TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: GLUCEP TEXT
Author: Gluck, Christoph Willibald von
Title: Épitre Dédicatoire de l'opéra d'Alceste
Source: "Épitre Dédicatoire de l'opéra d'Alceste" in Gazette de Littérature ([n.d.]; reprint ed. Querelle des Gluckistes et des Piccinnistes, Genève: Minkoff, 1984), 1:15-17.

[-15-] ÉPITRE DÉDICATOIRE DE L'OPÉRA D'ALCESTE, PAR MONSIEUR GLUCK.

Lorsque j'entrepris de mettre en musique l'Opéra d'Alceste, je me proposai d'éviter tous les abus que la vanité mal entendue des Chanteurs et l'excessive complaisance des Compositeurs, avoient introduits dans l'Opéra Italien, et qui, du plus pompeux et du plus beau de tous les spectacles, en avoient fait le plus ennuieux et le plus ridicule; je cherchai à réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie, pour fortifier l'expression des sentimens et l'intérêt des situations, sans interrompre l'action et la refroidir par des ornemens superflus; je crus que la musique devoit ajouter à la poésie ce qu'ajoute à un dessin correct et bien composé, la vivacité des couleurs et l'accord heureux des lumières et des ombres, qui servent à animer les figures sans en altérer les contours.

Je me suis donc bien gardé d'interrompre un Acteur dans la chaleur du Dialogue pour lui faire attendre une ennuieuse ritournelle, ou de l'arrêter au milieu de son discours sur une voyelle favorable, soit pour déployer dans un long passage l'agilité de sa belle voix, soit pour attendre que l'Orchestre lui donnât le temps de reprendre haleine pour faire un point d'orgue.

Je n'ai pas cru non plus devoir ni passer rapidement [-16-] sur la seconde partie d'un air, lorsque cette seconde partie étoit la plus passionnée et la plus importante, afin de répéter régulièrement quatre fois les paroles de l'air; ni finir l'air où le sens ne finit pas, pour donner au Chanteur la facilité de faire voir qu'il peut varier à son gré et de plusieurs manières un passage.

Enfin j'ai voulu proscrire tous ces abus contre lesquels, depuis long-temps, se recrioient en vain le bon sens et le bon goût.

J'ai imaginé que l'Ouverture devoit prévenir les spectateurs, sur le caractère de l'action qu'on alloit mettre sous leurs yeux, et leur en indiquer le sujet; que les instrumens ne devoient être mis en action qu'en proportion du degré d'intérêts et de passions, et qu'il falloit éviter sur-tout de laisser dans le Dialogue une disparate trop tranchante entre l'air et le récitatif, afin de ne pas tronquer à contre-sens la période, et de ne pas interrompre mal-à-propos le mouvement et la chaleur de la scène.

J'ai cru encore que la plus grande partie de mon travail devoit se réduire à chercher une belle simplicité, et j'ai évité de faire parade de difficultés aux dépens de la clarté; je n'ai attaché aucun prix à la découverte d'une nouveauté, à moins qu'elle ne fût naturellement donnée par la situation et liée à l'expression; enfin il n'y a aucune regle que je n'aie cru devoir sacrifier de bonne grace en faveur de l'effet.

Voila mes principes; heureusement le poëme se prêtoit à merveille à mon dessein; le célébre Auteur de l'Alceste, ayant conçu un nouveau plan de Drame Lyrique, avoit substitué aux descriptions fleuries, aux comparaisons inutiles, aux froides et sententieuses [-17-] moralités, des passions fortes, des situations intéressantes, le langage du coeur et un spectacle toujours varié. Le succès a justifié mes idées, et l'approbation universelle dans une ville aussi éclairée, m'a démontré que la simplicité et la vérité sont les grands principes du beau dans toutes les productions des Arts, et cetera.

Gazette de Littérature.


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