TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Fn and Ft: ROUDIC2 TEXT
Author: Rousseau, Jean-Jacques
Title: Dictionnaire de Musique, E-M
Source: Oeuvres complètes de J. J. Rousseau, mises dans un nouvel ordre, avec des notes historiques et des éclaircissements, 26 vols., Beaux-arts: Dictionnaire de musique, Tome premier, ed. V. D. Musset-Pathay (Paris: P. Dupont, 1824), 12:282-472.
Graphics: ROUDIC2 01GF
[-282-] E.
E si mi, E la mi, ou simplement E. Troisième son de la gamme de l'Arétin, que l'on appelle autrement mi. (Voyez Gamme.)
Écbolé, ou élévation. C'était, dans les plus anciennes musiques grecques, une altération du genre enharmonique, lorsqu'une corde était accidentellement élevée de cinq dièses au-dessus de son accord ordinaire.
Échelle, substantif féminin. C'est le nom qu'on a donné à la succession diatonique des sept notes, ut re mi fa sol la si de la gamme notée, parce que ces notes se trouvent rangées en manière d'échelons sur les portées de notre musique.
Cette énumération de tous les sons diatoniques de notre système, rangés par ordre, que nous appelons échelle, les Grecs, dans le leur, l'appelaient tétracorde, parce qu'en effet leur échelle n'était [-283-] composée que de quatre sons qu'ils répétaient de de tétracorde en tétracorde, comme nous faisons d'octave en octave. (Voyez Tétracorde.)
Saint Grégoire fut, dit-on, le premier qui changea les tétracordes des anciens en un eptacorde ou système de sept notes, au bout desquelles commençant une antre octave, on trouve des sons semblables répétés dans le même ordre. Cette découverte est très-belle; et il semblera singulier que les Grecs, qui voyaient fort bien les propriétés de l'octave, aient cru, malgré cela, devoir rester attachés à leurs tétracordes. Grégoire exprima ces sept notes avec les sept premières lettres de l'alphabet latin. Gui Arétin donna des noms aux six premières; mais il négligea d'en donner un à la septième, qu'en France on a depuis appelée si, et qui n'a point encore d'autre nom que B mi chez la plupart des peuples de l'Europe.
Il ne faut pas croire que les rapports des tons et semi-tons dont l'échelle est composée soient des choses purement arbitraires, et qu'on eût pu par d'autres divisions tout aussi bonnes donner aux sons de cette échelle un ordre et des rapports différents. Notre système diatonique est le meilleur à certains égards, parce qu'il est engendré par les consonnances et par les différences qui sont entre elles. "Que l'ont ait entendu plusieurs fois, dit Monsieur Sauveur, l'accord de la quinte et celui de la quarte, on est porté naturellement à imaginer la différence qui est entre eux; elle s'unit et se lie avec eux dans notre esprit, et participe à leur [-284-] agrément: voila le ton majeur. Il en va de même du ton mineur, qui est la différence de la tierce mineure à la quarte, et du semi-ton majeur, qui est celle de la même quarte à la tierce majeure." Or, le ton majeur, le ton-mineur, et le semi-ton majeur, voila les degrés diatoniques dont notre échelle est composée selon les rapports suivants.
[Rousseau, Dictionnaire A-M, 284; text: Ton majeur. Ton mineur. Semi-ton majeur. ut, re, mi, fa, sol, la, si, 8/9, 9/10, 15/16] [ROUDIC2 01GF]
Pour faire la preuve de ce calcul, il faut composer tous les rapports compris entre deux termes consonnants, et l'on trouvera que leur produit donne exactement le rapport de la consonnance; et si l'on réunit tous les termes de l'échelle, on trouvera le rapport total en raison sous-double, c'est-à-dire comme 1 est à 2; ce qui est en effet le rapport exact des deux termes extrêmes, c'est-à-dire de l'ut à son octave.
L'échelle qu'on vient de voir est celle qu'on nomme naturelle ou diatonique; mais les modernes, divisant ses degrés en d'autres intervalles plus petits, en ont tiré une autre échelle, qu'ils ont appelée échelle semi-tonique ou chromatique, parce qu'elle procède par semi-tons.
Pour former cette échelle on n'a fait que partager [-285-] en deux intervalles égaux, ou supposés tels, chacun des cinq tons entiers de l'octave, sans distinguer le ton majeur du ton mineur; et qui, avec les deux semi-tons majeurs qui s'y trouvaient déjà, fait une succession de douze semi-tons sur treize sons consécutifs d'une octave à l'autre.
L'usage de cette échelle est de donner les moyens de moduler sur telle note qu'on veut choisir pour fondamentale, et de pouvoir, non seulement faire sur cette note un intervalle quelconque, mais y établir une échelle diatonique semblable à l'échelle diatonique de l'ut. Tant qu'on s'est contenté d'avoir pour tonique une note de la gamme prise à volonté, sans s'embarrasser si les sons par lesquels devait passer la modulation étaient avec cette note et entre eux dans les rapports convenables, l'échelle semi-tonique était peu nécessaire; quelque fa dièse, quelque si bémol, composaient ce qu'on appelait les feintes de la musique: c'étaient seulement deux touches à ajouter au clavier diatonique. Mais, depuis qu'on a cru sentir la nécessité d'établir entre les divers tons une similitude parfaite, il a fallu trouver des moyens de transporter les mêmes chants et les mêmes intervalles plus haut ou plus bas, selon le ton que l'on choisissait. L'échelle chromatique est donc devenue d'une nécessité indispensable; et c'est par son moyen qu'on porte un chant sur tel degré du clavier que l'on veut choisir, et qu'on le rend exactement sur cette nouvelle position, tel qu'il peut avoir été imaginé pour une autre.
[-286-] Ces cinq sons ajoutés ne forment pas dans la musique de nouveaux degrés, mais ils se marquent tous sur le degré le plus voisin par un bémol, si le degré est plus haut; par un dièse, s'il est plus bas: et la note prend toujours le nom du degré sur lequel elle est placée. (Voyez Bémol et Dièse.)
Pour assigner maintenant les rapports de ces nouveaux intervalles, il faut savoir que les deux parties, ou semi-tons qui composent le ton majeur, sont dans les rapports de 15 à 16 et de 128 à 135, et que les deux qui composent aussi le ton mineur sont dans les rapports de 15 à 16, et de 24 à 25: de sorte qu'en divisant toute l'octave selon l'échelle semi-tonique, on en a tous les termes dans les rapports exprimés dans la Planche L, figure 1 [ROUDIC4 12GF].
Mais il faut remarquer que cette division, tirée de Monsieur Malcolm, parait à bien des égards manquer de justesse. Premièrement, les semi-tons, qui doivent être mineurs, y sont majeurs, et celui du sol dièse au la, qui dolt être majeur, y est mineur. En second lieu, plusieurs tierces majeures, comme celle du la à l'ut dièse et du mi au sol dièse, y sont trop fortes d'un comma; ce qui doit les rendre insupportables: enfin le semi-ton moyen y étant substitué au semi-ton maxime, donne des intervalles faux partout où il est employé. Sur quoi l'on ne doit pas oublier que ce semi-ton moyen est plus grand que le majeur même, c'est-à-dire moyen entre le maxime et le majeur. (Voyez Semi-ton.)
Une division meilleure et plus naturelle serait donc de partager le ton majeur en deux semi-tons, [-287-] l'un mineur de 24 à 25, et l'autre maxime de 25 à 27, laissant le ton mineur divisé en deux semitons, l'un majeur et l'autre mineur, comme dans la table ci-dessus.
Il y a encore deux autres échelles semi-toniques, qui viennent de deux autres manières de diviser l'octave par semi-tons.
La première se fait en prenant une moyenne harmonique ou arithmétique entre les deux termes du ton majeur, et une autre entre ceux du ton mineur, qui divise l'un et l'autre ton en deux semitons presque égaux: ainsi le ton majeur 8/<9> est divisé en 16/17 et 17/18 arithmétiquement, les nombres représentant les longueurs des cordes; mais quand ils représentent les vibrations, les longueurs des des cordes sont réciproques et en proportion harmonique comme 1 16/17 8/9; ce qui met le plus grand semi-ton au grave.
De la même manière le ton mineur 9/10 se divise arithmétiquement en deux semi-tons 18/19 et 19/20, ou réciproquement 1 18/19 9/10: mais cette dernière division n'est pas harmonique.
Toute l'octave ainsi calculée donne les rapports exprimés dans la Planche L, figure 2 [ROUDIC4 12GF].
Monsieur Salmon rapporte, dans les Transactions philosophiques, qu'il a fait devant la Société royale une expérience de cette échelle sur des cordes divisées exactement selon ces proportions, et qu'elles furent parfaitement d'accord avec d'autres instruments touchés par les meilleures mains. Monsieur Macolm ajoute qu'ayant calculé et comparé ces rapports, il en [-288-] trouva un plus grand nombre de faux dans cette échelle que dans la précédente; mais que les erreurs étaient considérablement moindres; ce qui fait compensation.
Enfin l'autre échelle semi-tonique est celle des aristoxéniens, dont le Père Mersenne a traité fort au long, et que Monsieur Rameau a tenté de renouveler dans ces derniers temps. Elle consiste à diviser géométriquement l'octave par onze moyennes proportionnelles en douze semi-tons parfaitement égaux. Comme les rapports n'en sont pas rationnels, je ne donnerai point ici ces rapports, qu'on ne peut exprimer que par la formule même, ou par les logarithmes des termes de la progression entre les extrêmes 1 et 2. (Voyez Tempérament.)
Comme au genre diatonique et au chromatique les harmonistes en ajoutent un troisième, savoir l'enharmonique, ce troisième genre doit avoir aussi son échelle, du moins par supposition; car, quoique les intervalles vraiment enharmoniques n'existent point dans notre clavier, il est certain que tout passage enharmonique les suppose, et que l'esprit, corrigeant sur ce point la sensation de l'oreille, ne passe alors d'une idée à l'autre qu'à la faveur de cet intervalle sous-entendu. Si chaque ton était exactement composé de deux semi-tons mineurs, tout intervalle enharmonique serait nul, et ce genre n'existerait pas; mais comme un ton mineur même contient plus de deux semi-tons mineurs, le complément de la somme de ces deux semi-tons au ton, c'est-à-dire l'espace qui reste entre le dièse de la [-289-] note inférieure et le bémol de la supérieure, est précisément l'intervalle enharmonique, appelé communément quart-de-ton. Ce quart-de-ton est de deux espèces; savoir, l'enharmonique majeur et l'enharmonique mineur, dont on trouvera les rapports au mot Quart-de-ton.
Cette explication doit suffire à tout lecteur pour concevoir aisément l'échelle enharmonique que j'ai calculée et insérée dans la Planche L, figure 3 [ROUDIC4 12GF]. Ceux qui chercheront de plus grands éclaircissements sur ce point pourront lire le mot Enharmonique.
Écho, substantif masculin. Son renvoyé ou réfléchi par un corps solide, et qui par là se répète et se renouvelle à l'oreille. Ce mot vient du grec [echos], son.
On appelle aussi écho le lieu où la répétition se fait entendre.
On distingue les échos pris en ce sens en deux espèces; savoir:
Première L'écho simple qui ne répète la voix qu'une fois, et seconde l'écho double ou multiple qui répète les mêmes sons deux ou plusieurs fois.
Dans les échos simples, il y en a de toniques, c'est-à-dire qui ne répètent que le son musical et soutenu; et d'autres syllabiques, qui répètent aussi la voix parlante.
On peut tirer parti des échos multiples pour former des accords et de l'harmonie avec une seule voix, en faisant entre la voix et l'écho une espèce de canon dont la mesure doit être réglée sur le temps qui s'écoule entre les sons prononcés et les mêmes sons répétés. Cette manière de faire un concert à [-290-] soi tout seul devrait, si le chanteur était habile et l'écho vigoureux, paraître étonnante et presque magique aux auditeurs non prévenus.
Le nom d'écho se transporte en musique à ces sortes d'airs ou de pièces dans lesquelles, à l'imitation de l'écho, l'on répète de temps en temps et fort doux un certain nombre de notes. C'est sur l'orgue qu'on emploie le plus communément cette manière de jouer, à cause de la facilité qu'on a de faire des échos sur le positif; on peut faire aussi des échos sur le clavecin au moyen du petit clavier.
L'abbé Brossard dit qu'on se sert quelquefois du mot écho en la place de celui de doux ou piano, pour marquer qu'il faut adoucir la voix ou le son de l'instrument, comme pour faire un écho. Cet usage ne subsiste plus.
Échomètre, substantif masculin. Espèce d'échelle graduée, ou de règle divisée en plusieurs parties, dont on se sert pour mesurer la durée ou longueur des sons, pour déterminer leurs valeurs diverses, et même les rapports de leurs intervalles.
Ce mot vient du grec [echos], son, et de [metron], mesure.
Je n'entreprendrai pas la description de cette machine, parce qu'on n'en fera jamais aucun usage, et qu'il n'y a de bon échomètre qu'une oreille sensible et une longue habitude de la musique. Ceux qui voudront en savoir là-dessus davantage peuvent consulter le Mémoire de Monsieur Sauveur, inséré dans ceux de l'Académie des sciences, année 1701: ils y trouveront deux échelles de cette espèce, l'une de [-291-] Monsieur Sauveur, et l'autre de Monsieur Loulié. (Voyez aussi l'article Chronomètre.)
Éclyse, substantif féminin. Abaissement. C'était, dans les plus anciennes musiques grecques, une altération dans le genre enharmonique, lorsqu'une corde était accidentellement abaissée de trois dièses au-dessous de son accord ordinaire. Ainsi l'éclyse était le contraire du spondéasme.
Ecmèle, adjectif. Les sons ecmèles étaient, chez les Grecs, ceux de la voix inappréciable ou parlante, qui ne pent fournir de mélodie, par opposition aux sons emmèles ou musicaux.
Effet, substantif masculin. Impression agréable et forte que produit une excellente musique sur l'oreille et l'esprit des écoutants: ainsi le seul mot effet signifie en musique un grand et bel effet: et non-seulement on dira d'un ouvrage qu'il fait de l'effet, mais on y distinguera sous le nom de choses d'effet, toutes celles où la sensation produite paraît supérieure aux moyens employés pour l'exciter.
Une longue pratique peut apprendre à connaître sur le papier les choses d'effet; mais il n'y a que le génie qui les trouve. C'est le défaut des mauvais compositeurs et de tous les commençants d'entasser parties sur parties, instruments sur instruments, pour trouver l'effet qui les fuit, et d'ouvrir, comme disait un ancien, une grande bouche pour souffler dans une petite flûte. Vous diriez, à voir leurs partitions si chargées, si hérissées, qu'ils vont vous surprendre par des effets prodigieux; et si vous êtes surpris en écoutant tout cela, c'est [-292-] d'entendre une petite musique maigre, chétive, confuse, sans effet, et plus propre à étourdir les oreilles qu'à les remplir. Au contraire, l'oeil cherche sur les partitions des grands maîtres ces effets sublimes et ravissants que produit leur musique exécutée. C'est que les menus détails sont ignorés ou dédaignés du vrai génie, qu'il ne vous amuse point par des foules d'objets petits et puérils, mais qu'il vous émeut par de grands effets, et que la force et la simplicité réunies forment toujours son caractère.
Égal, adjectif. Nom donné par les Grecs au système d'Aristoxène, parce que cet auteur divisait généralement chacun de ses tétracordes en trente parties égales, dont il assignait ensuite un certain nombre à chacune des trois divisions du tétracorde, selon le genre et l'espèce du genre qu'il voulait établir. (Voyez Genre, Système.)
Élégie, sorte de nome pour les flûtes, inventé, dit-on, par Sacadas, Argien.
Élévation, substantif féminin. Arsis. L'élévation de la main ou du pied, en battant la mesure, sert à marquer le temps faible, et s'appelle proprement levé: c'était le contraire chez les anciens. L'élévation de la voix en chantant, c'est le mouvement par lequel on la porte à l'aigu.
Éline. Nom donné par les Grecs à la chanson des tisserands. (Voyez Chanson.)
Emmèle, adjectif. Les sons emmèles étaient chez les Grecs ceux de la voix distincte, chantante et appréciable, qui peuvent donner une mélodie.
[-293-] Endematie, substantif féminin. C'était l'air d'une sorte de danse particulière aux Argiens.
Enharmonique, adjectif pris substantivement. Un des trois genres de la musique des Grecs, appelé aussi très-fréquemment harmonie par Aristoxène et ses sectateurs.
Ce genre résultait d'une division particulière du tétracorde, selon laquelle l'intervalle qui se trouve entre le lichanos ou la troisième corde, et la mèse ou la quatrième, étant d'un diton ou d'une tierce majeure, il ne restait, pour achever le tétracorde au grave, qu'un semi-ton à partager entre deux intervalles, savoir, de l'hypate à la parhypate, et de la parhypate au lichanos. Nous expliquerons au mot genre comment se faisait cette division.
Le genre enharmonique était le plus doux des trois, au rapport d'Aristide Quintilien: il passait pour très-ancien, et la plupart des auteurs en attribuaient l'invention à Olympe, Phrygien. Mais son tétracorde, ou plutôt son diatessaron de ce genre, ne contenait que trois cordes, qui formaient entre elles deux intervalles incomposés, le premier d'un semi-ton, et l'autre d'une tierce majeure; et de ces deux seuls intervalles, répétés de tétracorde en tétracorde, résultait alors tout le genre enharmonique. Ce ne fut qu'après Olympe qu'on s'avisa d'insérer, à l'imitation des autres genres, une quatrième corde entre les deux premières, pour faire la division dont je viens de parler. On en trouvera les rapports selon les systèmes de Ptolémée et d'Aristoxène. (Planche M, figure 5. [ROUDIC4 13GF])
Ce genre si merveilleux, si admiré des anciens, [-294-] et, selon quelques-uns, le premier trouvé des trois, ne demeura pas long-temps en vigueur: son extrême difficulté le fit bientôt abandonner à mesure que l'art gagnait des combinaisons en perdant de l'énergie, et qu'on suppléait à la finesse de l'oreille par l'agilité des doigts. Aussi Plutarque reprend-il vivement les musiciens de son temps d'avoir perdu le plus beau des trois genres, et d'oser dire que les intervalles n'en sont pas sensibles; comme si tout ce qui échappe à leurs sens grossiers, ajoute ce philosophe, devait être hors de la nature.
Nous avons aujourd'hui une sorte de genre enharmonique entièrement différent de celui des Grecs: il consiste, comme les deux autres, dans une progression particulière de l'harmonie, qui engendre dans la marche des parties des intervalles enharmoniques, en employant à la fois ou successivement entre deux notes qui sont à un ton l'une de l'autre le bémol de supérieure et le dièse de l'inférieure. Mais quoique, selon la rigueur des rapports, ce dièse et ce bémol dussent former un intervalle entre eux (voyez Échelle et Quart-de-ton), cet intervalle se trouve nul au moyen du tempérament qui, dans le système établi, fait servir le même son à deux usages; ce qui n'empêche pas qu'un tel passage ne produise, par la force de la modulation et de l'harmonie, une partie de l'effet qu'on cherche dans les transitions enharmoniques.
Comme ce genre est assez peu connu, et que nos auteurs se sont contentés d'en donner quelques [-295-] notions trop succinctes, je crois devoir l'expliquer ici un peu plus au long.
Il faut remarquer d'abord que l'accord de septième diminuée est le seul sur lequel on puisse pratiquer des passages vraiment enharmoniques, et cela en vertu de cette propriété singulière qu'il a de diviser l'octave entière en quatre intervalles égaux. Qu'on prenne dans les quatre sons qui composent cet accord celui qu'on voudra pour fondamental, on trouvera toujours également que les trois autres sons forment sur celui-ci un accord de septième diminuée. Or le son fondamental de l'accord de septième diminuée est toujours une note sensible, de sorte que, sans rien changer à cet accord, on peut, par une manière de double ou de quadruple emploi, le faire servir successivement sur quatre différentes fondamentales, c'est-à-dire sur quatre différentes notes sensibles.
Il suit de là que ce même accord, sans rien changer ni à l'accompagnement ni à la basse, peut porter quatre noms différents, et par conséquent se chiffrer de quatre différentes manières; savoir, d'un 7 [rob] sous le nom de septième diminuée; d'un 6[x]/5 sous le nom de sixte majeure et fausse-quinte; d'un [x]4/[rob] sous le nom de tierce mineure et triton; et enfin d'un [x] 2 sous le nom de seconde superflue. Bien entendu que la clef doit être censée armée différemment, selon les tons où l'on est supposé être.
Voilà donc quatre manières de sortir d'un accord [-296-] de septième diminuée, en se supposant successivement dans quatre accords différents; car la marche fondamentale et naturelle du son qui porte un accord de septième diminuée, est de se résoudre sur la tonique du mode mineur, dont il est la note sensible.
Imaginons maintenant l'accord de septième diminuée sur ut dièse note sensible. Si je prends la tierce mi pour fondamentale, elle deviendra note sensible à son tour, et annoncera par conséquent le mode mineur de fa; or cet ut dièse reste bien dans l'accord de mi note sensible, mais c'est en qualité de re bémol, c'est-à-dire de sixième note du ton, et de septième diminuée de la note sensible: ainsi cet ut dièse qui, comme note sensible, était obligé de monter dans le ton de re, devenu re bémol dans le ton de fa, est obligé de descendre comme septième diminuée: voilà une transition enharmonique. Si au lieu de la tierce, on prend, dans le même accord d'ut dièse, la fausse quinte sol pour nouvelle note sensible, l'ut dièse deviendra encore re bémol, en qualité de quatrième note: autre passage enharmonique. Enfin, si l'on prend pour note sensible la septième diminuée elle-même, au lieu de si bémol, il faudra nécessairement la considérer comme la dièse; ce qui fait un troisième passage enharmonique sur le même accord.
A la faveur de ces quatre différentes manières d'envisager successivement le même accord, on passe d'un ton à un autre qui en paraît fort éloigné; [-297-] on donne aux parties des progrès différents de celui qu'elles auraient dû avoir en premier lieu, et ces passages ménagés à propos sont capables, non-seulement de surprendre, mais de ravir l'auditeur, quand ils sont bien rendus.
Une autre source de variété dans le même genre se tire des différentes manières dont on peut résoudre l'accord qui l'annonce; car, quoique la modulation la plus naturelle soit de passer de l'accord de septième diminuée sur la note sensible à celui de la tonique en mode mineur, on peut, en substituant la tierce majeure à la mineure, rendre le mode majeur, et même y ajouter la septième pour changer cette tonique en dominante, et passer ainsi dans un autre ton. A la faveur de ces diverses combinaisons réunies, on peut sortir de l'accord en douze manières; mais de ces douze, il n'y en a que neuf qui, donnant la conversion du dièse en bémol ou réciproquement, soient véritablement enharmoniques, parce que dans les trois autres on ne change point de note sensible; encore dans ces neuf diverses modulations n'y at-il que trois diverses notes sensibles, chacune desquelles se résout par trois passages différents; de sorte qu'à bien prendre la chose, on ne trouve sur chaque note sensible que trois vrais passages enharmoniques possibles, tous les autres n'étant point réellement enharmoniques, ou se rapportant à quelqu'un des trois premiers. (Voyez Planche L, figure 4 [ROUDIC4 12GF], un exemple de tous ces passages.)
A l'imitation des modulations du genre diatonique, [-298-] on a plusieurs fois essayé de faire des morceaux entiers dans le genre enharmonique, et, pour donner une sorte de règle aux marches fondamentales de ce genre, on l'a divisé en diatonique-enharmonique, qui procède par une succession de semi-tons majeurs, et en chromatique-enharmonique, qui procède par une succession de semi-tons mineurs.
Le chant de la première espèce est diatonique, parce que les semi-tons y sont majeurs; et il est enharmonique, parce que deux semi-tons majeurs de suite forment un ton trop fort d'un intervalle enharmonique. Pour former cette espèce de chant, il faut faire une basse qui descende de quarte et monte de tierce majeure alternativement. Une partie du trio des Parques de l'opéra d'Hippolyte est dans ce genre; mais il n'a jamais pu être exécuté à l'Opéra de Paris, quoique Monsieur Rameau assure qu'il l'avait été ailleurs par des musiciens de bonne volonté, et que l'effet en fut surprenant.
Le chant de la seconde espèce est chromatique, parce qu'il procède par semi-tons mineurs; il est enharmonique, parce que les deux semi-tons mineurs consécutifs forment un ton trop faible d'un intervalle enharmonique. Pour former cette espèce de chant, il faut faire une basse-fondamentale qui descende de tierce mineure et monte de tierce majeure alternativement. Monsieur Rameau nous apprend qu'il avait fait dans ce genre de musique un tremblement de terre dans l'opéra des Indes [-299-] galantes; mais qu'il fut si mal servi qu'il fut obligé de le changer en une musique commune. (Voyez les Éléments de Musique de Monsieur d'Alembert, pages 91, 92, 93, et 166.)
Malgré les exemples cités et l'autorité de Monsieur Rameau, je crois devoir avertir les jeunes artistes que l'enharmonique-diatonique et l'enharmonique-chromatique me paraissent tous deux à rejeter comme genres; et je ne puis croire qu'une musique modulée de cette manière, même avec la plus parfaite exécution, puisse jamais rien valoir. Mes raisons sont que les passages brusques d'une idée à une autre idée extrêmement éloignée y sont si fréquents, qu'il n'est pas possible à l'esprit de suivre ces transitions avec autant de rapidité que la musique les présente; que l'oreille n'a pas le temps d'apercevoir le rapport très-secret et très-composé des modulations, ni de sous-entendre les intervalles supposés; qu'on ne trouve plus dans de pareilles successions ombre de ton ni de mode; qu'il est également impossible de retenir celui d'où l'on sort, ni de prévoir celui où l'on va; et qu'au milieu de tout cela l'on ne sait plus du tout où l'on est. L'enharmonique n'est qu'un passage inattendu dont l'étonnante impression se fait fortement et dure long-temps; passage que par conséquent on ne doit pas trop brusquement ni trop souvent répéter, de peur que l'idée de la modulation ne se trouble et ne se perde entièrement; car sitôt qu'on n'entend que des accords isolés qui n'ont plus de rapport sensible et de fondement [-300-] commun, l'harmonie n'a plus aussi d'union ni de suite apparente, et l'effet qui en résulte n'est qu'un vain bruit sans liaison et sans agrément. Si Monsieur Rameau, moins occupé de calculs inutiles, eût mieux étudié la métaphysique de son art, il est à croire que le feu naturel de ce savant artiste eût produit des prodiges, dont le germe était dans son génie, mais que ses préjugés ont toujours étouffé.
Je ne crois pas même que les simples transitions enharmoniques puissent jamais bien réussir ni dans les choeurs ni dans les airs, parce que chacun de ces morceaux forme un tout où doit régner l'unité, et dont les parties doivent avoir entre elles une liaison plus sensible que ce genre ne peut la marquer.
Quel est donc le vrai lieu de l'enharmonique? c'est, selon moi, le récitatif obligé. C'est dans une scène sublime et pathétique où la voix doit multiplier et varier les inflexions musicales à l'imitation de l'accent grammatical, oratoire, et souvent inappréciable; c'est, dis-je, dans une telle scène que les transitions enharmoniques sont bien placées, quand on sait les ménager pour les grandes expressions, et les affermir, pour ainsi dire par des traits de symphonie qui suspendent la parole et renforcent l'expression. Les Italiens, qui font un usage admirable de ce genre, ne l'emploient que de cette manière. On peut voir dans le premier récitatif de l'Orphée de Pergolèse un exemple frappant et simple des effets que ce grand musicien sut tirer [-301-] de l'enharmonique, et comment, loin de faire une modulation dure, ces transitions, devenues naturelles et faciles à entonner, donnent une douceur énergique à toute la déclamation.
J'ai déjà dit que notre genre enharmonique est entièrement différent de celui des anciens; j'ajouterai que, quoique nous n'ayons point comme eux d'intervalles enharmoniques à entonner, cela n'empêche pas que l'enharmonique moderne ne soit d'une exécution plus difficile que le leur. Chez les Grecs les intervalles enharmoniques, purement mélodieux, ne demandaient ni dans le chanteur ni dans l'écoutant aucun changement d'idées, mais seulement une grande délicatesse d'organe; au lieu qu'à cette même délicatesse il faut joindre encore, dans notre musique, une connaissance exacte et un sentiment exquis des métamorphoses harmoniques les plus brusques et les moins naturelles: car si l'on n'entend pas la phrase, on ne saurait donner aux mots le ton qui leur convient, ni chanter juste dans un système harmonieux, si l'on ne sent l'harmonie.
Ensemble, adverbe souvent pris substantivement. Je ne m'arrêterai pas à l'explication de ce mot pris pour le rapport convenable de toutes les parties d'un ouvrage entre elles et avec le tout, parce que c'est un sens qu'on lui donne rarement en musique. ce n'est guère qu'à l'exécution que ce terme s'applique, lorsque les concertants sont si parfaitement d'accord, soit pour l'intonation, soit pour la mesure, qu'ils semblent être tous animés d'un même [-302-] esprit, et que l'exécution rend fidèlement à l'oreille tout ce que l'oeil voit sur la partition.
L'ensemble ne dépend pas seulement de l'habileté avec laquelle chacun lit sa partie, mais de l'intelligence avec laquelle il en sent le caractère particulier et la liaison avec le tout, soit pour phraser avec exactitude, soit pour suivre la précision des mouvements, soit pour saisir le moment et les nuances des fort et des doux, soit enfin pour ajouter aux ornements marqués ceux qui sont si nécessairement supposés par l'auteur, qu'il n'est permis à personne de les omettre. Les musiciens ont beau être habiles, il n'y a d'ensemble qu'autant qu'ils ont l'intelligence de la musique qu'ils exécutent, et qu'ils s'entendent entre eux: car il serait impossible de mettre un parfait ensemble dans un concert de sourds, ni dans une musique dont le style serait parfaitement étranger à ceux qui l'exécutent. Ce sont surtout les maîtres de musique, conducteurs et chefs d'orchestre, qui doivent guider, ou retenir, ou presser les musiciens pour mettre partout l'ensemble; et c'est ce que fait toujours un bon premier violon par une certaine charge d'exécution qui en imprime fortement le caractère dans toutes les oreilles. La voix récitante est assujettie à la basse et à la mesure; le premier violon doit écouter et suivre la voix; la symphonie doit écouter et suivre le premier violon: enfin le clavecin, qu'on suppose tenu par le compositeur, doit être le véritable et premier guide de tout.
En général, plus le style, les périodes, les phrases, [-303-] la mélodie et l'harmonie ont de caractère, plus l'ensemble est facile à saisir, parce que la même idée imprimée vivement dans tous les esprits préside à toute l'exécution. Au contraire, quand la musique ne dit rien, et qu'on n'y sent qu'une suite de notes sans liaison, il n'y a point de tout auquel chacun rapporte sa partie, et l'exécution va toujours mal. Voilà pourquoi la musique française n'est jamais ensemble.
Entonner, verbe actif. C'est, dans l'exécution d'un chant, former avec justesse les sons et les intervalles qui sont marqués; ce qui ne peut guère se faire qu'à l'aide d'une idée commune à laquelle doivent se rapporter ces sons et ces intervalles; savoir, celle du ton et du mode où ils sont employés; d'où vient peut-être le mot entonner: on peut aussi l'attribuer à la marche diatonique; marche qui paraît la plus commode et la plus naturelle à la voix. Il y a plus de difficulté à entonner des intervalles plus grands ou plus petits, parce qu'alors la glotte se modifie par des rapports trop grands dans le premier cas, ou trop composés dans le second.
Entonner est encore commencer le chant d'une hymne, d'un psaume, d'une antienne, pour donner le ton à tout le choeur. Dans l'Église catholique, c'est, par exemple, l'officiant qui entonne le Te Deum; dans nos temples, c'est le chantre qui entonne les psaumes.
Entr'acte, substantif masculin. Espace de temps qui s'écoule entre la fin d'un acte d'opéra et le commencement de l'acte suivant, et durant lequel la représentation [-304-] est suspendue, tandis que l'action est supposée se continuer ailleurs. L'orchestre remplit cet espace en France par l'exécution d'une symphonie qui porte aussi le nom d'entr'acte.
Il ne paraît pas que les Grecs aient jamais divisé leurs drames par actes, ni par conséquent connu les entr'actes.
La représentation n'était point suspendue sur leurs théâtres depuis le commencement de la pièce jusqu'à la fin. Ce furent les Romains qui, moins épris du spectacle, commencèrent les premiers à le partager en plusieurs parties, dont les intervalles offraient du relâche à l'attention des spectateurs; et cet usage s'est continué parmi nous.
Puisque l'entr'acte est fait pour suspendre l'attention et reposer l'esprit du spectateur, le théâtre doit rester vide, et les intermèdes dont on le remplissait autrefois formaient une interruption de très-mauvais goût, qui ne pouvait manquer de nuire à la pièce en faisant perdre le fil de l'action. Cependant Molière lui-même ne vit point cette vérité si simple, et les entr'actes de sa dernière pièce étaient remplis par des intermèdes. Les Français, dont les spectacles ont plus de raison que de chaleur, et qui n'aiment pas qu'on les tienne long-temps en silence, ont depuis lors réduit les entr'actes à la simplicité qu'ils doivent avoir, et il est à désirer, pour la perfection des théâtres, qu'en cela leur exemple soit suivi partout.
Les Italiens, qu'un sentiment exquis guide souvent mieux que le raisonnement, ont proscrit la [-305-] danse de l'action dramatique (voyez Opéra); mais, par une inconséquence qui naît de la trop grande durée qu'ils veulent donner au spectacle, ils remplissent leurs entr'actes des ballets qu'ils bannissent de la pièce; et s'ils évitent l'absurdité de la double imitation, ils donnent dans celle de la transposition de scène, et promenant ainsi le spectateur d'objet en objet, lui font oublier l'action principale, perdre l'intérêt, et, pour lui donner le plaisir des yeux, lui ôtent celui du coeur. Ils commencent pourtant à sentir le défaut de ce monstrueux assemblage; et après avoir déjà presque chassé les intermèdes des entr'actes, sans doute ils ne tarderont pas d'en chasser encore la danse, et de la réserver, comme il convient, pour en faire un spectacle brillant et isolé à la fin de la grande pièce.
Mais quoique le théâtre reste vide dans l'entr'acte, ce n'est pas à dire que la musique doive être interrompue; car à l'Opéra, où elle fait une partie de l'existence des choses, le sens de l'ouïe doit avoir une telle liaison avec celui de la vue, que tant qu'on voit le lieu de la scène on entende l'harmonie qui en est supposée inséparable, afin que son concours ne paraisse ensuite étranger ni nouveau sous le chant des acteurs.
La difficulté qui se présente à ce sujet est de savoir ce que le musicien doit dicter à l'orchestre quand il ne se passe plus rien sur la scène: car si la symphonie, ainsi que toute la musique dramatique, n'est qu'une imitation continuelle, que doit-elle dire quand personne ne parle? que doit-elle faire [-306-] quand il n'y a plus d'action? Je réponds à cela que quoique le théâtre soit vide, le coeur des spectateurs ne l'est pas; il a dû leur rester une forte impression de ce qu'ils viennent de voir et d'entendre. C'est à l'orchestre à nourrir et soutenir cette impression durant l'entr'acte, afin que le spectateur ne se trouve pas au début de l'acte suivant aussi froid qu'il l'était au commencement de la pièce, et que l'intérêt soit, pour ainsi dire, lié dans son ame comme les événements le sont dans l'action représentée. Voilà comment le musicien ne cesse jamais d'avoir un objet d'imitation ou dans la situation des personnages, ou dans celle des spectateurs. Ceux-ci, n'entendant jamais sortir de l'orchestre que l'expression des sentiments qu'ils éprouvent, s'identifient, pour ainsi dire, avec ce qu'ils entendent; et leur état est d'autant plus délicieux qu'il règne un accord plus parfait entre ce qui frappe leurs sens et ce qui touche leur coeur.
L'habile musicien tire encore de son orchestre un autre avantage pour donner à la représentation tout l'effet qu'elle peut avoir, en amenant par degrés le spectateur oisif à la situation d'ame la plus favorable à l'effet des scènes qu'il va voir dans l'acte suivant.
La durée de l'entr'acte n'a pas de mesure fixe, mais elle est supposée plus ou moins grande à proportion du temps qu'exige la partie de l'action qui se passe derrière le théâtre. Cependant cette durée doit avoir des bornes de supposition relativement à la durée hypothétique de l'action totale, et des [-307-] bornes réelles relatives à la durée de la représentation.
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si la règle des vingt-quatre heures a un fondement suffisant, et s'il n'est jamais permis de l'enfreindre; mais si l'on veut donner à la durée supposée d'un entr'acte des bornes tirées de la nature des choses, je ne vois point qu'on en puisse trouver d'autres que celles du temps durant lequel il ne se fait aucun changement sensible et régulier dans la nature, comme il ne s'en fait point d'apparent sur la scène durant l'entr'acte; or, ce temps est, dans sa plus grande étendue, à peu près de douze heures, qui font la durée moyenne d'un jour ou d'une nuit: passé cet espace, il n'y a plus de possibilité ni d'illusion dans la durée supposée de l'entr'acte.
Quant à la durée réelle, elle doit être, comme je l'ai dit, proportionnée à la durée totale de la représentation, et à la durée partielle et relative de ce qui se passe derrière le théâtre. Mais il y a d'autres bornes tirées de la fin générale qu'on se propose, savoir, la mesure de l'attention: car on doit bien se garder de faire durer l'entr'acte jusqu'à laisser le spectateur tomber dans l'engourdissement et approcher de l'ennui. Cette mesure n'a pas, au reste, une telle précision par elle-même, que le musicien qui a du feu, du génie et de l'ame, ne puisse, à l'aide de son orchestre, l'étendre beaucoup plus qu'un autre.
Je ne doute pas même qu'il n'y ait des moyens d'abuser le spectateur sur la durée effective de [-308-] l'entr'acte, en la lui faisant estimer plus ou moins grande par la manière d'entrelacer les caractères de la symphonie. Mais il est temps de finir cet article qui n'est déjà que trop long.
Entrée, substantif féminin. Air de symphonie par lequel débute un ballet.
Entrée se dit encore à l'Opéra d'un acte entier dans les opéra-ballets dont chaque acte forme un sujet séparé; l'entrée de Vertumne dans les Éléments; l'entrée des Incas dans les Indes galantes.
Enfin entrée se dit aussi du moment où chaque partie qui en suit une autre commence à se faire entendre.
Éolien, adjectif. Le ton ou mode éolien était un des cinq modes moyens ou principaux de la musique grecque, et sa corde fondamentale était immédiatement au-dessus de celle du mode phrygien. (Voyez Mode.)
Le mode éolien était grave, au rapport de Lasus. Je chante, dit-il, Cérès et sa fille Mélibée, épouse de Pluton, sur le mode éolien, rempli de gravité.
Le nom d'éolien que portait ce mode ne lui venait pas des îles Éoliennes, mais de l'Éolie, contrée de l'Asie Mineure, où il fut premièrement en usage.
Épais, adjectif. Genre épais, dense, ou serré, [puknos], est, selon la définition d'Aristoxène, celui où dans chaque tétracorde la somme des deux premiers intervalles est moindre que le troisième. Ainsi le genre enharmonique est épais, parce que les deux premiers intervalles, qui sont chacun d'un quart [-309-] de ton, ne forment ensemble qu'un semi-ton; somme beaucoup moindre que le troisième intervalle, qui est une tierce majeure. Le chromatique est aussi un genre épais; car ces deux premiers intervalles ne forment qu'un ton moindre encore que la tierce mineure qui suit. Mais le genre diatonique n'est point épais, puisque ses deux premiers intervalles forment un ton et demi, somme plus grande que le ton qui suit. (Voyez Genre, Tétracorde.)
De ce mot [puknos], comme radical, sont composés les termes apycni, baripycni, mesopycni, oxipycni, dont on trouvera les articles chacun à sa place.
Cette dénomination n'est point en usage dans la musique moderne.
Épiaulie. Nom que donnaient les Grecs à la chanson des meuniers, appelée autrement Hymée. (Voyez Chanson.)
Le mot burlesque piauler ne tirerait-il point d'ici son étymologie? Le piaulement d'une femme ou d'un enfant qui pleure et se lamente long-temps sur le même ton, ressemble assez à la chanson d'un moulin, et, par métaphore, à celle d'un meunier.
Épilène. Chanson des vendangeurs, laquelle s'accompagnait de la flûte. (Voyez Athénée, livre V.)
Épinicion. Chant de victoire, par lequel on célébrait chez les Grecs le triomphe des vainqueurs.
Épisynaphe, substantif féminin. C'est, au rapport de Bacchius, la conjonction des trois tétracordes consécutifs, comme sont les tétracordes hypaton, méson, et synnéménon. (Voyez Système, Tétracorde.)
Épithalame, substantif masculin. Chant nuptial qui se chantait [-310-] autrefois à la porte des nouveaux époux, pour leur souhaiter une heureuse union. De telles chansons ne sont guère en usage parmi nous; car on sait bien que c'est peine perdue. Quand on en fait pour ses amis et familiers, on substitue ordinairement à ces voeux honnêtes et simples quelques pensées équivoques et obscènes, plus conformes au goût du siècle.
Épitrite. Nom d'un des rhythmes de la musique grecque, duquel les temps étaient en raison sesquitierce, ou de 3 à 4. Ce rhythme était représenté par le pied que les poètes et grammairiens appellent aussi épitrite, pied composé de quatre syllabes dont les deux premières sont en effet aux deux dernières dans la raison de 3 à 4. (Voyez Rhythme.)
Épode, substantif féminin. Chant du troisième couplet, qui, dans les odes, terminait ce que les Grecs appelaient la période, laquelle était composée de trois couplets; savoir, la strophe, l'antistrophe, et l'épode. On attribue à Archiloque l'invention de l'épode.
Eptacorde, substantif masculin. Lyre ou cithare à sept cordes, comme, au dire de plusieurs, était celle de Mercure.
Les Grecs donnaient aussi le nom d'eptacorde à un système de musique formé de sept sons, tel qu'est aujourd'hui notre gamme. L'Eptacorde synnéménon, qu'on appelait autrement lyre de Terpandre, était composé des sons exprimés par ces lettres de la gamme, E, F, G, a, b, c, d. L'eptacorde de Philolaüs substituait le bécarre au bémol et peut s'exprimer ainsi, E, F, G, a, [signum] c, d. Il [-311-] en rapportait chaque corde à une des planètes, l'hypate à Saturne, la parhypate à Jupiter, et ainsi de suite.
Eptamérides, substantif féminin. Nom donné par Monsieur Sauveur à l'un des intervalles de son système exposé dans les Mémoires de l'académie, année 1701.
Cet auteur divise d'abord l'octave en 43 parties ou mérides; puis chacune de celles-ci en 7 eptamérides; de sorte que l'octave entière comprend 301 eptamérides, qu'il subdivise encore. (Voyez Décaméride.)
Ce mot est formé de [epta], sept, et de [meris], partie.
Eptaphone, substantif masculin. Nom d'un portique de la ville d'Olympie, dans lequel on avait ménagé un écho qui répétait la voix sept fois de suite. Il y a grande apparence que l'écho se trouva là par hasard, et qu'ensuite les Grecs, grands charlatans, en firent honneur à l'art de l'architecte.
Équisonnance, substantif féminin. Nom par lequel les anciens distinguaient des autres consonnances celles de l'octave et de la double-octave, les seules qui fassent paraphonie. Comme on a aussi quelquefois besoin de la même distinction dans la musique moderne, on peut l'employer avec d'autant moins de scrupule, que la sensation de l'octave se confond très-souvent à l'oreille avec celle de l'unisson.
Espace, substantif masculin. Intervalle blanc, ou distance qui se trouve dans la portée entre une ligne et celle qui la suit immédiatement au-dessus ou au-dessous. Il y a quatre espaces dans les cinq lignes, et il y a de plus deux espaces, l'un au-dessus, l'autre [-312-] au-dessous de la portée entière: l'on borne, quand il le faut, ces deux espaces indéfinis par des lignes postiches ajoutées en haut ou en bas, lesquelles augmentent l'étendue de la portée et fournissent de nouveaux espaces. Chacun de ces espaces divise l'intervalle des deux lignes qui le terminent en deux degrés diatoniques; savoir, un de la ligne inférieure à l'espace, et l'autre de l'espace à la ligne supérieure. (Voyez Portée.)
Étendue, substantif féminin. Différence de deux sons donnés qui en ont d'intermédiaires, ou somme de tous les intervalles compris entre les deux extrêmes. Ainsi, la plus grande étendue possible, ou celle qui comprend toutes les autres, est celle du plus grave au plus aigu de tous les sons sensibles ou appréciables. Selon les expériences de Monsieur Euler, toute cette étendue forme un intervalle d'environ huit octaves, entre un son qui fait 30 vibrations par seconde, et un autre qui en fait 7552 dans le même temps.
Il n'y a point d'étendue en musique entre les deux termes de laquelle on ne puisse insérer une infinité de sons intermédiaires qui le partagent en une infinité d'intervalles; d'où il suit que l'étendue sonore ou musicale est divisible à l'infini comme celle du temps et du lieu. (Voyez Intervalle.)
Eudromé. Nom de l'air que jouaient les hautbois aux jeux Sthéniens, institués dans Argos en l'honneur de Jupiter. Hiérax, Argien, était l'inventeur de cet air.
Éviter, verbe actif. Éviter une cadence, c'est ajouter [-313-] une dissonance à l'accord final, pour changer le mode ou prolonger la phrase. (Voyez Cadence.)
Évité, participle. Cadence évitée. (Voyez Cadence.)
Évovaé, substantif masculin. Mot barbare formé de six voyelles qui marquent les syllabes des deux mots seculorum amen, et qui n'est d'usage que dans le plainchant. C'est sur les lettres de ce mot qu'on trouve indiquées dans les psautiers et antiphonaires des églises catholiques les notes par lesquelles, dans chaque ton et dans les diverses modifications du ton, il faut terminer les versets des psaumes ou des cantiques.
L'Évovaé commence toujours par la dominante du ton de l'antienne qui le précède, et finit toujours par la finale.
Euthia, substantif féminin. Terme de la musique grecque, qui signifie une suite de notes procédant du grave à l'aigu. L'euthia était une des parties de l'ancienne mélopée.
Exacorde, substantif masculin. Instrument à six cordes, ou système composé de six sons, tel que l'exacorde de Gui d'Arezzo.
Exécutant, participle pris substantivement. Musicien qui exécute sa partie dans un concert; c'est la même chose que concertant. (Voyez Concertant.) Voyez aussi les deux mots qui suivent.
Exécuter, verbe actif. Exécuter une pièce de musique, c'est chanter et jouer toutes les parties qu'elle contient, tant vocales qu'instrumentales, dans l'ensemble qu'elles doivent avoir, et la rendre telle qu'elle est notée sur la partition.
[-314-] Comme la musique est faite pour être entendue, on n'en peut bien juger que par l'exécution. Telle partition paraît admirable sur le papier, qu'on ne peut entendre exécuter sans dégoût; et telle autre n'offre aux yeux qu'une apparence simple et commune, dont l'exécution ravit par des effets inattendus. Les petits compositeurs, attentifs à donner de la symétrie et du jeu à toutes leurs parties, paraissent ordinairement les plus habiles gens du monde, tant qu'on ne juge de leurs ouvrages que par les yeux. Aussi ont-ils souvent l'adresse de mettre tant d'instruments divers, tant de parties dans leur musique, qu'on ne puisse rassembler que très-difficilement tous les sujets nécessaires pour l'exécuter.
Exécution, substantif féminin. L'action d'exécuter une pièce de musique.
Comme la musique est ordinairement composée de plusieurs parties dont le rapport exact, soit pour l'intonation, soit pour la mesure, est extrêmement difficile à observer, et dont l'esprit dépend plus du goût que des signes, rien n'est si rare qu'une bonne exécution. C'est peu de lire la musique exactement sur la note, il faut entrer dans toutes les idées du compositeur, sentir et rendre le feu de l'expression, avoir surtout l'oreille juste et toujours attentive pour écouter et suivre l'ensemble. Il faut, en particulier dans la musique française, que la partie principale sache presser ou ralentir le mouvement selon que l'exigent le goût du chant, le volume de voix, et le [-315-] développement des bras du chanteur; il faut, par conséquent, que toutes les autres parties soient, sans relâche, attentives à bien suivre celle-là. Aussi l'ensemble de l'Opéra de Paris, où la musique n'a point d'autre mesure que celle du geste, serait-il, à mon avis, ce qu'il y a de plus admirable en fait d'exécution.
"Si les Francais, dit Saint-Évremont, par leur commerce avec les Italiens, sont parvenus à composer plus hardiment, les Italiens ont aussi gagné au commerce des Français, en ce qu'ils out appris d'eux à rendre leur exécution plus agréable, plus touchante, et plus parfaite." Le lecteur se passera bien, je crois, de mon commentaire sur ce passage. Je dirai seulement que les Français croient toute la terre occupée de leur musique, et qu'au contraire, dans les trois quarts de l'Italie, les musiciens ne savent pas même qu'il existe une musique française différente de la leur.
On appelle encore exécution la facilité de lire et d'exécuter une partie instrumentale; et l'on dit, par exemple, d'un symphoniste, qu'il a beaucoup d'exécution, lorsqu'il exécute correctement, sans hésiter, et à la première vue, les choses les plus difficiles: l'exécution prise en ce sens dépend surtout de deux choses: premièrement, d'une habitude parfaite de la touche et du doigter de son instrument; en second lieu, d'une grande habitude de lire la musique et de phraser en la regardant: car tant qu'on ne voit que des notes isolées, on hésite toujours à les prononcer: on n'acquiert [-316-] la grande facilité de l'exécution qu'en les unissant par le sens commun qu'elles doivent former, et en mettant la chose à la place du signe. C'est ainsi que la mémoire du lecteur ne l'aide pas moins que ses yeux, et qu'il lirait avec peine une langue inconnue, quoique écrite avec les mêmes caractères, et composée des mêmes mots qu'il lit couramment dans la sienne.
Expression, substantif féminin. Qualité par laquelle le musicien sent vivement et rend avec énergie toutes les idées qu'il doit rendre, et tous les sentiments qu'il doit exprimer. Il y a une expression de composition et une d'exécution, et c'est de leur concours que résulte l'effet musical le plus puissant et le plus agréable.
Pour donner de l'expression à ses ouvrages, le compositeur doit saisir et comparer tous les rapports qui peuvent se trouver entre les traits de son objet et les productions de son art; il doit connaître ou sentir l'effet de tous les caractères, afin de porter exactement celui qu'il choisit au degré qui lui convient; car, comme un bon peintre ne donne pas la même lumière à tous ses objets, l'habile musicien ne donnera pas non plus la même énergie à tous ses sentiments, ni la même force à tous ses tableaux, et placera chaque partie au lieu qui convient, moins pour la faire valoir seule que pour donner un plus grand effet au tout.
Après avoir bien vu ce qu'il doit dire, il cherche comment il le dira; et voici où commence l'application des préceptes de l'art, qui est comme la [-317-] langue particulière dans laquelle le musicien veut se faire entendre.
La mélodie, l'harmonie, le mouvement, le choix des instruments et des voix, sont les éléments du langage musical; et la mélodie, par son rapport immédiat avec l'accent grammatical et oratoire, est celui qui donne le caractère à tous les autres. Ainsi c'est toujours du chant que se doit tirer la principale expression, tant dans la musique instrumentale que dans la vocale.
Ce qu'on cherche donc à rendre par la mélodie, c'est le ton dont s'expriment les sentiments qu'on veut représenter; et l'on doit bien se garder d'imiter en cela la déclamation théâtrale, qui n'est ellemême qu'une imitation, mais la voix de la nature parlant sans affectation et sans art. Ainsi le musicien cherchera d'abord un genre de mélodie qui lui fournisse les inflexions musicales les plus convenables au sens des paroles, en subordonnant toujours l'expression des mots à celle de la pensée, et celle-ci même à la situation de l'ame de l'interlocuteur: car, quand on est fortement affecté, tous les discours que l'on tient prennent, pour ainsi dire, la teinte du sentiment général qui domine en nous, et l'on ne querelle point ce qu'on aime du ton dont on querelle un indifférent.
La parole est diversement accentuée selon les diverses passions qui l'inspirent, tantôt aiguë et véhémente, tantôt remisse et lâche, tantôt variée et impétueuse, tantôt égale et tranquille dans ses inflexions. De là le musicien tire les différences des [-318-] modes de chant qu'il emploie et des lieux divers dans lesquels il maintient la voix, la faisant procéder dans le bas par de petits intervalles pour exprimer les langueurs de la tristesse et de l'abattement, lui arrachant dans le haut les sons aigus de l'emportement et de la douleur, et l'entraînant rapidement, par tous les intervalles de son diapason, dans l'agitation du désespoir ou l'égarement des passions contrastées. Surtout il faut bien observer que le charme de la musique ne consiste pas seulement dans l'imitation, mais dans une imitation agréable, et que la déclamation même, pour faire un si grand effet, doit être subordonnée à la mélodie; de sorte qu'on ne peut peindre le sentiment sans lui donner ce charme secret qui en est inséparable, ni toucher le coeur si l'on ne plaît à l'oreille. Et ceci est encore très-conforme à la nature, qui donne au ton des personnes sensibles je ne sais quelles inflexions touchantes et délicieuses que n'eut jamais celui des gens qui ne sentent rien. N'allez donc pas prendre le baroque pour l'expressif, ni la dureté pour de l'énergie, ni donner un tableau hideux des passions que vous voulez rendre, ni faire, en un mot, comme à l'Opéra français, où le ton passionné ressemble aux cris de la colique bien plus qu'aux transports de l'amour.
Le plaisir physique qui résulte de l'harmonie augmente à son tour le plaisir moral de l'imitation, en joignant les sensations agréables des accords à l'expression de la mélodie par le même principe dont je viens de parler. Mais l'harmonie fait [-319-] plus encore; elle renforce l'expression même en donnant plus de justesse et de précision aux intervalles mélodieux; elle anime leur caractère, et, marquant exactement leur place dans l'ordre de la modulation, elle rappelle ce qui précède, annonce ce qui doit suivre, et lie ainsi les phrases dans le chant, comme les idées se lient dans le discours. L'harmonie, envisagée de cette manière, fournit au compositeur de grands moyens d'expression, qui lui échappent quand il ne cherche l'expression que dans la seule harmonie; car alors, au lieu d'animer l'accent, il l'étouffe par ses accords, et tous les intervalles, confondus dans un continuel remplissage, n'offrent à l'oreille qu'une suite de sons fondamentaux qui n'ont rien de touchant ni d'agréable, et dont l'effet s'arrête au cerveau.
Que fera donc l'harmoniste pour concourir à l'expression de la mélodie et lui donner plus d'effet? il évitera soigneusement de couvrir le son principal dans la combinaison des accords; il subordonnera tous ses accompagnements à la partie chantante; il en aiguisera l'énergie par le concours des autres parties; il renforcera l'effet de certains passages par des accords sensibles; il en dérobera d'autres par supposition ou par suspension, en les comptant pour rien sur la basse; il fera sortir les expressions fortes par des dissonances majeures; il réservera les mineures pour des sentiments plus doux: tantôt il liera toutes ces parties par des sons continus et coulés; tantôt il les fera contraster sur le chant par des notes piquées; tantôt il frappera l'oreille [-320-] par des accords pleins; tantôt il renforcera l'accent par le choix d'un seul intervalle: partout il rendra présent et sensible l'enchaînement des modulations, et fera servir la basse et son harmonie à déterminer le lieu de chaque passage dans le mode, afin qu'on n'entende jamais un intervalle ou un trait de chant sans sentir en même temps son rapport avec le tout.
A l'égard du rhythme, jadis si puissant pour donner de la force, de la variété, de l'agrément à l'harmonie poétique, si nos langues, moins accentuées et moins prosodiques, ont perdu le charme qui en résultait, notre musique en substitue un autre plus indépendant du discours dans l'égalité de la mesure, et dans les diverses combinaisons de ses temps, soit à la fois dans le tout, soit séparément dans chaque partie. Les quantités de la langue sont presque perdues sous celles des notes; et la musique, au lieu de parler avec la parole, emprunte en quelque sorte de la mesure un langage à part. La force de l'expression consiste, en cette partie, à réunir ces deux langages le plus qu'il est possible, et à faire que, si la mesure et le rhythme ne parlent pas de la même manière, ils disent au moins les mêmes choses.
La gaieté, qui donne de la vivacité à tous nos mouvements, en doit donner de même à la mesure; la tristesse resserre le coeur, ralentit les mouvements, et la même langueur se fait sentir dans les chants qu'elle inspire; mais quand la douleur est vive ou qu'il se passe dans l'ame de grands combats, [-321-] la parole est inégale; elle marche alternativement avec la lenteur du spondée et avec la rapidité du pyrrhique, et souvent s'arrête tout court comme dans le récitatif obligé: c'est pour cela que les musiques les plus expressives, ou du moins les plus passionnées, sont communément celles où les temps, quoique égaux entre eux, sont le plus inégalement divisés; au lieu que l'image du sommeil, du repos, de la paix de l'ame, se peint volontiers avec des notes égales, qui ne marchent ni vite, ni lentement.
Une observation que le compositeur ne doit pas négliger, c'est que, plus l'harmonie est recherchée, moins le mouvement doit être vif, afin que l'esprit ait le temps de saisir la marche des dissonances et le rapide enchaînement des modulations; il n'y a que le dernier emportement des passions qui permette d'allier la rapidité de la mesure et la dureté des accords. Alors, quand la tête est perdue, et qu'à force d'agitation l'acteur semble ne savoir plus ce qu'il dit, ce désordre énergique et terrible peut se porter ainsi jusqu'à l'ame du spectateur, et le mettre de même hors de lui. Mais si vous n'êtes bouillant et sublime, vous ne serez que baroque et froid. Jetez vos auditeurs dans le délire, ou gardez-vous d'y tomber: car celui qui perd la raison n'est jamais qu'un insensé aux yeux de ceux qui la conservent, et les fous n'intéressent plus.
Quoique la plus grande force de l'expression se tire de la combinaison des sons, la qualité de leur [-322-] timbre n'est pas indifférente pour le même effet. Il y a des voix fortes et sonores qui en imposent par leur étoffe; d'autres légères et flexibles, bonnes pour les choses d'exécution; d'autres sensibles et délicates, qui vont au coeur par des chants doux et pathétiques. En général les dessus et toutes les voix aiguës sont plus propres pour exprimer la tendresse et la douceur, les basses et concordants pour l'emportement et la colère: mais les Italiens ont banni les basses de leurs tragédies, comme une partie dont le chant est trop rude pour le genre héroïque, et leur ont substitué les tailles ou tenor, dont le chant a le même caractère avec un effet plus agréable. Ils emploient ces mêmes basses plus convenablement dans le comique pour les rôles à manteaux, et généralement pour tous les caractères de charge.
Les instruments ont aussi des expressions très-différentes selon que le son en est fort ou faible, que le timbre en est aigre ou doux, que le diapason en est grave ou aigu, et qu'on en peut tirer des sons en plus grande ou moindre quantité. La flûte est tendre, le hautbois gai, la trompette guerrière, le cor sonore, majestueux, propre aux grandes expressions. Mais il n'y a point d'instrument dont on tire une expression plus variée et plus universelle que du violon. Cet instrument admirable fait le fond de tous les orchestres, et suffit au grand compositeur pour en tirer tous les effets que les mauvais musiciens cherchent inutilement dans l'alliage d'une multitude d'instruments divers. Le compositeur [-323-] doit connaître le manche du violon pour doigter ses airs, pour disposer ses arpéges, pour savoir l'effet des cordes à vide, et pour employer et choisir ses tons selon les divers caractères qu'ils ont sur cet instrument.
Vainement le compositeur saura-t-il animer son ouvrage, si la chaleur qui doit y régner ne passe à ceux qui l'exécutent. Le chanteur qui ne voit que des notes dans sa partie n'est point en état de saisir l'expression du compositeur, ni d'en donner une à ce qu'il chante, s'il n'en a bien saisi le sens. Il faut entendre ce qu'on lit pour le faire entendre aux autres, et il ne suffit pas d'être sensible en général, si l'on ne l'est en particulier à l'énergie de la langue qu'on parle. Commencez donc par bien connaître le caractère du chant que vous avez à rendre, son rapport au sens des paroles, la distinction de ses phrases, l'accent qu'il a par lui-même, celui qu'il suppose dans la voix de l'exécutant, l'énergie que le compositeur a donnée au poète, et celle que vous pouvez donner à votre tour au compositeur; alors livrez vos organes à toute la chaleur que ces considérations vous auront inspirée; faites ce que vous feriez si vous étiez à la fois le poète, le compositeur, l'acteur, et le chanteur, et vous aurez toute l'expression qu'il vous est possible de donner à l'ouvrage que vous avez à rendre. De cette manière il arrivera naturellement que vous mettrez de la délicatesse et des ornements dans les chants qui ne sont qu'élégants et gracieux, du piquant et du feu dans ceux qui sont animés et gais, des [-324-] gémissements et des plaintes dans ceux qui sont tendres et pathétiques, et toute l'agitation du fortepiano dans l'emportement des passions violentes. Partout où l'on réunira fortement l'accent musical à l'accent oratoire, partout où la mesure se fera vivement sentir et servira de guide aux accents du chant, partout où l'accompagnement et la voix sauront tellement accorder et unir leurs effets, qu'il n'en résulte qu'une mélodie, et que l'auditeur trompé attribue à la voix les passages dont l'orchestre l'embellit; enfin partout où les ornements, sobrement ménagés, porteront témoignage de la facilité du chanteur, sans couvrir et défigurer le chant, l'expression sera douce, agréable, et forte; l'oreille sera charmée, et le coeur ému; le physique et le moral concourront à la fois au plaisir des écoutants, et il régnera un tel accord entre la parole et le chant, que le tout semblera n'être qu'une langue délicieuse qui sait tout dire et plaît toujours.
Extension, substantif féminin, est, selon Aristoxène, une des quatre parties de la mélopée, qui consiste à soutenir long-temps certains sons, et au-delà même de leur quantité grammaticale. Nous appelons aujourd'hui tenues les sons ainsi soutenus. (Voyez Tenue.)
F.
F ut fa, F fa ut, ou simplement F. Quatrième son de la gamme diatonique et naturelle, lequel s'appelle autrement fa. (Voyez Gamme.)
[-325-] C'est aussi le nom de la plus basse des trois clefs de la musique. (Voyez Clef.)
Face, substantif féminin. Combinaison, ou des sons d'un accord, en commençant par un de ces sons et prenant les autres selon leur suite naturelle, ou des touches du clavier qui forment le même accord. D'où il suit qu'un accord peut avoir autant de faces qu'il y a de sons qui le composent; car chacun peut être le premier à son tour.
L'accord parfait ut mi sol a trois faces. Par la première, tous les doigts sont rangés par tierces, et la tonique est sous l'index; par la seconde, mi sol ut, il y a une quarte entre les deux derniers doigts, et la tonique est sous le dernier; par la troisième, sol ut mi, la quarte est entre l'index et le quatrième, et la tonique est sous celui-ci. (Voyez Renversement.)
Comme les accords dissonants ont ordinairement quatre sons, ils ont aussi quatre faces, qu'on peut trouver avec la même facilité. (Voyez Doigter.)
Facteur, substantif masculin. Ouvrier qui fait des orgues ou des clavecins.
Faible, adjectif. Temps faible. (Voyez Temps.)
Fanfare, substantif féminin. Sorte d'air militaire, pour l'ordinaire court et brillant, qui s'exécute par des trompettes, et qu'on imite sur d'autres instruments. La fanfare est communément à deux dessus de trompettes accompagnées de tymbales; et bien exécutée, elle a quelque chose de martial et de gai qui convient fort à son usage. De toutes les troupes de l'Europe, les allemandes sont celles qui ont les [-326-] meilleurs instruments militaires: aussi leurs marches et fanfares font-elles un effet admirable. C'est une chose à remarquer que dans tout le royaume de France il n'y a pas un seul trompette qui sonne juste, et la nation la plus guerrière de l'Europe a les instruments militaires les plus discordants; ce qui n'est pas sans inconvénient. Durant les dernières guerres, les paysans de Bohême, d'Autriche, et de Bavière, tous musiciens nés, ne pouvant croire que les troupes réglées eussent des instruments si faux et si détestables, prirent tous ces vieux corps pour de nouvelles levées qu'ils commencèrent à mépriser, et l'on ne saurait dire à combien de braves gens des tons faux ont coûté la vie: tant il est vrai que, dans l'appareil de la guerre, il ne faut rien négliger de ce qui frappe les sens!
Fantaisie, substantif féminin. Pièce de musique instrumentale qu'on exécute en la composant. Il y a cette différence du caprice à la fantaisie, que le caprice est un recueil d'idées singulières et disparates que rassemble une imagination échauffée, et qu'on peut même composer à loisir; au lieu que la fantaisie peut être une pièce très-régulière, qui ne diffère des autres qu'en ce qu'on l'invente en l'exécutant, et qu'elle n'existe plus sitôt qu'elle est achevée. Ainsi le caprice est dans l'espèce et l'assortiment des idées, et la fantaisie dans leur promptitude à se présenter. Il suit de là qu'un caprice peut fort bien s'écrire, mais jamais une fantaisie; car sitôt qu'elle est écrite ou répétée, ce n'est plus une fantaisie, c'est une pièce ordinaire.
[-327-] Faucet. (Voyez Fausset.)
Fausse-quarte. (Voyez Quarte.)
Fausse-quinte, substantif féminin. Intervalle dissonant, appelé par les Grecs hemi-diapente, dont les deux termes sont distants de quatre degrés diatoniques, ainsi que ceux de la quinte juste, mais dont l'intervalle est moindre d'un semi-ton; celui de la quinte étant de deux tons majeurs, d'un ton mineur, et d'un semi-ton majeur, et celui de la fausse-quinte seulement d'un ton majeur, d'un ton mineur, et de deux semi-tons majeurs. Si, sur nos claviers ordinaires, on divise l'octave en deux parties égales, on aura d'un côté la fausse-quinte, comme si fa, et de l'autre le triton, comme fa si: mais ces deux intervalles, égaux en ce sens, ne le sont ni quant au nombre des degrés, puisque le triton n'en a que trois, ni dans la précision des rapports, celui de la faussequinte étant de 45 à 64, et celui du triton de 32 à 45.
L'accord de fausse-quinte est renversé de l'accord dominant, en mettant la note sensible au grave. Voyez au mot Accord comment celui-là s'accompagne.
Il faut bien distinguer la fausse-quinte dissonance, de la quinte-fausse réputée consonnance, et qui n'est altérée que par accident. (Voyez Quinte.)
Fausse-relation, substantif féminin. Intervalle diminué ou superflu. (Voyez Relation.)
Fausset, substantif masculin. C'est cette espèce de voix par laquelle un homme, sortant à l'aigu du diapason de sa voix naturelle, imite celle de la femme. Un homme [-328-] fait à peu près, quand il chante le fausset, ce que fait un tuyau d'orgue quand il octavie. (Voyez Octavier.)
Si ce mot vient du français faux opposé à juste, il faut l'écrire comme je fais ici, en suivant l'orthographe de l'Encyclopédie: mais s'il vient, comme je le crois, du latin faux, faucis, la gorge, il fallait, au lieu des deux ss qu'on a substituées, laisser le c que j'y avais mis: faucet.
Faux, adjectif et adverbe. Ce mot est opposé à juste.
On chante faux, quand on n'entonne pas les intervalles dans leur justesse, qu'on forme des sons trop hauts ou trop bas.
Il y a des voix fausses, des cordes fausses, des instruments faux. Quant aux voix, on prétend que le défaut est dans l'oreille et non dans la glotte: cependant j'ai vu des gens qui chantaient très-faux, et qui accordaient un instrument très-juste. La fausseté de leur voix n'avait donc pas sa cause dans leur oreille. Pour les instruments, quand les tons en sont faux, c'est que l'instrument est mal construit, que les tuyaux en sont mal proportionnés, ou les cordes fausses, ou qu'elles ne sont pas d'accord; que celui qui en joue touche faux, ou qu'il modifie mal le vent ou les lèvres.
Faux-accord. Accord discordant, soit parce qu'il contient des dissonances proprement dites, soit parce que les consonnances n'en sont pas justes. (Voyez Accord-faux.)
Faux-Bourdon, substantif masculin. Musique à plusieurs parties, mais simple et sans mesure, dont les notes sont [-329-] presque toutes égales, et dont l'harmonie est toujours syllabique. C'est la psalmodie des catholiques romains chantée à plusieurs parties. Le chant de nos psaumes à quatre parties peut aussi passer pour une espèce de faux-bourdon, mais qui procède avec beaucoup de lenteur et de gravité.
Feinte, substantif féminin. Altération d'une note ou d'un intervalle par un dièse ou par un bémol. C'est proprement le nom commun et générique du dièse et du bémol accidentels. Ce mot n'est plus en usage, mais on ne lui en a point substitué. La crainte d'employer des tours surannés énerve tous les jours notre langue; la crainte d'employer de vieux mots l'appauvrit tous les jours: ses plus grands ennemis seront toujours les puristes.
On appelait aussi feintes les touches chromatiques du clavier, que nous appelons aujourd'hui touches blanches, et qu'autrefois on faisait noires, parce que nos grossiers ancêtres n'avaient pas songé à faire le clavier noir, pour donner de l'éclat à la main des femmes. On appelle encore aujourd'hui feintes-coupées celles de ces touches qui sont brisées pour suppléer au ravalement.
Fête, substantif féminin. Divertissement de chant et de danse qu'on introduit dans un acte d'opéra, et qui interrompt ou suspend toujours l'action.
Ces fêtes ne sont amusantes qu'autant que l'opéra même est ennuyeux. Dans un drame intéressant et bien conduit, il serait impossible de les supporter.
La différence qu'on assigne à l'Opéra entre les mots de fête et de divertissement, est que le premier [-330-] s'applique plus particulièrement aux tragédies, et le second aux ballets.
Fi. Syllabe avec laquelle quelques musiciens solfient le fa dièse, comme ils solfient par ma le mi bémol; ce qui paraît assez bien entendu. (Voyez Solfier.)
Figuré. Cet adjectif s'applique aux notes ou à l'harmonie: aux notes, comme dans ce mot, bassefigurée, pour exprimer une basse dont les notes portant accord sont subdivisées en plusieurs autres notes de moindre valeur (voyez Basse-figurée); à l'harmonie, quand on emploie, par supposition et dans une marche diatonique, d'autres notes que celles qui forment l'accord. (Voyez Harmonie-Figurée et Supposition.)
Figurer, verbe actif. C'est passer plusieurs notes pour une; c'est faire des doubles, des variations; c'est ajouter des notes au chant de quelque manière que ce soit; enfin c'est donner aux sons harmonieux une figure de mélodie, en les liant par d'autres sons intermédiaires. (Voyez Double, Fleurtis, Harmonie-figurée.)
Filer un son, c'est, en chantant, ménager sa voix, en sorte qu'on puisse le prolonger long-temps sans reprendre haleine. Il y a deux manières de filer un son: la première, en le soutenant toujours également; ce qui se fait pour l'ordinaire sur les tenues où l'accompagnement travaille: la seconde, en le renforçant; ce qui est plus usité dans les passages et roulades. La première manière demande plus de justesse, et les Italiens la préfèrent; la seconde [-331-] a plus d'éclat, et plaît davantage aux Français.
Fin, substantif féminin. Ce mot se place quelquefois sur la finale de la première partie d'un rondeau, pour marquer qu'ayant repris cette première partie, c'est sur cette finale qu'on doit s'arrêter et finir. (Voyez Rondeau.)
On n'emploie plus guère ce mot à cet usage, les Français lui ayant substitué le point-final, à l'exemple des Italiens. (Voyez Point-final.)
Finale, substantif féminin. Principale corde du mode qu'on appelle aussi tonique, et sur laquelle l'air ou la piece doit finir. (Voyez Mode.)
Quand on compose à plusieurs parties, et surtout des choeurs, il faut toujours que la basse tombe en finissant sur la note même de la finale. Les autres parties peuvent s'arrêter sur sa tierce ou sur sa quinte. Autrefois c'était une règle de donner toujours à la fin d'une pièce la tierce majeure à la finale, même en mode mineur; mais cet usage a été trouvé de mauvais goût et tout-à-fait abandonné.
Fixe, adjectif. Cordes ou sons fixes ou stables. (Voyez Son, Stable.)
Flatté, substantif masculin. Agrément du chant français, difficile à définir, mais dont on comprendra suffisamment l'effet par un exemple. (Voyez Planche B, figure 13 [ROUDIC4 03GF], au mot Flatté.)
Fleurtis, substantif masculin. Sorte de contre-point figuré, lequel n'est point syllabique ou note sur note. C'est aussi l'assemblage des divers agréments dont on orne un chant trop simple. Ce mot a vieilli en tout [-332-] sens. (Voyez Broderies, Doubles, Variations, Passages.)
Fondamental, adjectif. Son fondamental est celui qui sert de fondement à l'accord (voyez Accord), ou au ton (voyez Tonique). Basse-fondamentale est celle qui sert de fondement à l'harmonie. (Voyez Basse-fondamentale.) Accord fondamental est celui dont la basse est fondamentale, et dont les sons sont arrangés selon l'ordre de leur génération: mais comme cet ordre écarte extrêmement les parties, on les rapproche par des combinaisons ou renversements; et, pourvu que la basse reste la même, l'accord ne laisse pas pour cela de porter le nom de fondamental; tel est, par exemple, cet accord ut mi sol, renfermé dans un intervalle de quinte: au lieu que dans l'ordre de sa génération ut sol mi, il comprend une dixième et même une dix-septième, puisque l'ut fondamental n'est pas la quinte de sol, mais l'octave de cette quinte.
Force, substantif féminin. Qualité du son, appelée aussi quelquefois intensité, qui le rend plus sensible et le fait entendre de plus loin. Les vibrations plus ou moins fréquentes du corps sonore sont ce qui rend le son aigu ou grave; leur plus grand ou moindre écart de la ligne de repos est ce qui le rend fort ou faible; quand cet écart est trop grand et qu'on force l'instrument ou la voix (voyez Forcer), le son devient bruit, et cesse d'être appréciable.
Forcer la voix, c'est excéder en haut ou en bas son diapason, ou son volume, à force d'haleine; c'est crier au lieu de chanter. Toute voix qu'on [-333-] force perd sa justesse: cela arrive même aux instruments où l'on force l'archet ou le vent; et voilà pourquoi les Français chantent rarement juste.
Forlane, substantif féminin. Air d'une danse de même nom, commune à Venise, surtout parmi les gondoliers. Sa mesure est à 6/8; elle se bat gaiement, et la danse est aussi fort gaie. On l'appelle forlane parce qu'elle a pris naissance dans le Frioul, dont les habitants s'appellent Forlans.
Fort, adverbe. Ce mot s'écrit dans les parties pour marquer qu'il faut forcer le son avec véhémence, mais sans le hausser; chanter à pleine voix, tirer de l'instrument beaucoup de son: ou bien il s'emploie pour détruire l'effet du mot doux employé précédemment.
Les Italiens ont encore le superlatif fortissimo, dont on n'a guère besoin dans la musique française; car on y chante ordinairernent très-fort.
Fort, adjectif. Temps fort. (Voyez Temps.)
Forte-piano. Substantif italien composé, et que les musiciens devraient franciser, comme les peintres ont francisé celui de chiaro-scuro, en adoptant l'idée qu'il exprime. Le forte-piano est l'art d'adoucir et renforcer les sons dans la mélodie imitative, comme on fait dans la parole qu'elle doit imiter. Non-seulement quand on parle avec chaleur on ne s'exprime point toujours sur le même ton, mais on ne parle pas toujours avec le même degré de force. La musique, en imitant la variété des accents et des tons, doit donc imiter aussi les degrés intenses ou remisses de la parole, et parler tantôt doux, [-334-] tantôt fort, tantôt à demi-voix; et voilà ce qu'indique en général le mot forte-piano.
Fragments. On appelle ainsi à l'Opéra de Paris le choix de trois ou quatre actes de ballet, qu'on tire de divers opéra, et qu'on rassemble, quoiqu'ils n'aient aucun rapport entre eux, pour être représentés successivement le même jour, et remplir, avec leurs entr'actes, la durée d'un spectacle ordinaire. Il n'y a qu'un homme sans goût qui puisse imaginer un pareil ramassis, et qu'un théâtre sans intérêt où l'on puisse le supporter.
Frappé, adjectif pris substantivement. C'est le temps où l'on baisse la main ou le pied, et où l'on frappe pour marquer la mesure. (Voyez Thésis.) On ne frappe ordinairement du pied que le premier temps de chaque mesure; mais ceux qui coupent en deux la mesure à quatre frappent aussi le troisième. En battant de la main la mesure, les Français ne frappent jamais que le premier temps, et marquent les autres par divers mouvements de main: mais les Italiens frappent les deux premiers de la mesure à trois, et lèvent le troisième; ils frappent de même les deux premiers de la mesare à quatre, et lèvent les deux autres. Ces mouvements sont plus simples et semblent plus commodes.
Fredon, substantif masculin. Vieux mot qui signifie un passage rapide et presque toujours diatonique de plusieurs notes sur la même syllabe; c'est à peu près ce que l'on a depuis appelé roulade, avec cette différence que la roulade dure davantage et s'écrit, au lieu que le fredon n'est qu'une courte addition de goût, [-335-] ou, comme on disait autrefois, une diminution que le chanteur fait sur quelque note.
Fredonner, verbe neutre et actif. Faire des fredons. Ce mot est vieux, et ne s'emploie plus qu'en dérision.
Fugue, substantif féminin. Pièce ou morceau de musique où l'on traite, selon certaines règles d'harmonie et de modulation, un chant appelé sujet, en le faisant passer successivement et alternativement d'une partie à une autre.
Voici les principales règles de la fugue, dont les unes lui sont propres, et les autres communes avec l'imitation.
I. Le sujet procède de la tonique à la dominante, ou de la dominante à la tonique, en montant ou en descendant.
II. Toute fugue a sa réponse dans la partie qui suit immédiatement celle qui a commencé.
III. Cette réponse doit rendre le sujet à la quarte ou à la quinte, et par mouvement semblable, le plus exactement qu'il est possible; procédant de la dominante à la tonique, quand le sujet s'est annoncé de la tonique à la dominante, et vice versâ. Une partie peut aussi reprendre le même sujet à l'octave ou à l'unisson de la précédente; mais alors c'est répétition plutôt qu'une véritable réponse.
IV. Comme l'octave se divise en deux parties inégales, dont l'une comprend quatre degrés en montant de la tonique à la dominante, et l'autre seulement trois en continuant de monter de la dominante à la tonique, cela oblige d'avoir égard à cette différence dans l'expression du sujet, et de faire [-336-] quelque changement dans la réponse, pour ne pas quitter les cordes essentielles du mode. C'est autre chose quand on se propose de changer de ton; alors l'exactitude même de la réponse prise sur une autre corde produit les altérations propres à ce changement.
V. Il faut que la fugue soit dessinée de telle sorte que la réponse puisse entrer avant la fin du premier chant, afin qu'on entende en partie l'une et l'autre à la fois, que par cette anticipation le sujet se lie pour ainsi dire à lui-même, et que l'art du compositeur se montre dans ce concours. C'est se moquer que de donner pour fugue un chant qu'on ne fait que promener d'une partie à l'autre, sans autre gêne que de l'accompagner ensuite à sa volonté: cela mérite tout au plus le nom d'imitation. (Voyez Imitation.)
Outre ces règles qui sont fondamentales, pour réussir dans ce genre de composition, il y en a d'autres qui, pour n'être que de goût, n'en sont pas moins essentielles. Les fugues, en général, rendent la musique plus bruyante qu'agréable; c'est pourquoi elles conviennent mieux dans les choeurs que partout ailleurs. Or, comme leur principal mérite est de fixer toujours l'oreille sur le chant principal ou sujet, qu'on fait pour cela passer incessamment de partie en partie, et de modulation en modulation, le compositeur doit mettre tous ses soins à rendre toujours ce chant bien distinct, ou à empêcher qu'il ne soit étouffé ou confondu parmi les autres parties. Il y a pour cela deux moyens. [-337-] L'un, dans le mouvement qu'il faut sans cesse contraster: de sorte que, si la marche de la fugue est précipitée, les autres parties procèdent posément par des notes longues; et, au contraire, si la fugue marche gravement, que les accompagnements travaillent davantage. Le second moyen est d'écarter l'harmonie, de peur que les autres parties, s'approchant trop de celle qui chante le sujet, ne se confondent avec elle, et ne l'empêchent de se faire entendre assez nettement; en sorte que ce qui serait un vice partout ailleurs devient ici une beauté.
Unité de mélodie; voilà la grande règle commune qu'il faut souvent pratiquer par des moyens différents. Il faut choisir les accords, les intervalles, afin qu'un certain son, et non pas un autre, fasse l'effet principal: unité de mélodie.
Il faut quelquefois mettre en jeu des instruments ou des voix d'espèce différente, afin que la partie qui doit dominer se distingue plus aisément: unité de mélodie. Une autre attention non moins nécessaire est, dans les divers enchaînements de modulations qu'amène la marche et le progrès de la fugue, de faire que toutes ces modulations se correspondent à la fois dans toutes les parties, de lier le tout dans son progrès par une exacte conformité de ton, de peur qu'une partie étant dans un ton et l'autre dans un autre, l'harmonie entière ne soit dans aucun, et ne présente plus d'effet simple à l'oreille, ni d'idée simple à l'esprit: unité de mélodie. En un mot, dans toute fugue, la confusion de mélodie et de modulation est en même temps ce qu'il [-338-] y a de plus à craindre et de plus difficile à éviter; et le plaisir que donne ce genre de musique étant toujours médiocre, on peut dire qu'une belle fugue est l'ingrat chef-doeuvre d'un bon harmoniste.
Il y a encore plusieurs autres manières de fugues; comme les fugues perpétuelles, appelées canons, les doubles fugues, les contre-fugues, ou fugues renversées, qu'on peut voir chacune à son mot, et qui servent plus à étaler l'art des compositeurs qu'à flatter l'oreille des écoutants.
Fugue, du latin fuga, fuite; parce que les parties, partant ainsi successivement, semblent se fuir et se poursuivre l'une l'autre.
Fugue renversée. C'est une fugue dont la réponse se fait par mouvement contraire à celui du sujet. (Voyez Contre-fugue.)
Fusée, substantif féminin. Trait rapide et continu qui monte ou descend pour joindre diatoniquement deux notes à un grand intervalle l'une de l'autre. (Voyez Planche C, figure 4 [ROUDIC4 04GF].) A moins que la fusée ne soit notée, il faut, pour l'exécuter, qu'une des deux notes extrêmes ait une durée sur laquelle on puisse passer la fusée sans altérer la mesure.
G.
G re sol, G sol re ut, ou simplement G. Cinquième son de la gamme diatonique, lequel s'appelle autrement sol. (Voyez Gamme.)
C'est aussi le nom de la plus haute des trois clefs de la musique. (Voyez Clef.)
Gai, adverbe. Ce mot, écrit au-dessus d'un air ou [-339-] d'un morceau de musique, indique un mouvement moyen entre le vite et le modéré; il répond au mot italien allegro, employé pour le même usage. (Voyez Allegro.)
Ce mot peut s'entendre aussi du caractère d'une musique, indépendamment du mouvement.
Gaillarde, substantif féminin. Air à trois temps gais d'une danse de même nom. On la nommait autrefois romanesque, parce qu'elle nous est, dit-on, venue de Rome, ou du moins d'Italie.
Cette danse est hors d'usage depuis long-temps. Il en est resté seulement un pas appelé pas de gaillarde.
Gamme, gamm'ut, ou gamma-ut. Table ou échelle inventée par Gui Arétin, sur laquelle on apprend à nommer et entonner juste les degrés de l'octave par les six notes de musique, ut re mi fa sol la, suivant toutes les dispositions qu'on peut leur donner; ce qui s'appelle solfier. (Voyez ce mot.)
La gamme a aussi été nommée main harmonique, parce que Gui employa d'abord la figure d'une main, sur les doigts de laquelle il rangea ses notes, pour montrer les rapports de ses exacordes avec les cinq tétracordes des Grecs. Cette main a été en usage pour apprendre à nommer les notes jusqu'à l'invention du si qui a aboli chez nous les muances, et par conséquent la main harmonique qui sert à les expliquer.
Gui Arétin, ayant, selon l'opinion commune, ajouté au diagramme des Grecs un tétracorde à l'aigu, et une corde au grave, ou plutôt, selon [-340-] Meibomius, ayant, par ces additions, rétabli ce diagramme dans son ancienne étendue, il appela cette corde grave hypoproslambanoménos, et la marqua par le [Gamma] des Grecs; et comme cette lettre se trouva ainsi à la tête de l'échelle, en plaçant dans le haut les sons graves, selon la méthode des anciens, elle a fait donner à cette échelle le nom barbare de gamme.
Cette gamme donc, dans toute son étendue, était composée de vingt cordes ou notes, c'est-à-dire de deux octaves et d'une sixte majeure. Ces cordes étaient représentées par des lettres et par des syllabes. Les lettres désignaient invariablement chacune une corde déterminée de l'échelle, comme elles font encore aujourd'hui; mais comme il n'y avait d'abord que six lettres, enfin que sept, et qu'il fallait recommencer d'octave en octave, on distinguait ces octaves par les figures des lettres. La première octave se marquait par des lettres capitales de cette manière: [Gamma].A.B., et cetera; la seconde, par des caractères courants g. a. b.; et pour la sixte surnuméraire, on employait des lettres doubles, gg. aa. bb., et cetera.
Quant aux syllabes, elles ne représentaient que les noms qu'il fallait donner aux notes en les chantant. Or, comme il n'y avait que six noms pour sept notes, c'était une nécessité qu'au moins un même nom fût donné à deux différentes notes; ce qui se fit de manière que ces deux notes mi fa ou la fa, tombassent sur les semi-tons: par conséquent, dès qu'il se présentait un dièse ou un bémol [-341-] qui amenait un nouveau semi-ton, c'étaient encore des noms à changer; ce qui faisait donner le même nom à différentes notes, et différents noms à la même note, selon le progrès du chant; et ces changements de noms s'appelaient muances.
On apprenait donc ces muances par la gamme. A la gauche de chaque degré on voyait une lettre qui indiquait la corde précise appartenant à ce degré; à la droite, dans les cases, on trouvait les différents noms que cette même note devait porter en montant on en descendant par bécarre ou par bémol, selon le progrès.
Les difficultés de cette méthode ont fait faire en divers temps plusieurs changements à la gamme. La figure 10, Planche A [ROUDIC4 02GF], représente cette gamme telle qu'elle est actuellement usitée en Italie. C'est à peu près la même chose en Espagne et en Portugal, si ce n'est qu'on trouve quelquefois à la dernière place la colonne du bécarre, qui est ici la première, ou quelque autre différence aussi peu importante.
Pour se servir de cette échelle, si l'on veut chanter au naturel, on applique ut à [Gamma] de la première colonne, le long de laquelle on monte jusqu'au la; après quoi, passant à droite dans la colonne du b naturel, on nomme fa; on monte au la de la même colonne, puis on retourne dans la précédente à mi, et ainsi de suite; ou bien on peut commencer par ut au C de la seconde colonne; arrivé au la, passer à mi dans la première colonne, puis repasser dans l'autre colonne au fa. Par ce [-342-] moyen l'une de ces transitions forme toujours un semi-ton, savoir la fa; et l'autre toujours un ton, savoir, la mi. Par bémol, on peut commencer à l'ut en c ou f, et faire les transitions de la même manière, et cetera.
En descendant par bécarre on quitte l'ut de la colonne du milieu pour passer au mi de celle par bécarre, ou au fa de celle par bémol; puis descendant jusqu'à l'ut de cette nouvelle colonne, on en sort par fa de gauche à droite, par mi de droite à gauche, et cetera.
Les Anglais n'emploient pas toutes ces syllabes, mais seulement les quatre premières, ut re mi fa, changeant ainsi de colonne de quatre en quatre notes, ou de trois en trois par une méthode semblable à celle que je viens d'expliquer, si ce n'est qu'au lieu de la fa et de la mi, il faut muer par fa ut, et par mi ut.
Les Allemands n'ont point d'autre gamme que les lettres initiales qui marquent les sons fixes dans les autres gammes, et ils solfient même avec ces lettres de la manière qu'on pourra voir au mot Solfier.
La gamme française, autrement dite gamme du si, lève les embarras de toutes ces transitions. Elle consiste en une simple échelle de six degrés sur deux colonnes, outre celle des lettres. (Voyez Planche A, figure 11 [ROUDIC4 02GF].) La première colonne à gauche est pour chanter par bémol, c'est-à-dire avec un bémol à la clef; la seconde, pour chanter au naturel. Voilà tout le mystère de la gamme française, [-343-] qui n'a guère plus de difficulté que d'utilité, attendu que toute autre altération qu'un bémol la met à l'instant hors d'usage. Les autres gammes n'ont par-dessus celle-là que l'avantage d'avoir aussi une colonne pour le bécarre, c'est-à-dire pour un dièse à la clef; mais sitôt qu'on y met plus d'un dièse ou d'un bémol (ce qui ne se faisait jamais autrefois), toutes ces gammes sont également inutiles. Aujourd'hui que les musiciens français chantent tout au naturel, ils n'ont que faire de gamme. C sol ut, ut, et C, ne sont pour eux que la même chose. Mais, dans le système de Gui, ut est une chose, et C en est une autre fort différente; et quand il a donné à chaque note une syllabe et une lettre, il n'a pas prétendu en faire des synonymes; ce qui eût été doubler inutilement les noms et les embarras.
Gavotte, substantif féminin. Sorte de danse dont l'air est à deux temps, et se coupe en deux reprises, dont chacune commence avec le second temps et finit sur le premier. Le mouvement de la gavotte est ordinairement gracieux, souvent gai, quelquefois aussi tendre et lent. Elle marque ses phrases et ses repos de deux en deux mesures.
Génie, substantif masculin. Ne cherche point, jeune artiste, ce que c'est que le génie. En as-tu, tu le sens en toimême. N'en as-tu pas, tu ne le connaitras jamais. Le génie du musicien soumet l'univers entier à son art; il peint tous les tableaux par des sons; il fait parler le silence même; il rend les idées par des sentiments, les sentiments par des accents; et [-344-] les passions qu'il exprime, il les excite au fond des coeurs: la volupté, par lui, prend de nouveaux charmes; la douleur qu'il fait gémir arrache des cris; il brûle sans cesse, et ne se consume jamais: il exprime avec chaleur les frimas et les glaces; même en peignant les horreurs de la mort, il porte dans l'ame ce sentiment de vie qui ne l'abandonne point, et qu'il communique aux coeurs faits pour le sentir: mais, hélas! il ne sait rien dire à ceux où son germe n'est pas, et ses prodiges sont peu sensibles à qui ne les peut imiter. Veux-tu donc savoir si quelque étincelle de ce feu dévorant t'anime; cours, vole à Naples écouter les chefs-d'oeuvre de Leo, de Durante, de Jomelli, de Pergolèse. Si tes yeux s'emplissent de larmes, si tu sens ton coeur palpiter, si des tressaillements t'agitent, si l'oppression te suffoque dans tes transports, prends le Métastase et travaille; son génie échauffera le tien, tu créeras à son exemple; c'est là ce que fait le génie, et d'autres yeux te rendront bientôt les pleurs que les maîtres t'ont fait verser. Mais si les charmes de ce grand art te laissent tranquille, si tu n'as ni délire ni ravissement, si tu ne trouves que beau ce qui transporte, oses-tu demander ce qu'est le génie? homme vulgaire, ne profane point ce nom sublime. Que t'importerait de le connaître? tu ne saurais le sentir: fais de la musique française.
Genre, substantif masculin. Division et disposition du tétracorde, considéré dans les intervalles des quatre sons qui le composent. On conçoit que cette définition, [-345-] qui est celle d'Euclide, n'est applicable qu'à la musique grecque, dont j'ai à parler en premier lieu.
La bonne constitution de l'accord du tétracorde, c'est-à-dire l'établissement d'un genre régulier, dépendait des trois règles suivantes, que je tire d'Aristoxène.
La première était que les deux cordes extrêmes du tétracorde devaient toujours rester immobiles, afin que leur intervalle fût toujours celui d'une quarte juste ou du diatessaron. Quant aux deux cordes moyennes, elles variaient à la vérité; mais l'intervalle du lichanos à la mèse ne devait jamais passer deux tons, ni diminuer au-delà d'un ton, de sorte qu'on avait précisément l'espace d'un ton pour varier l'accord du lichanos: et c'est la seconde règle. La troisième était que l'intervalle de la parhypate, ou seconde corde à l'hypate, n'excédât jamais celui de la même parhypate au lichanos.
Comme en général cet accord pouvait se diversifier de trois façons, cela constituait trois principaux genres; savoir, le diatonique, le chromatique, et l'enharmonique. Ces deux derniers genres, où les deux premiers intervalles faisaient toujours ensemble une somme moindre que le troisième intervalle, s'appelaient, à cause de cela, genres épais ou serrés. (Voyez Épais. )
Dans le diatonique, la modulation procédait par un semi-ton, un ton, et un autre ton, si ut re mi, et comme on y passait par deux tons consécutifs, [-346-] de là lui venait le nom de diatonique. Le chromatique procédait successivement par deux semi-tons et un hémiditon ou une tierce mineure, si, ut, ut dièse, mi; cette modulation tenait le milieu entre celles du diatonique et de l'enharmonique, y faisant, pour ainsi dire, sentir diverses nuances de sons, de même qu'entre deux couleurs principales on introduit plusieurs nuances intermédiaires; et de là vient qu'on appelait ce genre chromatique ou coloré. Dans l'enharmonique, la modulation procédait par deux quarts de ton, en divisant, selon la doctrine d'Aristoxène, le semiton majeur en deux parties égales, et un diton ou une tierce majeure, comme si, si dièse enharmonique, ut, et mi; ou bien, selon les pythagoriciens, en divisant le semi-ton majeur en deux intervalles inégaux, qui formaient, l'un le semi-ton mineur, c'est-à-dire notre dièse ordinaire, et l'autre le complément de ce même semi-ton mineur au semi-ton majeur, et ensuite le diton, comme cidevant, si, si dièse ordinaire, ut, mi. Dans le premier cas, les deux intervalles égaux du si à l'ut étaient tous deux enharmoniques ou d'un quart de ton, dans le second cas, il n'y avait d'enharmonique que le passage du si dièse à l'ut, c'est-à-dire la différence du semi-ton mineur au semi-ton majeur, laquelle est le dièse appelé de Pythagore, et le véritable intervalle enharmonique donné par la nature.
Comme donc cette modulation, dit Monsieur Burette, se tenait d'abord très-serrée, ne parcourant que de [-347-] petits intervalles, des intervalles presque insensibles, on la nommait enharmonique, comme qui dirait bien jointe, bien assemblée, probè coagmentata.
Outre ces genres principaux, il y en avait d'autres qui résultaient tous des divers partages du tétracorde, ou de façons de l'accorder différentes de celles dont je viens de parler. Aristoxène subdivise le genre diatonique en syntonique et diatonique mol (voyez Diatonique), et le genre chromatique en mol, hémolien et tonique (voyez Chromatique), dont il donne les différences comme je les rapporte à leurs articles. Aristide Quintilien fait mention de plusieurs autres genres particuliers, et il en compte six qu'il donne pour très-anciens, savoir, le lydien, le dorien, le phrygien, l'ionien, le myxolidien, et le syntonolydien. Ces six genres, qu'il ne faut pas confondre avec les tons ou modes de mêmes noms, différaient par leurs degrés ainsi que par leur accord; les uns n'arrivaient pas à l'octave, les autres l'atteignaient, les autres la passaient, en sorte qu'ils participaient à la fois du genre et du mode. On en peut voir le détail dans le Musicien grec.
En général le diatonique se divise en autant d'espèces qu'on peut assigner d'intervalles différents entre le semi-ton et le ton;
Le chromatique, en autant d'espèces qu'on peut assigner d'intervalles entre le semi-ton et le dièse enharmonique.
Quant à l'enharmonique, il ne se subdivise point.
Indépendamment de toutes ces subdivisions, il [-348-] y avait encore un genre commun dans lequel on n'employait que des sons stables qui appartiennent à tous les genres, et un genre mixte qui participait du caractère de deux genres ou de tous les trois. Or, il faut bien remarquer que dans ce mélange des genres, qui était très-rare, on n'employait pas pour cela plus de quatre cordes, mais on les tendait ou relâchait diversement durant une même pièce; ce qui ne paraît pas trop facile à pratiquer. Je soupçonne que peut-être un tétracorde était accordé dans un genre, et un autre dans un autre; mais les auteurs ne s'expliquent pas clairement là-dessus.
On lit dans Aristoxène (Livre 1, Partie II) que, jusqu'au temps d'Alexandre, le diatonique et le chromatique étaient négligés des anciens musiciens, et qu'ils ne s'exerçaient que dans le genre enharmonique, comme le seul digne de leur habileté; mais ce genre était entièrement abandonné du temps de Plutarque, et le chromatique aussi fut oublié, même avant Macrobe.
L'étude des écrits des anciens, plus que le progrès de notre musique, nous a rendu ces idées perdues chez leurs successeurs. Nous avons comme eux le genre diatonique, le chromatique, et l'enharmonique, mais sans aucunes divisions, et nous considérons ces genres sous des idées fort différentes de celles qu'ils en avaient; c'étaient pour eux autant de manières particulières de conduire le chant sur certaines cordes prescrites: pour nous, ce sont autant de manières de conduire le corps [-349-] entier de l'harmonie, qui forcent les parties à suivre les intervalles prescrits par ces genres: de sorte que le genre appartient encore plus à l'harmonie qui l'engendre, qu'à la mélodie qui le fait sentir.
Il faut encore observer que, dans notre musique, les genres sont presque toujours mixtes, c'est-à-dire que le diatonique entre pour beaucoup dans le chromatique, et que l'un et l'autre sont nécessairement mêlés à l'enharmonique. Une pièce de musique tout entière dans un seul genre serait très-difficile à conduire et ne serait pas supportable; car dans le diatonique, il serait impossible de changer de ton; dans le chromatique, on serait forcé de changer de ton à chaque note; et dans l'enharmonique il n'y aurait absolument aucune sorte de liaison. Tout cela vient encore des règles de l'harmonie, qui assujettissent la succession des accords à certaines règles incompatibles avec une continuelle succession enharmonique ou chromatique, et aussi de celles de la mélodie, qui n'en saurait tirer de beaux chants. Il n'en était pas de même des genres des anciens: comme les tétracordes étaient également complets, quoique divisés différemment dans chacun des trois systèmes, si dans la mélodie ordinaire un genre eût emprunté d'un autre d'autres sons que ceux qui se trouvaient nécessairement communs entre eux, le tétracorde aurait eu plus de quatre cordes, et toutes les règles de leur musique auraient été confondues.
Monsieur Serre, de Genève, a fait la distinction d'un [-350-] quatrième genre, duquel j'ai parlé dans son article. (Voyez Diacommatique.)
Gigue, substantif féminin. Air d'une danse de même nom, dont la mesure est à six-huit et d'un mouvement assez gai. Les opéra français contiennent beaucoup de gigues, et les gigues de Corelli ont été long-temps célèbres: mais ces airs sont entièrement passés de mode; on n'en fait plus du tout en Italie, et l'on n'en fait plus guère en France.
Goût, substantif masculin. De tous les dons naturels le goût est celui qui se sent le mieux et qui s'explique le moins: il ne serait pas ce qu'il est, si l'on pouvait le définir, car il juge des objets sur lesquels le jugement n'a plus de prise, et sert, si j'ose parler ainsi, de lunette à la raison.
Il y a, dans la mélodie, des chants plus agréables que d'autres, quoique également bien modulés; il y a, dans l'harmonie, des choses d'effet et des choses sans effet, toutes également régulières; il y a dans l'entrelacement des morceaux un art exquis de faire valoir les uns par les autres, qui tient à quelque chose de plus fin que la loi des contrastes; il y a dans l'exécution du même morceau des manières différentes de le rendre, sans jamais sortir de son caractère: de ces manières, les unes plaisent plus que les autres, et loin de les pouvoir soumettre aux règles, on ne peut pas même les déterminer. Lecteur, rendez-moi raison de ces différences, et et je vous dirai ce que c'est que le goût.
Chaque homme a un goût particulier par lequel il donne aux choses qu'il appelle belles et bonnes [-351-] un ordre qui n'appartient qu'à lui. L'un est plus touché, des morceaux pathétiques; l'autre aime mieux les airs gais: une voix douce et flexible chargera ses chants d'ornements agréables; une voix sensible et forte animera les siens des accents de la passion: l'un cherchera la simplicité dans la mélodie; l'autre fera cas des traits recherchés: et tous deux appelleront élégance le goût qu'ils auront préféré. Cette diversité vient, tantôt de la différente disposition des organes, dont le goût enseigne à tirer parti, tantôt du caractére particulier de chaque homme, qui le rend plus sensible à un plaisir ou à un défaut qu'à un autre, tantôt de la diversité d'âge ou de sexe, qui tourne les désirs vers des objets différents: dans tous ces cas, chacun n'ayant que son goût à opposer à celui d'un autre, il est évident qu'il n'en faut point disputer.
Mais il y a aussi un goût général sur lequel tous les gens bien organisés s'accordent; et c'est celuici seulement auquel on peut donner absolument le nom de goût. Faites entendre un concert à des oreilles suffisamment exercées et à des hommes suffisamment instruits, le plus grand nombre s'accordera, pour l'ordinaire, sur le jugement des morceaux et sur l'ordre de préférence qui leur convient. Demandez à chacun raison de son jugement; il y a des choses sur lesquelles il la rendront d'un avis presque unanime: ces choses sont celles qui se trouvent soumises aux règles; et ce jugement commun est alors celui de l'artiste ou du connaisseur: mais de ces choses qu'ils s'accordent à trouver [-352-] bonnes ou mauvaises, il y en a sur lesquelles ils ne pourront autoriser leur jugement par aucune raison solide et commune à tous; et ce dernier jugement appartient à l'homme de goût. Que si l'unanimité parfaite ne s'y trouve pas, c'est que tous ne sont pas également bien organisés; que tous ne sont pas gens de goût, et que les préjugés de l'habitude ou de l'éducation changent souvent, par des conventions arbitraires, l'ordre des beautés naturelles. Quant à ce goût, on en peut disputer, parce qu'il n'y en a qu'un qui soit le vrai: mais je ne vois guère d'autre moyen de terminer la dispute que celui de compter les voix, quand on ne convient pas même de celle de la nature. Voilà donc ce qui doit décider de la préférence entre la musique française et l'italienne.
Au reste, le génie crée, mais le goût choisit; et souvent un génie trop abondant a besoin d'un censeur sévère qui l'empêche d'abuser de ses richesses. Sans goût on peut faire de grandes choses; mais c'est lui qui les rend intéressantes. C'est le goût qui fait saisir au compositeur les idées du poète; c'est le goût qui fait saisir à l'exécutant les idées du compositeur; c'est le goût qui fournit à l'un et à l'autre tout ce qui peut orner et faire valoir leur sujet; et c'est le goût qui donne à l'auditeur le sentiment de toutes ces convenances. Cependant le goût n'est point la sensibilité: on peut avoir beaucoup de goût avec une ame froide; et tel homme transporté des choses vraiment passionnées est peu touché des gracieuses. Il semble que le goût s'attache [-353-] plus volontiers aux petites expressions, et la sensibilité aux grandes.
Goût-du-chant. C'est ainsi qu'on appelle en France l'art de chanter ou de jouer les notes avec les agréments qui leur conviennent, pour couvrir un peu la fadeur du chant français. On trouve à Paris plusieurs maîtres de goût-de-chant, et ce goût a plusieurs termes qui lui sont propres; on trouvera les principaux au mot Agréments.
Le goût-du-chant consiste aussi beaucoup à donner artificiellement à la voix du chanteur le timbre, bon ou mauvais, de quelque acteur ou actrice à la mode; tantôt il consiste à nasillonner, tantôt à canarder, tantôt à chevrotter, tantôt à glapir: mais tout cela sont des graces passagères qui changent sans cesse avec leurs auteurs.
Grave ou Gravement. Adverbe qui marque lenteur dans le mouvement, et de plus une certaine gravité dans l'exécution.
Grave, adjectif est opposé à aigu. Plus les vibrations du corps sonore sont lentes, plus le son est grave. (Voyez Son, Gravité.)
Gravité, substantif féminin. C'est cette modification du son par laquelle on le considère comme grave ou bas par rapport à d'autres sons qu'on appelle hauts ou aigus. Il n'y a point dans la langue française de corrélatif à ce mot; car celui d'acuité n'a pu passer.
La gravité des sons dépend de la grosseur, longueur, tension des cordes, de la longueur et du diamètre des tuyaux, et en général du volume et [-354-] de la masse des corps sonores; plus ils ont de tout cela, plus leur gravité est grande: mais il n'y a point de gravité absolue, et nul son n'est grave ou aigu que par comparaison.
Gros-fa. Certaines vieilles musiques d'église, en notes carrées, rondes ou blanches, s'appelaient jadis du gros-fa.
Groupe, substantif masculin. Selon l'abbé Brossard, quatre notes égales et diatoniques, dont la première et la troisième sont sur le même degré, forment un groupe. Quand la deuxième descend et que la quatrième monte, c'est groupe ascendant; quand la deuxième monte et que la quatrième descend, c'est groupe descendant: et il ajoute que ce nom a été donné à ces notes à cause de la figure qu'elles forment ensemble.
Je ne me souviens pas d'avoir jamais ouï employer ce mot, en parlant, dans le sens que lui donne l'abbé Brossard, ni même de l'avoir lu dans le même sens ailleurs que dans son dictionnaire.
Guide, substantif féminin. C'est la partie qui entre la première dans une fugue et annonce le sujet. (Voyez Fugue.) Ce mot, commun en Italie, est peu usité en France dans le même sens.
Guidon, substantif masculin. Petit signe de musique, lequel se met à l'extrémité de chaque portée sur le degré où sera placée la note qui doit commencer la portée suivante: si cette première note est accompagnée accidentellement d'un dièse, d'un bémol, ou d'un bécarre, il convient d'en accompagner aussi le guidon.
[-355-] On ne se sert plus de guidons en Italie, surtout dans les partitions, où chaque portée ayant toujours dans l'accolade sa place fixe, on ne saurait guère se tromper en passant de l'une à l'autre. Mais les guidons sont nécessaires dans les partitions françaises, parce que, d'une ligne à l'autre, les accolades embrassant plus ou moins de portées, vous laissent dans une continuelle incertitude de la portée correspondante à celle que vous avez quittée.
Gymnopédie, substantif féminin. Air ou nome sur lequel dansaient à nu les jeunes Lacédémoniennes.
H.
Harmatias. Nom d'un nome dactylique de la musique grecque, inventé par le premier Olympe, phrygien.
Harmonie, substantif féminin. Le sens que donnaient les Grecs à ce mot dans leur musique est d'autant moins facile à déterminer, qu'étant originairement un nom propre, il n'a point de racines par lesquelles on puisse le décomposer pour en tirer l'étymologie. Dans les anciens traités qui nous restent, l'harmonie paraît être la partie qui a pour objet la succession convenable des sons, en tant qu'ils sont aigus ou graves, par opposition aux deux autres parties appelées rhythmica et metrica, qui se rapportent au temps et à la mesure; ce qui laisse à cette convenance une idée vague et indéterminée qu'on ne peut fixer que par une étude expresse de toutes [-356-] les règles de l'art; et encore, après cela, l'harmonie sera-t-elle fort difficile à distinguer de la mélodie, à moins qu'on n'ajoute à cette dernière les idées de rhythme et de mesure, sans lesquelles, en effet, nulle mélodie ne peut avoir un caractère déterminé; au lieu que l'harmonie a le sien par elle-même indépendamment de toute autre quantité. (Voyez Mélodie.)
On voit par un passage de Nicomaque et par d'autres, qu'ils donnaient aussi quelquefois le nom d'harmonie à la consonnance de l'octave, et aux concerts de voix et d'instruments qui s'exécutaient à l'octave, et qu'ils appelaient plus communément antiphonies.
Harmonie, selon les modernes, est une succession d'accords selon les lois de la modulation. Longtemps cette harmonie n'eut d'autres principes que des règles presque arbitraires ou fondées uniquement sur l'approbation d'une oreille exercée, qui jugeait de la bonne ou mauvaise succession des consonnances, et dont on mettait ensuite les décisions en calcul. Mais le Père Mersenne et Monsieur Sauveur ayant trouvé que tout son, bien que simple en apparence, était toujours accompagné d'autres sons moins sensibles qui formaient avec lui l'accord parfait majeur, Monsieur Rameau est parti de cette expérience, et en a fait la base de son système harmonique, dont il a rempli beaucoup de livres, et qu'enfin Monsieur d'Alembert a pris la peine d'expliquer au public.
Monsieur Tartini, partant d'une autre expérience plus [-357-] neuve, plus délicate, et non moins certaine, est parvenu à des conclusions assez semblables par un chemin tout opposé. Monsieur Rameau fait engendrer les dessus par la basse; Monsieur Tartini fait engendrer la basse par les dessus: celui-ci tire l'harmonie de la mélodie, et le premier fait tout le contraire. Pour décider de laquelle des deux écoles doivent sortir les meilleurs ouvrages, il ne faut que savoir lequel doit être fait pour l'autre, du chant ou de l'accompagnement. On trouvera au mot Système un court exposé de celui de Monsieur Tartini. Je continue à parler ici dans celui de Monsieur Rameau, que j'ai suivi dans tout cet ouvrage, comme le seul admis dans le pays où j'écris.
Je dois pourtant déclarer que ce système, quelque ingénieux qu'il soit, n'est rien moins que fondé sur la nature, comme il le répète sans cesse; qu'il n'est établi que sur des analogies et des convenances qu'un homme inventif peut renverser demain par d'autres plus naturelles; qu'enfin, des expériences dont il le déduit, l'une est reconnue fausse, et l'autre ne fournit point les conséquences qu'il en tire. En effet, quand cet auteur a voulu décorer du titre de démonstration les raisonnements sur lesquels il établit sa théorie, tout le monde s'est moqué de lui; l'académie a hautement désapprouvé cette qualification obreptice; et Monsieur Estève, de la société royale de Montpellier, lui a fait voir qu'à commencer par cette proposition, que, dans la loi de la nature, les octaves des sons les représentent et peuvent se prendre pour eux, il [-358-] n'y avait rien du tout qui fût démontré, ni même solidement établi dans sa prétendue démonstration. Je reviens à son système.
Le principe physique de la résonnance nous offre les accords isolés et solitaires; il n'en établit pas la succession. Une succession régulière est pourtant nécessaire. Un dictionnaire de mots choisis n'est pas une harangue, ni un recueil de bons accords une pièce de musique: il faut un sens, il faut de la liaison dans la musique ainsi que dans le langage; il faut que quelque chose de ce qui précède se transmette à ce qui suit, pour que le tout fasse un ensemble et puisse être appelé véritablement un.
Or la sensation composée qui résulte d'un accord parfait se résout dans la sensation absolue de chacun des sons qui le composent, et dans la sensation comparée de chacun des intervalles que ces mêmes sons forment entre eux: il n'y a rien audelà de sensible dans cet accord; d'où il suit que ce n'est que par le rapport des sons et par l'analogie des intervalles qu'on peut établir la liaison dont il s'agit, et c'est là le vrai et l'unique principe d'où découlent toutes les lois de l'harmonie et de la modulation. Si donc toute l'harmonie n'était formée que par une succession d'accords parfaits majeurs, il suffirait d'y procéder par intervalles semblables à ceux qui composent un tel accord: car alors, quelque son de l'accord précédent se prolongeant nécessairement dans le suivant, tous les accords se trouveraient suffisamment liés, et l'harmonie serait une, au moins en ce sens.
[-359-] Mais, outre que de telles successions excluraient toute mélodie en excluant le genre diatonique qui en fait la base, elles n'iraient point au vrai but de l'art, puisque la musique, étant un discours, doit avoir comme lui ses périodes, ses phrases, ses suspensions, ses repos, sa ponctuation de toute espèce, et que l'uniformité des marches harmoniques n'offrirait rien de tout cela. Les marches diatoniques exigeaient que les accords majeurs et mineurs fussent entremêlés, et l'on a senti la nécessité des dissonances pour marquer les phrases et les repos. Or, la succession liée des accords parfaits majeurs ne donne ni l'accord parfait mineur, ni la dissonance, ni aucune espèce de phrase, et la ponctuation s'y trouve tout-à-fait en défaut.
Monsieur Rameau, voulant absolument, dans son système, tirer de la nature toute notre harmonie, a eu recours pour cet effet à une autre expérience de son invention, de laquelle j'ai parlé ci-devant, et qui est renversée de la première: il a prétendu qu'un son quelconque fournissait dans ses multiples un accord parfait mineur au grave, dont il était la dominante ou quinte, comme il en fournit un majeur dans ses aliquotes, dont il est la tonique ou fondamentale. Il a avancé, comme un fait assuré, qu'une corde sonore faisait vibrer dans leur totalité, sans pourtaut les faire résonner, deux autres cordes plus graves, l'une à sa douzième majeure, et l'autre à sa dix-septième; et de ce fait, joint au précédent, il a déduit fort ingénieusement, non-seulement l'introduction du mode mineur et [-360-] de la dissonance dans l'harmonie, mais les règles de la phrase harmonique et de toute la modulation, telles qu'on les trouve aux mots Accord, Accompagnement, Basse-fondamentale, Cadence, Dissonance, Modulation.
Mais premièrement l'expérience est fausse. Il est reconnu que les cordes accordées au-dessous du son fondamental ne frémissent point en entier à ce son fondamental, mais qu'elles se divisent pour en rendre seulement l'unisson, lequel conséquemment n'a point d'harmoniques en dessous: il est reconnu de plus que la propriété qu'ont les cordes de se diviser n'est point particulière à celles qui sont accordées à la douzième et à la dix-septième en dessous du son principal, mais qu'elle est commune à tous ses multiples; d'où il suit que, les intervalles de douzième et de dix-septième en dessous n'étant pas uniques en leur manière, on n'en peut rien conclure en faveur de l'accord parfait mineur qu'ils représentent.
Quand on supposerait la vérité de cette expérience, cela ne lèverait pas à beaucoup près les difficultés. Si, comme le prétend Monsieur Rameau, toute l'harmonie est dérivée de la résonnance du corps sonore, il n'en dérive donc point des seules vibrations du corps sonore qui ne résonne pas. En effet, c'est une étrange théorie de tirer de ce qui ne résonne pas les principes de l'harmonie; et c'est une étrange physique de faire vibrer et non résonner le corps sonore, comme si le son lui-même était autre chose que l'air ébranlé par ces vibrations. [-361-] D'ailleurs le corps sonore ne donne pas seulement, outre le son principal, les sons qui composent avec lui l'accord parfait, mais une infinité d'autres sons, formés par toutes les aliquotes du corps sonore, lesquels n'entrent point dans cet accord parfait. Pourquoi les premiers sont-ils consonnants, et pourquoi les autres ne le sont-ils pas, puisqu'ils sont tous également donnés par la nature?
Tout son donne un accord vraiment parfait, puisqu'il est formé de tous ses harmoniques, et que c'est par eux qu'il est un son: cependant ces harmoniques ne s'entendent pas, et l'on ne distingue qu'un son simple, à moins qu'il ne soit extrêmement fort; d'où il suit que la seule bonne harmonie est l'unisson, et qu'aussitôt qu'on distingue les consonnances, la proportion naturelle étant altérée, l'harmonie a perdu sa pureté.
Cette altération se fait alors de deux manières. Premièrement, en faisant sonner certains harmoniques, et non pas les autres, on change le rapport de force qui doit régner entre eux tous, pour produire la sensation d'un son unique, et l'unité de la nature est détruite. On produit, en doublant ces harmoniques, un effet semblable à celui qu'on produirait en étouffant tous les autres; car alors il ne faut pas douter qu'avec le son générateur on n'entendît ceux des harmoniques qu'on aurait laissés; au lieu qu'en les laissant tous, ils s'entredéruisent, et concourent ensemble à produire et renforcer la sensation unique du son principal. C'est le même effet que donne le plein jeu de [-362-] l'orgue, lorsqu'ôtant successivement les registres, on laisse avec le principal la doublette et la quinte; car alors cette quinte et cette tierce, qui restaient confondues, se distinguent séparement et désagréablement.
De plus, les harmoniques qu'on fait sonner ont eux-mêmes d'autres harmoniques, lesquels ne le sont pas du son fondamental: c'est par ces harmoniques ajoutés que celui qui les produit se distingue encore plus durement; et ces mêmes harmoniques qui font ainsi sentir l'accord n'entrent point dans son harmonie. Voilà pourquoi les consonnances les plus parfaites déplaisent naturellement aux oreilles peu faites à les entendre, et je ne doute pas que l'octave elle-même ne déplût comme les autres, si le mélange des voix d'hommes et de femmes n'en donnait l'habitude dès l'enfance.
C'est encore pis dans la dissonance, puisque, non-seulement les harmoniques du son qui la donnent, mais ce son lui-même n'entre point dans le système harmonieux du son fondamental; ce qui fait que la dissonance se distingue toujours d'une manière choquante parmi tous les autres sons.
Chaque touche d'un orgue, dans le plein-jeu, donne un accord parfait tierce majeure, qu'on ne distingue pas du son fondamental, à moins qu'on ne soit d'une attention extrême et qu'on ne tire successivement les jeux; mais ces sons harmoniques ne se confondent avec le principal qu'à la faveur du grand bruit et d'un arrangement de registres par [-363-] lequel les tuyaux qui font résonner le son fondamental couvrent de leur force ceux qui donnent ses harmoniques. Or, on n'observe point et l'on ne saurait observer cette proportion continuelle dans un concert, puisque, attendu le renversement de l'harmonie, il faudrait que cette plus grande force passât à chaque instant d'une partie à une autre; ce qui n'est pas praticable, et défigurerait toute la mélodie.
Quand on joue de l'orgue, chaque touche de la basse fait sonner l'accord parfait majeur; mais parce que cette basse n'est pas toujours fondamentale, et qu'on module souvent en accord parfait mineur, cet accord parfait majeur est rarement celui que frappe la main droite; de sorte qu'on entend la tierce mineure avec la majeure, la quinte avec le triton, la septième superflue avec l'octave, et mille autres cacophonies, dont nos oreilles sont peu choquées, parce que l'habitude les rend accommodantes; mais il n'est point à présumer qu'il en fût ainsi d'une oreille naturellement juste, et qu'on mettrait pour la première fois à l'épreuve de cette harmonie.
Monsieur Rameau prétend que les dessus d'une certaine simplicité suggèrent naturellement leur basse, et qu'un homme, ayant l'oreille juste et non exercée, entonnera naturellement cette basse. C'est là un préjugé de musicien démenti par toute expérience. Non-seulement celui qui n'aura jamais entendu ni basse ni harmonie ne trouvera de lui-même ni cette harmonie ni cette basse, mais elles lui déplairont [-364-] si on les lui fait entendre, et il aimera beaucoup mieux le simple unisson.
Quand on songe que, de tous les peuples de la terre, qui tous ont une musique et un chant, les Européens sont les seuls qui aient une harmonie, des accords, et qui trouvent ce mélange agréable; quand on songe que le monde a duré tant de siècles, sans que, de toutes les nations qui ont cultivé les beaux-arts, aucune ait connu cette harmonie; qu'aucun animal, qu'aucun oiseau, qu'aucun être dans la nature ne produit d'autre accord que l'unisson, ni d'autre musique que la mélodie; que les langues orientales, si sonores, si musicales; que les oreilles grecques, si délicates, si sensibles, exercées avec tant d'art, n'ont jamais guidé ces peuples voluptueux et passionnés vers notre harmonie; que sans elle leur musique avait des effets si prodigieux; qu'avec elle la nôtre en a de si faibles; qu'enfin il était réservé à des peuples du Nord, dont les organes durs et grossiers sont plus touchés de l'éclat et du bruit des voix que de la douceur des accents et de la mélodie des inflexions, de faire cette grande découverte et de la donner pour principe à toutes les règles de l'art; quand, dis-je, on fait attention à tout cela, il est bien difficile de ne pas soupçonner que toute notre harmonie n'est qu'une invention gothique et barbare, dont nous ne nous fussions jamais avisés si nous eussions été plus sensibles aux véritables beautés de l'art et à la musique vraiment naturelle.
Monsieur Rameau prétend cependant que l'harmonie est [-365-] la source des plus grandes beautés de la musique; mais ce sentiment est contredit par les faits et par la raison. Par les faits, puisque tous les grands effets de la musique ont cessé, et qu'elle a perdu son énergie et sa force depuis l'invention du contrepoint; à quoi j'ajoute que les beautés purement harmoniques sont des beautés savantes, qui ne transportent que des gens versés dans l'art; au lieu que les véritables beautés de la musique étant de la nature, sont et doivent être également sensibles à tous les hommes savants et ignorants.
Par la raison, puisque l'harmonie ne fournit aucun principe d'imitation par lequel la musique, formant des images ou exprimant des sentiments, se puisse élever au genre dramatique ou imitatif, qui est la partie de l'art la plus noble, et la seule énergique, tout ce qui ne tient qu'au physique des sons étant très-borné dans le plaisir qu'il nous donne, et n'ayant que très-peu de pouvoir sur le coeur humain. (Voyez Mélodie.)
Harmonie. Genre de musique. Les anciens ont souvent donné ce nom au genre appelé plus communément genre enharmonique. (Voyez Enharmonique.)
Harmonie directe, est celle où la basse est fondamentale, et où les parties supérieures conservent l'ordre direct entre elles et avec cette basse. Harmonie renversée, est celle où le son-générateur ou fondamental est dans quelqu'une des parties supérieures, et où quelque autre son de l'accord est transporté à la basse au-dessous des autres. (Voyez Direct, Renversé.)
[-366-] Harmonie figurée, est celle où l'on fait passer plusieurs notes sur un accord. On figure l'harmonie par degrés conjoints ou disjoints. Lorsqu'on figure par degrés conjoints, on emploie nécessairement d'autres notes que celles qui forment l'accord, des notes qui ne sonnent point sur la basse, et sont comptées pour rien dans l'harmonie: ces notes intermédiaires ne doivent pas se montrer au commencement des temps, principalement des temps forts, si ce n'est comme coulés, ports-de-voix, ou lorsqu'on fait la première note du temps brève pour appuyer la seconde. Mais, quand on figure par degrés disjoints, on ne peut absolument employer que les notes qui forment l'accord, soit consonnant, soit dissonant. L'harmonie se figure encore par des sons suspendus ou supposés. (Voyez Supposition, Suspension.)
Harmonieux, adjectif. Tout ce qui fait de l'effet dans l'harmonie, et même quelquefois tout ce qui est sonore et remplit l'oreille dans les voix, dans les instruments, dans la simple mélodie.
Harmonique, adjectif. Ce qui appartient à l'harmonie, comme les divisions harmoniques du monocorde, la proportion harmonique, le canon harmonique, et cetera.
Harmoniques, substantif des deux genres. On appelle ainsi tous les sons concomitants ou accessoires qui, par le principe de la résonnance, accompagnent un son quelconque et le rendent appréciable: ainsi toutes les aliquotes d'une corde sonore en donnent les harmoniques. Ce mot s'emploie au masculin quand [-367-] on sous-entend le mot son, et au féminin quand on sous-entend le mot corde.
Sons Harmoniques. (Voyez Son.)
Harmoniste, substantif masculin. Musicien savant dans l'harmonie. Cest un bon harmoniste; Durante est le plus grand harmoniste de l'Italie, c'est-à-dire du monde.
Harmonomètre, substantif masculin. Instrument propre à mesurer les rapports harmoniques. Si l'on pouvait observer et suivre à l'oreille et à l'oeil les ventres, les noeuds, et toutes les divisions d'une corde sonore en vibration, l'on aurait un harmonomètre naturel très-exact; mais nos sens trop grossiers ne pouvant suffire à ces observations, on y supplée par un monocorde que l'on divise à volonté par des chevalets mobiles; et c'est le meilleur harmonomètre naturel que l'on ait trouvé jusqu'ici. (Voyez Monocorde.)
Harpalice. Sorte de chanson propre aux filles parmi les anciens Grecs. (Voyez Chanson.)
Haut, adjectif. Ce mot signifie la même chose qu'aigu, et ce terme est opposé à bas. C'est ainsi qu'on dira que le ton est trop haut, qu'il faut monter l'instrument plus haut.
Haut s'emploie aussi quelquefois improprement pour fort: Chantez plus haut, on ne vous entend pas.
Les anciens donnaient à l'ordre des sons une denomination tout opposée à la nôtre; ils plaçaient en haut les sons graves, et en bas les sons aigus: ce qu'il importe de remarquer pour entendre plusieurs de leurs passages.
Haut est encore, dans celles des quatre parties [-368-] de la musique qui se subdivisent, l'épithète qui distingue la plus élevée ou la plus aiguë. Haute-contre, Haute-taille, Haut-dessus. (Voyez ces mots.)
Haut-dessus, substantif masculin. C'est, quand les dessus chantants se subdivisent, la partie supérieure. Dans les parties instrumentales on dit toujours premier dessus et second dessus; mais dans le vocal on dit quelquefois haut-dessus et bas-dessus.
Haute-Contre, Altus ou Contra. Celle des quatre parties de la musique qui appartient aux voix d'homme les plus aiguës ou les plus hautes, par opposition à la basse-contre qui est pour les plus graves ou les plus basses. (Voyez Parties.)
Dans la musique italienne, cette partie, qu'ils appellent contr'alto, et qui répond à la haute-contre, est presque toujours chantée par des bas-dessus, soit femmes, soit castrati. En effet la haute-contre en voix d'homme n'est point naturelle; il faut la forcer pour la porter à ce diapason; quoi qu'on fasse, elle a toujours de l'aigreur, et rarement de la justesse.
Haute-taille, Tenor, est cette partie de la musique qu'on appelle aussi simplement taille. Quand la taille se subdivise en deux autres parties, l'inférieure prend le nom de basse-taille ou concordant, et la supérieure s'appelle haute-taille.
Hémi. Mot grec fort usité dans la musique, et qui signifie demi ou moitié. (Voyez Semi.)
Himidéton. C'était, dans la musique grecque, l'intervalle de tierce majeure, diminuée d'un semiton, [-369-] c'est-à-dire la tierce mineure. L'hémiditon n'est point, comme on pourrait croire, la moitié du diton ou le ton: mais c'est le diton moins la moitié d'un ton; ce qui est tout différent.
Hémiole. Mot grec qui signifie l'entier et demi, et qu'on a consacré en quelque sorte à la musique: il exprime le rapport de deux quantités dont l'une est à l'autre comme, 15 à 10, ou comme 3 à 2: on l'appelle autrement rapport sesquialtère.
C'est de ce rapport que naît la consonnance appelée diapente ou quinte; et l'ancien rhythme sesquialtère en naissait aussi.
Les anciens auteurs italiens donnent encore le nom d'hémiole ou hémiolie à cette espèce de mesure triple dont chaque temps est une noire. Si cette noire est sans queue, la mesure s'appelle hemiolia maggiore, parce qu'elle se bat plus lentement et qu'il faut deux noires à queue pour chaque temps. Si chaque temps ne contient qu'une noire à queue, la mesure se bat du double plus vite, et s'appelle hemiolia minore.
Hémiolien, adjectif. C'est le nom que donne Aristoxène à l'une des trois espèces du genre chromatique, dont il explique les divisions. Le tétracorde 30 y est partagé en trois intervalles, dont les deux premiers, égaux entre eux, sont chacun la sixième partie, et dont le troisième est les deux tiers. 5 + 5 + 20 = 30.
Heptacorde, Heptaméride, Heptaphone, Hexacorde, et cetera. (Voyez Eptacorde, Eptaméride, Eptaphone, et cetera.)
[-370-] Hermosménon. (Voyez Moeurs.)
Hexarmonien, adjectif. Nome, ou Chant d'une mélodie efféminée et lâche, comme Aristophane le reproche à Philoxène son auteur.
Homophonie, substantif féminin. C'était, dans la musique grecque, cette espèce de symphonie qui se faisait à l'unisson, par opposition à l'antiphonie qui s'exécutait à l'octave. Ce mot vient de [homos], pareil, et de [phone], son.
Hymée. Chanson des meuniers chez les anciens Grecs, autrement
dite épiaulie. (Voyez ce mot.)
Hyménée. Chanson des noces chez les anciens Grecs, autrement
dite Epithalame. (Voyez Épithalame.)
Hymne, substantif masculin. Chant en l'honneur des dieux ou des héros. Il y a cette différence entre l'hymne et le cantique, que celui-ci se rapporte plus communément aux actions et l'hymne aux personnes. Les premiers chants de toutes les nations ont été des cantiques ou des hymnes. Orphée et Linus passaient, chez les Grecs, pour auteurs des premières hymnes; et il nous reste parmi les poésies d'Homère un recueil d'hymnes en l'honneur des dieux.
Hypate, adjectif. Épithète par laquelle les Grecs distinguaient le tétracorde le plus bas, et la plus basse corde de chacun des deux plus bas tétracordes; ce qui pour eux, était tout le contraire: car ils suivaient dans leurs dénominations un ordre rétrograde au nôtre, et plaçaient en haut le grave que nous plaçons en bas. Ce choix est arbitraire, puisque les idées attachées aux mots aigu et grave [-371-] n'ont aucune liaison naturelle avec les idées attachées aux mots haut et bas.
On appelait donc tétracorde hypaton, ou des hypates, celui qui était le plus grave de tous, et immédiatement au dessus de la proslambanomène ou plus basse corde du mode; et la premiere corde du tétracorde qui suivait immédiatement celle-là, s'appelait hypate-hypaton, c'est-à-dire, comme le traduisaient les Latins, la principale du tétracorde des principales. Le tétracorde immédiatement suivant du grave à l'aigu s'appelait tétracorde-méson, ou des moyennes, et la plus grave corde s'appelait hypate-méson, c'est-à-dire, la principale des moyennes.
Nicomaque le Gérasénien prétend que ce mot d'hypate, principale, élevée ou suprême, a été donné à la plus grave des cordes du diapason, par allusion à Saturne, qui des sept planètes est la plus éloignée de nous. On se doutera bien par là que ce Nicomaque était pythagoricien.
Hypate-hypaton. C'était la plus basse corde du plus bas tétracorde des Grecs, et d'un ton plus haut que la proslambanomène. (Voyez l'article précédent.)
Hypate-méson. C'était la plus basse corde du second tétracorde, laquelle était aussi la plus aiguë du premier, parce que ces deux tétracordes étaient conjoints. (Voyez Hypate.)
Hypatoïdes. Sons graves. (Voyez Lepsis.)
Hyperboléien, adjectif. Nome ou chant de même caractère que l'hexarmonien. (Voyez Hexarmonien.)
Hyperboléon. Le tétracorde hyperboléon était le [-372-] plus aigu des cinq tétracordes du système des Grecs.
Ce mot est le génitif du substantif pluriel [hyperbolai], sommets, extrémités; les sons les plus aigus étant à l'extrémité des autres.
Hyper-diazeuxis. Disjonction de deux tétracordes séparés par l'intervalle d'une octave, comme étaient le tétracorde des hypates et celui des hyperbolées.
Hyper-dorien. Mode de la musique grecque, autrement appelé mixo-lydien, duquel la fondamentale ou tonique était une quarte au-dessus de celle du mode dorien. (Voyez Mode.)
On attribue à Pythoclide l'invention du mode hyper-dorien.
Hyper-éolien. Le pénultième à l'aigu des quinze modes de la musique des Grecs, et duquel la fondamentale ou tonique était une quarte au-dessus de celle du mode éolien. (Voyez MODE.)
Le mode hyper-éolien, non plus que l'hyper-lydien qui le suit, n'étaient pas si anciens que les autres: Aristoxène n'en fait aucune mention et Ptolomée, qui n'en admettait que sept, n'y comprenait point ces deux-là.
Hyper-iastien, ou mixo-lydien aigu. C'est le nom qu'Euclide et plusieurs anciens donnent au Mode appelé plus communément hyper-ionien..
Hyper-ionien. Mode de la musique grecque, appelé aussi par quelques-uns hyper-iastien ou mixo-lidien aigu, lequel avait sa fondamentale une quarte au-dessus de celle du mode ionien. Le mode ionien est le douzième en ordre du grave à l'aigu, selon le dénombrement d'Alipius. (Voyez Mode.)
[-373-] Hyper-lydien. Le plus aigu des quinze modes de la musique des Grecs, duquel la fondamentale était une quarte au-dessus de celle du mode lydien. Ce mode, non plus que son voisin l'hyper-éolien, n'était pas si ancien que les treize autres; et Aristoxène qui les nomme tous, ne fait aucune mention de ces deux-là. (Voyez Mode.)
Hyper-mixo-lydien. Un des modes de la musique grecque, autrement appelé hyper-phrygien. (Voyez ce mot.)
Hyper-phrygien, appelé aussi par Euclide hyper-mixo-lydien, est le plus aigu des treize modes d'Aristoxène, faisant le diapason ou l'octave avec l'hypo-dorien le plus grave de tous. (Voyez Mode.)
Hypo-diazeuxis, est, selon le vieux Bacchius, l'intervalle de quinte qui se trouve entre deux tétracordes séparés par une disjonction, et de plus par un troisième tétracorde intermédiaire. Ainsi il y a hypo-diazeuxis entre les tétracordes hypaton et diézeugménon, et entre les tétracordes synnéménon et hyperboléon. (Voyez Tétracorde.)
Hypo-dorien. Le plus grave de tous les modes de l'ancienne musique. Euclide dit que c'est le plus élevé; mais le vrai sens de cette expression est expliqué au mot hypate.
Le mode hypo-dorien a sa fondamentale une quarte au-dessous de celle du mode dorien; il fut inventé, dit-on, par Philoxène. Ce mode est affectueux, mais gai, alliant la douceur à la majesté.
Hypo-éolien. Mode de l'ancienne musique, appelé aussi par Euclide hypo-lydien grave. Ce mode [-374-] a sa fondamentale une quarte au-dessous de celle du mode éolien. (Voyez Mode.)
Hypo-iastien. (Voyez Hypo-ionien.)
Hypo-ionien. Le second des modes de l'ancienne musique, en commençant par le grave. Euclide l'appelle aussi hypo-iastien et hypo-phrygien grave. Sa fondamentale est une quarte au-dessus de celle du mode ionien. (Voyez Mode.)
Hypo-lydien. Le cinquième mode de l'ancienne musique, en commençant par le grave. Euclide l'appelle aussi hypo-iastien et hypo-phrygien grave. Sa fondamentale est une quarte au-dessous de celle du mode lydien. (Voyez Mode.)
Euclide distingue deux modes hypo-lydiens; savoir, l'aigu est celui de cet article, et le grave, qui est le même que l'hypo-éolien.
Le mode hypo-lydien était propre aux chants funèbres, aux méditations sublimes et divines: quelques-uns en attribuent l'invention à Polymneste de Colophon, d'autres à Damon l'Athénien.
Hypo-mixo-lydien. Mode ajouté par Gui d'Arezzo à ceux de l'ancienne musique: c'est proprement le plagal du mode mixo-lydien, et sa fondamentale est la même que celle du mode dorien. (Voyez Mode.)
Hypo-phrygien. Un des modes de l'ancienne musique dérivé du mode phrygien dont la fondamentale était une quarte au-dessus de la sienne.
Euclide parle encore d'un autre mode hypo-phrygien au grave de celui-ci; c'est celui qu'on appelle plus correctement hypo-ionien. (Voyez ce mot.)
[-375-] Le caractère du mode hypo-phrygien était calme, paisible, et propre à tempérer la véhémence du phrygien: il fut inventé, dit-on, par Damon, l'ami de Pythias et l'élève de Socrate.
Hypo-proslambanoménos. Nom d'une corde ajoutée, à ce qu'on prétend, par Gui d'Arezzo un ton plus bas que la proslambanomène des Grecs; c'est-à-dire, au-dessous de tout le système. L'auteur de cette nouvelle corde l'exprima par la lettre [Gamma] de l'alphabet grec, et de là nous est venu le nom de la gamme.
Hyporchema. Sorte de cantique sur lequel on dansait aux fêtes des dieux.
Hypo-synaphe est, dans la musique des Grecs, la disjonction des deux tétracordes séparés par l'interposition d'un troisième tétracorde conjoint avec chacun des deux; en sorte que les cordes homologues de deux tétracordes disjoints par hypo-synaphe, ont entre elles cinq tons ou une septième mineure d'intervalle: tels sont les deux tétracordes hypaton et synnéménon.
I.
Ialème. Sorte de chant funèbre jadis en usage parmi les Grecs, comme le linos chez le même peuple, et le manéros chez les Égyptiens. (Voyez Chanson.)
Iambique, adjectif. Il y avait dans la musique des anciens deux sortes de vers iambiques, dont on ne faisait que réciter les uns au son des instruments, [-376-] au lieu que les autres se chantaient. On ne comprend pas bien quel effet devait produire l'accompagnement des instrumens sur une simple récitation, et tout ce qu'on en peut conclure raisonnablement, c'est que la plus simple manière de prononcer la poésie grecque, ou du moins l'iambique, se faisait par des sons appréciables, harmoniques, et tenait encore beaucoup de l'intonation du chant.
Iastien. Nom donné par Aristoxène et Alypius au mode que les autres auteurs appellent plus communément ionien. (Voyez Mode.)
Jeu, substantif masculin. L'action de jouer d'un instrument.(Voyez Jouer.) On dit plein-jeu, demi-jeu, selon la manière plus forte ou plus douce de tirer les sons de l'instrument.
Imitation, substantif féminin. La musique dramatique ou théâtrale concourt à l'imitation, ainsi que la poésie et la peinture: c'est à ce principe commun que se rapportent tous les beaux-arts, comme l'a montré Monsieur Le Batteux. Mais cette imitation n'a pas pour tous la même étendue. Tout ce que l'imagination peut se représenter est du ressort de la poésie. La peinture, qui n'offre point ses tableaux à l'imagination, mais au sens et à seul sens, ne peint que les objets soumis à la vue. La musique semblerait avoir les mêmes bornes par rapport à l'ouïe; cependant elle peint tout, même les objets qui ne sont que visibles: par un prestige presque inconcevable elle semble mettre l'oeil dans l'oreille; et la plus grande merveille d'un art qui n'agit que par [-377-] le mouvement, est d'en pouvoir former jusqu'à l'image du repos. La nuit, le sommeil, la solitude, et le silence, entrent dans le nombre des grands tableaux de la musique. On sait que le bruit peut produire l'effet du silence, et le silence l'effet du bruit; comme quand on s'endort à une lecture égale et monotone, et qu'on s'éveille à l'instant qu'elle cesse. Mais la musique agit plus intimement sur nous en excitant, par un sens, des affections semblables à celles qu'on peut exciter par un autre; et, comme le rapport ne peut être sensible que l'impression ne soit forte, la peinture dénuée de cette force ne peut rendre à la musique les imitations que celle-ci tire d'elle. Que toute la nature soit endormie, celui qui la contemple ne dort pas, et l'art du musicien consiste à substituer à l'image insensible de l'objet celle des mouvements que sa présence excite dans le coeur du contemplateur: non-seulement il agitera la mer, animera la flamme d'un incendie, fera couler les ruisseaux, tomber la pluie et grossir les torrents; mais il peindra l'horreur d'un désert affreux, rembrunira les murs d'une prison souterraine, calmera la tempête, rendra l'air tranquille et serein, et répandra de l'orchestre une fraîcheur nouvelle sur les bocages: il ne représentera pas directement ces choses, mais il excitera dans l'ame les mêmes mouvements qu'on éprouve en les voyant.
J'ai dit au mot Harmonie qu'on ne tire d'elle aucun principe qui mène à l'imitation musicale, puisqu'il n'y a aucun rapport entre des accords et les [-378-] objets qu'on veut peindre, ou les passions qu'on veut exprimer. Je ferai voir au mot Mélodie quel est ce principe que l'harmonie ne fournit pas, et quels traits donnés par la nature sont employés par la musique pour représenter ces objets et ces passions.
Imitation, dans son sens technique, est l'emploi d'un même chant, ou d'un chant semblable, dans plusieurs parties qui le font entendre l'une après l'autre, à l'unisson, à la quinte, à la quarte, à la tierce, ou à quelque autre intervalle que ce soit. L'imitation est toujours bien prise, même en changeant plusieurs notes, pourvu que ce même chant se reconnaisse toujours et qu'on ne s'écarte point des lois d'une bonne modulation. Souvent, pour rendre l'imitation plus sensible, on la fait précéder de silences ou de notes longues qui semblent laisser éteindre le chant au moment que l'imitation le ranime. On traite l'imitation comme on veut, on l'abandonne, on la reprend, on en commence une autre à volonté; en un mot, les règles en sont aussi relâchées que celles de la fugue sont sévères: c'est pourquoi les grands maîtres la dédaignent, et toute imitation trop affectée décèle presque toujours un écolier en composition.
Imparfait, adjectif. Ce mot a plusieurs sens en musique. Un accord imparfait est, par opposition à l'accord parfait, celui qui porte une sixte ou une dissonance; et, par opposition à l'accord plein, c'est celui qui n'a pas tous les sons qui lui conviennent et qui doivent le rendre complet. (Voyez Accord.)
[-379-] Le temps ou mode imparfait était, dans nos anciennes musiques, celui de la division double. (Voyez Mode.)
Une cadence imparfaite est celle qu'on appelle autrement cadence irrégulière. (Voyez Cadence.)
Une consonnance imparfaite est celle qui peut être majeure ou mineure, comme la tierce ou la sixte. (Voyez Consonnance.)
On appelle, dans le plain-chant, modes imparfaits ceux qui sont défectueux en haut ou en bas, et restent en-deçà d'un des deux termes qu'ils doivent atteindre.
Improviser, verbe neutre. C'est faire et chanter impromptu des chansons, airs et paroles, qu'on accompagne communément d'une guitare ou autre pareil instrument. Il n'y a rien de plus commun en Italie que de voir deux masques se rencontrer, se défier, s'attaquer, se riposter ainsi par des couplets sur le même air, avec une vivacité de dialogue, de chant, d'accompagnement, dont il faut avoir été témoin pour la comprendre.
Le mot improvisar est purement italien; mais comme il se rapporte à la musique, j'ai été contraint de le franciser pour faire entendre ce qu'il signifie.
Incomposé, adjectif. Un intervalle incomposé est celui qui ne peut se résoudre en intervalles plus petits, et n'a point d'autre élément que lui-même, tel, par exemple, que le dièse enharmonique, le comma, même le semi-ton.
Chez les Grecs, les intervalles incomposés étaient différents dans les trois genres, selon la manière [-380-] d'accorder les tétracordes. Dans le diatonique le semi-ton et chacun des deux tons qui le suivent étaient des intervalles incomposés. La tierce mineure qui se trouve entre la troisième et la quatrième corde, dans le genre chromatique, et la tierce majeure qui se trouve entre les mêmes cordes dans le genre enharmonique, étaient aussi des intervalles incomposés. En ce sens, il n'y a dans le systême moderne qu'un seul intervalle incomposé, savoir le semi-ton. (Voyez Semi-ton.)
Inharmonique, adjectif. Relation inharmonique, est, selon Monsieur Savérien, un terme de musique; et il renvoie, pour l'expliquer, au mot Relation, auquel il n'en parle pas. Ce terme de musique ne m'est point connu.
Instrument, substantif masculin. Terme générique sous lequel on comprend tous les corps artificiels qui peuvent rendre et varier les sons à l'imitation de la voix. Tous les corps capables d'agiter l'air par quelque choc, et d'exciter ensuite, par leurs vibrations, dans cet air agité, des ondulations assez fréquentes, peuvent donner du son; et tous les corps capables d'accélérer ou retarder ces ondulations peuvent varier les sons. (Voyez Son.)
Il y a trois manières de rendre des sons sur des instruments; savoir, par les vibrations des cordes, par celles de certains corps élastiques, et par la collision de l'air enfermé dans des tuyaux. J'ai parlé, au mot Musique, de l'invention de ces instruments.
Ils se divisent généralement en instruments à cordes, instruments à vent, instruments de percussion. [-381-] Les instruments à cordes, chez les anciens, étaient en grand nombre; les plus connus sont les suivants: lyra, psalterium, trigonium, sambuca, cithara, pectis, magas, barbiton, testudo, epigonium, simmicium, epandoron, et cetera. On touchait tous ces instruments avec les doigts, ou avec le plectrum, espèce d'archet.
Pour leurs principaux instruments à vent, ils avaient ceux appelés tibia, fistula, tuba, cornu, lituus, et cetera.
Les instruments de percussion étaient ceux qu'ils nommaient tympanum, cymbalum, crepitaculum, tintinnabulum, crotalum, et cetera. Mais plusieurs de ceux-ci ne variaient point les sons.
On ne trouvera point ici des articles pour ces instruments ni pour ceux de la musique moderne, dont le nombre est excessif. La partie instrumentale, dont un autre s'était chargé, n'étant pas d'abord entrée dans le plan de mon travail pour l'Encyclopédie, m'a rebuté, par l'étendue des connaissances qu'elle exige, de la remettre dans celui-ci.
Instrumental. Qui appartient au jeu des instruments; tour de chant instrumental; musique instrumentale.
Intense, adjectif. Les sons intenses sont ceux qui ont le plus de force, qui s'entendent de plus loin: ce sont aussi ceux qui, étant rendus par des cordes fort tendues, vibrent par là même plus fortement. Ce mot est latin, ainsi que celui de remisse qui lui est opposé: mais dans les écrits de musique théorique on est obligé de franciser l'un et l'autre.
[382] Intercidence, substantif féminin. Terme de plain-chant. (Voyez Diaptose.)
Intermède, substantif masculin. Pièce de musique et de danse qu'on insère à l'Opéra, et quelquefois à la Comédie, entre les actes d'une grande pièce, pour égayer et reposer en quelque sorte l'esprit du spectateur attristé par le tragique et tendu sur les grands intérêts.
Il y a des intermèdes qui sont de véritables drames comiques ou burlesques, lesquels coupant ainsi l'intérêt par un intérêt tout différent, balottent et tiraillent, pour ainsi dire, l'attention du spectateur en sens contraire, et d'une manière très-opposée au bon goût et à la raison. Comme la danse en Italie n'entre point et ne doit point entrer dans la constitution du drame lyrique, on est forcé, pour l'admettre sur le théâtre, de l'employer hors-d'oeuvre et détachée de la pièce. Ce n'est pas cela que je blâme; au contraire, je pense qu'il convient d'effacer, par un ballet agréable, les impressions tristes laissées par la représentation d'un grand opéra, et j'approuve fort que ce ballet fasse un sujet particulier qui n'appartienne point à la pièce; mais ce que je n'approuve pas, c'est qu'on coupe les actes par de semblables ballets qui, divisant ainsi l'action et détruisant l'intérêt, font, pour ainsi dire, de chaque acte une pièce nouvelle.
Intervalle, substantif masculin. Différence d'un son à un autre entre le grave et l'aigu; c'est tout l'espace que l'un des deux aurait à parcourir pour arriver à l'unisson de l'autre. La différence qu'il y a de l'intervalle à [-383-] l'étendue est que l'intervalle est considéré comme indivisé, et l'étendue comme divisée. Dans l'intervalle, on ne considère que les deux termes; dans l'étendue, on en suppose d'intermédiaires. L'étendue forme un système; mais l'intervalle peut être incomposé.
A prendre ce mot dans son sens le plus général, il est évident qu'il y a une infinité d'intervalles; mais, comme en musique on borne le nombre des sons à ceux qui composent un certain système, on borne aussi par-là le nombre des intervalles à ceux que ces sons peuvent former entre eux: de sorte qu'en combinant deux à deux tous les sons d'un système quelconque, on aura tous les intervalles possibles dans ce même système; sur quoi il restera à réduire sous la même espèce tous ceux qui se trouveront égaux.
Les anciens divisaient les intervalles de leur musique en intervalles simples ou incomposés, qu'ils appellaient diastèmes, et en intervalles composés, qu'ils appelaient systèmes. (Voyez ces mots.) Les intervalles, dit Aristoxène, diffèrent entre eux en cinq manières: premier en étendue; un grand intervalle diffère ainsi d'un plus petit: second en résonnance ou en accord; c'est ainsi qu'un intervalle consonnant diffère d'un dissonant: troisième en quantité; comme un intervalle simple diffère d'un intervalle composé: quatrième en genre; c'est ainsi que les intervalles diatoniques, chromatiques, enharmoniques, diffèrent entre eux: cinquième en nature de rapport; comme l'intervalle dont la raison peut s'exprimer en nombres [-384-] diffère d'un intervalle irrationnel. Disons quelques mots de toutes ces différences.
I. Le moindre de tous les intervalles, selon Bacchius et Gaudence, est le dièse enharmonique. Le plus grand, à le prendre à l'extrémité grave du mode hypo-dorien, jusqu'à l'extrémité aiguë de l'hypo-mixo-lydien, serait de trois octaves complètes; mais comme il y a une quinte à retrancher, ou même une sixte, selon un passage d'Adraste, cité par Meibomius, reste la quarte par-dessus le dis-diapason, c'est-à-dire, la dix-huitième, pour le plus grand intervalle du diagramme des Grecs.
II. Les Grecs divisaient, comme nous, les intervalles en consonnants et dissonants; mais leurs divisions n'étaient pas les mêmes que les nôtres. (Voyez Consonnances.) Ils subdivisaient encore les intervalles consonnants en deux espèces, sans y compter l'unisson, qu'ils appelaient homophonie, ou parité de sons, et dont l'intervalle est nul. La première espèce était l'antiphonie, ou opposition des sons, qui se faisait à l'octave ou à la double octave, et qui n'était proprement qu'une réplique du même son, mais pourtant avez opposition du grave à l'aigu. La seconde espece était la paraphonie, ou distinction de sons, sous laquelle on comprenait toute consonnance autre que l'octave et ses répliques, tous les intervalles, dit Théon de Smyrne, qui ne sont ni dissonants ni unisson.
III. Quand les Grecs parlent de leurs diastèmes ou intervalles simples, il ne faut pas prendre ce terme à toute rigueur: car le diésis même n'était [-385-] pas, selon eux, exempt de composition; mais il faut toujours le rapporter au genre auquel l'intervalle s'applique. Par exemple, le semi-ton est un intervalle simple dans le genre chromatique et dans le diatonique, composé dans l'enharmonique. Le ton est composé dans le chromatique, et simple dans le diatonique; et le diton même, ou la tierce majeure, qui est un intervalle composé dans le diatonique, est incomposé dans l'enharmonique. Ainsi ce qui est système dans un genre peut être diastème dans un autre, et réciproquement.
IV. Sur les genres, divisez successivement le même tétracorde selon le genre diatonique, selon le chromatique, et selon l'enharmonique, vous aurez trois accords différents, lesquels, comparés entre eux, au lieu de trois intervalles, vous en donneront neuf, outre les combinaisons et compositions qu'on en peut faire, et les différences de tous ces intervalles qui en produiront des multitudes d'autres. Si vous comparez, par exemple, le premier intervalle de chaque tétracorde dans l'enharmonique et dans le chromatique mol d'Aristoxène, vous aurez d'un côté un quart ou 3/12 de ton, de l'autre un tiers ou 4/12, et les deux cordes aiguës seront entre elles un intervalle qui sera la différence des deux précédents, ou la douzième partie d'un ton.
V. Passant maintenant aux rapports, cet article me mène à une petite digression.
Les aristoxéniens prétendaient avoir bien simplifié la musique par leurs divisions égales des [-386-] intervalles, et se moquaient fort de tous les calculs de Pythagore. Il me semble cependant que cette prétendue simplicité n'était guère que dans les mots, et que si les pythagoriciens avaient un peu mieux entendu leur maître et la musique, ils auraient bientôt fermé la bouche à leurs adversaires.
Pythagore n'avait pas imaginé le rapport des sons qu'il calcula le premier; guidé par l'expérience, il ne fit que prendre note de ses observations. Aristoxène, incommodé de tous ces calculs, bâtit dans sa tête un système tout différent, et comme s'il eût pu changer la nature à son gré, pour avoir simplifié les mots, il crut avoir simplifié les choses, au lieu qu'il fit réellement le contraire.
Comme les rapports des consonnances étaient simples et faciles à exprimer, ces deux philosophes étaient d'accord là-dessus: ils l'étaient même sur les premières dissonances; car ils convenaient également que le ton était la différence de la quarte à la quinte: mais comment déterminer déjà cette différence autrement que par le calcul? Aristoxène partait pourtant de là pour n'en point vouloir, et sur ce ton, dont il se vantait d'ignorer le rapport, il bâtissait toute sa doctrine musicale. Qu'y avait-il de plus aisé que de lui montrer la fausseté de ses opérations et la justesse de celles de Pythagore? mais, aurait-il dit, je prends toujours des doubles, ou des moitiés, ou des tiers; cela est plus simple et plus tôt fait que vos comma, vos limma, vos [-387-] apotomes. Je l'avoue, eût répondu Pythagore; mais, dites-moi, je vous prie, comment vous les prenez, ces doubles, ces moitiés, ces tiers. L'autre eût répliqué qu'il les entonnait naturellement, ou qu'il les prenait sur son monocorde. Eh bien, eût dit Pythagore, entonnez-moi juste le quart d'un ton. Si l'autre eût été assez charlatan pour le faire, Pythagore eût ajouté: Mais est-il bien divisé votre monocorde? montrez-moi, je vous prie, de quelle méthode vous vous êtes servi pour y prendre le quart ou le tiers d'un ton. Je ne saurais voir, en pareil cas, ce qu'Aristoxène eût pu répondre: car, de dire que l'instrument avait été accordé sur la voix, outre que c'eût été tomber dans le cercle, cela ne pouvait convenir aux aristoxéniens, puisqu'ils avouaient tous avec leur chef qu'il fallait exercer long-temps la voix sur un instrument de la dernière justesse, pour venir à bout de bien entonner les intervalles du chromatique mol et du genre enharmonique.
Or, puisqu'il faut des calculs non moins composés et même des opérations géométriques plus difficiles pour mesurer les tiers et les quarts de ton d'Aristoxène que pour assigner les rapports de Pythagore, c'est avec raison que Nicomaque, Boëce et plusieurs autres théoriciens préféraient les rapports justes et harmoniques de leur maître aux divisions du système aristoxénien, qui n'étaient pas plus simples, et qui ne donnaient aucun intervalle dans la justesse de sa génération.
Il faut remarquer que ces raisonnements qui [-388-] convenaient à la musique des Grecs ne conviendraient pas également à la nôtre, parce que tous les sons de notre système s'accordent par des consonnances; ce qui ne pouvait se faire dans le leur que pour le seul genre diatonique.
Il s'ensuit de tout ceci qu'Aristoxène distinguait avec raison les intervalles en rationnels et irrationnels; puisque, bien qu'il fussent tous rationnels dans le système de Pythagore, la plupart des dissonances étaient irrationnelles dans le sien.
Dans la musique moderne on considère aussi les intervalles de plusieurs manières; savoir, ou généralement comme l'espace ou la distance quelconque de deux sons donnés, ou seulement comme celles de ces distances qui peuvent se noter, ou enfin comme celles qui se marquent sur des degrés différents. Selon le premier sens, toute raison numérique, comme est le comma, ou sourde, comme est le dièse d'Aristoxène, peut exprimer un intervalle. Le second sens s'applique aux seuls intervalles reçus dans le système de notre musique, dont le moindre est le semi-ton mineur exprimé sur le même degré par un dièse ou par un bémol. (Voyez Semi-ton.) La troisième acception suppose quelque différence de position, c'est-à-dire, un ou plusieurs degrés entre les deux sons qui forment l'intervalle. C'est à cette derniere acception que le mot est fixé dans la pratique, de sorte que deux intervalles égaux, tels que sont la fausse-quinte et le triton, portent pourtant des noms différents, si l'un a plus de degrés que l'autre.
[-389-] Nous divisons, comme faisaient les anciens, les intervalles en consonnants et dissonants. Les consonnances sont parfaites ou imparfaites. (Voyez Consonnance.) Les dissonances sont telles par leur nature, ou le deviennent par accident. Il n'y a que deux intervalles dissonants par leur nature; savoir, la seconde et la septième en y comprenant leurs octaves ou répliques: encore ces deux peuvent-ils se réduire à un seul; mais toutes les consonnances peuvent devenir dissonantes par accident. (Voyez Dissonance.)
De plus, tout intervalle est simple ou redoublé. L'intervalle simple est celui qui est contenu dans les bornes de l'octave; tout intervalle qui excède cette étendue est redoublé, c'est-à-dire composé d'une ou plusieurs octaves et de l'intervalle simple dont il est la réplique.
Les intervalles simples se divisent encore en directs et renversés. Prenez pour direct un intervalle simple quelconque, son complément à l'octave est toujours renversé de celui-là, et réciproquement.
Il n'y a que six espèces d'intervalles simples, dont trois sont compléments des trois autres à l'octave, et par conséquent aussi leurs renversés. Si vous prenez d'abord les moindres intervalles, vous aurez pour directs la seconde, la tierce et la quarte; pour renversés, la septième, la sixte et la quinte: que ceux-ci soient directs, les autres seront renversés; tout est réciproque.
Pour trouver le nom d'un intervalle quelconque il ne faut qu'ajouter l'unité au nombre des degrés [-390-] qu'il contient: ainsi l'intervalle d'un degré donnera la seconde; de deux, la tierce; de trois, la quarte; de sept, l'octave; de neuf, la dixième, et cetera. Mais ce n'est pas assez pour bien déterminer un intervalle; car sous le même nom il peut être majeur ou mineur, juste ou faux, diminué ou superflu.
Les consonnances imparfaites et les deux dissonances naturelles peuvent être majeures ou mineures, ce qui, sans changer le degré, fait dans l'intervalle la différence d'un semi-ton. Que si d'un intervalle mineur on ôte encore un semi-ton, cet intervalle devient diminué. Si l'on augmente d'un semi-ton un intervalle majeur, il devient superflu.
Les consonnances parfaites sont invariables par leur nature: quand leur intervalle est ce qu'il doit être, elles s'appellent justes; que si l'on altère cet intervalle d'un semi-ton, la consonnance s'appelle fausse et devient dissonance; superflue, si le semi-ton est ajouté; diminuée, s'il est retranché. On donne mal à propos le nom de fausse-quinte à la quinte diminuée; c'est prendre le genre pour l'espèce: la quinte superflue est tout aussi fausse que la diminuée, et l'est même davantage à tous égards.
On trouvera, (Planche C, figure 2 [ROUDIC4 04GF]) une table de tous les intervalles simples praticables dans la musique, avec leurs noms, leurs degrés, leurs valeurs et leurs rapports.
Il faut remarquer sur cette table que l'intervalle appelé par les harmonistes septième superflue, n'est qu'une septième majeure avec un accompagnement [-391-] particulier; la véritable septième superflue, telle qu'elle est marquée dans la table, n'ayant pas lieu dans l'harmonie, ou n'y ayant lieu que successivement comme transition enharmonique, jamais rigoureusement dans le même accord.
On observera aussi que la plupart de ces rapports peuvent se déterminer de plusieurs manières: j'ai préféré la plus simple, et celle qui donne les moindres nombres.
Pour composer ou redoubler un de ces intervalles simples, il suffit d'y ajouter l'octave autant de fois que l'on veut; et pour avoir le nom de ce nouvel Intervalle, il faut au nom de l'intervalle simple ajouter autant de fois sept qu'il contient d'octaves. Réciproquement, pour connaître le simple d'un intervalle redoublé dont on a le nom, il ne faut qu'en rejeter sept autant de fois qu'on le peut; le reste donnera le nom de l'intervalle simple qui l'a produit. Voulez-vous une quinte redoublée; c'est-à-dire, l'octave de la quinte, ou la quinte de l'octave; à 5 ajoutez 7, vous aurez 12: la quinte redoublée est donc une douzième. Pour trouver le simple d'une douzième, rejetez 7 du nombre 12 au tant de fois que vous le pourrez, le reste 5 vous indique une quinte. A l'égard du rapport, il ne faut que doubler le conséquent, ou prendre la moitié de l'antécédent de la raison simple autant de fois qu'on ajoute d'octaves, et l'on aura la raison de l'intervalle redoublé. Ainsi 2, 3 étant la raison de la quinte, 1, 3 ou 2, 6, sera celle de la douzième, et cetera. Sur quoi l'on observera qu'en terme de musique, [-392-] composer ou redoubler un intervalle, ce n'est pas l'ajouter à lui-même, c'est y ajouter une octave; le tripler, c'esten ajouter deux, et cetera.
Je dois avertir ici que tous les intervalles exprimés dans ce dictionnaire par les noms des notes doivent toujours se compter du grave à l'aigu; en sorte que cet intervalle, ut si, n'est pas une seconde, mais une septième; et si ut n'est pas une septième, mais une seconde.
Intonation, substantif féminin. Action d'entonner. (Voyez Entonner.) L'Intonation peut être juste ou fausse, trop haute ou trop basse, trop forte ou trop faible; et alors le mot intonation, accompagné d'une épithete, s'entend de la manière d'entonner.
Inverse. (Voyez Renversé.)
Ionien ou Ionique, adjectif. Le mode ionien était, en comptant du grave à l'aigu, le second des cinq modes moyens de la musique des Grecs. Ce mode s'appellait aussi iastien, et Euclide l'appelle encore phrygien grave. (Voyez Mode.)
Jouer des instrumens, c'est exécuter sur ces instruments des airs de musique, surtout ceux qui leur sont propres, ou les chants notés pour eux. On dit jouer du violon, de la basse, du hautbois, de la flûte; toucher le clavecin, l'orgue; sonner de la trompette; donner du cor; pincer la guitare, et cetera. Mais l'affectation de ces termes propres tient de la pédanterie: le mot jouer devient générique, et gagne insensiblement pour toutes sortes d'instruments.
Jour. Corde à jour. (Voyez Vide.)
Irrégulier, adjectif. On appelle dans le plain-chant [-393-] modes irréguliers ceux dont l'étendue est trop grande, ou qui ont quelque autre irrégularité.
On nommait autrefois cadence irrégulière celle qui ne tombait pas sur une des cordes essentielles du ton; mais Monsieur Rameau a donné ce nom à une cadence particulière dans laquelle la basse-fondamentale monte de quinte ou descend de quarte après un accord de sixte-ajoutée. (Voyez Cadence.)
Ison. Chant en ison. (Voyez Chant.)
Jule, substantif féminin. Nom d'une sorte d'hymne ou chanson parmi les Grecs, en l'honneur de Cérès ou de Proserpine. (Voyez Chanson.)
Juste, adjectif. Cette épithète se donne généralement aux intervalles dont les sons sont exactement dans le rapport qu'ils doivent avoir, et aux voix qui entonnent toujours ces intervalles dans leur justesse; mais elle s'applique spécialement aux consonnances parfaites. Les imparfaites peuvent être majeures ou mineures, les parfaites ne sont que justes: dès qu'on les altère d'un semi-ton elles deviennent fausses, et par conséquent dissonances. (Voyez Intervalle.)
Juste est aussi quelquefois adverbe. Chanter juste, jouer juste.
L.
La. Nom de la sixième note de notre gamme inventée par Gui Arétin. (Voyez Gamme, Solfier.)
Large, adjectif. Nom d'une sorte de note dans nos vieilles musiques, de laquelle on augmentait la valeur [-394-] en tirant plusieurs traits non-seulement par les côtés, mais par le milieu de la note, ce que Muris blâme avec force comme une horrible innovation.
Larghetto. (Voyez Largo.)
Largo, adverbe. Ce mot, écrit à la tête d'un air, indique un mouvement plus lent que l'adagio, et le dernier de tous en lenteur. Il marque qu'il faut filer de longs sons, étendre les temps et la mesure, et cetera.
Le diminutif larghetto annonce un mouvement un peu moins lent que le largo, plus que l'andante, et très-approchant de l'andantino.
Légèrement, adverbe. Ce mot indique un mouvement encore plus vif que le gai, un mouvement moyen entre le gai et le vite; il répond à peu près à l'italien vivace.
Lemme, substantif masculin. Silence ou pause d'un temps bref dans le rhythme catalectique. (Voyez Rhythme.)
Lentement, adverbe. Ce mot répond à l'italien largo et marque un mouvement lent; son superlatif, très-lentement, marque le plus tardif de tous les mouvements.
Lepsis. Nom grec d'une des trois parties de l'ancienne mélopée, appelée aussi quelquefois euthia, par laquelle le compositeur discerne s'il doit placer son chant dans le système des sons bas, qu'ils appellent hypatoïdes; dans celui des sons aigus, qu'ils appellent nétoïdes; ou dans celui des sons moyens, qu'ils appellent mésoïdes. (Voyez Mélopée.)
Levé, adjectif pris substantivement. C'est le temps de [-395-] la mesure où on lève la main ou le pied; c'est un temps qui suit et précède le frappé; c'est par conséquent toujours un temps faible. Les temps levés sont, à deux temps, le second; à trois, le troisième; à quatre, le second et le quatrième. (Voyez Arsis.)
Liaison, substantif féminin. Il y a liaison d'harmonie et liaison de chant.
La liaison a lieu dans l'harmonie lorsque cette harmonie procède par un tel progrès de sons fondamentaux, que quelques-uns des sons qui accompagnaient celui qu'on quitte demeurent et accompagnent encore celui où l'on passe: il y a liaison dans les accords de la tonique et de la dominante, puisque le même son fait la quinte de la première, et l'octave de la seconde: il y a liaison dans les accords de la tonique et de la sous-dominante, attendu que le même son sert de quinte à l'une et d'octave à l'autre: enfin il y a liaison dans les accords dissonants toutes les fois que la dissonance est préparée, puisque cette préparation elle-même n'est autre chose que la liaison. (Voyez Préparer.)
La liaison dans le chant a lieu toutes les fois qu'on passe deux ou plusieurs notes sous un seul coup d'archet ou de gosier, et se marque par un trait recourbé dont on couvre les notes qui doivent être liées ensemble.
Dans le plain-chant on appelle liaison une suite de plusieurs notes passées sur la même syllabe, parce que sur le papier elles sont ordinairement attachées ou liées ensemble.
Quelques-uns nomment aussi liaison ce qu'on [-396-] nomme plus proprement syncope. (Voyez Syncope.)
Licence, substantif féminin. Liberté que prend le compositeur et qui semble contraire aux règles, quoiqu'elle soit dans le principe des règles; car voilà ce qui distingue les licences des fautes. Par exemple, c'est une règle en composition de ne point monter de la tierce mineure ou de la sixte mineure à l'octave. Cette règle dérive de la loi de la liaison harmonique, et de celle de la préparation. Quand donc on monte de la tierce mineure ou de la sixte mineure à l'octave, en sorte qu'il y ait pourtant liaison entre les deux accords, ou que la dissonance y soit préparée, on prend une licence; mais s'il n'y a ni liaison ni préparation, l'on fait une faute. De même c'est une règle de ne pas faire deux quintes justes de suite entre les mêmes parties, surtout par mouvement semblable; le principe de cette règle est dans la loi de l'unité du mode. Toutes les fois donc qu'on peut faire ces deux quintes sans faire sentir deux modes à la fois, il y a licence, mais il n'y a point de faute. Cette explication était nécessaire parce que les musiciens n'ont aucune idée bien nette de ce mot de licence.
Comme la plupart des règles de l'harmonie sont fondées sur des principes arbitraires, et changent par l'usage et le goût des compositeurs, il arrive de là que ces règles varient, sont sujettes à la mode, et que ce qui est licence en un temps ne l'est pas dans un autre. Il y a deux ou trois siècles qu'il n'était pas permis de faire deux tierces de suite, surtout de la même espèce; maintenant on fait des morceaux [-397-] entiers tout par tierces. Nos anciens ne permettaient pas d'entonner diatoniquement trois tons consécutifs; aujourd'hui nous en entonnons, sans scrupule et sans peine, autant que la modulation le permet. Il en est de même des fausses relations, de l'harmonie syncopée, et de mille autres accidents de composition, qui d'abord furent des fautes, puis des licences, et n'ont plus rien d'irrégulier aujourd'hui.
Lichanos, substantif masculin. C'est le nom que portait parmi les Grecs la troisième corde de chacun de leurs deux premiers tétracordes, parce que cette troisième corde se touchait de l'index, qu'ils appelaient lichanos.
La troisième corde à l'aigu du plus bas tétracorde qui était celui des hypates, s'appelait autrefois lichanos-hypaton, quelquefois hypatondiatonos, enharmonios, ou chromatiké, selon le genre. Celle du second tétracorde, ou du tétracorde des moyennes, s'appelait lichanos-méson, ou mésondiatonos, et cetera.
Liées, adjectif. On appelle notes liées deux ou plusieurs notes qu'on passe d'un seul coup d'archet sur le violon et le violoncelle, ou d'un seul coup de langue sur la flûte et le hautbois, en un mot toutes les notes qui sont sous une même liaison.
Ligature, substantif féminin. C'était, dans nos anciennes musiques, l'union par un trait de deux ou plusieurs notes passées, ou diatoniquement, ou par degrés disjoints sur une même syllabe. La figure de ces notes, qui était carrée, donnait beaucoup de facilité pour les lier ainsi; ce qu'on ne saurait faire aujourd'hui [-398-] qu'au moyen du chapeau, à cause de la rondeur de nos notes.
La valeur des notes qui composaient la ligature variait beaucoup selon qu'elles montaient ou descendaient, selon qu'elles étaient différemment liées, selon qu'elles étaient à queue ou sans queue, selon que ces queues étaient placées à droite ou à gauche, ascendantes ou descendantes, enfin selon un nombre infini de règles si parfaitement oubliées à présent, qu'il n'y a peut-être pas en Europe un seul musicien qui soit en état de déchiffrer des musiques de quelque antiquité.
Ligne, substantif féminin. Les lignes de musique sont ces traits horizontaux et parallèles qui composent la portée, et sur lesquels, ou dans les espaces qui les séparent, on place les notes selon leurs degrés. La portée du plain-chant n'est que de quarte lignes, celle de la musique a cinq lignes stables et continues, outre les lignes postiches qu'on ajoute de temps en temps au-dessus ou au-dessous de la portée pour les notes qui passent son étendue.
Les lignes, soit dans le plain-chant, soit dans la musique, se comptent en commençant par la plus basse. Cette plus basse est la première; la plus haute est la quatrième dans le plain-chant, la cinquième dans la musique. (Voyez Portée.)
Limma, substantif masculin. Intervalle de la musique grecque, lequel est moindre d'un comma que le semi-ton majeur, et, retranché d'un ton majeur, laisse pour reste l'apotome.
Le rapport du limma est de 243 à 256; et sa génération [-399-] se trouve, en commençant par ut, à la cinquième quinte si; car alors la quantité dont ce si est surpassé par l'ut voisin est précisément dans le rapport que je viens d'établir.
Philolaüs et tous les pythagoriciens faisaient du limma un intervalle diatonique qui répondait à notre semi-ton majeur: car, mettant deux tons majeurs consécutifs, il ne leur restait que cet intervalle pour achever la quarte juste ou le tétracorde; en sorte que selon eux, l'intervalle du mi au fa eût été moindre que celui du fa à son dièse. Notre échelle chromatique donne tout le contraire.
Linos, substantif masculin. Sorte de chant rustique chez les anciens Grecs: ils avaient aussi un chant funèbre du même nom, qui revient à ce que les Latins ont appellé noenia. Les uns disent que le linos fut inventé en Égypte; d'autres en attribuaient l'invention à Linus, Eubéen.
Livre ouvert, à livre ouvert, ou à l'ouverture du livre, adverbe. Chanter ou jouer à livre ouvert, c'est exécuter toute musique qu'on vous présente en jetant les yeux dessus. Tous les musiciens se piquent d'exécuter à livre ouvert; mais il y en a peu qui, dans cette exécution prennent bien l'esprit de l'ouvrage, et qui, s'ils ne font pas des fautes sur la note, ne fassent pas du moins des contre-sens dans l'expression. (Voyez Expression.)
Longue, substantif féminin. C'est dans nos anciennes musiques, une note carrée avec une queue à droite, ainsi [signum]. Elle vaut ordinairement quatre mesures à deux temps, c'est-à-dire deux brèves; quelquefois [-400-] elle en vaut trois, selon le mode. (Voyez Mode.)
Muris et ses contemporains avaient des longues de trois espèces; savoir, la parfaite, l'imparfaite, et la double. La longue parfaite a, du côté droit, une queue descendante, [Lv] ou [L]. Elle vaut trois temps parfaits, et s'appelle parfaite elle-même, à cause, dit Muris, de son rapport numérique avec la Trinité. La longue imparfaite se figure comme la parfaite, et ne se distingue que par le mode: on l'appelle imparfaite, parce qu'elle ne peut marcher seule, et qu'elle doit toujours être précédée ou suivie d'une brève. La longue double contient deux temps égaux imparfaits; elle se figure comme la longue simple, mais avec une double largeur, [L]. Muris cite Aristote pour prouver que cette note n'est pas du plain-chant.
Aujourd'hui le mot longue est le corrélatif du mot brève. (Voyez Brève.) Ainsi toute note qui précède une brève est une longue.
Loure, substantif féminin. Sorte de danse dont l'air est assez lent, et se marque ordinairement par la mesure à 6/4. Quand chaque temps porte trois notes, on pointe la première, et l'on fait brève celle du milieu. Loure est le nom d'un ancien instrument semblable à une musette, sur lequel on jouait l'air de la danse dont il s'agit.
Lourer, verbe actif et neutre. C'est nourrir les sons avec douceur, et marquer la première note de chaque temps plus sensiblement que la seconde, quoique de même valeur.
Luthier, substantif masculin. Ouvrier qui fait des violons, des [-401-] violoncelles, et autres instrumens semblables. Ce nom, qui signifie facteur de luths, est demeuré par synecdoque à cette sorte d'ouvriers, parce qu'autrefois le luth était l'instrument le plus commun et dont il se faisait le plus. Lutrin, substantif masculin. Pupitre de choeur sur lequel on met les livres de chant dans les églises catholiques.
Lychanos. (Voyez Lichanos.)
Lydien, adjectif. Nom d'un des modes de la musique des Grecs, lequel occupait le milieu entre l'éolien et l'hyper-dorien. On l'appelait aussi quelquefois mode barbare, parce qu'il portait le nom d'un peuple asiatique.
Euclide distingue deux modes lydiens; celui-ci proprement dit, et un autre qu'il appelle lydien grave, et qui est le même que le mode éolien, du moins quant à sa fondamentale. (Voyez Mode.)
Le caractère du mode lydien était animé, piquant, triste cependant, pathétique et propre à la mollesse; c'est pourquoi Platon le bannit de sa République. C'est sur ce mode qu'Orphée apprivoisait, dit-on, les bêtes mêmes, et qu'Amphion bâtit les murs de Thèbes. Il fut inventé, les uns disent par cet Amphion, fils de Jupiter et d'Antiope; d'autres par Olympe, Mysien, disciple de Marsyas; d'autres enfin, par Mélampides; et Pindare dit qu'il fut employé pour la première fois aux noces de Niobé.
Lyrique, adjectif. Qui appartient à la lyre. Cette épithète se donnait autrefois à la poésie faite pour être chantée et accompagnée de la lyre ou cithare [-402-] par le chanteur, comme les odes et autres chansons, à la différence de la poésie dramatique ou théâtrale, qui s'accompagnait avec des flûtes par d'autres que le chanteur; mais aujourd'hui elle s'applique au contraire à la fade poésie de nos opéra, et, par extension, à la musique dramatique et imitative du théâtre. (Voyez Imitation.)
Lytierse, chansons des moissonneurs chez les anciens Grecs. (Voyez Chanson.)
M.
Ma. Syllabe avec laquelle quelques musiciens solfient le mi bémol comme ils solfient par si le fa dièse. (Voyez Solfier.)
Machicotage, substantif masculin. C'est ainsi qu'on appelle, dans le plain-chant, certaines additions et compositions de notes qui remplissent, par une marche diatonique, les intervalles de tierces et autres. Le nom de cette manière de chant vient de celui des ecclésiastiques appelés machicots, qui l'exécutaient autrefois après les enfans de choeur.
Madrigal. Sorte de pièce de musique travaillée et savante, qui était fort à la mode en Italie au seizième siècle, et même au commencement du précédent. Les madrigaux se composaient ordinairement, pour la vocale, à cinq ou six parties, toutes obligées, à cause des fugues et desseins dont ces pièces étaient remplies: mais les organistes composaient et exécutaient aussi des madrigaux sur l'orgue; et l'on prétend même que ce fut sur [-403-] cet instrument que le madrigal fut inventé. Ce genre de contre-point, qui était assujetti à des loix très-rigoureuses, portait le nom de style madrigalesque. Plusieurs auteurs, pour y avoir excellé, ont immortalisé leurs noms dans les fastes de l'art: tels furent entre autres, Luca Marentio, Luigi Prenestino, Pomponio Nenna, Tommaso Pecci, et surtout le fameux prince de Venosa, dont les madrigaux, pleins de science et de goût, étaient admirés par tous les maîtres, et chantés par toutes les dames.
Magadiser, verbe neutre. C'était, dans la musique grecque, chanter à l'octave, comme faisaient naturellement les voix de femmes et d'hommes mêlées ensemble; ainsi les chants magadisés étaient toujours des antiphonies. Ce mot vient de magas, chevalet d'instrument, et, par extension, instrument à cordes doubles, montées à l'octave l'une de l'autre, au moyen d'un chevalet, comme aujourd'hui nos clavecins.
Magasin. Hôtel de la dépendance de l'Opéra de Paris, où logent les directeurs et d'autres personnes attachées à l'Opéra, et dans lequel est un petit théâtre appelé aussi magasin ou théatre du magasin, sur lequel se font les premières répétitions. C'est l'odéum de la musique françoise. (Voyez Odéum.)
Majeur, adjectif. Les intervalles susceptibles de variations sont appelés majeurs, quand ils sont aussi grands qu'ils peuvent l'être sans devenir faux.
Les intervalles appelés parfaits, tels que l'octave, [-404-] la quinte et la quarte, ne varient point et ne sont que justes; sitôt qu'on les altère, ils sont faux. Les autres intervalles peuvent, sans changer de nom et sans cesser d'être justes, varier d'une certaine différence: quand cette différence peut être ôtée, ils sont majeurs; mineurs, quand elle peut être ajoutée.
Ces intervalles variables sont au nombre de cinq; savoir, le semi-ton, le ton, la tierce, la sixte et la septième. A l'égard du ton et du semi-ton, leur différence du majeur au mineur ne saurait s'exprimer en notes, mais en nombres seulement. Le semi-ton majeur est l'intervalle d'une seconde mineure, comme de si à ut, ou de mi à fa, et son rapport est de 15 à 16. Le ton majeur est la différence de la quarte à la quinte, et son rapport est de 8 à 9.
Les trois autres intervalles, savoir la tierce, la sixte et la septième, diffèrent toujours d'un semi-ton du majeur au mineur, et ces différences peuvent se noter. Ainsi la tierce mineure a un ton et demi, et la tierce majeure deux tons.
Il y a quelques autres plus petits intervalles, comme le dièse et le comma, qu'on distingue en moindres, mineurs, moyens, majeurs et maximes; mais comme ces intervalles ne peuvent s'exprimer qu'en nombres, ces distinctions sont inutiles dans la pratique.
Majeur se dit aussi du mode, lorsque la tierce de la tonique est majeure, et alors souvent le mot mode ne fait que se sous-entendre. Préluder en majeur, [-405-] passer du majeur au mineur, et cetera. (Voyez Mode.)
Main harmonique. C'est le nom que donna l'Arétin à la gamme qu'il inventa pour montrer le rapport de ses exacordes, de ses six lettres et de ses six syllabes, avec les cinq tétracordes des Grecs. Il représenta cette gamme sous la figure d'une main gauche, sur les doigts de laquelle étaient marqués tous les sons de la gamme, tant par les lettres correspondantes, que par les syllabes qu'il y avait jointes, en passant, par la règle des muances, d'un tétracorde ou d'un doigt à l'autre, selon le lieu où se trouvaient les deux semi-tons de l'octave par le bécarre ou par le bémol, c'est-à-dire, selon que les tétracordes étaient conjoints ou disjoints. (Voyez Gamme, Muances, Solfier.)
Maître à chanter. Musicien qui enseigne à lire la musique vocale et à chanter sur la note.
Les fonctions du maître à chanter se rapportent à deux objets principaux. Le premier, qui regarde la culture de la voix, est d'en tirer tout ce qu'elle peut donner en fait de chant, soit par l'étendue, soit par la justesse, soit par le timbre, soit par la légèreté, soit par l'art de renforcer et radoucir les sons, et d'apprendre à les ménager et modifier avec tout l'art possible. (Voyez Chant, Voix.)
Le second objet regarde l'étude des signes, c'est-à-dire l'art de lire la note sur le papier, et l'habitude de la déchiffrer avec tant de facilité qu'à l'ouverture du livre on soit en état de chanter toute sorte de musique. (Voyez Note, Solfier.)
[-406-] Une troisième partie des fonctions du maître à chanter regarde la connaissance de la langue, surtout des accents, de la quantité, et de la meilleure manière de prononcer; parce que les défauts de la prononciation sont beaucoup plus sensibles dans le chant que dans la parole, et qu'une vocale bien faite ne doit être qu'une manière plus énergique et plus agréable de marquer la prosodie et les accents. (Voyez Accent.)
Maître de chapelle. (Voyez Maître de musique.)
Maître de musique. Musicien gagé pour composer de la musique et la faire exécuter. C'est le maître de musique qui bat la mesure et dirige les musiciens: il doit savoir la composition, quoiqu'il ne compose pas toujours la musique qu'il fait exécuter. A l'Opéra de Paris, par exemple, l'emploi de battre la mesure est un office particulier; au lieu que la musique des opéra est composée par quiconque en a le talent et la volonté. En Italie, celui qui a composé un opéra en dirige toujours l'exécution, non en battant la mesure, mais au clavecin. Ainsi l'emploi de maître de musique n'a guère lieu que dans les églises: aussi ne dit-on point en Italie maître de musique, mais maître de chapelle; dénomination qui commence à passer aussi en France.
Marche, substantif féminin. Air militaire qui se joue par des instruments de guerre, et marque le mètre et la cadence des tambours, laquelle est proprement la marche.
Chardin dit qu'en Perse, quand on veut abattre [-407-] des maisons, aplanir un terrain, ou faire quelque autre ouvrage expéditif qui demande une multitude de bras, on assemble les habitants de tout un quartier, qu'ils travaillent au son des instruments, et qu'ainsi l'ouvrage se fait avec beaucoup plus de zèle et de promptitude que si les instrumens n'y étaient pas.
Le maréchal de Saxe a montré dans ses Rêveries que l'effet des tambours ne se bornait pas non plus à un vain bruit sans utilité, mais que, selon que le mouvement en était plus vif ou plus lent, ils portaient naturellement le soldat à presser ou ralentir son pas: on peut dire aussi que les airs des marches doivent avoir différents caractères, selon les occasions où on les emploie; et c'est ce qu'on a dû sentir jusqu'à certain point quand on les a distingués et diversifiés, l'un pour la générale, l'autre pour la marche, l'autre pour la charge, et cetera. Mais il s'en faut bien qu'on ait mis à profit ce principe autant qu'il aurait pu l'être; on s'est borné jusqu'ici à composer des airs qui fissent bien sentir le mètre et la batterie des tambours: encore fort souvent les airs des marches remplissent-ils assez mal cet objet. Les troupes françaises ayant peu d'instruments militaires pour l'infanterie, hors les fifres et les tambours, ont aussi fort peu de marches, et la plupart très-mal faites: mais il y en a d'admirables dans les troupes allemandes.
Pour exemple de l'accord de l'air et de la marche, je donnerai (Planche C, figure 3 [ROUDIC4 04GF]) la première partie de celle des mousquetaires du roi de France.
[-408-] Il n'y a dans les troupes que l'infanterie et la cavalerie légère qui aient des marches. Les timbales de la cavalerie n'ont point de marches réglées; les trompettes n'ont qu'un ton presque uniforme, et des fanfares. (Voyez Fanfare.)
Marcher, verbe neutre. Ce terme s'emploie figurément en musique, et se dit de la succession des sons ou des accords qui se suivent dans certain ordre. La basse et le dessus marchent par mouvements contraires: Marche de basse; marcher à contre-temps.
Martellement, substantif masculin. Sorte d'agrément du chant français. Lorsque descendant diatoniquement d'une note sur une autre par un trille, on appuie avec force le son de la première note sur la seconde, tombant ensuite sur cette seconde note par un seul coup de gosier, on appelle cela faire un martellement. (Voyez Planche B, figure 13 [ROUDIC4 03GF].)
Maxime, adjectif. On appelle intervalle maxime celui qui est plus grand que le majeur de la même espèce, et qui ne peut se noter; car s'il pouvait se noter, il ne s'appellerait pas maxime, mais superflu.
Le semi-ton maxime fait la différence du semi-ton mineur au ton majeur, et son rapport est de 25 à 27. Il y aurait entre l'ut dièse et le re un semi-ton de cette espèce, si tous les semi-tons n'étaient pas rendus égaux ou supposés tels par le tempérament.
Le dièse maxime est la différence du ton mineur au semi-ton maxime, en rapport de 243 à 250.
Enfin le comma maxime, ou comma de Pythagore, est la quantité dont diffèrent entre eux les [-409-] deux termes les plus voisins d'une progression par quintes, et d'une progression par octaves, c'est-à-dire l'excès de la douzième quinte si dièse sur la septième octave ut; et cet excès, dans le rapport de 524288 à 531441, est la différence que le tempérament fait évanouir.
Maxime, substantif féminin. C'est une note faite en carré-long horizontal avec une queue au côté droit, de cette manière [Mv], laquelle vaut huit mesures à deux temps, c'est-à-dire deux longues, et quelquefois trois, selon le mode. (Voyez Mode.) Cette sorte de note n'est plus d'usage depuis qu'on sépare les mesures par des barres, et qu'on marque avec des liaisons les tenues ou continuités des sons. (Voyez Barres, Mesure.)
Médiante, substantif féminin. C'est la corde ou la note qui partage en deux tierces l'intervalle de quinte qui se trouve entre la tonique et la dominante. L'une de ces tierces est majeure, l'autre mineure; et c'est leur position relative qui détermine le mode. Quand la tierce majeure est au grave, c'est-à-dire entre la médiante et la tonique, le mode est majeur; quand la tierce majeure est à l'aigu et la mineure au grave, le mode est mineur. (Voyez Mode, Tonique, Dominante.)
Médiation, substantif féminin. Partage de chaque verset d'un psaume en deux parties, l'une psalmodiée ou chantée par un côté du choeur, et l'autre par l'autre, dans les églises catholiques.
Medium, substantif masculin. Lieu de la voix également distant de ses deux extrémités au grave et à l'aigu. Le [-410-] haut est plus éclatant, mais il est presque toujours forcé; le bas est grave et majestueux, mais il est plus sourd.
Un beau medium, auquel on suppose une certaine latitude, donne les sons les mieux nourris, les plus mélodieux, et remplit le plus agréablement l'oreille. (Voyez Son.)
Mélange, substantif masculin. Une des parties de l'ancienne mélopée, appelée agogé par les Grecs, laquelle consiste à savoir entrelacer et mêler à propos les modes et les genres.(Voyez Mélopée.)
Mélodie, substantif féminin. Succession de sons tellement ordonnés selon les lois du rhythme et de la modulation, qu'elle forme un sens agréable à l'oreille; la mélodie vocale s'appelle chant, et l'instrumentale, symphonie.
L'idée du rhythme entre nécessairement dans celle de la mélodie; un chant n'est un chant qu'autant qu'il est mesuré; la même succession de sons peut recevoir autant de caractères, autant de mélodies différentes qu'on peut la scander différemment; et le seul changement de valeur des notes peut défigurer cette même succession au point de la rendre méconnaissable. Ainsi la mélodie n'est rien par elle-même; c'est la mesure qui la détermine, et il n'y a point de chant sans le temps. On ne doit donc pas comparer la mélodie avec l'harmonie, abstraction faite de la mesure dans toutes les deux; car elle est essentielle à l'une et non pas à l'autre.
La mélodie se rapporte à deux principes différents, selon la manière dont on la considère. Prise [-411-] par les rapports des sons et par les règles du mode, elle a son principe dans l'harmonie, puisque c'est une analyse harmonique qui donne les degrés de la gamme, les cordes du mode, et les lois de la modulation, uniques éléments du chant. Selon ce principe, toute la force de la mélodie se borne à flatter l'oreille par des sons agréables, comme on peut flatter la vue par d'agréables accords de couleur; mais prise pour un art d'imitation par lequel on peut affecter l'esprit de diverses images, émouvoir le coeur de divers sentiments, exciter et calmer les passions, opérer, en un mot, des effets moraux qui passent l'empire immédiat des sens, il lui faut chercher un autre principe: car on ne voit aucune prise par laquelle la seule harmonie, et tout ce qui vient d'elle, puisse nous affecter ainsi.
Quel est ce second principe? il est dans la nature ainsi que le premier; mais pour l'y découvrir il faut une observation plus fine, quoique plus simple, et plus de sensibilité dans l'observateur. Ce principe est le même qui fait varier le ton de la voix quand on parle, selon les choses qu'on dit et les mouvements qu'on éprouve en les disant. C'est l'accent des langues qui détermine la mélodie de chaque nation; c'est l'accent qui fait qu'on parle en chantant, et qu'on parle avec plus ou moins d'énergie, selon que la langue a plus ou moins d'accent. Celle dont l'accent est plus marqué doit donner une mélodie plus vive et plus passionnée; celle qui n'a que peu ou point d'accent ne peut avoir qu'une mélodie languissante et froide, sans caractère et sans expression. [-412-] Voilà les vrais principes; tant qu'on en sortira et qu'on voudra parler du pouvoir de la musique sur le coeur humain, on parlera sans s'entendre, on ne saura ce qu'on dira.
Si la musique ne peint que par la mélodie, et tire d'elle toute sa force, il s'ensuit que toute musique qui ne se chant pas, quelque harmonieuse qu'elle puisse être, n'est point une musique imitative, et ne pouvant ni toucher ni peindre avec ses beaux accords, lasse bientôt les oreilles, et laisse toujours le coeur froid. Il suit encore que, malgré la diversité des parties que l'harmonie a introduites, et dont on abuse tant aujourd'hui, sitôt que deux mélodies se sont entendre à la fois, elles s'effacent l'une l'autre et demeurent de nul effet, quelque belles qu'elles puissent être chacune séparément: d'où l'on peut juger avec quel goût les compositeurs français ont introduit à leur Opéra l'usage de faire servir un air d'accompagnement à un choeur ou à un autre air; ce qui est comme si on s'avisait de réciter deux discours à la fois, pour donner plus de force à leur éloquence. (Voyez Unité de Mélodie.)
Mélodieux, adjectif. Qui donne de la mélodie. Mélodieux, dans l'usage, se dit des sons agréables, des voix sonores, des chants doux et gracieux, et cetera.
Mélopée, substantif féminin. C'était, dans l'ancienne musique, l'usage régulier de toutes les parties harmoniques, c'est-à-dire, l'art ou les règles de la composition du chant, desquelles la pratique et l'effet s'appelait mélodie.
[-413-] Les anciens avaient diverses règles pour la manière de conduire le chant par des degrés conjoints, disjoints, ou mêlés, en montant ou en descendant. On en trouve plusieurs dans Aristoxène, lesquelles dépendent toutes de ce principe, que, dans tout système harmonique, le troisième ou le quatrième son après le fondamental en doit toujours frapper la quarte ou la quinte, selon que les tétracordes sont conjoints ou disjoints; différence qui rend un mode authentique ou plagal au gré du compositeur. C'est le recueil de toutes ces règles qui s'appelle mélopée.
La Mélopée est composée de trois parties: savoir, la prise, lepsis, qui enseigne au musicien en quel lieu de la voix il doit établir son diapason; le mélange, mixis, selon lequel il entrelace ou mêle à propos les genres et les modes; et l'usage, chrésès, qui se subdivise en trois autres parties. La première, appelée euthia, guide la marche du chant, laquelle est, ou directe du grave à l'aigu, ou renversée de l'aigu au grave, ou mixte, c'est-à-dire composée de l'une et de l'autre. La deuxième, appelée agogé, marche alternativement par degrés disjoints en montant, et conjoints en descendant, ou au contraire. La troisième, appelée petteïa, par laquelle il discerne et choisit les sons qu'il faut rejeter, ceux qu'il faut admettre, et ceux qu'il faut employer le plus fréquemment.
Aristide Quintilien divise toute la mélopée en trois espèces qui se rapportent à autant de modes, en prenant ce dernier nom dans un nouveau sens. La [-414-] première espèce était l'hypatoïde, appelée ainsi de la corde hypate, la principale ou la plus basse, parce que le chant régnant seulement sur les sons graves ne s'éloignait pas de cette corde, et ce chant était approprié au mode tragique. La seconde espèce, était la mésoïde, de mèse, la corde du milieu, parce que le chant régnait sur les sons moyens, et celle-ci répondait au mode nomique, consacré à Apollon. La troisième s'appelait nétoïde de nète, la dernière corde ou la plus haute; son chant ne s'étendait que sur les sons aigus, et constituait le mode dithyrambique ou bachique. Ces modes en avaient d'autres qui leur étaient subordonnés, et variaient la mélopée; tels que l'érotique ou l'amoureux, le comique, l'encômiaque, destiné aux louanges.
Tous ces modes, étant propres à exciter ou calmer certaines passions, influaient beaucoup sur les moeurs; et, par rapport à cette influence, la mélopée se partageait encore en trois genres: savoir, premier le systaltique, ou celui qui inspirait les passions tendres et affectueuses, les passions tristes et capables de resserrer le coeur, suivant le sens du mot grec; second le diastaltique, ou celui qui était propre à l'épanouir, en excitant la joie, le courage, la magnanimité, les grands sentiments, troisième l'euchastique qui tenait le milieu entre les deux autres, qui ramenait l'ame à un état tranquille. La première espèce de mélopée convenait aux poésies amoureuses, aux plaintes, aux regrets, et autres expressions semblables. La seconde était propre aux tragédies, [-415-] aux chants de guerre, aux sujets héroïques. La troisième aux hymnes, aux louanges, aux instructions.
Mélos, substantif masculin. Douceur du chant. Il est difficile de distinguer dans les auteurs grecs le sens du mot mélos du sens du mot mélodie. Platon, dans son Protagoras, met le mélos dans le simple discours, et semble entendre par là le chant de la parole. Le mélos paraît être ce par quoi la mélodie est agréable. Ce mot vient de [meli], miel.
Menuet, substantif masculin. Air d'une danse de même nom, que l'abbé Brossard dit nous venir du Poitou. Selon lui cette danse est fort gaie, et son mouvement est fort vite; mais, au contraire, le caractère du menuet est une élégante et noble simplicité; le mouvement en est plus modéré que vite, et l'on peut dire que le moins gai de tous les genres de danses usités dans nos bals est le menuet. C'est autre chose sur le théâtre.
La mesure du menuet est à trois temps légers, qu'on marque par le 3 simple, ou par le 3/4, ou par le <3/8>. Le nombre des mesures de l'air dans chacune de ses reprises doit être quatre ou un multiple de quatre, parce qu'il en faut autant pour achever le pas du menuet; et le soin du musicien doit être de faire sentir cette division par des chutes bien marquées, pour aider l'oreille du danseur et le maintenir en cadence.
Mèse, substantif féminin. Nom de la corde la plus aiguë du second tétracorde des Grecs. (Voyez Méson.)
Mèse signifie moyenne, et ce nom fut donne à [-416-] cette corde, non comme dit l'abbé Brossard, parce qu'elle est commune ou mitoyenne entre les deux octaves de l'ancien système, car elle portait ce nom bien avant que le système eût acquis cette étendue, mais parce qu'elle formait précisément le milieu entre les deux premiers tétracordes dont ce système avait d'abord été composé.
Mésoïde, substantif féminin. Sorte de mélopée dont les chants roulaient sur les cordes moyennes, lesquelles s'appelaient aussi mésoïdes de la mèse ou du tétracorde méson.
Mésoïdes. Sons moyens, ou pris dans le médium du système. (Voyez Mélopée.)
Méson. Nom donné par les Grecs à leur second tétracorde, en commençant à compter du grave; et c'est aussi le nom par lequel on distingue chacune de ses quatre cordes de celles qui leur correspondent dans les autres tétracordes: ainsi, dans celui dont je parle, la première corde s'appelle hypate-méson; la seconde, parhypate-méson; la troisième lichanos-méson, ou méson-diatonos, et la quatrième, mèse. (Voyez Système.)
Méson est le génitif de mèse, moyenne, parce que le tétracorde méson occupe le milieu entre le premier et le troisième, ou plutôt parce que la corde mèse donne son nom à ce tétracorde dont elle forme l'extrémité aiguë. (Voyez Planche H, figure 2 [ROUDIC4 09GF].)
Mésopycni, adjectif. Les anciens appelaient ainsi, dans les genres épais, le second son de chaque tétracorde. Ainsi les sons mésopycni étaient cinq en nombre. (Voyez Son, Système, Tétracorde.)
[-417-] Mesure, substantif féminin. Division de la durée ou du temps en plusieurs parties égales, assez longues pour que l'oreille en puisse saisir et subdiviser la quantité, et assez courtes pour que l'idée de l'une ne s'efface pas avant le retour de l'autre, et qu'on en sente l'égalité.
Chacune de ces parties égales s'appelle aussi mesure: elles se subdivisent en d'autres aliquotes qu'on appelle temps, et qui se marquent par des mouvements égaux de la main ou du pied. (Voyez Battre la mesure.) La durée égale de chaque temps ou de chaque mesure est remplie par plusieurs notes qui passent plus ou moins vite en proportion de leur nombre, et auxquelles on donne diverses figures pour marquer leurs différentes durées. (Voyez Valeur des notes.)
Plusieurs, considérant le progrès de notre musique, pensent que la mesure est de nouvelle invention, parce qu'un temps elle a été négligée; mais au contraire, non-seulement les anciens pratiquaient la mesure, ils lui avaient même donné des règles très-sévères et fondées sur des principes que la nôtre n'a plus. En effet, chanter sans mesure n'est pas chanter; et le sentiment de la mesure n'étant pas moins naturel que celui de l'intonation, l'invention de ces deux choses n'a pu se faire séparément.
La mesure des Grecs tenait à leur langue; c'était la poésie qui l'avait donnée à la musique; les mesures de l'une répondaient aux pieds de l'autre: on n'aurait pas pu mesurer de la prose en musique. [-418-] Chez nous, c'est le contraire: le peu de prosodie de nos langues fait que dans nos chants la valeur des notes détermine la quantité des syllabes; c'est sur la mélodie qu'on est forcé de scander le discours; on n'aperçoit pas même si ce qu'on chante est vers ou prose: nos poésies n'ayant plus de pieds, nos vocales n'ont plus de mesures; le chant guide et la parole obéit.
La mesure tomba dans l'oubli, quoique l'intonation fût toujours cultivée, lorsque après les victoires des Barbares les langues changèrent de caractère et perdirent leur harmonie. Il n'est pas étonnant que le mètre qui servait à exprimer la mesure de la poésie fût négligé dans des temps où on ne la sentait plus, et où l'on chantait moins de vers que de prose. Les peuples ne connaissaient guère alors d'autre amusement que les cérémonies de l'église, ni d'autre musique que celle de l'office; et comme cette musique n'exigeait pas la régularité du rhythme, cette partie fut enfin tout-à-fait oubliée. Gui nota sa musique avec des points qui n'exprimaient pas des quantités différentes, et l'invention des notes fut certainement postérieure à cet auteur.
On attribue communément cette invention des diverses valeurs des notes à Jean de Muris, vers l'an 1330; mais le Père Mersenne le nie avec raison, et il faut n'avoir jamais lu les écrits de ce chanoine pour soutenir une opinion qu'ils démentent si clairement. Non-seulement il compare les valeurs que les notes avaient avant lui à celles qu'on leur [-419-] donnait de son temps, et dont il ne se donne point pour l'auteur, mais même il parle de la mesure, et dit que les modernes, c'est-à-dire ses contemporains, la ralentissent beaucoup, et moderni nunc morosâ multùm utuntur mensurâ: ce qui suppose évidemment que la mesure, et par conséquent les valeurs des notes, étaient connues et usitées avant lui. Ceux qui voudront rechercher plus en détail l'état où était cette partie de la musique du temps de cet auteur, pourront consulter son traité manuscrit intitulé, Speculum Musicae, qui est à la Bibliotheque du roi de France, numéro 7207, page 280 et suivantes.
Les premiers qui donnèrent aux notes quelques règles de quantité s'attachèrent plus aux valeurs ou durées relatives de ces notes qu'à la mesure même ou au caractère du mouvement; de sorte qu'avant la distinction des différentes mesures, il y avait des notes au moins de cinq valeurs différentes; savoir, la maxime, la longue, la brève, la semi-brève, et la minime, que l'on peut voir à leurs mots. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on trouve toutes ces différentes valeurs et même davantage, dans les écrits de Machault, sans y trouver jamais aucun signe de mesure.
Dans la suite, les rapports en valeur d'une de ces notes à l'autre dépendirent du temps, de la prolation du mode. Par le mode on déterminait le rapport de la maxime à la longue, ou de la longue à la brève; par le temps, celui de la longue à la brève, ou de la brève à la semi-brève; et par la [-420-] prolation, celui de la brève à la semi-brève, ou de la semi-brève à la minime. (Voyez Mode, Prolation, Temps.) En général toutes ces différentes modifications se peuvent rapporter à la mesure double ou à la mesure triple, c'est-à-dire à la division de chaque valeur entière en deux ou en trois temps égaux.
Cette manière d'exprimer le temps ou la mesure des notes changea entièrement durant le cours du dernier siècle. Dès qu'on eût pris l'habitude de renfermer chaque mesure entre deux barres, il fallut nécessairement proscrire toutes les espèces de notes qui renfermaient plusieurs mesures. La mesure en devint plus claire, les partitions mieux ordonnées, et l'exécution plus facile; ce qui était fort nécessaire pour compenser les difficultés que la musique acquérait en devenant chaque jour plus composée. J'ai vu d'excellents musiciens fort embarrassés d'exécuter bien en mesure des Trio d'Orlande et de Claudin, compositeurs du temps de Henri III.
Jusque-là la raison triple avait passé pour la plus parfaite: mais la double prit enfin l'ascendant, et le C, ou la mesuee à quatre temps fut prise pour la base de toutes les autres. Or, la mesure à quatre temps se résout toujours en mesure à deux temps; ainsi c'est proprement à la mesure double qu'on fait rapporter toutes les autres, du moins quant aux valeurs des notes et aux signes des mesures.
Au lieu donc des maximes, longues, brèves, semi-brèves, et cetera, on substitua les rondes, blanches, [-421-] noires, croches, doubles et triples croches, et cetera, qui toutes furent prises en division sous-double; de sorte que chaque espèce de note valait précisément la moitié de la précédente: division manifestement insuffisante, puisque ayant conservé la mesure triple aussi-bien que la double ou quadruple, et chaque temps pouvant être divisé comme chaque mesure en raison sous-double ou sous-triple à la volonté du compositeur, il fallait assigner, ou plutôt conserver aux notes des divisions répondantes à ces deux raisons.
Les musiciens sentirent bientôt le défaut; mais, au lieu d'établir une nouvelle division, ils tâchèrent de suppléer à cela par quelque signe étranger: ainsi, ne pouvant diviser une blanche en trois parties égales, ils se sont contentés d'écrire trois noires, ajoutant le chiffre 3 sur celle du milieu. Ce chiffre même leur a enfin paru trop incommode, et, pour tendre des piéges plus sûrs à ceux qui ont à lire leur musique, ils prennent le parti de supprimer le 3 ou même le 6; en sorte que, pour savoir si la division est double ou triple, on n'a d'autre parti à prendre que celui de compter les notes ou de deviner.
Quoiqu'il n'y ait dans notre musique que deux sortes de mesures, on y a fait tant de divisions, qu'on en peut compter au moins de seize espèces, dont voici les signes:
[Rousseau, Dictionnaire A-M, 421; text: 2 ou 3. 4, 6, 8, 9, 12, 16, C.] [ROUDIC2 01GF]
(Voyez les exemples Planche B, figure 1 [ROUDIC4 03GF].)
[-422-] De toutes ces mesures, il y en a trois qu'on appelle simples, parce qu'elles n'ont qu'un seul chiffre ou signe; savoir, le 2 ou [Cdimrh], le 3, et le C, ou quatre temps. Toutes les autres, qu'on appelle doubles, tirent leur dénomination et leurs signes de cette dernière ou de la note ronde qui la remplit; en voici la règle:
Le chiffre inférieur marque un nombre de notes de valeur égale, faisant ensemble la durée d'une ronde ou d'une mesure à quatre temps.
Le chiffre supérieur montre combien il faut de ces mêmes notes pour remplir chaque mesure de l'air qu'on va noter.
Par cette règle on voit qu'il faut trois blanches pour remplir une mesure au signe 2/3; deux noires pour celle au signe 2/4; trois croches pour celle au signe 3/8, et cetera. Tout cet embarras de chiffres est mal entendu; car pourquoi ce rapport de tant de différentes mesures à celle de quatre temps, qui leur est si peu semblable? ou pourquoi ce rapport de tant de diverses notes à une ronde, dont la durée est si peu déterminée? Si tous ces signes sont institués pour marquer autant de différentes sortes de mesures, il y en a beaucoup trop; et s'ils le sont pour exprimer les divers degrés de mouvement, il n'y en a pas assez, puisque indépendamment de l'espèce de mesure et de la division des temps, on est presque toujours contraint d'ajouter un mot au commencement de l'air pour déterminer le temps.
Il n'y a réellement que deux sortes de mesures [-423-] dans notre musique; savoir, à deux et trois temps égaux. Mais comme chaque temps, ainsi que chaque mesure, peut se diviser en deux ou en trois parties égales, cela fait une subdivision qui donne quatre espèces de mesures en tout; nous n'en avons pas davantage.
On pourrait cependant en ajouter une cinquième, en combinant les deux premières en une mesure à deux temps inégaux, l'un composé de deux notes et l'autre de trois. On peut trouver, dans cette mesure des chants très-bien cadencés, qu'il serait impossible de noter par les mesures usitées. J'en donne un exemple dans la Planche B, figure 10 [ROUDIC4 03GF]. Le sieur Adolfati fit à Gênes, en 1750, un essai de cette mesure en grand orchestre, dans l'air Se la sorte mi condanna de son opéra d'Ariane. Ce morceau fit de l'effet et fut applaudi. Malgré cela, je n'apprends pas que cet exemple ait été suivi.
Mesuré, participle. Ce mot répond à l'italien a tempo ou a battuta, et s'emploie, sortant d'un récitatif, pour marquer le lieu où l'on doit commencer à chanter en mesure.
Métrique, adjectif. La musique métrique, selon Aristide Quintilien, est la partie de la musique en général qui a pour objet les lettres, les syllabes, les pieds, les vers et le poème; et il y a cette différence entre la métrique et la rhythmique, que la première ne s'occupe que de la forme des vers, et la seconde, de celle des pieds qui les composent: ce qui peut même s'appliquer à la prose. [-424-] D'où il suit que les langues modernes peuvent encore avoir une musique métrique, puisqu'elles ont une poésie; mais non pas une musique rhythmique, puisque leur poésie n'a plus de pieds.
(Voyez Rhythme.)
Mezza-voce. (Voyez Sotto-voce.)
Mezzo-forte. (Voyez Sotto-voce.)
Mi. La troisième des six syllabes inventées par Gui Arétin pour nommer ou solfier les notes, lorsqu'on ne joint pas la parole au chant. (Voyez E si mi, Gamme.)
Mineur, adjectif. Nom que portent certains intervalles, quand ils sont aussi petits qu'ils peuvent l'être sans devenir faux. (Voyez Majeur, Intervalle.)
Mineur se dit aussi du mode, lorsque la tierce de la tonique est mineure. (Voyez Mode.)
Minime, adjectif. On appelle intervalle minime ou moindre, celui qui est plus petit que le mineur de même espèce, et qui ne peut se noter; car s'il pouvait se noter, il ne s'appellerait pas minime, mais diminué.
Le semi-ton minime est la différence du semi-ton maxime au semi-ton moyen, dans le rapport de 125 à 128. (Voyez Semi-ton.)
Minime, substantif féminin. par rapport à la durée ou au temps, est dans nos anciennes musiques la note qu'aujourd'hui nous appelons blanche. (Voyez Valeur des notes.)
Mixis, substantif féminin. Mélange. Une des parties de l'ancienne mélopée par laquelle le compositeur apprend à bien combiner les intervalles et à bien distribuer les [-425-] genres et les modes selon le caractère du chant qu'il s'est proposé de faire. (Voyez Mélopée.)
Mixo-lydien, adjectif. Nom d'un des modes de l'ancienne musique appelé autrement hyper-dorien. (Voyez ce mot.) Le mode mixo-lydien était le plus aigu des sept auxquels Ptolomée avait réduit tous ceux de la musique des Grecs. (Voyez Mode.)
Ce mode est affectueux, passionné, convenable aux grands mouvements, et par cela même à la tragédie. Aristoxène assure que Sapho en fut l'inventrice; mais Plutarque dit que d'anciennes tables attribuent cette invention à Pytoclide: il dit aussi que les Argiens mirent à l'amende le premier qui s'en était servi, et qui avait introduit dans la musique l'usage de sept cordes, c'est-à-dire une tonique sur la septième corde.
Mixte, adjectif. On appelle modes mixtes ou connexes dans le plain-chant, les chants dont l'étendue excède leur octave et entre d'un mode dans l'autre, participant ainsi de l'authente et du plagal. Ce mélange ne se fait que des modes compairs, comme du premier ton avec le second, du troisième avec le quatrième, en un mot du plagal avec son authente et réciproquement.
Mobile, adjectif. On appelait cordes mobiles ou sons mobiles, dans la musique grecque, les deux cordes moyennes de chaque tétracorde, parce qu'elles s'accordaient différemment selon les genres, à la différence des deux cordes extrêmes, qui, ne variant jamais, s'appelaient cordes stables. (Voyez Tétracorde, Genre, Son.)
[-426-] Mode, substantif masculin. Disposition régulière du chant et de l'accompagnement relativement à certains sons principaux sur lesquels une pièce de musique est constituée, et qui s'appellent les cordes essentielles du mode.
Le mode diffère du ton en ce que celui-ci n'indique que la corde ou le lieu du système qui doit servir de base au chant, et le mode détermine la tierce et modifie toute l'échelle sur ce son fondamental.
Nos modes ne sont fondés sur aucun caractère de sentiment, comme ceux des anciens; mais uniquement sur notre système harmonique. Les cordes essentielles au mode sont au nombre de trois, et forment ensemble un accord parfait. Première La tonique, qui est la corde fondamentale du ton et du mode (Voyez Ton et Tonique); seconde la dominante à la quinte de la tonique (Voyez Dominante); troisième enfin la médiante qui constitue proprement le mode, et qui est à la tierce de cette même tonique. (Voyez Médiante.) Comme cette tierce peut être de deux espèces, il y a aussi deux modes différents. Quand la médiante fait tierce majeure avec la tonique, le mode est majeur; il est mineur, quand la tierce est mineure.
Le mode majeur est engendré immédiatement par la résonnance du corps sonore qui rend la tierce majeure du son fondamental; mais le mode mineur n'est point donné par la nature, il ne se trouve que par analogie et renversement. Cela est vrai dans le système de Monsieur Tartini, ainsi que dans celui de Monsieur Rameau.
[-427-] Ce dernier auteur, dans ses divers ouvrages successifs, a expliqué cette origine du mode mineur de différentes manières, dont aucune n'a contenté son interprète Monsieur d'Alembert. C'est pourquoi Monsieur d'Alembert fonde cette même origine sur un autre principe, que je ne puis mieux exposer qu'en transcrivant les propres termes de ce grand géomètre.
"Dans le chant ut mi sol, qui constitue le mode majeur, les sons mi et sol sont tels que le son principal ut les fait résonner tous deux; mais le second son mi ne fait point résonner sol, qui n'est que sa tierce mineure.
Or, imaginons qu'au lieu de ce son mi on place entre les sons ut et sol un autre son qui ait, ainsi que le son ut, la propriété de faire résonner sol, et qui soit pourtant différent d'ut; ce son qu'on cherche doit être tel qu'il ait pour dix-septième majeure le son sol ou l'une des octaves de sol: par conséquent le son cherché doit être à la dix-septième majeure au-dessous de sol, ou, ce qui revient au même, à la tierce majeure au-dessous de ce même son sol. Or, le son mi étant à la tierce mineure au-dessous de sol, et la tierce majeure étant d'un semi-ton plus grande que la tierce mineure, il s'ensuit que le son qu'on cherche sera d'un semi-ton bas que le mi, et sera par conséquent mi bémol.
Ce nouvel arrangement ut, mi bémol, sol, dans lequel les sons ut et mi bémol font l'un et l'autre résonner sol sans que ut fasse résonner mi bémol, [-428-] n'est pas à la vérité aussi parfait que le premier arrangement ut, mi, sol, parce que dans celui-ci les deux sons mi et sol sont l'un et l'autre engendrés par le son principal ut, au lieu que dans l'autre le son mi bémol n'est pas engendré par le son ut: mais cet arrangement ut, mi bémol, sol, est aussi dicté par la nature, quoique moins immédiatement que le premier; et en effet l'expérience prouve que l'oreille s'en accommode à peu près aussi bien.
Dans ce chant ut, mi bémol, sol, ut, il est évident que la tierce d'ut à mi bémol est mineure; et telle est l'origine du genre ou mode appelé mineur." Éléments de Musique, page 22.
Le mode une fois déterminé, tous les sons de la gamme prennent un nom relatif au fondamental, et propre à la place qu'ils occupent dans ce mode-là. Voici les noms de toutes les notes relativement à leur mode, en prenant l'octave d'ut pour exemple du mode majeur, et celle de la pour exemple du mode du mineur.
[Rousseau, Dictionnaire A-M, 428; text: Majeur: Mineur: Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La, Si, Octave. Septième note. Sixième note, ou Sous-dominante. Dominante. Quatrième note, ou Sous-dominante. Médiante. Seconde note. Tonique.] [ROUDIC2 01GF]
Il faut remarquer que quand la septième note n'est qu'à un semi-ton de l'octave, c'est-à-dire quand elle fait la tierce majeure de la dominante, comme [-429-] le si naturel en majeur, ou le sol dièse en mineur, alors cette septième note s'appelle note sensible, parce qu'elle annonce la tonique et fait sentir le ton.
Non-seulement chaque degré prend le nom qui lui convient, mais chaque intervalle est déterminé relativement au mode. Voici les règles établies pour cela:
Première La seconde note doit faire sur la tonique une seconde majeure; la quatrième et la dominante une quarte et une quinte justes, et cela également dans les deux modes.
Seconde Dans le mode majeur la médiante ou tierce, la sixte et la septième de la tonique doivent toujours être majeures; c'est le caractère du mode. Par la même raison, ces trois intervalles doivent être mineurs dans le mode mineur: cependant, comme il faut qu'on y aperçoive aussi la note sensible, ce qui ne peut se faire sans fausse relation, tandis que la sixième note reste mineure, cela cause des exceptions auxquelles on a égard dans le cours de l'harmonie et du chant: mais il faut toujours que la clef avec ses transpositions donne tous les intervalles déterminés par rapport à la tonique selon l'espèce du mode. On trouvera au mot Clef une règle générale pour cela.
Comme toutes les cordes naturelles de l'octave d'ut donnent relativement à cette tonique tous les intervalles prescrits pour le mode majeur, et qu'il en est de même de l'octave de la pour le mode mineur, l'exemple précédent, que je n'ai proposé que pour les noms des notes, doit servir aussi de [-430-] formule pour la règle des intervalles dans chaque mode.
Cette règle n'est point, comme on pourrait le croire, établie sur des principes purement arbitraires; elle a son fondement dans la génération harmonique, au moins jusqu'à certain point. Si vous donnez l'accord parfait majeur à la tonique, à la dominante, et à la sous-dominante, vous aurez tous les sons de l'échelle diatonique pour le mode majeur: pour avoir celle du mode mineur, laissant toujours la tierce majeure à la dominante, donnez la tierce mineure aux deux autres accords; telle est l'analogie du mode.
Comme ce mélange d'accords majeurs et mineurs introduit en mode mineur une fausse relation entre la sixième note et la note sensible, on donne quelquefois, pour éviter cette fausse relation, la tierce majeure à la quatrième note en montant, ou la tierce mineure à la dominante en descendant, sur-tout par renversement; mais ce sont alors des exceptions.
Il n'y a proprement que deux modes, comme on vient de le voir: mais comme il y a douze sons fondamentaux qui donnent autant de tons dans le système, et que chacun de ces tons est susceptible du mode majeur et du mode mineur, on peut composer en vingt-quatre modes ou manières; maneries, disaient nos vieux auteurs en leur latin. Il y en a même trente-quatre possibles dans la manière de noter; mais dans la pratique on en exclut dix, qui ne sont au fond que la répétition de dix autres, [-431-] sous des relations beaucoup plus difficiles, où toutes les cordes changeraient de noms; et où l'on aurait peine à se reconnoître: tels sont les modes majeurs sur les notes diésées, et les modes mineurs sur les bémols. Ainsi, au lieu de composer en sol dièse tierce majeure, vous composerez en la bémol qui donne les mêmes touches, et au lieu de composer en re bémol mineur, vous prendrez ut dièse par la même raison; savoir, pour éviter d'un côté un F double dièse, qui deviendrait un G naturel; et de l'autre, un B double bémol, qui deviendrait un A naturel.
On ne reste pas toujours dans le ton ni dans le mode par lequel on a commencé un air; mais, soit pour l'expression, soit pour la variété, on change de ton et de mode, selon l'analogie harmonique, revenant pourtant toujours à celui qu'on a fait entendre le premier; ce qui s'appelle moduler.
De là naît une nouvelle distinction du mode en principal et relatif; le principal est celui par lequel commence et finit la pièce; les relatifs sont ceux qu'on entrelace avec le principal dans le courant de la modulation. (Voyez Modulation.)
Le sieur de Blainville, savant musicien de Paris, proposa, en 1751, l'essai d'un troisième mode, qu'il appelle mode mixte, parce qu'il participe à la modulation des deux autres, ou plutôt qu'il en est composé; mélange que l'auteur ne regarde point comme un inconvénient, mais plutôt comme un avantage et une source de variété, et de liberté dans les chants et dans l'harmonie.
[-432-] Ce nouveau mode n'étant point donné par l'analyse de trois accords comme les deux autres, ne se détermine pas comme eux par des harmoniques essentiels au mode, mais par une gamme entière qui lui est propre, tant en montant qu'en descendant; en sorte que dans nos deux modes la gamme est donnée par les accords, et que dans le mode mixte les accords sont donnés par la gamme.
La formule de cette gamme est dans la succession ascendante et descendante des notes suivantes,
Mi Fa Sol La Si Ut Re Mi,
dont la différence essentielle est, quant à la mélodie, dans la position des deux semi-tons, dont le premier se trouve entre la tonique et la seconde note, et l'autre entre la cinquième et la sixième; et, quant a l'harmonie, en ce qu'il porte sur sa tonique la tierce mineure en commençant, et majeure en finissant, comme on peut le voir (Planche L, figure 5 [ROUDIC4 12GF]) dans l'accompagnement de cette gamme, tant en montant qu'en descendant, tel qu'il a été donné par l'auteur, et exécuté au concert spirituel le 30 mai 1751.
On objecte au sieur de Blainville que son mode n'a ni accord, ni corde essentielle, ni cadence qui lui soit propre, et le distingue suffisamment des modes majeur ou mineur. Il répond à cela que la différence de son mode est moins dans l'harmonie que dans la mélodie, et moins dans le mode même que dans la modulation; qu'il est distingué dans son commencement du mode majeur par sa tierce [-433-] mineure, et dans sa fin du mode mineur par sa cadence plagale: à quoi l'on réplique qu'une modulation qui n'est pas exclusive ne suffit pas pour établir un mode; que la sienne est inévitable dans les deux autres modes, surtout dans le mineur; et quant à sa cadence plagale, qu'elle a lieu nécessairement dans le même mode mineur toutes les fois qu'on passe de l'accord de la tonique à celui de la dominante, comme cela se pratiquait jadis, même sur les finales, dans les modes plagaux et dans le ton du quart; d'où l'on conclut que son mode mixte est moins une espèce particulière qu'une dénomination nouvelle à des manières d'entrelacer et combiner les modes majeur et mineur, aussi anciennes que l'harmonie, pratiquées de tous les temps; et cela paraît si vrai, que même en commençant sa gamme, l'auteur n'ose donner ni la quinte ni la sixte à sa tonique, de peur de déterminer une tonique en mode mineur par la première, ou une médiante en mode majeur par la seconde: il laisse l'équivoque en ne remplissant pas son accord.
Mais, quelque objection qu'on puisse faire contre le mode mixte, dont on rejette plutôt le nom que la pratique, cela n'empêchera pas que la manière dont l'auteur l'établit et le traite ne le fasse connaître pour un homme d'esprit et pour un musicien très-versé dans les principes de son art.
Les anciens diffèrent prodigieusement entre eux sur les définitions, les divisions et les noms de leurs tons ou modes: obscurs sur toutes les parties de leur musique, ils sont presque inintelligibles sur celle-ci. Tous conviennent à la vérité qu'un mode [-434-] est un certain système ou une constitution de sons, et il paraît que cette constitution n'est autre chose en elle-même qu'une certaine octave remplie de tous les sons intermédiaires, selon le genre. Euclide et Ptolomée semblent la faire consister dans les diverses positions des deux semi-tons de l'octave relativement à la corde principale du mode, comme on le voit encore aujourd'hui dans les huit tons du plain-chant; mais le plus grand nombre paraît mettre cette différence uniquement dans le lieu qu'occupe le diapason du mode dans le système général, c'est-à-dire en ce que la base ou corde principale du mode est plus aiguë ou plus grave étant prise en divers lieux du système, toutes les cordes de la série gardant toujours un même rapport avec la fondamentale, et par conséquent changeant d'accord à chaque mode pour conserver l'analogie de ce rapport: telle est la différence des tons de notre musique.
Selon le premier sens, il n'y aurait que sept modes possibles dans le système diatonique; et, en effet, Ptolomée n'en admet pas davantage: car il n'y a que sept manières de varier la position des deux semi-tons relativement au son fondamental, en gardant toujours entre ces deux semi-tons l'intervalle prescrit. Selon le second sens il y aurait autant de modes possibles que de sons: c'est-à-dire une infinité; mais si l'on se renferme de même dans le système diatonique, on n'y en trouvera non plus que sept, à moins qu'on ne veuille prendre pour de nouveaux modes ceux qu'on établirait à l'octave des premiers.
[-435-] En combinant ensemble ces deux manières, on n'a encore besoin que de sept modes; car si l'on prend ces modes en divers lieux du système, on trouve en même temps les sons fondamentaux distingués du grave à l'aigu; et les deux semi-tons différemment situés relativement au son principal.
Mais outre ces modes on en peut former plusieurs autres, en prenant dans la même série et sur le même son fondamental différents sons pour les cordes essentielles du mode: par exemple, quand on prend pour dominante la quinte du son principal, le mode est authentique; il est plagal si l'on choisit la quarte; et ce sont proprement deux modes différents sur la même fondamentale. Or, comme pour constituer un mode agréable, il faut, disent les Grecs, que la quarte et la quinte soient justes, ou du moins une des deux, il est évident qu'on n'a dans l'étendue de l'octave que cinq sons fondamentaux sur chacun desquels on puisse établir un mode authentique et un plagal. Outre ces dix modes on en trouve encore deux, l'un authentique, qui ne peut fournir de plagal, parce que sa quarte fait le triton; l'autre plagal, qui ne peut fournir d'authentique, parce que sa quinte est fausse. C'est peut-être ainsi qu'il faut entendre un passage de Plutarque où la musique se plaint que Phrynis l'a corrompue en voulant tirer de cinq cordes, ou plutôt de sept, douze harmonies différentes.
Voilà donc douze modes possibles dans l'étendue d'une octave ou de deux tétracordes disjoints: que si l'on vient à conjoindre les deux tétracordes, c'est-à-dire à donner un bémol à la septième en retranchant [-436-] l'octave; ou si l'on divise les tons entiers par les intervalles chromatiques, pour y introduire de nouveaux modes intermédiaires; ou si, ayant seulement égard aux différences du grave à l'aigu, on place d'autres modes à l'octave des précédents: tout cela fournira divers moyens de multiplier le nombre des modes beaucoup au-delà de douze. Et ce sont là les seules manières d'expliquer les divers nombres de modes admis ou rejetés par les anciens en divers temps.
L'ancienne musique ayant d'abord été renfermée dans les bornes étroites du tétracorde, du pentacorde, de l'exacorde, de l'eptacorde, et de l'octacorde, on n'y admit premièrement que trois modes dont les fondamentales étaient à un ton de distance l'une de l'autre: le plus grave des trois s'appelait le dorien; le phrygien tenait le milieu; le plus aigu était le lydien. En partageant chacun de ces tons en deux intervalles, on fit place à deux autres modes, l'ionien et l'éolien, dont le premier fut inséré entre le dorien et le phrygien, et le second entre le phrygien et le lydien.
Dans la suite, le système s'étant étendu à l'aigu et au grave, les musiciens établirent de part et d'autre de nouveaux modes, qui tiraient leur dénomination des cinq premiers, en y joignant la préposition hyper, sur, pour ceux d'en-haut, et la préposition hypo, sous, pour ceux d'en-bas. Ainsi le mode lydien était suivi de l'hyper-dorien, de l'hyper-ionien, de l'hyper-phrygien, de l'hyper-éolien, et de l'hyper-lydien, en montant; et après le mode dorien venaient l'hypo-lydien, l'hypo-éolien, l'hypo-phrygien, [-437-] l'hypo-ionien, et l'hypo-dorien en descendant. On trouve le dénombrement de ces quinze modes dans Alipius, auteur grec. Voyez (Planche E [ROUDIC4 06GF]) leur ordre et leurs intervalles exprimés par les noms des notes de notre musique. Mais il faut remarquer que l'hypo-dorien était le seul mode qu'on exécutait dans toute son étendue: à mesure que les autres s'élevaient, on en retranchait des sons à l'aigu pour ne pas excéder la portée de la voix. Cette observation sert à l'intelligence de quelques passages des anciens par lesquels ils semblent dire que les modes les plus graves avaient un chant plus aigu; ce qui était vrai en ce que ces chants s'élevaient davantage au-dessus de la tonique. Pour n'avoir pas connu cela le Doni s'est furieusement embarrassé dans ces apparentes contradictions.
De tous ces modes, Platon en rejetait plusieurs, comme capables d'altérer les moeurs. Aristoxène, au rapport d'Euclide, en admettait seulement treize, supprimant les deux plus élevés, savoir, l'hyper-éolien et l'hyper-lydien; mais dans l'ouvrage qui nous reste d'Aristoxène il en nomme seulement six, sur lesquels il rapporte les divers sentiments qui régnaient déjà de son tems.
Enfin Ptolomée réduisait le nombre de ces modes à sept, disant que les modes n'étaient pas introduits dans le dessein de varier les chants selon le grave et l'aigu, car il est évident qu'on aurait pu les multiplier fort au-delà de quinze, mais plutôt afin de faciliter le passage d'un mode à l'autre par des intervalles consonnants et faciles à entonner.
Il renfermait donc tous les Modes dans l'espace [-438-] d'une octave dont le mode dorien faisait comme le centre; en sorte que le mixo-lydien était une quarte au-dessous, et l'hypo-dorien une quarte au-dessous; le phrygien, une quinte au-dessus de l'hypo-dorien; l'hypo-phrygien, une quarte au-dessous du phrygien; et le lydien, une quinte au-dessus de l'hypo-phrygien: d'où il paraît qu'à compter de l'hypo-dorien, qui est le mode le plus bas, il y avait jusqu'à l'hypo-phrygien l'intervalle d'un ton; de l'hypo-phrygien à l'hypo-lydien, un autre ton; de l'hypo-lydien au dorien, un semi-ton; de celui-ci au phrygien, un ton; du phrygien au lydien encore un ton; et du lydien au mixo-lydien un semi-ton: ce qui fait l'étendue d'une septième, en cet ordre:
1. Fa mixo-lydien. 2. Mi lydien. 3. Re phrygien 4. Ut dorien. 5. Si hypo-lydien. 6. La hypo-phrygien. 7. Sol hypo-dorien.
Ptolomée retranchait tous les autres modes, prétendant qu'on n'en pouvait placer un plus grand nombre dans le système diatonique d'une octave, toutes les cordes qui la composaient se trouvant employées. Ce sont ces sept modes de Ptolomée, qui, en y joignant l'hypo-mixo-lydien, ajouté, dit-on, par l'Arétin, font aujourd'hui les huit tons du plain-chant. (Voyez Tons de l'église.)
Telle est la notion la plus claire qu'on peut tirer des tons ou modes de l'ancienne musique, en tant qu'on les regardait comme ne différant entre eux [-439-] que du grave à l'aigu: mais ils avaient encore d'autres différences qui les caractérisaient plus particulièrement, quant à l'expression; elles se tiraient du genre de poésie qu'on mettait en musique, de l'espèce d'instrument qui devait l'accompagner, du rhythme ou de la cadence qu'on y observait, de l'usage où étaient certains chants parmi certains peuples, et d'où sont venus originairement les noms des principaux modes, le dorien, le phrygien, le lydien, l'ionien, l'éolien.
Il y avait encore d'autres sortes de modes qu'on aurait pu mieux appeler styles ou genres de composition; tels étaient le mode tragique destiné pour le théâtre, le mode nomique consacré à Apollon, le dithyrambique à Bacchus, et cetera. (Voyez Style et Mélopée.)
Dans nos anciennes musiques, on appelait aussi modes, par rapport à la mesure ou au temps, certaines manières de fixer la valeur relative de toutes les notes par un signe général: le mode était à peu près alors ce qu'est aujourd'hui la mesure; il se marquait de même après la clef, d'abord par des cercles ou demi-cercles ponctués ou sans points suivis des chiffres 2 ou 3 différemment combinés, à quoi l'on ajouta ou subititua dans la suite des lignes perpendiculaires, différentes, selon le mode, en nombre et en longueur; et c'est de cet antique usage que nous est resté celui du C et du C barré. (Voyez Prolation.)
Il y avait en ce sens deux sortes de modes: le majeur, qui se rapportait à notre maxime; et le mineur, qui était pour la longue: l'un et l'autre se divisait en parfait et imparfait.
[-440-] Le mode majeur parfait se marquait avec trois lignes ou bâtons qui remplissaient chacun trois espaces de la portée, et trois autres qui n'en remplissaient que deux; sous ce mode la maxime valait trois longues. (Voyez Planche B, Figure 2 [ROUDIC4 03GF].)
Le mode majeur imparfait était marqué par lignes qui traversaient chacune trois espaces, et deux autres qui n'en traversaient que deux, et alors la maxime ne valait que deux longues. (Figure 3 [ROUDIC4 03GF].)
Le mode mineur parfait était marqué par une seule ligne qui traversait trois espaces, et la longue valait trois brèves. (Figure 4 [ROUDIC4 03GF].)
Le mode mineur imparfait était marqué par une ligne qui ne traversait que deux espaces, et la longue n'y valait que deux brèves. (Figure 5 [ROUDIC4 03GF].)
L'abbé Brossard a mêlé mal à propos les cercles et demi-cercles avec les figures de ces modes. Ces signes réunis n'avaient jamais lieu dans les modes simples, mais seulement quand les mesures étaient doubles ou conjointes.
Tout cela n'est plus en usage depuis long-temps; mais il faut nécessairement entendre ces signes pour savoir déchiffrer les anciennes musiques: en quoi les plus savants musiciens sont souvent fort embarrassés.
Modéré, adjectif. Ce mot indique un mouvement moyen entre le lent et le gai; il répond à l'italien andante. (Voyez Andante.)
Modulation, substantif féminin. C'est proprement la manière d'établir et traiter le mode; mais ce mot se prend plus communément aujourd'hui pour l'art de conduire l'harmonie et le chant successivement dans [-441-] plusieurs modes d'une manière agréable à l'oreille et conforme aux règles.
Si le mode est produit par l'harmonie, c'est d'elle aussi que naissent les lois de la modulation. Ces lois sont simples à concevoir, mais difficiles à bien observer. Voici en quoi elles consistent.
Pour bien moduler dans un même ton, il faut, premier en parcourir tous les sons avec un beau chant, en rebattant plus souvent les cordes essentielles et s'y appuyant davantage, c'est-à-dire que l'accord sensible et l'accord de la tonique doivent s'y remontrer fréquemment, mais sous différentes faces et par différentes routes, pour prévenir la monotonie; second n'établir de cadences ou de repos que sur ces deux accords, ou tout au plus sur celui de la sous-dominante; troisième enfin n'altérer jamais aucun des sons du mode; car on ne peut, sans le quitter, faire entendre un dièse ou un bémol qui ne lui appartienne pas, ou en retrancher quelqu'un qui lui appartienne.
Mais pour passer d'un ton à un autre, il faut consulter l'analogie, avoir égard au rapport des toniques et à la quantité des cordes communes aux deux tons.
Partons d'abord du mode majeur: soit que l'on considère la quinte de la tonique comme ayant avec elle le plus simple de tous les rapports après celui de l'octave, soit qu'on la considère comme le premier des sons qui entrent dans la résonnance de cette même tonique, on trouvera toujours que cette quinte, qui est la dominante du ton, est la corde sur laquelle on peut établir la modulation la plus analogue à celle du ton principal.
[-442-] Cette dominante, qui faisait partie de l'accord parfait de cette première tonique, fait aussi partie du sien propre, dont elle est le son fondamental. Il y a donc liaison entre ces deux accords. De plus, cette même dominante portant, ainsi que la tonique, un accord parfait majeur par le principe de la résonnance, ces deux accords ne diffèrent entre eux que par la dissonance, qui, de la tonique passant à la dominante, est la sixte-ajoutée, et, de la dominante repassant la tonique, est la septième. Or ces deux accords, ainsi distingués par la dissonance qui convient à chacun, forment, par les sons qui les composent rangés en ordre, précisément l'octave ou échelle diatonique que nous appellons gamme, laquelle détermine le ton.
Cette même gamme de la tonique forme, altérée seulement par un dièse, la gamme du ton de la dominante: ce qui montre la grande analogie de ces deux tons, et donne la facilité de passer de l'un à l'autre au moyen d'une seule altération. Le ton de la dominante est donc le premier qui se présente après celui de la tonique dans l'ordre des modulations.
La même simplicité de rapport que nous trouvons entre une tonique et sa dominante se trouve aussi entre la même tonique et sa sous-dominante; car la quinte que la dominante fait à l'aigu avec cette tonique, la sous-dominante la fait au grave: mais cette sous-dominante n'est quinte de la tonique que par renversement; elle est directement quarte en plaçant cette tonique au grave, comme elle doit être; ce qui établit la gradation des rapports: car en ce sens la quarte, dont le rapport [-443-] est de 3 à 4, suit immédiatement la quinte, dont le rapport est de 2 à 3. Que si cette sous-dominante n'entre pas de même dans l'accord de la tonique, en revanche la tonique entre dans le sien. Car soit ut mi sol l'accord de la tonique, celui de la sous-dominante sera fa la ut; ainsi c'est l'ut qui fait ici liaison, et les deux autres sons de ce nouvel accord sont précisément les deux dissonances des précédents. D'ailleurs il ne faut pas altérer plus de sons pour ce nouveau ton que pour celui de la dominante; ce sont dans l'une et dans l'autre toutes les mêmes cordes du ton principal, à un près. Donnez un bémol à la note sensible si, et toutes les notes du ton d'ut serviront à celui de fa. Le ton de la sous-dominante n'est donc guère moins analogue au ton principal que celui de la dominante.
On doit remarquer encore qu'après s'être servi de la première modulation pour passer d'un ton principal ut à celui de sa dominante sol, on est obligé d'employer la seconde pour revenir au ton principal: car si sol est dominante du ton d'ut, ut est sous-dominante du ton de sol; ainsi l'une de ces modulations n'est pas moins nécessaire que l'autre.
Le troisième son qui entre dans l'accord de la tonique est celui de sa tierce ou médiante, et c'est aussi le plus simple des rapports après les deux précédents 2/3 3/4 4/5. Voilà donc une nouvelle modulation qui se présente, et d'autant plus analogue que deux des sons de la tonique principale entrent aussi dans l'accord mineur de sa médiante; car le [-444-] premier accord étant ut mi sol, celui-ci sera mi sol si, où l'on voit que mi et sol sont communs.
Mais ce qui éloigne un peu cette modulation, c'est la quantité de sons qu'il y faut altérer, même pour le mode mineur, qui convient le mieux à ce mi. J'ai donné ci-devant la formule de l'échelle pour les deux modes: or, appliquant cette formule à mi mode mineur, on n'y trouve à la vérité que le quatrième son fa altéré par un dièse en descendant; mais, en montant, on en trouve encore deux autres, savoir, la principale tonique ut, et sa seconde note re, qui devient ici note sensible: il est certain que l'altération de tant de sons, et surtout de la tonique, éloigne le mode et affaiblit l'analogie.
Si l'on renverse la tierce comme on a renversé la quinte, et qu'on prenne cette tierce au-dessous de la tonique sur la sixième note la, qu'on devrait appeler aussi sous-médiante ou médiante en dessous, on formera sur ce la une modulation plus analogue au ton principal que n'était celle de mi; car l'accord parfait de cette sous-médiante étant la ut mi, on y retrouve, comme dans celui de la médiante, deux des sons qui entrent dans l'accord de la tonique, savoir, ut et mi; et de plus, l'échelle de ce nouveau ton étant composée, du moins en descendant, des mêmes sons que celle du ton principal, et n'ayant que deux sons altérés en montant, c'est-à-dire un de moins que l'échelle de la médiante, il s'ensuit que la modulation de la sixième note est préférable à celle de cette médiante, d'autant plus que la tonique principale y fait une des cordes essentielles du mode, ce qui est plus propre [-445-] à rapprocher l'idée de la modulation. Le mi peut venir ensuite.
Voilà donc quatre cordes mi sa sol la, sur chacune desquelles on peut moduler en sortant du ton majeur d'ut. Restent le re et le si, les deux harmoniques de la dominante. Ce dernier, comme note sensible, ne peut devenir tonique par aucune bonne modulation, du moins immédiatement: ce serait appliquer brusquement au même son des idées trop opposées et lui donner une harmonie trop éloignée de la principale. Pour la seconde note re, on peut encore, à la faveur d'une marche consonnante de la basse-fondamentale, y moduler en tierce mineure, pourvu qu'on n'y reste qu'un instant, afin qu'on n'ait pas le temps d'oublier la modulation de l'ut qui lui-même y est altéré; autrement il faudrait, au lieu de revenir immédiatement en ut, passer par d'autres tons intermédiaires, où il serait dangereux de s'égarer.
En suivant les mêmes analogies, on modulera dans l'ordre suivant pour sortir d'un ton mineur; la médiante premièrement, ensuite la dominante, la sous-dominante et la sous-médiante ou sixième note. Le mode de chacun de ces tons accessoires est déterminé par sa médiante prise dans l'échelle du ton principal. Par exemple, sortant d'un ton majeur ut pour moduler sur sa médiante, on fait mineur le mode de cette médiante, parce que la dominante sol du ton principal fait tierce mineure sur cette médiante mi: au contraire, sortant d'un ton mineur la, on module sur sa médiante ut en mode majeur, parce que la dominante mi, du ton [-446-] d'où l'on sort, fait tierce majeure sur la tonique de celui où l'on entre, et cetera.
Ces règles, renfermées dans une formule générale, sont que les modes de la dominante et de la sous-dominante soient semblables à celui de la tonique, et que la médiante et la sixième note portent le mode opposé. Il faut remarquer cependant qu'en vertu du droit qu'on a de passer du majeur au mineur, et réciproquement, dans un même ton, on peut aussi changer l'ordre du mode d'un ton à l'autre; mais, en s'éloignant ainsi de la modulation naturelle, il faut songer au retour: car c'est une règle générale que tout morceau de musique doit finir dans le ton par lequel il a commencé.
J'ai rassemblé dans deux exemples fort courts tous les tons dans lesquels on peut passer immédiatement; le premier, en sortant du mode majeur, et l'autre, en sortant du mode mineur. Chaque note indique une modulation, et la valeur des notes dans chaque exemple indique aussi la durée relative convenable à chacun de ces modes selon son rapport avec le ton principal. (Voyez Planche B, figure 6 et 7 [ROUDIC4 03GF].)
Ces modulations immédiates fournissent les moyens de passer par les mêmes règles dans des tons plus éloignés, et de revenir ensuite au ton principal, qu'il ne faut jamais perdre de vue. Mais il ne suffit pas de connaître les routes qu'on doit suivre, il faut savoir aussi comment y entrer. Voici le sommaire des préceptes qu'on peut donner en cette partie.
Dans la mélodie, il ne faut, pour annoncer la [-447-] modulation qu'on a choisie, que faire entendre les altérations qu'elle produit dans les sons du ton d'où l'on sort, pour les rendre propres au ton où l'on entre. Est-on en ut majeur, il ne faut que sonner un fa dièse pour annoncer le ton de la dominante, ou un si bémol pour annoncer le ton de la sous-dominante. Parcourez ensuite les cordes essentielles du ton où vous entrez; s'il est bien choisi, votre modulation sera toujours bonne et régulière.
Dans l'harmonie, il y a un peu plus de difficulté: car comme il faut que le changement de ton se fasse en même temps dans toutes les parties, on doit prendre garde à l'harmonie et au chant, pour éviter de suivre à la fois deux différentes modulations. Huygens a fort bien remarqué que la proscription des deux quintes consécutives a cette règle pour principe; en effet on ne peut guère former entre deux parties plusieurs quintes justes de suite sans moduler en deux tons différents.
Pour annoncer un ton, plusieurs prétendent qu'il suffit de former l'accord parfait de sa tonique, et cela est indispensable pour donner le mode; mais il est certain que le ton ne peut être bien déterminé que par l'accord sensible ou dominant: il faut donc faire entendre cet accord en commençant la nouvelle modulation. La bonne règle serait que la septième ou dissonance mineure y fût toujours préparée, au moins la première fois qu'on la fait entendre; mais cette règle n'est pas praticable dans toutes les modulations permises; et pourvu que la basse-fondamentale marche par intervalles [-448-] consonnants, qu'on observe la liaison harmonique, l'analogie du mode, et qu'on évite les fausses relations, la modulation est toujours bonne. Les compositeurs donnent pour une autre règle de ne changer de ton qu'après une cadence parfaite; mais cette règle est inutile, et personne ne s'y assujettit.
Toutes les manières possibles de passer d'un ton dans un autre se réduisent à cinq pour le mode majeur, et à quatre pour le mode mineur, lesquelles on trouvera énoncées par une basse-fondamentale pour chaque modulation dans la Planche B, figure 8 [ROUDIC4 03GF]. S'il y a quelque autre modulation qui ne revienne à aucune de ces neuf, à moins que cette modulation ne soit enharmonique, elle est mauvaise infailliblement. (Voyez Enharmonique.)
Moduler, verbe neutre. C'est composer ou préluder, soit par écrit, soit sur un instrument, soit avec la voix, en suivant les régles de la modulation. (Voyez Modulation.)
Moeurs, substantif féminin. Partie considérable de la musique des Grecs, appelée par eux hermosmenon, laquelle consistait à connaître et choisir le bienséant en chaque genre, et ne leur permettait pas de donner à chaque sentiment, à chaque objet, à chaque caractère toutes les formes dont il était susceptible, mais les obligeait de se borner à ce qui était convenable au sujet, à l'occasion, aux personnes, aux circonstances. Les moeurs consistaient encore à tellement accorder et proportionner dans une pièce toutes les parties de la musique, le mode, le temps, le rhythme, la mélodie, et même les changements, qu'on sentît dans le tout une certaine conformité [-449-] qui n'y laissât point de disparate, et le rendît parfaitement un. Cette seule partie, dont l'idée n'est pas même connue dans notre musique, montre à quel point de perfection devait être porté un art où l'on avait même réduit en règles ce qui est honnête, convenable et bienséant.
Moindre, adjectif. (Voyez Minime.)
Mol, adjectif. Épithète que donne Aristoxène et Ptolomée à une espèce du genre diatonique et à une espèce du genre chromatique dont j'ai parlé au mot Genre.
Pour la musique moderne, le mot mol n'y est employé que dans la composition du mot bémol ou B mol, par opposition au mot bécarre, qui jadis s'appelait aussi B dur.
Zarlin cependant appelle diatonique mol une espèce du genre diatonique dont j'ai parlé ci-devant. (Voyez Diatonique.)
Monocorde, substantif masculin. Instrument ayant une seule corde qu'on divise à volonté par des chevalets mobiles, lequel sert à trouver les rapports des intervalles et toutes les divisions du canon harmonique. Comme la partie des instruments n'entre point dans mon plan, je ne parlerai pas plus long-temps de celui-ci.
Monodie, substantif féminin. Chant à voix seule, par opposition à ce que les anciens appelaient chorodies, ou musiques exécutées par le choeur.
Monologue, substantif masculin. Scène d'opéra où l'auteur est seul et ne parle qu'avec lui-même. C'est dans les monologues que se déploient toutes les forces de la musique; le musicien pouvant s'y livrer à toute [-450-] l'ardeur de son génie, sans être gêné dans la longueur de ses morceaux par la présence d'un interlocuteur. Ces récitatifs obligés, qui font un si grand effet dans les opéra italiens, n'ont lieu que dans les monologues.
Monotonie, substantif féminin. C'est, au propre, une psalmodie ou un chant qui marche toujours sur le même ton; mais ce mot ne s'emploie guère que dans le figuré.
Monter, verbe neutre. C'est faire succéder les sons du bas en haut, c'est-à-dire, du grave à l'aigu. Cela se présente à l'oeil par notre manière de noter.
Motif, substantif masculin. Ce mot, francisé de l'italien motivo, n'est guère employé dans le sens technique que par les compositeurs: il signifie l'idée primitive et principale sur laquelle le compositeur détermine son sujet et arrange son dessin: c'est le motif qui, pour ainsi dire, lui met la plume à la main pour jeter sur le papier telle chose et non pas telle autre. Dans ce sens le motif principal doit être toujours présent à l'esprit du compositeur, et il doit faire en sorte qu'il le soit aussi toujours à l'esprit des auditeurs. On dit qu'un auteur bat la campagne lorsqu'il perd son motif de vue, et qu'il coud des accords ou des chants qu'aucun sens commun n'unit entre eux.
Outre ce motif, qui n'est que l'idée principale de la pièce, il y a des motifs particuliers qui sont les idées déterminantes de la modulation, des entrelacements, des textures harmoniques; et sur ces idées, que l'on pressent dans l'exécution, l'on juge si l'auteur a bien suivi ses motifs, ou s'il a pris le change, comme il arrive souvent à ceux qui procèdent [-451-] note après note, et qui manquent de savoir ou d'invention. C'est dans cette acception qu'on dit motif de fugue, motif de cadence, motif du changement de mode, et cetera.
Mottet, substantif masculin. Ce mot signifiait anciennement une composition fort recherchée, enrichie de toutes les beautés de l'art, et cela sur une période fort courte: d'où lui vient, selon quelques-uns, le nom de mottet, comme si ce n'était qu'un mot.
Aujourd'hui l'on donne le nom de mottet à toute pièce de musique faite sur des paroles latines à l'usage de l'Église romaine, comme psaumes, hymnes, antiennes, répons, et cetera. Et tout cela s'appelle en général musique latine.
Les Français réussissent mieux dans ce genre de musique que dans la française, la langue étant moins défavorable; mais ils y recherchent trop de travail, et, comme le leur a reproché l'abbé Dubos, ils jouent trop sur le mot. En général la musique latine n'a pas assez de gravité pour l'usage auquel elle est destinée; on n'y doit point rechercher l'imitation comme dans la musique théâtrale: les chants sacrés ne doivent point représenter le tumulte des passions humaines, mais seulement la majesté de celui à qui ils s'adressent, et l'égalité d'ame de ceux qui les prononcent. Quoi que puissent dire les paroles, toute autre expression dans le chant est un contre-sens. Il faut n'avoir, je ne dis pas aucune piété, mais je dis aucun goût pour préférer dans les églises la musique au plain-chant.
Les musiciens du treizième et du quatorzième siècle donnaient le nom de mottetus à la partie que [-452-] nous nommons aujourd'hui haute-contre. Ce nom et d'autres aussi étranges causent souvent bien de l'embarras à ceux qui s'appliquent à déchiffrer les anciens manuscrits de musique, laquelle ne s'écrivait pas en partition comme à présent.
Mouvement, substantif masculin. Degré de vitesse ou de lenteur que donne à la mesure le caractère de la pièce qu'on exécute. Chaque espèce de mesure a un mouvement qui lui est le plus propre, et qu'on désigne en italien par ces mots tempo giusto. Mais outre celui-là il y a cinq principales modifications de mouvement qui, dans l'ordre du lent au vite, s'expriment par les mots largo, adagio, andante, allegro, presto; et ces mots se rendent en francais par les suivants, lent, modéré, gracieux, gai, vite. Il faut cependant observer que, le mouvement ayant toujours beaucoup moins de précision dans la musique française, les mots qui le désignent y ont un sens beaucoup plus vague que dans la musique italienne.
Chacun de ces degrés se subdivise et se modifie encore en d'autres, dans lesquels il faut distinguer ceux qui n'indiquent que le degré de vitesse ou de lenteur, comme larghetto, andantino, allegretto, prestissimo, et ceux qui marquent de plus le caractère et l'expression de l'air, comme agitato, vivace, gustoso, con brio, et cetera. Les premiers peuvent être saisis et rendus par tous les musiciens, mais il n'y a que ceux qui ont du sentiment et du goût qui sentent et rendent les autres.
Quoique généralement les mouvements lents conviennent aux passions tristes, et les mouvemens animés aux passions gaies, il y a pourtant souvent [-453-] des modifications par lesquelles une passion parle sur le ton d'une autre: il est vrai toutefois que la gaieté ne s'exprime guère avec lenteur; mais souvent les douleurs les plus vives ont le langage le plus emporté.
Mouvement est encore la marche ou le progrès des sons du grave à l'aigu, ou de l'aigu au grave: ainsi quand on dit qu'il faut, autant qu'on le peut, faire marcher la basse et le dessus par mouvements contraires, cela signifie que l'une des parties doit monter tandis que l'autre descend. Mouvement semblable, c'est quand les deux parties marchent en même sens. Quelques-uns appellent mouvement oblique celui où l'une des parties reste en place tandis que l'autre monte ou descend.
Le savant Jérôme Mei, à l'imitation d'Aristoxène, distingue généralement dans la voix humaine deux sortes de mouvement: savoir, celui de la voix parlante, qu'il appelle mouvement continu, et qui ne se fixe qu'au moment qu'on se tait; et celui de la voix chantante, qui marche par intervalles déterminés, et qu'il appelle mouvement diastématique ou intervallatif.
Muances, substantif féminin. On appelle ainsi les diverses manières d'appliquer aux notes les syllabes de la gamme selon les diverses positions des deux semi-tons de l'octave, et selon les différentes routes pour y arriver. Comme l'Arétin n'inventa que six de ces syllabes, et qu'il y a sept notes à nommer dans une octave, il fallait nécessairement répéter le nom de quelque note; cela fit qu'on nomma toujours mi fa ou fa la les deux notes entre lesquelles [-454-] se trouvait un des semi-tons. Ces noms déterminaient en même temps ceux des notes les plus voisines, soit en montant, soit en descendant. Or, comme les deux semi-tons sont sujets à changer de place dans la modulation, et qu'il y a dans la musique une multitude de manières différentes de leur appliquer les six mêmes syllabes, ces manières s'appelaient muances, parce que les mêmes notes y changeaient incessamment de noms. (Voyez Gamme.)
Dans le siècle dernier on ajouta en France la syllabe si aux six premières de la gamme de l'Arétin. Par ce moyen, la septième note de l'échelle se trouvant nommée, les muances devinrent inutiles et furent proscrites de la musique française; mais chez toutes les autres nations, où, selon l'esprit du métier, les musiciens prennent toujours leur vieille routine pour la perfection de l'art, on n'a point adopté le si: et il y a apparence qu'en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, les muances serviront long-temps encore à la désolation des commençants.
Muances, dans la Musique ancienne. (Voyez Mutations.)
Musette, substantif féminin. Sorte d'air convenable à l'instrument de ce nom, dont la mesure est à deux ou trois temps, le caractère naïf et doux, le mouvement un peu lent, portant une basse pour l'ordinaire en tenue ou point d'orgue, telle que la peut faire une musette, et qu'on appelle à cause de cela basse de musette. Sur ces airs on forme des danses d'un caractère convenable, et qui portent aussi le nom de musettes.
[-455-] Musical, adjectif. Appartenant à la musique. (Voyez Musique.)
Musicalement, adverbe. D'une manière musicale, dans les règles de la musique. (Voyez Musique.)
Musicien, substantif masculin. Ce nom se donne également à celui qui compose la musique et à celui qui l'exécute. Le premier s'appelle aussi compositeur. (Voyez ce mot.)
Les anciens musiciens étaient des poètes, des philosophes, des orateurs du premier ordre: tels étaient Orphée, Terpandre, Stésichore, et cetera. Aussi Boëce ne veut-il pas honorer du nom de musicien celui qui pratique seulement la musique par le ministère servile des doigts et de la voix, mais celui qui possède cette science par le raisonnement et la spéculation: et il semble de plus que pour s'élever aux grandes expressions de la musique oratoire et imitative, il faudrait avoir fait une étude particulière des passions humaines et du langage de la nature. Cependant les musiciens de nos jours, bornés pour la plupart à la pratique des notes et de quelques tours de chant, ne seront guère offensés, je pense, quand on ne les tiendra pas pour de grands philosophes.
Musique, substantif féminin. Art de combiner les sons d'une manière agréable à l'oreille. Cet art devient une science, et mêmes très-profonde, quand on veut trouver les principes de ces combinaisons et les raisons des affections qu'elles nous causent. Aristide Quintilien définit la musique l'art du beau et de la décence dans les voix et dans les mouvements. Il n'est pas étonnant qu'avec des définitions si vagues [-456-] et si générales les anciens aient donné une étendue prodigieuse à l'art qu'ils définissaient ainsi.
On suppose communément que le mot de musique vient de musa, parce qu'on croit que les muses ont inventé cet art: mais Kircher, d'après Diodore, fait venir ce nom d'un mot égyptien, prétendant que c'est en Égypte que la musique a commencé à se rétablir après le déluge, et qu'on en reçut la première idée du son que rendaient les roseaux qui croissent sur les bords du Nil quand le vent soufflait dans leurs tuyaux. Quoi qu'il en soit de l'étymologie du nom, l'origine de l'art est certainement plus près de l'homme, et si la parole n'a pas commencé par du chant, il est sûr au moins qu'on chante partout où l'on parle.
La musique se divise naturellement en musique théorique ou spéculative, et en musique pratique.
La musique spéculative est, si l'on peut parler ainsi, la connaissance de la matière musicale, c'est-à-dire des différents rapports du gravé à l'aigu, du vite au lent, de l'aigre au doux, du fort au faible, dont les sons sont susceptibles; rapports qui, comprenant toutes les combinaisons possibles de la musique et des sons, semblent comprendre aussi toutes les causes des impressions que peut faire leur succession sur l'oreille et sur l'ame.
La musique pratique est l'art d'appliquer et mettre en usage les principes de la spéculative, c'est-à-dire de conduire et disposer les sons par rapport à la consonnance, à la durée, à la succession, de telle sorte que le tout produise sur l'oreille l'effet qu'on s'est proposé; c'est cet art qu'on [-457-] appelle composition. (Voyez ce mot.) A l'égard de la production actuelle des sons par les voix ou par les instruments, qu'on appelle exécution, c'est la partie purement mécanique et opérative, qui, supposant seulement la faculté d'entonner juste les intervalles, de marquer juste les durées, de donner aux sons le degré prescrit dans le ton et la valeur prescrite dans le temps, ne demande en rigueur d'autre connaissance que celle des caractères de la musique, et l'habitude de les exprimer.
La musique spéculative se divise en deux parties; savoir, la connaissance du rapport des sons ou de leurs intervalles, et celle de leurs durées relatives, c'est-à-dire de la mesure et du temps.
La première est proprement celle que les anciens ont appelée musique harmonique; elle enseigne en quoi consiste la nature du chant, et marque ce qui est consonnant, dissonant, agréable ou déplaisant dans la modulation; elle fait connaître en un mot les diverses manières dont les sons affectent l'oreille par leur timbre, par leur force, par leurs intervalles, ce qui s'applique également à leur accord et à leur succession.
La seconde a été appelée rhythmique, parce qu'elle traite des sons eu égard au temps et à la quantité: elle contient l'explication du rhythme, du mètre, des mesures longues et courtes, vives et lentes, des temps et des diverses parties dans lesquelles on les divise pour y appliquer la succession des sons.
La musique pratique se divise aussi en deux parties, qui répondent aux deux précédentes.
[-458-] Celle qui répond à la musique harmonique, et que les anciens appelaient mélopée, contient les règles pour combiner et varier les intervalles consonnants et dissonants d'une manière agréable et harmonieuse. (Voyez Mélopée.)
La seconde, qui répond à la musique rhythmique, et qu'ils appelaient rhythmopée, contient les règles pour l'application des temps, des pieds, des mesures, en un mot, pour la pratique du rhythme. (Voyez Rhythme.)
Porphyre donne une autre division de la musique, en tant qu'elle a pour objet le mouvement muet ou sonore, et, sans la distinguer en spéculative et pratique, il y trouve les six parties suivantes: la rhythmique, pour les mouvements de la danse; la métrique, pour la cadence et le nombre des vers; l'organique, pour la pratique des instruments; la poétique, pour les tons et l'accent de la poésie; l'hypocritique, pour les attitudes des pantomimes; et l'harmonique, pour le chant.
La musique se divise aujourd'hui plus simplement en mélodie et en harmonie; car la rhythmique n'est plus rien pour nous, et la métrique est très-peu de chose, attendu que nos vers dans le chant prennent presque uniquement leur mesure de la musique et perdent le peu qu'ils en ont par eux-mêmes.
Par la mélodie on dirige la succession des sons de manière à produire des chants agréables. (Voyez Mélodie, Chant, Modulation.)
L'harmonie consiste à unir à chacun des sons d'une succession régulière deux ou plusieurs autres [-459-] sons qui, frappant l'oreille en même temps, la flattent par leur concours. (Voyez Harmonie.)
On pourrait et l'on devrait peut-être encore diviser la musique en naturelle et imitative. La première, bornée au seul physique des sons et n'agissant que sur le sens, ne porte point ses impressions jusqu'au coeur, et ne peut donner que des sensations plus ou moins agréables: telle est la musique des chansons, des hymnes, des cantiques, de tous les chants qui ne sont que des combinaisons de sons mélodieux, et en genéral toute musique qui n'est qu'harmonieuse.
La seconde, par des inflexions vives, accentuées, et pour ainsi dire parlantes, exprime toutes les passions, peint tous les tableaux, rend tous les objets, soumet la nature entière à ses savantes imitations, et porte ainsi jusqu'au coeur de l'homme des sentiments propres à l'émouvoir. Cette musique vraiment lyrique et théâtrale était celle des anciens poèmes, et c'est de nos jours celle qu'on s'efforce d'appliquer aux drames qu'on exécute en chant sur nos théâtres. Ce n'est que dans cette musique, et non dans l'harmonique ou naturelle, qu'on doit chercher la raison des effets prodigieux qu'elle a produits autrefois. Tant qu'on cherchera des effets moraux dans le seul physique des sons, on ne les y trouvera point et l'on raisonnera sans s'entendre.
Les anciens écrivains diffèrent beaucoup entre eux sur la nature, l'objet, l'étendue et les parties de la musique. En général ils donnaient à ce mot un sens beaucoup plus étendu que celui qui lui [-460-] reste aujourd'hui: non-seulement sous le nom de musique ils comprenaient, comme on vient de le voir, la danse, le geste, la poésie, mais même la collection de toutes les sciences. Hermès définit la musique la connaissance de l'ordre de toutes choses; c'était aussi la doctrine de l'école de Pythagore et de celle de Platon, qui enseignaient que tout dans l'univers était musique. Selon Hésychius, les Athéniens donnaient à tous les arts le nom de musique; et tout cela n'est plus étonnant depuis qu'un musicien moderne a trouvé dans la musique le principe de tous les rapports et le fondement de toutes les sciences.
De là toutes ces musiques sublimes dont nous parlent les philosophes; musique divine, musique des hommes, musique céleste, musique terrestre, musique active, musique contemplative, musique énonciative, intellective, oratoire, et cetera.
C'est sous ces vastes idées qu'il faut entendre plusieurs passages des anciens sur la musique, qui seraient inintelligibles dans le sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot.
Il paraît que la musique a été l'un des premiers arts: on le trouve mêlé parmi les plus anciens monuments du genre humain. Il est très-vraisemblable aussi que la musique vocale a été trouvée avant l'instrumentale, si même il y a jamais eu parmi les anciens une musique vraiment instrumentale, c'est-à-dire faite uniquement pour les instruments. Non-seulement les hommes, avant d'avoir trouvé aucun instrument, ont dû faire des observations sur les différents tons de leur voix, [-461-] mais ils ont dû apprendre de bonne heure, par le concert naturel des oiseaux, à modifier leur voix et leur gosier d'une manière agréable et mélodieuse; après cela, les instruments à vent ont dû être les premiers inventés. Diodore et d'autres auteurs en attribuent l'invention à l'observation du sifflement des vents dans les roseaux ou autres tuyaux des plantes. C'est aussi le sentiment de Lucrèce:
At liquidas avium voces imitarier ore
Antè fuit multò, quàm laevia carmina cantu
Concelebrare homines possent, auresque juvare;
Et Zephyri cava per calamorum sibila primùm
Agrestes docuere cavas inflare sicutas.
Lucretius, De Natura rerum, Liber V.
A l'égard des autres sortes d'instruments, les cordes sonores sont si communes que les hommes en ont dû observer de bonne heure les différents tons; ce qui a donné naissance aux instruments à corde. (Voyez Corde.)
Les instruments qu'on bat pour en tirer du son, comme les tambours et les timbales, doivent leur origine au bruit sourd que rendent les corps creux quand on les frappe.
Il est difficile de sortir de ces généralités pour constater quelque fait sur l'invention de la musique réduite en art. Sans remonter au-delà du déluge, plusieurs anciens attribuent cette invention à Mercure, aussi-bien que celle de la lyre; d'autres veulent que les Grecs en soient redevables à Cadmus, qui, en se sauvant de la cour du roi de Phénicie, amena en Grèce la musicienne Hermione ou Harmonie; d'où il s'ensuivrait que cet art était [-462-] connu en Phénicie avant Cadmus. Dans un endroit du dialogue de Plutarque sur la musique, Lysias dit que c'est Amphion qui l'a inventée; dans un autre, Sotérique dit que c'est Apollon; dans un autre encore, il semble en faire honneur à Olympe: on ne s'accorde guère sur tout cela, et c'est ce qui n'importe pas beaucoup non plus. A ces premiers inventeurs succédèrent Chiron, Démodocus, Hermès, Orphée, qui, selon quelques-uns, inventa la lyre; après ceux-là vint Phoemius, puis Terpandre, contemporain de Lycurgue, et qui donna des règles à la musique: quelques personnes lui attribuent l'invention des premiers modes. Enfin l'on ajoute Thalès, et Thamiris, qu'on dit avoir été l'inventeur de la musique instrumentale.
Ces grands musiciens vivaient la plupart avant Homère: d'autres plus modernes sont Lasus d'Hermione, Melnippides, Philoxène, Timothée, Phrynnis, Épigonius, Lysandre, Simmicus et Diodore, qui tous ont considérablement perfectionné la musique.
Lasus est, à ce qu'on prétend, le premier qui ait écrit sur cet art du temps de Darius Hystaspe. Epigonius inventa l'instrument de quarante cordes qui portait son nom; Simicus inventa aussi un instrument de trente-cinq cordes, appelé simmicium.
Diodore perfectionna la flûte et y ajouta de nouveaux trous, et Timothée la lyre, en y ajoutant une nouvelle corde, ce qui le fit mettre à l'amende par les Lacédémoniens.
Comme les anciens auteurs s'expliquent fort obscurément [-463-] sur les inventeurs des instruments de musique, ils sont aussi fort obscurs sur les instruments mêmes: à peine en connaissons-nous autre chose que les noms. (Voyez Instrument.)
La musique était dans la plus grande estime chez divers peuples de l'antiquité, et principalement chez les Grecs, et cette estime était proportionnée à la puissance et aux effets surprenants qu'ils attribuaient à cet art. Leurs auteurs ne croient pas nous en donner une trop grande idée en nous disant qu'elle était en usage dans le ciel, et qu'elle faisait l'amusement principal des dieux et des ames des bienheureux. Platon ne craint pas de dire qu'on ne peut faire de changement dans la musique qui n'en soit un dans la constitution de l'état, et il prétend qu'on peut assigner les sons capables de faire naître la bassesse de l'ame, l'insolence, et les vertus contraires. Aristote, qui semble n'avoir écrit sa politique que pour opposer ses sentiments à ceux de Platon, est pourtant d'accord avec lui touchant la puissance de la musique sur les moeurs. Le judicieux Polybe nous dit que la musique était nécessaire pour adoucir les moeurs des Arcades, qui habitaient un pays où l'air est triste et froid; que ceux de Cynète, qui négligèrent la musique, surpassèrent en cruauté tous les Grecs, et qu'il n'y a point de ville où l'on ait tant vu de crimes. Athénée nous assure qu'autrefois toutes les loix divines et humaines, les exhortations à la vertu, la connaissance de ce qui concernait les dieux et les héros, les vies et les actions des hommes illustres, étaient écrites en vers et chantées publiquement [-464-] par des choeurs au son des instruments; et nous voyons, par nos livres sacrés que tels étaient, dès les premiers temps, les usages des Israélites. On n'avait point trouvé de moyen plus efficace pour graver dans l'esprit des hommes les principes de la morale et l'amour de la vertu; ou plutôt tout cela n'était point l'effet d'un moyen prémédité, mais de la grandeur des sentiments et de l'élévation des idées qui cherchaient, par des accents proportionnés, à se faire un langage digne d'elles.
La musique faisait partie de l'étude des anciens pythagoriciens: ils s'en servaient pour exciter le coeur à des actions louables, et pour s'enflammer de l'amour de la vertu. Selon ces philosophes, notre ame n'était pour ainsi dire formée que d'harmonie, et ils croyaient rétablir, par la moyen de l'harmonie sensuelle, l'harmonie intellectuelle et primitive des facultés de l'ame, c'est-à-dire celle qui, selon eux, existait en elle avant qu'elle animât nos corps, et lorsqu'elle habitait les cieux.
La musique est déchue aujourd'hui de ce degré de puissance et de majesté au point de nous faire douter de la vérité des merveilles qu'elle opérait autrefois, quoique attestées par les plus judicieux historiens et par les plus graves philosophes de l'antiquité. Cependant on retrouve dans l'histoire moderne quelques faits semblables. Si Timothée excitait les fureurs d'Alexandre par le mode phrygien, et les calmait par le mode lydien, une musique plus moderne renchérissait encore en excitant, dit-on, dans Eric, roi de Danemarck, une telle fureur qu'il tuait ses meilleurs domestiques: sans [-465-] doute ces malheureux étaient moins sensibles que leur prince à la musique, autrement il eût pu courir la moitié du danger. D'Aubigny rapporte une autre histoire toute pareille à celle de Timothée: il dit que, sous Henri III, le musicien Claudin, jouant aux noces du duc de Joyeuse sur le mode phrygien, anima, non le roi, mais un courtisan, qui s'oublia jusqu'à mettre la main aux armes en présence de son souverain; mais le musicien se hâta de le calmer en prenant le mode hypo-phrygien: cela est dit avec autant d'assurance que si le musicien Claudin avait pu savoir exactement en quoi consistait le mode phrygien et le mode hypo-phrygien.
Si notre musique a peu de pouvoir sur les affections de l'ame, en revanche elle est capable d'agir physiquement sur les corps; témoin l'histoire de la tarentule, trop connue pour en parler ici; témoin ce chevalier gascon dont parle Boyle, lequel, au son d'une cornemuse, ne pouvait retenir son urine; à quoi il faut ajouter ce que raconte le même auteur de ces femmes qui fondaient en larmes lorsqu'elles entendaient un certain ton dont le reste des auditeurs n'était point affecté: et je connais à Paris une femme de condition, laquelle ne peut écouter quelque musique que ce soit sans être saisie d'un rire involontaire et convulsif. On lit aussi dans l'Histoire de l'académie des sciences de Paris qu'un musicien fut guéri d'une violente fièvre par un concert qu'on fit dans sa chambre.
Les sons agissent même sur les corps inanimés, comme on le voit par le frémissement et la résonnance d'un corps sonore au son d'un autre avec lequel [-466-] il est accordé dans certain rapport. Morhoff fait mention d'un certain Petter, Hollandais, qui brisait un verre au son de sa voix. Kircher parle d'une grande pierre qui frémissait au son d'un certain tuyau d'orgue. Le Père Mersenne parle aussi d'une sorte de carreau que le jeu d'orgue ébranlait comme aurait pu faire un tremblement de terre. Boyle ajoute que les stalles tremblent souvent au son des orgues; qu'il les a senti frémir sous sa main au son de l'orgue ou de la voix, et qu'on l'a assuré que celles qui étaient bien faites tremblaient toutes à quelque ton déterminé. Tout le monde a ouï parler du fameux pilier d'une église de Reims, qui s'ébranle sensiblement au son d'une certaine cloche, tandis que les autres piliers restent immobiles; mais ce qui ravit au son l'honneur du merveilleux est que ce même pilier s'ébranle également quand on a ôté le batail de la cloche.
Tous ces exemples, dont la plupart appartiennent plus au son qu'à la musique, et dont la physique peut donner quelque explication, ne nous rendent point plus intelligibles ni plus croyables les effets merveilleux et presque divins que les anciens attribuent à la musique. Plusieurs auteurs se sont tourmentés pour tâcher d'en rendre raison: Wallis les attribue en partie à la nouveauté de l'art, et les rejette en partie sur l'exagération des auteurs; d'autres en font honneur seulement à la poésie; d'autres supposent que les Grecs, plus sensibles que nous par la constitution de leur climat ou par leur manière de vivre, pouvoient être émus de choses qui ne nous auraient nullement touchés.
[-467-] Monsieur Burette, même en adoptant tous ces faits, prétend qu'ils ne prouvent point la perfection de la musique qui les a produits; il n'y voit rien que de mauvais racleurs de village n'aient pu faire, selon lui, tout aussi bien que les premiers musiciens du monde.
La plupart de ces sentiments sont fondés sur la persuasion où nous sommes de l'excellence de notre musique, et sur le mépris que nous avons pour celle des anciens. Mais ce mépris est-il lui-même aussi bien fondé que nous le prétendons? c'est ce qui a été examiné bien des fois, et qui, vu l'obscurité de la matière et l'insuffisance des juges, aurait grand besoin de l'être mieux. De tous ceux qui se sont mêlés jusqu'ici de cet examen, Vossius, dans son traité de Viribus cantûs et rhythmi, paraît être celui qui a le mieux discuté la question et le plus approché de la vérité. J'ai jetté là-dessus quelques idées dans un autre écrit non public encore, où mes idées seront mieux placées que dans cet ouvrage, qui n'est pas fait pour arrêter le lecteur à discuter mes opinions.
On a beaucoup souhaité de voir quelques fragments de musique ancienne. Le Père Kircher et Monsieur Burette ont travaillé là-dessus à contenter la curiosité du public: pour le mettre plus à portée de profiter de leurs soins, j'ai transcrit dans la Planche C [ROUDIC4 04GF] deux morceaux de musique grecque, traduits en note moderne par ces auteurs. Mais qui osera juger de l'ancienne musique sur de tels échantillons? Je les suppose fidèles; je veux même que ceux qui voudraient en juger connaissent suffisamment le génie [-468-] et l'accent de la langue grecque: qu'ils réfléchissent qu'un Italien est jugé incompétent d'un air français, qu'un Français n'entend rien du tout à la mélodie italienne; puis qu'ils comparent les temps et les lieux, et qu'ils prononcent s'il l'osent.
Pour mettre le lecteur a portée de juger des divers accents musicaux des peuples, j'ai transcrit aussi dans la Planche [ROUDIC4 04GF] un air chinois tiré du Père du Halde, un air persan tiré du chevalier Chardin, et deux chansons des sauvages de l'Amérique, tirées du Père Mersenne. On trouvera dans tous ces morceaux une conformité de modulation avec notre musique, qui pourra faire admirer aux uns la bonté et l'universalité de nos règles, et peut-être rendre suspecte à d'autres l'intelligence ou la fidélité de ceux qui nous ont transmis ces airs.
J'ai ajouté dans la même Planche [ROUDIC4 04GF] le célèbre rans-des-vaches, cet air si chéri des Suisses qu'il fut défendu, sous peine de mort, de le jouer dans leurs troupes, parce qu'il faisait fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l'entendaient, tant il excitait en eux l'ardent desir de revoir leur pays. On chercherait en vain dans cet air les accens énergiques capables de produire de si étonnants effets: ces effets, qui n'ont aucun lieu sur les étrangers, ne viennent que de l'habitude, des souvenirs, de mille circonstances qui, retracées par cet air à ceux qui l'entendent, et leur rappelant leur pays, leurs anciens plaisirs, leur jeunesse, et toutes leurs façons de vivre, excitent en eux une douleur amère d'avoir perdu tout cela. La musique alors n'agit point précisément comme musique, mais comme [-469-] signe mémoratif. Cet air, quoique toujours le même, ne produit plus aujourd'hui les mêmes effets qu'il produisait ci-devant sur les Suisses, parce que, ayant perdu le goût de leur première simplicité, ils ne la regrettent plus quand ou la leur rappelle: tant il est vrai que ce n'est pas dans leur action physique qu'il faut chercher les plus grands effets des sons sur le coeur humain!
La manière dont les anciens notaient leur musique était établie sur un fondement très-simple, qui était le rapport des chiffres, c'est-à-dire par les lettres de leur alphabet; mais, au lieu de se borner sur cette idée à un petit nombre de caractères faciles à retenir, ils se perdirent dans des multitudes de signes différent dont ils embrouillèrent gratuitement leur musique; en sorte qu'ils avaient autant de manières de noter que de genres et de modes. Boëce prit dans l'alphabet latin des caractères correspondants à ceux des Grecs: le pape Grégoire perfectionna sa méthode. En 1024, Gui d'Arezzo, bénédictin, introduisit l'usage des portées (voyez Portée), sur les lignes desquelles il marqua les notes en forme de points (voyez Notes), désignant par leur position, l'élévation ou l'abaissement de la voix. Kircher cependant prétend que cette invention est antérieure à Gui; et, en effet, je n'ai pas vu dans les écrits de ce moine qu'il se l'attribue: mais il inventa la gamme, et appliqua aux notes de son exacorde les noms tirés de l'hymne de saint Jean-Baptiste, qu'elles conservent encore aujourd'hui (voyez Planche G, figure 2 [ROUDIC4 08GF]); enfin cet homme né pour la musique inventa différents [-470-] instruments appelés polyplectra, tels que le clavecin, l'épinette, la vielle, et cetera. (Voyez Gamme.)
Les caractères de la musique ont, selon l'opinion commune, reçu leur dernière augmentation considérable en 1330, temps où l'on dit que Jean de Muris, appelé mal à propos par quelques-uns Jean de Meurs ou de Muriâ, docteur de Paris, quoique Gesner le fasse Anglais, inventa les différentes figures des notes qui désignent la durée ou la quantité, et que nous appelons aujourd'hui rondes, blanches, noires, et cetera. Mais ce sentiment, bien que très-commun, me paraît peu fondé, à en juger par son traité de musique, intitulé Spéculum Musicae, que j'ai eu le courage de lire presque entier pour y constater l'invention que l'on attribue à cet auteur. Au reste, ce grand musicien a eu, comme le roi des poètes, l'honneur d'être réclamé par divers peuples; car les Italiens le prétendent aussi de leur nation, trompés apparemment par une fraude ou une erreur de Bontempi qui le dit Perugino au lieu de Parigino.
Lasus est ou paraît être, comme il est dit ci-dessus, le premier qui ait écrit sur la musique: mais son ouvrage est perdu, aussi-bien que plusieurs autres livres des Grecs et des Romains sur la même matière. Aristoxène, disciple d'Aristote et chef de secte en musique, est le plus ancien auteur qui nous reste sur cette science; après lui vient Euclide d'Alexandrie: Aristide Quintilien écrivait après Cicéron; Alypius vient ensuite; puis Gaudentius, Nicomaque et Bacchius.
[-471-] Marc Meibomius nous a donné une belle édition de ces sept auteurs grecs, avec la traduction latine et des notes.
Plutarque a écrit un dialogue sur la musique. Ptolomée, célèbre mathématicien, écrivit en grec les principes de l'harmonie vers le temps de l'empereur Antonin: cet auteur garde un milieu entre les pythagoriciens et les aristoxéniens. Long-temps après, Manuel Bryennius écrivit aussi sur le même sujet.
Parmi les Latins, Boëce a écrit du temps de Théodoric; et non loin du même temps, Martianus, Cassiodore et Saint Augustin.
Les Modernes sont en grand nombre; les plus connus sont, Zarlin, Salinas, Valgulio, Galilée, Mei, Doni, Kircher, Mersenne, Parràn, Perrault, Wallis, Descartes, Holder, Mengoli, Malcolm, Burette, Valloti; enfin Monsieur Tartini, dont le livre est plein de profondeur, de génie, de longueurs et d'obscurité; et Monsieur Rameau, dont les écrits ont ceci de singulier qu'ils ont fait une grande fortune sans avoir été lus de personne. Cette lecture est d'ailleurs devenue absolument superflue depuis que Monsieur d'Alembert a pris la peine d'expliquer au public le système de la basse-fondamentale, la seule chose utile et intelligible qu'on trouve dans les écrits de ce musicien.
Mutations ou Muances, [metabolai]. On appelait ainsi dans la musique ancienne généralement tous les passages d'un ordre ou d'un sujet de chant à un autre. Aristoxène définit la mutation une espèce de passion dans l'ordre de la mélodie; Bacchius, un [-472-] changement de sujet, ou la transposition du semblable dans un lieu dissemblable; Aristide Quintilien, une variation dans le système proposé et dans le caractère de la voix; Martianus Capella, une transition de la voix dans un autre ordre de sons.
Toutes ces définitions obscures et trop générales ont besoin d'être éclaircies par les divisions; mais les auteurs ne s'accordent pas mieux sur ces divisions que sur la définition même. Cependant on recueille à peu près que toutes ces mutations pouvaient se réduire à cinq espèces principales: première mutation dans le genre, lorsque le chant passait, par exemple, du diatonique au chromatique ou à l'enharmonique, et réciproquement; seconde dans le système, lorsque la modulation unissait deux tétracordes disjoints ou en séparait deux conjoints; ce qui revient au passage du bécarre au bémol, et réciproquement; troisième dans le mode, quand on passait par exemple, du dorien au phrygien ou au lydien, et réciproquement, et cetera; quatrième dans le rhythme, quand on passait du vite au lent, ou d'une mesure à une autre; cinquième enfin dans la mélopée, lorsqu'on interrompait un chant grave, sérieux, magnifique, par un chant enjoué, gai impétueux, et cetera.
Fin du tome premier du Dictionnaire de Musique.