TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Bethizy, Jean Laurent de
Title: Exposition de la théorie et de la pratique de la musique, Premiere Partie
Source: Exposition de la théorie et de la pratique de la musique, Suivant les nouvelles découvertes, 2e éd. (Paris: F. G. Deschamps, 1764), i-xvj, 1-55.
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[-iij-] EXPOSITION DE LA THÉORIE ET DE LA PRATIQUE DE LA MUSIQUE, Suivant les nouvelles découvertes.
Par Monsieur de Bethizy.
Seconde Édition
Corrigée et augmentée par l'Auteur.
A Paris.
Chez F. G. Deschamps Libraire, rue Saint Jacques, aux Associés.
M. DCC. LXIV.
Avec Approbation et Privilége du Roi.
[-v-] PRÉFACE
Mettre à la portée du commun des Lecteurs la Théorie de la Musique, et leur donner dans un grand détail les régles de la Composition, voilà ce que je me suis proposé et ce que je crois avoir exécuté dans cet Ouvrage.
La Théorie de la Musique a fait de grands progrès par le moyen des nouvelles découvertes. Réduite auparavant aux calculs des intervalles, elle est devenue un systême lumineux, où l'on remonte à l'origine de la Mélodie et de l'Harmonie, où la succession de certains accords qu'on appelle fondamentaux est fixée et détermine celle des autres accords, où les régles de la Composition sont fondées, non sur le seul jugement de l'oreille, mais sur des raisons qui contentent l'esprit.
Quelle obligation les Musiciens et les Amateurs n'ont-ils pas à l'Auteur de ces découvertes? Et avec quel empressement devroient-ils tâcher d'en profiter? Beaucoup [-vj-] coup d'entr'eux néanmoins les ignorent encore. Quelques-uns même en font peu de cas, parce que sans elles on a fait et l'on fait de bonne musique. D'autres sans les connoître les admirent d'après ceux qui les connoissent, et bornés à un éloge stérile négligent par paresse de les apprendre, ou rebutés après quelques tentatives abandonnent une étude qui leur paroît trop épineuse.
Quand les nouvelles découvertes ne seroient d'aucune utilité pour la Pratique, tout Compositeur, homme d'esprit, ne devroit-il pas faire tous ses efforts pour s'en instruire? Tout homme d'esprit ne doit-il pas être curieux d'appercevoir les raisons de ce qu'il fait? N'est-ce pas pour lui un plaisir, un honneur? Sans cette connoissance, si belles et si régulieres que soient ses productions, il n'est qu'un artiste habile; avec cette connoissance il est un artiste sçavant. Car on n'est véritablement sçavant dans un art, que lorsqu'on en voit les régles dans les principes de théorie qui en sont les sources.
Mais on se trompe, lorsqu'on pense que les nouvelles découvertes ne servent point à la Pratique. Par leur moyen elle est devenue beaucoup plus aisée et plus sûre.
[-vij-] Elle est devenue beaucoup plus aisée. Un Maître, suivant l'ancienne maniére de l'enseigner, donne à ses Ecoliers un certain nombre de régles, et pour le reste les renvoie à l'usage, c'est-à-dire, au travail et à la lecture des meilleures piéces de Musique. Il faut que les étudians, du moins pour la plûpart, s'exercent fort long-tems à la composition sous les yeux de ce Maître, avant qu'instruits par leurs fautes ils n'en fassent plus. Ils ont beau consulter d'excellens Auteurs: leurs progrès ne sont jamais bien rapides. Ils découvrent à la vérité mille choses qu'ils ne sçavoient pas; mais ces choses qu'ils voudroient retenir, n'étant point rassemblées ni liées entr'elles par un systême, échapent à leur mémoire, et ne s'y fixent qu'après avoir été oubliées et rapprises bien des fois. Suivant la nouvelle maniére, un Maître peut donner en peu de tems toutes les régles et les exceptions, même les plus singulieres. Ces régles unies entr'elles par un systême se gravent profondement dans l'esprit, et les Ecoliers apprennent plus en quelques mois, qu'ils n'auroient appris en plusieurs années.
Les nouvelles découvertes sont donc très-utiles aux Ecoliers, parce qu'elles abrégent considérablement l'étude de la composition. Elles ne sont point inutiles aux [-viij-] Maîtres mêmes: elles rendent la Pratique plus sûre. Si l'on a fait et si l'on fait encore sans elles un grand nombre de morceaux réguliers, on a fait aussi beaucoup de morceaux défectueux pour les avoir ignorées; et des Auteurs fameux, trompés par leur oreille, sont tombés dans des fautes, qu'ils auroient évitées s'ils eussent été guidés par les principes modernes.
Ces Principes facilitent, assurent et perfectionnent la Pratique. L'ignorance et la jalousie leur contestent injustement ces avantages. Mais la difficulté de s'en instruire a rebuté pendant long-tems la plûpart des Musiciens et des Amateurs. Pour les aider je leur ai offert cet Ouvrage, dont le plus grand mérite est l'ordre et la clarté.
En le faisant, j'ai cherché tous les moyens possibles de me faire entendre. Peut-être même quelques personnes trouvent-elles, que pour me rendre intelligible, j'ai trop étendu certains endroits. En ce cas je prie ces personnes de penser que je n'ai pas écrit pour elles seules, et que j'ai mieux aimé être trop diffus pour quelques Lecteurs, qu'obscur pour les autres.
J'ai voulu mettre les nouvelles découvertes et en général la Théorie de la Musique à la portée de tout Lecteur capable de quelque attention. Quand je dis de tout [-ix-] Lecteur, je suppose qu'une personne qui ne lit point la Musique, ne s'avisera pas d'en étudier la Théorie, encore moins la Pratique. Je ne sçais si je me trompe, mais l'ordre dans lequel j'expose cette Théorie qui fait partie de la Physique et des Mathématiques, et les tables que j'ai faites pour l'intelligence des calculs qu'elle demande, la rendent, ce me semble, très-facile, non-seulement pour ceux qui sont accoutumés à des études abstraites, mais même pour le commun des Lecteurs; et je me flatte d'avoir enfin achevé de déchirer le voile, qui la cachoit en tout ou en partie à la plûpart des Musiciens et des Amateurs qui avoient essayé de l'apprendre. Je n'ai pas poussé les calculs aussi loin que j'aurois pû. Ce que j'en ai dit, suffit pour la connoissance des principales espéces d'intervalles musicaux, et met un Lecteur curieux à même de faire sur ce sujet toutes les recherches qu'il lui plaira.
En développant les nouveaux principes, j'ose abandonner quelquefois leur illustre Auteur, et combattre quelques-uns de ses sentimens. J'ai esperé qu'on me pardonneroit cette hardiesse. On doit du respect et de la reconnoissance à ces hommes rares qui sont les lumiéres de leur siécle, et qui par d'heureuses découvertes ont perfectionné [-x-] les sciences et les arts: on ne leur doit pas une soumission aveugle. Il m'a donc été permis de m'écarter quelquefois des idées et du langage de l'Auteur dont j'expose le systême. Mais je n'ai pas substitué mes sentimens et mon langage aux siens. J'ai eu soin de rapporter ce qu'il disoit et ce qu'il pensoit, et de faire voir en quoi et pourquoi je ne le suivois pas. Si lorsque je me suis éloigné de lui je me suis égaré, mes erreurs ne sont pas considérables. Elles n'intéressent ni la Pratique, ni le fond du systême que j'entreprends d'expliquer.
Quant à la Pratique, je me suis proposé d'entrer dans le détail le plus scrupuleux des régles et des exceptions. J'ai distingué ce qui est naturel d'avec ce qui est licence, ce qui est plus naturel d'avec ce qui l'est moins, et les licences qui sont d'un usage fréquent d'avec celles qui sont extraordinaires. Malgré mon application et mes soins plusieurs choses manquent à ce détail dans la premiere Edition: on les trouvera dans celle-ci.
J'ai tâché d'éclaircir par un grand nombre d'exemples ce que j'avançois. Je n'ai presque jamais rien présenté à l'esprit, que je ne l'aie offert ensuite aux yeux; parce que j'ai pensé que ce que plusieurs Lecteurs ne comprendroient pas d'abord, ils le faisiroient à la [-xj-] vûe de l'exemple. On voit par conséquent dans les exemples, outre les maniéres communes de pratiquer l'harmonie, les suites d'accords les plus singulieres.
J'ai joint au détail des régles plusieurs réflexions propres à perfectionner les talens d'un jeune Compositeur, à le mettre en état d'apprétier les piéces de musique qu'il entend et qu'il voit, et à la préserver de certains écarts que le mauvais goût admire comme sçavans, et que le bon goût condamne comme ridicules. En un mot, j'ai voulu qu'avec du bon sens et de la mémoire, on pût par le seule lecture de ce Livre, acquérir des connoissances qui ont couté jusqu'à nos jours beaucoup de tems, de recherches et de peines.
Quelle satisfaction pour les Ecoliers, si j'ai atteint, comme j'ai lieu de m'en flater, le double but que je me suis proposé, d'achever d'éclaircir la Théorie, et de leur faire appercevoir jusqu'aux ressorts les plus secrets du méchanisme de l'art! Une lecture réfléchie les met en peu de tems au niveau des plus grands Maîtres, non pour le genie que l'étude ne donne point, ni pour la facilité exécuter les régles qui ne s'acquiert que par l'usage, mais du moins pour la connoissance de la Pratique. Ils se voyent même en quelque maniére au-dessus [-xij-] de tous ceux qui ignorent les nouveaux principes, parce qu'ils apperçoivent dans ces principes la liaison des régles entr'elles, et les raisons sur lesquelles les régles sont fondées.
L'accueil que le Public a fait à la premiere Edition de cet Ouvrage, m'oblige d'en donner une seconde. J'ai ajouté dans celle-ci ce qui manquoit dans l'autre au détail des régles, et j'y ai corrigé quelques défauts d'exactitude qui se trouvoient dans certaines expressions. J'espere par conséquent qu'elle sera encore mieux reçue que l'autre, et que le Public me sçaura gré des soins que j'ai pris pour perfectionner un Ouvrage, dont j'ose dire qu'il a reconnu l'utilité.
[-xiij-] TABLE DES CHAPITRES ET DES ARTICLES.
PREMIERE PARTIE. DE LA MÉLODIE.
CHAPITRE I. Des Modes. page 8
Article I. Du Ton et du Demi-ton. 8
Article II. Du nombre de tons et de demi-tons qui se trouvent entre la note principale et chacune des autres notes d'un mode. 13
CHAPITRE II. Des deux différens goûts de chant dont les modes sont susceptibles. 16
Article I. De la Modulation majeure. 18
Article II. De la Modulation mineure. 19
CHAPITRE III. Des diverses maniéres d'employer les modes. 21
Article I. Du Mode principal. 23
Article II. Des Modes qu'on peut enchaîner au mode principal. 26
Article III. Des différentes maniéres de terminer un mode. 34
[-xiv-] CHAPITRE IV. Des suites de sons qui n'appartiennet à aucun mode. 41
CHAPITRE V. Des moyens de reconnoître le mode principal et les autres modes, ou du moins une partie des autres modes d'un chant, et le goût que l'Auteur a donné à chacun d'eux. 42
Article I. des moyens de reconnoître le mode principal d'un chant, et l'espece de modulation de ce mode. 43
Article II. Des moyens de reconnoître du moins une partie des modes enchaînés au mode principal d'un chant, et l'espece de la modulation de ces modes. 50
SECONDE PARTIE. DE L'HARMONIE.
CHAPITRE I. Des accords formés par deux notes. 58
CHAPITRE II. De l'origine des accords. 64
Article I. De l'accord rendu par les corps sonores lorsqu'ils resonnent. 64
Article II. De l'accord indiqué par un effet de la resonnance des corps sonores. 71
Article III. Des moyens par lesquels l'art a tiré des deux accords primitifs tous les autres accords. 76
CHAPITRE III. De la basse fondamentale et de sa marche dans un même mode. 79
CHAPITRE IV. Des rapports des intervalles qui se trouvent dans les modes. 99
[-xv-] Article I. Exposition des rapports des intervalles qui se trouvent entre les notes des modes. 100
Article II. Propositions de théorie tirées des rapports des intervalles qui se trouvent dans les modes, ou demontrées à leur occasion. 111
CHAPITRE V. Du Temperament. 126
CHAPITRE VI. Des mouvemens de la Basse fondamentale dans les changemens de mode. 137
CHAPITRE VII. Des mouvemens de la Basse fondamentale dans les endroits où il n'y a point de mode. 149
Article I. Des suites de dominantes simples. 150
Article II. Des notes censées toniques. 160
CHAPITRE VIII. Des mouvemens de la Basse fondamentale dans certains genres particuliers de Musique. 167
Article I. Du Chromatique. 168
Article II. De l'Enharmonique, du Diatonique enharmonique et du Chromatique enharmonique. 176
CHAPITRE IX. Des différentes maniéres de composer la Basse fondamentale sous un même chant. 182
CHAPITRE X. Des Cadences musicales. 185
CHAPITRE XI. Des notes qui forment harmonie. 188
CHAPITRE XII. Énumération des accords. 195
CHAPITRE XIII. Observations importantes sur les accords. 213
CHAPITRE XIV. De la maniere de bien employer les accords et de bien composer un tout harmonique. 229
CHAPITRE XV. De la Basse continue. 236
Article I. De la Basse continue considérée par rapport à l'harmonie. 237
Article II. De la Basse continue considérée par rapport à la mélodie 260
CHAPITRE XVI. Des Parties supèrieures. 266
[-xvj-] CHAPITRE XVII. Du Duo, du Trio et des Pièces à quatre ou à plus de parties. 275
Article I. Du Duo. 275
Article II. Du Trio 278
Article III. Des pièces à quatre et à plus de parties. 282
CHAPITRE XVIII. Des Voix et des Instrumens. 300
Article I. Des Voix. 301
Article II. Des Instrumens. 304
CHAPITRE XIX. De l'Imitation et de la Fugue. 308
Fin de la Table des Chapitres et des Articles.
[-1-] EXPOSITION DE LA THÉORIE ET DE LA PRATIQUE DE LA MUSIQUE,
Suivant les nouvelles découvertes.
LA Musique Pratique, ou la Composition, est l'art de faire des chants, et d'en faire qui plaisent étant exécutés ensemble.
Une suite de sons, qui en se succédant les uns aux autres flattent l'oreille, forme un chant, et s'appelle Mélodie. Le chant et la mélodie sont par conséquent la même chose.
L'union ou le mélange de plusieurs sons, qui entendus ensemble font un bon effet, s'appelle Accord. Une suite agréable d'accords forme plusieurs chants qui plaisent exécutés en même-tems, et s'appelle Harmonie.
La mélodie et l'harmonie viennent d'une même [-2-] source. Cette source est une certaine basse appellée fondamentale, basse ignorée jusqu'à nos jours, et dont on doit la connoissance à Monsieur Rameau, qui par cette découverte a commencé à dissiper l'obscurité répandue sur la théorie de l'harmonie.
Avant que ce célebre Musicien eût pénétré les mystères de son art, on avoit fait de fort grands progrès dans la pratique. Beaucoup de Maîtres de différens pays, et principalement d'Italie et de France, s'étoient fait un grand nom par des productions admirables. Ces Auteurs avoient des régles, mais ils en ignoroient le principe. Ces régles avoient été trouvées par un instinct qui avoit fait faire des essais, et qui avoit sçu discerner par leur moyen ce qui étoit agréable d'avec ce qui ne l'étoit pas. Cet instinct étoit cette même basse fondamentale dont je viens de parler. Car elle a été le guide invisible des inventeurs des régles, et de tous les Musiciens qui ont travaillé avant les nouvelles découvertes. Elle l'est encore de ceux qui composent sans avoir appris le nouveau systême, et de ceux même qui sans aucune teinture de musique font des chants réguliers. C'est un sentiment qui a suppléé, et qui supplée encore à la connoissance.
La musique a donc été jusqu'à nos jours un pays ténébreux, où l'oreille et le coeur goûtoient de grands plaisirs, et où l'esprit ne voyoit presque rien. Cet art charmant qui a toujours fait les délices de l'Univers, n'avoit, pour ainsi dire, point de théorie. Monsieur Rameau par ses sçavantes recherches lui en a trouvé une, et s'est fait par ce moyen, comme par ses ouvrages de pratique, une réputation immortelle.
[-3-] Il a d'abord apperçu la basse fondamentale. Il a remonté ensuite au principe de cette basse, que la nature nous offre dans tout corps sonore, il a vu que la marche de cette basse produisoit la mélodie et l'harmonie, il nous a tracé cette marche; et par ces découvertes il a créé, pour ainsi dire, la théorie de son art, et en a facilité la pratique, dont il a lié les régles les unes aux autres, en les faisant couler toutes d'une même source.
C'est en suivant son systême que je vais donner la Théorie de la Musique, et le détail des régles de la Composition.
La composition a deux objets, la mélodie et l'harmonie. L'une et l'autre viennent de la basse fondamentale. Il sembleroit donc que je devrois parler d'abord de cette basse, en exposer le principe, en tracer la marche, et tirer de cette marche la mélodie et l'harmonie. Mais cet ordre qui paroît le plus naturel, m'obligeroit à traiter en même tems de l'une et de l'autre: car on ne peut pas sans parler d'harmonie, tirer de la basse fondamentale la mélodie. Tous les chants viennent de cette basse, parce qu'ils sont tous renfermés dans les accords qu'elle porte. L'on ne peut donc les tirer de cette basse, sans parler de ses accords et de son harmonie.
Or j'ai cru devoir parler séparément de la Mélodie et de l'Harmonie, quoiqu'elles viennent d'une source commune. Ainsi j'ai divisé ce Traité en deux Parties. Dans la premiere je fais voir ce qui constitue la mélodie; et sans remonter à son origine, je me contente d'exposer ce qui entre dans la composition des chants. Dans la seconde, qui est beaucoup plus longue que la premiere, je [-4-] traite de l'harmonie, j'en découvre l'origine, je fais connoître la basse fondamentale, je donne les régles de cette basse, je montre comment elle engendre la mélodie et l'harmonie, et je donne ensuite toutes les autres régles et toutes les autres connoissances nécessaires pour composer toutes sortes de piéces de musique.
[-5-] PREMIERE PARTIE.
De la Mélodie.
LA Mélodie en général est la suite agréable des sons. Une suite agréable de sons forme un chant. Le chant et la mélodie sont par conséquent la même chose, comme je l'ai déja dit.
Les tons ou modes, deux différens goûts de chant dont ils sont susceptibles, les diverses maniéres dont ils sont employés, les suites de sons qui ne sont d'aucun mode, les valeurs des notes, les mesures et les intervalles font l'agrément et la variété des chants. Ainsi pour donner, autant qu'il est possible en cette partie, une connoissance exacte de la mélodie ou du chant, je parlerai premier des modes; deuxiéme des deux différens goûts de chant dont ils sont susceptibles; troisiéme des diverses maniéres d'employer les modes; quatriéme des suites de sons qui n'appartiennent à aucun mode; et pour terminer cette partie, je donnerai les moyens de reconnoître le mode principal et les autres modes, ou du moins une partie des autres modes d'un chant, et le goût que l'Auteur a donné à chacun d'eux.
Je ne dirai rien des valeurs des notes ni des mesures, parce que je suppose qu'on ne s'avisera pas de lire cet Ouvrage avant d'avoir appris la musique. Quant aux intervalles, je commencerai à les faire connoître en parlant des modes, et l'on trouvera dans la Seconde Partie ce qui manquera sur ce sujet dans celle-ci.
[-6-] Avant de parler des modes, je ferai une observation sur ce terme Mode, qui a été employé jusqu'à présent de différentes maniéres.
Monsieur Rameau, dans son Traité de l'Harmonie, dit qu'il n'y a que deux Modes et vingt-quatre Tons. Dans la Génération harmonique, il répéte qu'il n'y a que deux modes, le majeur et le mineur, et dans la suite il en admet davantage; mais il avertit que la distinction qu'il en fait, ne consiste que dans la différence des sons qu'on peut prendre à son gré dans l'un ou dans l'autre pour principaux.
L'Auteur des Élémens de Musique théorique et pratique reconnoît de même deux modes, le majeur et le mineur, et ensuite vingt-quatre dont il fait l'énumération page 146 de la premiere édition, et 179 de la seconde.
Chacun de ces Auteurs, en admettant tantôt deux et tantôt plus de modes, ne se contredit point réellement; et quoique je n'admette que douze modes, je pense au fond comme eux.
Lorsque de plusieurs notes qui forment un trait de chant l'une est principale, il y a un mode. Ainsi le mode en général consiste dans la subordination des notes d'un chant à l'égard d'une note comme principale.
Lorsqu'une note est principale, elle peut avoir deux dégrés au-dessus d'elle deux notes différentes, tantôt l'une, tantôt l'autre. Par exemple, quand ut est principal, il peut avoir deux dégrés au-dessus de soi tantôt mi naturel et tantôt mi [rob]. Les deux notes qui peuvent être deux dégrés au-dessus d'une principale, forment chacune un goût de chant particulier. Ainsi chaque endroit d'un chant où il y a [-7-] un mode, est susceptible de deux goûts. C'est ce qui a fait dire qu'il y avoit deux modes.
Toutes les notes peuvent être principales, chacune à leur tour. On a réduit le nombre des notes à douze, pour une raison que je dirai. Quand l'une d'elles est principale, le chant est, comme je viens de le dire, susceptible de deux goûts. Leur nombre multiplié par celui de ces deux goûts a fait dire qu'il y avoit vingt-quatre modes.
Ainsi quand on dit qu'il n'y a que deux modes, on ne parle que des deux goûts de chant dont le mode en général est susceptible. Quand on dit qu'il y en a vingt-quatre, on a égard au nombre des notes qu'on a réduit à douze, et aux deux goûts de chant qui peuvent se trouver dans les endroits où l'une d'elles est principale.
Monsieur Rameau et l'Auteur des Élemens ne se contredisent donc point, en admettant quelquefois deux modes seulement, et une autrefois davantage. J'ai cru néanmoins, en pensant comme eux au fond, devoir éviter cette variété de langage. Ainsi je fais consister le mode en général dans le subordination des notes du chant à une note comme principale; j'appelle modulation les deux goûts de chant dont le mode en général est susceptible; et comme on a borné le nombre des notes à douze, je dis qu'il y a douze modes, à chacun desquels on peut donner tantôt l'une et tantôt l'autre des deux modulations.
Quelqu'un dira peut-être que ce terme Modulation exprime la succession des modes. J'en conviens; mais rien n'empêche qu'il ne signifie aussi les deux goûts de chant qu'on peut donner à un mode. Le mot Ton exprime, suivant l'usage universel, [-8-] trois choses différentes, comme je le dirai incessamment. Ce terme Modulation en peut donc bien exprimer deux, sans causer de confusion. Quand quelqu'un dira, la modulation de tel air est admirable; on verra bien qu'il parlera d'un succession agréable de modes. Quand il dira la modulation de tel air est mineure; on ne doutera pas qu'il ne parle du goût de chant que l'Auteur a donné au mode principal de cet air.
CHAPITRE PREMIER.
Des Modes.
MOde est un maniére de chanter, où il y a une note principale, à qui toutes les autres sont subordonnées.
Pour rendre une note principale, il faut placer les autres à certaines distances d'elle. Ces distances qui se doivent trouver entre la note principale et les autres, s'appellent Tons et Demi-tons. Ainsi j'expliquerai d'abord ce que c'est qu'un Ton et un Demi-ton, et je dirai ensuite combien il y a de tons et de demi-tons entre la note principale et chacune des autres notes d'un mode.
Article Premier.
Du Ton et du Demi-ton.
Ton est un mot qui a plusieurs significations. On le prend quelquefois pour la même chose que son. C'est ainsi qu'on dit que les tons de la flûte [-9-] sont tendres, que ceux du violon sont brillans. On le prend aussi quelquefois pour la même chose que mode, comme lorsqu'on demande en quel ton est un air. Enfin il sert à exprimer la distance d'un son à un autre. C'est en cette signification qu'on le prend lorsqu'on demande combien il y a de tons depuis une note jusqu'à une autre; et c'est ainsi que nous le prendrons dans cet article.
Quand la voix s'éleve ou descend peu à peu d'une maniére naturelle, il se rencontre deux sortes d'intervalles entre les sons qu'elle forme. Quand elle entonne l'octave ut re mi fa sol la si ut, elle s'éleve beaucoup moins en montant de mi à fa et de si à ut, qu'en montant d'ut à re, de re à mi, de fa à sol, de sol à la et de la à si. Les plus grands de ces intervalles s'appellent tons, les plus petits s'appellent demi-tons.
Ainsi le Ton est la plus grande des deux especes d'intervalles, qui se succédent les uns aux autres lorsque la voix monte ou descend par les dégrés naturels les plus proches. Par exemple, l'intervalle d'ut à re est un ton.
Il y a des tons plus grands les uns que les autres. Par exemple, l'intervalle d'ut à re dans l'octave de C sol ut entonnée avec une parfaite justesse, est un peu plus grand que celui de re à mi. C'est pourquoi on a divisé le ton en majeur et en mineur. Le rapport du ton majeur est de 8 à 9, celui du ton mineur est 9 à 10.
Pour concevoir ces rapports, il faut avoir quelques connoissances préliminaires que je vais donner. Elles feront comprendre non-seulement les deux rapports dont il s'agit à présent, mais encore plusieurs autres dont je parlerai dans la suite.
[-10-] Tout corps sonore, lorsqu'il résonne, fait pendant un certain tems un nombre limité de vibrations. Une vibration est une secousse. Ainsi une corde de violon, lorsqu'elle resonne fait pendant une seconde un certain nombre de secousses, c'est-à-dire, est secouée un certain nombre de fois pendant une seconde; et tant que le même son dure, le nombre des vibrations ou secousses de cette corde est toujours le même dans le même espace de tems.
Deux corps sonores qui sont à l'unisson, c'est-à-dire, qui rendent le même son ou la même note, mettent le même tems à faire le même nombre de vibrations.
De deux corps sonores qui rendent chacun un son différent, celui qui rend le son le plus haut ou le plus aigu, fait pendant un certain tems plus de vibrations, que n'en fait pendant le même tems celui qui rend le son le plus bas ou le plus grave. Ainsi la chanterelle d'un violon touchée à vuide, fait pendant une seconde plus de vibrations, que n'en fait pendant le même espace de tems la corde voisine touchée à vuide. On voit par-là, que plus un son est aigu, plus les vibrations du corps sonore qui le rend sont fréquentes, c'est-à-dire, se succédent avec rapidité.
Quand de deux corps sonores qui résonnent en même tems l'un fait une vibration pendant que l'autre en fait deux, et par conséquent deux pendant que l'autre en fait quatre, trois pendant que l'autre en fait six; on dit que le rapport de l'intervalle des sons qu'ils rendent est de 1 à 2, ou, ce qui est la même chose, de 2 à 4, de 3 à 6. C'est le rapport de l'unité ou celui d'un nombre à son double, et c'est celui de l'intervalle [-11-] de l'octave, comme on le verra dans la Seconde Partie.
Il m'est aisé à présent de faire comprendre le rapport du ton majeur et celui du ton mineur. Le rapport du ton majeur est 8 à 9, c'est-à-dire, que si un corps qui rend un son, fait 8 vibrations pendant un certain tems, pendant une seconde; un corps qui rendroit un son plus haut d'un ton majeur, feroit pendant une seconde neuf vibrations. Le rapport du ton mineur est 9 à 10, c'est-à-dire, que si deux corps sonores rendent en même-tems deux sons qui forment un ton mineur, celui qui rend le son le plus aigu, fait dix vibrations pendant que l'autre en fait neuf. Ainsi une corde d'instrument qui rendroit successivement avec une parfaite justesse (en C sol ut) les trois notes ut re mi, feroit en des tems égaux huit vibrations en rendant ut, neuf en rendant re, dix en rendant mi.
La différence du ton majeur au mineur, s'appelle Comma: son rapport est de 80 à 81. Cette différence ne fait rien à la pratique, où tous les tons sont regardés comme égaux. Outre ce comma, la Théorie en offre deux autres, l'un dont le rapport est de 2025 à 2048, et qui avevc celui de 80 à 81 compose un quart de ton qu'on appelle enharmonique; l'autre dont le rapport est de 524288 à 531441, et qui est l'intervalle qu'on trouve entre ut et si [x], quand ces deux notes sont données par certaines progressions dont je parlerai dans la Seconde Partie. On attribue à Pythagore la découverte de ce dernier comma.
Le Demi-ton se divise en majeur et en mineur.
Le Demi-ton majeur est la plus petite des deux [-12-] especes d'intervalles qui se trouvent entre les sons que la voix forme en montant ou en descendant, par les dégrés naturels les plus proches. C'est l'intervalle de mi à fa et de si à ut, dans l'octave de C sol ut. Son rapport est de 15 à 16.
Le Demi-ton mineur n'est pas naturel; c'est-à-dire, que la voix ne se porte point d'elle-même à former de suite deux sons, entre lesquels cet espece d'intervalle se trouve. Il est l'effet de l'art. Aussi ne se rencontre-t-il point dans un mode, tant qu'il conserve le même goût de chant; mais bien dans le passage d'un mode à un autre, ou d'un goût de chant à un autre goût de chant, comme on le verra. C'est intervalle qui se trouve entre deux notes de même nom, et différentes l'une de l'autre par un diese on par un bémol: c'est, par exemple, l'intervalle de fa à fa, [x], de si à si [rob]; au lieu que le demi-ton majeur est un intervalle qui se trouve entre deux notes qui ont des noms differens; par exemple, entre mi et fa, entre fa [x] et sol. Le rapport du demi-ton mineur, est de 24 à 25.
Lorsqu'on parcourt successivement plusieurs demi-tons, soit en montant, soit en descendant; les tons se trouvent partagés en deux demi-tons, dont l'un est majeur et l'autre est mineur. Par exemple, si l'on entonne de suite ut, ut [x], re, re [x], mi; l'intervalle d'ut à re se trouve partagé en un demi-ton mineur qui est la distance d'ut à d'ut [x], et un demi-ton majeur qui est la distance d'ut [x] à re; l'intervalle de re à mi se trouve partagé de même. Ainsi un demi-ton n'est pas la moitié d'un ton. Le demi-ton majeur excéde cette moitié, le demi-ton mineur est moindre qu'elle, tous deux font le ton [-13-] entier. Leur différence est ce quart de ton composé du comma de 80 à 81, et de celui de 2025 à 2048.
La différence du demi-ton mineur au majeur, et par conséquent la justesse des demi-tons, ne se trouve point sur certains instrumens, tels que le clavecin, les dessus et les basses de viole, ni dans les instrumens à vent. Car on fait de la même maniére sur ces instrumens deux notes, dont l'une doit former un demi-ton mineur avec une note voisine, et l'autre un demi-ton majeur avec la même note. Par exemple, la même touche d'un clavecin fait entendre en certains modes re [x], qui doit former un demi-ton mineur avec re naturel, et en d'autres modes mi [rob], qui doit former avec re naturel un demi-ton majeur. La corde que cette touche fait résonner, rend un son mitoyen entre re [x] et mi [rob] justes. Ainsi le re [x] sur le clavecin est plus haut qu'il ne faut, et le mi [rob] plus bas qu'il ne devroit être. Tous les dieses sont de même trop hauts et les bémols trop bas sur les instrumens dont je viens de parler.
L'altération d'une note qu'on porte plus haut ou plus bas qu'elle ne doit être, s'appelle Tempéramment. Elle fera la matiére du Chapitre V. de la Seconde Partie.
Article II.
Du nombre de tons et de demi-tons qui se trouvent entre la note principale et chacune des autres notes d'un mode.
Lorsque la voix s'éleve peu à peu d'un maniére naturelle, le huitiéme son qu'elle forme ressemble [-14-] au premier; et si elle monte plus haut que ce huitiéme son, elle recommence le chant qu'elle a fait entendre, et chacun des nouveaux sons n'est que la répétition d'un son plus bas.
Chaque son que la voix forme en s'élevant ou en descendant peu à peu, s'appelle Dégré. On divise les dégrés en diatoniques et en chromatiques.
Les Dégrés diatoniques sont ceux que la voix parcourt en s'élevant ou en descendant peu à peu d'une maniére naturelle. Il y en a huit depuis telle note qu'on voudra choisir jusqu'à son octave inclusivement.
Les Dégrés chromatiques sont ceux que la voix parcourt en s'élevant ou en descendant toujours par demi-tons. Il y en a douze depuis une note jusqu'à son octave exclusivement.
Pour faire connoître le nombre de tons et de demi-tons qui se trouvent entre la note principale d'un mode, et chacune des autres notes de ce mode, il suffit de parcourir les dégrés diatoniques renfermés entre elle et son octave. Car le mode n'offrant qu'un chant naturel, n'admet d'autres dégrés que les diatoniques; et les notes qui sont au-dessus de l'octave, n'étant que la répétition de celles qui sont au-dessous; dès que l'on connoîtra les distances qui se trouvent entre la note principale et les notes qui sont au-dessous de son octave, on connoîtra aussi les distances qui se trouvent entre cette note et celles qui sont au-dessus de cette octave ou répétition.
Ainsi je vais parcourir les dégrés diatoniques de l'octave du mode. Mais auparavant je remarquerai qu'on a donné un nom particulier à chacune de ses notes. La note principale s'appelle tonique; les autres [-15-] s'appellent sutonique, médiante, soudominante, dominante, sudominante, sensible. L'octave, qui n'est que la répétition de la note principale, s'appelle tonique comme elle; chacune des notes qui sont au-dessus de l'octave, porte le même nom que celle dont elle est la répétition.
Il y a un ton entre la tonique et la sutonique. Il n'y a quelquefois qu'un demi-ton majeur, et quelquefois il y a un ton entre la sutonique et la médiante. Dans le premier cas, il y a un ton entre la médiante et la soudominante; dans le second cas, il n'y a entre elles qu'un demi-ton majeur. Il y a un ton entre la soudominante et la dominante, entre la dominante et la sudominante, entre la sudominante et la sensible, et un demi-ton majeur entre la sensible et l'octave. Il y a par conséquent quelquefois un ton et un demi-ton majeur, et quelquefois deux tons entre la tonique et la médiante, et toujours, lorsque le chante monte, deux tons et un demi-ton majeur entre la tonique et la soudominante, trois tons et un demi-ton majeur entre la tonique et la dominante, quatre tons et un demi-ton majeur entre la tonique et la sudominante, cinq tons et un demi-ton majeur entre la tonique et la sensible, cinq tons et deux demi-tons majeurs entre la tonique et son octave. Je dis, lorsque le chant monte: car lorsqu'on parcourt en descendant les dégrés d'un mode, si l'on ne doit mettre entre la médiante et la tonique qu'un ton et un demi-ton; la sudominante doit se trouver un demi-ton plus bas, comme je le dirai dans l'Article II du Chapitre suivant. Voyez les exemples 1 et 2. [BETHEX1 01GF]
[-16-] CHAPITRE II.
Des deux différens goûts de chant dont les modes sont susceptibles.
ON vient de voir qu'il n'y a quelquelfois qu'un ton et un demi-ton majeur entre la tonique et la médiante, et qu'il y a quelquefois deux tons entre elles. Cette diversité produit deux goûts différens de chant, que j'appelle modulation majeure et modulation mineure. Quand la modulation d'un mode est majeure, ce mode est appellé mode majeur: on dit que ce mode est mineur, quand sa modulation est mineure. Ainsi je dirai, par exemple, C sol ut majeur, pour signifier le mode de C sol ut avec la modulation majeure; je dirai C sol ut mineur, pour signifier le même mode avec la modulation mineure.
On désigne souvent ces deux goûts de chant par le mot Tierce. On dit, par exemple, qu'un chant est en A mi la tierce majeure, pour faire entendre que son mode est celui d'A mi la, et que sa modulation est majeure; qu'un autre chant est en C sol ut tierce mineure, pour faire entendre que son mode est celui de C sol ut, et que sa modulation est mineure. On ne peut rendre raison de cette maniere de parler, sans dire ce que c'est que la tierce, et sans en faire connoître les deux espéces.
Tierce est un mot qui signifie troisiéme. Une tierce en musique est une note qui se trouve la troisiéme, lorsqu'on monte par dégrés diatoniques en partant d'une note que l'on compte pour la [-17-] premiere. Ainsi mi est la tierce d'ut, fa est la tierce de re.
Les intervalles qui se trouvent entre les notes et leurs tierces, sont de deux espéces; les uns sont de deux tons, et les autres d'un ton et d'un demi-ton majeur. Cette inégalité forme deux sortes de tierces, sçavoir la tierce majeure et la tierce mineure.
La Tierce majeure est une note entre laquelle et celle dont elle la tierce il y a un intervalle de deux tons. Ainsi mi est la tierce majeure d'ut, parce qu'il y a deux tons entre ces deux notes.
La Tierce mineure est une note entre laquelle et celle dont elle est la tierce il y a un intervalle d'un ton et d'un demi-ton majeur. Ainsi fa est la tierce mineure de re, parce qu'il y a cet intervalle entre ces deux notes.
La médiante, entre laquelle et la note tonique il y a quelquefois un ton et un demi-ton majeure et quelquefois deux tons, est par conséquent tantôt la tierce mineure et tantôt la tierce majeure de la note tonique. Lorsqu'elle en est la tierce majeure, la modulation est majeure; lorsqu'elle en est la tierce mineure, la modulation est mineure. C'est pour cela qu'on désigne souvent l'espéce de la modulation d'un chant par le mot tierce, et qu'on se sert de ces expressions, A mi la tierce majeure, C sol ut tierce mineure et autres semblables.
Outre cette inégalité d'intervalle de la médiante à la tonique, inégalité qui fait la différence essentielle des deux modulations, il y a encore entre les deux modulations plusieurs autres diversités, comme on le verra dans les deux Articles suivans, où je vais parler séparément des deux modulations.
[-18-] Article Premier.
De la Modulation majeure.
La Modulation majeure est, comme on vient de le voir, celle où la médiante est la tierce majeure de la note tonique. Le mode de C sol ut majeure, qu'on appelle aussi ton de C sol ut naturel, nous servira d'exemple. Voyez l'exemple 1. [BETHEX1 01GF]
Cette modulation est gaie d'elle-même, parce que la tierce majeure qui la caractérise a cette qualité. Elle est plus naturelle que la modulation mineure. Car tout corps sonore, comme je le dirai dans la suite, rend toujours en même-tems plusieurs sons, dont l'un est beaucoup plus bas et plus fort que les autres, et presque toujours le seul que l'oreille apperçoive. Un des autres sons fait la double octave de la tierce majeure de ce son grave. Cette double octave de la tierce majeure doit être regardée comme la tierce dont elle est la double octave. Ainsi la nature nous offre toujours la tierce majeure sur le son grave des corps sonores. Chaque note est exprimée par un corps sonore, dont elle est le son grave; chaque note porte par conséquent sur elle une tierce majeure; la note tonique de tout mode porte donc naturellement cette espéce de tierce. D'où il faut conclure que la tierce majeure de la tonique caractérisant la modulation majeure, la nature nous porte plûtôt à cette modulation qu'à la modulation mineure.
[-19-] Article II.
De la Modulation mineure.
La Modulation mineure est celle où la médiante est la tierce mineure de la note tonique. Le mode d'A mi la mineur ou naturel nous servira d'exemple. Voyez l'exemple 2. [BETHEX1 01GF]
Cette modulation est d'elle-même tendre et triste, parce que la tierce mineure a ces deux qualités. Elle est moins naturelle que la modulation majeure. Elle n'est pas néanmoins un pur effet de l'art. La nature nous l'indique dans une expérience dont nons parlerons au commencement de l'Article II. du Chapitre II. de la Seconde Partie de ce Traité.
Cette modulation a un défaut considérable. La sudominante des modes mineurs, lorsqu'elle est suivie de la note sensible, forme avec la soudominante un intervalle de deux tons, intervalle qui choque. Car l'oreille demande entre la soudominante et la sudominante, le même intervalle qu'elle apperçoit entre la note tonique et la médiante. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à entonner la si ut re mi fa, et rester sur la fa; puis entonner la si ut re mi fa [x], et rester sur le fa [x]: l'on trouvera le premier chant agréable, et le second fort dur. Voyez les exemples 3 et 4. [BETHEX1 01GF]
On n'employe le fa [x] dans le mode d'A mi la, que pour éviter un intervalle choquant, que le fa naturel formeroit avec le sol [x] note sensible, et qui rendroit le chant beaucoup plus dur qu'il ne l'est avec le fa [x]. C'est la nécessité qui fait admettre [-20-] le fa [x], et l'oreille ne le souffre qu'autant qu'il conduit à la note sensible. Après avoir entonné la si ut re mi fa [x], l'on ne peut revenir sur ses pas et dire mi re ut si la, sans révolter l'oreille.
Il suit de-là qu'après avoir entonné toutes les notes d'un mode mineur, en s'élevant par dégrés diatoniques depuis la tonique jusqu'à son octave, si l'on retourne par dégrés diatoniques à la note d'où l'on est parti; on ne forme pas les mêmes notes qu'on a formées en montant. En effet, après avoir chanté la si ut re mi fa [x] sol [x] la, si l'on veut descendre diatoniquement depuis ce dernier la jusqu'au premier; les notes fa et sol, qu'on a fait dieses en montant, se trouveront naturelles en descendant. Voyez l'exemple 5. [BETHEX1 01GF]
Le sol naturel n'est pas du mode d'A mi la: dans ce mode le sol est toujours diese. Ainsi après avoir entonné toutes les notes d'un mode mineur, en montant diatoniquement depuis la tonique jusqu'à son octave, on ne peut point les parcourir toutes en revenant de même de cette octave à la tonique; et pour retourner diatoniquement de cette octave à la note par laquelle on a commencé, il faut sortir du mode immédiatement après cette octave.
L'on pourroit regarder ceci comme un second défaut de la modulation mineure, mais on se tromperoit. Car si l'on fait la même opération dans la modulation majeure, on est obligé de même en descendant de sortir du mode. Lorsqu'on entonne ut re mi fa sol la si ut, on peut être toujours dans le mode majeur d'ut; mais lorsqu'on entonne ut si la sol fa mi re ut, on sort de ce mode pour quelque tems. On trouvera la preuve de ceci à la fin du Chapitre III. de la Seconde Partie.
[-21-] CHAPITRE III.
Des diverses maniéres d'employer les modes.
AVant que d'exposer de quelles maniéres on peut employer les modes, il faut parler de leur nombre. Un mode est une maniére de chanter où il y a une note principale à laquelle toutes les autres sont subordonnées. Or toutes les notes peuvent être principales chacune à leur tour. Il y a donc autant de modes que de notes. Mais combien y a-t-il de notes? Il y a les sept notes naturelles ut, re, mi, fa, sol, la, si ut, sept notes ayant les mêmes noms avec un diese, et sept notes ayant les mêmes noms avec un bémol. Cependant, comme certains instrumens rendent de la même maniére deux notes différentes, par exemple, re [x] et mi [rob]; le nombre des notes y est beaucoup moindre, qu'en comptant les notes comme je viens de le faire. Il n'y a réellement sur ces instrumens que douze modes, parce qu'ils ne peuvent rendre que douze sons différens, depuis telle note qu'on voudra choisir, jusqu'à son octave exclusivement. Voici ces douze sons; ut, ut [x] ou re [rob], re, re [x] ou mi [rob], mi, fa, fa [x] or sol [rob], sol, sol [x] ou la [rob], la, la [x] ou si [rob], et si Voyez l'exemple 6. [BETHEX1 01GF]
Un chant complet, c'est-à-dire, commencé et terminé d'une maniére qui ne laisse rien à desirer à l'oreille, doit présenter un mode; et s'il est un peu long, il en doit présenter plusieurs. Une suite de sons sans mode peut être un trait de chant et non un chant complet. Un chant un peu [-22-] long qui n'offriroit qu'un seul mode, seroit ennuyeux.
Lorsqu'il y a plusieurs modes dans un chant, il faut qu'un d'eux soit principal, et que tous les autres lui soient subordonnés, comme toutes les notes sont subordonnés à la tonique dans chaque mode. Ce mode principal doit être annoncé dès le commencement du chant, et ce n'est que par lui que le chant peut finir. Sa note tonique, ou du moins une des notes de l'accord de cette tonique, qui sont sa tierce et sa quinte, c'est-à-dire, celle qui se trouve la cinquiéme, lorsqu'en partant de cette tonique on s'éleve peu à peu par dégrés diatoniques, sa note tonique, dis-je, ou l'une des notes de l'accord de cette tonique doit commencer le chant; ou si quelque autre note le commence, il faut qu'elle passe fort vîte, qu'elle soit suivie d'une des trois notes dont je viens de parler, et que cette note suivante soit plus longue et frappe plus l'oreille que celle qui commence le chant. Voyez l'exemple 7 [BETHEX1 01GF] qui est en A mi la. Le fa qui le commence n'est pas de l'accord de la; mais il passe rapidement, et il est suivi de mi qui est la quinte de la, et qui frappe plus l'oreille que cette premiere note de l'exemple.
La note tonique du mode principal peut seule finir le chant d'une maniére qui contente parfaitement l'oreille. On l'appelle finale pour cette raison, et ce nom la distingue des autres toniques qui paroissent dans le cours du chant. Si elle ne le termine pas, il faut qu'une des notes de son accord le termine à sa place. Mais cela ne doit se faire que dans les piéces à plusieurs parties, où les notes de l'accord de cette tonique peuvent et doivent même [-23-] quelquefois finir le chant de quelques-unes de ces parties, pendant que cette tonique finit elle-même le chant des autres.
Pour exposer avec ordre ce qui regarde l'emploi des modes, je parlerai d'abord du mode principal, je traiterai ensuite des autres modes qu'on peut lui enchaîner, enfin je ferai quelques réflexions sur les différentes maniéres de terminer les modes, et je montrerai à cette occasion que le chant est partagé en phrases et en membres de phrases comme le discours, et qu'il y a entre le chant et le discours une analogie presque parfaite.
Article Premier.
Du Mode principal.
On peut choisir tel mode qu'on veut pour principal d'un chant qu'on se propose de faire, à moins qu'on ne travaille pour certains instrumens, tels que la musete et la vielle, qui ne peuvent exécuter qu'en certains modes. Mais il faut se servir de cette liberté avec jugement, et pour faire un bon choix, connoître les différences des modes. Elles ne se trouvent que sur les instrumens, elles viennent des dieses et des bémols, et sont de deux espéces: les unes consistent dans la facilité ou dans la difficulté de l'exécution, et les autres dans la gayeté ou dans la tristesse des notes.
Le mode de C sol ut naturel qui n'a ni dieses ni bémols, est d'une facile exécution. Les autres modes sont plus ou moins faciles ou difficiles à proportion du nombre de dieses ou de bémols qui leur est nécessaire; et il y en a de si difficiles que [-24-] les Auteurs ne s'en servent point ou presque jamais. Ainsi lorsqu'on veut faire choix d'un mode, il faut le faire avec prudence, de peur de s'exposer au désagrément d'une mauvaise exécution. Je remarquerai à ce sujet que la vîtesse du mouvement des notes redouble la difficulté qui vient du grand nombre de dieses ou de bémols; et qu'on ne doit pas par conséquent, lorsqu'on veut faire un morceau d'une grande vivacité, le composer dans un mode que les dieses ou les bémols rendent de lui-même peu praticable.
L'orgue, le clavecin, et la plûpart des instrumens à vent sont faits ou accordés de maniére que les modes qui demandent un, deux, trois ou quatre dieses à la clef, paroissent brillans et gais plus ou moins à proportion du nombre de dieses qu'ils exigent, et que ceux qui demandent un, deux, trois ou quatre bémols à la clef, paroissent sombres et tristes plus ou moins à proportion du nombre de bémols qu'il leur faut. Monsieur Rameau regarde cette variété des modes comme un défaut, et propose pour le clavecin une espéce de tempérament qui la fait disparoître. Mais comme ce tempérament n'est pas encore universellement reçu, qu'il trouve même des contradicteurs, et que d'ailleurs il n'est pratiqué que sur le clavecin; je crois que lorsqu'on veut composer pour ces instrumens en particulier, ou qu'on veut faire des morceaux de musique dans l'exécution desquels ces instrumens devront ou pourront être employés, il faut avoir égard à cette variété. Il me semble même qu'elle se trouve, du moins jusqu'à un certain dégré, sur tous les instrumens; et qu'il est par conséquent toujours bon, lorsqu'on délibére sur le choix [-25-] du mode principal d'un morceau, de songer que les modes ne sont pas tous également propres à la même expression; qu'à la vérité on peut indépendemment du caractére du mode exprimer ce qu'on veut par le moyen du chant, de la mesure et de l'harmonie; mais que quand le caractére du mode est analogue aux objets qu'on veut peindre et aux sentimens qu'on veut rendre, l'expression en est plus forte. Tous les Maîtres conviendront de ce que j'avance ici, et Monsieur Rameau lui-même paroît avoir eu beaucoup d'égard à cette variété des modes en composant ses ouvrages. Peut-on mieux faire que de l'imiter?
Quand on a choisi un mode principal, il faut mettre entre sa tonique et ses autres notes les distances qu'il demande. Ces intervalles se trouvent naturellement en C sol ut majeur. Celui d'A mi la mineur exige deux dieses, un sur le fa, et l'autre sur le sol, lorsque le chant monte. Ces deux dieses se mettent dans le cours du chant. Voyez l'exemple 5. [BETHEX1 01GF] Tous les autres modes demandent un ou plusieurs dieses ou bémols qu'on met ordinairement à la clef. Il faut un diese pour G re sol majeur, et pour E si mi mineur; il en faut 2 pour D la re majeur et pour B fa si mineur. 3 pour A mi la majeur et pour F ut fa [x] mineur. 4 pour E si mi majeur et pour C sol ut [x] mineur. 5 pour B fa si majeur et pour G re sol [x] mineur. 6 pour F ut fa [x] majeur et pour D la re [x] mineur. 7 pour C sol ut [x] majeur et pour A mi la [x] mineur. Il faut un bémol pour F ut fa majeur et pour D la re mineur. il en faut 2 pour B fa si [rob] majeur et pour G re sol mineur. 3 pour E si mi [rob] majeur et pour C sol ut mineur. 4 pour A mi la [rob] majeur et pour F ut fa mineur. 5 pour D la re [rob] majeur et pour B fa si [rob] mineur. 6 [-26-] pour G re sol [rob] majeur et pour E si mi [rob] mineur. 7 pour C sol ut [rob] majeur et pour A mi la [rob] mineur. Voyez l'exemple 8. [BETHEX1 02GF]
Les modes mineurs qui ont des dieses à la clef, en demandent encore deux autres dans le cours du chant lorsqu'il monte, l'un à la sudominante et l'autre à la note qui doit être sensible. Voyez l'exemple 9. [BETHEX1 02GF]
Les modes mineurs qui ont des bémols à la clef, prennent aussi deux dieses dans le cours du chant lorsqu'il monte. Ces dieses ne font quelquefois que retrancher des bémols: on peut en ce cas se servir de béquarres au lieu de dieses. Voyez l'exemple 10. [BETHEX1 02GF]
Remarquez qu'un mode mineur demande à la clef, le même nombre de dieses ou de bémols que demande un mode majeur dont la tonique forme une intervalle de tierce mineure avec la tonique de ce mode mineur; qu'E si mi mineur, par exemple, demande un diese, comme G re sol majeur; que B fa si mineur en demande deux, comme D la re majeur. La plûpart des Auteurs ne s'astreignent pas à cette régle. Ils mettent, par exemple, quelquefois deux dieses à E si mi mineur; ils ne mettent qu'un bémol à G re sol mineur, et n'en mettent point à D la re, lorsqu'il a la même modulation.
Article II.
Des Modes qu'on peut enchaîner au mode principal.
On ne peut pas enchaîner indifféremment à un mode principal tout autre mode. Il y a des modes qui s'y enchaînent naturellement, d'autres qui ne [-27-] s'y lient qu'avec certaines précautions, et d'autres qui ne peuvent pas paroître avec lui dans le même chant.
Quand un mode principal est majeur, on peut, après l'avoir annoncé, passer au mode de la dominant, et c'est ce qu'on fait ordinairement. On peut aller aussi, soit tout d'un coup, soit après le mode de la dominante, à celui de la sudominante. Après ces deux modes on peut employer celui de la soudominante, celui de la sutonique et celui de la médiante. On passe rarement à ce dernier, à moins que le chant ne soit long. Le mode de la dominante et celui de la soudominante doivent être majeurs; ceux de la sudominante, de la sutonique et de la médiante doivent être mineurs. On fait néanmoins quelquefois succéder à un mode majeur principal le mode mineur de sa dominante. Celui-ci paroît alors fort triste, et peut servir à exprimer le regret, le chagrin, la douleur. On peut aussi employer dans un chant dont le mode principal est majeur, le mode majeur de la sutonique; mais cela se fait rarement, et il faut alors que celui-ci succéde au mode de la dominante. On y fait même quelquefois, mais très-rarement, usage du mode d'une note qui est quatre tons et deux demi-tons majeurs au-dessus de la tonique. Cet intervalle s'appelle de septiéme mineure. Le mode de cette note doit être majeur.
Le mode de C sol ut naturel ou majeur nous servira d'exemple. Lorsqu'il a été annoncé comme principal, le mode de G re sol est celui qui se présente ordinairement le premier, majeur pour l'ordinaire, mineur quelquefois. Après le mode de G re sol celui d'A mi la mineur fait un fort bon [-28-] effet. Après ce dernier on peut employer ceux de F ut fa majeur, de D la re mineur, et, si le chant est long, celui d'E si mi mineur. On peut même passer à celui de B fa si [rob] majeur, dans un chant d'une longueur considérable. Le mode de D la re peut être majeur, lorsqu'il paroît après celui de la dominante.
Quand le mode principal est mineur, le mode de la dominante et celui de la médiante s'enchaînent à lui également bien. Après eux l'on peut faire paroître celui de la soudominante, celui de la sudominante telle qu'elle est en descendant, et celui de la septiéme mineure. On n'employe guére les deux derniers que dans les chants fort longs. Les modes de la médiante, de la sudominante et de la septiéme mineure doivent être majeurs; ceux de la dominante et de la soudominante doivent être mineurs.
Le mode d'A mi la naturel ou mineur nous servira d'exemple. Lorsqu'il a été annoncé comme principal, le mode d'E si mi mineur et celui de C sol ut majeur peuvent également bien être employés. Après eux ou peut faire paroître celui de D la re mineur, et, si le chant est long, celui de F ut fa majeur, et celui de G re sol aussi majeur.
Il faut remarquer qu'un mode enchaîné qui doit être mineur, peut finir par une note qui soit la tierce majeure de sa tonique; que le mode d'E si mi, par exemple, quoique mineur peut finir par sol [x], qui est la tierce majeure de mi. Cela n'arrive que parce que cette note, qui fait la tierce majeure de la tonique, appartient ou va appartenir comme sensible au mode qui succéde ou va succéder à celui qui finit. Le sol n'est diese, que parce [-29-] qu'on veut rentrer dans le mode d'A mi la dont il est ou va devenir note sensible. Il a pour basse mi, qui est ou va devenir dominante de ce mode d'A mi la qui succéde ou va succéder au mode d'E si mi.
On n'est pas absolument obligé d'employer les modes dans l'ordre où je les ai indiqués. C'est au génie à produire les chants, et la génie est libre. Il suit pour l'ordinaire les routes que j'ai tracées: mais il s'en éloigne quelquefois, et ne brille jamais tant que dans ses écarts. Il ne faut donc point, lorsqu'on fait un chant, se contraindre à employer tel ou tel mode; mais se livrer à son imagination, et prendre garde seulement que l'envie de faire du singulier ne séduise. Ces surprises causées par des modes auxquels on ne s'attend pas, sont très-agréables, lorsqu'elles peignent des objets et qu'elles expriment des sentimens que l'Auteur doit peindre et exprimer. Le goût les approuve alors, et admire le feu et les transports du génie. Mais elles déplaisent, quand elles ne servent ni à cette peinture ni à cette expression; et plus encore quand elles font sur l'Auditeur une impression contraire à ces objets et à ces sentimens: ce qui arrive quelquefois. Ce sont alors les efforts d'une imagination froide et bizarre, efforts désaprouvés par les oreilles délicates, qui aiment le chant naturel, et qui ne peuvent souffrir ce qui s'en écarte sans autre raison que la nouveauté.
Il y a une observation à faire sur ce sujet. Si l'on n'est pas obligé d'employer les modes dans l'ordre que j'ai exposé, il faut du moins avoir égard à cet ordre dans la maniére de s'en servir. Il y a des modes dans lesquels le chant peut s'étendre beaucoup, d'autres qui doivent durer moins, d'autres qui ne [-30-] doivent paroître que pour un instant, suivant la longueur du chant et l'endroit où ils paroissent.
On peut, par exemple, dans un air dont le mode principal est C sol ut majeur, employer d'abord après le mode principal pendant un nombre considérable de mesures, le mode de G re sol; on ne peut pas employer de même, c'est-à-dire, au commencement de l'air et avec autant d'étendue, les modes de F ut fa et de D la re; et le mode d'E si mi ne peut paroître qu'après que les modes de G re sol et d'A mi la ont paru, ou du moins qu'après qu'on a employé celui de G re sol. Quand le mode de C sol ut a été employé pendant quelques mesures, on peut lui faire succéder immédiatement celui de F ut fa, mais pour quelques mesures seulement, après quoi on peut passer à celui de G re sol, ou revenir au mode principal. On peut même dès la premiere mesure de l'air, aussi-tôt que le mode de C sol ut a été annoncé, faire paroître celui de F ut fa, mais pour un instant, après quoi le mode de C sol ut doit reparoître. On ne peut pas employer de même dès la premiere mesure celui de D la re. Il peut à la vérité paroître avant celui de G re sol, même pour plusieurs mesures; mais cela est rare, et l'on ne l'apperçoit guére avant celui de la dominante, que dans les piéces à plusieurs parties. La basse y présente quelquefois avant le mode de G re sol, ut [x] comme note sensible suivi de re tonique à qui on donne la tierce majeure, et qu'on rend aussi-tôt après dominante de G re sol. Le mode de B fa si [rob] qu'on n'employe avec étendue dans les chants dont le mode principal est C sol ut majeur, que lorsqu'ils sont d'une longueur très-considérable, peut paroître dans un air en C sol ut [-31-] majeur qui ne soit pas fort long, et où l'on n'employe pas celui d'A mi la ni celui de D la re. Mais il nepeut paroître qu'au milieu de cet air; il faut même qu'il soit précédé et suivi de celui de F ut fa, dont il interrompe le cours pour fort peu de tems.
Dans un air dont le mode principal est A mi la mineur, on peut employer le mode de D la re, comme j'ai dit qu'on peut employer le mode de F ut fa dans un air dont le mode principal est celui de C sol ut majeur. Bien plus, on peut, après avoir débuté par quelques mesures en A mi la, employer le mode de D la re aussi longuement qu'on pourroit employer celui d'E si mi ou celui de C sol ut, et revenir ensuite à celui d'A mi la, et si le chant n'est pas long, n'employer que le mode de D la re avec le mode principal. Dans le triste et le plaintif, le ton de la soudominante ainsi enchaîné convient mieux que ceux de la dominante et de la médiante, et mérite la préférence sur eux. On peut aussi faire paroître dès la premiere mesure celui de C sol ut, mais pour un moment; employer dès les premieres mesures celui de G re sol, mais pour peu de tems; et, quoique l'air ne soit pas long, faire paroître celui de F ut fa, mais précédé et suivi de celui de D la re. Il faut remarquer à ce sujet, qu'un mode qui ne doit paroître qu'un instant, paroît pour l'ordinaire au milieu d'un mode qui peut durer un tems considérable, et dont il interrompt le cours.
Quand on a employé un mode, si l'on veut le faire reparoître, il faut que ce soit pour peu de tems, à moins que le chant ne soit long, et qu'on en ait parcouru plusieurs autres depuis que ce mode [-32-] a paru. Il n'y a que le mode principal auquel on puisse revenir sans se gêner. Il est bon même de le faire entendre de tems en tems entre les autres modes, de peur que l'auditeur ne l'oublie. Car c'est un plaisir pour ceux qui écoutent un chant, d'avoir toujours présent à l'esprit ce mode à qui tous les autres sont subordonnés.
Pour achever de faire connoître la maniére d'enchaîner les modes, je remarquerai qu'il y a trois genres principaux de musique, le diatonique, le chromatique et l'enharmonique. Le diatonique est le genre ordinaire, où le chant monte et descend par les dégrés naturels, et parcourt des tons et des demi-tons majeurs. Le chromatique est celui où le chant procéde par demi-tons mineurs. L'enharmonique est celui où un même son est pris successivement pour deux notes différentes et appartenant à des modes différens. Ce que j'ai dit jusqu'à présent de l'enchaînement des modes ne regarde que le genre diatonique. Je vais dire quelques mots de leur enchaînement dans les deux autres genres.
On peut, pour peindre quelque objet ou pour exprimer quelque sentiment, parcourir dans un chant plusieurs demi-tons de suite. On y peut mettre, par exemple, en montant ce trait, mi fa fa [x] sol sol [x] la, et en descendant celui-ci, la sol [x] sol fa [x] fa mi. Le chant est alors chromatique, parce que les demi-tons mineurs s'y trouvent mêlés avec les demi-tons majeurs; et les modes y succédent ou du moins peuvent y succéder les uns aux autres avec beaucoup de rapidité. Le premier trait peut être en F ut fa, en G re sol et en A mi la; le second peut être en A mi la, en D la re, et G re sol et en C sol ut.
[-33-] Dans le genre enharmonique, un mode se trouve suivi immédiatement d'un autre mode qui n'a aucun rapport naturel avec lui. Par exemple, après avoir pris un certain son pour sol [x] note sensible d'A mi la, on le prend de suite pour la [rob] sudominante de C sol ut mineur, et l'on passe ainsi du mode d'A mi la à un mode qui avec la modulation mineure non-seulement ne peut pas lui succéder immédiatement, mais même ne peut pas naturellement paroître avec lui dans un même chant.
Je m'étendrai davantage sur ces deux genres dans le Chapitre VIII. de la Seconde Partie de ce Traité, où je ferai connoître aussi deux autres genres dont il est inutile que je parle à présent.
Avant de finir cet Article, il faut dire un mot sur le changement de modulation. On peut, vers le commencement, ou au milieu, ou vers la fin d'un morceau, changer la modulation du mode principal.
Quand le mode principal d'un air est majeur au commencement, on peut après quelques mesures le rendre mineur, mais seulement pour quelque-tems, après lequel on revient à la modulation majeure. On peut aussi le rendre mineur au milieu ou vers la fin de l'air, soit pour un instant, soit pour un tems considérable, soit même pour le reste du morceau.
Quand le mode principal d'un air est mineur, on peut vers le milieu du morceau le rendre majeur, soit pour un tems considérable, soit pour le reste de l'air.
Lorsqu'on a changé la modulation du mode principal d'un morceau, il faut que les modes qu on lui enchaîne, conviennent eux et leur modulation à la nouvelle modulation qu'on lui a donnée.
[-34-] Comme on peut enchaîner à un mode majeur principal celui de sa dominante, tantôt avec la modulation majeure, et tantôt quoique plus rarement avec la modulation mineure; on peut donner successivement les deux modulations à ce mode enchaîné. Ainsi l'on peut, dans un air dont le mode principal est C sol ut majeur, faire paroître le mode de G re sol avec les deux modulations; le faire d'abord majeur, ensuite mineur, ou d'abord mineur, ensuite majeur; ou même après l'avoir fait d'abord majeur ensuite mineur, lui faire reprendre la modulation qu'on lui a fait quitter.
Le changement de modulation employé à propos est agréable, mais trop fréquent il devient ennuyeux. Il ne faut donc pas dans un air, si long qu'il soit, faire passer trois ou quatre fois le mode principal de la modulation majeure à la mineure. Ce qui plaît la premiere fois peut déplaire la seconde, et rebute certainement une oreille délicate lorsqu'il est encore réitéré.
Article III.
Des différentes maniéres de terminer un mode.
Il y a deux maniéres de terminer les modes, l'une parfaite et l'autre imparfaite.
On termine parfaitement un mode, lorsqu'on fait entendre pour sa terminaison sa dominante suivie de sa note tonique, ou des notes dont ces deux premieres sont la basse fondamentale. Par exemple, on finit parfaitement le mode de G re sol par les notes re sol, ou par des notes dont re et sol sont la basse fondamentale.
[-35-] On termine imparfaitement un mode, en faisant entendre pour sa terminaison la soudominante suivie de la note tonique, ou la dominante suivie d'un note plus haute d'un dégré, ou la dominante suivie d'une note plus basse de deux dégrés, ou des notes qui ont pour basse fondamentale la soudominante suivie de la tonique, ou enfin des notes qui ont pour basse fondamentale la dominante suivie de l'une des deux maniéres que j'ai dites. Par exemple, on finit imparfaitement le mode de G re sol par ut sol, ou par re mi, ou par re si, ou par des notes qui ont ut sol, ou re mi, ou re si pour basse fondamentale.
Quand la dominante et la tonique, ou la soudominante et la tonique forment la terminaison d'un mode; la tonique est la derniere note de ce mode. Quand la dominante et une note plus haute d'un dégré, ou la dominante et une note plus basse de deux dégrés forment la terminaison d'un mode; la dominante en est la derniere note.
Les terminaisons des modes, et sur tout les terminaisons parfaites, font sentir à l'oreille certains repos, qui lui font partager le chant en différentes parties qu'on appelle phrases musicales. Ces repos mettent entre le chant et le discours, une analogie à laquelle il faut faire une grande attention dans la composition et dans l'exécution de la musique, et sur laquelle pour cette raison je vais faire des réflexions importantes.
L'oreille sent de tems en tems dans les chants des repos plus ou moins marqués. Elle sent un repos très-marqué, lorsqu'elle apperçoit une espéce de conclusion d'une partie considérable d'un chant, conclusion qui lui fait séparer ce qu'elle a [-36-] entendu d'avec ce qu'elle va entendre, comme on sépare dans le discours une phrase d'avec une autre. Elle apperçoit cette sorte de conclusion, aux endroits où elle entend des terminaisons parfaites et bien sensibles de modes, et en certains autres endroits que l'exemple 11 [BETHEX1 02GF] fera connoître. Elle sent un repos moins marqué, lorsqu'elle apperçoit la fin d'une petite partie d'un chant, ce qui lui fait mettre entre ce qu'elle a entendu et ce qu'elle va entendre, une espéce de séparation semblable à celle qui se trouve entre les petites parties du discours qu'on appelle membres de phrases.
On doit, comme je le ferai voir, interrompre l'exécution à la fin de la plûpart des parties considérables et de beaucoup de petites parties des chants. Mais quand on exécuteroit un air sans aucune interruption, l'oreille feroit d'elle-même ces espéces de séparations dont je viens de parler. On interrompt l'exécution en respirant lorsqu'on chante ou qu'on joue d'un instrument à vent, et en levant l'archet lorsqu'on joue d'un instrument à cordes. Voyez l'exemple 11 [BETHEX1 02GF] qui est tiré du Ballet des Fêtes de l'Été.
Toutes les notes désignées par une lettre, sont des notes de repos. L'oreille sent sur chacune d'elles, un de ces repos plus ou moins marqués dont je viens de parler. Elles commencent toutes une mesure. La plûpart des repos qui se trouvent dans les airs à deux ou à trois tems, se rencontrent de même au commencement des mesures. Ceux des airs à quatre tems, se trouvent ordinairement au commencement du premier ou du troisiéme tems. Ceux qui se rencontrent dans le second tems de la mesure à deux tems, dans le second ou dans [-37-] le troisiéme de la mesure à trois tems, dans le second et dans le quatriéme de la mesure à quatre tems, se font sentir au moins dès le commencement de ces tems, excepté quelques-uns qui ne sont pas considérables.
Les repos qu'on sent sur les notes C, E, H, K et M, sont très-marqués, et répondent à ceux qu'on sent à la fin des phrases d'un discours. Les trois premieres et la derniere de ces notes terminent chacune parfaitement un mode. La note E termine d'une maniére bien sensible celui de F ut fa; la note H termine de même celui de G re sol; la note M termine le mode principal et le chant de maniére que l'oreille ne desire plus rien. Quand je dis que chacune de ces notes termine parfaitement un mode; cela ne signifie pas que chaque mode terminé par l'une de ces notes soit tellement fini, qu'on ne puisse regarder les notes qui la suivent comme étant de ce mode. Car il se seroit pu faire qu'un mode terminé par l'une de ces notes, eut subsisté encore après cette note, si l'Auteur eut voulu. Les notes qui suivent la note E seroient du mode de F ut fa, si l'Auteur qui ne leur a point donné de basse eut voulu leur en donner une convenable à ce mode. En ce cas la terminaison que forme la note E, n'eut point été réelle, mais simplement possible; c'est-à-dire, que la note E n'eut pas réellement terminé le mode de F ut fa, mais eut été regardée comme pouvant le finir. On trouve souvent des repos bien marqués sur des terminaisons simplement possibles, que l'oreille prend pour des terminaisons réelles, ne pressentant point ce qui va venir.
Les repos qu'on sent sur les notes A, B, D, F, [-38-] G, I et L, sont moins marqués que les autres, et répondent à ceux que l'on sent dans le discours à la fin des membres de phrases.
Il faut interrompre, autant qu'il est possible, l'exécution après tous les repos bien marqués. Je dis autant qu'il est possible. Car il y a des chants faits de maniére qu'on n'a pas le tems d'interrompre l'exécution, même après la terminaison parfaite et bien sensible d'un mode. Il faut nécessairement interrompre l'exécution après la note K, et quand les notes C, E, H seroient des blanches et n'auroient point de soupirs après elles, il faudroit aussi l'interrompre après ces trois notes; mais l'interruption seroit plus courte qu'elle ne l'est.
Le goût exige qu'on interrompe aussi l'exécution après certains repos moins marqués. Ainsi il est bon d'interrompre l'exécution après les notes A et F.
L'interruption qu'on doit mettre après les repos, ne doit pas toujours se trouver immédiatement après les notes où les repos se font sentir. Par exemple, si après la note C l'Auteur eut mis un si [rob], comme je l'ai mis dans l'exemple 12 [BETHEX1 03GF]; il ne faudroit point placer l'interruption immédiatement après la note C, mais apres ce si [rob] qui seroit une tierce plus bas, et c'est ce que marque le trait qu'on voit dans l'exemple 12 [BETHEX1 03GF] entre ce si [rob] et le suivant. Ce premier si [rob] seroit de la même phrase que la note C, et seroit par rapport à cette note ce qu'une syllabe muette qui termine une phrase ou un membre de phrase, est par rapport à la syllabe sonore qui la précéde, ce que dans ce vers, cessez mes yeux de contraindre vos larmes, la derniere syllabe est par rapport à l'avant derniere qui est une syllabe de repos, parce qu'il faut rester un peu sur elle en prononçant le vers.
[-39-] Une note qui est par rapport à une note de repos ce qu'une syllabe muette est par rapport à une syllabe sonore qui la précéde, doit toujours être du même accord fondamental que la note de repos, comme on le verra dans la suite.
Il y a, comme l'on voit, une grande analogie entre le chant et le discours. L'un et l'autre sont partagés en phrases et en membres de phrases. L'esprit sent un repos considérable à la fin de chaque phrase d'un discours, en un moindre à la fin de chaque membre de phrase. L'oreille en apperçoit de semblables à la fin des phrases et des membres de phrases musicales. La seule différence qui se trouve à ce sujet entre le discours et le chant, c'est qu'une personne qui prononce bien un discours, s'arrête plus ou moins, soit en prononçant, soit en respirant, à la fin des membres de phrases à proportion de leur importance, et reste toujours plus à la fin des phrases qu'à la fin des membres de phrases; au lieu qu'une personne qui exécute bien un air, ne s'arrête pas toujours dans la même proportion à la fin des membres de phrases et des phrases entiéres, parce que les Auteurs ne s'assujettissent pas à donner aux notes de repos la valeur qu'il faudroit pour que cette proportion pût être observée. Fort souvent la note de repos qui termine un membre de phrase est longue, et celle qui termine la phrase entiere est courte. Le chant même, comme je l'ai dit, est quelquefois fait de maniére qu'on ne peut pas interrompre l'exécution après une terminaison parfaite et bien sensible d'un mode. L'oreille n'en apperçoit pas moins la fin des phrases musicales, et ne la distingue pas moins de la fin des petites [-40-] parties du chant qui n'en sont que les subdivisions.
On doit, en composant de la musique vocale, avoir égard à cette analogie qui se trouve entre le chant et le discours. Il faut que les phrases poëtiques finissent avec des phrases ou du moins avec des membres de phrases musicales; que les membres de phrases poëtiques, à moins qu'ils ne soient considérables, finissent avec des membres de phrases et non avec des phrases musicales, sur tout avec celles dont la fin offre des terminaisons parfaites et bien sensibles de modes, telle que la terminaison de F ut fa lettre E dans l'exemple 11 [BETHEX1 02GF]. Il faut absolument éviter de faire rencontrer ces terminaisons parfaites et bien sensibles des modes, sur des paroles qui ne terminent pas même des membres de phrases. Il est beau de faire toujours concourir la fin des phrases poëtiques avec celle des phrases musicales, et celle des membres de phrases poëtiques avec celle des membres de phrases musicales. Un Auteur doit tendre, autant qu'il est possible, à cette perfection.
C'est encore une grande beauté que de placer des repos dans le chant à des distances égales. Cet agrément ne peut que rarement avoir lieu dans la musique faite sur des paroles. La musique instrumentale peut s'en passer; mais lorsqu'il s'y rencontre, il n'échappe pas aux oreilles délicates, et leur fait un très-grand plaisir. Il se trouve presque toujours dans les airs à danser: on y sent des repos de deux en deux, ou de trois en trois, ou de quatre en quatre mesures.
[-41-] CHAPITRE IV.
Des suites de sons qui n'appartiennent à aucun mode.
Un chant, pour être agréable, doit, comme on l'a vû dans le Chapitre précédent, offrir à l'oreille un mode; et s'il est un peu long, il doit lui en offrir plusieurs, dont l'un soit principal et les autres subordonnés à ce premier.
Cette nécessité des modes ne s'étend pas à toutes les parties d'un chant. Il y a dans les meilleures piéces de musique beaucoup d'endroits qui n'appartiennent à aucun mode; et ces endroits, loin d'affoiblir la beauté de ces piéces, y mettent un grand agrément.
On verra dans la Seconde Partie qu'un mode, quand il est majeur, ne peut avoir pour basse fondamentale que certaines notes, sçavoir, sa tonique, sa dominante-tonique, sa soudominante, et une dominante formée de la dissonnance de sa soudominante; que quand il est mineur, il peut, outre ces quatre notes, avoir encore pour Basse Fondamentale sa note sensible; et que les endroits des chants dont la Basse Fondamentale offre des notes qui ne sont ni toniques, ni dominantes-toniques, ni soudominantes, ni dominantes formées de la dissonnance des soudominantes, ni notes sensibles, ne sont d'aucun mode.
On trouve quelquefois ces sortes d'endroits au milieu d'un mode dont ils interrompent le cours, et quelquefois entre la fin d'un mode et le commencement d'un autre. Les uns ont pour Basse Fondamentale une [-42-] suite de notes indépendantes les unes des autres; et que j'appelle notes censées-toniques pour les raisons que je dirai. La Basse Fondamentale des autres est une suite de dominantes simples, ainsi nommées pour les distinguer des dominantes-toniques. Les uns et les autres tiennent dans une suspension agréable, l'oreille incertaine à l'égard du mode qui va leur succéder. Ceux qui se trouvent entre deux modes, et qui ont pour Basse Fondamentale une suite de dominantes simples, ajoutent au plaisir de cette suspension celui d'une douce liaison du mode passé avec celui qui va venir. Car il n'y a point de meilleur moyen d'enchaîner un mode à un autre, qu'une suite de ces dominantes dans la Basse Fondamentale.
CHAPITRE V.
Des moyens de reconnoître le mode principal et les autres modes, ou du moins une partie des autres modes d'un chant, et le goût que l'Auteur a donné à chacun d'eux.
IL y a bien des choses dans la mélodie des piéces de musique, qui ne peuvent être apperçues que par ceux qui connoissent l'harmonie. Tels sont plusieurs des modes qui se trouvent ou peuvent se trouver dans tel ou tel chant. C'est pourquoi je suis obligé de me borner ici à donner premier les moyens de reconnoître le mode principal d'un chant et l'espéce de modulation de ce mode, c'est-à-dire, s'il est majeur ou mineur; deuxiéme ceux de reconnoître au moins une partie des autres modes que l'Auteur a parcourus, et l'espéce de modulation qu'il leur a donnée.
[-43-] Article Premier.
Des moyens de reconnoître le mode principal d'un chant, et l'espéce de modulation de ce mode.
Il est aisé de découvrir le mode principal d'un chant terminé d'une maniére qui contente parfaitement l'oreille. On n'a qu'à recourir à la fin de ce chant: la derniere note est, comme je l'ai dit, la tonique de ce mode. Mais il faut s'accoûtumer à reconnoître dès le commencement d'un chant, quel en est le mode principal.
Lorsqu'un chant commence par deux intervalles de tierce, soit en montant, soit en descendant, son mode principal est annoncé. Trois notes forment ces deux intervalles: celle qui est la plus basse des trois est la tonique de ce mode. Ainsi un chant qui commence par ut mi sol en montant, a pour mode principal celui de C sol ut: il est, dit-on en C sol ut. Un chant qui commence par ut la fa en descendant, est en F ut fa.
Lorsqu'un chant commence par trois notes qui ne forment pas deux intervalles de tierce, mais par qui on feroit former ces deux intervalles, en portant plus haut ou plus bas une ou deux de ces notes, ou en dérangeant l'ordre dans lequel elles se suivent, ou en se servant en même-tems de ces deux moyens; le mode principal de ce chant est encore annoncé, pourvû que ces deux intervalles soient l'un de tierce majeure, l'autre de tierce mineure. Ainsi tous les commencement d'air que présente l'exemple 13 [BETHEX1 03GF], annoncent pour mode principal celui de G re sol, parce qu'ils offrent tous les trois [-44-] notes sol, si, re, qui forment ou qui peuvent former deux intervalles de tierce, l'un de tierce majeure sol si, l'autre de tierce mineure si re, et que quand ces trois notes forment ces deux intervalles la plus basse est sol. Il y a plusieurs exceptions à cette régle. Lorsqu'un chant commence par un intervalle de tierce mineure en descendant suivi d'un intervalle de sixte mineure en montant; la deuxiéme note de ce chant peut être la tonique du mode principal. Un air qui commence par les notes re, si, sol, formant les deux intervalles dont je viens de parler, peut n'être pas en G re sol, mais en B fa si. En ce cas, si celui qui exécute ce chant forme un coulé en descendant de re à si, il doit le former par ut [x] qui fasse voir que le chant n'est pas en G re sol. Lorsqu'un chant de basse commence par un intervalle de tierce mineure en descendant, suivi d'un intervalle de quinte en montant ou de quarte en descendant; la premiere note de ce chant peut être la tonique du mode principal. L'air Je ne romprois pas notre chaîne, Acte quatriéme de l'Europe galante, Scene 2, commence par la fa [x] ut [x] formant les deux premiers de ces intervalles, et n'est point en fa [x], mais en A mi la majeur. Un chant de basse peut débuter par un intervalle de tierce majeure en descendant suivi d'un intervalle de quarte en descendant, et avoir pour tonique de son mode principal sa premiere note. Ainsi un chant de basse peut commencer par mi ut sol, et n'être pas en C sol ut, mais en E si mi. Bien plus un chant de basse peut commencer par la fa re, et n'être pas en D la re, mais en A mi la. Ainsi lorsqu'un chant de basse commence par deux intervalles de tierce en descendant, la plus basse [-45-] des trois notes qui forment ces deux intervalles, peut n'être pas la tonique du mode principal de ce chant.
Lorsque trois notes qui forment ou peuvent former deux intervalles de tierce, se trouvent au commencement d'un air mêlées avec d'autres notes, de maniére qu'elles se font plus sentir que ces autres notes, soit parce qu'elles sont plus longues, soit parce qu'elles commencent les tems et les mesures; elles annoncent le mode principal, comme si elles étoient toutes trois de suite. Ainsi tous les commencemens d'air qu'offre l'exemple 14 [BETHEX1 03GF], annoncent le mode de C sol ut pour principal, parce que les notes ut, mi, sol, s'y font plus sentir que les autres.
Deux autres intervalles, celui de quarte et celui de quinte, lorsqu'ils se trouvent au commencement des chants, en font aussi connoître les modes principaux.
Un intervalle de quarte est celui d'une note que l'on compte pour premiere à une autre note qui se trouve la quatriéme, lorsqu'on procéde par dégrés diatoniques en partant de cette premiere. Ainsi l'intervalle d'ut à fa en montant, et celui d'ut à sol en descendant, sont des intervalles de quarte. Un intervalle de quinte est celui d'une note à celle qui se trouve la cinquiéme, lorsqu'on procéde comme je viens de le dire. Ainsi l'intervalle d'ut à sol en montant, et celui d'ut à fa en descendant, sont des intervalles de quinte.
La premiere note d'un chant qui commence par un intervalle de quinte en montant ou de quarte en descendant, est presque toujours la tonique du mode principal de ce chant. Voyez l'exemple 15 [BETHEX1 03GF], [-46-] qui en renferme plusieurs petits que je suppose être des commencemens d'air. Je dis presque toujours et non pas toujours, parce qu'il y a quelques exemples contraires. Voyez l'exemple 16 [BETHEX1 03GF], qui commence par ut sol, et qui néanmoins est en F ut fa.
La premiere note d'un chant qui commence par un intervalle de quarte en montant ou de quinte en descendant, est presque toujours la dominante du mode principal de ce chant; la seconde note est alors la tonique de ce mode. Voyez l'exemple 17 [BETHEX1 03GF], qui en renferme plusieurs petits. Quelques exemples contraires m'obligent à restraindre cette proposition comme la précédente. Voyez l'exemple 18 [BETHEX1 03GF], qui commence par sol ut et qui est néanmoins en G re sol, et le 19 [BETHEX1 04GF] qui est en C sol ut, quoique la partie supérieure chantante commence par mi la, et la basse par ut fa.
Lorsque les premieres notes d'un chant n'en font point connoître le mode principal, il faut chanter de suite le commencement du chant, jusqu'à ce qu'on apperçoive un repos qui marque la fin d'une phrase, ou celle d'un membre considérable de phrase.
Si ce repos se trouve sur un terminaison, soit réelle, soit simplement possible, mais parfait et bien sensible d'un mode, telle que celles des modes de F ut fa et de G re sol dans l'exemple 11 [BETHEX1 02GF], lettre E et H; la note de ce repos est tonique, et pour l'ordinaire une tonique qui est la premiere note de repos dans un chant, est tonique du mode principal.
Si ce repos ne se trouve point sur une terminaison semblable; il faut, après avoir chanté de suite ce qui le précéde, s'arrêter sur la note de repos, [-47-] et faire ensuite tomber sa voix le plus naturellement qu'il est possible sur une note plus basse. La voix après certaines notes de repos se porte également à plusieurs notes différentes. Il y a des notes de repos après lesquelles elle descend indifféremment d'un, de deux ou de quatre dégrés. Voyez l'exemple 20 [BETHEX1 04GF]. Après la note B. qui est un re, la voix se porte également à l'ut au si ou au sol. Il y en a après lesquelles elle descend indifféremment d'un ou de deux dégrés. Voyez l'exemple 21 [BETHEX1 04GF]. Après la note B. qui est un mi, la voix se porte indifféremment à re ou à ut. Il y en a après lesquelles elle descend également de deux ou de quatre dégrés. Voyez l'exemple 22 [BETHEX1 04GF]. Après la note B. qui est un mi, elle se porte également à l'ut [x] ou au la. Il y en a d'autres après lesquelles elle descend de trois ou de sept dégrés. Voyez l'exemple 23 [BETHEX1 04GF]. Après la note B. qui est un sol, elle se porte indifféremment au re ou au sol. Enfin il y a des notes de repos après lesquelles elle ne descend naturellement qu'à la tierce. Voyez l'exemple 24 [BETHEX1 04GF]. Après la note B. qui est un si, elle ne se porte d'elle-même qu'au sol. Les chants présentent souvent après les notes de repos, ces notes auxquelles la voix se porte par un instinct naturel.
La plus basse des deux ou trois notes auxquelles la voix descend indifféremment après la note du premier repos considérable d'un chant, ainsi que celle à laquelle la voix se porte uniquement, est tonique ou dominante du mode principal de ce chant. Pour sçavoir lequel des deux caractéres est celui de cette note que la nature indique, il faut chercher entre les premieres notes du chant une note qui soit un dégré au-dessous ou six dégrés au-dessus de cette note indiquée. Quand on l'a [-48-] trouvée, il faut voir si elle est un demi-ton ou un ton plus bas que la note indiquée, ou que l'octave de cette derniere note.
Lorsqu'elle n'est qu'un demi-ton plus bas, la note indiquée est tonique du mode principal du chant. Ainsi l'ut indiqué dans l'exemple 21 [BETHEX1 04GF] et le sol indiqué dans l'exemple 23 [BETHEX1 04GF] ont ce caractère. Car on trouve entre les premieres notes de l'exemple 21 [BETHEX1 04GF], un si naturel marqué d'un A, et entre les prémieres notes de l'exemple 23 [BETHEX1 04GF] un fa [x] marqué aussi d'un A. L'exemple 21 [BETHEX1 04GF] est donc en C sol ut, et l'exemple 23 [BETHEX1 04GF] en G re sol.
Lorsque la note qu'on a cherchée est un ton plus bas que la note indiquée, ou que l'octave de cette derniere note, et se trouve suivie d'une note plus haute; la note indiquée est dominante du mode principal. Ainsi dans l'exemple 22 [BETHEX1 04GF], le la indiqué a ce caractère. Car on trouve entre les premieres notes du chant à la lettre A un sol naturel, qui monte au la octave du la indiqué. Cet exemple est donc en D la re.
Lorsque la note cherchée est un ton plus bas que la note indiquée, on que l'octave de cette derniere note, et se trouve suivie d'une note plus basse d'un demi-ton; la note indiquée est encore dominante du mode principal. Ainsi dans les exemples 20 et 24 [BETHEX1 04GF] le sol indiqué a ce caractère. Car on trouve entre les premieres notes de chacun de ces exemples à la lettre A, un fa naturel suivi d'un mi naturel. Ces deux exemples sont donc en C sol ut.
Lorsque la note cherchée est un ton plus bas que la note indiquée, ou que l'octave de cette derniere note, et se trouve suivie d'une note plus basse d'un ton entier; il faut voir s'il n'y a pas [-49-] dans le chant, avant la note indiquée, une note qui soit la tierce de cette note indiquée, ou si la nature qui indique quelquefois deux ou trois notes, n'indique pas cette tierce au-dessus de la note dont on cherche le caractére. Il faut ensuite remarquer si cette tierce est majeure ou mineure. Si elle est majeure, la note dont on cherche le caractére est dominante du mode principal; si elle est mineure, cette note est tonique de ce mode. Ainsi dans l'exemple 25 [BETHEX1 04GF] le la indiqué est dominante du mode principal, parce que l'ut [x] A note de repos est la tierce majeure de ce la. Dans le 26 [BETHEX1 04GF] le la B que la nature indique, et que le goût oblige de mettre réellement après l'ut A note de repos, est tonique du mode principal, parce que cet ut est la tierce mineure de cette note indiquée.
Voilà les différens moyens de reconnoître dès le commencement des airs, quel est le mode principal de chacun d'eux. Mais tous ces moyens que je viens de donner dans un assez grand détail, ne suffisent pas pour tous les chants. Il y a des airs qui sont faits de maniére, qu'en ne voyant que leurs débuts, on ne peut dire quel est le mode principal de chacun d'eux. Tel seroit un air dont l'exemple 27 [BETHEX1 04GF] seroit le commencement. Car cet exemple peut être en C sol ut et en F ut fa.
Pour finir son incertitude à l'égard du mode principal d'un chant dont le début est équivoque, il faut recourir aux modes enchaînés. Voici comment il faut s'y prendre. Je suppose qu'on cherche quel est le mode principal d'un air dont l'exemple 27 [BETHEX1 04GF] est le début. Il faut d'abord se rappeller quels modes s'enchaînent ordinairement à celui de C sol ut, et quels modes s'enchaînent à celui de F ut fa; voir [-50-] ensuite par les moyens que je donnerai dans l'Article suivant, quels modes cet air parcourt; et décider ainsi lequel des deux modes de C sol ut et de F ut fa est celui du début, et par conséquent le principal de l'air. Le premier mode enchaîné à un mode principal qu'on cherche, peut le découvrir. Si celui de G re sol majeur paroissoit dans une certaine étendue après le début de l'air dont je parle; ce début seroit en C sol ut et non en F ut fa, parce que le mode de G re sol majeur paroît ordinairement le premier, souvent même pendant un nombre considérable de mesures après celui de C sol ut, quand celui-ci est principal, et ne paroît pas de même après le mode de F ut fa, quand ce mode-ci a cette qualité.
Au reste ces chants dont les débuts n'annoncent point le mode principal, sont fort rares. Les premieres notes, ou du moins les premieres mesures de presque tous les airs, font appercevoir clairement le ton dans lequel chacun est composé.
L'espéce de la modulation d'un mode principal se reconnoît à la médiante. Il est majeur quand sa médiante est la tierce majeure de sa tonique; il est mineur quand sa médiante est la tierce mineure de cette note.
Article II.
Des moyens de reconnoître du moins une partie des modes enchaînés au mode principal d'un chant, et l'espéce de la modulation de ces modes.
On reconnoît qu'un air change ou a changé de mode, quand une ou plusieurs de ses notes prennent ou quittent un diese ou un bémol.
[-51-] Une note qui prend seule un diese, est ordinairement note sensible d'un nouveau mode. Par exemple, si dans un chant qui a commencé en C sol ut, le fa prend seul un diese; cette note est alors note sensible du mode de G re sol enchaîné à celui de C sol ut: si dans un chant qui a commencé en D la re majeur, où le fa et l'ut sont dieses, le sol prend seul un diese; le sol est alors note sensible du mode d'A mi la enchaîné à celui de D la re majeur.
Une note qui prend seule un diese, est quelquefois sutonique d'un nouveau mode; mais il faut remarquer que si cette note est la seule qui paroisse avec un diese, c'est parce que toutes les notes du nouveau mode ne sont pas employées. Car si le chant les offroit toutes, on y verroit un autre diese, qui suivant ce que je dirai bientôt, rendroit note sensible la note qu'il accompagneroit. Voyez l'exemple 28 [BETHEX1 04GF]. Le fa prend seul un diese à la lettre A, le conserve jusqu'à la fin de l'exemple, et se trouve sutonique du mode d'E si mi qui succéde à celui d'A mi la. Mais si toutes les notes du nouveau mode étoient employées dans le chant; on y verroit un autre diese qui accompagneroit le re et le rendroit note sensible.
Pour discerner si une note qui prend seule un diese est sutonique ou note sensible, il faut s'arrêter sur cette note après avoir chanté tout ce qui la précéde, faire ensuite tomber sa voix le plus naturellement qu'il est possible sur une note plus basse. Si la voix se porte seulement à la tierce; la note qui prend seule un diese dans le chant est note sensible, et la note que la nature indique deux dégrés au dessous est dominante. Ainsi la note A des [-52-] exemples 30, 31 et 32 [BETHEX1 05GF] est sensible, car la voix après elle ne descend naturellement qu'à la tierce; et la note B de l'exemple 32 [BETHEX1 05GF] est dominante, car elle est cette tierce que la nature indique. Si la voix se porte indifféremment un ou deux ou quatre dégrés au-dessous; la note qui prend seule un diese dans le chant est sutonique, celle que la nature indique un dégré au-dessous est tonique, celle qu'elle indique à la quinte au-dessous est dominante, celle qu'elle indique à la tierce est sensible, et se trouveroit accompagnée d'un diese, si elle paroissoit dans le chant. La nature l'indique avec ce diese, qui dans cette occasion marque qu'elle est sensible. Après la note A de l'exemple 28 [BETHEX1 04GF] la voix se porte également à mi, à re [x] et à si, ce qui montre que cette note A est sutonique.
Lorsque plusieurs dieses paroissent à la fois, c'est-à-dire, consécutivement ou presque consécutivement; il faut recourir à l'ordre dans lequel on doit poser les dieses, qui est fa ut sol re la mi si. Celui qui suivant cet ordre est posé le dernier, rend sensible la note qu'il accompagne. Par exemple, si l'ut et le re prennent chacun un diese, le re est note sensible, parce que son diese est le dernier posé suivant l'ordre dont je viens de parler.
Une note qui quitte seule un bémol qui est ou devroit être à la clef, devient ordinairement note sensible. Le béquarre qu'elle prend fait l'effet d'un diese. Car le changement d'une note bémolisée en une note naturelle, par exemple de mi [rob] en mi [sqb] ou naturel, est le même que celui d'une note naturelle en une note diésée, de fa, par exemple, en fa [x]. Cette note qui quitte seule un bémol, devient quelquefois sutonique d'un nouveau mode. [-53-] Pour sçavoir si elle devient sensible ou sutonique, il faut faire la même opération qu'on fait pour sçavoir lequel de ces deux caractéres est celui d'une note qui prend seule un diese.
Quand plusieurs notes quittent à la fois les bémols qui sont ou devroient être à la clef, il faut recourir à l'ordre dans lequel on doit poser les bémols, qui est si mi la re sol ut fa, et regarder comme note sensible la note qu'accompagnoit celui des bémols retranchés, qui suivant cet ordre étoit le premier posé. Voyez l'exemple 29 [BETHEX1 05GF]. Les béquarres des notes A, B, C retranchent chacun un bémol de la clef. Une de ces trois notes devient sensible, et c'est la note C, parce que le bémol que son béquarre retranche, est suivant l'ordre des bémols plûtôt posé que ceux qui sont retranchés par les béquarres des notes A et B.
Comme chaque béquarre en retranchant un bémol, fait le même effet qu'un diese; les Auteurs mettent souvent des dieses au lieu de béquarres, pour retrancher les bémols mis à la clef. Ces dieses substitués aux béquarres élevent d'un demi-ton les notes, non en les mettant au-dessus de leur ton naturel, mais en les remettant à leur ton naturel, au-dessous duquel elles étoient par les bémols.
Une note qui prend seule un bémol devient soudominante, ou sudominante, ou médiante. C'est par ce qui la suit, et quelquefois par ce qui la précéde, qu'on peut juger de son caractère. Voyez les exemples 30, 31 et 32 [BETHEX1 05GF]. Dans le 30 [BETHEX1 05GF] le bémol qui paroît auprès de la note B qui est un si, la rend soudominante; et le chant passe au mode de F ut fa, comme on le voit par la terminaison de ce [-54-] mode formée par les notes C et D. Il est aisé de reconnoître de même que la note B qui prend un bémol dans l'exemple 31 [BETHEX1 05GF], devient sudominante; et que la note C de l'exemple 32 [BETHEX1 05GF] est une médiante.
Lorsque plusieurs bémols paroissent à la fois; celui qui suivant l'ordre de la position des bémols est posé le dernier, accompagne une nouvelle sudominante.
Lorsqu'une note quitte un diese qui est ou devroit être à la clef, le béquarre qu'elle prend, fait l'effet d'un bémol, et cette note devient soudominante ou sudominante ou médiante. Pour s'en convaincre, il suffit de transposer les trois derniers exemples en un ton qui demande des dieses à la clef. Je n'en transposerai qu'un. Voyez l'exemple 33 [BETHEX1 05GF], qui n'est autre chose que l'exemple 30 [BETHEX1 05GF] transposé en A mi la majeur. Le béquarre fait dans cet exemple 33 [BETHEX1 05GF], ce que le bémol fait dans le 30 [BETHEX1 05GF].
Quand plusieurs notes quittent à la fois plusieurs dieses qui sont ou qui devroient être à la clef, il faut voir lequel des dieses effacés par les béquarres étoit le premier suivant l'ordre de la position des dieses. La note qui le quitte devient sudominante. Voyez l'exemple 34 [BETHEX1 05GF]. Les notes A et B quittent chacune un diese; la note A est un re, la note B est un sol; suivant l'ordre des dieses celui du sol étoit posé avant celui du re. Ainsi la note B est sudominante.
Comme chaque béquarre en retranchant un diese, fait le même effet qu'un bémol; les auteurs mettent souvent des bémols à la place des béquarres qui retranchent les dieses. Ces bémols substitués aux béquarres baissent d'un demi-ton les notes, non en les mettant au-dessous de leur ton naturel, [-55-] mais en les remettant à leur ton naturel, au-dessus duquel elles étoient par les dieses.
Je n'en dirai pas davantage sur les moyens de reconnoître les modes qui paroissent dans le cours d'un chant. La connoissance de l'harmonie répandra des nouvelles lumieres sur ce sujet. On verra en étudiant la Seconde Partie de ce Traité, et en examinant différentes pieces de musique après l'avoir étudiée, qu'il se trouve dans les chants des modes enchaînés qu'aucun diese ni aucun bémol n'annoncent; qu'on peut en composant d'une certaine maniére la basse d'un air, faire paroître dans cet air un mode qui n'y paroîtroit pas si l'on avoit composé d'une autre maniére cette basse; qu'il y a aussi de nouveaux dieses et de nouveaux bémols qui paroissent dans les chants sans annoncer aucun mode nouveau, soit parce que ces dieses ou ces bémols changent seulement la modulation, soit parce qu'ils se trouvent dans des suites de notes qui n'appartiennent à aucun mode; et qu'ainsi ce que j'ai dit dans cet Article sur les notes qui prennent de nouveaux dieses ou de nouveaux bémols, n'est vrai qu'autant que ces notes ne se trouvent point dans un simple changement de modulation, ni dans ces sortes de suites.
La modulation de chaque mode enchaîné se reconnoît à la médiante, de même que celle du mode principal.
[-1-] PREMIERE PARTIE.
[Bethizy, Exposition, 1; text: Tonique. Sutonique. Médiante. Soudominante. Dominante. Sudominante. Sensible. Octave. Ton. Demiton majeure, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12] [BETHEX1 01GF]
[-2-] [Bethizy, Exposition, 2; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, ut, re, mi, fa, sol, la, si, majeur, mineur, Fêtes de l'Eté troisiéme entrée. Grave et piqué. 8, 9, 10, 11] [BETHEX1 02GF]
[-3-] [Bethizy, Exposition, 3; text: 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, A, C, D, G, ut, re, mi, sol, la, ou, Motet de Monsieur Bernier premier Volume. Congratulamini. Amours des Dieux, troisiéme entrée Scêne V.] [BETHEX1 03GF]
[-4-] [Bethizy, Exposition, 4; text: Prologue d'Armide. Que dans le temple de mémoire. 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, A. B. C sol ut] [BETHEX1 04GF]
[-5-] [Bethizy, Exposition, 5; text: A. B. C. D. 29, 30, 31, 32, 33, 34] [BETHEX1 05GF]