TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Rousseau, Jean-Jacques
Title: Dictionnaire de Musique, Tome second, N-R
Source: Oeuvres complètes de J. J. Rousseau, mises dans un nouvel ordre, avec des notes historiques et des éclaircissements, 26 vols., Beaux-arts: Dictionnaire de musique, Tome second, ed. V. D. Musset-Pathay (Paris: P. Dupont, 1824), 13:1-155.
Graphics: ROUDIC3 01GF
[-1-] Dictionnaire de musique.
Ut psallendi materiem discerent.
Martianus Capella
N-Z.
[-3-] Dictionnaire de musique.
N.
Naturel, adjectif. Ce mot en musique a plusieurs sens. Premier Musique naturelle est celle que forme la voix humaine par opposition à la musique artificielle qui s'exécute avec des instruments. Second On dit qu'un chant est naturel quand il est aisé, doux, gracieux, facile; qu'une harmonie est naturelle quand elle a peu de renversements, de dissonances, qu'elle est produite par les cordes essentielles et naturelles du mode. Troisième Naturel se dit encore de tout chant qui n'est ni forcé ni baroque; qui ne va ni trop haut ni trop bas, ni trop vite ni trop lentement. Quatrième Enfin la signification la plus commune de ce mot, et la seule dont l'abbé Brossard n'a point parlé, s'applique aux tons ou modes dont les sons se tirent de la gamme ordinaire sans aucune altération: de sorte qu'un mode naturel est celui où l'on n'emploie ni dièse ni bémol. Dans le sens exact il n'y aurait qu'un seul ton naturel, qui serait celui d'ut ou de C tierce majeure; mais on étend le nom de naturels à tous les tons dont les cordes essentielles, ne portant ni dièses ni bémols, permettent qu'on n'arme la clef ni de l'un ni de l'autre; tels sont les modes majeurs de G et de F, les modes mineurs [-4-] d'A et de D, et cetera. (Voyez Clefs transposées, Modes, Transpositions.)
Les Italiens notent toujours leurs récitatifs au naturel, les changements de tons y étant si fréquents, et les modulations si serrées que, de quelque manière qu'on armât la clef pour un mode, on n'épargnerait ni dièses ni bémols pour les autres, et l'on se jetterait pour la suite de la modulation dans des confusions de signes très-embarrassantes, lorsque les notes altérées à la clef par un signe se trouveraient altérées par le signe contraire accidentellement. (Voyez Récitatif.)
Solfier au naturel. C'est solfier par les noms naturels des sons de la gamme ordinaire, sans égard au ton où 1'on est. (Voyez Solfier.)
Nète, substantif féminin. C'était, dans la musique grecque, la quatrième corde ou la plus aiguë de chacun des trois tétracordes qui suivaient les deux premiers du grave à l'aigu.
Quand le troisième tétracorde était conjoint avec le second, c'était le tétracorde synnéménon, et sa nète s'appelait nète-synnéménon.
Ce troisième tétracorde portait le nom de diézeugménon quand il était disjoint ou séparé du second par l'intervalle d'un ton, et sa nète s'appelait nète-diézeugménon.
Enfin le quatrième tétracorde portant toujours le nom d'hyperboléon, sa nète s'appelait aussi toujours nète-hyperboléon.
A l'égard des deux premiers tétracordes, comme ils étaient toujours conjoints, ils n'avaient point de [-5-] nète ni l'un ni l'autre: la quatrième corde du premier, étant toujours la première du second, s'appelait hypate-méson; et la quatrième corde du second, formant le milieu du système, s'appelait mèse.
Nète, dit Boëce, quasi neate, id est inferior; car les anciens, dans leurs diagrammes, mettaient en haut les sons graves, et en bas les sons aigus.
Nétoïdes. Sons aigus. (Voyez Lepsis.)
Neume, substantif féminin. Terme de plain-chant. La neume est une espèce de courte récapitulation du chant d'un mode, laquelle se fait à la fin d'une antienne par une simple variété de sons et sans y joindre aucunes paroles. Les catholiques autorisent ce singulier usage sur un passage de saint Augustin, qui dit que, ne pouvant trouver des paroles dignes de plaire à Dieu, l'on fait bien de lui adresser des chants confus de jubilation; "Car à qui convient une telle jubilation sans paroles, si ce n'est à l'Être ineffable? et comment célébrer cet Être ineffable, lorsqu'on ne peut ni se taire, ni rien trouver dans ses transports qui les exprime, si ce n'est des sons inarticulés?"
Neuvième, substantif féminin. Octave de la seconde. Cet intervalle porte le nom de neuvième, parce qu'il faut former neuf sons consécutifs pour arriver diatoniquement d'un de ses deux termes à l'autre. La neuvième est majeure ou mineure comme la seconde dont elle est la réplique. (Voyez Seconde.)
Il y a un accord par supposition qui s'appelle accord de neuvième, pour le distinguer de l'accord [-6-] de seconde, qui se prépare, s'accompagne, et se sauve différemment. L'accord de neuvième est formé par un son mis à la basse une tierce au-dessous de l'accord de septième; ce qui fait que la septième elle-même fait neuvième sur ce nouveau son. La neuvième s'accompagne par conséquent de tierce, de quinte, et quelquefois de septième. La quatrième note du ton est généralement celle sur laquelle cet accord convient le mieux, mais on la peut placer partout dans des entrelacements harmoniques. La basse doit toujours arriver en montant à la note qui porte neuvième; la partie qui fait la neuvième doit syncoper, et sauve cette neuvième comme une septième en descendant diatoniquement d'un degré sur l'octave, si la basse reste en place; ou sur la tierce, si la basse descend de tierce. (Voyez Accord, Supposition, Syncope.)
En mode mineur l'accord sensible sur la médiante perd le nom d'accord de neuvième et prend celui de quinte superflue. (Voyez Quinte superflue.)
Niglarien, adjectif. Nom d'un nome ou chant d'une mélodie efféminée et molle, comme Aristophane le reproche à Philoxène son auteur.
Noels. Sortes d'airs destinés à certains cantiques que le peuple chante aux fêtes de Noël. Les airs des noëls doivent avoir un caractère champêtre et pastoral convenable à la simplicité des paroles, et à celles des bergers qu'on suppose les avoir chantés en allant rendre hommage à l'enfant Jésus dans la crèche.
Noeuds. On appelle noeuds les points fixes dans [-7-] lesquels une corde sonore mise en vibration se divise en aliquotes vibrantes qui rendent un autre son que celui de la corde entière. Par exemple, si de deux cordes, dont l'une sera triple de l'autre, on fait sonner la plus petite, la grande répondra, non par le son qu'elle a comme corde entière, mais par l'unisson de la plus petite, parce qu'alors cette grande corde, au lieu de vibrer dans sa totalité, se divise, et ne vibre que par chacun de ses tiers. Les points immobiles qui sont les divisions et qui tiennent en quelque sorte lieu de chevalets, sont ce que Monsieur Sauveur a nommé les noeuds, et il a nommé ventre les points milieux de chaque aliquote où la vibration est la plus grande, et où la corde s'écarte le plus de la ligne de repos.
Si, au lieu de faire sonner une autre corde plus petite, on divise la grande au point d'une de ses aliquotes par un obstacle léger qui la gêne sans l'assujettir, le même cas arrivera encore en faisant sonner une des deux parties; car alors les deux résonneront à l'unisson de la petite, et l'on verra les mêmes noeuds et les mêmes ventres que ci-devant.
Si la petite partie n'est pas aliquote immédiate de la grande, mais qu'elles aient seulement une aliquote commune, alors elles se diviseront toutes deux selon cette aliquote commune, et l'on verra des noeuds et des ventres, même dans la petite partie.
Si les deux parties sont incommensurables, c'est-à-dire qu'elles n'aient aucune aliquote commune, alors il n'y aura aucune résonnance, ou il n'y aura [-8-] que celle de la petite partie, à moins qu'on ne frappe assez fort pour forcer l'obstacle et faire résonner la corde entière.
Monsieur Sauveur trouva le moyen de montrer ces ventres et ces noeuds à l'académie d'une manière très-sensible en mettant sur la corde des papiers de deux couleurs, l'une aux divisions des noeuds, et l'autre au milieu des ventres; car alors au son de l'aliquote on voyait toujours tomber les papiers des ventres, et ceux des noeuds rester en place. (Voyez Planche M, figure 6 [ROUDIC4 13GF].)
Noire, substantif féminin. Note de musique qui se fait ainsi [signum] ou ainsi [signum], et qui vaut deux croches ou la moitié d'une blanche. Dans nos anciennes musiques, on se servait de plusieurs sortes de noires, noire à queue, noire carrée, noire en losange. Ces deux dernières espèces sont demeurées dans le plain-chant; mais dans la musique on ne se sert plus que de la noire à queue. (Voyez Valeur des notes.)
Nome, substantif masculin. Tout chant déterminé par des règles qu'il n'était pas permis d'enfreindre portait chez les Grecs le nom de nome.
Les nomes empruntaient leur dénomination, premier ou de certains peuples, nome éolien, nome lydien; second ou de la nature du rhythme, nome orthien, nome dactylique, nome trochaïque; troisième ou de leurs inventeurs, nome hiéracien, nome polymnestan; quatrième ou de leurs sujets, nome pythien, nome comique; cinquième ou enfin de leur mode, nome hypatoïde, ou grave, nome nétoïde, ou aigu, et cetera.
[-9-] Il y avait des nomes bipartites qui se chantaient sur deux modes; il y avait même un nome appelé tripartite, duquel Sacadas ou Clonas fut l'inventeur, et qui se chantait sur trois modes, savoir, le dorien, le phrygien, et le lydien. (Voyez Chanson, Mode.)
Nomion. Sorte de chanson d'amour chez les Grecs. (Voyez Chanson.)
Nomique, adjectif. Le mode nomique, ou le genre de style musical qui portait ce nom, était consacré, chez les Grecs, à Apollon, dieu des vers et des chansons, et l'on tâchait d'en rendre les chants brillants et dignes du dieu auquel ils étaient consacrés. (Voyez Mode, Mélopée, Style.)
Noms des notes. (Voyez Solfier.)
Notes, substantif féminin. Signes ou caractères dont on se sert pour noter, c'est-à-dire pour écrire la musique.
Les Grecs se servaient des lettres de leur alphabet pour noter leur musique. Or, comme ils avaient vingt-quatre lettres, et que leur plus grand système, qui dans un même mode n'était que de deux octaves, n'excédait pas le nombre de seize sons, il semblerait que l'alphabet devait être plus que suffisant pour les exprimer, puisque leur musique n'étant autre chose que leur poésie notée, le rhythme était suffisamment déterminé par le mètre, sans qu'il fût besoin pour cela de valeurs absolues et de signes propres à la musique; car, bien que par surabondance ils eussent aussi des caractères pour marquer les divers pieds, il est certain que la musique vocale n'en avait aucun besoin; et la musique [-10-] instrumentale n'étant qu'une musique vocale jouée par des instruments, n'en avait pas besoin non plus lorsque les paroles étaient écrites ou que le symphoniste les savait par coeur.
Mais il faut remarquer, en premier lieu, que les deux mêmes sons étant tantôt à l'extrémité et tantôt au milieu du troisième tétracorde, selon le lieu où se faisait la disjonction (voyez ce mot), on donnait à chacun de ces sons des noms et des signes qui marquaient ces diverses situations; secondement, que ces seize sons n'étaient pas tous les mêmes dans les trois genres, qu'il y en avait de communs aux trois, et de propres à chacun, et qu'il fallait, par conséquent, des notes pour exprimer ces différences; troisièmement, que la musique se notait pour les instruments autrement que pour les voix, comme nous avons encore aujourd'hui, pour certains instruments à cordes, une tablature qui ne ressemble en rien à celle de la musique ordinaire; enfin que les anciens ayant jusqu'à quinze modes différents, selon le dénombrement d'Alypius (voyez Mode), il fallut approprier des caractères à chaque mode, comme on le voit dans les tables du même auteur. Toutes ces modifications exigeaient des multitudes de signes auxquels les vingt-quatre lettres étaient bien éloignées de suffire: de là la nécessité d'employer les mêmes lettres pour plusieurs sortes de notes; ce qui les obligea de donner à ces lettres différentes situations, de les accoupler, de les mutiler, de les alonger en divers sens. Par exemple, la lettre pi, [-11-] écrite de toutes ces manières,
[Rousseau, Dictionnaire N-Z, 11] [ROUDIC3 01GF],
exprimait cinq différentes notes. En combinant toutes les modifications qu'exigeaient ces diverses circonstances, on trouve jusqu'à 1620 différentes notes; nombre prodigieux, qui devait rendre l'étude de la musique de la plus grande difficulté. Aussi l'était-elle, selon Platon, qui veut que les jeunes gens se contentent de donner deux ou trois ans à la musique, seulement pour en apprendre les rudiments. Cependant les Grecs n'avaient pas un si grand nombre de caractères, mais la même note avait quelquefois différentes significations selon les occasions: ainsi le même caractère qui marque la proslambanomène du mode lydien marque la parhypate-méson du mode hypo-iastien, l'hypate-méson de l'hypo-phrygien, le lychanos-hypaton de l'hypo-lydien, la parhypate-hypaton de l'iastien, et l'hypate-hypaton du phrygien. Quelquefois aussi la note change, quoique le son reste le même; comme, par exemple, la proslambanomène de l'hypo-phrygien, laquelle a un même signe dans les modes hyper-phrygien, hyper-dorien, phrygien, dorien, hypo-phygien, et hypo-dorien, et un autre même signe dans les modes lydien et hypo-lydien.
On trouvera (Planche H, figure 1 [ROUDIC4 09GF]) la table des notes du genre diatonique dans le mode lydien, qui était le plus usité; ces notes, ayant été préférées à celles des autres modes par Bacchius, suffisent pour entendre tous les exemples qu'il donne dans son ouvrage; et, la musique des Grecs n'étant plus en usage, cette table suffit aussi pour désabuser le [-12-] public, qui croit leur manière de noter tellement perdue que cette musique nous serait maintenant impossible à déchiffrer. Nous la pourrions déchiffrer tout aussi exactement que les Grecs mêmes auraient pu faire, mais la phraser, l'accentuer, l'entendre, la juger, voilà ce qui n'est plus possible à personne et qui ne le deviendra jamais. En toute musique, ainsi qu'en toute langue, déchiffrer et lire sont deux choses très-différentes.
Les Latins, qui, à l'imitation des Grecs, notèrent aussi la musique avec les lettres de leur alphabet, retranchèrent beaucoup de cette quantité de notes; le genre enharmonique ayant tout-à-fait cessé d'être pratiqué, et plusieurs modes n'étant plus en usage, il paraît que Boëce établit l'usage de quinze lettres seulement; et Grégoire, évêque de Rome, considérant que les rapports des sons sont les mêmes dans chaque octave, réduisit encore ces quinze notes aux sept premières lettres de l'alphabet, que l'on répétait en diverses formes d'une octave à l'autre.
Enfin, dans l'onzième siècle, un bénédictin d'Arezzo, nommé Gui, substitua à ces lettres des points posés sur différentes lignes parallèles à chacune desquelles une lettre servait de clef. Dans la suite on grossit ces points, on s'avisa d'en poser aussi dans les espaces compris entre ces lignes, et l'on multiplia selon le besoin ces lignes et ces espaces. (Voyez Portée.) A l'égard des noms donnés aux notes, voyez Solfier.
Les notes n'eurent, durant un certain temps, [-13-] d'autre usage que de marquer les degrés et les différences de l'intonation. Elles étaient toutes, quant à la durée, d'égale valeur, et ne recevaient, à cet égard, d'autres différences que celles des syllabes longues et brèves sur lesquelles on les chantait: c'est-à-peu près dans cet état qu'est demeuré le plain-chant des catholiques jusqu'à ce jour; et la musique des psaumes, chez les protestants, est plus imparfaite encore, puisqu'on n'y distingue pas même dans l'usage les longues des brèves, ou les rondes des blanches, quoiqu'on y ait conservé ces deux figures.
Cette indistinction de figures dura, selon l'opinion commune, jusqu'en 1338, que Jean de Muris, docteur et chanoine de Paris, donna, à ce qu'on prétend, différentes figures aux notes, pour marquer les rapports de durée qu'elles devaient avoir entre elles: il inventa aussi certains signes de mésure, appelés modes ou prolations, pour déterminer, dans le cours d'un chant, si le rapport des longues aux brèves serait double ou triple, et cetera. Plusieurs de ces figures ne subsistent plus; on leur en a substitué d'autres en différents temps. (Voyez Mesure, Temps, Valeur des notes.) Voyez aussi, au mot Musique, ce que j'ai dit de cette opinion.
Pour lire la musique écrite par nos notes, et la rendre exactement, il y a huit choses à considérer: savoir, premier La clef et sa position; second les dièses ou bémols qui peuvent l'accompagner; troisième le lieu ou la position de chaque note; quatrième son intervalle, c'est-à-dire son rapport à celle qui précède, ou à la tonique, [-14-] ou à quelque note fixe dont on ait le ton; cinquième sa figure, qui détermine sa valeur; sixième le temps où elle se trouve et la place qu'elle y occupe; septième le dièse, bémol ou bécarre accidentel qui peut la précéder; huitième l'espèce de la mesure et le caractère du mouvement: et tout cela sans compter ni la parole ou la syllabe à laquelle appartient chaque note, ni l'accent ou l'expression convenable au sentiment ou à la pensée. Une seule de ces huit observations omise peut faire détonner ou chanter hors de mesure.
La musique a eu le sort des arts qui ne se perfectionnent que lentement. Les inventeurs des notes n'ont songé qu'à l'état où elle se trouvait de leur temps, sans songer à celui où elle pouvait parvenir, et dans la suite leurs signes se sont trouvés d'autant plus défectueux que l'art s'est plus perfectionné. A mesure qu'on avançait on établissait de nouvelles règles pour remédier aux inconvénients présents; en multipliant les signes on a multiplié les difficultés, et, à force d'additions et de chevilles, on a tiré d'un principe assez simple un système fort embrouillé et fort mal assorti.
On peut en réduire les défauts à trois principaux. Le premier est dans la multitude des signes et de leurs combinaisons, qui surchargent tellement l'esprit et la mémoire des commençants, que l'oreille est formée et les organes ont acquis l'habitude et la facilité nécessaires long-temps avant qu'on soit en état de chanter à livre ouvert; d'où il suit que la difficulté est toute dans l'attention aux [-15-] règles, et nullement dans l'exécution du chant. Le second est le peu d'évidence dans l'espèce des intervalles, majeurs, mineurs, diminués, superflus, tous indistinctement confondus dans les mêmes positions, défaut d'une telle influence, que non-seulement il est la principale cause de la lenteur du progrès des écoliers, mais encore qu'il n'est aucun musicien formé qui n'en soit incommodé dans l'exécution. Le troisième est l'extrême diffusion des caractères et le trop grand volume qu'ils occupent; ce qui, joint à ces lignes, à ces portées si incommodes à tracer, devient une source d'embarras de plus d'une espèce. Si le premier avantage des signes d'institution est d'être clairs, le second est d'être concis: quel jugement doit-on porter d'un ordre de signes à qui l'un et l'autre manquent?
Les musiciens, il est vrai, ne voient point tout cela; l'usage habitue à tout: la musique pour eux n'est pas la science des sons, c'est celle des noires, des blanches, des croches, et cetera; dès que ces figures cesseraient de frapper leurs yeux, ils ne croiraient plus voir de la musique: d'ailleurs ce qu'ils ont appris difficilement, pourquoi le rendraient-ils facile aux autres? Ce n'est donc pas le musicien qu'il faut consulter ici, mais l'homme qui sait la musique, et qui a réfléchi sur cet art.
Il n'y a pas deux avis dans cette dernière classe sur les défauts de notre note; mais ces défauts sont plus aisés à connaître qu'à corriger. Plusieurs ont tenté jusqu'à présent cette correction sans succès. Le public, sans discuter beaucoup l'avantage des [-16-] signes qu'on lui propose, s'en tient à ceux qu'il trouve établis, et préférera toujours une mauvaise manière de savoir à une meilleure d'apprendre.
Ainsi de ce qu'un nouveau système est rebuté, cela ne prouve autre chose sinon que l'auteur est venu trop tard; et l'on peut toujours discuter et comparer les deux systèmes, sans égard en ce point au jugement du public.
Toutes les manières de noter qui n'ont pas eu pour première loi l'évidence des intervalles ne me paraissent pas valoir la peine d'être relevées. Je ne m'arrêterai donc point à celle de Monsieur Sauveur, qu'on peut voir dans les Mémoires de l'académie des sciences, année 1721, ni à celle de Monsieur Demaux, donnée quelques années après: dans ces deux systèmes, les intervalles étant exprimés par des signes tout-à-fait arbitraires, et sans aucun vrai rapport à la chose représentée, échappent aux yeux les plus attentifs, et ne peuvent se placer que dans la mémoire; car que font des têtes différemment figurées, et des queues différemment dirigées, aux intervalles qu'elles doivent exprimer? De tels signes n'ont rien en eux qui doive les faire préférer à d'autres; la netteté de la figure et le peu de place qu'elle occupe sont des avantages qu'on peut trouver dans un système tout différent: le hasard a pu donner les premiers signes, mais il faut un choix plus propre à la chose dans ceux qu'on leur veut substituer. Ceux qu'on a proposés, en 1743, dans un petit ouvrage intitulé, Dissertation sur la Musique moderne, ayant cet avantage, leur simplicité [-17-] m'invite à en exposer le système abrégé dans cet article.
Les caractères de la musique ont un double objet; savoir, de représenter les sons, premier selon leurs divers intervalles du grave à l'aigu, ce qui constitue le chant et l'harmonie; second et selon leurs durées relatives du vite au lent; ce qui détermine le temps et la mesure.
Pour le premier point, de quelque manière que l'on retourne et combine la musique écrite et régulière, on n'y trouvera jamais que des combinaisons des sept notes de la gamme portées à diverses octaves, ou transposées sur différents degrés selon le ton et le mode qu'on aura choisis. L'auteur exprime ces sept sons par les sept premiers chiffres; de sorte que le chiffre 1 forme la note ut, le 2 la note re, le 3, la note mi, et cetera; et il les traverse d'une ligne horizontale, comme on voit dans la Planche F, figure 1 [ROUDIC4 07GF].
Il écrit au-dessus de la ligne les notes qui, continuant de monter, se trouveraient dans l'octave supérieure; ainsi l'ut qui suivrait immédiatement le si en montant d'un semi-ton, doit être au-dessus de la ligne de cette manière [71/_]; et de même les notes qui appartiennent à l'octave aiguë, dont cet ut est le commencement, doivent toutes être au-dessus de la même ligne. Si l'on entrait dans une troisième octave à l'aigu, il ne faudrait qu'en traverser les notes par une seconde ligne accidentelle au-dessus de la première. Voulez-vous, au contraire, descendre dans les octaves inférieures à [-18-] celle de la ligne principale, écrivez immédiatement au-dessous de cette ligne les notes de l'octave qui la suit en descendant: si vous descendez encore d'une octave, ajoutez une ligne au-dessous, comme vous en avez mis une au-dessus pour monter, et cetera. Au moyen de trois lignes seulement vous pouvez parcourir l'étendue de cinq octaves, ce qu'on ne saurait faire dans la musique ordinaire à moins de 18 lignes.
On peut même se passer de tirer aucune ligne. On place toutes les notes horizontalement sur le même rang; si l'on trouve une note qui passe, en montant, le si de l'octave où l'on est, c'est-à-dire qui entre dans l'octave supérieure, on met un point sur cette note: ce point suffit pour toutes les notes suivantes qui demeurent sans interruption dans l'octave où l'on est entré. Que si l'on redescend d'une octave à l'autre, c'est l'affaire d'un autre point sous la note par laquelle on y rentre, et cetera. On voit dans l'exemple suivant le progrès de deux octaves tant en montant qu'en descendant, notées de cette manière.
[Rousseau, Dictionnaire N-Z, 18; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7] [ROUDIC3 01GF]
La première manière de noter avec des lignes convient pour les musiques fort travaillées et fort difficiles, pour les grandes partitions, et cetera. La seconde avec des points est propre aux musiques plus simples et aux petits airs; mais rien n'empêche qu'on ne puisse à sa volonté l'employer à la place de l'autre, et l'auteur s'en est servi pour transcrire [-19-] la fameuse ariette L'Objet qui règne dans mon ame, qu'on trouve notée en partition par les chiffres de cet auteur à la fin de son ouvrage.
Par cette méthode tous les intervalles deviennent d'une évidence dont rien n'approche; les octaves portent toujours le même chiffre, les intervalles simples se reconnaissent toujours dans leurs doubles ou composés: on reconnaît d'abord dans la dixième
[Rousseau, Dictionnaire N-Z, 19; text: 1, 3] [ROUDIC3 01GF]
ou 13, que c'est l'octave de la tierce majeure: les intervalles majeurs ne peuvent jamais se confondre avec les mineurs; 2 4 sera éternellement une tierce mineure, 4 6 éternellement une tierce majeure; la position ne fait rien à cela.
Après avoir ainsi réduit toute l'étendue du clavier sous un beaucoup moindre volume avec des signes beaucoup plus clairs, on passe aux transpositions.
Il n'y a que deux modes dans notre musique. Qu'est-ce que chanter ou jouer en re majeur? c'est transporter l'échelle ou la gamme d'ut un ton plus haut, et la placer sur re, comme tonique ou fondamentale; tous les rapports qui appartenaient à l'ut passent au re par cette transposition. C'est pour exprimer ce système de rapports haussé ou baissé qu'il a tant fallu d'altérations de dièses ou de bémols à la clef. L'auteur du nouveau système supprime tout d'un coup tous ces embarras: le seul mot re mis en tête et à la marge avertit que la pièce est en re majeur; et comme alors le re prend tous les rapports qu'avait l'ut, il en prend aussi le signe et le nom; il se marque avec le chiffre 1, et toute [-20-] son octave suit par les chiffres 2, 3, 4, et cetera, comme ci-devant: le re de la marge lui sert de clef, c'est la touche re ou D du clavier naturel: mais ce même re devenu tonique sous le nom d'ut devient aussi la fondamentale du mode.
Mais cette fondamentale qui est tonique dans les tons majeurs, n'est que médiante dans les tons mineurs, la tonique, qui prend le nom de la, se trouvant alors une tierce mineure au-dessous de cette fondamentale. Cette distinction se fait par une petite ligne horizontale qu'on tire sous la clef. Re sans cette ligne désigne le mode majeur de re; mais [re/_] sous-ligné désigne le mode mineur de si dont ce [re/_] est médiante. Au reste cette distinction, qui ne sert qu'à déterminer nettement le ton par la clef, n'est pas plus nécessaire dans le nouveau système que dans la note ordinaire où elle n'a pas lieu; ainsi quand on n'y aurait aucun égard on n'en solfierait pas moins exactement.
Au lieu des noms mêmes des notes on pourrait se servir pour clefs des lettres de la gamme qui leur répondent; C pour ut, D pour re, et cetera. (Voyez Gamme.)
Les musiciens affectent beaucoup de mépris pour la méthode des transpositions, sans doute parce qu'elle rend l'art trop facile. L'auteur fait voir que ce mépris est mal fondé; que c'est leur méthode qu'il faut mépriser, puisqu'elle est pénible en pure perte, et que les transpositions, dont il montre les avantages, sont, même sans qu'ils y songent, la véritable règle que suivent tous les grands musiciens [-21-] et les bons compositeurs. (Voyez Transposition.)
Le ton, le mode, et tous leurs rapports bien déterminés, il ne suffit pas de faire connaître toutes les notes de chaque octave, ni le passage d'une octave à l'autre par des signes précis et clairs; il faut encore indiquer le lieu du clavier qu'occupent ces octaves. Si j'ai d'abord un sol à entonner, il faut savoir lequel; car il y en a cinq dans le clavier, les uns hauts, les autres moyens, les autres bas, selon les différentes octaves. Ces octaves ont chacune leur lettre; et l'une de ces lettres mise sur la ligne qui sert de portée marque à quelle octave appartient cette ligne, et conséquemment les octaves qui sont au-dessus et au-dessous. Il faut voir la figure qui est à la fin du livre, et l'explication qu'en donne l'auteur pour se mettre en cette partie au fait de son système, qui est des plus simples.
Il reste, pour l'expression de tous les sons possibles dans notre système musical, à rendre les altérations accidentelles amenées par la modulation; ce qui se fait bien aisément. Le dièse se forme en traversant la note d'un trait montant de gauche à droite de cette manière; fa dièse [4/], ut dièse [1/]. On marque le bémol par un semblable trait descendant; si bémol [7/], mi bémol [3/]. A l'égard du bécarre, l'auteur le supprime comme un signe inutile dans son système.
Cette partie ainsi remplie, il faut venir au temps ou à la mesure. D'abord l'auteur fait main-basse sur cette foule de différentes mesures dont on a si mal à propos chargé la musique. Il n'en connaît que [-22-] deux, comme les anciens; savoir, mesure à deux temps, et mesure à trois temps. Les temps de chacune de ces mesures peuvent, à leur tour, être divisés en deux parties égales ou en trois. De ces deux règles combinées il tire des expressions exactes pour tous les mouvements possibles.
On rapporte dans la musique ordinaire les diverses valeurs des notes à celle d'une note particulière, qui est la ronde; ce qui fait que la valeur de cette ronde variant continuellement, les notes qu'on lui compare n'ont point de valeur fixe. L'auteur s'y prend autrement: il ne détermine les valeurs des notes que sur la sorte de mesure dans laquelle elles sont employées et sur le temps qu'elles y occupent; ce qui le dispense d'avoir, pour ces valeurs, aucun signe particulier autre que la place qu'elles tiennent. Une note seule entre deux barres remplit toute une mesure. Dans la mesure à deux temps, deux notes remplissant la mesure forment chacune un temps. Trois notes font la même chose dans la mesure à trois temps S'il y a quatre notes dans une mesure à deux temps, ou six dans une mesure à trois, c'est que chaque temps est divisé en deux parties égales: on passe donc deux notes pour un temps; on en passe trois quand il y a six notes dans l'une et neuf dans l'autre. En un mot, quand il n'y a nul signe d'inégalité, les notes sont égales, leur nombre se distribue dans une mesure, selon le nombre des temps et l'espèce de la mesure: pour rendre cette distribution plus aisée, on sépare, si l'on veut, les temps par des virgules; de sorte qu'en [-23-] lisant la musique, on voit clairement la valeur des notes, sans qu'il faille pour cela leur donner aucune figure particulière. (Voyez Planche F, figure 2 [ROUDIC4 07GF].)
Les divisions inégales se marquent avec la même facilité. Ces inégalités ne sont jamais que des subdivisions qu'on ramène à l'égalité par un trait dont on couvre deux ou plusieurs notes. Par exemple, si un temps contient une croche et deux doubles-croches, un trait en ligne droite, au-dessus ou au-dessous des deux doubles-croches, montrera qu'elles ne font ensemble qu'une quantité égale à la précédente, et par conséquent qu'une croche. Ainsi le temps entier se retrouve divisé en deux parties égales; savoir, la note seule et le trait qui en comprend deux. Il y a encore des subdivisons d'inégalité qui peuvent exiger deux traits, comme si une croche pointée était suivie de deux triples-croches; alors il faudrait premièrement un trait sur les deux notes qui représentent les triples-croches, ce qui les rendrait ensemble égales au point; puis un second trait qui, couvrant le trait précédent et le point, rendrait tout ce qu'il couvre égal à la croche. Mais quelque vitesse que puissent avoir les notes, ces traits ne sont jamais nécessaires que quand les valeurs sont inégales; et quelque inégalité qu'il puisse y avoir, on n'aura jamais besoin de plus de deux traits, surtout en séparant les temps par des virgules, comme on le verra dans l'exemple ci-après.
L'auteur du nouveau système emploie aussi le point, mais autrement que dans la musique ordinaire; [-24-] dans celle-ci, le point vaut la moitié de la note qui le précède; dans la sienne, le point, qui marque aussi le prolongement de la note précédente, n'a point d'autre valeur que celle de la place qu'il occupe: si le point remplit un temps, il vaut un temps; s'il remplit une mesure, il vaut une mesure: s'il est dans un temps avec une autre note, il vaut la moitié de ce temps. En un mot, le point se compte pour une note, se mesure comme les notes; et pour marquer des tenues ou des syncopes, on peut employer plusieurs points de suite, de valeurs égales ou inégales, selon celles des temps ou des mesures que ces points ont à remplir.
Tous les silences n'ont besoin que d'un seul caractère; c'est le zéro. Le zéro s'emploie comme les notes et comme le point; le point se marque après un zéro pour prolonger un silence, comme après une note pour prolonger un son. Voyez un exemple de tout cela (Planche F, figure 3 [ROUDIC4 07GF].)
Tel est le précis de ce nouveau système. Nous ne suivrons point l'auteur dans le détail de ces règles, ni dans la comparaison qu'il fait des caractères en usage avec les siens: on s'attend bien qu'il met tout l'avantage de son côté; mais ce préjugé ne détournera point tout lecteur impartial d'examiner les raisons de cet auteur dans son livre même; comme cet auteur est celui de ce dictionnaire, il n'en peut dire davantage dans cet article, sans s'écarter de la fonction qu'il doit faire ici. Voyez (Planche F, figure 4 [ROUDIC4 07GF]) un air noté par ces nouveaux caractères: mais il sera difficile de tout déchiffrer bien exactement [-25-] sans recourir au livre même, parce qu'un article de ce dictionnaire ne doit pas être un livre, et que, dans l'explication des caractères d'un art aussi compliqué, il est impossible de tout dire en peu de mots.
Note sensible, est celle qui est une tierce majeure au-dessus de la dominante, ou un semi-ton au-dessous de la tonique. Le si est note sensible dans le ton d'ut, le sol dièse dans le ton de la.
On l'appelle note sensible, parce qu'elle fait sentir le ton et la tonique, sur laquelle, après l'accord dominant, la note sensible prenant le chemin le plus court, est obligée de monter: ce qui fait que quelques-uns traitent cette note sensible de dissonance majeure, faute de voir que la dissonance, étant un rapport, ne peut être constituée que par deux notes.
Je ne dis pas que la note sensible est la septième note du ton, parce qu'en mode mineur cette septième note n'est note sensible qu'en montant; car, en descendant, elle est à un ton de la tonique et à une tierce mineure de la dominante. (Voyez Mode, Tonique, Dominante.)
Notes de gout. Il y en a de deux espèces; les unes qui appartiennent à la mélodie, mais non pas à l'harmonie; en sorte que, quoiqu'elles entrent dans la mesure, elles n'entrent pas dans l'accord: celles-là se notent en plein. Les autres notes de goût, n'entrant ni dans l'harmonie ni dans la mélodie, se marquent seulement avec de petites notes qui ne se comptent pas dans la mesure, et dont la [-26-] durée très-rapide se prend sur la note qui précède ou sur celle qui suit.
Voyez dans la Planche F, figure 5 [ROUDIC4 07GF], un exemple des notes de goût des deux espèces.
Noter, verbe actif. C'est écrire de la musique avec les caractères destinés à cet usage, et appelés notes. (Voyez Notes.)
Il y a dans la manière de noter la musique une élégance de copie, qui consiste moins dans la beauté de la note que dans une certaine exactitude à placer convenablement tous les signes, et qui rend la musique ainsi notée bien plus facile à exécuter; c'est ce qui a été expliqué au mot Copiste.
Nourrir les sons, c'est non-seulement leur donner du timbre sur l'instrument, mais aussi les soutenir exactement durant toute leur valeur, au lieu de les laisser éteindre avant que cette valeur soit écoulée, comme on fait souvent. Il y a des musiques qui veulent des sons nourris, d'autres les veulent détachés, et marqués seulement du bout de l'archet.
Nunnie, substantif féminin. C'était chez les Grecs la chanson particulière aux nourrices. (Voyez Chanson.)
O.
O. Cette lettre capitale, formée en cercle ou double C[CL], est, dans nos musiques anciennes, le signe de ce qu'on appelait temps parfait, c'est-à-dire de la mesure triple ou à trois temps, à la différence du temps imparfait ou de la mesure double [-27-] qu'on marquait par un C simple, ou un O tronqué à droite ou à gauche, C ou [CL].
Le temps parfait se marquait quelquefois par un O simple, quelquefois par un O pointé en dedans de cette manière [Od], ou par un O barré ainsi, [Odim]. (Voyez Temps.)
Obligé, adjectif. On appelle partie obligée, celle qui récite quelquefois, celle qu'on ne saurait retrancher sans gâter 1'harmonie ou le chant; ce qui la distingue des parties de remplissage, qui ne sont ajoutées que pour une plus grande perfection d'harmonie, mais par le retranchement desquelles la pièce n'est point mutilée. Ceux qui sont aux parties de remplissage peuvent s'arrêter quand ils veulent, et la musique n'en va pas moins; mais celui qui est chargé d'une partie obligée ne peut la quitter un moment sans faire manquer l'exécution.
Brossard dit qu'obligé se prend aussi pour contraint ou assujetti. Je ne sache pas que ce mot ait aujourd'hui un pareil sens en musique. (Voyez Contraint.)
Octacorde, substantif masculin. Instrument ou système de musique composé de huit sons ou de sept degrés. L'octacorde, ou la lyre de Pythagore, comprenait les huit sons exprimés par ces lettres E. F. G. a. [signum] c. d. e., c'est-à-dire deux tétracordes disjoints.
Octave, substantif féminin. La première des consonnances dans l'ordre de leur génération. L'octave est la plus parfaite des consonnances; elle est, après l'unisson, celui de tous les accords dont le rapport est le plus [-28-] simple; l'unisson est en raison d'égalité, c'est-à-dire comme 1 est à 1: l'octave est en raison double, c'est-à-dire comme 1 est à 2; les harmoniques des deux sons dans l'un et dans l'autre s'accordent tous sans exception, ce qui n'a lieu dans aucun autre intervalle. Enfin ces deux accords ont tant de conformité qu'ils se confondent souvent dans la mélodie, et que, dans l'harmonie même, on les prend presque indifféremment l'un pour l'autre.
Cet intervalle s'appelle octave, parce que, pour marcher diatoniquement d'un de ces termes à l'autre, il faut passer par sept degrés, et faire entendre huit sons différents.
Voici les propriétés qui distinguent si singulièrement l'octave de tous les autres intervalles.
I. L'octave renferme entre ses bornes tous les sons primitifs et originaux; ainsi, après avoir établi un système ou une suite de sons dans l'étendue d'une octave, si l'on veut prolonger cette suite, il faut nécessairement reprendre le même ordre dans une seconde octave par une série semblable, et de même pour une troisième et pour une quatrième octave, où l'on ne trouvera jamais aucun son qui ne soit la réplique de quelqu'un des premiers. Une telle série est appelée échelle de musique dans sa première octave, et réplique dans toutes les autres. (Voyez Échelle, Réplique.) C'est en vertu de cette propriété de l'octave qu'elle a été appelée diapason par les Grecs. (Voyez Diapason.)
II. L'octave embrasse encore toutes les consonnances et toutes leurs différences, c'est-à-dire tous [-29-] les intervalles simples tant consonnants que dissonants, et par conséquent toute l'harmonie. Établissons toutes les consonnances sur un même son fondamental, nous aurons la table suivante,
120/120. 100/120. 96/120. 90/120. 80/120. 75/120. 72/120. 60/120.
qui revient à celle-ci,
1. 5/6. 4/5. 3/4. 2/3. 5/8. 3/5. 1/2.
où l'on trouve toutes les consonnances dans cet ordre: la tierce mineure, la tierce majeure, la quarte, la quinte, la sixte mineure, la sixte majeure, et enfin l'octave. Par cette table on voit que les consonnances simples sont toutes contenues entre l'octave et l'unisson; elles peuvent même être entendues toutes à la fois dans l'étendue d'une octave sans mélange de dissonances. Frappez à la fois ces quatre sons ut mi sol ut, en montant du premier ut à son octave, ils formeront entre eux toutes les consonnances, excepté la sixte majeure, qui est composée, et ne formeront nul autre intervalle. Prenez deux de ces mêmes sons comme il vous plaira, l'intervalle en sera toujours consonnant. C'est de cette union de toutes les consonnances que l'accord qui les produit s'appelle accord parfait.
L'octave donnant toutes les consonnances donne par conséquent aussi toutes leurs différences, et par elles tous les intervalles simples de notre système musical, lesquels ne sont que ces différences [-30-] mêmes. La différence de la tierce majeure à la tierce mineure donne le semi-ton mineur; la différence de la tierce majeure à la quarte donne le semi-ton majeur; la différence de la quarte à la quinte donne le ton majeur, et la différence de la quinte à la sixte majeure donne le ton mineur. Or, le semi-ton mineur, le semi-ton majeur, le ton mineur et le ton majeur, sont les seuls éléments de tous les intervalles de notre musique.
III. Tout son consonnant avec un des termes de l'octave consonne aussi avec l'autre; par conséquent tout son qui dissone avec l'un dissone avec l'autre.
IV. Enfin l'octave a encore cette propriété, la plus singulière de toutes, de pouvoir être ajoutée à elle-même, triplée, et multipliée à volonté, sans changer de nature, et sans que le produit cesse d'être une consonnance.
Cette multiplication de l'octave, de même que sa division, est cependant bornée à notre égard par la capacité de l'organe auditif; et un intervalle de huit octaves excède déjà cette capacité. (Voyez Étendue.) Les octaves mêmes perdent quelque chose de leur harmonie en se multipliant; et, passé une certaine mesure, tous les intervalles deviennent pour l'oreille moins faciles à saisir: une double octave commence déjà d'être moins agréable qu'une octave simple; une triple qu'une double; enfin à la cinquième octave l'extrême distance des sons ôte à la consonnance presque tout son agrément.
C'est de l'octave qu'on tire la génération ordonnée de tous les intervalles par des divisons et subdivisions [-31-] harmoniques. Divisez harmoniquement l'octave 3. 6. par le nombre 4, vous aurez d'un côté la quarte 3. 4. et de l'autre la quinte 4. 6.
Divisez de même la quinte 10. 15. harmoniquement par le nombre 12, vous aurez la tierce mineure 10. 12. et la tierce majeure 12. 15; enfin divisez la tierce majeure 72. 90. encore harmoniquement par le nombre 80., vous aurez le ton mineur 72. 80. ou 9. 10., et le ton majeur 80. 90. ou 8. 9., et cetera.
Il faut remarquer que ces divisions harmoniques donnent toujours deux intervalles inégaux, dont le moindre est au grave et le grand à l'aigu. Que si l'on fait les mêmes divisions selon la proportion arithmétique, on aura le moindre intervalle à l'aigu et le plus grand au grave. Ainsi l'octave 2. 4. partagée arithmétiquement donnera d'abord la quinte 2. 3. au grave, puis la quarte 3. 4. à l'aigu. La quinte 4. 6. donnera premièrement la tierce majeure 4. 5., puis la tierce mineure 5. 6., et ainsi des autres. On aurait les mêmes rapports en sens contraire si, au lieu de les prendre, comme je fais ici, par les vibrations, on les prenait par les longueurs des cordes. Ces connaissances, au reste, sont peu utiles en elles-mêmes, mais elles sont nécessaires pour entendre les vieux auteurs.
Le système complet et rigoureux de l'octave est composé de trois tons majeurs, deux tons mineurs, et deux semi-tons majeurs. Le système tempéré est de cinq tons égaux et deux semi-tons formant entre eux autant de degrés diatoniques sur les sept [-32-] sons de la gamme jusqu'à l'octave du premier. Mais comme chaque ton peut se partager en deux semi-tons, la même octave se divise aussi chromatiquement en douze intervalles d'un semi-ton chacun, dont les sept précédents gardent leur nom, et les cinq autres prennent chacun le nom du son diatonique le plus voisin, au-dessous par dièse et au-dessus par bémol. (Voyez Échelle.)
Je ne parle point ici des octaves diminuées ou superflues, parce que cet intervalle ne s'altère guère dans la mélodie, jamais dans l'harmonie.
Il est défendu, en composition, de faire deux octaves de suite, entre différentes parties, surtout par mouvement semblable; mais cela est permis et même élégant fait à dessein et à propos dans toute la suite d'un air ou d'une période: c'est ainsi que dans plusieurs concerto toutes les parties reprennent par intervalles le ripiéno à l'octave ou à l'unisson.
Sur la règle de l'octave voyez Règle.
Octavier, verbe neutre. Quand on force le vent dans un instrument à vent, le son monte aussitôt à l'octave; c'est ce qu'on appelle octavier: en renforçant ainsi l'inspiration, l'air renfermé dans le tuyau et contraint par l'air extérieur, est obligé, pour céder à la vitesse des oscillations, de se partager en deux colonnes égales, ayant chacune la moitié de la longueur du tuyau; et c'est ainsi que chacune de ces moitiés sonne l'octave du tout. Une corde de violoncelle octavie par un principe semblable quand le coup d'archet est trop brusque ou trop voisin du chevalet. C'est un défaut dans l'orgue quand un [-33-] tuyau octavie; cela vient de ce qu'il prend trop de vent.
Ode, substantif féminin. Mot grec qui signifie chant ou chanson.
Odéum, substantif masculin. C'était chez les anciens un lieu destiné à la répétition de la musique qui devait être chantée sur le théâtre, comme est, à l'Opéra de Paris, le petit théâtre du magasin. (Voyez Magasin.)
On donnait quelquefois le nom d'odéum à des bâtiments qui n'avaient point de rapport au théâtre. On lit dans Vitruve que Périclès fit bâtir à Athènes un odéum où l'on disputait des prix de musique, et dans Pausanias, qu'Hérode l'Athénien fit construire un magnifique odéum pour le tombeau de sa femme.
Les écrivains ecclésiastiques désignent aussi quelquefois le choeur d'une église par le mot odéum.
Oeuvre. Ce mot est masculin pour désigner un des ouvrages de musique d'un auteur. On dit le troisième oeuvre de Corelli, le cinquième oeuvre de Vivaldi, et cetera; mais ces titres ne sont plus guère en usage: à mesure que la musique se perfectionne, elle perd ces noms pompeux par lesquels nos anciens s'imaginaient la glorifier.
Onzième, substantif féminin. Réplique ou octave de la quarte. Cet intervalle s'appelle onzième parce qu'il faut former onze sons diatoniques pour passer de l'un de ces termes à l'autre.
Monsieur Rameau a voulu donner le nom d'onzième à l'accord qu'on appelle ordinairement quarte; mais comme cette dénomination n'est pas suivie, et que [-34-] Monsieur Rameau lui-même a continué de chiffrer le même accord d'un 4 et non pas d'un 11, il faut se conformer à l'usage. (Voyez Accord, Quarte, Supposition.)
Opéra, substantif masculin. Spectacle dramatique et lyrique où l'on s'efforce de réunir tous les charmes des beaux-arts dans la représentation d'une action passionnée, pour exciter, à l'aide des sensations agréables, l'intérêt et l'illusion.
Les parties constitutives d'un opéra sont, le poème, la musique, et la décoration. Par la poésie on parle à l'esprit; par la musique, à l'oreille; par la peinture, aux yeux: et le tout doit se réunir pour émouvoir le coeur, et y porter à la fois la même impression par divers organes. De ces trois parties, mon sujet ne me permet de considérer la première et la dernière que par le rapport qu'elles peuvent avoir avec la seconde: ainsi je passe immédiatement à celle-ci.
L'art de combiner agréablement les sons peut être envisagé sous deux aspects très-différents. Considérée comme une institution de la nature, la musique borne son effet à la sensation et au plaisir physique qui résulte de la mélodie, de l'harmonie, et du rhythme: telle est ordinairement la musique d'église; tels sont les airs à danser, et ceux des chansons. Mais comme partie essentielle de la scène lyrique, dont l'objet principal est l'imitation, la musique devient un des beaux-arts, capable de peindre tous les tableaux, d'exciter tous les sentiments, de lutter avec la poésie, de lui donner une [-35-] force nouvelle, de l'embellir de nouveaux charmes, et d'en triompher en la couronnant.
Les sons de la voix parlante, n'étant ni soutenus ni harmoniques, sont inappréciables, et ne peuvent par conséquent s'allier agréablement avec ceux de la voix chantante et des instruments, au moins dans nos langues, trop éloignées du caractère musical; car on ne saurait entendre les passages des Grecs sur leur manière de réciter, qu'en supposant leur langue tellement accentuée que les inflexions du discours dans la déclamation soutenue formassent entre elles des intervalles musicaux et appréciables: ainsi l'on peut dire que leurs pièces de théâtre étaient des espèces d'opéra; et c'est pour cela même qu'il ne pouvait y avoir d'opéra proprement dit parmi eux.
Par la difficulté d'unir le chant au discours dans nos langues, il est aisé de sentir que l'intervention de la musique, comme partie essentielle, doit donner au poème lyrique un caractère différent de celui de la tragédie et de la comédie, et en faire une troisième espèce de drame, qui a ses règles particulières: mais ces différences ne peuvent se déterminer sans une parfaite connaissance de la partie ajoutée, des moyens de l'unir à la parole, et de ses relations naturelles avec le coeur humain: détails qui appartiennent moins à l'artiste qu'au philosophe, et qu'il faut laisser à une plume faite pour éclairer tous les arts, pour montrer à ceux qui les professent les principes de leurs règles, et aux hommes de goût les sources de leurs plaisirs.
[-36-] En me bornant donc sur ce sujet à quelques observations plus historiques que raisonnées, je remarquerai d'abord que les Grecs n'avaient pas au théâtre un genre lyrique ainsi que nous, et que ce qu'ils appelaient de ce nom ne ressemblait point au nôtre: comme ils avaient beaucoup d'accents dans leur langue et peu de fracas dans leurs concerts, toute leur poésie était musicale et toute leur musique déclamatoire; de sorte que leur chant n'était presque qu'un discours soutenu, et qu'ils chantaient réellement leurs vers, comme ils l'annoncent à la tête de leurs poèmes; ce qui, par imitation, a donné aux Latins, puis à nous, le ridicule usage de dire Je chante, quand on ne chante point. Quant à ce qu'ils appelaient genre lyrique en particulier, c'était une poésie héroïque dont le style était pompeux et figuré, laquelle s'accompagnait de la lyre ou cithare préférablement à tout autre instrument. Il est certain que les tragédies grecques se récitaient d'une manière très-semblable au chant, qu'elles s'accompagnaient d'instruments, et qu'il y entrait des choeurs.
Mais si l'on veut pour cela que ce fussent des opéra semblables aux nôtres, il faut donc imaginer des opéra sans airs; car il me paraît prouvé que la musique grecque, sans en excepter même l'instrumentale, n'était qu'un véritable récitatif. Il est vrai que ce récitatif, qui réunissait le charme des sons musicaux à toute l'harmonie de la poésie et à toute la force de la déclamation, devait avoir beaucoup plus d'énergie que le récitatif moderne, qui ne peut [-37-] guère ménager un de ces avantages qu'aux dépens des autres. Dans nos langues vivantes, qui se ressentent pour la plupart de la rudesse du climat dont elles sont originaires, l'application de la musique à la parole est beaucoup moins naturelle; une prosodie incertaine s'accorde mal avec la régularité de la mesure; des syllabes muettes et sourdes, des articulations dures, des sons peu éclatants et moins variés, se prêtent difficilement à la mélodie; et une poésie cadencée uniquement par le nombre des syllabes prend une harmonie peu sensible dans le rhythme musical, et s'oppose sans cesse à la diversité des valeurs et des mouvements. Voilà des difficultés qu'il fallut vaincre ou éluder dans l'invention du poème lyrique. On tâcha donc, par un choix de mots, de tours et de vers, de se faire une langue propre; et cette langue, qu'on appela lyrique, fut riche ou pauvre à proportion de la douceur ou de la rudesse de celle dont elle était tirée.
Ayant en quelque sorte préparé la parole pour la musique, il fut ensuite question d'appliquer la musique à la parole, et de la lui rendre tellement propre sur la scène lyrique, que le tout pût être pris pour un seul et même idiome; ce qui produisit la nécessité de chanter toujours, pour paraître toujours parler; nécessité qui croît en raison de ce qu'une langue est peu musicale; car moins la langue a de douceur et d'accent, plus le passage alternatif de la parole au chant et du chant à la parole y devient dur et choquant pour l'oreille. De là le besoin de substituer au discours en récit un discours [-38-] en chant, qui pût l'imiter de si près qu'il n'y eût que la justesse des accords qui le distinguât de la parole. (Voyez Récitatif.)
Cette manière d'unir au théâtre la musique à la poésie, qui, chez les Grecs, suffisait pour l'intérêt et l'illusion, parce qu'elle était naturelle, par la raison contraire, ne pouvait suffire chez nous pour la même fin. En écoutant un langage hypothétique et contraint, nous avons peine à concevoir ce qu'on veut nous dire; avec beaucoup de bruit on nous donne peu d'émotion: de là naît la nécessité d'amener le plaisir physique au secours du moral, et de suppléer par l'attrait de l'harmonie à l'énergie de l'expression. Ainsi moins on sait toucher le coeur, plus il faut savoir flatter l'oreille; et nous sommes forcés de chercher dans la sensation le plaisir que le sentiment nous refuse. Voilà l'origine des airs, des choeurs, de la symphonie, et de cette mélodie enchanteresse dont la musique moderne s'embellit souvent aux dépens de la poésie, mais que l'homme de goût rebute au théâtre quand on le flatte sans l'émouvoir.
A la naissance de l'opéra, ses inventeurs, voulant éluder ce qu'avait de peu naturel l'union de la musique au discours dans l'imitation de la vie humaine, s'avisèrent de transporter la scène aux cieux et dans les enfers; et, faute de savoir faire parler les hommes, ils aimèrent mieux faire chanter les dieux et les diables que les héros et les bergers. Bientôt la magie et le merveilleux devinrent les fondements du théâtre lyrique; et, contents de [-39-] s'enrichir d'un nouveau genre, on ne songea pas même à rechercher si c'était bien celui-là qu'on avait dû choisir. Pour soutenir une si forte illusion il fallut épuiser tout ce que l'art humain pouvait imaginer de plus séduisant chez un peuple où le goût du plaisir et celui des beaux-arts régnaient à l'envi. Cette nation célebre, à laquelle il ne reste de son ancienne grandeur que celle des idées dans les beaux-arts, prodigua son goût, ses lumières, pour donner à ce nouveau spectacle tout l'éclat dont il avait besoin. On vit s'élever par toute l'Italie des théâtres égaux en étendue aux palais des rois, et en élégance aux monuments de l'antiquité dont elle était remplie. On inventa pour les orner l'art de la perspective et de la décoration; les artistes dans chaque genre y firent à l'envi briller leurs talents; les machines les plus ingénieuses, les vols les plus hardis, les tempêtes, la foudre, l'éclair et tous les prestiges de la baguette, furent employés à fasciner les yeux, tandis que des multitudes d'instruments et de voix étonnaient les oreilles.
Avec tout cela l'action restait froide, et toutes les situations manquaient d'intérêt. Comme il n'y avait point d'intrigue qu'on ne dénouât facilement à l'aide de quelque dieu, le spectateur, qui connaissait tout le pouvoir du poète, se reposait tranquillement sur lui du soin de tirer ses héros des plus grands dangers. Ainsi l'appareil était immense et produisait peu d'effet, parce que l'imitation était toujours imparfaite et grossière, que l'action, prise hors de la nature, était sans intérêt pour [-40-] nous, et que les sens se prêtent mal à l'illusion quand le coeur ne s'en mêle pas; de sorte qu'à tout compter il eût été difficile d'ennuyer une assemblée à plus grands frais.
Ce spectacle, tout imparfait qu'il était, fit long-temps l'admiration des contemporains qui n'en connaissaient point de meilleur: ils se félicitaient même de la découverte d'un si beau genre; voilà, disaient-ils, un nouveau principe joint à ceux d'Aristote; voilà l'admiration ajoutée à la terreur et à la pitié. Ils ne voyaient pas que cette richesse apparente n'était au fond qu'un signe de stérilité, comme les fleurs qui couvrent les champs avant la moisson. C'était faute de savoir toucher qu'ils voulaient surprendre, et cette admiration prétendue n'était en effet qu'un étonnement puéril dont ils auraient dû rougir. Un faux air de magnificence, de féerie et d'enchantement leur en imposait au point qu'ils ne parlaient qu'avec enthousiasme et respect d'un théâtre qui ne méritait que des huées: ils avaient de la meilleure foi du monde autant de vénération pour la scène même que pour les chimériques objets qu'on tâchait d'y représenter: comme s'il y avait plus de mérite à faire parler platement le roi des dieux que le dernier des mortels, et que les valets de Molière ne fussent pas préférables aux héros de Pradon!
Quoique les auteurs de ces premiers opéra n'eussent guère d'autre but que d'éblouir les yeux et d'étourdir les l'oreilles, il était difficile que le musicien ne fût jamais tenté de chercher à tirer de son [-41-] art l'expression des sentiments répandus dans le poème. Les chansons des nymphes, les hymnes des prêtres, les cris des guerriers, les hurlements infernaux, ne remplissaient pas tellement ces drames grossiers, qu'il ne s'y trouvât quelqu'un de ces instants d'intérêt et de situation où le spectateur ne demande qu'à s'attendrir. Bientôt on commença de sentir qu'indépendamment de la déclamation musicale, que souvent la langue comportait mal, le choix du mouvement, de l'harmonie et des chants, n'était pas indifférent aux choses qu'on avait à dire, et que par conséquent l'effet de la seule musique, borné jusqu'alors aux sens, pouvait aller jusqu'au coeur. La mélodie, qui ne s'était d'abord séparée de la poésie que par nécessité, tira parti de cette indépendance pour se donner des beautés absolues et purement musicales: l'harmonie découverte ou perfectionnée lui ouvrit de nouvelles routes pour plaire et pour émouvoir; et la mesure, affranchie de la gêne du rhythme poétique, acquit aussi une sorte de cadence à part qu'elle ne tenait que d'elle seule.
La musique, étant ainsi devenue un troisième art d'imitation, eût bientôt son langage, son expression, ses tableaux, tout-à-fait indépendants de la poésie. La symphonie même apprit à parler sans le secours des paroles, et souvent il ne sortait pas des sentiments moins vifs de l'orchestre que de la bouche des acteurs. C'est alors que, commençant à se dégoûter de tout le clinquant de la féerie, du puéril fracas des machines, et de la fantasque [-42-] image des choses qu'on n'a jamais vues, on chercha dans l'imitation de la nature des tableaux plus intéressants et plus vrais. Jusque-là l'opéra avait été constitué comme il pouvait l'être; car quel meilleur usage pouvait-on faire au théâtre d'une musique qui ne savait rien peindre, que de l'employer a la représentation des choses qui ne pouvaient exister, et sur lesquelles personne n'était en état de comparer l'image à l'objet? Il est impossible de savoir si l'on est affecté par la peinture du merveilleux comme on le serait par sa présence, au lieu que tout homme peut juger par lui-même si l'artiste a bien su faire parler aux passions leur langage, et si les objets de la nature sont bien imités. Aussi, dès que la musique eut appris à peindre et à parler, les charmes du sentiment firent-ils bien-tôt négliger ceux de la baguette; le théâtre fut purgé du jargon de la mythologie, l'intérêt fut substitué au merveilleux; les machines des poètes et des charpentiers furent détruites, et le drame lyrique prit une forme plus noble et moins gigantesque; tout ce qui pouvait émouvoir le coeur y fut employé avec succès; on n'eut plus besoin d'en imposer par des êtres de raison, ou plutôt de folie; et les dieux furent chassés de la scène quand on y sut représenter des hommes. Cette forme plus sage et plus régulière se trouva encore la plus propre à l'illusion: l'on sentit que le chef-d'oeuvre de la musique était de se faire oublier elle-même; qu'en jetant le désordre et le trouble dans l'ame du spectateur, elle l'empêchait de distinguer les chants tendres et pathétiques [-43-] d'une héroïne gémissante, des vrais accents de la douleur; et qu'Achille en fureur pouvait nous glacer d'effroi avec le même langage qui nous eût choqués dans sa bouche en tout autre temps.
Ces observations donnèrent lieu à une seconde réforme non moins importante que la première: on sentit qu'il ne fallait à l'opéra rien de froid et de raisonné, rien que le spectateur pût écouter assez tranquillement pour réfléchir sur l'absurdité de ce qu'il entendait: et c'est en cela surtout que consiste la différence essentielle du drame lyrique à la simple tragédie. Toutes les délibérations politiques, tous les projets de conspiration, les expositions, les récits, les maximes sentencieuses, en un mot tout ce qui ne parle qu'à la raison fut banni du langage du coeur, avec les jeux d'esprit, les madrigaux, et tout ce qui n'est que des pensées: le ton même de la simple galanterie, qui cadre mal avec les grandes passions, fut à peine admis dans le remplissage des situations tragiques, dont il gâte presque toujours l'effet; car jamais on ne sent mieux que l'acteur chante que lorsqu'il dit une chanson.
L'énergie de tous les sentiments, la violence de toutes les passions, sont donc l'objet principal du drame lyrique; et l'illusion qui en fait le charme est toujours détruite aussitôt que l'auteur et l'acteur laissent un moment le spectateur à lui-même. Tels sont les principes sur lesquels l'opéra moderne est établi. Apostolo Zéno, le Corneille de l'Italie, son tendre élève, qui en est le Racine, ont ouvert [-44-] et perfectionné cette nouvelle carrière: ils ont osé mettre les héros de l'histoire sur un théâtre qui semblait ne convenir qu'aux fantômes de la fable. Cyrus, César, Caton même, ont paru sur la scène avec succès; et les spectateurs les plus révoltés d'entendre chanter de tels hommes, ont bientôt oublié qu'ils chantaient, subjugués et ravis par l'éclat d'une musique aussi pleine de noblesse et de dignité que d'enthousiasme et de feu. L'on suppose aisément que des sentiments si différents des nôtres doivent s'exprimer aussi sur un autre ton.
Ces nouveaux poèmes, que le génie avait créés, et que lui seul pouvait soutenir, écartèrent sans effort les mauvais musiciens qui n'avaient que la mécanique de leur art, et, privés du feu de l'invention et du don de l'imitation, faisaient des opéra comme ils auraient fait des sabots. A peine les cris des Bacchantes, les conjurations des sorciers et tous les chants qui n'étaient qu'un vain bruit furent-ils bannis du théâtre; à peine eut-on tenté de substituer à ce barbare fracas les accents de la colère, de la douleur, des menaces, de la tendresse, des pleurs, des gémissements, et tous les mouvements d'une ame agitée, que, forcés de donner des sentiments aux héros et un langage au coeur humain, les Vinci, les Léo, les Pergolèse, dédaignant la servile imitation de leurs prédécesseurs, et s'ouvrant une nouvelle carrière, la franchirent sur l'aile du génie, et se trouvèrent au but presque dès les premiers pas. Mais on ne peut marcher long-temps dans la route du bon goût sans monter ou descendre, [-45-] et la perfection est un point où il est difficile de se maintenir. Après avoir essayé et senti ses forces, la musique, en état de marcher seule, commence à dédaigner la poésie qu'elle doit accompagner, et croit en valoir mieux en tirant d'elle-même les beautés qu'elle partageait avec sa compagne. Elle se propose encore, il est vrai, de rendre les idées et les sentiments du poète; mais elle prend en quelque sorte un autre langage; et quoique l'objet soit le même, le poète et le musicien, trop séparés dans leur travail, en offrent à la fois deux images ressemblantes, mais distinctes, qui se nuisent mutuellement. L'esprit, forcé de se partager, choisit et se fixe à une image plutôt qu'à l'autre. Alors le musicien, s'il a plus d'art que le poète, l'efface et le fait oublier: l'acteur, voyant que le spectateur sacrifie les paroles à la musique, sacrifie à son tour le geste et l'action théâtrale au chant et au brillant de la voix; ce qui fait tout-à-fait oublier la pièce, et change le spectacle en un véritable concert. Que si l'avantage, au contraire, se trouve du côté du poète, la musique à son tour deviendra presque indifférente, et le spectateur, trompé par le bruit, pourra prendre le change au point d'attribuer à un mauvais musicien le mérite d'un excellent poète, et de croire admirer des chefs-d'oeuvre d'harmonie en admirant des poèmes bien composés.
Tels sont les défauts que la perfection absolue de la musique et son défaut d'application à la langue peuvent introduire dans les opéra à proportion du [-46-] concours de ces deux causes. Sur quoi l'on doit remarquer que les langues les plus propres à fléchir sous les lois de la mesure et de la mélodie sont celles où la duplicité dont je viens de parler est le moins apparente, parce que la musique se prêtant seulement aux idées de la poésie, celle-ci se prête à son tour aux inflexions de la mélodie, et que, quand la musique cesse d'observer le rhythme, l'accent et l'harmonie du vers, le vers se plie et s'asservit à la cadence de la mesure et à l'accent musical. Mais lorsque la langue n'a ni douceur ni flexibilité, l'âpreté de la poésie l'empêche de s'asservir au chant, la douceur même de la mélodie l'empêche de se prêter à la bonne récitation des vers, et l'on sent, dans l'union forcée de ces deux arts, une contrainte perpétuelle qui choque l'oreille, et détruit à la fois l'attrait de la mélodie et l'effet de la déclamation. Ce défaut est sans remède; et vouloir à toute force appliquer la musique à une langue qui n'est pas musicale, c'est lui donner plus de rudesse qu'elle n'en aurait sans cela.
Par ce que j'ai dit jusqu'ici, l'on a pu voir qu'il y a plus de rapport entre l'appareil des yeux ou la décoration, et la musique ou l'appareil des oreilles, qu'il n'en paraît entre deux sens qui semblent n'avoir rien de commun, et qu'à certains égards l'opéra, constitué comme il est, n'est pas un tout aussi monstrueux qu'il paraît l'être. Nous avons vu que voulant offrir aux regards l'intérêt et les mouvements qui manquaient à la musique, on avait imaginé les grossiers prestiges des machines et des [-47-] vols, et que, jusqu'à ce qu'on sût nous émouvoir, on s'était contenté de nous surprendre. Il est donc très-naturel que la musique, devenue passionnée et pathétique, ait renvoyé sur les théâtres des foires ces mauvais suppléments dont elle n'avait plus besoin sur le sien. Alors l'opéra, purgé de tout ce merveilleux qui l'avilissait, devint un spectacle également touchant et majestueux, digne de plaire aux gens de goût et d'intéresser les coeurs sensibles.
Il est certain qu'on aurait pu retrancher de la pompe du spectacle autant qu'on ajoutait à l'intérêt de l'action; car plus on s'occupe des personnages, moins on est occupé des objets qui les entourent: mais il faut cependant que le lieu de la scène soit convenable aux acteurs qu'on y fait parler; et l'imitation de la nature, souvent plus difficile et toujours plus agréable que celle des êtres imaginaires, n'en devient que plus intéressante en devenant plus vraisemblable. Un beau palais, des jardins délicieux, de savantes ruines, plaisent encore plus à l'oeil que la fantasque image du Tartare, de l'Olympe, du char du Soleil; image d'autant plus inférieure à celle que chacun se trace en lui-même, que, dans les objets chimériques, il n'en coûte rien à l'esprit d'aller au-delà du possible et de se faire des modèles au-dessus de toute imitation. De là vient que le merveilleux, quoique déplacé dans la tragédie, ne l'est pas dans le poème épique, où l'imagination, toujours industrieuse et dépensière, se charge de l'exécution, et en tire un tout autre parti que ne peut faire sur nos théâtres [-48-] le talent du meilleur machiniste, et la magnificence du plus puissant roi.
Quoique la musique prise pour un art d'imitation ait encore plus de rapport à la poésie qu'à la peinture, celle-ci, de la manière qu'on l'emploie au théâtre, n'est pas aussi sujette que la poésie à faire avec la musique une double représentation du même objet, parce que l'une rend les sentiments des hommes, et l'autre seulement l'image du lieu où ils se trouvent, image qui renforce l'illusion et transporte le spectateur partout où l'acteur est supposé être. Mais ce transport d'un lieu à un autre doit avoir des règles et des bornes; il n'est permis de se prévaloir à cet égard de l'agilité de l'imagination qu'en consultant la loi de la vraisemblance; et, quoique le spectateur ne cherche qu'à se prêter à des fictions dont il tire tout son plaisir, il ne faut pas abuser de sa crédulité au point de lui en faire honte: en un mot, on doit songer qu'on parle à des coeurs sensibles, sans oublier qu'on parle à des gens raisonnables. Ce n'est pas que je voulusse transporter à l'opéra cette rigoureuse unité de lieu qu'on exige dans la tragédie, et à laquelle on ne peut guère s'asservir qu'aux dépens de l'action; de sorte qu'on n'est exact à quelque égard, que pour être absurde à mille autres: ce serait d'ailleurs s'ôter l'avantage des changements de scènes, lesquelles se font valoir mutuellement; ce serait s'exposer, par une vicieuse uniformité, à des oppositions mal conçues entre la scène qui reste toujours et les situations qui changent; ce serait gâter l'un par [-49-] l'autre l'effet de la musique et celui de la décoration, comme de faire entendre des symphonies voluptueuses parmi des rochers, ou des airs gais dans les palais des rois.
C'est donc avec raison qu'on a laissé subsister d'acte en acte les changements de scène; et, pour qu'ils soient réguliers et admissibles, il suffit qu'on ait pu naturellement se rendre du lieu d'où l'on sort au lieu où l'on passe, dans l'intervalle de temps qui s'écoule ou que l'action suppose entre les deux actes: de sorte que, comme l'unité de temps doit se renfermer à peu près dans la durée de vingt-quatre heures, l'unité de lieu doit se renfermer à peu près dans l'espace d'une journée de chemin. A l'égard des changements de scène pratiqués quelquefois dans un même acte, ils me paraissent également contraires à l'illusion et à la raison, et devoir être absolument proscrits du théâtre.
Voilà comment le concours de l'acoustique et de la perspective peut perfectionner l'illusion, flatter les sens par des impressions diverses, mais analogues, et porter à l'ame un même intérêt avec un double plaisir. Ainsi ce serait une grande erreur de penser que l'ordonnance du théâtre n'a rien de commun avec celle de la musique, si ce n'est la convenance générale qu'elles tirent du poème: c'est à l'imagination des deux artistes à déterminer entre eux ce que celle du poète a laissé à leur disposition, et à s'accorder si bien en cela que le spectateur sente toujours l'accord parfait de ce qu'il voit et de ce qu'il entend. Mais il faut avouer que la [-50-] tâche du musicien est la plus grande. L'imitation de la peinture est toujours froide, parce qu'elle manque de cette succession d'idées et d'impressions qui échauffe l'ame par degrés, et que tout est dit au premier coup d'oeil. La puissance imitative de cet art, avec beaucoup d'objets apparents, se borne en effet à de très-faibles représentations. C'est un des grands avantages du musicien de pouvoir peindre les choses qu'on ne saurait entendre, tandis qu'il est impossible au peintre de peindre celles qu'on ne saurait voir; et le plus grand prodige d'un art qui n'a d'activité que par ses mouvements est d'en pouvoir former jusqu'à l'image du repos. Le sommeil, le calme de la nuit, la solitude, et le silence même, entrent dans le nombre des tableaux de la musique. Quelquefois le bruit produit l'effet du silence, et le silence l'effet du bruit; comme quand un homme s'endort à une lecture égale et monotone, et s'éveille à l'instant qu'on se tait: et il en est de même pour d'autres effets. Mais l'art a des substitutions plus fertiles et bien plus fines que celles-ci; il sait exciter par un sens des émotions semblables à celles qu'on peut exciter par un autre; et, comme le rapport ne peut être sensible que l'impression ne soit forte, la peinture, dénuée de cette force, rend difficilement à la musique les imitations que celle-ci tire d'elle. Que toute la nature soit endormie, celui qui la contemple ne dort pas; et l'art du musicien consiste à substituer à l'image insensible de l'objet celle des mouvements que sa présence excite dans l'esprit [-51-] du spectateur; il ne représente pas directement la chose, mais il réveille dans notre ame le même sentiment qu'on éprouve en la voyant.
Ainsi, bien que le peintre n'ait rien à tirer de la partition du musicien, l'habile musicien ne sortira point sans fruit de l'atelier du peintre: non-seulement il agitera la mer à son gré, excitera les flammes d'un incendie, fera couler les ruisseaux, tomber la pluie et grossir les torrents; mais il augmentera l'horreur d'un désert affreux, rembrunira les murs d'une prison souterraine, calmera l'orage, rendra l'air tranquille, le ciel serein, et répandra de l'orchestre une fraîcheur nouvelle sur les bocages.
Nous venons de voir comment l'union des trois arts qui constituent la scène lyrique forme entre eux un tout très-bien lié. On a tenté d'y en introduire un quatrième, dont il me reste à parler.
Tous les mouvements du corps, ordonnés selon certaines lois pour affecter les regards par quelque action, prennent en général le nom de gestes. Le geste se divise en deux espèces, dont l'une sert d'accompagnement à la parole, et l'autre de supplément. Le premier, naturel à tout homme qui parle, se modifie différemment, selon les hommes, les langues et les caractères. Le second est l'art de parler aux yeux sans le secours de l'écriture, par des mouvements du corps devenus signes de convention. Comme ce geste est plus pénible, moins naturel pour nous que l'usage de la parole, et qu'elle le rend inutile, il l'exclut, et même en [-52-] suppose la privation; c'est ce qu'on appelle art des pantomimes. A cet art ajoutez un choix d'attitudes agréables et de mouvements cadencés, vous aurez ce que nous appelons la danse, qui ne mérite guère le nom d'art quand elle ne dit rien à l'esprit.
Ceci posé, il s'agit de savoir si, la danse étant un langage, et par conséquent pouvant être un art d'imitation, peut entrer avec les trois autres dans la marche de l'action lyrique, ou bien si elle peut interrompre et suspendre cette action sans gâter l'effet et l'unité de la pièce.
Or je ne vois pas que ce dernier cas puisse même faire une question: car chacun sent que tout l'intérêt d'une action suivie dépend de l'impression continue et redoublée que sa représentation fait sur nous; que tous les objets qui suspendent ou partagent l'attention sont autant de contre-charmes qui détruisent celui de l'intérêt; qu'en coupant le spectacle par d'autres spectacles qui lui sont étrangers, on divise le sujet principal en parties indépendantes qui n'ont rien de commun entre elles que le rapport général de la matière qui les compose; et qu'enfin plus les spectacles insérés seraient agréables, plus la mutilation du tout serait difforme: de sorte qu'en supposant un opéra coupé par quelques divertissements qu'on pût imaginer, s'ils laissaient oublier le sujet principal, le spectateur, à la fin de chaque fête, se trouverait aussi peu ému qu'au commencement de la pièce; et pour l'émouvoir de nouveau et ranimer l'intérêt, ce serait toujours à recommencer. Voilà pourquoi les [-53-] Italiens ont enfin banni des entr'actes de leurs opéra ces intermèdes comiques qu'ils y avaient insérés; genre de spectacle agréable, piquant, et bien pris dans la nature, mais si déplacé dans le milieu d'une action tragique, que les deux pièces se nuisaient mutuellement, et que l'une des deux ne pouvait jamais intéresser qu'aux dépens de l'autre.
Reste donc à voir si la danse ne pouvant entrer dans la composition du genre lyrique comme ornement étranger, on ne l'y pourrait pas faire entrer comme partie constitutive, et faire concourir à l'action un art qui ne doit pas la suspendre. Mais comment admettre à la fois deux langages qui s'excluent mutuellement, et joindre l'art pantomime à la parole qui le rend superflu? Le langage du geste, étant la ressource des muets ou des gens qui ne peuvent s'entendre, devient ridicule entre ceux qui parlent: on ne répond point à des mots par des gambades, ni au geste par des discours; autrement je ne vois point pourquoi celui qui entend le langage de l'autre ne lui répond pas sur le même ton. Supprimez donc la parole si vous voulez employer la danse: sitôt que vous introduisez la pantomime dans l'opéra, vous en devez bannir la poésie; parce que de toutes les unités la plus nécessaire est celle du langage, et qu'il est absurde et ridicule de dire à la fois la même chose à la même personne, et de bouche et par écrit.
Les deux raisons que je viens d'alléguer se réunissent dans toute leur force pour bannir du drame lyrique les fêtes et les divertissements qui non-seulement [-54-] en suspendent l'action, mais, ou ne disent rien, ou substituent brusquement au langage adopté un autre langage opposé, dont le contraste détruit la vraisemblance, affaiblit l'intérêt, et, soit dans la même action poursuivie, soit dans un épisode inséré, blesse également la raison. Ce serait bien pis si ces fêtes n'offraient au spectateur que des sauts sans liaison et des danses sans objet, tissu gothique et barbare dans un genre d'ouvrage où tout doit être peinture et imitation.
Il faut avouer cependant que la danse est si avantageusement placée au théâtre, que ce serait le priver d'un de ses plus grands agréments que de l'en retrancher tout-à-fait. Aussi, quoiqu'on ne doive point avilir une action tragique par des sauts et des entrechats, c'est terminer très-agréablement le spectacle que de donner un ballet après l'opéra, comme une petite pièce après la tragédie. Dans ce nouveau spectacle, qui ne tient point au précédent, on peut aussi faire choix d'une autre langue; c'est une autre nation qui paraît sur la scène. L'art pantomime ou la danse devenant alors la langue de convention, la parole en doit être bannie à son tour; et la musique, restant le moyen de liaison, s'applique à la danse dans la petite pièce, comme elle s'appliquait dans la grande à la poésie. Mais avant d'employer cette langue nouvelle il faut la créer. Commencer par donner des ballets en action sans avoir préalablement établi la convention des gestes, c'est parler une langue à gens qui n'en ont pas le dictionnaire, et qui par conséquent ne l'entendront point.
[-55-] Opéra, substantif masculin. Est aussi un mot consacré pour distinguer les différents ouvrages d'un même auteur, selon l'ordre dans lequel ils ont été imprimés ou gravés, et qu'il marque ordinairement lui-même sur les titres par des chiffres. (Voyez Oeuvre.) Ces ceux mots sont principalement en usage pour les compositions de symphonie.
Oratoire. De l'italien oratorio. Espèce de drame en latin ou en langue vulgaire, divisé par scènes, à l'imitation des pièces de théâtre, mais qui roule toujours sur des sujets sacrés, et qu'on met en musique pour être exécuté dans quelque église durant le carème ou en d'autre temps. Cet usage, assez commun en Italie, n'est point admis en France: la musique française est si peu propre au genre dramatique, que c'est bien assez qu'elle y montre son insuffisance au théâtre, sans l'y montrer encore à l'église.
Orchestre, substantif masculin. On prononce orquestre. C'était, chez les Grecs, la partie inférieure du théâtre; elle était faite en demi-cercle et garnie de siéges tout autour: on l'appelait orchestre, parce que c'était là que s'exécutaient les danses.
Chez eux l'orchestre faisait une partie du théâtre; à Rome, il en était séparé, et rempli de siéges destinés pour les sénateurs, les magistrats, les vestales, et les autres personnes de distinction. A Paris, l'orchestre des Comédies française et italienne, et ce qu'on appelle ailleurs le parquet, est destiné en partie à un usage semblable.
Aujourd'hui ce mot s'applique plus particulièrement [-56-] à la musique, et s'entend tantôt du lieu où se tiennent ceux qui jouent des instruments, comme l'orchestre de l'Opéra, tantôt du lieu où se tiennent tous les musiciens en général, comme l'orchestre du Concert spirituel au château des Tuileries, et tantôt de la collection de tous les symphonistes: c'est dans ce dernier sens que l'on dit de l'exécution de musique que l'orchestre était bon ou mauvais, pour dire que les instruments étaient bien ou mal joués.
Dans les musiques nombreuses en symphonistes, telles que celle d'un opéra, c'est un soin qui n'est pas à négliger que la bonne distribution de l'orchestre. On doit en grande partie à ce soin l'effet étonnant de la symphonie dans les opéra d'Italie. On porte la première attention sur la fabrique même de l'orchestre, c'est-à-dire de l'enceinte qui le contient; on lui donne les proportions convenables pour que les symphonistes y soient le plus rassemblés et le mieux distribués qu'il est possible: on a soin d'en faire la caisse d'un bois léger et résonnant comme le sapin, de l'établir sur un vide avec des arcs-boutants, d'en écarter les spectateurs par un râteau placé dans le parterre à un pied ou deux de distance; de sorte que le corps même de l'orchestre portant, pour ainsi dire, en l'air, et ne touchant presque à rien, vibre et résonne sans obstacle, et forme comme un grand instrument qui répond à tous les autres et en augmente l'effet.
A l'égard de la distribution intérieur, on a soin, premier que le nombre de chaque espèce d'instruments [-57-] se proportionne à l'effet qu'ils doivent produire tous ensemble; que, par exemple, les basses n'étouffent pas les dessus et n'en soient pas étouffées; que les hautbois ne dominent pas sur les violons, ni les seconds sur les premiers; second que les instruments de chaque espèce, excepté les basses, soient rassemblés entre eux, pour qu'ils s'accordent mieux et marchent ensemble avec plus d'exactitude; troisième que les basses soient dispersées autour des deux clavecins et par tout l'orchestre, parce que c'est la basse qui doit régler et soutenir tontes les autres parties, et que tous les musiciens doivent l'entendre également; quatrième que tous les symphonistes aient l'oeil sur le maître à son clavecin, et le maître sur chacun d'eux; que de même chaque violon soit vu de son premier et le voie: c'est pourquoi cet instrument étant et devant être le plus nombreux, doit être distribué sur deux lignes qui se regardent; savoir, les premiers assis en face du théâtre, le dos tourné vers les spectateurs; les seconds vis-à-vis d'eux, le dos tourné vers le théâtre, et cetera.
Le premier orchestre de l'Europe pour le nombre et l'intelligence des symphonistes est celui de Naples; mais celui qui est le mieux distribué et forme l'ensemble le plus parfait est l'orchestre de l'Opéra du roi de Pologne à Dresde, dirigé par l'illustre Hasse. Ceci s'écrivait en 1754. (Voyez Planche G, figure 1 [ROUDIC4 08GF]) la représentation de cet orchestre, où, sans s'attacher aux mesures qu'on n'a pas prises sur les lieux, on pourra mieux juger à l'oeil de la distribution totale qu'on me pourrait faire sur une longue description.
[-58-] On a remarqué que de tous les orchestres de l'Europe, celui de l'Opéra de Paris, quoique un des plus nombreux, était celui qui faisait le moins d'effet. Les raisons en sont faciles à comprendre: premièrement, la mauvaise construction de l'orchestre, enfoncé dans la terre, et clos d'une enceinte de bois lourd, massif, et chargé de fer, étouffe toute résonnance; second le mauvais choix des symphonistes, dont le plus grand nombre, reçu par faveur, sait à peine la musique, et n'a nulle intelligence de l'ensemble; troisième leur assommante habitude de racler, s'accorder, préluder continuellement à grand bruit, sans jamais pouvoir être d'accord; quatrième le génie français, qui est en général de négliger et dédaigner tout ce qui devient devoir journalier; cinquième les mauvais instruments des symphonistes, lesquels, restant sur le lieu, sont toujours des instruments de rebut, destinés à mugir durant les représentations, et à pourrir dans les intervalles; sixième le mauvais emplacement du maître, qui, sur le devant du théâtre, et tout occupé des acteurs, ne peut veiller suffisamment sur son orchestre, et l'a derrière lui, au lieu de l'avoir sous ses yeux; septième le bruit insupportable de son bâton qui couvre et amortit tout l'effet de la symphonie; huitième la mauvaise harmonie de leurs compositions, qui, n'étant jamais pure et choisie, ne fait entendre, au lieu de choses d'effet, qu'un remplissage sourd et confus; neuvième pas assez de contrebasses et trop de violoncelles, dont les sons, traînés à leur manière, étouffent la mélodie et assomment le spectateur; dixième enfin le défaut de mesure, et le [-59-] caractère indéterminé de la musique française, où c'est toujours l'acteur qui règle l'orchestre, au lieu que l'orchestre doit régler l'acteur, et où les dessus mènent la basse, au lieu que la basse doit mener les dessus.
Oreille, substantif féminin. Ce mot s'emploie figurément en terme de musique. Avoir de l'oreille, c'est avoir l'ouïe sensible, fine et juste; en sorte que, soit pour l'intonation, soit pour la mesure, on soit choqué du moindre défaut, et qu'aussi l'on soit frappé des beautés de l'art quand on les entend. On a l'oreille fausse lorsqu'on chante constamment faux, lorsqu'on ne distingue point les intonations fausses des intonations justes, ou lorsqu'on n'est point sensible à la précision de la mesure, qu'on la bat inégale ou à contre-temps. Ainsi le mot oreille se prend toujours pour la finesse de la sensation ou pour le jugement du sens: dans cette acception, le mot oreille ne se prend jamais qu'au singulier et avec l'article partitif, Avoir de l'oreille; Il a peu d'oreille.
Organique, adjectif pris substantivement au féminin. C'était, chez les Grecs, cette partie de la musique qui s'exécutait sur les instruments; et cette partie avait ses caractères, ses notes particulières, comme on le voit dans les tables de Bacchius et d'Alypius. (Voyez Musique, Notes.)
Organiser le chant, verbe actif. C'était, dans le commencement de l'invention du contre-point, insérer quelques tierces dans une suite de plain-chant à l'unisson, de sorte, par exemple, qu'une partie du choeur chantant ces quatre notes ut re si ut, l'autre [-60-] partie chantait en même temps ces quatre-ci ut re re ut. Il paraît par les exemples cités par l'abbé Le Boeuf et par d'autres, que l'organisation ne se pratiquait guère que sur la note sensible à l'approche de la finale; d'où il suit qu'on n'organisait presque jamais que par une tierce mineure. Pour un accord si facile et si peu varié, les chantres qui organisaient ne laissaient pas d'être payés plus cher que les autres.
A l'égard de l'organum triplum ou quadruplum, qui s'appelait aussi triplum ou quadruplum tout simplement, ce n'était autre chose que le même chant des parties organisantes entonné par des hautes-contre à l'octave des basses, et par des dessus à l'octave des tailles.
Orthien, adjectif. Le nome orthien dans la musique grecque était un nome dactylique, inventé, selon les uns, par l'ancien Olympus le Phrygien, et, selon d'autres, par le Mysien. C'est sur ce nome orthien, disent Hérodote et Aulu-Gelle, que chantait Arion quand il se précipita dans la mer.
Ouverture, substantif féminin. Pièce de symphonie qu'on s'efforce de rendre éclatante, imposante, harmonieuse, et qui sert de début aux opéra et autres drames lyriques d'une certaine étendue.
Les ouvertures des opéra français sont presque toutes calquées sur celles de Lulli. Elles sont composées d'un morceau traînant appelé grave, qu'on joue ordinairement deux fois, et d'une reprise sautillante appelée gaie, laquelle est communément fuguée: plusieurs de ces reprises rentrent encore dans le grave en finissant.
[-61-] Il a été un temps où les ouvertures françaises servaient de modèle dans toute l'Europe. Il n'y a pas soixante ans qu'on faisait venir en Italie des ouvertures de France pour mettre à la tête des opéra: j'ai vu même plusieurs anciens opéra italiens notés avec une ouverture de Lulli à la tête. C'est de quoi les Italiens ne conviennent pas aujourd'hui que tout a si fort changé; mais le fait ne laisse pas d'être très-certain.
La musique instrumentale ayant fait un progrès étonnant depuis une quarantaine d'années, les vieilles ouvertures faites pour des symphonistes qui savaient peu tirer parti de leurs instruments ont bientôt été laissées aux Français, et l'on s'est d'abord contenté d'en garder à peu près la disposition. Les Italients n'ont pas même tardé de s'affranchir de cette gêne, et ils distribuent aujourd'hui leurs ouvertures d'une autre manière: ils débutent par un morceau saillant et vif, à deux ou à quatre temps; puis ils donnent un andante à demi-jeu, dans lequel ils tâchent de déployer toutes les graces du beau chant, et ils finissent par un brillant allegro, ordinairement à trois temps.
La raison qu'ils donnent de cette distribution est que dans un spectacle nombreux où les spectateurs font beaucoup de bruit, il faut d'abord les porter au silence et fixer leur attention par un début éclatant qui les frappe. Ils disent que le grave de nos ouvertures n'est entendu ni écouté de personne, et que notre premier coup d'archet, que nous vantons avec tant d'emphase, moins bruyant [-62-] que l'accord des instruments qui le précède, et avec lequel il se confond, est plus propre à préparer l'auditeur à l'ennui qu'à l'attention. Ils ajoutent qu'après avoir rendu le spectateur attentif, il convient de l'intéresser avec moins de bruit par un chant agréable et flatteur qui le dispose à l'attendrissement qu'on tâchera bientôt de lui inspirer; et de déterminer enfin l'ouverture par un morceau d'un autre caractère, qui, tranchant avec le commencement du drame, marque, en finissant avec bruit, le silence que l'acteur arrivé sur la scène exige du spectateur.
Notre vieille routine d'ouvertures a fait naître en France une plaisante idée. Plusieurs se sont imaginé qu'il y avait une telle convenance entre la forme des ouvertures de Lulli et un opéra quelconque, qu'on ne saurait la changer sans rompre l'accord du tout; de sorte que d'un début de symphonie qui serait dans un autre goût, tel, par exemple, qu'une ouverture italienne, ils diront avec mépris que c'est une sonate et non pas une ouverture: comme si toute ouverture n'était pas une sonate!
Je sais bien qu'il serait à désirer qu'il y eût un rapport propre et sensible entre le caractère d'une ouverture et celui de l'ouvrage qu'elle annonce; mais au lieu de dire que toutes les ouvertures doivent être jetées au même moule, cela dit précisément le contraire. D'ailleurs, si nos musiciens manquent si souvent de saisir le vrai rapport de la musique aux paroles dans chaque morceau, comment saisiront-ils les rapports plus éloignés et [-63-] plus fins entre l'ordonnance d'une ouverture et celle du corps entier de l'ouvrage? Quelques musiciens se sont imaginé bien saisir ces rapports en rassemblant d'avance dans l'ouverture tous les caractères exprimés dans la pièce, comme s'ils voulaient exprimer deux fois la même action, et que ce qui est à venir fût déjà passé. Ce n'est pas cela; l'ouverture la mieux entendue est celle qui dispose tellement les coeurs des spectateurs qu'ils s'ouvrent sans effort à l'intérêt qu'on veut leur donner dès le commencement de la pièce. Voilà le véritable effet que doit produire une bonne ouverture, voilà le plan sur lequel il la faut traiter.
Ouverture du livre, a l'ouverture du livre. (Voyez Livre.)
Oxipycni, adjectif pluriel. C'est le nom que donnaient les anciens dans le genre épais au troisième son en montant de chaque tétracorde.
Ainsi les sons oxipycni étaient cinq en nombre. (Voyez Apycni, Épais, Système, Tétracorde.)
P.
P. Par abréviation signifie piano, c'est-à-dire doux. (Voyez Doux.)
Le double pp signifie pianissimo, c'est-à-dire très-doux.
Pantomime, substantif féminin. Air sur lequel deux ou plusieurs danseurs exécutent en danse une action qui porte aussi le nom de pantomime. Les airs des pantomimes ont pour l'ordinaire un couplet principal qui revient [-64-] souvent dans le cours de la pièce, et qui doit être simple, par la raison dite au mot contre-danse; mais ce couplet est entremêlé d'autres plus saillants, qui parlent, pour ainsi dire, et font image dans les situations où le danseur doit mettre une expression déterminée.
Papier réglé. On appelle ainsi le papier préparé avec les portées toutes tracées pour y noter la musique. (Voyez Portée.)
Il y a du papier réglé de deux espèces: savoir, celui dont le format est plus long que large, tel qu'on l'emploie communément en France; et celui dont le format est plus large que long; ce dernier est le seul dont on se serve en Italie. Cependant, par une bizarrerie dont j'ignore la cause, les papetiers de Paris appellent papier réglé à la française celui dont on se sert en Italie, et papier réglé à l'italienne celui qu'on préfère en France.
Le format plus large que long paraît plus commode, soit parce qu'un livre de cette forme se tient mieux ouvert sur un pupitre, soit parce que les portées étant plus longues, on en change moins fréquemment: or, c'est dans ces changements que les musiciens sont sujets à prendre une portée pour l'autre, surtout dans les partitions. (Voyez Partition.)
Le papier réglé en usage en Italie est toujours de dix portées, ni plus ni moins; et cela fait juste deux lignes ou accolades dans les partitions ordinaires, où l'on a toujours cinq parties; savoir, deux dessus de violon, la viola, la partie chantante, [-65-] et la basse. Cette division étant toujours la même, et chacun trouvant dans toutes les partitions sa partie semblablement placée, passe toujours d'une accolade à l'autre sans embarras et sans risque de se méprendre. Mais dans les partitions françaises, où le nombre des portées n'est fixe et déterminé ni dans les pages ni dans les accolades, il faut toujours hésiter à la fin de chaque portée pour trouver dans l'accolade qui suit la portée correspondante à celle où l'on est; ce qui rend le musicien moins sûr, et l'exécution plus sujette à manquer.
Paradiazeuxis ou Disjonction prochaine, substantif féminin. C'était, dans la musique grecque, au rapport du vieux Bacchius, l'intervalle d'un ton seulement entre les cordes de deux tétracordes; et telle est l'espèce de disjonction qui règne entre le tétracorde synnéménon et le tétracorde diézeugménon. (Voyez ces mots.)
Paramèse, substantif féminin. C'était, dans la musique grecque, le nom de la première corde du tétracorde diézeugménon. Il faut se souvenir que le troisième tétracorde pouvait être conjoint avec le second; alors sa première corde était la mèse ou la quatrième corde du second, c'est à dire que cette mèse était commune aux deux.
Mais quand ce troisième tétracorde était disjoint, il commençait par la corde appelée paramèse, laquelle, au lieu de se confondre avec la mèse, se trouvait alors un ton plus haut, et ce ton faisait la disjonction ou distance entre la quatrième corde ou la plus aiguë du tétracorde méson, et la première [-66-] ou la plus grave du tétracorde diézeugménon. (Voyez Système, Tétracorde.)
Paramèse signifie proche de la mèse, parce qu'en effet la paramèse n'en était qu'à un ton de distance, quoiqu'il y eût quelquefois une corde entre deux. (Voyez Trite.)
Paranète, substantif féminin. C'est, dans la musique ancienne, le nom donné par plusieurs auteurs à la troisième corde de chacun des trois tétracordes synnéménon, diézeugménon, et hyperboléon; corde que quelques uns ne distinguaient que par le nom du genre où ces tétracordes étaient employés: ainsi la troisième corde du tétracorde hyperboléon, laquelle est appelée hyperboléon-diatonos par Aristoxène et Alypius, est appelée paranète-hyperboléon par Euclide, et cetera.
Paraphonie, substantif féminin. C'est, dans la musique ancienne, cette espèce de consonnance qui ne résulte pas des mêmes sons, comme l'unisson, qu'on appelle homophonie, ni de la réplique des mêmes sons, comme l'octave, qu'on appelle antiphonie, mais des sons réellement différents, comme la quinte et la quarte, seules paraphonies admises dans cette musique: car pour la sixte et la tierce, les Grecs ne les mettaient pas au rang des paraphonies, ne les admettant pas même pour consonnances.
Parfait, adjectif. Ce mot, dans la musique, a plusieurs sens: joint au mot accord, il signifie un accord qui comprend toutes les consonnances sans aucune dissonance; joint au mot cadence, il exprime [-67-] celle qui porte la note sensible, et de la dominante tombe sur la finale; joint au mot consonnance, il exprime un intervalle juste et déterminé, qui ne peut être ni majeur ni mineur: ainsi l'octave, la quinte et la quarte sont des consonnances parfaites, et ce sont les seules; joint au mot mode, il s'applique à la mesure par une acception qui n'est plus connue, et qu'il faut expliquer pour l'intelligence des anciens auteurs.
Ils divisaient le temps ou le mode par rapport à mesure en parfait ou imparfait; et prétendant que le nombre ternaire était plus parfait que le binaire, ce qu'ils prouvaient par la Trinité, ils appelaient temps ou mode parfait celui dont la mesure était à trois temps; et ils le marquaient par un O ou cercle, quelquefois seul, et quelquefois barré, [Odim]. Le temps ou mode imparfait formait une mesure à deux temps, et se marquait par un O tronqué ou un C, tantôt seul et tantôt barré. (Voyez Mesure, Mode, Prolation, Temps.)
Parhypate, substantif féminin. Nom de la corde qui suit immédiatement l'hypate du grave à l'aigu. Il y avait deux parhypates dans le diagramme des Grecs, savoir la parhypate-hypaton et la parhypate-méson. Ce mot parhypate signifie sous-principale, ou proche la principale. (Voyez Hypate.)
Parodie, substantif féminin. Air de symphonie dont on fait un air chantant en y ajustant des paroles. Dans une musique bien faite le chant est fait sur les paroles, et dans la parodie les paroles sont faites sur le chant: tous les couplets d'une chanson, excepté le premier, [-68-] sont des espèces de parodies; et c'est pour l'ordinaire ce que l'on ne sent que trop à la manière dont la prosodie y est estropiée. (Voyez Chanson.)
Paroles, substantif féminin pluriel. C'est le nom qu'on donne au poème que le compositeur met en musique, soit que ce poème soit petit ou grand, soit que ce soit un drame ou une chanson. La mode est de dire d'un nouvel opéra que la musique en est passable ou bonne, mais que les paroles en sont détestables: on pourrait dire le contraire des vieux opéra de Lulli.
Partie, substantif féminin. C'est le nom de chaque voix ou mélodie séparée, dont la réunion forme le concert. Pour constituer un accord il faut que deux sons au moins se fassent entendre à la fois; ce qu'une seule voix ne saurait faire. Pour former en chantant une harmonie ou une suite d'accords, il faut donc plusieurs voix: le chant qui appartient à chacune de ces voix s'appelle partie, et la collection de toutes les parties d'un même ouvrage écrites l'une au-dessous de l'autre s'appelle partition. (Voyez Partition.)
Comme un accord complet est composé de quatre sons, il y a aussi dans la musique quatre parties principales, dont la plus aiguë s'appelle dessus, et se chante par des voix de femmes, d'enfants, ou de musici; les trois autres sont, la haute-contre, la taille et la basse, qui toutes appartiennent à des voix d'hommes. On peut voir (Planche F, figure 6 [ROUDIC4 07GF]) l'étendue de voix de chacune de ces parties, et la clef qui lui [-69-] appartient. Les notes blanches montrent les sons pleins où chaque partie peut arriver tant en haut qu'en bas; et les croches qui suivent montrent les sons où la voix commencerait à se forcer, et qu'elle ne doit former qu'en passant. Les voix italiennes excèdent presque toujours cette étendue dans le haut, surtout les dessus; mais la voix devient alors une espèce de fausset, et, avec quelque art que ce défaut se déguise, c'en est certainement un.
Quelqu'une ou chacune de ces parties se subdivise, quand on compose à plus de quatre parties. (Voyez Dessus, Taille, Basse.)
Dans la première invention du contre-point, il n'eut d'abord que deux parties, dont l'une s'appelait tenor et l'autre discant; ensuite on en ajouta une troisième qui prit le nom de triplum; et enfin une quatrième, qu'on appela quelquefois quadruplum, et plus communément motetus. Ces parties se confondaient et enjambaient très-fréquemment les unes sur les autres: ce n'est que peu à peu qu'en s'étendant à l'aigu et au grave, elles ont pris avec des diapasons plus séparés et plus fixes les noms qu'elles ont aujourd'hui.
Il y a aussi des parties instrumentales. Il y a même des instruments, comme l'orgue, le clavecin, la viole, qui peuvent faire plusieurs parties à la fois. On devise aussi la musique instrumentale en quatre parties, qui répondent à celles de la musique vocale, et qui s'appellent dessus, quinte, taille, et basse; mais ordinairement le dessus se sépare en deux, et la quinte s'unit avec la taille sous le nom [-70-] commun de viole. On trouvera aussi (Planche F, figure 7 [ROUDIC4 07GF]) les clefs et l'étendue des quatre parties instrumentales: mais il faut remarquer que la plupart des instruments n'ont pas dans le haut des bornes précises, et qu'on les peut faire démancher autant qu'on veut aux dépens des oreilles des auditeurs; au lieu que dans le bas ils ont un terme fixe qu'ils ne sauraient passer: ce terme est à la note que j'ai marquée, mais je n'ai marqué dans le haut que celle où l'on peut atteindre sans démancher.
Il y a des parties qui ne doivent être chantées que par une seule voix, ou jouées que par un seul instrument; et celles-là s'appellent parties récitantes. D'autres parties s'exécutent par plusieurs personnes chantant ou jouant à l'unisson, et on les appelle parties concertantes ou parties de choeur.
On appelle encore partie le papier de musique sur lequel est écrite la partie séparée de chaque musicien. Quelquefois plusieurs chantent ou jouent sur le même papier; mais quand ils ont chacun le leur, comme cela se pratique ordinairement dans les grandes musiques, alors, quoique en ce sens chaque concertant ait sa partie, ce n'est pas à dire dans l'autre sens qu'il y ait autant de parties de concertants, attendu que la même partie est souvent doublée, triplée et multipliée à proportion du nombre total des exécutants.
Partition, substantif féminin. Collection de toutes les parties d'une pièce de musique, où l'on voit, par la réunion des portées correspondantes, l'harmonie qu'elles forment entre elles. On écrit pour cela [-71-] toutes les parties portée à portée, l'une au-dessous de l'autre, avec la clef qui convient à chacune, commençant par les plus aiguës, et plaçant la basse au-dessous du tout; on les arrange, comme j'ai dit au mot Copiste, de manière que chaque mesure d'une portée soit placée perpendiculairement au-dessus ou au-dessous de la mesure correspondante des autres parties, et enfermée dans les mêmes barres prolongées de l'une à l'autre, afin que l'on puisse voir d'un coup d'oeil tout ce qui doit s'entendre à la fois.
Comme dans cette disposition une seule ligne de musique comprend autant de portées qu'il y a de parties, on embrasse toutes ces portées par un trait de plume qu'on appelle accolade, et qui se tire à la marge au commencement de cette ligne ainsi composée; puis on recommence, pour une nouvelle ligne, à tracer une nouvelle accolade qu'on remplit de la suite des mêmes portées écrites dans le même ordre.
Ainsi, quand on veut suivre une partie, après avoir parcouru la portée jusqu'au bout, on ne passe pas à celle qui est immédiatement au-dessous; mais on regarde quel rang la portée que l'on quitte occupe dans son accolade; on va chercher dans l'accolade qui suit la portée correspondante, et l'on y trouve la suite de la même partie.
L'usage des partitions est indispensable pour composer. Il faut aussi que celui qui conduit un concert ait la partition sous les yeux pour voir si chacun suit sa partie, et remettre ceux qui peuvent [-72-] manquer: elle est même utile à l'accompagnateur pour bien suivre l'harmonie; mais quant aux autres musiciens, on donne ordinairement à chacun sa partie séparée, étant inutile pour lui de voir celle qu'il n'exécute pas.
Il y a pourtant quelques cas où l'on joint dans une partie séparée d'autres parties en partition partielle, pour la commodité des exécutants: premier dans les parties vocales on note ordinairement la basse-continue en partition avec chaque partie récitante, soit pour éviter au chanteur la peine de compter ses pauses en suivant la basse, soit pour qu'il se puisse accompagner lui-même en répétant ou récitant sa partie; second les deux parties d'un duo chantant se notent en partition dans chaque partie séparée, afin que chaque chanteur, ayant sous les yeux tout le dialogue, en saisisse mieux l'esprit, et s'accorde plus aisément avec sa contre-partie; troisième dans les parties instrumentales, on a soin, pour les récitatifs obligés, de noter toujours la partie chantante en partition avec celle de l'instrument, afin que, dans ces alternatives de chant non mesuré et de symphonie mesurée, le symphoniste prenne juste le temps des ritournelles sans enjamber et sans retarder.
Partition est encore, chez les facteurs d'orgue et de clavecin, une règle pour accorder l'instrument en commençant par une corde ou un tuyau de chaque touche dans l'étendue d'une octave ou un peu plus, prise vers le milieu du clavier, et sur cette octave ou partition l'on accorde après tout le [-73-] reste. Voici comment on s'y prend pour former la partition.
Sur un son donné par un instrument dont je parlerai au mot ton, l'on accorde à l'unisson ou à l'octave le C sol ut qui appartient à la clef de ce nom, et qui se trouve au milieu du clavier ou à peu près; on accorde ensuite le sol, quinte aiguë de cet ut; puis le re, quinte aiguë de ce sol; après quoi l'on redescend à l'octave de ce re, à côté du premier ut; on remonte à la quinte la, puis encore à la quinte mi, on redescend a l'octave de ce mi, et l'on continue de même, montant de quinte en quinte, et redescendant à l'octave lorsqu'on avance trop à l'aigu. Quand on est parvenu au sol dièse, on s'arrête.
Alors on reprend le premier ut, et l'on accorde son octave aiguë, puis la quinte grave de cette octave fa; l'octave aiguë de ce fa; ensuite le si bémol, quinte de cette octave; enfin le mi bémol, quinte grave de ce si bémol; l'octave aiguë duquel mi bémol doit faire quinte juste ou à peu près avec le la bémol ou sol dièse précédemment accordé: quand cela arrive, la partition est juste; autrement elle est fausse, et cela vient de n'avoir pas bien suivi les règles expliquées au mot Tempérament. Voyez (Planche F, figure 8 [ROUDIC4 07GF]) la succession d'accords qui forme la partition.
La partition bien faite, l'accord du reste est très-facile, puisqu'il n'est plus question que d'unissons et d'octaves pour achever d'accorder tout le clavier.
Passacaille, substantif féminin. Espèce de chaconne dont le chant est plus tendre et le mouvement plus lent [-74-] que dans les chaconnes ordinaires. (Voyez Chaconne.) Les passacailles d'Armide et d'Issé sont célèbres dans l'opéra français.
Passage, substantif masculin. Ornement dont on charge un trait de chant, pour l'ordinaire assez court, lequel est composé de plusieurs notes ou diminutions qui se chantent ou se jouent très-légèrement: c'est ce que les Italiens appellent aussi passo. Mais tout chanteur en Italie est obligé de savoir composer des passi, au lieu que la plupart des chanteurs français ne s'écartent jamais de la note et ne font de passages que ceux qui sont écrits.
Passe-pied, substantif masculin. Air d'une danse de même nom, fort commune, dont la mesure est triple, se marque 3/8, et se bat à un temps: le mouvement en est plus vif que celui du menuet, le caractère de l'air à peu près semblable; excepté que le passe-pied admet la syncope, et que le menuet ne l'admet pas: les mesures de chaque reprise y doivent entrer de même en nombre pairement pair; mais l'air du passe-pied, au lieu de commencer sur le frappé de la mesure, doit dans chaque reprise commencer sur la croche qui le précède.
Pastorale, substantif féminin. Opéra champêtre dont les personnages sont des bergers, et dont la musique doit être assortie à la simplicité de goût et de moeurs qu'on leur suppose.
Une pastorale est aussi une pièce de musique faite sur des paroles relatives à l'état pastoral, ou un chant qui imite celui des bergers, qui en a la douceur, la tendresse, et le naturel: l'air d'une [-75-] danse composée dans le même caractère s'appelle aussi pastorale.
Pastorelle, substantif féminin. Air italien dans le genre pastoral. Les airs français appelés pastorales sont ordinairement à deux temps et dans le caractère de musette. Les pastorelles italiennes ont plus d'accent, plus de grace, autant de douceur, et moins de fadeur: leur mesure est toujours le six-huit.
Pathétique, adjectif. Genre de musique dramatique et théâtrale, qui tend à peindre et à émouvoir les grandes passions, et plus particulièrement la douleur et la tristesse. Toute l'expression de la musique française, dans le genre pathétique, consiste dans les sons traînés, renforcés, glapissants, et dans une telle lenteur de mouvement que tout sentiment de la mesure y soit effacé. De là vient que les Français croient que tout ce qui est lent est pathétique, et que tout ce qui est pathétique doit être lent: ils ont même des airs qui deviennent gais et badins, ou tendres et pathétiques, selon qu'on les chante vite ou lentement; tel est un air si connu dans tout Paris, auquel on donne le premier caractère, sur ces paroles, Il y a trente ans que mon cotillon traîne, et cetera; et le second sur celles-ci, Quoi! vous partez sans que rien vous arrête! et cetera. C'est l'avantage de la mélodie française; elle sert à tout ce qu'on veut: Fiet avis, et, cùm volet, arbor.
Mais la musique italienne n'a pas le même avantage; chaque chant, chaque mélodie a son caractère tellement propre qu'il est impossible de l'en dépouiller; son pathétique d'accent et de mélodie [-76-] se fait sentir en toute sorte de mesure, et même dans les mouvements les plus vifs. Les airs français changent de caractère selon qu'on presse ou qu'on ralentit le mouvement: chaque air italien a son mouvement tellement déterminé, qu'on ne peut l'altérer sans anéantir la mélodie: l'air ainsi défiguré ne change pas son caractère, il le perd; ce n'est plus du chant, ce n'est rien.
Si le caractère du pathétique n'est pas dans le mouvement, on ne peut pas dire non plus qu'il soit dans le genre, ni dans le mode, ni dans l'harmonie, puisqu'il y a des morceaux également pathétiques dans les trois genres, dans les deux modes, et dans toutes les harmonies imaginables. Le vrai pathétique est dans l'accent passionné, qui ne se détermine point par les règles, mais que le génie trouve et que le coeur sent, sans que l'art puisse en aucune manière en donner la loi.
Patte a régler, substantif féminin. On appelle ainsi un petit instrument de cuivre, composé de cinq petites rainures également espacées, attachées à un manche commun, par lesquelles on trace à la fois sur le papier, et le long d'une règle, cinq lignes parallèles qui forment une portée. (Voyez Portée.)
Pavane, substantif féminin. Air d'une danse ancienne de même nom, laquelle depuis long-temps n'est plus en usage. Ce nom de pavane lui fut donné parce que les figurants faisaient, en se regardant, une espèce de roue à la manière des paons; l'homme se servait, pour cette roue, de sa cape et de son épée qu'il gardait dans cette danse, et c'est par allusion [-77-] à la vanité de cette attitude qu'on a fait le verbe réciproque se pavaner.
Pause, substantif féminin. Intervalle de temps qui, dans l'exécution, doit se passer en silence par la partie où la pause est marquée. (Voyez Tacet, Silence.)
Le nom de pause peut s'appliquer à des silences de différentes durées; mais communément il s'entend d'une mesure pleine. Cette pause se marque par un demi-bâton qui, partant d'une des lignes intérieures de la portée, descend jusqu'à la moitié de l'espace compris entre cette ligne et la ligne qui est immédiatement au-dessous. Quand on a plusieurs pauses à marquer, alors on doit se servir des figures dont j'ai parlé au mot bâton, et qu'on trouve marquées Planche D, figure 9 [ROUDIC4 05GF].
A l'égard de la demi-pause, qui vaut une blanche, ou la moitié d'une mesure à quatre temps, elle se marque comme la pause entière, avec cette différence que la pause tient à une ligne par le haut, et que la demi-pause y tient par le bas. Voyez, dans la même figure 9 [ROUDIC4 05GF], la distinction de l'une et de l'autre.
Il faut remarquer que la pause vaut toujours une mesure juste, dans quelque espèce de mesure qu'on soit, au lieu que la demi-pause a une valeur fixe et invariable; de sorte que, dans toute mesure qui vaut plus ou moins d'une ronde ou de deux blanches, on ne doit point se servir de la demi-pause pour marquer une demi-mesure, mais des autres silences qui en expriment la juste valeur.
Quant à cette autre espèce de pauses connues dans [-78-] nos anciennes musiques sous le nom de pauses initiales, parce qu'elles se plaçaient après la clef, et qui servaient, non à exprimer des silences, mais à déterminer le mode, ce nom de pauses ne leur fut donné qu'abusivement: c'est pourquoi je renvoie sur cet article aux mots Baton et Mode.
Pauser, verbe neutre. Appuyer sur une syllabe en chantant. On ne doit pauser que sur les syllabes longues, et l'on ne pause jamais sur les e muets.
Péan, substantif masculin. Chant de victoire parmi les Grecs, en l'honneur des dieux, et surtout d'Apollon.
Pentacorde, substantif masculin. C'était, chez les Grecs, tantôt un instrument à cinq cordes, et tantôt un ordre ou système formé de cinq sons; c'est en ce dernier sens que la quinte ou diapente s'appelait quelquefois pentacorde.
Pentatonon, substantif masculin. C'était, dans la musique ancienne, le nom d'un intervalle que nous appelons aujourd'hui sixte-superflue. (Voyez Sixte.) Il est composé de quatre tons, d'un semi-ton majeur, et d'un semi-ton mineur; d'où lui vient le nom de pentatonon, qui signifie cinq tons.
Perfidie, substantif féminin. Terme emprunté de la musique italienne, et qui signifie une certaine affectation de faire toujours la même chose, de poursuivre toujours le même dessein, de conserver le même mouvement, le même caractère de chant, les mêmes passages, les mêmes figures de notes (voyez Dessin, Chant, Mouvement); telles sont les basses-contraintes, comme celles des anciennes chaconnes, et une infinité de manières d'accompagnement contraint [-79-] ou perfidié, perfidiato, qui dépendent du caprice des compositeurs.
Ce terme n'est point usité en France, et je ne sais s'il a jamais été écrit en ce sens ailleurs que dans le Dictionnaire de Brossard.
Périélèse, substantif féminin. Terme de plain-chant. C'est l'interposition d'une ou plusieurs notes dans l'intonation de certaines pièces de chant, pour en assurer la finale, et avertir le choeur que c'est à lui de reprendre et poursuivre ce qui suit.
La périélèse s'appelle autrement cadence ou petite neume, et se fait de trois manières, savoir: premier par circonvolution, second par intercidence ou diaptose, troisième ou par simple duplication. (Voyez ces mots.)
Périphérès, substantif féminin. Terme de la musique grecque, qui signifie une suite de notes tant ascendantes que descendantes, et qui reviennent, pour ainsi dire, sur elles-mêmes. La périphérèse était formée de l'anacamptos et de l'euthia.
Petteïa, substantif féminin. Mot grec qui n'a point de correspondant dans notre langue, et qui est le nom de la dernière des trois parties dans lesquelles on subdivise la mélopée. (Voyez Mélopée.)
La petteïa est, selon Aristide Quintilien, l'art de discerner les sons dont on doit faire ou ne pas faire usage, ceux qui doivent être plus ou moins fréquents, ceux par où l'on doit commencer, et ceux par où l'on doit finir.
C'est la petteïa qui constitue les modes de la musique; elle détermine le compositeur dans le choix du genre de mélodie relatif au mouvement qu'il [-80-] veut peindre ou exciter dans l'ame, selon les personnes et selon les occasions; en un mot la petteïa, partie de l'hermosménon qui regarde la mélodie, est à cet égard ce que les moeurs sont en poésie.
On ne voit pas ce qui a porté les anciens à lui donner ce nom, à moins qu'ils ne l'aient pris de [petteia], leur jeu d'échecs, la petteïa, dans la musique, étant une règle pour combiner et arranger les sons, comme le jeu d'échecs en est une autre pour arranger les pièces appelées [pettoi], calculi.
Philélie, substantif féminin. C'était chez les Grecs une sorte d'hymne ou de chanson en l'honneur d'Apollon. (Voyez Chanson.)
Phonique, substantif féminin. Art de traiter et combiner les sons sur les principes de l'acoustique. (Voyez Acoustique.)
Phrase, substantif féminin. Suite de chant ou d'harmonie qui forme sans interruption un sens plus ou moins achevé, et qui se termine sur un repos par une cadence plus ou moins parfaite.
Il y a deux espèces de phrases musicales. En mélodie, la phrase est constituée par le chant, c'est-à-dire par une suite de sons tellement disposés, soit par rapport au ton, soit par rapport au mouvement, qu'ils fassent un tout bien lié, lequel aille se résoudre sur une corde essentielle du mode où l'on est.
Dans l'harmonie, la phrase est une suite régulière d'accords tous liés entre eux par des dissonances exprimées ou sous-entendues, laquelle se résout sur une cadence absolue; et selon l'espèce de cette [-81-] cadence, selon que le sens en est plus ou moins achevé, le repos est aussi plus ou moins parfait.
C'est dans l'invention des phrases musicales, dans leurs proportions, dans leur entrelacement, que consistent les véritables beautés de la musique: un compositeur qui ponctue et phrase bien est un homme d'esprit; un chanteur qui sent, marque bien ses phrases et leur accent, est un homme de goût; mais celui qui ne sait voir et rendre que les notes, les tons, les temps, les intervalles, sans entrer dans le sens des phrases, quelque sûr, quelque exact d'ailleurs qu'il puisse être, n'est qu'un croque-sol.
Phrygien, adjectif. Le mode phrygien est un des quatre principaux et plus anciens modes de la musique des Grecs. Le caractère en était ardent, fier, impétueux, véhément, terrible: aussi était-ce, selon Athénée, sur le ton ou mode phrygien que l'on sonnait les trompettes et autres instruments militaires.
Ce mode, inventé, dit-on, par Marsyas, Phrygien, occupe le milieu entre le lydien et le dorien, et sa finale est à un ton de distance de celles de l'un et de l'autre.
Pièce, substantif féminin. Ouvrage de musique d'une certaine étendue, quelquefois d'un seul morceau, et quelquefois de plusieurs, formant un ensemble et un tout fait pour être exécuté de suite: ainsi une ouverture est une pièce, quoique composée de trois morceaux, et un opéra même est une pièce, quoique divisé par actes. Mais outre cette acception générique, le mot pièce en a une plus particulière [-82-] dans la musique instrumentale, et seulement pour certains instruments, tels que la viole et le clavecin; par exemple, on ne dit point une pièce de violon, l'on dit une sonate; et l'on ne dit guère une sonate de clavecin, l'on dit une pièce.
Pied, substantif masculin. Mesure de temps ou de quantité, distribuée en deux ou plusieurs valeurs égales ou inégales. Il y avait dans l'ancienne musique cette différence des temps aux pieds, que les temps étaient comme les points ou éléments indivisibles, et les pieds les premiers composés de ces éléments; les pieds, à leur tour, étaient les éléments du mètre ou du rhythme.
Il y avait des pieds simples, qui pouvaient seulement se diviser en temps; et de composés, qui pouvaient se diviser en d'autres pieds, comme le choriambe, qui pouvait se résoudre en un trochée et un ïambe; l'ionique en un pyrrique et un spondée, et cetera.
Il y avait des pieds rhythmiques, dont les quantités relatives et déterminées étaient propres à établir des rapports agréables, comme égales, doubles, sesquialtères, sesquitierces, et cetera, et de non rhythmiques, entre lesquels les rapports étaient vagues, incertains, peu sensibles; tels, par exemple, qu'on en pourrait former de mots français, qui, pour quelques syllabes brèves ou longues, en ont une infinité d'autres sans valeur déterminée, ou qui, brèves ou longues seulement dans les règles des grammairiens, ne sont senties comme telles ni par l'oreille des poètes, ni dans la pratique du peuple.
[-83-] Pincé, substantif masculin. Sorte d'agrément propre à certains instruments, et surtout au clavecin: il se fait en battant alternativement le son de la note écrite avec le son de la note inférieure, et observant de commencer et finir par la note qui porte le pincé.
Il y a cette différence du pincé au tremblement ou trille, que celui-ci se bat avec la note supérieure, et le pincé avec la note inférieure; ainsi le trille sur ut se bat sur l'ut et sur le re, et le pincé sur le même ut se bat sur l'ut et sur le si. Le pincé est marqué, dans les pièces de Couperin, avec une petite croix fort semblable à celle avec laquelle on marque le trille dans la musique ordinaire. Voyez les signes de l'un et de l'autre à la tête des pièces de cet auteur.
Pincer, verbe actif. C'est employer les doigts au lieu de l'archet pour faire sonner les cordes d'un instrument. Il y a des instruments à cordes qui n'ont point d'archet, et dont on ne joue qu'en les pinçant; tels sont le sistre, le luth, la guitare: mais on pince aussi quelquefois ceux où l'on se sert ordinairement de l'archet, comme le violon et le violoncelle; et cette manière de jouer, presque inconnue dans la musique française, se marque dans l'italienne par le mot pizzicato.
Piqué, adjectif pris adverbialement. Manière de jouer en pointant les notes et marquant fortement le pointé.
Notes piquées sont des suites de notes montant ou descendant diatoniquement, ou rebattues sur le même degré, sur chacune desquelles on met un [-84-] point, quelquefois un peut allongé, pour indiquer qu'elles doivent être marquées égales par des coups de langue ou d'archet secs et détachés, sans retirer ou repousser l'archet, mais en le faisant passer en frappant et sautant sur la corde autant de fois qu'il y a de notes, dans le même sens qu'on a commencé.
Pizzicato. Ce mot écrit dans les musiques italiennes avertit qu'il faut pincer. (Voyez Pincer.)
Plagal, adjectif. Ton ou mode plagal. Quand l'octave se trouve divisée arithmétiquement, suivant le langage ordinaire, c'est-à-dire quand la quarte est au grave et la quinte à l'aigu, on dit que le ton est plagal, pour le distinguer de l'authentique, où la quinte est au grave et la quarte à l'aigu.
Supposons l'octave A a divisée en deux parties par la dominante E; si vous modulez entre les deux la, dans l'espace d'une octave, et que vous fassiez votre finale sur l'un de ces la, votre mode est authentique; mais si, modulant de même entre ces deux la, vous faites votre finale sur la dominante mi, qui est intermédiaire, ou que, modulant de la dominante à son octave, vous fassiez la finale sur la tonique intermédiaire, dans ces deux cas le mode est plagal.
Voilà toute la différence, par laquelle on voit que tous les tons sont réellement authentiques, et que la distinction n'est que dans le diapason du chant et dans le choix de la note sur laquelle on s'arrête, qui est toujours la tonique dans l'authentique, et le plus souvent la dominante dans le plagal.
[-85-] L'étendue des voix et la division des parties a fait disparaître ces distinctions dans la musique, et on ne les connaît plus que dans le plain-chant. On y compte quatre tons plagaux ou collatéraux; savoir, le second, le quatrième, le sixième, et le huitième; tous ceux dont le nombre est pair. (Voyez Tons de l'église.)
Plain-chant, substantif masculin. C'est le nom qu'on donne dans l'Église romaine au chant ecclésiastique. Ce chant, tel qu'il subsiste encore aujourd'hui, est un reste bien défiguré, mais bien précieux de l'ancienne musique grecque, laquelle, après avoir passé par les mains des barbares, n'a pu perdre encore toutes ses premières beautés: il lui en reste assez pour être de beaucoup préférable, même dans l'état où il est actuellement, et pour l'usage auquel il est destiné, à ces musiques efféminées et théâtrales, ou maussades et plates, qu'on y substitue en quelques églises, sans gravité, sans goût, sans convenance, et sans respect pour le lieu qu'on ose ainsi profaner.
Le temps où les chrétiens commencèrent d'avoir des églises et d'y chanter des psaumes et d'autres hymnes fut celui où la musique avait déjà perdu presque toute son ancienne énergie par un progrès dont j'ai exposé ailleurs les causes. Les chrétiens s'étant saisis de la musique dans l'état où ils la trouvèrent, lui ôtèrent encore la plus grande force qui lui était restée; savoir, celle du rhythme et du mètre, lorsque, des vers auxquels elle avait toujours été appliquée, ils la transportèrent à la prose [-86-] des livres sacrés, ou à je ne sais quelle barbare poésie, pire pour la musique que la prose même. Alors l'une des deux parties constitutives s'évanouit; et le chant, se traînant uniformément et sans aucune espèce de mesure de notes en notes presque égales, perdit avec sa marche rhythmique et cadencée toute l'énergie qu'il en recevait. Il n'y eut plus que quelques hymnes, dans lesquelles, avec la prosodie et la quantité des pieds conservés, on sentit encore un peu la cadence du vers; mais ce ne fut plus là le caractère général du plain-chant, dégénéré le plus souvent en une psalmodie toujours monotone, et quelquefois ridicule, sur une langue telle que la latine, beaucoup moins harmonieuse et accentuée que la langue grecque.
Malgré ces pertes si grandes, si essentielles, le plain-chant, conservé d'ailleurs par les prêtres dans son caractère primitif, ainsi que tout ce qui est extérieur et cérémonie dans leur église, offre encore aux connaisseurs de précieux fragments de l'ancienne mélodie et de ses divers modes, autant qu'elle peut se faire sentir sans mesure et sans rhythme, et dans le seul genre diatonique, qu'on peut dire n'être dans sa pureté que le plain-chant: les divers modes y conservent leurs deux distinctions principales; l'une par la différence des fondamentales ou toniques, et l'autre par la différente position des deux semi-tons, selon le degré du système diatonique naturel où se trouve la fondamentale, et selon que le mode authentique ou plagal représente les deux tétracordes conjoints ou disjoints. [-87-] (Voyez Système, Tétracorde, Tons de l'église.)
Ces modes, tels qu'ils nous ont été transmis dans les anciens chants ecclésiastiques, y conservent une beauté de caractère et une variété d'affections bien sensibles aux connaisseurs non prévenus, et qui ont conservé quelque jugement d'oreille pour les systèmes mélodieux établis sur des principes différents des nôtres: mais on peut dire qu'il n'y a rien de plus ridicule et de plus plat que ces plains-chants accommodés à la moderne, prétintaillés des ornements de notre musique, et modulés sur les cordes de nos modes; comme si l'on pouvait jamais marier notre système harmonique avec celui des modes anciens, qui est établi sur des principes tout différents! On doit savoir gré aux évêques, prévôts et chantres, qui s'opposent à ce barbare mélange, et désirer, pour le progrès et la perfection d'un art qui n'est pas à beaucoup près au point où l'on croit l'avoir mis, que ces précieux restes de l'antiquité soient fidèlement transmis à ceux qui auront assez de talent et d'autorité pour en enrichir le système moderne. Loin qu'on doive porter notre musique dans le plain-chant, je suis persuadé qu'on gagnerait à transporter le plain-chant dans notre musique; mais il faudrait avoir pour cela beaucoup de goût, encore plus de savoir, et surtout être exempt de préjugés.
Le plain-chant ne se note que sur quatre lignes, et l'on n'y emploie que deux clefs, savoir la clef d'ut et la clef de fa; qu'une seule transposition, savoir [-88-] un bémol; et que deux figures de notes, savoir la longue ou carrée, à laquelle on ajoute quelquefois une queue, et la brève qui est en losange.
Ambroise, archevêque de Milan, fut, à ce qu'on prétend, l'inventeur du plain-chant; c'est-à-dire qu'il donna le premier une forme et des règles au chant ecclésiastique pour l'approprier mieux à son objet, et le garantir de la barbarie et du dépérissement où tombait de son temps la musique. Grégoire, pape, le perfectionna, et lui donna la forme qu'il conserve encore aujourd'hui à Rome et dans les autres églises où se pratique le chant romain. L'Église gallicane n'admit qu'en partie, avec beaucoup de peine et presque par force, le chant grégorien. L'extrait suivant d'un ouvrage du temps même, imprimé à Francfort en 1594, contient le détail d'une ancienne querelle sur le plain-chant, qui s'est renouvelée de nos jours sur la musique, mais qui n'a pas eu la même issue. Dieu fasse paix au grand Charlemagne!
"Le très-pieux roi Charles étant retourné célébrer la pâque à Rome avec le seigneur apostolique, il s'émut durant les fêtes une querelle entre les chantres romains et les chantres français. Les Français prétendaient chanter mieux et plus agréablement que les Romains; les Romains, se disant les plus savants dans le chant ecclésiastique, qu'ils avaient appris du pape saint Grégoire, accusaient les Français de corrompre, écorcher et défigurer le vrai chant. La dispute ayant été portée devant le seigneur roi, les Français, qui se tenaient forts de [-89-] son appui, insultaient aux chantres romains; les Romains, fiers de leur grand savoir, et comparant la doctrine de saint Grégoire à la rusticité des autres, les traitaient d'ignorants, de rustres, de sots, et de grosses bêtes. Comme cette altercation ne finissait point, le très-pieux roi Charles dit à ses chantres: Déclarez-nous quelle est l'eau la plus pure et la meilleure, celle qu'on prend à la source vive d'une fontaine, ou celle des rigoles qui n'en découlent que de bien loin. Ils dirent tous que l'eau de la source était la plus pure, et celle des rigoles d'autant plus altérée et sale qu'elle venait de plus loin. Remontez donc, reprit le seigneur roi Charles, à la fontaine de saint Grégoire, dont vous avez évidemment corrompu le chant. Ensuite le seigneur roi demanda au pape Adrien des chantres pour corriger le chant français, et le pape lui donna Théodore et Benoît, deux chantres très-savants et instruits par saint Grégoire même; il lui donna aussi des antiphoniers de saint Grégoire qu'il avait notés lui-même en note romaine. De ces deux chantres le seigneur roi Charles, de retour en France, en envoya un à Metz, et l'autre à Soissons, ordonnant à tous les maîtres de chant des villes de France de leur donner à corriger les antiphoniers, et d'apprendre d'eux à chanter. Ainsi furent corrigés les antiphoniers français, que chacun avait altérés par des additions et retranchements à sa mode, et tous les chantres de France apprirent le chant romain, qu'ils appellent maintenant chant français; mais [-90-] quant aux sons tremblants, flattés, battus, coupés dans le chant, les Français ne purent jamais bien les rendre, faisant plutôt des chevrottements que des roulements, à cause de la rudesse naturelle et barbare de leur gosier. Du reste, la principale école de chant demeura toujours à Metz; et autant le chant romain surpasse celui de Metz, autant le chant de Metz surpasse celui des autre écoles françaises. Les chantres romains apprirent de même aux chantres français à s'accompagner des instruments; et le seigneur roi Charles, ayant derechef amené avec soi en France des maîtres de grammaire et de calcul, ordonna qu'on établît partout l'étude des lettres; car avant ledit seigneur roi l'on n'avait en France aucune connaissance des arts libéraux."
Ce passage est si curieux que les lecteurs me sauront gré sans doute d'en transcrire ici l'original.
"Et reversus est rex piissimus Carolus, et celebravit Romae pascha cum domno apostolico. Ecce orta est contentio per dies festos paschae inter cantores Romanorum et Gallorum: dicebant se Galli meliùs cantare et pulchriùs quam Romani; dicebant se Romani doctissimè cantilenas ecclesiasticas proferre, sicut docti fuerant a sancto Gregorio papâ; Gallos corruptè cantare, et cantilenam sanam destruendo dilacerare. Quae contentio ante domnum regem Carolum pervenit. Galli verò, propter securitatem domni regis Caroli, valdè exprobrabant cantoribus romanis; Romani verò, propter auctoritatem magnae doctrinae, [-91-] eos stultos, rusticos et indoctos velut bruta animalia affirmabant, et doctrinam sancti Gregorii praeferebant rusticitati eorum: et cùm altercatio de neutrâ parte finiret, ait domnus piissimus rex Carolus ad suos cantores: Dicite palàm quis purior est et quis melior, aut fons vivus, aut rivuli ejus longè decurrentes. Responderunt omnes unâ voce fontem, velut caput et originem, puriorem esse; rivulos autem ejus quantò longiùs a fonte recesserint, tantò turbulentos et sordibus ac immunditiis corruptos; et ait domnus rex Carolus: Revertimini vos ad fontem sancti Gregorii, quia manifestè corrupistis cantilenam ecclestiasticam. Mox petiit domnus rex Carolus ab Adriano papâ cantores qui Franciam corrigerent de cantu: at ille dedit ei Theodorum et Benedictum, doctissimos cantores qui a sancto Gregorio eruditi fuerant, tribuitque antiphonarios sancti Gregorii, quos ipse notaverat notâ romanâ: domnus verò rex Carolus, revertens in Franciam, misit unum cantorem in Metis civitate, alterum in Suessonis civitate, praecipiens de omnibus civitatibus Franciae magistros scholae antiphonarios eis ad corrigendum tradere, et ab eis discere cantare. Correcti sunt ergò antiphonarii Francorum, quos unusquisque pro suo arbitrio vitiaverat, addens vel minuens; et omnes Franciae cantores didicerunt notam romanam, quam nunc vocant notam franciscam; excepto quòd tremulas vel vinnulas, sive collisibiles vel secabiles voces in cantu non poterant perfectè exprimere Franci, naturali [-92-] voce barbaricâ frangentes in gutture voces, quàm potiùs exprimentes. Majus autem magisterium cantandi in Metis remansit; quantumque magisterium romanum superat Metense in arte cantandi, tantò superat Metensis cantilena caeteras scholas Gallorum. Similiter erudierunt romani cantores supradictos cantores Francorum in arte organandi; et domnus rex Carolus iterum a Româ artis grammaticae et computatoriae magistros secum adduxit in Franciam, et ubique studium litterarum expandere jussit. Ante ipsum enim domnum regem Carolum in Galliâ nullum studium fuerat liberalium artium." Vide Annales et Historia Francorum ab anno 708. ad annum 990. Scriptores coaetaneos imprimatur Francofurti 1594, sub vitâ Caroli Magni.
Plainte, substantif féminin. (Voyez Accent.)
Plein-Chant. (Voyez Plain-Chant.)
Plein-Jeu, se dit du jeu de l'orgue lorsqu'on a mis tous les registres, et aussi lorsqu'on remplit toute 1'harmonie; il se dit encore des instruments d'archet lorsqu'on en tire tout le son qu'ils peuvent donner.
Plique, substantif féminin. Plica, sorte de ligature dans nos anciennes musiques. La plique était un signe de retardement ou de lenteur (signum morositatis, dit Muris): elle se faisait en passant d'un son à un autre, depuis le semi-ton jusqu'à la quinte, soit en montant, [-93-] soit en descendant; et il y en avait de quatre sortes: 1. la plique longue ascendante est une figure quadrangulaire avec un seul trait ascendant à droite, ou avec deux traits dont celui de la droite est le plus grand [Bpsdx]; 2. la plique longue descendante a deux traits descendants, dont celui de la droite est le plus grand [Bpddx]; 3. la plique brève ascendante a le trait montant de la gauche plus long que celui de la droite [Bpssn]; 4. et la descendante a le trait descendant de la gauche plus grand que celui de la droite [Bpdsn].
Poinct ou Point, substantif masculin. Ce mot en musique signifie plusieurs choses différentes.
Il y a dans nos vieilles musiques six sortes de points; savoir, point de perfection, point d'imperfection, point d'accroissement, point de division, point de translation, et point d'altération.
I. Le point de perfection appartient à la division ternaire; il rend parfaite toute note suivie d'une autre note moindre de la moitié par sa figure; alors, par la force du point intermédiaire la note précédente vaut le triple au lieu du double de celle qui suit.
II. Le point d'imperfection placé à la gauche de la longue diminue sa valeur, quelquefois d'une ronde ou semi-brève, quelquefois de deux. Dans le premier cas, on met une ronde entre la longue et le point; dans le second, on met deux rondes à la droite de la longue.
III. Le point d'accroissement appartient à la division binaire, et entre deux notes égales, il fait valoir celle qui précède le double de celle qui suit.
[-94-] IV. Le point de division se met avant une semi-brève suivie d'une brève dans le temps parfait: il ôte un temps à cette brève, et fait qu'elle ne vaut plus que deux rondes au lieu de trois.
V. Si une ronde entre deux points se trouve suivie de deux ou plusieurs brèves en temps imparfait, le second point transfère sa signification à la dernière de ces brèves, la rend parfaite, et la fait valoir trois temps: c'est le point de translation.
VI. Un point entre deux rondes, placées elles-mêmes entre deux brèves ou carrées dans le temps parfait, ôte un temps à chacune de ces deux brèves; de sorte que chaque brève ne vaut plus que deux rondes au lieu de trois: c'est le point d'altération.
Ce même point devant une ronde suivie de deux autres rondes entre deux brèves ou carrées, double la valeur de la dernière de ces rondes.
Comme ces anciennes divisions du temps en parfait et imparfait ne sont plus d'usage dans la musique, toutes ces significations du point, qui, à dire vrai, sont fort embrouillées, se sont abolies depuis long-temps.
Aujourd'hui le point, pris comme valeur de note, vaut toujours la moitié de celle qui le précède: ainsi après la ronde le point vaut une blanche, après la blanche une noire, après la noire une croche, et cetera. Mais cette manière de fixer la valeur du point n'est sûrement pas la meilleure qu'on eût pu imaginer, et cause souvent bien des embarras inutiles.
Point-d'Orgue ou Point-de-repos est une autre espèce de point dont j'ai parlé au mot couronne: [-95-] c'est relativement à cette espèce de point qu'on appelle généralement point-d'orgue ces sortes de chants, mesurés ou non mesurés, écrits ou non écrits, et toutes ces successions harmoniques qu'on fait passer sur une seule note de basse toujours prolongée. (Voyez Cadenza.)
Quand ce même point surmonté d'une couronne s'écrit sur la dernière note d'un air ou d'un morceau de musique, il s'appelle alors point final.
Enfin il y a encore une autre espèce de points, appelés points détachés, lesquels se placent immédiatement au-dessus ou au-dessous de la tête des notes; on en met presque toujours plusieurs de suite, et cela avertit que les notes ainsi ponctuées doivent être marquées par des coups de langue ou d'archet égaux, secs et détachés.
Pointer, verbe actif. C'est, au moyen du point, rendre alternativement longues et brèves des suites de notes naturellement égales, telles, par exemple, qu'une suite de croches: pour les pointer sur la note, on ajoute un point après la première, une double-croche sur la seconde, un point après la troisième, puis une double-croche, et ainsi de suite; de cette manière elles gardent de deux en deux la même valeur qu'elles avaient auparavant; mais cette valeur se distribue inégalement entre les deux croches, de sorte que la première ou longue en a les trois quarts, et la seconde ou brève l'autre quart.
Pour les pointer dans l'exécution, on les passe inégales selon ces mêmes proportions, quand même elles seraient notées égales.
[-96-] Dans la musique italienne toutes les croches sont toujours égales, à moins qu'elles ne soient marquées pointées: mais dans la musique française, on ne fait les croches exactement égales que dans la mesure à quatre temps; dans toutes les autres, on les pointe toujours un peu, à moins qu'il ne soit écrit croches égales.
Polycéphale, adjectif. Sorte de nome pour les flûtes en l'honneur d'Apollon. Le nome polycéphale fut inventé, selon les uns, par le second Olympe, Phrygien, descendant du fils de Marsyas, et, selon d'autres, par Cratès, disciple de ce même Olympe.
Polymnastie ou Polymnastique, adjectif. Nome pour les flûtes, inventé, selon les uns, par une femme nommée Polymneste, et selon d'autres, par Polymnestus, fils de Mélès, Colophonien.
Ponctuer, verbe actif. C'est, en terme de composition, marquer les repos plus ou moins parfaits, et diviser tellement les phrases qu'on sente par la modulation et par les cadences leurs commencements, leurs chutes et leurs liaisons plus ou moins grandes, comme on sent tout cela dans le discours à l'aide de la ponctuation.
Port-de-voix, substantif masculin. Agrément du chant, lequel se marque par une petite note, appelée en italien appoggiatura, et se pratique en montant diatoniquement d'une note à celle qui la suit par un coup de gosier dont l'effet est marqué dans la Planche B, figure 13 [ROUDIC4 03GF].
Port-de-voix jeté, se fait lorsque, montant diatoniquement d'une note à sa tierce, on appuie la [-97-] troisième note sur le son de la seconde, pour faire sentir seulement cette troisième note par un coup de gosier redoublé, tel qu'il est marqué Planche B, figure 13 [ROUDIC4 03GF].
Portée, substantif féminin. La portée ou ligne de musique est composée de cinq lignes parallèles, sur lesquelles ou entre lesquelles les diverses positions des notes en marquent les intervalles ou degrés. La portée du plain-chant n'a que quatre lignes: elle en avait d'abord huit, selon Kircher, marquées chacune d'une lettre de la gamme, de sorte qu'il n'y avait qu'un degré conjoint d'une ligne à l'autre. Lorsqu'on doubla les degrés en plaçant aussi des notes dans les intervalles, la portée de huit lignes, réduites à quatre, se trouva de la même étendue qu'auparavant.
A ce nombre de cinq lignes dans la musique, et de quatre dans le plain-chant, on en ajoute de postiches ou accidentelles, quand cela est nécessaire et que les notes passent en haut ou en bas l'étendue de la portée. Cette étendue, dans une portée de musique, est en tout d'onze notes formant dix degrés diatoniques, et, dans le plain-chant, de neuf notes formant huit degrés. (Voyez Clef, Notes, Lignes.)
Position, substantif féminin. Lieu de la portée où est placée une note pour fixer le degré d'élévation du son qu'elle représente.
Les notes n'ont, par rapport aux lignes, que deux différentes positions; savoir, sur une ligne ou dans un espace, et ces positions sont toujours [-98-] alternatives lorsqu'on marche diatoniquement: c'est ensuite le lieu qu'occupe la ligne même ou l'espace dans la portée et par rapport à la clef qui détermine la véritable position de la note dans un clavier général.
On appelle aussi position dans la mesure le temps qui se marque en frappant, en baissant, ou posant la main, et qu'on nomme plus communément le frappé. (Voyez Thésis.)
Enfin l'on appelle position, dans le jeu des instruments à manche, le lieu où la main se pose sur le manche, selon le ton dans lequel on veut jouer. Quand on a la main tout au haut du manche contre le sillet, en sorte que l'index pose à un ton de la corde-à-jour, c'est la position naturelle. Quand on démanche, on compte les positions par les degrés diatoniques dont la main s'éloigne du sillet.
Prélude, substantif masculin. Morceau de symphonie qui sert d'introduction et de préparation à une pièce de musique: ainsi les ouvertures d'opéra sont des préludes; comme aussi les ritournelles, qui sont assez souvent au commencement des scènes ou monologues.
Prélude est encore un trait de chant qui passe par les principales cordes du ton, pour l'annoncer, pour vérifier si l'instrument est d'accord, et cetera. (Voyez l'article suivant.)
Préluder, verbe neutre. C'est en général chanter ou jouer quelque trait de fantaisie irrégulier et assez court, mais passant par les cordes essentielles du ton, soit pour l'établir, soit pour disposer sa voix ou [-99-] bien poser sa main sur un instrument avant de commencer une pièce de musique.
Mais sur l'orgue et sur le clavecin l'art de préluder est plus considérable; c'est composer et jouer impromptu des pièces chargées de tout ce que la composition a de plus savant en dessin, en fugue, en imitation, en modulation et en harmonie: c'est surtout en préludant que les grands musiciens, exempts de cet extrême asservissement aux règles que l'oeil des critiques leur impose sur le papier, font briller ces transitions savantes qui ravissent les auditeurs. C'est là qu'il ne suffit pas d'être bon compositeur, ni de bien posséder son clavier, ni d'avoir la main bonne et bien exercée, mais qu'il faut encore abonder de ce feu de génie et de cet esprit inventif qui font trouver et traiter sur-le-champ les sujets les plus favorables à l'harmonie et les plus flatteurs à l'oreille. C'est par ce grand art de préluder que brillent en France les excellents organistes, tels que sont maintenant les sieurs Calvière et Daquin, surpassés toutefois l'un et l'autre par Monsieur le prince d'Ardore, ambassadeur de Naples, lequel, pour la vivacité de l'invention et la force de l'exécution, efface les plus illustres artistes, et fait à Paris l'admiration des connaisseurs.
Préparation, substantif féminin. Acte de préparer la dissonance. (Voyez Préparer.)
Préparer, verbe actif. Préparer la dissonance, c'est la traiter dans l'harmonie de manière qu'à la faveur de ce qui précède elle soit moins dure à l'oreille [-100-] qu'elle ne serait sans cette précaution: selon cette définition toute dissonance veut être préparée. Mais lorsque pour préparer une dissonance on exige que le son qui la forme ait fait consonnance auparavant, alors il n'y a fondamentalement qu'une seule dissonance qui se prépare, savoir, la septième: encore cette préparation n'est-elle point nécessaire dans l'accord sensible, parce qu'alors la dissonance étant caractéristique et dans l'accord et dans le mode, est suffisamment annoncée, que l'oreille s'y attend, la reconnaît, et ne se trompe ni sur l'accord ni sur son progrès naturel: mais lorsque la septième se fait entendre sur un son fondamental qui n'est pas essentiel au mode, on doit la préparer, pour prévenir toute équivoque, pour empêcher que l'oreille de l'écoutant ne s'égare; et, comme cet accord de septième se renverse et se combine de plusieurs manières, de là naissent aussi diverses manières apparentes de préparer, qui, dans le fond, reviennent pourtant toujours à la même.
Il faut considérer trois choses dans la pratique des dissonances; savoir, l'accord qui précède la dissonance, celui où elle se trouve, et celui qui la suit. La préparation ne regarde que les deux premiers; pour le troisième, voyez Sauver.
Quand on veut préparer régulièrement une dissonance, il faut choisir, pour arriver à son accord, une telle marche de basse-fondamentale, que le son qui forme la dissonance soit un prolongement dans le temps fort d'une consonnance frappée sur [-101-] le temps faible dans l'accord précédent; c'est ce qu'on appelle syncoper. (Voyez Syncope.)
De cette préparation résultent deux avantages; savoir, premier qu'il y a nécessairement liaison harmonique entre les deux accords, puisque la dissonance elle-même forme cette liaison; et second que cette dissonance, n'étant que le prolongement d'un son consonnant, devient beaucoup moins dure à l'oreille qu'elle ne le serait sur un son nouvellement frappé: or c'est là tout ce qu'on cherche dans la préparation. (Voyez Cadence, Dissonance, Harmonie.)
On voit, par ce que je viens de dire, qu'il n'y a aucune partie destinée spécialement à préparer la dissonance que celle même qui la fait entendre: de sorte que si le dessus sonne la dissonance, c'est à lui de syncoper; mais, si la dissonance est à la basse, il faut que la basse syncope. Quoiqu'il n'y ait rien là que de très-simple, les maîtres de composition ont furieusement embrouillé tout cela.
Il y a des dissonances qui ne se préparent jamais; telle est la sixte ajoutée: d'autres qui se préparent fort rarement; telle est la septième diminuée.
Presto, adverbe. Ce mot écrit à la tête d'un morceau de musique, indique le plus prompt et le plus animé des cinq principaux mouvements établis dans la musique italienne. Presto signifie vite. Quelquefois on marque un mouvement encore plus pressé par le superlatif prestissimo.
Prima intenzione. Mot technique italien, qui n'a point de correspondant en français, et qui n'en [-102-] a pas besoin, puisque l'idée que ce mot exprime n'est pas connue dans la musique française. Un air, un morceau di prima intenzione, est celui qui s'est formé tout d'un coup, tout entier et avec toutes ses parties, dans l'esprit du compositeur, comme Pallas sortit tout armée du cerveau de Jupiter. Les morceaux di prima intenzione sont de ces rares coups de génie, dont toutes les idées sont si étroitement liées qu'elles n'en font pour ainsi dire qu'une seule, et n'ont pu se présenter à l'esprit l'une sans l'autre: ils sont semblables à ces périodes de Cicéron, longues, mais éloquentes, dont le sens, suspendu pendant toute leur durée, n'est déterminé qu'au dernier mot, et qui, par conséquent, n'ont formé qu'une seule pensée dans l'esprit de l'auteur. Il y a dans les arts des inventions produites par de pareils efforts de génie, et dont tous les raisonnements, intimement unis l'un à l'autre, n'ont pu se faire successivement, mais se sont nécessairement offerts à l'esprit tout à la fois, puisque le premier, sans le dernier, n'aurait eu aucun sens: telle est, par exemple, l'invention de cette prodigieuse machine du métier à bas, qu'on peut regarder, dit le philosophe qui l'a décrite dans l'Encyclopédie, comme un seul et unique raisonnement dont la fabrication de l'ouvrage est la conclusion. Ces sortes d'opérations de l'entendement, qu'on explique à peine même par l'analyse, sont des prodiges pour la raison, et ne se conçoivent que par les génies capables de les produire; l'effet en est toujours proportionné à l'effort de tête qu'ils ont [-103-] coûté: et, dans la musique, les morceaux di prima intenzione sont les seuls qui puissent causer ces extases, ces ravissements, ces élans de l'ame qui transportent les auditeurs hors d'eux-mêmes: on les sent, on les devine à l'instant; les connaisseurs ne s'y trompent jamais. A la suite d'un de ces morceaux sublimes faites passer un de ces airs décousus, dont toutes les phrases ont été composées l'une après l'autre, ou ne sont qu'une même phrase promenée en différents tons, et dont l'accompagnement n'est qu'un remplissage fait après coup; avec quelque goût que ce dernier morceau soit composé, si le souvenir de l'autre vous laisse quelque attention à lui donner, ce ne sera que pour en être glacés, transis, impatientés: après un air di prima intenzione, toute autre musique est sans effet.
Prise. Lepsis. Une des parties de l'ancienne mélopée. (Voyez Mélopée.)
Progression, substantif féminin. Proportion continue prolongée au-delà de trois termes. (Voyez Proportion.) Les suites d'intervalles égaux sont toutes en progressions, et c'est en identifiant les termes voisins de différentes progressions qu'on parvient à compléter l'échelle diatonique et chromatique au moyen du tempérament. (Voyez Tempérament.)
Prolation, substantif féminin. C'est, dans nos anciennes musiques, une manière de déterminer la valeur des notes semi-brèves sur celle de la brève, ou des minimes sur celle de la semi-brève: cette prolation se marquait après la clef, et quelquefois après [-104-] le signe du mode, par un cercle ou un demi-cercle, ponctué on non ponctué, selon les règles suivantes.
Considérant toujours la division sous-triple comme la plus excellente, ils divisaient la prolation en parfaite et imparfaite, et l'une et l'autre en majeure et mineure, de même que pour le mode.
La prolation parfaite était pour la mesure ternaire, et se marquait par un point dans le cercle, quand elle était majeure, c'est-à-dire quand elle indiquait le rapport de la brève à la semi-brève; ou par un point dans un demi-cercle, quand elle était mineure, c'est-à-dire quand elle indiquait le rapport de la semi-brève à la minime. (Voyez Planche B, figures 9 et 11 [ROUDIC4 03GF].)
La prolation imparfaite était pour la mesure binaire, et se marquait, comme le temps, par un simple cercle, quand elle était majeure, ou par un demi-cercle, quand elle était mineure. (Même planche, figures 10 et 12 [ROUDIC4 03GF].)
Depuis on ajouta quelques autres signes à la prolation parfaite; outre le cercle et le demi-cercle on se servit du chiffre 3/1 pour exprimer la valeur de trois rondes ou semi-brèves, pour celle de la brève ou carrée; et du chiffre 3/2 pour exprimer la valeur de trois minimes ou blanches, pour la ronde ou semi-brève.
Aujourd'hui toutes les prolations sont abolies; la division sous-double l'a emporté sur la sous-ternaire, et il faut avoir recours à des exceptions et à des signes particuliers pour exprimer le partage [-105-] d'une note quelconque en trois autres notes égales. (Voyez Valeur des notes.)
On lit dans le Dictionnaire de l'académie que prolation signifie roulement. Je n'ai point lu ailleurs ni ouï dire que ce mot ait jamais eu ce sens-là.
Prologue, substantif masculin. Sorte de petit opéra qui précède le grand, l'annonce, et lui sert d'introduction. Comme le sujet des prologues est ordinairement élevé, merveilleux, ampoulé, magnifique et plein de louanges, la musique en doit être brillante, harmonieuse, et plus imposante que tendre et pathétique. On ne doit point épuiser sur le prologue les grands mouvements qu'on veut exciter dans la pièce, et il faut que le musicien, sans être maussade et plat dans le début, sache pourtant s'y ménager de manière à se montrer encore intéressant et neuf dans le corps de l'ouvrage. Cette gradation n'est ni sentie ni rendue par la plupart des compositeurs; mais elle est pourtant nécessaire quoique difficile. Le mieux serait de n'en avoir pas besoin, et de supprimer tout-à-fait les prologues, qui ne font guère qu'ennuyer et impatienter les spectateurs, ou nuire à l'intérêt de la pièce, en usant d'avance les moyens de plaire et d'intéresser. Aussi les opéra français sont-ils les seuls où l'on ait conservé des prologues; encore ne les y souffre-t-on que parce qu'on n'ose murmurer contre les fadeurs dont ils sont pleins.
Proportion, substantif féminin. Égalité entre deux rapports. Il y a quatre sortes de proportions; savoir, la proportion arithmétique, la géométrique, l'harmonique, [-106-] et la contre-harmonique. Il faut avoir l'idée de ces diverses proportions pour entendre les calculs dont les auteurs ont chargé la théorie de la musique.
Soient quatre termes ou quantités a b c d; si la différence du premier terme a au second b est égale à la différence du troisième c au quatrième d, ces quatre termes sont en proportion arithmétique: tels sont, par exemple, les nombres suivants, 2 . 4 : 8 . 10.
Que si, au lieu d'avoir égard à la différence, on compare ces termes par la manière de contenir ou d'être contenus; si, par exemple, le premier a est au second b comme le troisième c est au quatrième d, la proportion est géométrique: telle est celle que forment ces quatre nombres 2 : 4 :: 8 : 16.
Dans le premier exemple, l'excès dont le premier terme 2 est surpassé par le second 4 est 2; et l'excès dont le troisième 8 est surpassé par le quatrième 10 est aussi 2. Ces quatre termes sont donc en proportion arithmétique.
Dans le second exemple, le premier terme 2 est la moitié du second 4, et le troisième terme 8 est aussi la moitié du quatrième 16. Ces quatre termes sont donc en proportion géométrique.
Une proportion, soit arithmétique, soit géométrique, est dite inverse ou réciproque, lorsqu'après avoir comparé le premier terme au second, l'on compare, non le troisième au quatrième, comme dans la proportion directe, mais à rebours le quatrième au troisième, et que les rapports ainsi pris se trouvent égaux. Ces quatre nombres 2 . 4 : 8 . 6, [-107-] sont en proportion arithmétique réciproque; et ces quatre 2 : 4 :: 6 : 3, sont en proportion géométrique réciproque.
Lorsque, dans une proportion directe, le second terme ou le conséquent du premier rapport est égal au premier terme, ou à l'antécédent du second rapport, ces deux termes, étant égaux, sont pris pour le même, et ne s'écrivent qu'une fois au lieu de deux: ainsi, dans cette proportion arithmétique 2 . 4 : 4 . 6, au lieu d'écrire deux fois le nombre 4, on ne l'écrit qu'une fois, et la proportion se pose ainsi, [signum] 2. 4. 6.
De même, dans cette proportion géométrique 2 : 4 :: 4 : 8, au lieu d'écrire 4 deux fois, on ne l'écrit qu'une, de cette manière, [signum] 2 : 4 : 8.
Lorsque le conséquent du premier rapport sert ainsi d'antécédent au second rapport, et que la proportion se pose avec trois termes, cette proportion s'appelle continue, parce qu'il n'y a plus entre les deux rapports qui la forment l'interruption qui s'y trouve quand on la pose en quatre termes.
Ces trois termes [signum] 2. 4. 6, sont donc en proportion arithmétique continue; et ces trois-ci, [signum] 2 : 4 : 8, sont en proportion géométrique continue.
Lorsqu'une proportion continue se prolonge, c'est-à-dire lorsqu'elle a plus de trois termes ou de deux rapports égaux, elle s'appelle progression.
Ainsi ces quatre termes 2, 4, 6, 8, forment une progression arithmétique, qu'on peut prolonger autant qu'on veut en ajoutant la différence au dernier terme.
[-108-] Et ces quatre termes 2, 4, 8, 16, forment une progression géométrique, qu'on peut de même prolonger autant qu'on veut en doublant le dernier terme, ou, en général, en le multipliant par le quotient du second terme divisé par le premier, lequel quotient s'appelle l'exposant du rapport ou de la progression.
Lorsque trois termes sont tels que le premier est au troisième comme la différence du premier au second est à la différence du sécond au troisième, ces trois termes forment une sorte de proportion appelée harmonique; tels sont, par exemple, ces trois nombres 3, 4, 6: car, comme le premier 3 est la moitié du troisième 6, de même l'excès 1 du second sur le premier, est la moitié de l'excès 2 du troisième sur le second.
Enfin, lorsque trois termes sont tels que la différence du premier au second est à la différence du second au troisième, non comme le premier est au troisième, ainsi que dans la proportion harmonique, mais au contraire comme le troisième est au premier; alors ces trois termes forment entre eux une sorte de proportion appelée proportion contre-harmonique: ainsi ces trois nombres 3, 5, 6, sont en proportion contre-harmonique.
L'expérience a fait connaître que les rapports de trois cordes sonnant ensemble l'accord parfait tierce majeure formaient entre elles la sorte de proportion qu'à cause de cela on a nommée harmonique: mais c'est là une pure propriété de nombres qui n'a nulle affinité avec les sons, ni avec leur effet sur l'organe auditif; ainsi la proportion harmonique et la proportion contre-harmonique n'appartiennent pas plus à l'art que la proportion arithmétique et la proportion géométrique, qui même y sont beaucoup plus utiles. Il faut toujours penser que les propriétés des quantités abstraites ne sont point des propriétés des sons, et ne pas chercher, à l'exemple des pythagoriciens, je ne sais quelles chimériques analogies entre choses de différente nature, qui n'ont entre elles que des rapports de convention.
Proprement, adverbe. Chanter ou jouer proprement, c'est exécuter la mélodie française avec les ornements qui lui conviennent. Cette mélodie n'étant rien par la seule force des sons, et n'ayant par elle-même aucun caractère, n'en prend un que par les tournures affectées qu'on lui donne en l'exécutant. Ces tournures, enseignées par les maîtres de goût du chant, font ce qu'on appelle les agréments du chant français. (Voyez Agréments.)
Propreté, substantif féminin. Exécution du chant français avec les ornements qui lui sont propres, et qu'on appelle agréments du chant. (Voyez Agréments.)
Proslambanoménos. C'était, dans la musique ancienne, le son le plus grave de tout le système, un ton au-dessous de l'hypate-hypaton.
Son nom signifie surnuméraire, acquise, ou ajoutée, parce que la corde qui rend ce son-là fut ajoutée au-dessous de tous les tétracordes pour achever le diapason ou l'octave avec la mèse, et le diapason ou la double octave avec la nète-hyperboléon, [-110-] qui était la corde la plus aiguë de tout le système. (Voyez Système.)
Prosodiaque, adjectif. Le nome prosodiaque se chantait en l'honneur de Mars, et fut, dit-on, inventé par Olympus.
Prosodie, substantif féminin. Sorte de nome pour les flûtes, et propre aux cantiques que l'on chantait chez les Grecs à l'entrée des sacrifices. Plutarque attribue l'invention des prosodies à Clonas, de Tégée selon les Arcadiens, et de Thèbes selon les Béotiens.
Protésis, substantif féminin. Pause d'un temps long dans la musique ancienne, à la différence du lemme, qui était la pause d'un temps bref.
Psalmodier, verbe neutre. C'est chez les catholiques chanter ou réciter les psaumes et l'office d'une manière particulière, qui tient le milieu entre le chant et la parole: c'est du chant, parce que la voix est soutenue; c'est de la parole, parce qu'on garde presque toujours le même ton.
Pycni, Pycnoi. (Voyez Épais.)
Pythagoriciens, substantif masculin pluriel. Nom d'une des deux sectes dans lesquelles se divisaient les théoriciens dans la musique grecque: elle portait le nom de Pythagore, son chef, comme l'autre secte portait le nom d'Aristoxène. (Voyez Aristoxéniens.)
Les pythagoriciens fixaient tous les intervalles tant consonnants que dissonants par le calcul des rapports; les aristoxéniens, au contraire, disaient s'en tenir au jugement de l'oreille. Mais au fond leur dispute n'était qu'une dispute de mots, et, sous des dénominations plus simples, les moitiés [-111-] ou les quarts de ton des aristoxéniens, ou ne signifiaient rien, ou n'exigeaient pas de calculs moins composés que ceux des limma, des comma, des apotomes fixés par les pythagoriciens. En proposant, par exemple, de prendre la moitié d'un ton, que proposait un aristoxénien? rien sur quoi l'oreille pût porter un jugement fixe: ou il ne savait ce qu'il voulait dire, ou il proposait de trouver une moyenne proportionnelle entre 8 et 9: or cette moyenne proportionnelle est la racine carrée de 72, et cette racine carrée est un nombre irrationnel. Il n'y avait aucun autre moyen possible d'assigner cette moitié de ton que par la géométrie, et cette méthode géométrique n'était pas plus simple que les rapports de nombre à nombre calculés par les pythagoriciens. La simplicité des aristoxéniens n'était donc qu'apparente; c'était une simplicité semblable à celle du système de Monsieur de Boisjelou, dont il sera parlé ci-après. (Voyez Intervalle, Système.)
Q.
Quadruple-croche, substantif féminin. Note de musique valant le quart d'une croche ou la moitié d'une double-croche. Il faut soixante-quatre quadruples-croches pour une mesure à quatre temps; mais on remplit rarement une mesure et même un temps de cette espèce de notes. (Voyez Valeur des notes.)
La quadruple-croche est presque toujours liée avec d'autres notes de pareille ou de différente valeur, [-112-] et se figure ainsi
[Rousseau, Dictionnaire N-Z, 112; text: ou] [ROUDIC3 01GF];
elle tire son nom des quatre traits ou crochets qu'elle porte.
Quantité. Ce mot, en musique, de même qu'en prosodie, ne signifie pas le nombre des notes ou des syllabes, mais la durée relative qu'elles doivent avoir. La quantité produit le rhythme, comme l'accent produit l'intonation: du rhythme et de l'intonation résulte la mélodie. (Voyez Mélodie.)
Quarré, adjectif. On appelait autrefois B quarré ou B dur, le signe qu'on appelle aujourd'hui bécarre. (Voyez B.)
Quarrée ou Brève, adjectif. pris substantivement. Sorte de note faite ainsi [signum], et qui tire son nom de sa figure. Dans nos anciennes musiques elle valait tantôt trois rondes ou semi-brèves, et tantôt deux, selon que la prolation était parfaite ou imparfaite. (Voyez Prolation.)
Maintenant la carrée vaut toujours deux rondes, mais on l'emploie fort rarement.
Quart-de-soupir, substantif masculin. Valeur de silence qui, dans la musique italienne, se figure ainsi [signum]; dans la française ainsi [signum], et qui marque, comme le porte son nom, la quatrième partie d'un soupir, c'est-à-dire l'équivalent d'une double-croche. (Voyez Soupir, Valeur des notes.)
Quart-de-ton, substantif masculin. Intervalle introduit dans le genre enharmonique par Aristoxène, et duquel la raison est sourde. (Voyez Échelle, Enharmonique, Intervalle, Pythagoriciens.)
Nous n'avons ni dans l'oreille ni dans les calculs [-113-] harmoniques aucun principe qui nous puisse fournir l'intervalle exact d'un quart-de-ton; et quand on considère quelles opérations géométriques sont nécessaires pour le déterminer sur le monocorde, on est bien tenté de soupçonner qu'on n'a peut-être jamais entonné et qu'on n'entonnera peut-être jamais de quart-de-ton juste ni par la voix ni sur aucun instrument.
Les musiciens appellent aussi quart-de-ton l'intervalle qui, de deux notes à un ton l'une de l'autre, se trouve entre le bémol de la supérieure et le dièse de l'inférieure; intervalle que le tempérament fait évanouir, mais que le calcul peut déterminer.
Ce quart-de-ton est de deux espèces; savoir, l'enharmonique majeur, dans le rapport de 576 à 625, qui est le complément de deux semi-tons mineurs au ton majeur, et l'enharmonique mineur, dans la raison de 125 à 128, qui est le complément de deux mêmes semi-tons mineurs au ton mineur.
Quarte, substantif féminin. La troisième des consonnances dans l'ordre de leur génération. La quarte est une consonnance parfaite; son rapport est de 3 à 4; elle est composée de trois degrés diatoniques formés par quatre sons, d'où lui vient le nom de quarte; son intervalle est de deux tons et demi, savoir, un ton majeur, un ton mineur, et un semi-ton majeur.
La quarte peut s'altérer de deux manières; savoir, en diminuant son intervalle d'un semi-ton, et alors elle s'appelle quarte-diminuée ou fausse-quarte; ou en augmentant d'un semi-ton ce même intervalle, [-114-] et alors elle s'appelle quarte-superflue ou triton, parce que l'intervalle en est de trois tons pleins: il n'est que de deux tons, c'est-à-dire d'un ton et deux semi-tons dans la quarte-diminuée; mais ce dernier intervalle est banni de l'harmonie, et pratiqué seulement dans le chant.
Il y a un accord qui porte le nom de quarte, ou quarte et quinte; quelques-uns l'appellent accord de onzième: c'est celui où, sous un accord de septième, on suppose à la basse un cinquième son, une quinte au-dessous du fondamental; car alors ce fondamental fait quinte, et sa septième fait onzième avec le son supposé. (Voyez Supposition.)
Un autre accord s'appelle quarte-superflue ou triton. C'est un accord sensible dont la dissonance est portée à la basse; car alors la note sensible fait triton sur cette dissonance. (Voyez Accord.)
Deux quartes justes de suite sont permises en composition, même par mouvement semblable, pourvu qu'on y ajoute la sixte; mais ce sont des passages dont on ne doit pas abuser, et que la basse-fondamentale n'autorise pas extrêmement.
Quarter, verbe neutre. C'était, chez nos anciens musiciens, une manière de procéder dans le déchant ou contre-point plutôt par quartes que par quintes; c'était ce qu'ils appelaient aussi par un mot latin, plus barbare encore que le français, diatesseronare.
Quatorzième, substantif féminin. Réplique ou octave de la septième. Cet intervalle s'appelle quatorzième, parce qu'il faut former quatorze sons pour passer diatoniquement d'un de ses termes à l'autre.
[-115-] Quatuor, substantif masculin. C'est le nom qu'on donne aux morceaux de musique vocale ou instrumentale qui sont à quatre parties récitantes. (Voyez Partie.) Il n'y a point de vrais quatuor, ou ils ne valent rien. Il faut que dans un bon quatuor les parties soient presque toujours alternatives, parce que dans tout accord il n'y a que deux parties tout au plus qui fassent chant et que l'oreille puisse distinguer à la fois; les deux autres ne sont qu'un pur remplissage, et l'on ne doit point mettre de remplissage dans un quatuor.
Queue, substantif féminin. On distingue dans les notes la tête et la queue. La tête est le corps même de la note; la queue est ce trait perpendiculaire qui tient à la tête et qui monte ou descend indifféremment à travers la portée. Dans le plain-chant la plupart des notes n'ont pas de queue; mais dans la musique il n'y a que la ronde qui n'en ait point. Autrefois la brève ou carrée n'en avait pas non plus, mais les différentes positions de la queue servaient à distinguer les valeurs des autres notes, et surtout de la plique. (Voyez Plique.)
Aujourd'hui la queue ajoutée aux notes du plain-chant prolonge leur durée: elle l'abrége, au contraire, dans la musique, puisqu'une blanche ne vaut que la moitié d'une ronde.
Quinque, substantif masculin. Nom qu'on donne aux morceaux de musique vocale ou instrumentale qui sont à cinq parties récitantes. Puisqu'il n'y a pas de vrai quatuor, à plus forte raison n'y a-t-il pas de véritable quinque. L'un et l'autre de ces mots, quoique passés [-116-] de la langue latine dans la française, se prononcent comme en latin.
Quinte, substantif féminin. La seconde des consonnances dans l'ordre de leur génération. La quinte est une consonnance parfaite (voyez Consonnance); son rapport est de 2 à 3: elle est composée de quatre degrés diatoniques, arrivant au cinquième son, d'où lui vient le nom de quinte: son intervalle est de trois tons et demi; savoir, deux tons majeurs, un ton mineur, et un semi-ton majeur.
La quinte peut s'altérer de deux manières, savoir, en diminuant son intervalle d'un semi-ton, et alors elle s'appelle fausse-quinte, et devrait s'appeler quinte diminuée; ou en augmentant d'un semi-ton le même intervalle, et alors elle s'appelle quinte-superflue. De sorte que la quinte-superflue a quatre tons, et la fausse-quinte trois seulement, comme le triton, dont elle ne diffère dans nos systèmes que par le nombre des degrés. (Voyez Fausse-quinte).
Il y a deux accords qui portent le nom de quinte; savoir, l'accord de quinte et sixte, qu'on appelle aussi grande-sixte ou sixte-ajoutée, et l'accord de quinte-superflue.
Le premier de ces deux accords se considère en deux manières; savoir, comme un renversement de l'accord de septième, la tierce du son fondamental étant portée au grave; c'est l'accord de grande-sixte (voyez Sixte); ou bien comme un accord direct dont le son fondamental est au grave; et c'est alors l'accord de sixte-ajoutée. (Voyez Double emploi.)
[-117-] Le second se considère aussi de deux manières, l'une par les Français, l'autre par les Italiens. Dans l'harmonie française la quinte-superflue est l'accord dominant en mode mineur, au-dessous duquel on fait entendre la médiante qui fait quinte-superflue avec la note sensible. Dans l'harmonie italienne, la quinte-superflue ne se pratique que sur la tonique en mode majeur, lorsque, par accident, sa quinte est diésée, faisant alors tierce majeure sur la médiante, et par conséquent quinte-superflue sur la tonique. Le principe de cet accord, qui paraît sortir du mode, se trouvera dans l'exposition du système de Monsieur Tartini. (Voyez Système.)
Il est défendu en composition de faire deux quintes de suite par mouvement semblable entre les mêmes parties; cela choquerait l'oreille en formant une double modulation.
Monsieur Rameau prétend rendre raison de cette règle par le défaut de liaison entre les accords: il se trompe. Premièrement on peut former ces deux quintes et conserver la liaison harmonique. Secondement, avec cette liaison, les deux quintes sont encore mauvaises. Troisièmement, il faudrait, par le même principe, étendre, comme autrefois, la règle aux tierces majeures; ce qui n'est pas et ne doit pas être. Il n'appartient pas à nos hypothèses de contrarier le jugement de l'oreille mais seulement d'en rendre raison.
Quinte-fausse est une quinte réputée juste dans l'harmonie, mais qui, par la force de la modulation, se trouve affaiblie d'un semi-ton; telle est ordinairement [-118-] la quinte de l'accord de septième sur la seconde note du ton en mode majeur.
La fausse-quinte est une dissonance qu'il faut sauver; mais la quinte-fausse peut passer pour consonnance et être traitée comme telle quand on compose à quatre parties. (Voyez Fausse-quinte.)
Quinte, est aussi le nom qu'on donne en France à cette partie instrumentale de remplissage qu'en Italie on appelle viola. Le nom de cette partie a passé à l'instrument qui la joue.
Quinter, verbe neutre. C'était, chez nos anciens musiciens, une manière de procéder dans le déchant ou contre-point plutôt par quintes que par quartes; c'est ce qu'ils appelaient aussi dans leur latin diapentissare. Muris s'étend fort au long sur les règles convenables pour quinter ou quarter à propos.
Quinzième, substantif féminin. Intervalle de deux octaves. (Voyez Double octave.)
R.
Rans-des-vaches. Air célèbre parmi les Suisses, et que leurs jeunes bouviers jouent sur la cornemuse en gardant le bétail dans les montagnes. Voyez l'air noté, planche N [ROUDIC4 14GF]; voyez aussi l'article Musique, où il est fait mention des étranges effets de cet air.
Ravalement. Le clavier ou système à ravalement est celui qui, au lieu de se borner à quatre octaves, comme le clavier ordinaire, s'étend à cinq, ajoutant une quinte au-dessous de l'ut d'en-bas, une [-119-] quarte au-dessus de l'ut d'en haut, et embrassant ainsi cinq octaves entre deux fa. Le mot ravalement vient des facteurs d'orgue et de clavecin, et il n'y a guère que ces instruments sur lesquels on puisse embrasser cinq octaves. Les instruments aigus passent même rarement l'ut d'en haut sans jouer faux, et l'accord des basses ne leur permet point de passer l'ut d'en bas.
Re. Syllabe par laquelle on solfie la seconde note de la gamme. Cette note au naturel s'exprime par la lettre D. (Voyez D et Gamme.)
Recherche, substantif féminin. Espèce de prélude ou de fantaisie sur l'orgue ou sur le clavecin, dans laquelle le musicien affecte de rechercher et de rassembler les principaux traits d'harmonie et de chant qui viennent d'être exécutés, ou qui vont l'être dans un concert; cela se fait ordinairement sur-le-champ, sans préparation, et demande par conséquent beaucoup d'habileté.
Les Italiens appellent encore recherches, ou cadences, ces arbitrii ou points-d'orgue que le chanteur se donne la liberté de faire sur certaines notes de sa partie, suspendant la mesure, parcourant les diverses cordes du mode, et même en sortant quelquefois, selon les idées de son génie et les routes de son gosier, tandis que tout l'accompagnement s'arrête jusqu'à ce qu'il lui plaise de finir.
Récit. substantif masculin. Nom générique de tout ce qui se chante à voix seule: on dit, un récit de basse, un récit de haute-contre. Ce mot s'applique même en ce sens aux instruments; on dit un récit de violon, [-120-] de flûte, de hautbois. En un mot réciter c'est chanter ou jouer seul une partie quelconque, par opposition au choeur et à la symphonie en général, où plusieurs chantent ou jouent la même partie à 1'unisson.
On peut encore appeler récit la partie où règne le sujet principal, et dont toutes les autres ne sont que l'accompagnement. On a mis dans le Dictionnaire de l'académie française: Les récits ne sont point assujettis à la mesure comme les airs. Un récit est souvent un air, et par conséquent mesuré. L'académie aurait-elle confondu le récit avec le récitatif?
Récitant, participe. Partie récitante est celle qui se chante par une seule voix, ou se joue par un seul instrument, par opposition aux parties de symphonie et de choeur qui sont exécutées à l'unisson par plusieurs concertants. (Voyez Récit.)
Récitation, substantif féminin. Action de réciter la musique. (Voyez Réciter.)
Récitatif, substantif masculin. Discours récité d'un ton musical et harmonieux. C'est une manière de chant qui approche beaucoup de la parole, une déclamation en musique, dans laquelle le musicien doit imiter, autant qu'il est possible, les inflexions de voix du déclamateur. Ce chant est nommé récitatif, parce qu'il s'applique à la narration, au récit, et qu'on s'en sert dans le dialogue dramatique. On a mis dans le Dictionnaire de l'académie que le récitatif doit être débité: il y a des récitatifs qui doivent être débités, d'autres qui doivent être soutenus.
[-121-] La perfection du récitatif dépend beaucoup du caractère de la langue; plus la langue est accentuée et mélodieuse, plus le récitatif est naturel et approche du vrai discours: il n'est que l'accent noté dans une langue vraiment musicale; mais, dans une langue pesante, sourde et sans accent, le récitatif n'est que du chant, des cris, de la psalmodie; on n'y reconnaît plus la parole: ainsi le meilleur récitatif est celui où l'on chante le moins. Voilà, ce me semble, le seul vrai principe tiré de la nature de la chose sur lequel on doive se fonder pour juger du récitatif, et comparer celui d'une langue à celui d'une autre.
Chez les Grecs, toute la poésie était en récitatif, parce que la langue étant mélodieuse, il suffisait d'y ajouter la cadence du mètre et la récitation soutenue pour rendre cette récitation tout-à-fait musicale; d'où vient que ceux qui versifiaient appelaient cela chanter: cet usage, passé ridiculement dans les autres langues, fait dire encore aux poètes, je chante, lorsqu'ils ne font aucune sorte de chant. Les Grecs pouvaient chanter en parlant; mais chez nous il faut parler ou chanter; on ne saurait faire à la fois l'un et l'autre. C'est cette distinction même qui nous a rendu le récitatif nécessaire. La musique domine trop dans nos airs, la poésie y est presque oubliée. Nos drames lyriques sont trop chantés pour pouvoir l'être toujours. Un opéra qui ne serait qu'une suite d'airs ennuierait presque autant qu'un seul air de la même étendue. Il faut couper et séparer les chants par de la parole; mais il faut [-122-] que cette parole soit modifiée par la musique. Les idées doivent changer, mais la langue doit rester la même. Cette langue une fois donnée, en changer dans le cours d'une pièce, serait vouloir parler moitié français, moitié allemand. Le passage du discours au chant, et réciproquement, est trop disparate; il choque à la fois l'oreille et la vraisemblance: deux interlocuteurs doivent parler ou chanter; ils ne sauraient faire alternativement l'un et l'autre. Or le récitatif est le moyen d'union du chant et de la parole; c'est lui qui sépare et distingue les airs, qui repose l'oreille étonnée de celui qui précède, et la dispose à goûter celui qui suit: enfin c'est à l'aide du récitatif que ce qui n'est que dialogue, récit, narration dans le drame, peut se rendre sans sortir de la langue donnée, et sans déplacer l'éloquence des airs.
On ne mesure point le récitatif en chantant; cette mesure, qui caractérise les airs, gâterait la déclamation récitative: c'est l'accent, soit grammatical, soit oratoire, qui doit seul diriger la lenteur ou la rapidité des sons, de même que leur élévation ou leur abaissement. Le compositeur, en notant le récitatif sur quelque mesure déterminée, n'a en vue que de fixer la correspondance de la basse-continue et du chant, et d'indiquer à peu près comment on doit marquer la quantité des syllabes, cadencer et scander les vers. Les Italiens ne se servent jamais pour leur récitatif que de la mesure à quatre temps, mais les Français entremêlent le leur de toutes sortes de mesures.
[-123-] Ces derniers arment aussi la clef de toutes sortes de transpositions, tant pour le récitatif que pour les airs: ce que ne font pas les Italiens; mais ils notent toujours le récitatif au naturel: la quantité de modulations dont ils le chargent, et la promptitude des transitions faisant que la transposition convenable à un ton ne l'est plus à ceux dans lesquels on passe, multiplierait trop les accidents sur les mêmes notes, et rendrait le récitatif presque impossible à suivre, et très-difficile à noter.
En effet, c'est dans le récitatif qu'on doit faire usage des transitions harmoniques les plus recherchées, et des plus savantes modulations. Les airs n'offrant qu'un sentiment, qu'une image, renfermés enfin dans quelque unité d'expression, ne permettent guère au compositeur de s'éloigner du ton principal; et s'il voulait moduler beaucoup dans un si court espace, il n'offrirait que des phrases étranglées, entassées, et qui n'auraient ni liaison, ni goût, ni chant; défaut très-ordinaire dans la musique française, et même dans l'allemande.
Mais dans le récitatif, où les expressions, les sentiments, les idées varient à chaque instant, on doit employer des modulations également variées, qui puissent représenter, par leurs contextures, les successions exprimées par le discours du récitant. Les inflexions de la voix parlante ne sont pas bornées aux intervalles musicaux; elles sont infinies et impossibles à déterminer. Ne pouvant donc les fixer avec une certaine précision, le musicien, pour suivre la parole, doit au moins les imiter le plus [-124-] qu'il est possible; et afin de porter dans l'esprit des auditeurs l'idée des intervalles et des accents qu'il ne peut exprimer en notes, il a recours à des transitions qui les supposent: si, par exemple, l'intervalle du semi-ton majeur au mineur lui est nécessaire, il ne les notera pas, il ne saurait; mais il vous en donnera l'idée à l'aide d'un passage enharmonique. Une marche de basse suffit souvent pour changer toutes les idées, et donner au récitatif l'accent et l'inflexion que l'acteur ne peut exécuter.
Au reste, comme il importe que l'auditeur soit attentif au récitatif, et non pas à la basse, qui doit faire son effet sans être écoutée, il suit de là que la basse doit rester sur la même note autant qu'il est possible; car c'est au moment qu'elle change de note et frappe une autre corde qu'elle se fait écouter. Ces moments étant rares et bien choisis, n'usent point les grands effets; ils distraient moins fréquemment le spectateur, et le laissent plus aisément dans la persuasion qu'il n'entend que parler, quoique l'harmonie agisse continuellement sur son oreille. Rien ne marque un plus mauvais récitatif que ces basses perpétuellement sautillantes, qui courent de croche en croche après la succession harmonique, et font, sous la mélodie de la voix, une manière de mélodie fort plate et fort ennuyeuse. Le compositeur doit savoir prolonger et varier ses accords sur la même note de basse, et n'en changer qu'au moment où l'inflexion du récitatif, devenant plus vive, reçoit plus d'effet par ce changement de basse, et empêche l'auditeur de le remarquer.
[-125-] Le récitatif ne doit servir qu'à lier la contexture du drame, à séparer et faire valoir les airs, à prévenir l'étourdissement que donnerait la continuité du grand bruit; mais, quelque éloquent que soit le dialogue, quelque énergique et savant que puisse être le récitatif, il ne doit durer qu'autant qu'il est nécessaire à son objet, parce que ce n'est point dans le récitatif qu'agit le charme de la musique, et que ce n'est cependant que pour déployer ce charme qu'est institué l'opéra. Or c'est en ceci qu'est le tort des Italiens, qui, par l'extrême longueur de leurs scènes, abusent du récitatif. Quelque beau qu'il soit en lui-même, il ennuie, parce qu'il dure trop, et que ce n'est pas pour entendre du récitatif que l'on va à l'opéra. Démosthène parlant tout le jour ennuierait à la fin; mais il ne s'ensuivrait pas de là que Démosthène fût un orateur ennuyeux. Ceux qui disent que les Italiens eux-mêmes trouvent leur récitatif mauvais, le disent bien gratuitement, puisqu'au contraire il n'y a point de partie dans la musique dont les connaisseurs fassent tant de cas et sur laquelle ils soient aussi difficiles; il suffit même d'exceller dans cette seule partie, fût-on médiocre dans toutes les autres, pour s'élever chez eux au rang des plus illustres artistes; et le célèbre Porpora ne s'est immortalisé que par-là.
J'ajoute que, quoiqu'on ne cherche pas communément dans le récitatif la même énergie d'expression que dans les airs, elle s'y trouve pourtant quelquefois; et quand elle s'y trouve, elle y fait [-126-] plus d'effet que dans les airs mêmes. Il y a peu de bons opéra où quelque grand morceau de récitatif n'excite l'admiration des connaisseurs, et l'intérêt dans tout le spectacle; l'effet de ces morceaux montre assez que le défaut qu'on impute au genre n'est que dans la manière de le traiter.
Monsieur Tartini rapporte avoir entendu, en 1714, à l'Opéra d'Ancône, un morceau de récitatif d'une seule ligne, et sans autre accompagnement que la basse, faire un effet prodigieux, non-seulement sur les professeurs de l'art, mais sur tous les spectateurs. "C'était, dit-il au commencement du troisième acte. A chaque représentation un silence profond dans tout le spectacle annonçait les approches de ce terrible morceau; on voyait les visages pâlir, on se sentait frissonner, et l'on se regardait l'un l'autre avec une sorte d'effroi: car ce n'étaient ni des pleurs, ni des plaintes; c'était un certain sentiment de rigueur âpre et dédaigneuse qui troublait l'ame, serrait le coeur, et glaçait le sang." Il faut transcrire le passage original: ces effets sont si peu connus sur nos théâtres que notre langue est peu exercée à les exprimer.
"L'anno quatordecimo del secolo presente, nel dramma che si rapresentava in Ancona, v'era su'l principio dell' atto terzo una riga di recitativo non accompagnato da altri stromenti che dal basso; per cui, tanto in noi professori, quanto negli ascoltanti, si destava una tale e tanta commozione di animo, che tutti si guardavano in faccia l'un l'altro, per la evidente mutazione di colore [-127-] che si faceva in ciascheduno di noi. L'effetto non era di pianto (mi ricordo benissimo che le parole erano di sdegno), ma di un certo rigore e freddo nel sangue, che di fatto turbava l'animo. Tredeci volte si recitò il dramma, e sempre seguì l'effetto stesso universalmente; di che era segno palpabile il sommo previo silenzio, con cui 1'uditorio tutto si apparecchiava a goderne l'effetto."
Récitatif accompagné est celui auquel, outre la basse-continue, on ajoute un accompagnement de violons. Cet accompagnement, qui ne peut guère être syllabique, vu la rapidité du débit, est ordinairement formé de longues notes soutenues sur des mesures entières; et l'on écrit pour cela sur toutes les parties de symphonie le mot sostenuto, principalement à la basse, qui, sans cela, ne frapperait que des coups secs et détachés à chaque changement de note, comme, dans le récitatif ordinaire; au lieu qu'il faut alors filer et soutenir les sons selon toute la valeur des notes. Quand l'accompagnement est mesuré, cela force de mesurer aussi le récitatif, lequel alors suit et accompagne en quelque sorte l'accompagnement.
Récitatif mesuré. Ces deux mots sont contradictoires: tout récitatif où l'on sent quelque autre mesure que celle des vers n'est plus du récitatif. Mais souvent un récitatif ordinaire se change tout d'un coup en chant, et prend de la mesure et de la mélodie; ce qui se marque en écrivant sur les parties a tempo ou a battuta. Ce contraste, ce changement bien ménagé produit des effets surprenants. [-128-] Dans le cours d'un récitatif débité, une réflexion tendre et plaintive prend l'accent musical et se développe à l'instant par les plus douces inflexions du chant; puis, coupée de la même manière par quelque autre réflexion vive et impétueuse, elle s'interrompt brusquement pour reprendre à l'instant tout le débit de la parole. Ces morceaux courts et mesurés, accompagnés pour l'ordinaire de flûtes et de cors de chasse, ne sont pas rares dans les grands récitatifs italiens.
On mesure encore le récitatif, lorsque l'accompagnement dont on le charge, étant chantant et mesuré lui-même, oblige le récitant d'y conformer son débit. C'est moins alors un récitatif mesuré que, comme je l'ai dit plus haut, un récitatif accompagnant l'accompagnement.
Récitatif obligé. C'est celui qui, entremêlé de ritournelles et de traits de symphonie, oblige pour ainsi dire le récitant et l'orchestre l'un envers l'autre, en sorte qu'ils doivent être attentifs et s'attendre mutuellement. Ces passages alternatifs de récitatifs et de mélodie revêtue de tout l'éclat de l'orchestre sont ce qu'il y a de plus touchant, de plus ravissant, de plus énergique dans toute la musique moderne. L'acteur, agité, transporté d'une passion qui ne lui permet pas de tout dire, s'interrompt, s'arrête, fait des réticences, durant lesquelles l'orchestre parle pour lui, et ces silences ainsi remplis affectent infiniment plus l'auditeur que si l'acteur disait lui-même tout ce que la musique fait entendre. Jusqu'ici la musique française n'a su [-129-] faire aucun usage du récitatif obligé. L'on a tâché d'en donner quelque idée dans une scène du Devin du Village; et il paraît que le public a trouvé qu'une situation vive ainsi traitée en devenait plus intéressante. Que ne ferait point le récitatif obligé dans des scènes grandes et pathétiques, si l'on en peut tirer ce parti dans un genre rustique et badin!
Réciter, verbe actif et neutre. C'est chanter ou jouer seul dans une musique, c'est exécuter un récit. (Voyez Récit.)
Réclame, substantif féminin. C'est dans le plain-chant la partie du répons que l'on reprend après le verset. (Voyez Répons.)
Redoublé, adjectif. On appelle intervalle redoublé tout intervalle simple porté à son octave: ainsi la treizième, composée d'une sixte et de l'octave, est une sixte redoublée; et la quinzième, qui est une octave ajoutée à l'octave, est une octave redoublée: quand au lieu d'une octave on en ajoute deux, l'intervalle est triplé; quadruplé, quand on ajoute trois octaves.
Tout intervalle dont le nom passe sept en nombre, est tout au moins redoublé. Pour trouver le simple d'un intervalle redoublé quelconque, rejetez sept autant de fois que vous le pourrez du nom de cet intervalle, et le reste sera le nom de l'intervalle simple: de treize rejetez sept, il reste six; ainsi le treizième est une sixte redoublée: de quinze ôtez deux fois sept ou quatorze, il reste un: ainsi la quinzième est un unisson triplé, ou une octave redoublée.
Réciproquement, pour redoubler un intervalle [-130-] simple quelconque, ajoutez-y sept, et vous aurez le nom du même intervalle redoublé. Pour tripler un intervalle simple, ajoutez-y quatorze, et cetera. (Voyez Intervalle.)
Réduction, substantif féminin. Suite de notes descendant diatoniquement. Ce terme, non plus que son opposé, déduction, n'est guère en usage que dans le plain-chant.
Refrain. Terminaison et tous les couplets d'une chanson par les mêmes paroles et par le même chant, qui se dit ordinairement deux fois.
Règle de l'octave. Formule harmonique, publiée la première fois par le sieur Delair, en 1700, laquelle détermine, sur la marche diatonique de la basse, l'accord convenable à chaque degré du ton, tant en mode majeur qu'en mode mineur, et tant en montant qu'en descendant.
On trouve, Planche L, figure 6 [ROUDIC4 12GF], cette formule chiffrée sur l'octave du mode majeur, et figure 7, sur l'octave du mode mineur.
Pourvu que le ton soit bien déterminé, on ne se trompera pas en accompagnant sur cette règle, tant que l'auteur sera resté dans l'harmonie simple et naturelle que comporte le mode: s'il sort de cette simplicité par des accords par supposition ou d'autres licences, c'est à lui d'en avertir par des chiffres convenables; ce qu'il doit faire aussi à chaque changement de ton: mais tout ce qui n'est point chiffré doit s'accompagner selon la règle de l'octave, et cette règle doit s'étudier sur la basse-fondamentale pour en bien comprendre le sens.
[-131-] Il est cependant fâcheux qu'une formule destinée à la pratique des règles élémentaires de l'harmonie contienne une faute contre ces mêmes règles; c'est apprendre de bonne heure aux commençants à transgresser les lois qu'on leur donne: cette faute est dans l'accompagnement de la sixième note, dont l'accord, chiffré d'un 6, pèche contre les règles, car il ne s'y trouve aucune liaison, et la basse-fondamentale descend diatoniquement d'un accord parfait sur un autre accord parfait; licence trop grande pour pouvoir faire règle.
On pourrait faire qu'il y eût liaison en ajoutant une septième à l'accord parfait de la dominante; mais alors cette septième, devenue octave sur la note suivante, ne serait point sauvée, et la basse-fondamentale, descendant diatoniquement sur un accord parfait après un accord de septième, ferait une marche entièrement intolérable.
On pourrait aussi donner à cette sixième note l'accord de petite-sixte, dont la quarte ferait liaison; mais ce serait fondamentalement un accord de septième avec tierce mineure, où la dissonance ne serait pas préparée; ce qui est encore contre les règles. (Voyez Préparer.)
On pourrait chiffrer sixte-quarte sur cette sixième note, et ce serait alors l'accord parfait de la seconde, mais je doute que les musiciens approuvassent un renversement aussi mal entendu que celui-là; renversement que l'oreille n'adopte point, et sur un accord qui éloigne trop l'idée de la modulation principale.
[-132-] On pourrait changer l'accord de la dominante en lui donnant la sixte-quarte au lieu de la septième, et alors la sixte simple irait très-bien sur la sixième note qui suit; mais la sixte-quarte irait très-mal sur la dominante, à moins qu'elle n'y fût suivie de l'accord parfait ou de la septième; ce qui ramènerait la difficulté. Une règle qui sert non-seulement dans la pratique, mais de modèle pour la pratique, ne doit point se tirer de ces combinaisons théoriques rejetées par l'oreille, et chaque note, surtout la dominante, y doit porter son accord propre, lorsqu'elle peut en avoir un.
Je tiens donc pour une chose certaine que nos règles sont mauvaises, ou que l'accord de sixte, dont on accompagne la sixième note en montant, est une faute qu'on doit corriger; et que pour accompagner régulièrement cette note comme il convient dans une formule, il n'y a qu'un seul accord à lui donner, savoir celui de septième, non une septième fondamentale, qui, ne pouvant dans cette marche se sauver que d'une autre septième, serait une faute, mais une septième renversée d'un accord de sixte-ajoutée sur la tonique. Il est clair que l'accord de la tonique est le seul qu'on puisse insérer régulièrement entre l'accord parfait ou de septième sur la dominante, et le même accord sur la note sensible qui suit immédiatement. Je souhaite que les gens de l'art trouvent cette correction bonne; je suis sûr au moins qu'ils la trouveront régulière.
Régler le papier. C'est marquer sur un papier [-133-] blanc les portées pour y noter la musique. (Voyez Papier réglé.)
Régleur, substantif masculin. Ouvrier qui fait profession de régler les papiers de musique. (Voyez Copiste.)
Réglure, substantif féminin. Manière dont est réglé le papier. Cette réglure est trop noire. Il y a plaisir de noter sur une réglure bien nette. (Voyez Papier réglé.)
Relation, substantif féminin. Rapport qu'ont entre eux les deux sons qui forment un intervalle, considéré par le genre de cet intervalle. La relation est juste quand l'intervalle est juste, majeur ou mineur; elle est fausse quand il est superflu ou diminué. (Voyez Intervalle.)
Parmi les fausses relations on ne considère comme telles dans l'harmonie que celles dont les deux sons ne peuvent entrer dans le même mode: ainsi le triton, qui dans la mélodie est une fausse relation, n'en est une dans l'harmonie que lorsqu'un des deux sons qui le forment est une corde étrangère au mode. La quarte diminuée, quoique bannie de l'harmonie, n'est pas toujours une fausse relation. Les octaves diminuée et superflue, étant non-seulement des intervalles bannis de l'harmonie, mais impraticables dans le même mode, sont toujours de fausses relations; il en est de même des tierces et des sixtes diminuée et superflue, quoique la dernière soit admise aujourd'hui.
Autrefois les fausses relations étaient toutes défendues; à présent elles sont presque toutes permises dans la mélodie, mais non dans l'harmonie; on peut pourtant les y faire entendre, pourvu qu'un [-134-] des deux sons qui forment la fausse relation ne soit admis que comme note de goût, et non comme partie constitutive de l'accord.
On appelle encore relation enharmonique, entre deux cordes qui sont à un ton d'intervalle, le rapport qui se trouve entre le dièse de l'inférieure et le bémol de la supérieure: c'est, par le tempérament, la même touche sur l'orgue et sur le clavecin; mais en rigueur ce n'est pas le même son, et il y a entre eux un intervalle enharmonique. (Voyez Enharmonique.)
Remisse, adjectif. Les sons remisses sont ceux qui ont peu de force, ceux qui, étant fort graves, ne peuvent être rendus que par des cordes extrêmement lâches, ni entendus que de fort près. Remisse est l'opposé d'intense; et il y a cette différence entre remisse et bas ou faible, de même qu'entre intense et haut ou fort, que bas et haut se disent de la sensation que le son porte à l'oreille, au lieu qu'intense et remisse se rapportent plutôt à la cause qui le produit.
Renforcer, verbe actif. pris en sens neutre. C'est passer du doux au fort, ou du fort au très-fort, non tout d'un coup, mais par une gradation continue en renflant et augmentant les sons, soit sur une tenue, soit sur une suite de notes, jusqu'à ce qu'ayant atteint celle qui sert de terme au renforcé, l'on reprenne ensuite le jeu ordinaire. Les Italiens indiquent le renforcé dans leur musique par le mot crescendo, ou par le mot rinforzando indifféremment.
[-135-] Rentrée, substantif féminin. Retour du sujet, surtout après quelques pauses de silence, dans une fugue, une imitation, ou dans quelque autre dessin.
Renversé. En fait d'intervalles, renversé est opposé à direct (voyez Direct); et en fait d'accords, il est opposé à fondamental. (Voyez Fondamental.)
Renversement, substantif masculin. Changement d'ordre dans les sons qui composent les accords, et dans les parties qui composent l'harmonie; ce qui se fait en substituant à la basse, par des octaves, les sons qui doivent être au-dessus, ou aux extrémités ceux qui doivent occuper le milieu, et réciproquement.
Il est certain que dans tout accord il y a un ordre fondamental et naturel, qui est celui de la génération de l'accord même: mais les circonstances d'une succession, le goût, l'expression, le beau chant, la variété, le rapprochement de l'harmonie, obligent souvent le compositeur de changer cet ordre en renversant les accords, et par conséquent la disposition des parties.
Comme trois choses peuvent être ordonnées en six manières, et quatre choses en vingt-quatre manières, il semble d'abord qu'un accord parfait devrait être susceptible de six renversements, et un accord dissonant de vingt-quatre; puisque celui-ci est composé de quatre sons, l'autre de trois, et que le renversement ne consiste qu'en des transpositions d'octaves. Mais il faut observer que dans l'harmonie on ne compte point pour des renversements toutes les dispositions différentes des sons supérieurs tant que le même son demeure au grave: ainsi ces deux [-136-] ordres de l'accord parfait ut mi sol, et ut sol mi, ne sont pris que pour un même renversement, et ne portent qu'un même nom, ce qui réduit à trois tous les renversements de l'accord parfait, et à quatre tous ceux de l'accord dissonant, c'est-à-dire à autant de renversements qu'il entre de différents sons dans l'accord; car les répliques des mêmes sons ne sont ici comptées pour rien.
Toutes les fois donc que la basse-fondamentale se fait entendre dans la partie la plus grave, ou, si la basse-fondamentale est retranchée, toutes les fois que l'ordre naturel est gardé dans les accords, l'harmonie est directe. Dès que cet ordre est changé, ou que les sons fondamentaux, sans être au grave, se font entendre dans quelque autre partie, l'harmonie est renversée. Renversement de l'accord quand le son fondamental est transposé; renversement de l'harmonie quand le dessus ou quelque autre partie marche comme devrait faire la basse.
Partout où un accord direct sera bien placé, ses renversements seront bien placés aussi quant à l'harmonie; car c'est toujours la même succession fondamentale: ainsi à chaque note de basse-fondamentale on est maître de disposer l'accord à sa volonté, et par conséquent de faire à tout moment des renversements différents, pourvu qu'on ne change point la succession régulière et fondamental, que les dissonances soient toujours préparées et sauvées par les parties qui les font entendre, que la note sensible monte toujours, et qu'on évite les fausses relations trop dures dans une même partie. Voilà [-137-] la clef de ces différences mystérieuses que mettent les compositeurs entre les accords où le dessus syncope, et ceux où la basse doit syncoper; comme, par exemple, entre la neuvième et la seconde: c'est que dans les premiers l'accord est direct et la dissonance dans le dessus; dans les autres, l'accord est renversé, et la dissonance à la basse.
A l'égard des accords par supposition, il faut plus de précautions pour les renverser. Comme le son qu'on ajoute à la basse est entièrement étranger à l'harmonie, souvent il n'y est souffert qu'à cause de son grand éloignement des autres sons, qui rend la dissonance moins dure: que si ce son ajouté vient à être transposé dans les parties supérieures, comme il l'est quelquefois; si cette transposition n'est faite avec beaucoup d'art, elle y peut produire un très-mauvais effet; et jamais cela ne saurait se pratiquer heureusement sans retrancher quelque autre son de l'accord. Voyez au mot Accord les cas et le choix de ces retranchements.
L'intelligence parfaite du renversement ne dépend que de l'étude et de l'art: le choix est autre chose; il faut de l'oreille et du goût, il y faut l'expérience des effets divers; et quoique le choix du renversement soit indifférent pour le fond de l'harmonie, il ne l'est pas pour l'effet et l'expression. Il est certain que la basse-fondamentale est faite pour soutenir l'harmonie et régner au-dessous d'elle. Toutes les fois donc qu'on change l'ordre et qu'on renverse l'harmonie, on doit avoir de bonnes raisons pour cela; sans quoi l'on tombera dans le défaut de nos [-138-] musiques récentes, où les dessus chantent quelquefois comme des basses, et les basses toujours comme des dessus, où tout est confus, renversé, mal ordonné, sans autre raison que de pervertir l'ordre établi et de gâter l'harmonie.
Sur l'orgue et le clavecin les divers renversements d'un accord, autant qu'une seule main peut les faire, s'appellent faces. (Voyez Face.)
Renvoi, substantif masculin. Signe figuré à volonté, placé communément au-dessus de la portée, lequel, correspondant à un autre signe semblable, marque qu'il faut, d'où est le second, retourner où est le premier, et de là suivre jusqu'à ce qu'on trouve le point final. (Voyez Point.)
Répercussion, substantif féminin. Répétition fréquente des mêmes sons. C'est ce qui arrive dans toute modulation bien déterminée, où les cordes essentielles du mode, celles qui composent la triade harmonique, doivent être rebattues plus souvent qu'aucune des autres. Entre les trois cordes de cette triade, les deux extrêmes, c'est-à-dire la finale et la dominante, qui sont proprement la répercussion du ton, doivent être plus souvent rebattues que celle du milieu, qui n'est que la répercussion du mode. (Voyez Ton et Mode.)
Répétition, substantif féminin. Essai que l'on fait en particulier d'une pièce de musique que l'on veut exécuter en public. Les répétitions sont nécessaires pour s'assurer que les copies sont exactes, pour que les acteurs puissent prévoir leurs parties, pour qu'ils se concertent et s'accordent bien ensemble, pour [-139-] qu'ils saisissent l'esprit de l'ouvrage, et rendent fidèlement ce qu'ils ont à exprimer. Les répétitions servent au compositeur même pour juger de l'effet de sa pièce, et faire les changements dont elle peut avoir besoin.
Réplique, substantif féminin. Ce terme en musique signifie la même chose qu'octave. (Voyez Octave.) Quelquefois en composition l'on appelle aussi réplique l'unisson de la même note dans deux parties différentes. Il y a nécessairement des répliques à chaque accord dans toute musique à plus de quatre parties. (Voyez Unisson.)
Répons, substantif masculin. Espèce d'antienne redoublée qu'on chante dans l'Église romaine après les leçons de matines ou les capitules, et qui finit en manière de rondeau par une reprise appelée réclame.
Le chant du répons doit être plus orné que celui d'une antienne ordinaire, sans sortir pourtant d'une mélodie mâle et grave, ni de celle qu'exige le mode qu'on a choisi. Il n'est cependant pas nécessaire que le verset d'un répons se termine par la note finale du mode; il suffit que cette finale termine le répons même.
Réponse, substantif féminin. C'est, dans une fugue, la rentrée du sujet par une autre partie, après que la première l'a fait entendre; mais c'est surtout, dans une contre-fugue, la rentrée du sujet renversé de celui qu'on vient d'entendre. (Voyez Fugue, Contre-Fugue.)
Repos, substantif masculin. C'est la terminaison de la phrase, sur laquelle terminaison le chant se repose plus ou [-140-] moins parfaitement. Le repos ne peut s'établir que par une cadence pleine: si la cadence est évitée, il ne peut y avoir de vrai repos; car il est impossible à l'oreille de se reposer sur une dissonance. On voit par là qu'il y a précisément autant d'espèces de repos que de sortes de cadences pleines (voyez Cadence); et ces différents repos produisent dans la musique l'effet de la ponctuation dans le discours.
Quelques-uns confondent mal à propos les repos avec les silences, quoique ces choses soient fort différentes. (Voyez Silence.)
Reprise, substantif féminin. Toute partie d'un air, laquelle se répète deux fois, sans être écrite deux fois, s'appelle reprise: c'est en ce sens qu'on dit que la première reprise d'une ouverture est grave, et la seconde, gaie. Quelquefois aussi l'on n'entend par reprise que la seconde partie d'un air: on dit ainsi que la reprise du joli menuet de Dardanus ne vaut rien du tout. Enfin reprise est encore chacune des parties d'un rondeau, qui souvent en a trois, et quelquefois davantage, dont on ne répète que la première.
Dans la note on appelle reprise un signe qui marque que l'on doit répéter la partie de l'air qui précède; ce qui évite la peine de la noter deux fois. En ce sens on distingue deux reprises, la grande et la petite. La grande reprise se figure, à l'italienne, par une double barre perpendiculaire avec deux points en-dehors de chaque côté, ou, à la française, par deux barres perpendiculaires un peu plus écartées, qui traversent toute la portée, et entre lesquelles [-141-] on insère un point dans chaque espace: mais cette seconde manière s'abolit peu à peu; car ne pouvant imiter tout-à-fait la musique italienne, nous en prenons du moins les mots et les signes; comme ces jeunes gens qui croient prendre le style de Monsieur de Voltaire en suivant son orthographe.
Cette reprise, ainsi ponctuée à droite et à gauche, marque ordinairement qu'il faut recommencer deux fois, tant la partie qui précède que celle qui suit; c'est pourquoi on la trouve ordinairement vers le milieu des passe-pieds, menuets, gavottes, et cetera.
Lorsque la reprise a seulement des points à sa gauche, c'est pour la répétition de ce qui précède; et lorsqu'elle a des points à sa droite, c'est pour la répétition de ce qui suit. Il serait du moins à souhaiter que cette convention, adoptée par quelques-uns, fût tout-à-fait établie; car elle me paraît fort commode. Voyez (Planche L, figure 8 [ROUDIC4 12GF]) la figure de ces différentes reprises.
La petite reprise est, lorsque après une grande reprise on recommence encore quelques-unes des dernières mesures avant de finir. Il n'y a point de signes particuliers pour la petite reprise, mais on se sert ordinairement de quelque signe de renvoi figuré au-dessus de la portée. (Voyez Renvoi.)
Il faut observer que ceux qui notent correctement ont toujours soin que la dernière note d'une reprise se rapporte exactement, pour la mesure, et à celle qui commence la même reprise, et à celle qui commence la reprise qui suit, quand il y en a [-142-] une. Que si le rapport de ces notes ne remplit pas exactement la mesure, après la note qui termine une reprise, on ajoute deux ou trois notes de ce qui doit être recommencé, jusqu'à ce qu'on ait suffisamment indiqué comment il faut remplir la mesure: or, comme à la fin d'une première partie on a premièrement la première partie à reprendre, puis la seconde partie à commencer, et que cela ne se fait pas toujours dans des temps ou parties de temps semblables, on est souvent obligé de noter deux fois la finale de la première reprise, l'une avant le signe de reprise avec les premières notes de la première partie, l'autre après le même signe pour commencer la seconde partie; alors on trace un demi-cercle ou chapeau depuis cette première finale jusqu'à sa répétition, pour marquer qu'à la seconde fois il faut passer comme nul tout ce qui est compris sous le demi-cercle. Il m'est impossible de rendre cette explication plus courte, plus claire, ni plus exacte; mais la figure 9 de la Planche L [ROUDIC4 12GF] suffira pour la faire entendre parfaitement.
Résonnance, substantif féminin. Prolongement ou réflexion du son, soit par les vibrations continuées des cordes d'un instrument, soit par les parois d'un corps sonore, soit par la collision de l'air renfermé dans un instrument à vent. (Voyez Son, Musique, Instrument.)
Les voûtes elliptiques et paraboliques résonnent, c'est-à-dire réfléchissent le son. (Voyez Écho.)
Selon Monsieur Dodard, le nez, la bouche, ni ses parties, comme le palais, la langue, les dents, les [-143-] lèvres, ne contribuent en rien au ton de la voix; mais leur effet est bien grand pour la résonnance. (Voyez Voix.) Un exemple bien sensible de cela se tire d'un instrument d'acier appelé trompe de Béarn ou guimbarde, lequel, si on le tient avec les doigts et qu'on frappe sur la languette, ne rendra aucun son; mais si, le tenant entre les dents, on frappe de même, il rendra un son qu'on varie en serrant plus ou moins, et qu'on entend d'assez loin, surtout dans le bas.
Dans les instruments à cordes, tels que le clavecin, le violon, le violoncelle, le son vient uniquement de la corde; mais la résonnance dépend de la caisse de l'instrument.
Resserrer l'harmonie. C'est rapprocher les parties les unes des autres dans les moindres intervalles qu'il est possible: ainsi, pour resserrer cet accord ut sol mi, qui comprend une dixième, il faut renverser ainsi ut mi sol, et alors il ne comprend qu'une quinte. (Voyez Accord, Renversement.)
Rester, verbe neutre. Rester sur une syllabe, c'est la prolonger plus que n'exige la prosodie, comme on fait sous les roulades; et rester sur une note, c'est y faire une tenue, ou la prolonger jusqu'à ce que le sentiment de la mesure soit oublié.
Rhythme, substantif masculin. C'est, dans sa définition la plus générale, la proportion qu'ont entre elles les parties d'un même tout: c'est, en musique, la différence du mouvement qui résulte de la vitesse ou de la lenteur, de la longueur ou de la brièveté des temps.
[-144-] Aristide Quintilien divise le rhythme en trois espèces: savoir, le rhythme des corps immobiles, lequel résulte de la juste proportion de leurs parties, comme dans une statue bien faite; le rhythme du mouvement local, comme la danse, la démarche bien composée, les attitudes des pantomimes; et le rhythme des mouvements de la voix ou de la durée relative des sons, dans une telle proportion, que, soit qu'on frappe toujours la même corde, soit qu'on varie les sons du grave à l'aigu, l'on fasse toujours résulter de leur succession des effets agréables par la durée et la quantité. Cette dernière espèce de rhythme est la seule dont j'ai à parler ici.
Le rhythme appliqué à la voix peut encore s'entendre de la parole ou du chant. Dans le premier sens, c'est du rhythme que naissent le nombre et l'harmonie dans l'éloquence, la mesure et la cadence dans la poésie: dans le second, le rhythme s'applique proprement à la valeur des notes, et s'appelle aujourd'hui mesure. (Voyez Mesure.) C'est encore à cette seconde acception que doit se borner ce que j'ai à dire ici sur le rhythme des anciens.
Comme les syllabes de la langue grecque avaient une quantité et des valeurs plus sensibles, plus déterminées que celles de notre langue, et que les vers qu'on chantait étaient composés d'un certain nombre de pieds que formaient ces syllabes, longues ou brèves, différemment combinées, le rhythme du chant suivait régulièrement la marche de ces pieds, [-145-] et n'en était proprement que l'expression: il se divisait, ainsi qu'eux, en deux temps, l'un frappé, l'autre levé; l'on en comptait trois genres, même quatre, et plus, selon les divers rapports de ces temps; ces genres étaient l'égal, qu'ils appelaient aussi dactylique, où le rhythme était divisé en deux temps égaux; le double, trochaïque ou ïambique, dans lequel la durée de l'un des deux temps était double de celle de l'autre; le sesqui-altère, qu'ils appelaient aussi péonique, dont la durée de l'un des deux temps était à celle de l'autre en rapport de 3 à 2; et enfin l'épitrite, moins usité, où le rapport des deux temps était de 3 à 4.
Les temps de ces rhythmes étaient susceptibles de plus ou moins de lenteur, par un plus grand ou moindre nombre de syllabes ou de notes longues ou brèves, selon le mouvement; et dans ce sens un temps pouvait recevoir jusqu'à huit degrés différents de mouvement par le nombre des syllabes qui le composaient; mais les deux temps conservaient toujours entre eux le rapport déterminé par le genre du rhythme.
Outre cela le mouvement et la marche des syllabes, et par conséquent des temps et du rhythme qui en résultait, était susceptible d'accélération et de ralentissement, à la volonté du poète, selon l'expression des paroles et le caractère des passions qu'il fallait exprimer: ainsi de ces deux moyens combinés naissaient des foules de modifications possibles dans le mouvement d'un même rhythme, qui n'avaient d'autres bornes que celles au-deçà ou [-146-] au-delà desquelles l'oreille n'est plus à la portée d'apercevoir les proportions.
Le rhythme, par rapport aux pieds qui entraient dans la poésie, se partageait en trois autres genres: le simple, qui n'admettait qu'une sorte de pieds; le composé, qui résultait de deux ou plusieurs espèces de pieds; et le mixte, qui pouvait se résoudre en deux ou plusieurs rhythmes égaux ou inégaux, selon les diverses combinaisons dont il était susceptible.
Une autre source de variété dans le rhythme était la différence des marches ou successions de ce même rhythme, selon l'entrelacement des différents vers. Le rhythme pouvait être toujours uniforme, c'est-à-dire se battre à deux temps toujours égaux, comme dans les vers hexamètres, pentamètres, adoniens, anapestiques, et cetera; ou toujours inégaux, comme dans les vers purs ïambiques; ou diversifié, c'est-à-dire mêlé de pieds égaux et d'inégaux, comme dans les scazons, les choriambiques, et cetera: mais dans tous ces cas les rhythmes, même semblables ou égaux, pouvaient, comme je l'ai dit, être fort différents en vitesse selon la nature des pieds; ainsi de deux rhythmes de même genre, résultant l'un de deux spondées, l'autre de deux pyrrhiques, le premier aurait été double de l'autre en durée.
Les silences se trouvaient aussi dans le rhythme ancien, non pas, à la vérité, comme les nôtres, pour faire taire seulement quelqu'une des parties, ou pour donner certains caractères au chant, mais [-147-] seulement pour remplir la mesure de ces vers appelés catalectiques, qui manquaient d'une syllabe: ainsi le silence ne pouvait jamais se trouver qu'à la fin du vers, pour suppléer à cette syllabe.
A l'égard des tenues, ils les connaissaient sans doute, puisqu'ils avaient un mot pour les exprimer; la pratique en devait cependant être fort rare parmi eux; du moins cela peut-il s'inférer de la nature de leur rhythme, qui n'était que l'expression de la mesure et de l'harmonie des vers. Il ne paraît pas non plus qu'ils pratiquassent les roulades, les syncopes, ni les points, à moins que les instruments ne fissent quelque chose de semblable en accompagnant la voix; de quoi nous n'avons nul indice.
Vossius, dans son livre de poëmatum Cantu, et viribus rhythmi, relève beaucoup le rhythme ancien; et il lui attribue toute la force de l'ancienne musique: il dit qu'un rhythme détaché comme le nôtre, qui ne représente aucune image des choses, ne peut avoir aucun effet, et que les anciens nombres poétiques n'avaient été inventés que pour cette fin que nous négligeons; il ajoute que le langage et la poésie modernes sont peu propres pour la musique, et que nous n'aurons jamais de bonne musique vocale jusqu'à ce que nous fassions des vers favorables pour le chant; c'est-à-dire jusqu'à ce que nous réformions notre langage, et que nous lui donnions, à l'exemple des anciens, la quantité et les pieds mesurés, en proscrivant pour jamais l'invention barbare de la rime.
[-148-] Nos vers, dit-il, sont précisément comme s'ils n'avaient qu'un seul pied; de sorte que nous n'avons dans notre poésie aucun rhythme véritable, et qu'en fabriquant nos vers nous ne pensons qu'à y faire entrer un certain nombre de syllabes, sans presque nous embarrasser de quelle nature elles sont: ce n'est sûrement pas là de l'étoffe pour la musique.
Le rhythme est une partie essentielle de la musique, et surtout de l'imitative; sans lui la mélodie n'est rien, et par lui-même il est quelque chose, comme on le sent par l'effet des tambours. Mais d'où vient l'impression que font sur nous la mesure et la cadence? Quel est le principe par lequel ces retours, tantôt égaux et tantôt variés, affectent nos ames, et peuvent y porter le sentiment des passions? Demandez-le au métaphysicien: tout ce que nous pouvons dire ici est que, comme la mélodie tire son caractère des accents de la langue, le rhythme tire le sien du caractère de la prosodie, et alors il agit comme image de la parole: à quoi nous ajouterons que certaines passions ont dans la nature un caractère rhythmique aussi-bien qu'un caractère mélodieux, absolu, et indépendant de la langue; comme la tristesse, qui marche par temps égaux et lents, de même que par tons remisses et bas; la joie, par temps sautillants et vites, de même que par tons aigus et intenses: d'où je présume qu'on pourrait observer dans toutes les autres passions un caractère propre, mais plus difficile à saisir, à cause que la plupart de ces autres passions, étant [-149-] composées, participent plus ou moins tant des précédentes que l'une de l'autre.
Rhythmique, substantif féminin. Partie de l'art musical qui enseignait à pratiquer les règles du mouvement et du rhythme selon les loix de la rhythmopée.
La rhytmique, pour le dire un peu plus en détail, consistait à savoir choisir entre les trois modes établis par la rhythmopée le plus propre au caractère dont il s'agissait, à connaître et posséder à fond toutes les sortes de rhythmes, à discerner et employer les plus convenables en chaque occasion, à les entrelacer de la manière à la fois la plus expressive et la plus agréable, et enfin à distinguer l'arsis et la thésis par la marche la plus sensible et la mieux cadencée.
Rhythmopée, [rythmopoiia], substantif féminin. Partie de la science musicale qui prescrivait à l'art rhythmique les lois du rhythme et de tout ce qui lui appartient. (Voyez Rhythme.) La rhythmopée était à la rhythmique ce qu'était la mélopée à la mélodie.
La rhythmopée avait pour objet le mouvement ou le temps dont elle marquait la mesure, les divisions, l'ordre et le mélange, soit pour émouvoir les passions, soit pour les changer, soit pour les calmer: elle renfermait aussi la science des mouvements muets, appelés orchesis, et en général de tous les mouvements réguliers; mais elle se rapportait principalement à la poésie, parce qu'alors la poésie réglait seule les mouvements de la musique, et qu'il n'y avait point de musique purement instrumentale qui eût un rhythme indépendant.
[-150-] On sait que la rhythmopée se partageait en trois modes ou tropes principaux, l'un bas et serré, un autre élevé et grand, et le moyen paisible et tranquille; mais du reste les anciens ne nous ont laissé que des préceptes fort généraux sur cette partie de leur musique, et ce qu'ils en ont dit se rapporte toujours aux vers ou aux paroles destinées pour le chant.
Rigaudon, substantif masculin. Sorte de danse dont l'air se bat à deux temps, d'un mouvement gai, et se divise ordinairement en deux reprises phrasées de quatre en quatre mesures, et commençant par la dernière note du second temps.
On trouve rigodon dans le Dictionnaire de l'académie; mais cette orthographe n'est pas usitée. J'ai ouï dire à un maître à danser que le nom de cette danse venait de celui de l'inventeur, lequel s'appelait Rigaud.
Rippieno, substantif masculin. Mot italien qui se trouve assez fréquemment dans les musiques d'église, et qui équivaut au mot choeur ou tous.
Ritournelle, substantif féminin. Trait de symphonie qui s'emploie en manière de prélude à la tête d'un air dont ordinairement il annonce le chant; ou à la fin, pour imiter et assurer la fin du même chant; ou dans le milieu, pour reposer la voix, pour renforcer l'expression, ou simplement pour embellir la pièce.
Dans les recueils ou partitions de vieille musique italienne, les ritournelles sont souvent désignées par les mots si suona, qui signifient que l'instrument qui accompagne doit répéter ce que la voix a chanté.
[-151-] Ritournelle vient de l'italien ritornello, et signifie petit retour. Aujourd'hui que la symphonie a pris un caractère plus brillant, et presque indépendant de la vocale, on ne s'en tient plus guère à de simples répétitions: aussi le mot ritournelle a-t-il vieilli.
Rolle, substantif masculin. Le papier séparé qui contient la musique que doit exécuter un concertant, et qui s'appelle partie dans un concert, s'appelle rolle à l'Opéra: ainsi l'on doit distribuer une partie à chaque musicien, et un rolle à chaque acteur.
Romance, substantif féminin. Air sur lequel on chante un petit poème du même nom, divisé par couplets, duquel le sujet est pour l'ordinaire quelque histoire amoureuse, et souvent tragique. Comme la romance doit être écrite d'un style simple, touchant, et d'un goût un peu antique, l'air doit répondre au caractère des paroles; point d'ornement, rien de maniéré, une mélodie douce, naturelle, champêtre, et qui produise son effet par elle-même, indépendamment de la manière de la chanter: il n'est pas nécessaire que le chant soit piquant, il suffit qu'il soit naïf, qu'il n'offusque point la parole, qu'il la fasse bien entendre, et qu'il n'exige pas une grande étendue de voix. Une romance bien faite, n'ayant rien de saillant, n'affecte pas d'abord; mais chaque couplet ajoute quelque chose à l'effet des précédents, l'intérêt augmente insensiblement, et quelquefois on se trouve attendri jusqu'aux larmes, sans pouvoir dire où est le charme qui a produit cet effet. C'est une expérience certaine que tout accompagnement d'instrument affaiblit cette impression; il ne faut, [-152-] pour le chant de la romance, qu'une voix juste, nette, qui prononce bien, et qui chante simplement.
Romanesque, substantif féminin. Air à danser. (Voyez Gaillarde.)
Ronde, adjectif pris substantivement. Note blanche et ronde, sans queue, laquelle vaut une mesure entière à quatre temps, c'est-à-dire deux blanches ou quatre noires. La ronde est de toutes les notes restées en usage celle qui a le plus de valeur; autrefois, au contraire, elle était celle qui en avait le moins, et elle s'appelait semi-brève. (Voyez Semi-brève et Valeur des notes.)
Ronde de table. Sorte de chanson à boire, et pour l'ordinaire mêlée de galanterie, composée de divers couplets qu'on chante à table chacun à son tour, et sur lesquels tous les convives font chorus en reprenant le refrain.
Rondeau, substantif masculin. Sorte d'air à deux ou plusieurs reprises, et dont la forme est telle qu'après avoir fini la seconde reprise on reprend la première; et ainsi de suite, revenant toujours et finissant par cette même première reprise par laquelle on a commencé. Pour cela on doit tellement conduire la modulation, que la fin de la première reprise convienne au commencement de toutes les autres, et que la fin de toutes les autres convienne au commencement de la première.
Les grands airs italiens et toutes nos ariettes sont en rondeau, de même que la plus grande partie des pièces de clavecin françaises.
[-153-] Les routines sont des magasins de contre-sens pour ceux qui les suivent sans réflexion: telle est pour les musiciens celle des rondeaux. Il faut bien du discernement pour faire un choix de paroles qui leur soient propres. Il est ridicule de mettre en rondeau une pensée complète, divisée en deux membres, en reprenant la première incise et finissant par là. Il est ridicule de mettre en rondeau une comparaison dont l'application ne se fait que dans le second membre, en reprenant le premier et finissant par là. Enfin il est ridicule de mettre en rondeau une pensée générale limitée par une exception relative à l'état de celui qui parle, en sorte qu'oubliant derechef l'exception qui se rapporte à lui, il finisse en reprenant la pensée générale.
Mais toutes les fois qu'un sentiment exprimé dans le premier membre amène une réflexion qui le renforce et l'appuie dans le second; toutes les fois qu'une description de l'état de celui qui parle, emplissant le premier membre, éclaircit une comparaison dans le second; toutes les fois qu'une affirmation dans le premier membre contient sa preuve et sa confirmation dans le second; toutes les fois enfin que le premier membre contient la proposition de faire une chose, et le second la raison de la proposition, dans ces divers cas et dans les semblables le rondeau est toujours bien placé.
Roulade, substantif féminin. Passage dans le chant de plusieurs notes sur une même syllabe.
La roulade n'est qu'une imitation de la mélodie nstrumentale dans les occasions où, soit pour les [-154-] graces du chant, soit pour la vérité de l'image, soit pour la force de l'expression, il est à propos de suspendre le discours et de prolonger la mélodie; mais il faut de plus que la syllabe soit longue, que la voix en soit éclatante et propre à laisser au gosier la facilité d'entonner nettement et légèrement les notes de la roulade sans fatiguer l'organe du chanteur, ni par conséquent l'oreille des écoutants.
Les voyelles les plus favorables pour faire sortir la voix sont les a; ensuite les o, les è ouverts: l'i et l'u sont peu sonores; encore moins les diphthongues. Quant aux voyelles nasales, on n'y doit jamais faire de roulades. La langue italienne, pleine d'o, et d'a, est beaucoup plus propre pour les inflexions de voix que n'est la française; aussi les musiciens italiens ne les épargnent-ils pas: au contraire, les Français, obligés de composer presque toute leur musique syllabique, à cause des voyelles peu favorables, sont contraints de donner aux notes une marche lente et posée, ou de faire heurter les consonnes en faisant courir les syllabes, ce qui rend nécessairement le chant languissant ou dur. Je ne vois pas comment la musique française pourrait jamais surmonter cet inconvénient.
C'est un préjugé populaire de penser qu'une roulade soit toujours hors de place dans un chant triste et pathétique; au contraire, quand le coeur est le plus vivement ému, la voix trouve plus aisément des accents que l'esprit ne peut trouver des paroles, et de là vient l'usage des interjections dans toutes les langues. (Voyez Neume.) Ce n'est pas une moindre [-155-] erreur de croire qu'une roulade est toujours bien placée sur une syllabe ou dans un mot qui la comporte, sans considérer si la situation du chanteur, si le sentiment qu'il doit éprouver la comporte aussi.
La roulade est une invention de la musique moderne. Il ne paraît pas que les anciens en aient fait aucun usage, ni jamais battu plus de deux notes sur la même syllabe. Cette différence est un effet de celle des deux musiques, dont l'une était asservie à la langue, et dont l'autre lui donne la loi.
Roulement, substantif masculin. (Voyez Roulade.)