TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: SAUNOU TEXT
Author: Sauveur, Joseph
Title: Sur un nouveau systéme de musique
Source: Histoire de l'Academie Royale des Sciences. Année MDCCI. Avec les Memoires de Mathematique et de Physique pour la même Année. Tirez des Registres de cette Academie. (Paris: Charles-Estienne Hochereau, 1719; reprint ed. in Joseph Sauveur, Collected Writings on Musical Acoustics (Paris 1700-1713) ed. Rudolph Rasch, Utrecht: Diapason Press, 1984), 121-137.
Graphics: SAUNOU 01GF

[-121-] ACOUSTIQUE.

SUR UN NOUVEAU SYSTÉME DE MUSIQUE.

[Voyez les M. p. 299. in marg.] APrès que Monsieur Sauveur a laissé voir dans l'Histoire de 1700 * [* Page 131. in marg.] un échantillon de son Acoustique, ici il embrasse une plus grande étenduë, et propose un Systême de Musique tout nouveau, avec de nouveaux caracteres, et de nouvelles Regles, qui changeroient entierement la pratique ordinaire des Musiciens.

C'est une chose qui peut paroître étonnante, que de voir toute la Musique réduite en Tables de Nombres, et en Logarithmes, comme les Sinus ou les Tangentes et Secantes d'un Cercle. Quel rapport de ces Sons qui ne [-122-] cherchent qu'à flater l'oreille, avec ces Nombres qui ne sont que le triste fruit d'une longue et épineuse recherche de Mathematique?

Pour découvrir ce rapport, il faut établir pourquoi certaines choses plaisent ou déplaisent à l'Ame, et remonter jusqu'à la Metaphisique des Agrémens.

L'Ame par sa nature aime en même temps et les perceptions simples, parce qu'elles ne la fatiguent point, et les perceptions variées parce qu'elles lui épargnent l'ennui de l'uniformité. Si une perception peut être à la fois simple et variée, ne point fatiguer l'Ame, et lui fournir cependant de la diversité, elle satisfait tout ensemble les deux inclinations contraires. Toute varieté qui plaît à l'Ame est donc renfermée dans certaines bornes, il faut qu'elle soit en deça du point où elle deviendroit difficile à apercevoir, confuse, trop mêlée, trop compliquée, et cetera.

Des perceptions qui par elles mêmes ne plairoient point à l'Ame, peuvent avoir été si souvent unies soit necessairement, soit par hazard, avec celles qui lui plaisent, ou même elles peuvent lui en rappeller si naturellement et si vivement le souvenir, qu'elles font presque le même effet, et se rendent dignes d'être rangées dans le même ordre.

En fait de Sons, la perception la plus simple que l'ame puisse avoir, est celle de l'Unisson, puisque les Vibrations des deux Sons commencent et finissent toutes ensemble. Ce qu'il y a ensuite de plus simple, c'est l'Octave où le Son le plus aigu fait précisément deux Vibrations, pendant que le plus grave en fait une, et où par consequent autant que le Son grave fait de vibrations, autant de fois les vibrations des deux Sons se rencontrent, ce qui ne differe presque pas de l'Unisson, puisque du moins toutes les vibrations du Son grave ne commencent et ne finissent qu'avec des vibrations de l'aigu. Aussi l'Unisson et l'Octave passent-ils presque pour le même accord, et comme un Son porte naturellement à l'esprit l'idée d'un [-123-] autre Son égal, c'est-à-dire qu'il fait aisement imaginer l'Unisson, de même, pourvû qu'on ait l'oreille un peu exercée en cette matiere, un Son, quoiqu'on l'entende seul, fait aisement imaginer l'autre Son qui est à son Octave. Ce sont deux accords si simples que quand même l'oreille ne les entend pas actuellement, elle les supplee aux Sons qu'elle entend.

Qu'un Son fasse deux vibrations tandis qu'un autre plus aigu en fait trois, et qu'ainsi leurs vibrations se rencontrent toûjours à chaque seconde vibration du plus grave, et qu'enfin l'on conduise de suite ces rapports, ou ces rencontres de vibrations par les nombres, 3 et 4, 4 et 5, 5 et 6, et cetera il est clair que les rencontres de vibrations deviendront toûjours plus rares, et par consequent les accords, et les perceptions de l'ame moins simples, que d'un autre côté ces perceptions moins simples seront agreables par être plus variées, parce qu'en effet plus les vibrations de deux Sons se rencontrent rarement, plus il y a de diversité dans tous les mouvemens d'entre-deux, mais qu'enfin cette diversité deviendroit une confusion desagreable dans ses premiers degrez, et ensuite insupportable, qu'il faut donc qu'il y ait un certain terme où finisse l'agrément de la varieté, et, ce qui est la même chose, de la rareté des rencontres des vibrations, et que ce terme est formé de deux nombres plus grands que tous ceux qui font les accords agreables.

Cela revient à ce qui a été dit dans l'Histoire de 1700 * [* Page 139 in marg.], qu'apparemment les Consonances sont les accords, où les rencontres des vibrations se font assez frequemment, pour ne pas laisser sentir les battemens, qui à cause de la trop grande inégalité du Son déplaisent à l'oreille.

Le terme de l'agrément des accords n'a pas été si précisément posé par la nature, qu'on le puisse démontrer à toute rigueur. Peut-être n'y a-t-il point d'accords desagreables pour des oreilles peu exercées, et cette délicatesse qui nous fait porter des jugemens si severes ne paroît être qu'un mêlange de quelque chose de naturel avec [-124-] un long usage, une attention exacte, d'anciennes habitudes, et des préjugez arbitraires. Dans ce composé, ce qui n'est point naturel, peut souvent et assez facilement étouffer ce qui l'est, et de là vient l'extrême difference du goût des Nations sur la Musique. Cependant à consulter la nature autant qu'il est possible, on ne laisse pas de déterminer à peu près quelque point fixe. L'accord de 5 à 6 est le dernier qui soit agréable, celui de 6 à 7 ne l'est plus, les rencontres des vibrations y sont trop rares.

Ce n'est pas qu'il n'y ait des accords qui plaisent, quoique ces rencontres y soient encore plus rares, par exemple, ceux de 8 à 9, de 9 à 10. Mais il faut remarquer qu'ils ont une espece d'affinité avec d'autres accords qui plaisent par eux-mêmes. Car que l'on ait entendu plusieurs fois l'accord de 2 à 3 et celui de 3 à 4, on est porté naturellement à imaginer la difference qui est entre eux, elle s'unit et se lie avec eux dans nôtre esprit, et participe à leur agrément, et cette difference est precisément l'accord de 8 à 9. Il en va de même de 9 à 10, qui est la difference des deux accords agréables, 3 à 4, et 5 à 6.

Par une raison semblable, un accord qui de lui même ne plairoit point, plaira, s'il acheve l'Octave d'un autre accord agréable. Ce dernier accord entendu plusieurs fois avec plaisir, aura conduit l'ame à imaginer ce qui y manquoit pour aller jusqu'à l'Octave, et comme l'Octave lui plaît, l'accord qui en est le complément se sera lié à une idée agréable. Ainsi l'accord de 8 à 5 tire tout son agrément de ce qu'il remplit l'Octave de 5 à 4.

Il est visible que les differentes causes des agrémens leur donnent differens degrez, et que ceux qui ne sont qu'empruntez cedent à ceux qui sont naturels.

L'accord de 6 à 7 étant donc composé de trop grands nombres pour être agréable par lui-même, et n'aïant d'ailleurs nulle liaison naturelle avec aucun autre qui le soit, celui de 7 à 8 aïant aussi ces deux défauts, il se fait dans cet endroit de la suite naturelle des Nombres une espece de vuide, par rapport à l'agrément des accords, [-125-] car immédiatement après viennent 8 à 9, et 9 à 10, avec un agrément étranger. Ensuite il reparoît des vuides, interrompus de temps en temps par des nombres qui font des accords agréables, mais seulement du second ordre. Il n'y a que les nombres, 1, 2, 3, 4, 5, 6, qui marchent en fournissant toûjours sans interruption des accords agréables, et les plus agréables de tous. Les intervalles ou rapports géometriques des nombres, qui forment les accords, sont ce qu'on appelle absolument en Musique Intervalles.

Les premiers Musiciens qui conduisant leur voix par degrez depuis le ton le plus bas jusqu'au plus haut, ont fait ce que nous appellons aujourd'hui ut, re, mi, fa, sol, la, si, ut, ont formé cette suite de tons, non pas en s'étudiant et en s'assujettissant à passer toûjours par des degrez égaux, et à hausser également leur voix, mais en consultant leur oreille pour faire toûjours succeder des tons agréables les uns aux autres. De plus, ils ont eu naturellement égard à rendre agréables à leur oreille, autant qu'il étoit possible, les differens assemblages des tons, comme ut, mi; ut, fa; ut, sol; et cetera. Par là, ils sont tombez necessairement dans les accords formez par les nombres, 1, 2, 3, 4, 5, 6, aussi bien que dans plusieurs autres, qui en sont les suites.

Les intervalles de deux tons consecutifs, comme ut re; re, mi; mi, fa; et cetera que l'on appelle Secondes ont donc été faits tels qu'ils sont, non pour être égaux, mais pour être agréables, et pour rendre agréables les Intervalles plus grands qu'ils composent, comme les Tierces, les Quartes, les Quintes, et cetera qui sont ceux où l'on compare deux tons entre lesquels il y a un ton, deux tons, trois tons, et cetera. Lorsque quelques-uns de tous ces Intervalles sont égaux entre eux, ce n'est que par une espece de hazard. Cette division inégale, et les differens rapports de nombres qui en resultent, tombent sous les yeux même par la division d'un Monocorde, dont differentes parties rendent tous ces Sons.

[-126-] Dans la suite ut, re et cetera ut, qui fait l'Octave, il n'y a point de Seconde plus petite que ces deux, mi, fa; si, ut; leur rapport est de 15 à 16, et elles s'appellent Semitons majeurs. Toutes les autres Secondes sont des tons, mais de deux especes differentes, re, mi; sol, la; sont des Tons mineurs, dont le rapport est de 9 à 10, et les Secondes ut, re; fa, sol; la, si, sont des Tons majeurs, dont le rapport est de 8 à 9, et par consequent plus grand que celui de 9 à 10.

Les Secondes etant les plus petits intervalles de l'Octave, en peuvent être appellées les Elemens, et ces Elemens sont deux Semitons majeurs, deux Tons mineurs, et trois Tons majeurs. La differente situation des Elemens entre eux fait que des Intervales du même nom comme des Tierces, des Quartes, et cetera ne sont pas formées des mêmes Elemens, quoiqu'il y en entre toûjours le même nombre, et il y a telle Quarte, par exemple, qui est agréable, et telle autre qui ne l'est pas, et ainsi des autres accords, sur tout quand on passe d'une Octave dans une autre. Les intervalles ou accords que l'Oreille admet avec plaisir, sont appellez parfaits ou bons, et ceux du même nom qu'elle rejette, sont appellez faux ou imparfaits. Les uns et les autres sont compris dans la suite naturelle ut, re, et cetera ut, re et cetera.

Les Musiciens ont songé à rectifier les accords imparfaits, en leur transportant une partie de l'agrément des parfaits, c'est ce qu'ils appellent Temperer. Ils prennent un milieu entre les uns et les autres, mais comme l'Oreille à qui l'on a toûjours affaire est extrêmement délicate, il faut bien se donner de garde d'alterer trop les accords qui lui plaisent par eux-mêmes, et de plus parce qu'il y a plusieurs accords parfaits auxquels on doit le même égard, il faut faire en sorte qu'ils ne soient à peu près qu'également alterez.

Un Temperament produit necessairement une nouvelle division de l'Octave, ou, ce qui revient au même, de nouveaux Elemens. Par exemple, au lieu qu'elle avoit naturellement [-127-] pour Elemens le Semiton majeur, le Ton majeur et le mineur, on prendra un ton moyen formé du majeur et du mineur, et elle n'aura plus pour Elemens que le Semiton majeur et ce Ton moyen, ce qui rend égaux les cinq Intervalles qui sont des tons, et moins inégaux à ceux ci les Intervalles qui sont les Semitons. On peut aussi diviser chacun des cinq tons de l'Octave en Semitons, qui joints aux deux qu'elle avoit naturellement en font 12, et alors on partageroit toute l'Octave en 12 parties égales qui seroient des Semitons moyens. Il est aisé d'imaginer encore d'autres especes de Temperamens, la difficulté n'est que d'en rencontrer qui soient exempts d'inconveniens considerables, c'est-à-dire, qui n'alterent pas trop ou tous les accords parfaits, ou quelques-uns seulement. Toutes les differentes divisions que l'on peut faire de l'Octave, peuvent s'appeller Systême de Musique.

Il y a encore une autre raison que celle des Temperamens pour faire differens Systêmes. Le Semiton majeur est la plus petite partie qui entre dans la suite naturelle ut, re, et cetera mais il s'en faut bien que ce ne soit le plus petit intervalle où les voix et les Instrumens puissent aller. Ainsi quand on fera une division plus fine de l'Octave, et qu'il y entrera des intervalles moindres, et, pour ainsi dire, plus délicats, ce seront de nouveaux Systêmes. Par rapport à cette idée, on en a établi trois, le Systême Diatonique qui est la suite naturelle des tons, qui n'a point de plus petite partie que le Semiton majeur, et qui est propre pour le Plain-chant, le Chromatique où l'Octave est divisée en douze demi-tons, et l'Enharmonique, où ces demi-tons sont encore subdivisez. Il est clair que ces deux derniers doivent donner une Musique plus variée, et plus figurée que le premier.

Le Systême Chromatique et l'Enharmonique retombent souvent dans le Diatonique, et ont des parties ou des intervalles communs avec lui, parce qu'enfin les accords parfaits compris dans le Diatonique sont comme des points fixes auxquels il faut toûjours revenir, ou dont il n'est permis [-128-] de s'écarter que tres-peu. C'est là une loi generale et indispensable à laquelle se doivent soumettre tous les Systêmes, tous les Temperamens, en un mot toutes les divisions et toutes les combinaisons possibles de Musique.

Pour pouvoir comparer les differens Systêmes les uns aux autres, et juger de leurs avantages, ou desavantages reciproques, pour reconnoître avec sureté les erreurs des Sytêmes Temperez, et en avoir une mesure exacte, en un mot, pour rassembler en quelque sorte sous un seul coup d'oeil, et pour rapporter à des regles précises, et invariables, la varieté infinie dont tous les rapports qui composent la Theorie de la Musique sont susceptibles, il seroit à souhaiter que l'on eût un Systême general dans lequel tous les autres Systêmes imaginables pussent rouler, qui divisât l'Octave en petites parties qu'il fût impossible ou du moins inutile de la diviser davantage, et qui en même temps la divisât si juste, que l'Oreille n'eût rien à desirer sur les accords parfaits.

C'est un Systême de cette espece que Monsieur Sauveur a trouvé, et qu'il propose ici au Public. Il divise le ton moyen en 7 parties, dont il en donne 4 au Semiton majeur, et 3 au mineur, moyennant quoi l'Octave qui contient 5 tons moyens, et 2 Semitons majeurs, a 43 parties, qu'il appelle Merides. Chaque Meride se divise en 7 parties qui se nomment Eptamerides, et par consequent l'Octave contient 301 Eptamerides.

Une Eptameride est le rapport de 434 à 435, de sorte que quand il manque une Eptameride à un accord ou à un intervalle, c'est un son qui au lieu de faire 435 vibrations en un certain temps, n'en fait que 434, ou au contraire; or cette erreur est ordinairement insensible, même pour les Musiciens; mais enfin pour contenter ceux qui pousseroient la rigueur jusqu'au dernier excès, Monsieur Sauveur divise encore chaque Eptameride en dix parties, qu'il appelle Decamerides.

On sait donc au juste par son Systême l'étenduë des erreurs, et jusqu'à quel point on peut se les permettre. De [-129-] plus comme la division de l'Octave en 301 parties le rend fort ample, tous les autres Systêmes y tournent facilement, et l'on y découvre sans peine tous les rapports qui les composent, plus démêlez, plus dévelopez, et en quelque sorte, mis dans un plus grand jour. C'est ce que l'on verra par l'application de ce Systême à l'ancien Systême des Grecs, qui nous paroît aujourd'hui si obscur, et à celui des Turcs et des Persans, dont la Musique semble être d'une autre espece que la nôtre. Enfin dans les nombres que Monsieur Sauveur a choisis, il y a quelque chose d'heureux et de commode, qui ne manquera pas de se faire sentir par la pratique.

Si selon ce qui a été dit dans l'Histoire de 1700 on peut arriver à la détermination d'un Son fixe, ce sera encore une grande augmentation de beauté pour le Systême de Monsieur Sauveur. Tous les Sons possibles partiroient d'un point déterminé, et s'y rapporteroint; en tout cas, si le Son fixe manque, il faudra se contenter du ton de la Chapelle ou de l'Opera, qui n'est déterminé qu'à peu près.

Le Systême nouveau donne une extrême facilité de trouver tous les rapports qui composent les Systêmes particuliers sur lesquels les Instrumens de Musique ont été construits, car ils ont presque tous chacun le leur, et de comparer entre eux ces differens Systêmes, ce qui peut même conduire à imaginer de nouveaux Instrumens, et peut-être plus parfaits.

Comme il arrive souvent qu'une recherche, ou même une découverte, n'est, pour ainsi dire, que l'Episode d'une autre, Monsieur Sauveur en examinant la Theorie de certains Instrumens, qui vont par sauts, et passent irregulierement d'un ton à un autre, fut obligé, pour en rendre raison, de recourir à des experiences qui lui produisirent un Phenomene dont il fut d'abord extrêmement surpris. Car quel Philosophe auroit cru qu'un corps mis en mouvement de maniere que toutes ses parties y doivent être, en conserve cependant quelques-unes immobiles dans de certains intervalles, ou plûtôt en rend quelques-unes immobiles par [-130-] une certaine distribution qu'il semble faire entre-elles du mouvement qu'il a reçû?

Si une Corde d'Instrument est tenduë sur une Table, et qu'un Chevalet mobile qui coule sous la Corde soit arrêté sous quelqu'un de ses points, ensorte que quand on pincera par le milieu l'une des deux parties déterminées par la position du Chevalet, l'autre ne participe point du tout à l'ébranlement, il est certain et connu de tout le monde, que le ton de la partie pincée sera au ton de toute la corde, selon la proportion des longueurs de cette partie, et de la corde entiere. Si cette partie est 1/2, elle sera à l'Octave en enhaut de toute la Corde, si elle est 1/4, elle sera à la double Octave et cetera. Et si dans ce dernier cas, au lieu de pincer la partie qui est 1/4, on pinçoit l'autre qui est 3/4, il est encore indubitable que les longueurs de cette partie, et de la corde étant 3, et 4, leur accord seroit une Quarte. De même toutes les fois que le Chevalet divisera la corde en parties inégales, l'accord d'une partie ou de l'autre avec la Corde sera different.

Mais si le Chevalet n'empêche pas entierement la communication des vibrations des deux parties, si ce n'est qu'un obstacle leger, les deux parties quoiqu'inégales, rendent le même ton, et font le même accord avec la Corde entiere.

Il ne seroit pas surprenant qu'elles fussent toutes deux à l'Unisson de la Corde; on concevroit alors que l'obstacle leger ne les empêcheroit point de faire les mêmes vibrations que la corde entiere, et qu'il ne tiendroit lieu de rien. Mais il est effectivement obstacle, il détermine les parties de la corde à être effectivement parties, et à rendre un ton different de celui du tout, et la merveille est qu'à des parties inégales il leur laisse le même ton. Si, par exemple, l'obstacle est au quart de la corde, non seulement [-131-] ce quart étant pincé rend la double octave aiguë de la corde, mais l'autre partie qui est de trois quarts, et qui devroit donner la Quarte de la Corde entiere, ne donne que cette double Octave.

Sur ce Phenomene si bizarre, Monsieur Sauveur imagina d'abord que puisque ces 3/4 de corde rendoient le même ton que 1/4, ils doivent absolument ne pas faire des vibrations proportionnées à leur longueur, qu'il faloit qu'ils se partageassent en 3 parties égales chacune au premier quart, et qui fissent chacune leurs vibrations séparément. Alors c'étoit la même chose que si on eût pincé à la fois ces 3 parties égales, elles eussent été toutes à l'unisson entre elles, et avec le premier quart, c'est-à-dire à la double octave aiguë de la corde.

Cela supposé comme vrai, il y a donc necessairement entre les vibrations de deux parties égales un point immobile, qui ne suit ni l'une ni l'autre vibration, et par consequent 2 points immobiles dans les trois quarts de la corde, et 3 dans la corde entiere, en comptant pour un de ces points, celui où est posé l'obstacle leger, puisqu'il est effectivement entre deux vibrations. Monsieur Sauveur appella ces vibrations partiales et separées, Ondulations, leurs points immobiles, Noeuds, et le point du milieu de chaque vibration, où par consequent le mouvement est le plus grand, Ventre de l'ondulation. Ces expressions nouvelles, que la nouveauté du sujet rendoit necessaires, furent tirées de l'Astronomie, et principalement du mouvement de la Lune, et parurent propres à donner une image sensible du fait.

Lorsque Monsieur Sauveur apporta à l'Academie cette experience de deux tons égaux sur les deux parties inégales d'une corde, elle y fut reçûë auec tout le plaisir que font les premieres découvertes. Mais quelqu'un de la Compagnie se souvint que celle-là étoit déja dans un Ouvrage de Monsieur Wallis, où, à la verité, elle n'avoit pas été remarquée [-132-] comme elle meritoit, et aussi-tôt Monsieur Sauveur en abandonna sans peine tout l'honneur à l'égard du Public. Quant à la pensée des Noeuds, qui n'étoit encore qu'une espece de petit Systême, on trouva dans l'Assemblée le moïen d'éprouver si elle étoit vraye. On mit sur les points de la Corde, où se devroient faire, suivant la supposition, les noeuds et les ventres des ondulations, de tres-petits morceaux de papier à demi pliez, qui devoient tomber sans peine au moindre mouvement, on pinça la corde, et l'on vit avec beaucoup de contentement, et même d'admiration que les petits papiers des ventres tomberent aussi-tôt, et que ceux des noeuds demeurerent en place. Dans la suite pour les distinguer mieux, on fit les uns rouges, et on laissa les autres blancs. De sorte que les blancs et les rouges étoient disposez alternativement. On vit toûjours qu'il n'y avoit que ceux d'une couleur qui tombassent. Ces points qui d'espace en espace se maintiennent immobiles entre tous les autres points qui se meuvent, et dans un corps qui auroit dû prendre du mouvement selon toute sa longueur, seroient sans doute une grande merveille pour un Physicien qui n'y auroit pas été préparé, et amené par degrez.

Il paroît par là que l'obstacle leger placé, comme nous l'avons toûjours supposé jusqu'ici, sur 1/4 de la Corde, n'empêche pas à la verité la communication des vibrations des deux parties inégales, parce qu'il est leger, mais empêche une communication facile, parce qu'enfin il est obstacle. Il détermine d'abord les deux parties à faire leurs vibrations separément, et indépendamment l'une de l'autre, mais comme elles sont inégales, la plus petite fait ses vibrations beaucoup plus vîte, et parce qu'elle communique toûjours avec l'autre qui est plus lente, elle la hâte, et la force à suivre son mouvement. Or cette partie plus grande ne peut jamais à cause de sa longueur faire ses vibrations en même temps que la plus petite, et lui obéïr, à moins qu'elle ne se partage en parties toutes égales à cette petite, qui domine à cause de sa vitesse.

[-133-] Si au lieu de mettre l'obstacle sur 1/4 de la Corde, on le met sur 1/3, sur 1/5, 1/6, 1/10 et cetera il est clair que ce sera toûjours la même chose, et que le ton des 2/3, des 4/5, des 5/6 et cetera ne sera que celui de 1/3, de 1/5 et cetera. En un mot, l'obstacle leger étant posé sur une partie aliquote quelconque, c'est elle seule qui donne le ton à la partie plus grande qui est de l'autre côté.

Mais si l'obstacle n'est point posé sur une aliquote, par exemple, si la corde aïant 5 parties, il est sur les 2/5, ces 2/5 forçant d'abord les 3/5 qui sont de l'autre côté à prendre une vitesse égale à la leur, ces 3/5 ne la peuvent prendre qu'en s'accourcissant, et en s'égalant aux 2/5. Il reste donc 1/5 qui est la plus petite partie, et dont les vibrations sont les plus promptes. Cette petite partie qui n'a point été déterminée d'abord par la position de l'obstacle, qui ne se forme que dans la suite et par une consequence de la formation des autres, ne laisse pas de donner la loi à tout le reste, et le ton des 2/5 et celui des 3/5 de la corde n'est également que celui de 1/5. Si l'obstacle étoit mis sur 4/7 de la corde, il est évident que par la même raison elle se partageroit en 7 parties. Il en va de même de tous les autres cas semblables.

En appliquant cette hypothese à un obstacle mis sur les 3/20 d'une corde, il semble que ces 3/20 partageant d'abord la corde en parties égales à elles, il resteroit pour petite partie qui devroit emporter le reste, 2/20 c'est-à-dire 1/10, et qu'ainsi la corde se partageroit en dix parties. Mais il [-134-] faut remarquer que l'obstacle doit toûjours à l'endroit où il est former un noeud, parce qu'effectivement il arrête en partie les vibrations, et est le premier principe qui les change. Or dans la supposition presente si la corde se partageoit en 10, l'obstacle se trouveroit sur un ventre d'ondulation, et non sur un noeud, ce qui est impossible, et par consequent il faut que la corde se partage en 20.

Donc que l'obstacle soit mis sur une partie aliquote, ou sur une qui ne le soit pas, la corde se partage toûjours dans le nombre de parties marqué par le dénominateur de la fraction.

On suppose que cette fraction soit réduite à ses moindres termes, car si on prenoit, 9/12 de la corde, ce ne sont que 3/4, et la corde se partageroit en 4.

De là s'ensuit que quelque differentes que soient les parties où l'on met l'obstacle, le ton est le même toutes les fois que le dénominateur de la fraction est necessairement le même. Par exemple, la corde étant de 20 parties, il sera indifferent de mettre l'obstacle sur 1/20, 3/20, 7/22,

9/20, 11/20, 13/20, 17/20, 19/20, mais non pas sur 2/20, 4/20, 5/20, et cetera.

En faisant couler l'obstacle successivement sur les 20 divisions de la corde, il est aisé de voir quels seront les accords ou intervalles des sons des differentes parties de la Corde, comparez au son de la corde entiere. Soit pour exemple la petite Table suivante.

[Sauveur, Nouveau Systême, 134; text: Parties de la Corde divisée en 20. Intervalles des Sons de differentes parties à celui de la corde entiere. 1. Tierce Majeure de la 4 Octave aiguë. Car 1 par rapport à 16 donne la 4 Octave aiguë, et 16/20 ou 4/5 est la Tierce majeure.] [SAUNOU 01GF]

[-135-] [Sauveur, Nouveau Systême, 135; text: 2. Tierce majeure de la 3 Octave aiguë. Car 2/20 est 1/10. Or 1 par rapport à 8 est la 3 Octave aiguë, 8/10 ou 4/5 est la Tierce majeure. Même intervalle que 1. Tierce majeure de la 2 Octave aiguë. Car 4/20 est 1/5. Or 1 par rapport à 4 est la 2 Octave aiguë, et 4/5 est la Tierce majeure. 5, Car 5/20 est 1/4. Seconde Octave aiguë. 6, Même intervalle que 2. Car 6/20 est 3/10 et 3/10 donne le même inrervalle que 1/10. 7, 8, Car 8/20 est 2/5. 9, 10, Même intervalle que 1. Octave aiguë.] [SAUNOU 01GF]

Les autres divisions jusqu'à 20 sont les mêmes que les précedentes, car c'est la même chose de mettre l'obstacle sur 11 que sur 9, sur 12 que sur 8 et cetera.

Il est visible que le mouvement de l'obstacle leger, toûjours promené de l'une de ces parties à l'autre, produiroit une suite irreguliere de tons, tantôt les mêmes, tantôt tres-differens, et qu'un Instrument de Musique, en qui il se trouveroit quelque chose de pareil, feroit ce qu'on appelle des Sauts, et passeroit d'un ton à l'autre, ou reviendroit au même, sans aucune proportion sensible, sans degrez, et contre toutes les regles connuës. Aussi la Trompette Marine qui n'est qu'un Monocorde où le doit tient lieu de l'obstacle leger, a-t-elle de ces bizarreries, qui avoient été jusqu'à present inexplicables, et qui deviennent fort claires par le Systême des Ondulations. La [-136-] Trompette ordinaire, le Cor de chasse, les grands Instrumens à vent, sont pareillement sujets à ces irregularitez.

Ces sortes de Sons, ainsi qu'on le peut voir par la Table précedente, font toûjours un certain nombre déterminé de vibrations, tandis que celui de la corde entiere en fait une, en quoi ils different de la Tierce, par exemple, de la Quinte et cetera où le rapport des vibrations est 4 à 5, ou 5 à 6, ou 2 à 3. Monsieur Sauveur les appelle Harmoniques, et le son de la Corde entiere qui est toûjours 1, Son fondamental.

Les sons harmoniques sont d'autant plus sensibles à l'Oreille, qu'ils sont formez par une plus grande partie de la Corde Ainsi le son de la moitié ou l'Octave aiguë, qui est le second son harmonique, est plus sensible que le son du tiers, ou troisiéme son harmonique, et ainsi de suite. Monsieur Sauveur a jugé par experience qu'une corde de 3 piés ne peut guere faire entendre que jusqu'à son trente-deuxiéme son harmonique.

Cette matiere pourroit être poussée beaucoup plus loin, elle est aussi féconde que nouvelle, et même à la faveur de toute cette Theorie, Monsieur Sauveur entrevoit déja des Machines d'Acoustique qui seroient aussi excellentes que celles d'Optique. Que ne devroit on point aux speculations des Philosophes, si elles venoient à donner d'aussi grands secours au Sens de l'Oüie, que ceux qu'elles ont donnés à la Vûë?

En attendant, Monsieur Sauveur offre encore un avantage à la Musique, ou plûtôt aux Musiciens, car il ne tiendra qu'à eux d'en profiter; ce sont de nouveaux noms plus commodes qu'il impose aux Sons, et de nouveaux caracteres plus simples et plus faciles dont il se sert pour les exprimer sur le papier. Tout cela est accommodé si son Systême general des Merides. Si les Langues avoient été faites par des Philosophes, il seroit sans doute beaucoup plus aisé de les apprendre. Ils auroient établi par tout une uniformité et des rapports, qui auroient conduit l'esprit sûrement, et infailliblement, et la maniere dont un [-137-] mot auroit été formé, auroit emporté sa signification en vertu de certains principes qui auroient d'abord été posez. Les Peuples grossiers, premiers Auteurs des Langues, sont naturellement tombez dans cette idée, à l'égard de certaines terminaisons, ou desinences, qui ont toutes quelque proprieté et quelque vertu commune entre elles, mais cet avantage, ignoré de ceux qui l'avoient entre les mains n'a pas été poussé assez loin. Monsieur Sauveur a fait pour les Sons une espece de langue philosophique, toute composée de monosillabes, où la signification des mots dépend du nombre, de la nature, et de l'arrangement des lettres, et où par consequent chaque mot porte son sens avec soi. Les Equivoques de l'ancienne langue, dans laquelle les Tierces et les Quartes, par exemple, signifient differentes choses, sont entierement ôtées, chaque Son possible a son nom particulier, et cette multitude infinie de noms ne rend pas la langue plus difficile. On apprend par le nom seul d'un son tout ce qui lui appartient, et jusqu'au nombre d'Eptamerides qui entrent dans sa formation, et même jusqu'aux Decamerides, s'il y en entre aussi.

Les Caracteres dont on se servira pour écrire la Musique ont été choisis et disposez avec le même art. Il reste que les Musiciens puissent se resoudre à une pratique beaucoup plus aisée; ce n'est pas une petite difficulté. Cependant l'établissement general du SI, qui n'a guere que 30 ans, et qui facilitoit beaucoup l'intonation de la Gamme, peut donner quelque esperance.


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