de lui la Femme d'un Bourgeois de la Ville, sans aucune distinction de rang pour les Princes. Ainsi à la premiere Table étoit Henry de Flandres Comte de Lodes, et Damoiselle Marie de Nouvion Femme de Jean Bernier Prevost le Comte, chez qui se faisoit le Festin. Jean de Luxembourg Roy de Boheme étoit aprés avec Damoiselle Catherine de la Croix, Femme à Pierron le Poivre. Philippe d'Evreux Roy de Navarre, et Damoiselle Isabel de Baissy, Femme de Sire Simon du Gardin. Adolf de la Marck, Evêque de Liege, et Damoiselle Isabelle de Baralles, Femme de Sire Amaury de la Vigne, Louis de Nevers Comte de Flandres, et Damoiselle Magne de Prouville, Femme de Jean de Quaroube. Renaud Comte de Gueldres, et Damoiselle Maigne le Tacque, Femme [-298-] de Sire Jacquemon Gouchez.
A la seconde table étoient Guillaume de Julliers, Jean Comte de Namur, Jean de Hainau Seigneur de Beaumont et Comte de Soissons, le Comte de Nassau, et le Comte de Grandpré, avec les Femmes de cinq Bourgeois. La troisiéme et la quatriéme Table étoient disposées de méme. La cinquiéme étoit de huit Gentils-hommes sans aucune Femme, et la derniere, de dix Bourgeois, dont les Femmes étoient aux premieres tables. Jean Bernier le jeune servit de Maître-d'Hôtel, et les Memoires de ce repas marquent, qu'on y servit six sortes de Vins, de saint Poursain, de saint <>ean, d'Auxerre, de Beaulne, de Rheims, et de Tubiane. Ce Souper se fit vers la Chandeleuse l'an 1333. A la Collation de Versailles, pour les plaisirs de l'Isle enchantée on affecta d'ôter les distinctions. Monsieur et Madame étant au milieu de plusieurs personnes qui n'auroient pas eu les premiers rangs, si l'on eut observé quelque ordre dans les Seances.
On donnoit le nom d'entremets aux Representations qui se faisoient dans ces Festins, parce qu'ordinairement elles accompagnoient les changemens de [-299-] services et de mets. Et depuis qu'on les a mêlées aux Tragedies, aux Ballets, et aux autres Spectacles, on leur a donné le nom d' Intermedes.
Ces Representations eurent un grand cours en France vers le Regne de saint Loüis. Elles commencerent en Provence, où la Cour des Rois d'Arragon, Comtes de Barcelonne et de Provence, attiroit de tous côtés la Noblesse la plus galante et la plus spirituelle. C'est cette Noblesse, que le Comte Berenger mena avec lui à Turin, pour y rendre hommage à l'Empereur Frederic, ce fut là, que ces Gentilshommes Provençaux excellens Poëtes, ou Trouverres, car c'est ainsi qu'on les nommoit, à cause de leurs inventions, divertirent si bien cét Empereur par leurs actions en Musique, leurs Poësies, leurs Chansons, qu'il en composa lui-méme en cette Langue un Dixain, pour marquer ce qui lui avoit plû davantage en ces réjoüissances, l'addresse des Cavaliers François, la beauté des Dames Catalanes, l'honnêteté des Genois, la Cour de la Dame de Castellane, c'étoit une assemblée de Gentilshommes et de Dames que l'on nommoit la Cour d'Amour. Les Chansons Provençales, les Danses [-300-] de Tre<v>ise, la taille des Arragonnois, une Demoiselle nommée Julienne qu'il nommoit la Perle. La blancheur des mains et du visage des Anglois, et la bonne mine des jeunes Gentilshommes de Toscane.
Plas mi Cavalier Francez
E la Donna Catalana,
E l'onrar del Ginoes
E la Cour de Kastellana
Lou cantar Provençalez
E la Dança Trevisana,
E lou cors Aragonez
E la perla Juliana
Las mans e Kara d'Anglez
E lou Donzel de Tuscana.
C'est manifestement cette langue qui a servi d'origine à la langue Italienne, et c'est à ces Trouverres que le Dante, Petrarque, et les autres Poëtes Italiens, doivent la plûpart de leurs inventions. Jauffred Rudel, Bertrand d'Allamanon, Arnaud Daniel, Elzias de Barjols, Pierre de Vernegue, Guilhen d'Agout, Guilhen Adhemar étoient Gentilshommes et Poëtes de cette Cour.
Les Comtes de Champagne imiterent cette Magnificence et ces Galanteries [-301-] des Comtes de Provence; et de cette Cour de Champagne, elles passerent à celle de Bourgogne, dont Olivier de la Marche a décrit les Festins, les Noces, et les Tournois en ses Memoires. C 'est là que l'on voit que ce premier esprit de nos Poëtes, et de nos Musiciens avoit insensiblement degeneré, jusqu'à jntroduire dans ces Fêtes toute sorte d'extravagances et de simplicitez, comme des Musiques d'Asnes, de Loups, et d'autres Animaux avec des representations de Nains, de Geants, de Bergeres, et des Mysteres mémes de notre Religion.
Les Zapates, qui ne sont guere plus en usage qu'en la Cour de Savoye, sont une espece de présens qui se font le jour de saint Nicolas, avecque quelque addresse, qui surprend agreablement les personnes, à qui on fait ces presens, particulierement quand ils se font avec des machines et des representations, comme il s'en est fait de fort spirituels et de fort agreables en cette Cour là. Ce n'est pas du Soulier qui se dit Zapato en langue Espagnole, que ce nom est derivé, c'est de Zapata qui signifie le Cuir qui se met sous le Pivot des portes des maisons des pauvres gens, [-302-] et comme c'est par cét endroit que l'on fait glisser secretement les choses que l'on veut donner sans qu'on s'en apperçoive, on a donné le nom de Zapate à cette espece de present qui se fait avec ces surprises. L'usage en est venu d'Espagne, l'Infante Catherine, Fille de Philippe second et Epouse de Charles Emanuel Duc de Savoye, l'introduisit dans cette Cour. Le jour de la Fête de saint Nicolas n'y est destiné, que parce que ce Saint durant trois Nuits jetta secretement de cette sorte trois Bourses pleines d'argent pour marier trois pauvres Filles.
L'An 1667. le sujet du Sapate donné à Madame Royale par le Duc de Savoye son Epoux fut le Parnasse en Feste. Lorsque cette Princesse entra dans sa chambre, elle vit la face de son grand Alcove couverte, et sur le Milieu un Amour le Flambeau à la main suspendu par un merveilleux artifice, avec un Liston volant ou on lisoit ces mots,
JE CACHE ET JE DECOUVRE TOUT.
A peine la Princesse eut lû ces mots, que l'Amour faisant disparoître la toile [-303-] lui fit voir au lieu de son lit de parade, deux grandes pointes de Rocher élevées sur une Montagne dont l'entredeux étoit un agreable Vallon en forme de Theatre tel que les Poëtes ont depeint le Parnasse de la Phocide. C'est là que parut Apollon assis sur un Trone d'or. Il y avoit à ses côtez les neuf Muses couronnées de Fleurs, et toutes brillantes de Pierreries. Chacune d'elles portoit en sa main le Symbole de la Science ou de l'Art auquel les Poëtes feignent qu'elles president. On découvrit en méme temps dans deux Grottes, que la Nature sembloit avoir creusées exprés au pied de la Montagne, Orphée et Linus les deux fils bien-aimez d'Apollon, et aprés un excellent Concert d'Instrumens, ce Dieu du Parnasse se mit à chanter ces Vers.
Puisque de mon sacré Vallon
Un peuple barbare nous chasse
Cheres compagnes d'Apollon,
Establissons nôtre Parnasse
Sur ces Monts où regne aujourd'huy
Un jeune demi-Dieu de celeste origine,
Et fait regner une jeune Heroïne
Digne de son Trône et de lui.
A la voix d'Apollon, Orphée et Linus [-304-] sortirent de leurs Grottes, et luy répondirent.
Orphée.
Pour l'heur du monde elle est née
C'est la beauté destinée
Pour faire nôtre repos.
Linus.
C'est la Vertu couronnée
C'est la Reine fortunée
Du coeur de ce grand Heros, et cetera.
Aprés un Dialogue assez long entre Apollon et ces Poëtes, on tira du Rocher neuf pierres pretieuses que l'on mit entre les mains des Muses, pour les presenter à la Princesse.
Orphée donna à Calliope une Emeraude, Linus à Polymnie une Topase qu'elles allerent presenter à la Princesse. Aprés ce présent de ces deux Muses, Clion présenta un Diamant, et Uranie une Opale, Erato présenta une Amethyste, Thalie un Rubis, Euterpe presenta une Turquoise, Terpsicore un Saphir, et Melpomene un Hyacinte, chacune de ces Muses étoit vétuë de la couleur [-305-] de la Pierrerie qu'elle presentoit, et faisoit un recit pour en appliquer les rapports et les proprietez à la Princesse. Il y eut d'autres présens, entre autres d'un beau Cheval qui representoit Pegase, sur lequel un Turc étoit monté, qui parut tout à coup precedé de deux Mores Tymbaliers, et chanta un beau recit pour offrir ce Cheval à la Princesse.
Quoy que ce Sapate ait été des plus beaux que l'on eut vûs, celui de 1665, l'effaçoit entierement et par l'invention et par la multitude des présens accompagnez de devises propres de chaque chose que l'on presentoit.
Aprés un Concert de Violons, Mercure descendant du Ciel en vint faire l'ouverture assi sur un Cube d'or, et comme le Dieu du commerce, il invita toutes les Nations du monde à venir offrir leurs Tributs à la Princesse.
Sur le rapport d'Amour et d'Hymenée
Je descends des Cieux
Par ordre des Dieux
Pour honorer la Vertu couronnée.
Mais quel éclat vient éblouïr mes yeux?
C'est elle je la vois paroître
Cet air divin l'a fait assez connoître,
Qu'elle a de Majesté,
[-306-] De grace et de beauté.
Toute nôtre troupe immortelle
N'a rien d'adorable comme elle.
O Dieux que j'en suis charmé!
Et que le Heros de Savoye
Doit avoir de gloire et de joye
de l'aimer et d'en estre aimé.
Pour lui plaire
Je veux faire
Voir en un moment
Par enchantement
Tout ce qu'ont jamais eu de rare
De precieux et de joly
Et la terre la plus barbare
Et la Climat le plus poli
Peuples qui trafiquez sur la terre et sur l'Onde
Escoutez vôtre Dieu
Et de tous les Pays du monde
Pour recevoir mes loix rendez-vous en ce lieu.
A ce commandement de Mercure on vit des Marchands de toutes les Nations du monde, qui parurent tout à coup dans de grandes et de riches boutiques, qui s'ouvrirent dans la grande sale du Palais. Il y avoit huit boutiques, celle d'un Marchand Anglois où étoient étaléees des couvertures, des bas de [-307-] soye, des Jartieres, des quarreaux de satin, des rubans, et cetera. Celle d'un Marchand Venitien à l'enseigne du Lion couronné, étoit remplie de Glaces de Venise, de Verres de Chrystal, de Chandeliers, de Coupes, de Points de Venise, de Chemises, de Brassieres, de Brocards et Velours. La Boutique du Marchand Espagnol à l'enseigne des Châteaux de Castille, étoit remplie d'ouvrages de Filgrane, de Bourses de peau d'Ambre, de Gands d'Espagne, de Chocolat, de Pastilles, et cetera.
La Boutique du François à l'Escu de Françe faisoit voir une infinité d'Ouvrages, de grands Miroirs garnis, des Tables, des Buffets, et des Cabinets d'Ecaille de Tortuë, garnis de moulures d'argent et de Vermeil doré, des Coiffures, des Agenda, des Etuys, des Plaques, des Eventails, des Heures, des Ecrans, et cetera. Le Marchand Indien à l'enseigne du Soleil, avoit mille curiositez des Indes. Le Marchand Romain à l'Enseigne de l'Etoile avoit des Gands de Frangipane, et de Neroli, des Essences de toutes sortes, des Tableaux, des Statuës d'yvoire des Camayeux, des Vases, et cetera. La Boutique de [-308-] l'Alleman à l'Aigle Imperiale, avoit beaucoup de Vaisselle d'argent, et d'autres Marchandises d'Ausbourg, et de Nuremberg. Le Turc à l'Enseigne du Croissant avoit des Echarpes, des Nappes de la Chine, des Coupes de Cornaline, des Urnes de Jaspe, des Coutelieres d'Agate, plusieurs Bagues et Pierreries. Mercure invita la Princesse de faire aux Marchands l'honneur d'entrer dans leurs boutiques et d'y prendre ce qui lui aggréeroit davantage.
Chaque Marchand fit un Recit en sa langue pour inviter la Princesse à entrer dans sa Boutique, où Mercure la conduisoit. L'Anglois, et l'Alleman chanterent en Jargon François, mêlé d'Anglois, et d'Alleman fort plaisamment.
Le Marchand Anglois.
Moy courr' Est, Ouest, Sud and Nord
Dans mon petit maison de bois
Meilleur qu'à Douvren cette fois
Dans ce Wethal prender bon port.
Moy ne point aller Ameriq
Chercher Marchandiss, and richess
Quand moy voir vous le bell Duchess
Tout voir dans mon petit boutiq.
[-309-] Chaque Marchandise avoit une devise, d'un ou de deux Vers qui luy étoit attaché et qui faisoit allusion à la Princesse, comme sur quantité de rubans d'Angleterre de diverses couleurs, il y avoit.
Mes Couleurs sont les vôtres
Mais la vôtre efface les autres.
Pour des Buscs d'Yvoire.
Vous soûtenez assez sans nous la Majesté.
Je parlerai ailleurs de ces devises.
Chaque Marchand aprés avoir donné à la Princesse tout ce qu'il avoit de plus precieux et de plus rare, donna congé à ses Garçons qui sortirent tous en dansant une entrée de Ballet. L'Anglois dit aux siens
Moy n'avoir rien pour depenser
Braf Apprentifs congé vous diss,
N'estre chargé de Marchandiss.
Estre mieux Lingers pour danser.
Cependant Mercure invita Madame [-310-] Royale à passer dans la Boutique du Venitien, en lui disant.
Venez jusqu'à Venise, et ses Glaces fideles
Vous feront voir encor mille choses plus belles.
Le Marchand Venitien l'invita à acheter de lui par ce Recit en son Langage.
Comprè put quest ópre rare
Ricco e sol chi sta nel mare.
Mi me sento liquefar
Dal contento e dalla Zoia:
Le ve miro digo moia,
Non vùo vender, mà donar,
Son Zecchin vostr' occhi chiari,
Ghe me servon per danari.
Aprés avoir vendu à la Princesse, il donna congé à ses garçons en leur disant de danser à la façon de leur pays.
Miei compagni sù spieghè
Vostra scienza nel danzar,
E monstrè che de vu al par
Hò ghe fu, e no ghe xè
Nostra merce e zà venduda,
[-311-] Sona qui tanti zechini,
Che ci fanno rallegrar
Vù cò salti, e co gli inchini
Non vende convien comprar
Queste gratie col ballar.
Le Marchand François et sa Femme qui étoit avec lui dans la boutique selon l'usage de nôtre Nation, chanterent ce Dialogue.
Damon
Nous avons tout donné, nous n'avons rien vendu
Philis
A ce Marché, Damon, nous n'avons rien perdu
Et nôtre bon-heur est extrême.
Damon
Quoy nôtre bon-heur est extrême
Et sans biens nous serons heureux?
Philis
Nous le serons si tu le veux
[-312-] Donnons nous encore de même
Damon
Je le veux, Philis.
Philis
Damon je le veux
Damon
Donnons nous tous deux.
Philis
Donnons nous tous deux.
Tous deux ensemble
Estre à cette beauté supreme
C'est estre pour jamais heureux.
Damon
Je le veux Philis
Philis
Damon je le veux
[-313-] Damon
Donnons nous tous deux.
Philis
Donnons nous tous deux, et cetera.
Ils donnent aprés congé à leurs garçons.
Puisqu'ainsi nous n'avons plus rien.
Cherchez fortune, Camarades,
Vous avez mangé nôtre bien
Payez nous du moins en Gambades.
Le Sapate de l'an 1633. n'étoit pas si magnifique mais il ne fut pas moins agreable, c'étoit des Courriers de tous les endroits du monde addressez à diverses Dames de la Cour, à qui chacun fit son Recit. Ils firent une plaisante Musique, à la porte de l'Hôtellerie, d'ou l'Hôte, l'Hotesse, les Serviteurs et les Servantes firent une entrée de Ballet. Les Courriers, la bouteille et le Verre à la main, chanterent à toutes les fenestres de l'Hôtellerie, et rentrant avec leurs Valises sur le [-314-] Theatre, les deployerent pour faire leurs presens aux Dames.
Une autre année le Duc de Savoye fit paroître toutes les Provinces de ses Etats conduites par le Devoir, le Respect et l'Amour filial, et chacune d'elles fit son present à Madame Royale mere du Duc. Cette Fête, fut intitulée Don du Roi des Alpes. Dono del Ré dell Alpi.
Tous les garçons ensemble de diverses Nations, firent le grand Ballet, par lequel finit cette Fête l'une des plus spirituelles et des mieux entenduës que l'on eut encore vûes.
Je ne puis quitter cette Cour, ou l'esprit, la magnificence, la Vertu, l'addresse, et la generosité regnent depuis si longtemps, et se font voir à presens avec tant d'éclat sous la conduite aussi sage qu'heureuse de Madame Royale, je ne puis dis-je quitter cette Cour sans parler de deux ou trois autres petites Fêtes, qui pour avoir été plus precipitées, et comme des Impromptu, n'en furent pas moins agreables. Car il n'est rien de si propre pour ces Impromptu, que ces petites actions en Musique, ou cinq ou six Chansons, et trois ou quatre Entrées de Ballet liées [-315-] ensemble avec un peu d'invention, font toûjours un fort bel effet.
L'An 1666. le Duc de Savoye ayant été obligé de quitter sa Cour pour quelque temps, et d'aller sur les Frontieres de ses Etats pourvoir à leur sureté, on donna en son absence un petit divertissement en Musique à Madame Royale son Epouse, sous le titre de LA VERTU CONSOLÉE. On feignit en cette action que le Merite fidele Amant de la Vertu s'étant éloigné d'elle pour quelques jours, elle alla dans la solitude et entra dans une sombre Forest pour n'y étre qu'à elle-méme en un temps, ou rien n'étoit capable de lui plaire, son cher Epoux étant absent.
Un Berger qui l'apperçût dans cette solitude, se mit à chanter avec un Theorbe qui accompagnoit sa voix.
C'est la Vertu dont les beaux yeux
Esclairent cette solitude,
Sans doute elle vient en ces lieux
Divertir son inquietude;
Elle pourra trouver icy
Un pront remede à l'ennuy qui l'accable
De ces bois innocents la Deesse adorable
A le secret de charmer le soucy.
[-316-] Jugeant a voir son inquietude qu'elle avoit besoin de repos, il l'invite à s'asseoir sous un Arbre, ou il sembloit que la Nature eut pris soin de lui preparer un Trône, et lui dit en continuant de chanter
Sous ces ombrages verds
Reposez, adorable, Reine
Et par nos rustiques Concerts
Nous tâcherons d'adoucir vôtre peine
La Vertu que la foule gesne
Est en repos au milieu des deserts.
A la priere de ce Berger, la Vertu s'assied, et fait asseoir auprés d'elle la Generosité sa Soeur, pour qui elle a la derniere tendresse; et tandis qu'elle entend un agreable Concert de Violons l'Amour du Heros qui sçavoit l'ennui que son absence causoit à la Vertu, perce l'endroit le plus épais du bois, et se presentant à elle, lui chante
Dans les plus sombres nuits
Des plus fâcheux ennuis
Ma pure et vive flame
Fait renaître le jour,
Et la tristesse sort d'une ame
Aussitôt qu'y paroist l'Amour.
[-317-] Vôtre aimable Vainqueur
M'envoye à vôtre coeur
Qui soupire sans cesse,
Annoncer son retour:
Chassez en toute la Tristesse
Et n'y souffrez plus que l'Amour.
Des Nymphes et des Bergeres lui font de semblables Recits, et dansent des Entrées de Ballet pour la divertir, mais voyant que son inquiétude ne cesse pas, des Bergers vont chercher deux Egyptiennes, pour apprendre d'elles ce qui peut chagriner cette Heroïne. Tandis qu'on les cherche on sert une Collation à la Princesse sur une Machine qu'elle fait tourner comme elle veut, pour faire part aux personnes de sa suite des douceurs de ce petit Regale. L'Amour et les Nymphes de la Campagne apportent des Corbeilles de fruits, et de Confitures. Aprés la Collation, les Egyptiennes viennent et disent la bonne avanture à la Princesse, et lui predisent le retour de son Epoux. Les Nymphes en témoignent de la joye par une Danse, aprés laquelle les Egyptiennes invitent la Princesse de chercher dans les Bois un present que l'Amour y a caché pour elle.
[-318-] Cherchez icy, Reine, cherchez
Des presens qu'Amour a cachez
Lui dit la premiere Egyptienne, et la seconde ajoûte
Foüillez au pied d'un arbre et vous y trouverez
Un don de ce grand coeur pour qui vous soupirez.
La Vertu aprés avoir cherché longtemps, trouve enfin au pied d'un arbre six grandes Caisses remplies de tout ce que la Coste de Nice a de plus rare et de plus beau, que le Duc envoyoit à son Epouse, et qu'il lui fit donner de cette maniere agreable, en cette piece qui tenoit en méme temps des Actions en Musique, des Festins accompagnez de Representations, des Ballets, et des Sapates.
On a coûtume en Italie de celebrer tous les ans par des réjoüissances publiques le jour de la naissance des Princes. Les Spectacles les plus ordinaires de ces Fetes sont des Carrousels, et des Tournois, des Comedies, des Actions en Musique, des Festins, des Feux d'Artifice, des Mascarades quand ces [-319-] Fêtes se trouvent au temps du Carnaval, des Presens, des Illuminations, des Chasses, des Courses sur la Neige, et sur la Glace suivant la saison, des Promenades, et des Jeux sur les Eaux. Voicy une liste de ces Fêtes de réjouissances faites dans la Cour de Savoye en ces sortes d'occasions.
Il Sol nascente nell oscurità del Tile Balletto d'Armi fatto da i Serenissimi Principi di Savoia nel giorno natale di S. A. S. l'anno 1609.
Le Soleil naissant dans l'obscurité de cette extremité du Monde, ou le Soteil ne se fait voir que de loin en certaine saison de l'Année, aprés avoir laissé ces Peuples durant plusieurs mois dans une profonde nuit, Ballet d'armes dansé par les Serenissimes Princes de Savoye l'an 1609. à l'occasion du jour anniversaire de la naissance de leur Pere le Duc Charles Emanuel.
L'Espugnatione dell' Isola di Cipro festa del serenissimo Principe nel giorno natale di sua A. S. l'anno 1611.
La Prise de l'Isle de Chipre, Feste du Serenissime Prince de Piedmont pour le jour de la naissance du Duc son Pere l'an 1611.
Gli Elementi gran Balletto e Torneo [-320-] rappresentati da sua Altezza Serenissima e dal Serenissimo Principe li 22. Genaro dell anno 1618.
Les Elemens grand Ballet et Tournoy representez par le Duc de Savoye et le Prince de Piedmont son Fils, l'an 1618. le 22. Janvier, jour de la Naissance du Duc.
I Tempii della Pace, e di Marte soura il Monte Parnasso. Balletto e Torneo con una cena alla Chinese fatti dal serenissimo Principe di Piemonte nel giorno natale di S. A S. l'anno 1619.
Les Temples de la Paix et de Mars sur le mont Parnasse, Ballet et Tournoy avec un Festin à la Chinoise faits par le Prince de Piedmont au jour de la Naissance du Duc son Pere l'an 1619
Il Giudicio di Flora nella Contesa delle Ninfe per la Corona de fiori festa per il natale di Madama Serenissima fatta in Torino l'anno 1620.
Le Jugement de Flore sur la dispute des Nymphes pour la Couronne de Fleurs à presenter à Madame Royale au jour de sa naissance Feste representée à Turin l'an 1620.
Le Deità Celesti, Aëree, Maritime e Infernali tributarie gran Balleto e Torneo per il giorno natale di S. A. S, l'anno 1621
[-321-] Les Tributs des Divinitez du Ciel, de l'Air, de la Mer, et des Enfers, grand Ballet et Tournoy pour la Naissance de son Altesse de Savoye l'an 1621
L'Amaranta favola pescatoria rappresentata dalle Serenissime Infante e loro Dame con gli intermedii de Balletti de Serenissimi Principi nel giorno natale di Madama Serenissima li 10. Febraro dell' anno 1621
L'Amarante action de Pescheurs representée par les Serenissimes Infantes de Savoye, et leurs Dames avec les Intermedes de Ballets dansez par les Serenissimes Princes le 10. Fevrier jour anniversaire de la Naissance de Madame Royale, que l'on ne nommoit alors, que Madame Serenissime, le Duc de Savoye n'ayant pas encore pris la qualité de Roy de Chipre, ny la Couronne fermée.
Balletto de i sette Rè della China fatto da S. A. S. per il giorno Natale di Madama Serenissima.
Ballet des sept Rois de la Chine fait par son Altesse Royale pour le jour de la naissance de Madame Royale.
Il Giubilo del Cielo e della Terra, festa fatta dal serenissimo Principe di Piemonte per il giorno natale di S. A. S. [-322-] li 22. Genaro dell Anno 1624.
La joye du Ciel et de la Terre, Feste pour le jour de la naissance du Duc de Savoye, par le Prince de Piedmont son Fils, l'an 1624.
Bacco Trionfante dell' Indie con Egloga, e caccia pastorale, festa fatta da i signori Paggi del Serenissimo Prencipe Mauritio Cardinale di Savoia per il giorno natale del Serenissimo Carole Emanuele primo Duca di Savoia in Roma li 22. Genaro dell' Anno 1624.
Bacchus triomphant des Indes avec une action en Musique et une Chasse Pastorale, Fête pour le jour de la Naissance de Charles Emanuel Premier, Duc de Savoye, par les Pages du Prince Cardinal Maurice de Savoye, à Rome le 22. Janvier 1624.
Il Monte Parnasso con le Muse, Teatro del Convitto fatto da S. A. S. a Madama Serenissima per il felicissimo giorno della sua nascità li dieci Febraro 1624.
Le Mont-Parnasse avec les Muses, Theatre du Festin fait à Madame Royale, le jour de sa naissance le 10 Fevrier 1624. par le Duc de Savoye.
Il Contrasto de Fautori e de Nemici delle Muse, Torneo fatto dal Serenissimo [-323-] Principe per la Nascita di Madama
Reale li 10. Febraro 1624.
La Querelle des defenseurs et des ennemis des Muses Tournoy fait par le Prince de Piedmont le jour de la naissance de Madame Royale.
Cadmo Vincitor del serpente, Torneo del Serenissimo Prencipe di Piemonte per gli anni felici de S. A. S. fatto alli 22. Genaro dell' Anno 1627.
Cadmus victorieux du Serpent, Tournoy du Prince de Piedmont pour les heureuses annés du Duc de Savoye son Pere le 22. Janvier 1627.
Arbitrio del Cielo nella nascita di Madama Serenissima rappresentata nel Palazzo di S. A. S. l'anno 1627.
La disposition du Ciel en la naissance de Madame Royale, representée en la Cour de Savoye l'an, 1627.
Il Prometeo che rubba il fuoco al Sole Balletto per la Nativita di S. A. S. l'anno 1627.
Promethée, qui derobe le feu du Ciel, Ballet pour la naissance du Duc de Savoye 1627.
Il Trionfo d'Amore Balletto a Madama Serenissima l'anno 1628.
Le Triomphe d'Amour Ballet pour Madame Royale l'an 1628.
[-324-] L'Alceo favola Pescatoria con gli Intermedii, e superbi doni portati dal Serenissimo Prencipe, e da suoi Cavalieri a Madama Serenissima rappresentata li 10. Febraro giorno della sua nascità l'anno 1628.
L'Alcée Action de Pescheurs avec les Intermedes et les superbes presens portez à Madame Royale le jour de sa naissance par le Prince de Piedmont et ses Cavaliers.
La Nave della Felicità accompagnata da tutte le Deità con le Musiche. Da i quattro Elementi fra le machine. Da Arione Dramma rappresentato in Musica Dal tempo con gli anni felici, delle quattro parti del mondo con i Balletti e dalle quattro stagioni con le dolcezze de loro tributi, festa fatta da S. A. S. per gli anni felici di Madama Serenissima.
Le Vaisseau de la Felicité accompagné de toutes les Deitez avec les Concerts de Musique, des quatre Elemens avec leurs machines; de la Representation en Musique, d'Arion, du Temps avec les années heureuses, des quatre parties du monde avec des Entrées de Ballets, des quatre Saisons avec le tribut de toutes leurs douceurs pour le Festin, Feste donnée par le Duc de Savoye [-325-] à Madame Royale le jour de la naissance.
Il ne s'est guere vû de Feste plus complette, plus magnifique et plus agreable que celle-là.
L'Eternita Balletto per il giorno natale di S. A. S. fatto l'anno 1629
L'Eternité Ballet pour le jour de la naissance de son Altesse l'an 1629.
Il Tempo Eterno gran Balletto di Madama Serenissima per il giorna natalitio di S. A. S. fatto l'anno 1630.
Le Temps éternel grand Ballet de Madame Royale pour le jour de la Naissance du Duc son Epoux l'an 1630.
La Felicità publica Balletto per la Natività di M. S. li 10. Febraro 1632.
La Felicité publique Ballet pour la naissance de M. R. l'an 1632.
La Caccia Teatrale rappresentata in Balletto nella villa del Serenissimo Prencipe Cardinale per la nativita di S. A. S. l'anno 1632.
La Chasse Theatrale representée en Ballet par le Cardinal de Savoye dans sa maison de Campagne pour la naissance du Duc son frere 1632.
Hinni natalitii per i Trionfi delle Allegrezze del mondo, festa solenne nella nascità del Serenissimo Prencipe di Piemonte [-326-] l'anno 1632.
Le Publiche Allegrezze fatte in Torino per la felice nascita del Prencipe di Piemonte Francesco Giacinto l'anno 1632.
Ce sont les Festes que l'on fit pour la naissance du Prince François Hyacinte qui succeda depuis au Duché, mais il mourut jeune, et laissa la Couronne à Charles Emanuel second.
L'Imperio d'Amore Torneo fatto nella nativita di M. S. l'anno 1633.
L'Empire d'Amour Tournoy pour la naissance de Madame 1633.
La Musica Balletto nel giorno natale del Serenissimo Prencipe Cardinale l'anno 1633.
La Musique Ballet pour celebrer le jour de la naissance du Prince Cardinal l'an 1633.
Descrittione del gran Balletto per gl' intermedii della Filli di Sciro rappresentata da Madama Seren. applaudendo al giorno natalitio del S. Prencipe Cardinale l'anno 1633.
Description du grand Ballet qui a servi d'intermedes à la Representation de la Philis de Sciro, faite par Madame Royale, pour celebrer le jour de la naissance du Prince Cardinal l'an 1633.
Il Teatro della vita. Givochi natalitii [-327-] de i Cavalieri della Corte della Reale Altezza di Savoia nel giorno annuo della nascita del Serenissimo Prencipe di Piemonte li 14. di Settembre dell' anno 1633.
Le Theatre de la vie réjoüissances des Cavaliers de la Cour de Savoye pour le jour anniversaire de la naissance du Prince de Piedmont, l'an 1633. le 14. Septembre.
Giano Pacifico, e guerriero festa, a Cavallo per il giorno natale di S. A. S. fatta dal Serenissimo Prencipe Cardinale alla sua vigna alli 8. maggio dell' anno 1634.
Janus Pacifique et Guerrier Feste à Cheval pour le jour natal de S. A. R. donné par le Cardinal de Savoye dans sa maison de Campagne le 8. May 1634. Comus Dieu des Plaisirs, Ballet pour M. R. l'an 1634.
La Verité Ennemie des apparences pour le Prince Cardinal l'an 1634.
Le Jugement de Paris pour M. R. Reine de Chypre l'an 1635.
L'Aveuglement Ballet pour la naissance du Prince Cardinal 1635.
Le Theatre de la Gloire pour M. R. l'an 1637.
La Battaglia de' Venti Festa Equestre nel palazzo con la corsa alle teste, e i givochi [-328-] Mercuriali Festa a piedi fatta nel salone del Palazzo dal Serenissimo Prencipe Tomaso per applaudere al giorno natale di M. R.
La Bataille des Vents feste à Cheval avec la course des Têtes, et les Jeux de Mercure, Feste à pied données par le Prince Thomas pour le jour de la Naissance de M. R. l'an 1640.
Gli applausi geniali, festa fatta in Nizza per gli anni felici di Mad. R.
Les applaudissemens publics de la Ville de Nice pour les heureuses années de M. R. l'an 1641.
La joye du Soleil pour la naissance de M. R. à Chamberi l'an 1641.
Nettuno pacifico festa Navale fatta in Nizza per gli anni felici della Serenissima Principezza Ludovica Maria li 28. Luglio dell' anno 1642
Neptune pacifique feste Navale donnée par la Ville de Nice pour celebrer les années heureuses de la Princesse Loüise l'an 1642.
Evento felice Epitalamio Drammatico per le Nozze de' Serenissimi Prencipi Mauritio e Ludovica Maria di Savoia rappresentato in Musica nel giorno felicissimo della Nascita di M. R. l'anno 1643
L'Evenement heureux Epithalame [-329-] dramatique representé en Musique le jour de la naissance de M. R. concourant avec les nopces du Prince Maurice avec la Princesse Loüise l'an 1643.
Le Phenix renouvellé, pour M. R. l'an 1644. la naissance de cette Princesse se trouvant le jour des Cendres. Ce Ballet se fit la veille à Fossan l'an 1644.
L'Herminie Pastorale representée avec des Intermedes de Ballets pour la naissance de M R. l'an 1645. par le prince Maurice.
Le don du Roy des Alpes, pour M. R. l'an 1645.
Les Réjoüissances faites à Nizze pour la naissance de M. R. par le Prince Maurice.
L'Oriente Guerrieroe festeggiante, Carosello, festa a Cavallo fatta al Valentino per il giorno natale di S. A. R. li 10. Giugno dell' anno 1645.
L'Orient en guerre et en feste Carrousel fait au Valentin, l'an 1645. pour la naissance du Duc de Savoye.
Les Tributs de la Mer offerts au Prince Maurice le jour de sa naissance à Nizze l'an 1646.
Les Conquerans libres et Captifs, Ballet dansé à Chamberi pour la naissance de M. R. l'an 1647.
[-330-] Les Prieres exaucés, Ballet dansé à Mondovi pour la naissance de M. R. l'an 1650.
Trattenimento boscareccio da cacciatori armonici concertato all' Altezza Reale di Carlo Emanuele Duca di Savoia e Re di Cipro nel giorno di sua nascita, e fatto rappresentare dal Marchese di san Germano nel suo luogo di Front l'anno 1656.
Entretien champêtre des Chasseurs harmoniques, divertissement donné au Duc de Savoye le jour de sa naissance par le Marquis de saint Germain dans son Château de Front, l'an 1656.
Le Printemps triomphant de l'Hiver, Ballet pour M. R. l'an 1657
La Naissance du Daufin de Françe celebrée par les Altesses Royales de Savoye l'an 1661.
La Naissance de l'Infant d'Espagne, celebrée la même, la même année.
Les Roses de Chipre, Ballet pour la naissance du Duc de Savoye au mois de Juin 1662.
La delivrance des Chevaliers de la Gloire par le grand Alcandre Gaulois, Ballet dansé à Avignon, avec des recits de Musique, pour l'heureuse naissance du Roy l'an 1638. par Monseigneur Federic Sforze alors Vicelegat et depuis Cardinal.
[-331-] Ces Fêtes ayant passé de la Cour de Savoye à celle des Electeurs de Baviere, par la Princesse Adelaïde, on y a vû plusieurs de ces Festes, dont voicy les principales.
Fama prognostica ad Cunas Serenissimi Principis Maximiliani Emanuelis.
Les presages de la Renommée auprés du Berceau du Prince Electoral Maximilien Emmanuel, l'an 1662.
I Colori geniali torniamento di luce dedicato dal Serenissimo Duca Elettore Ferdinando Maria alla festosa commemoratione del a felice nascita di Henrietta Adelaïde Serenissima Consorte.
Les Couleurs, Tournoy de lumiere dedié à la memoire de la naissance heureuse d'Henriette Adelaïde, par l'Electeur Ferdinand son Epoux, l'an 1669.
L'année auparavant, Madame l'Electrice avoit solennisé de cette sorte le jour de la naissance du Duc son Mary, et le sujet de la Feste fut le Berceau Electoral.
La Cuna Elettorale trattenimento notturno festeggiato la sera del giorno natalitio di Ferdinando Maria Ducca dell' una e dell' altra Baviera Elettore dell S. R. I. per comando della Serenissima Elettrice.
La méme année, au lieu du Wirschafftt [-332-] ordinaire, on fit une Bergerie, ou les Festes de Palés Feste de Campagne. Tout étoit tendu de Tapisseries, de fueillages, et toute la Cour étoit deguisée en Bergers, Paysans, Moissonneurs et autres gens de Campagne, avec tous les Instrumens propres à cultiver la terre, à semer, à moissonner, à vendanger, à sarcler, à planter, à couper les Bois, à faire le Beurre et le Fromage, et cetera sous ce titre L'Età d'argento Pastorale tacitamente rappresentata dalla Serenissima corte Elettorale di Baviera, Sur la porte du Palais étoit cette Inscription.
Rus placet nobis; coluere quondam Dii quoque Silvas.
L'Electrice qui se plaisoit aux Allegories, et qui avoit fait dans son Palais un agreable Cabinet des Mysteres du coeur peints ingenieusement en emblêmes, en devises, en Symboles et en Chiffres, fit representer le 6. Novembre de l'an 1668. une de ces Allegories, sous le titre des Festes de Lucine, Sacrifices militaires preparez à Lucine par Hymenée et celebrez des Peuples de Syrie, et de Rhodes au jour solennel de la Consecration de la nouvelle Dedalie, autrefois [-333-] Ville celebre dans l'ltalie, et depuis province d'Amour en Baviere. C'étoit une piéce de la Nature de la Carte de Tendre de Mademoiselle de Scuderi, et de l'Eutopie de Morus. Il y eut au milieu de cette Féte un Episode dramatique d'une petite action en Musique, et tout finit par une espece de Carrousel.
J'ay entre les mains toutes ces Festes et plus de deux cents autres de diverses Cours de l'Europe, et c'est sur ces representations, et sur les regles des Anciens que jay dressé le plan de tous les spectacles dont je traiteray dans la philosophie des Images.
FIN.
[-334-] TABLE DES MATIERES CONTENUES EN CE VOLUME.
BOn et mavais usage des Representations en Musique 2
Du Chant. 6
De la Musique. 7
Musique des Hebreux. 8
Cantique des Cantiques, Representation en Musique. 23
Musique des Grecs. 36
Musique de l'Eglise. 39
Poësies chantées. 44
Tragedie et Comedie des Anciens. 49
Mere folie de Dijon et d'autres lieux plaisanteries de Carnaval. 52
Musique et Peinture des Chinois 60
Actions en Musique. 67
Sonnet pour monsieur le Brun. 72
Devise pour monsieur Mignard. 73
Comparaison de la Peinture et de la Musique. 73
Trois especes de Musique, la Diatonique, la Chromatique et l'Enharmonique. 74
[-335-] Des Choeurs de la Comedie. 80
Des Effets de la Musique des anciens Grecs 86
Trois sortes d'Instrumens; ceux qui se battent comme le Tambour: ceux que l'on souffle, comme la Flûte, et ceux que l'on touche, comme le Luth. 99
Difference des Tons pour la Declamation. 105
Caracteres des Nations pour la Musique. 107
Effets de la Musique des Hebreux. 113
Principes du son. 117
Du Tambour et de ses usages. 120
Musique à plusieurs parties parmy les Grecs. 128
Neuf emplois de la Musique des Anciens. 133
Musique Dramatique 134
Nôtre Langue propre pour la Musique Dramatique. 150
Musique Dramatique a commencé en France par des Pelerins. 152
Rêtablissement de la Musique Drammatique en Italie. 155 164
Action en Musique à Tortone pour les Nopces du Duc de Milan. 157
Baif tente le premier en France ces actions en Musique 166
Oeconomie des Actions en Musique 167
Decorations et leur varieté. 171
[-336-] Commencement des Opera en France. 178
Procession avec des machines et des Representations. 180
Chant Dramatique dans l'Eglise 185
Motets à chanter de monsieur Charpentier. 191
Balet Comique de la Reine Catherine de Medicis. 192
L'Orphée representé en France.195
Le Sieur Perrin commence en France les Opera. 207
Action en Musique pour la Paix, representée à Mayence. 220
Feste en Musique preparée pour le Roi. 232
Establissement d'une Academie de Musique à Paris. 236
Vers pour les Opera. 242
Divers noms des actions Dramatiques de Musique. 248
Plusieurs de ces actions dans tout le reste de l'ouvrage.
Des Festins accompagnez de Musique. 267
Wirschaft dans les Cours d'Allemagne. 283
Sapates de la Cour de Savoye.301
Liste de plusieurs Festes ou Representations en Musique de la Cour de Savoye, et de celle de Baviere, pour le jour de la Naissance des Princes 319