TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Parran, Antoine
Title: Traité de la musique théorique et pratique
Source: Traité de la musique théorique et pratique, contenant les préceptes de la composition (Paris: Ballard, 1639; reprint ed., Genève: Minkoff, 1972).
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[-f.air-] TRAITÉ DE LA MVSIQVE THEORIQVE ET PRATIQVE,
Contenant les preceptes de la Composition.
PAR LE REUEREND PERE ANTOINE PARRAN,
de la Compagnie de Iesvs.
A PARIS,
Par Pierre Ballard, Imprimeur du Roy pour la Musique, demeurant ruë Sainct Iean de Beauuais, à l'enseigne du Mont Parnasse.
1639.
Auec Priuilege de sa Majesté.
[-f.aijr-] AV ROY.
SIRE,
Il ne faut plus que la Musique cherche ses titres d'honneur dans les pensées de ces Philosophes, ou Poëtes anciens, depuis qu'il a pleu à vostre Majesté, qui n'aime que les bonnes choses, luy donner vn rang si honorable entre les plaisirs les plus raisonnables d'vne vie Royale, et que vostre pieté l'a renduë non seulement innocente aupres d'elle, mais encore presque toute Chrestienne, par le cours que son estime donne aux pieces faites à l'honneur de Dieu. Ie sçay bien qu'vn Pythagore a voulu trouuer entre les Cieux mesmes les Tons et les Semitons necessaires pour faire le Diapason, la plus parfaite des consonances, et que les Poëtes ont voulu suiure sa pensée lors qu'ils ont dit, que leur Apollon, qui n'est autre que le Soleil, qui tient le milieu dans les Cieux entre les Planettes, presidoit au milieu des Muses à la Musique des Dieux. Mais si en cela leur Philosophie a proposé, ou leur Poësie signifie [-f.aijv-] quelque chose de vray, ils ont sans doute dit plus qu'ils ne sçauoyent. C'est pourquoy je ne m'arreste pas volontiers aux recherches incertaines de leur esprit sur cette Musique celeste. Ie ne parle icy que de celle que les hommes font icy bas, dont j'enseigne la speculatiue et la pratique par vn Traité que j'ose bien dédier à vostre Majesté, que nous regardons particulierement depuis ce Dieudonné qu'elle a, comme la bien-aimée du Ciel, parce que je me promets que son coeur plus Royal que jamais, ne dédaignera pas maintenant ny le discours ny les pieces de nostre Musique, qu'elle desiroit autrefois entendre lors que j'accompagnois aupres d'elle vn de nos Peres, où l'honneur que j'auois de la voir souuent, et d'estre quelque fois veu d'elle, me faisant cognoistre de plus pres ses sainctes inclinations, a augmenté l'affection qu'a tousiours eu de luy rendre ses petits seruices, et offrir à Dieu ses voeux et ses sacrifices pour elle,
de Vostre Majesté
Le tres-humble, tres-obeïssant, et tres-fidele sujet et seruiteur,
Antoine Parran, de la Compagnie de Iesvs.
[-f.aiijr-] AV LECTEVR.
MOn cher Lecteur, si vous auez agreable les preceptes du Contrepoint Musical qui n'ont point encore esté veus, ny donnez au public par la main d'aucun que je sçache, qui est la cause pour laquelle j'ay entrepris cét ouurage; lisez les attentiuement jusques au bout, et taschez de bien entendre l'intention de l'Autheur, qui est d'enseigner la Composition. Tout le Liure est diuisé en quatre parties: La premiere contient les Principes de cet Art: La seconde explique les Interualles et Consonances: La troisiesme donne les Reigles et la pratique du Contrepoint. La quatriesme fait voir les effets de la Musique dans l'estenduë des douze Modes. Vous trouuerez à la fin quelques fautes qui se sont rencontrées en l'impression, lesquelles je voudrois bien que vous leussiez, et corrige assiez auant que de lire le Traité, du moins les principales.
Permission du Reuerend Pere Prouincial.
IE Estienne Binet Prouincial de la Compagnie de Iesvs en la Prouince de France, suiuant le Priuilege qui nous a esté octroyé par les Roys Tres-Chrestiens, Henry III. le 10. May 1585. Henry IV. le 20. Decembre 1606. et Loüys XIII. à present regnant, le 14. Feurier 1611. par lequel il est defendu à tous Imprimeurs et Libraires d'imprimer ou faire imprimer aucun Liure de ceux qui sont composez par quelqu'vn de nostre dite Compagnie, sans permission des Superieurs d'icelle. Ie permets à Pierre Ballard Imprimeur ordinaire du Roy pour la Musique, de pouuoir imprimer, vendre, et debiter vn Liure ayant pour titre, Traité de la Musique Theorique, et Pratique, composé par le Pere Antoine Parran de la mesme Compagnie, approuué par deux excellents Maistres de Paris. Fait à Molins ce 23. de Nouembre 1638.
Estienne Binet.
[-f.aiijv-] TABLE DES MATIERES ET CHAPITRES contenvs en ce Livre.
PREMIERE PARTIE contenant quelques principes generaux.
Chapitre I.
DE la vertu et excellence de la musique. page 1
Chapitre II. De sa nature. 3
Chapitre III. Des inuenteurs d'icelle. 4
Chapitre IV. Des proportions en general. 6
Chapitre V. Des Sons, Clefs, Notes, et de leur valeur. 8
Reigles de la ligature des notes. 10
Chapitre VI. Methode facile pour apprendre la Musique. 12
Les muances, ou eschelle. 13
Seconde partie des Interualles et Consonances.
Chapitre I. Du Ton, et Semiton auec les exemples. 15
Chapitre II. De l'Vnisson, et Interualles. 19
Chapitre III. Le grand et parfait Systeme des anciens composé de cinq Tetrachordes. 21
Chapitre IV. Des Consonances en general, leur diuison, et Composition. 24
Corollaire de l'Harmonie et melodie. 28.
Chapitre V. De la bonté des Consonances auec leurs proportions. 28
Denombrement des Consonances et Dissonances auec leurs nombres et proportions. 31
Leur Composition auec la preuue. 32
Chapitre VI. La diuision du Monochorde. 35
Chapitre VII. Des trois especes de Musique, Diatonique, Chromatique, et Enharmonique. 37
Exemples de la Chromatique. 40 et 41
Chapitre VIII. De la Musique ancienne parfaite auec les exemples. 43
Chapitre IX. De l'augmentation et diminution des figures. 45
Exemple de sesquialtere, et sesquitierce. 46
Chapitre X. De la perfection et imperfection des notes. 46
Chapitre XI. Des Points Musicaux. 48
Exemple de l'augmentation et diminution des notes par proportion de nombres. 49
Troisiesme partie de la maniere de Composer.
Chapitre I. De la Composition en general. 50
De la Composition des Consonances en [-f.aiiijr-] faueur de ceux qui la veulent apprendre. 51
Des Tierces majeures et mineures. 52
Exemple de ce que dessus à deux. 54
Des Sextes majeures et mineures. 55
Exemple de ce que dessus. 56
De la Quinte, et de sa suitte. 58
De l'Vnisson à la Quinte. là mesmes.
De l'Octaue à la Quinte. là mesmes.
De l'Vnisson apres la Quinte. là mesmes.
Exemple de la Quinte, et de sa suitte, et cetera à deux. 59
Exemples et quelques autres effets tant licites qu'illicites. 62
De la Quarte. 64
Exemple du progrés de la Neufiesme, et Septiesme. 65
Pratique de la Composition à deux en diuerses façons. 65
Autre sujet diuersement couché. 66
Autre sujet à deux, à trois, et à quatre. 67 69 70 et 71
Chapitre II. Reigles de la Composition pour ceux qui ne sçauent pas la pratique de la Musique. 72
Chapitre III. Pratique de la Composition par nombres Arithmetiques. 74
Chapitre IV. De la Composition par nombres Harmoniques. 75
Sujets par nombres Arithmetiques respondants aux Harmoniques. 76. et 77.
Table de la Composition par nombres Harmoniques dans le nombre de six. 78
Table des accords synonymes. 78
Chapitre V. Pratique de la Composition pour ceux qui y sont desja aduancez. 79
Reigles du Contrepoint. 80
Chapitre VI. Du Contrepoint simple, et figuré. 82
Exemple du Contrepoint simple. 83
Reigles du Contrepoint pressé. 86
Exemple de la Syncope et du Point. 89
Addition de la Quarte. 90
Exemple de la Quarte diuersement pratiquée par le sieur du Caurroy. 90
Exemple du Contrepoint figuré à deux, à trois, et à quatre. 93
Chapitre VII. Des bons et mauuais effets en la Composition, et premierement des Fugues. 95
Exemples de quelques bons et mauuais effets en la Composition. 97
Suit vne piece assez bien obseruée à Quatre. 103
Exemple de la Fugue simple à quatre. 106
Exemple de la Fugue double à quatre. 108
Exemple de la Contrefugue à quatre. 110
Qvatriesme partie. des effets de la Musique.
Chapitre I. Des douze Modes, ou Tons de l'Eglise. 112
Chapitre II. Des douze Modes anciens. 114
Exemple des especes de la Septiesme, et de la Sixiesme, et cetera. 116
[-f.aiiijv-] Chapitre III. L'ordre et denombrement des douze Modes des modernes. 119
Exemples des Authentiques naturels, et transposez. 122
Des Plagaux naturels, et des Transposez. 123
Chapitre IV. Des effets admirables des Modes. 124
Chapitre V. De la mediation et terminaison des douze Modes. 125
Cadences des douze Modes. 129
Chapitre V. Conclusion de l'Oeuure determinant si on chantera la Musique au Ciel. 136
La Musique au Roy. Ie suis la Reyne des Concerts. 139
Sur la naissance de Monseigneur le Dauphin. En fin nos voeux sont exaucez. 140
La figure de l'Helicon de Ptolomée auec son explication. 141
La figure du Monochorde auec sa diuision. 143
Fin.
[-1-] PREMIERE PARTIE DV TRAITE DE LA MVSIQVE Theoriqve et Pratiqve, qui sont les Principes generaux.
CHAPITRE I.
De la vertu et excellence de la Musique.
LA Musique a esté de tout temps si agreable, et bien venuë chez l'Antiquité, qu'elle s'en est seruie presque dans toutes ses actions les plus signalées; comme estoyent ses sacrifices, banquets, guerres, nopces, et funerailles: dont s'ensuiuoit que comme elle honoroit grandement ceux qui en auoyent quelque cognoissance; aussi refusoit elle cét honneur à ceux qui s'en rendoyent indignes par leur ignorance. C'est ce que nous tesmoignent les bons Autheurs, comme vn Martianus Capella, lequel dit que les Romains alloyent à la guerre auec des cornets, trompettes, et clairons. Qui ne sçait que c'estoit la coustume ancienne parmi les grands personnages de joüer des fleutes, et instruments à chordes dans leurs festins de rejoüissance? de sorte que Themistocle, quoy que braue Capitaine, ayant refusé en vn banquet de joüer de la Harpe (de laquelle il n'entendoit pas le jeu) ternit le lustre de la gloire qu'il auoit acquise dans les hazards de la guerre. Cecy ne fait pas moins à sa loüange, qu'en plusieurs villes de Grece on chantoit les loix du païs sur la Lyre, pour inciter vn chacun à les mieux garder. Vn certain Theophile joüeur de Harpe disoit fort à propos, qu'elle [-2-] estoit vn grand thresor aux gens doctes, et bien versez en la cognoissance des nombres, et proportions Harmoniques. Dauantage elle reforme les moeurs, rompt la cholere, et appaise les discordes. Ce qui a fait dire au Poëte Eubule, au rapport d'Athenée, qu'elle a quelque force secrette pour le maniement des esprits, dans lesquels elle opere toujours quelque nouueau changement. Ie sçay bien que les Sybarites l'exilerent, et exterminerent de leur Republique, mais c'estoit vn peuple dénaturé et brutal, qui ne sçauoit que c'estoit de ciuilité: au contraire, tous les mieux sensez et ciuilisez auec Aristote en ses Politiques, [Libro 8. Politicorum capitulo 6. et 7. in marg.] et auec Platon en sa Republique, l'ont retenuë et recommandée comme chose fort propre pour les bonnes moeurs, et ne luy ont preferé aucune autre science.
Si je voulois faire comme les Philosophes qui prennent l'excellence des choses par leur origine, je confirmerois ma premiere proposition touchant la dignité de la Musique, par ses quatre causes, et dirois que Dieu en est l'Autheur, qui a fait toutes choses, In pondere, numero, et mensura, en poids, nombre et mesure. Ie dirois que sa fin c'est la gloire de Dieu, l'occupation des Saincts, l'entretien des Anges, et la joye innocente du monde. Mais helas! cette fin a bien degeneré de l'intention de son Autheur, puis que les happeaux de Satan ne l'employent qu'à la perte des ames, pipants l'oreille par leurs pernicieuses chansons, pour engluer dans quelque volupté les plus masles courages. Ie conuierois volontiers ces gens là au cruel spectacle que montra Pherecrates chez Plutarque en son Traité de Musique, pour leur faire voir le tort qu'ils font à son innocence; il representa la Musique en habit de femme, ayant tout le corps deschiré de coups de verges, et la Iustice qui luy demandoit la cause de ce mauuais estat où elle se trouuoit. A quoy la Musique respondoit, que cét estat tesmoignoit l'abus qui s'estoit glissé dans l'exercice de son Art.
Ie laisse la cause materielle, qui est le sujet des pieces harmonieuses, c'est à dire la verbo correspondant à la solfo, comme disent nos Italiens, dont la beauté croist à mesure que ce mariage est plus parfait: Mais je ne puis passer sous silence la cause formelle d'où dépend particulierement la cognoissance de ce Traité; c'est pourquoy je la reserue au chapitre suiuant.
[-3-] CHAPITRE II.
De la nature de la Musique.
COmbien qu'Aristote apres Platon son maistre, au rapport de Plutarque, dise que l'harmonie est celeste, et a la nature belle et plus qu'humaine, si est-ce que je ne desespere pas d'en pouuoir dire quelque chose. Voyons donc en quoy consiste sa nature, et ce que c'est que la Musique.
Sainct Augustin estime que c'est la science de bien chanter: bien, c'est à dire, artistement: bien honnestement, et non pour exciter à mal. Boëce la descrit vn peu plus amplement en cette sorte. [Libro 5. Musica capitulo 1. in marg.] La Musique Harmonique est vne faculté qui considere auec le sens et la raison, les differences des sons graues et aigus. Il a dit auec raison, d'autant qu'il ne faut attribuer aux sens tout le jugement, ains partie à la raison, partie au sens.
Ie n'approuue pas moins la definition de celuy qui a dit qu'elle est vne disposition de sons proportionnez, separez par interualles, laissant au sens et à la raison vne vraye preuue de sa consonance. Et puis que les noms suiuent d'ordinaire la nature des choses, il est à propos de sçauoir l'etymologie de son nom, que quelques vns disent venir de Moys qui signifie de l'eau en langue Egyptienne, pource qu'elle a esté inuentée pres des eaux, comme qui diroit Moysicos, c'est à dire science, ou son aquatique. Secondement de Musa, que l'on dit estre vn instrument tres excellent en Musique. Bref à l'opinion de Sainct Isidore et autres, elle prend son etymologie des Muses, [Sanctus Isidorus libro 2. origionum capitulo 16. in marg.] dont le nombre est égal aux instruments qui forment la voix,
Instrumenta nouem, sunt guttur, lingua, palatum,
Quattuor, et dentes, et duo labra simul.
Mais dautant qu'il ne suffit pas d'en auoir vne cognoissance generale, qui d'ordinaire est mere de la confusion, il faut vn peu particulariser ces definitions communes, pour sçauoir distinctement ce qui touche les especes de cette nature generique, ce que nous cognoistrons par la diuision.
Aristote, Plutarque, et Vitruue l'ont diuisée en celle qu'ils appellent Mondaine, parce qu'elle consiste en l'harmonie des parties generales du monde, des Cieux, et des Elements. En humaine, qui n'est [-4-] autre que la composition et symmetrie de l'homme. En Organique, qui se fait par la voix, et par Instruments musicaux. Sainct Isidore au lieu sus allegué la diuise en Harmonique, Rythmique, et Metrique. L'harmonique a pour objet le graue et l'aigu; c'est à dire les sons hauts et bas. La Rythmique considere la conjonction de la parole, et de la note: c'est à dire, si le concours de l'vn auec l'autre est tel qu'il conuient, nommément en la terminaison des Tons et des paroles. Car comme ses Tons ne sont assez intelligibles d'eux mesmes, elle est contrainte de les allier à quelques paroles qui fassent entendre à l'esprit ce qu'ils expriment aux oreilles. La Metrique cognoit probablement la mesure de diuers Metres, auec obseruation de certains pieds et genres de vers: comme font l'Heroïque, Iambique, et Elegiaque. Quelques autres la diuisent en Musique simple et mesurée: en celle-là se trouue egalité de figures, comme l'on void au Plein-chant et Contrepoint simple: en celle cy il y a inegalité de figures, et se nomme vulgairement Musique figurée, telle qu'on chante ordinairement en air, en pleine mesure, par fugues, ou autrement. Vous auez aussi la Musique Diatonique, Chromatique, et Enharmonique, qui sont ses trois principales especes, desquelles il sera parlé en son lieu. Il y en a qui mettent encores cette diuision en naturelle, artificielle, instrumentale, vulgaire, reiglée, humaine, mondaine, celeste et Angelique. Auant que d'entrer plus outre en matiere, et descendre au particulier, je diray quelque chose pour le contentement du Lecteur des Inuenteurs de la Musique, et declareray qui est celuy qui en a receu de Dieu la premiere cognoissance.
CHAPITRE III.
Des Inuenteurs de la Musique.
POurce qui est de sa premiere inuention, les Pythagoriciens ignorans son premier inuenteur, l'ont estimée celeste, et aujourdhuy à grande peine sçait-on à qui Dieu a communiqué cette premiere cognoissance: car de recourir à vn Mercure, et à sa Lyre de quatre ou sept chordes, c'est vne fable qui ne doit estre mise en ligne de compte. Quelques vns l'ont attribuée à Orphée, quelques autres à Amphion, et à certains Timothée, Terpandre, et à plusieurs autres: mais ces [-5-] opinions sont aussi fabuleuses que la premiere. L'on dit bien que Pythagore s'estant rencontré dans la boutique d'vn Mareschal, et y ayant ouy diuers coups de marteaux, distingua diuers sons, et proportions, dont il composa par apres diuerses Consonances: en cela il y a quelque probabilité. Vne chose est bien asseurée, que les premiers qui en ont traité ont esté Democrite, Heraclite Pontique, Timothée le Milesien, Architas Tarentin, Platon, Aristote, Theophraste, Aristoxene, et Ptolomée, desquels elle a tiré la meilleure partie de sa perfection. Mais disons auec asseurance et verité, que le premier inuenteur de cét Art liberal apres Adam (en qui Dieu mit la cognoissance de tous les Arts) a esté Iubal, comme il est couché au quatriesme de la Genese, où il est appellé le pere de ceux qui chantoyent et joüoyent de la Harpe et de l'Orgue, qui ne signifie autre chose selon l'interpretation de Iosephe, et de Comestor, sinon qu'il s'addonna à la Musique, et inuenta le Psalterion et la Harpe. Que si vous dites que le premier a esté Adam, je respondrois volontiers qu'il ne l'ignoroit pas, mais qu'il ne l'exerça pas en l'estat de poenitence, Musica in luctu importuna narratio: neantmoins ses enfans heritiers de sa cognoissance la mirent en pratique apres quelques années, dont le premier fut nostre Iubal qui leua l'estendart; et si la douceur de la Musique me le permet, traina apres soy tous ses descendants jusques au deluge, contre lequel elle fut conseruée, comme les autres sciences sur deux tables, l'vne de brique, et l'autre de marbre, dont la derniere se voyoit encores en la Syrie du temps du mesme Iosephe.
La façon de la trouuer a esté par les proportions Geometriques et Arithmetiques, sçauoir est par la conjonction de diuers nombres, et par les diuerses sections des chordes diuersement estenduës, conferant les parties les vnes auec les autres.
Ceux qui en ont pertinemment traité apres ces anciens, ont esté Ibinus, les Saincts Seuerin, Basile, Hilaire, Augustin, Ambroise, Gelase, et autres. Sainct Gregoire toutefois auec Sainct Leon a inuenté le Plein-chant, lequel il a diuisé en deux tomes, à sçauoir, en l'Antiphonaire et Graduel, qu'on appelle vulgairement le Gregorien: on louë fort Franchin Gafore, et Iacques le Febure, comme deux excellents Maistres. Orlande est assez cognu d'vn chacun, comme aussi Zarlin, Claudin le Ieune, et du Caurroy, leurs Oeuures tesmoignent assez quels ils estoyent.
[-6-] Quant à ceux qui gouuernent aujourdhuy la Musique, tant aupres du Roy, qu'es premieres Eglises de nostre France, ils font assez voir tous les jours dans l'exercice de leur charge, combien est excellent et releué leur sçauoir, et leur merite. I'auois quasi mis en oubly Salinas, Keplerus, et vn certain Salomon de Caux, lesquels, pour dire vray, entendoient tres-bien la Theorie. On dit qu'vn certain Charles Gesualdus a emporté par dessus tous, lequel estant vn Prince Venusin, s'est rendu le Prince des Musiciens. Vn des plus recens et excellens Theoriciens c'est le Pere Mersenne, lequel va profondant les matieres jusques à leur source. Comme aussi le Sieur de Cousu, qui a tres bien rencontré en son Systeme Royal.
CHAPITRE IIII.
Des proportions en general.
LE diuin Platon faisoit tant de cas des proportions Musicales et Harmoniques, qu'il asseuroit que nostre ame en est totalement composée. C'est pourquoy je desire d'en donner icy quelque cognoissance, afin qu'on entende mieux ce que je diray cy apres.
Ie sçay bien qu'Euclide au liure cinquiesme des Elements, dit que proportion est vne similitude de raisons, et que raison est vne habitude de deux grandeurs de mesme genre de l'vne à l'autre selon la quantité. Mais je ne lairray pourtant d'vser de l'vn et de l'autre mot indifferemment pour signifier vne mesme chose, et principalement du mot de proportion, mesmes entre deux parties qui font accord, puis qu'il est plus commun et intelligible que n'est pas le mot de raison.
Or il faut sçauoir que toute quantité comparée à vne autre, luy est egale ou inegale: que si le grand nombre est comparé au petit, comme 4 à 2. on les nommera grande inegalité, si le petit au grand, comme 3 à 6, ce sera alors vne petite inegalité.
Notez donc qu'il y a cinq sortes de proportions, qui font principalement à mon propos: à sçauoir, multiple, surparticuliere, surpartiente, multiple surparticuliere, et multiple surpartiente.
Multiple est, quand le grand nombre contient le petit plusieurs fois: s'il le contient deux fois, la raison sera double, qui est le Diapason, de 4 à 2. ou de 8 à 4: s'il le contient trois fois, la raison sera triple, [-7-] comme de 9 à 3, de 6 à 2, de 3 à 1, c'est la Consonance que nous appellons Diapasondiapente, ou la Douziesme: ainsi est-il de la quadruple, quintuple, sextuple.
La raison suparticuliere se fait quand le plus grand nombre contient le moindre vne fois, et vne partie d'iceluy, comme la moitié ou la troisiesme partie, et cetera si la moitié, c'est sesquialtere, ou autrement le Diapente, comme de 3 à 2: si la troisiesme partie, c'est sesquitierce, ou Diatessaron, comme de 4 à 3: si la quatriesme partie, c'est sesquiquatriesme: c'est à dire le Diton, ou Tierce majeure, comme de 5 à 4.
La raison surpartiente est, quand le grand nombre contient le petit vne fois, et quelques parties d'iceluy: s'il en contient deux, elle se nomme superbipartiente: si trois, supertripartiante; et alors ce sont les proportions qu'on appelle supertripartiantes les troisiesmes, quatriesmes, cinquiesmes, et cetera comme de 5 à 3, et de 8 à 5, qui sont les Exachordes majeur et mineur.
La multiple surparticuliere est, quand le grand nombre contient en soy le petit deux ou trois fois, ou dauantage, et vne partie d'iceluy, comme est 5 à 2, c'est nostre Dixiesme majeure.
Bref la multiple surpartiente s'engendre quand le grand nombre contient le petit plus d'vne fois, et plus que d'vne partie d'iceluy: par exemple 8 à 3, qui est le Diapasondiatessaron, autrement l'Vnziesme.
Mais vous me direz, à quel propos tout cecy? vous le verrez quand nous viendrons à la pratique, je me contente pour maintenant de dire, que de ces cinq sortes de proportions resultent toutes les interualles, Consonances, accords, et harmonies, desquelles nous parlerons cy apres.
Auant que finir ce chapitre je desire que vous sçachiez la difference qui est entre la proportion Geometrique, Arithmetique, et Harmonique. La Geometrique est celle en laquelle les parties s'entre rapportent en egale proportion, et non en egale difference: comme l'on peut voir en 2. 4. 8. car les raisons de 4 à 2, et de 4 à 8 sont egales, à sçauoir doubles, mais non les differences.
La proportion Arithmetique est celle en laquelle toutes les parties suiuantes sont tellement ordonnées, que les differences de l'vne à l'autre sont egales, mais elles n'ont egale proportion: comme vous voyez en 1. 2. 3. 4. et cetera car selon l'ordre elles ne sont differentes entre [-8-] elles que de l'vnité: mais la proportion est inegale, pource que 2 à 1. est double: c'est le Diapason: et 3 à 2. est en proportion d'autant et demy, d'où s'engendre le Diapente.
La proportion Harmonique ne contient, ny egales raisons, ny egales differences: par exemple 3. 4 6. voyez que 6. surmonte 4. de sa troisiesme partie, qui sont 2. et 4. surmonte 3. de sa quatriesme partie, qui est, 1. et 6. surmonte 3. de sa moitié, qui est 3. et par ainsi il n'y a, ny egalité de differences, ny egalité de proportions, veu que 6. est en double proportion à 3. et cetera.
Voila le propre objet de la Musique: mais elle ne s'ocuppe pas seulement en la contemplation des raisons, Proportions, et Nombres harmonieux: ains aussi des Sons, Consonances, Harmonies, Genres, differences, Tons, Semitons, Interualles, Diastemes, Systemes, Muances, Modulations, et autres: de toutes lesquelles choses nous auons à parler briefuement.
CHAPITRE V.
Du Son, Clefs, Notes, et de leur valeur.
CE n'est pas icy ou je me veux arrester, puis que ces choses sont assez communes. Ce sera toutesfois en faueur de ceux qui veulent apprendre la Musique que j'en diray vn mot en passant. Il est clair et manifeste, que ce qu'est l'vnité aux Arithmeticiens, le mesme est le son aux Musiciens: car le son est le principe de la composition, le fondement du Ton, et de la Consonance, comme vous diriés, vt, re, mi. C'est pourquoy l'on dit que l'objét de la Musique c'est le son nombreux, ou le nombre sonoreux: ou bien comme dit Auicenne (qui est tout le mesme) le Ton, et le Temps. Voicy la definition d'Aristote. Le son est vne fraction d'air par l'impetuosité de la chose qui frape à la chose frapée. Afin que vous sçachiez comme il se forme: notez que le son est engendré d'vn battement d'air auec violence soit par la voix, ou auec instruments, comme le Luth, et Orgues: d'où s'ensuit que la cause du son c'est le mouuement. Il se fait en figure ronde s'augmentant peu à peu en cercles, comme ceux que nous voyons se former en l'eau par vn jét de pierre, et paruenir en fin à l'oreille, où il se fait oüir diuersement, ores haut, si le coup est [-9-] violent, et leger; ores bas si le coup est lent, et tardif: comme l'on experimente quand on bat, et frappe l'air auec vne baguette, ou autre chose.
Celuy qui inuenta la Game, et les six notes Musicales (on les atribue à Guido Aretin) montra qu'il estoit entendu en matiere de Musique Diatonique, marquant toujours ses clefs au commencement des Tetrachordes, et comptant deux tons de suite en montant, et puis vn demi ton: comme vt, ré, mi, fa.
La clef de Musique comme l'on sçait, est ainsi appellée metaphoriquement: dautant que c'est elle qui donne l'entrée au chant, ouurant, et decouurant les notes, et figures auec leurs noms.
Il y en a de trois sortes, et les appelle on vulgairement clefs de [rob] mol, de Nature et de [sqb] quarre: pour ce que la principale note, qui est vt, se trouue ordinairement au lieu ou est située la Clef.
Le susdit Guido Aretin auec les Anciens met ces trois sortes de chants, et les nomme autrement: a sçauoir chant [sqb] dural, Naturel, et [rob] mol. Le premier est ainsi nommé, pour ce qu'il est rude, a raison du son: que si on a esgard a la figure, Aristote dit que la figure quarrée est dure au toucher. Le second est le chant naturel, ainsi appellé, pour ce qu'il n'a point besoin du dur, ny du mol, et partant est dit de quelques vns neutre, ou metoyen. Le troisiesme c'est le chant mol appellé ainsi, pour ce qu'il est doux, a raison des sons: joint que sa figure est semblable a la figure ronde, laquelle est douce au toucher.
Les six notes, ou figures fondamentales, ou comme quelques vns les appellent, Clefs, anciennement phtongues, voix, et nerfs, a raison de leur force, sont celles cy. vt, ré, mi, fa, sol, la quand aux noms: [Boetius libro 4. capitule 16. et 17. Ptolomeus libro 2. de Musica voces natura neque plures, neque pauciores esse possum quam 7. in marg.] et quoy qu'essentiellement elles soyent sept differentes en nombre auant que de monter jusques au Diapason: neantmoins la septiesme conuient de nom auec quelque vne des six: differente toutefois realement et de fait: car elle est plus haute que les autres, et de differente situation: voicy donc les trois Clefs, et les huict figures differentes en valeur auec la ligature de quelques vnes d'icelles.
[Parran, Traité, 9; text: Maxime. Longue. Brefue. Semi-brefue. Minime. Noire. Croche. Double-croche] [PARTRA 01GF]
[-10-] Regles de la ligature des Notes.
ANciennement on ne se seruoit que de ces cinq notes: maxime, longue, breue, semibreue, et minime: les autres ont esté depuis inuentées par les joüeurs d'instruments.
La liaison sert pour mieux assoir la lettre: il y en a de deux sortes, l'vne directe, quand la note est quarrée: l'autre est oblique.
En voicy les Regles.
1 Toute note premiere auec sa suiuante en liaison oblique, ou quarrée est semibreue, pourueu que la premiere des deux aye la queüe du costé senestre tendant en haut. exemple. A.
2 Toute note qui a la queüe descendante a gauche est breue. B. et estant liée auec plusieurs, toutes vaudront chacune deux mesures, et la derniere quatre. B B. si sa premiere n'a point de queüe elle vaudra quatre comme la derniere. B B.
3 Toute premire note n'ayant point de queüe est breue, pourueu que la prochaine qui suit monte. C.
4 Toute premiere note n'ayant point de queüe est longue, pourueu que celle qui suit immediatement apres, descende et qu'elle soit quarrée. D.
5 Toute note mise au milieu est breue E. et jamais longue a l'opinion de Franchin.
6 Celles du milieu ce sont celles qui sont mises entre la premiere, et la derniere: et aucune fois entre la seconde et la derniere, quand la premiere, et la seconde sont semibreues F. tant en descendant qu'en montant. F.
7 Toute note mise au dernier lieu estant quarrée, si elle tend en bas, elle est longue G. si en haut breue. H.
8 Toute note derniere obliquement descrite est breue. I.
9 Toute note aussi ayant queüe du costé droit est longue. L.
10 La maxime, soit qu'elle soit en premier où dernier lieu, retient toujours sa valeur. M.
11 La semibreue de son naturel ne se lie comme point, dit Glareanus.
12 Toute premiere note directe, où oblique, est longue si la suiuante descend. N. si la suiuante monte la premiere est breue. O.
13 Si la premiere note a queüe pendante en bas du costé gauche soit que la note suiuante monte où descende, tant en ligature droite qu'oblique, elle est breue. P.
[-11-] 14 Toute note derniere descendante en ligature directe est longue: en ligature oblique breue. Q.
15 Toute note derniere en montant demeure breue en quelque ligature que ce soit, si elles n'ont point de queüe. R.
16 Quand les deux premieres notes sont semibreues, celles qui suiuent sont breues en montant, et descendant. S.
Exemple des Ligatures.
[Parran, Traité, 11; text: 1, 2, 4, 8, A, B, C, D, E, F, G, H, I, L, M, N, O, P, Q, R, S] [PARTRA 01GF]
LA pause est vne omission ou cessation de voix artificielle, inuentée pour la respiration, et repos des Chantres, et pour donner grace au chant. Il y en a de trois sortes: a sçauoir pause de meuf, ou de mode, occupant quatre lignes. Pause longue vallant quatre mesures, et comprenant trois lignes. En fin pause proprement dite, de la valeur de deux mesures, ou d'vne, ou de moins, comprenant vne ou deux lignes: d'ou s'ensuit que les vnes sont grandes, et les autres petites: il sera parlé ailleurs des points. Voyez en pratique ce
que dessus.
[-12-] [Parran, Traité, 12; text: Pause de Meuf. Pause longue. Pause proprement ditte. Pause petite.] [PARTRA 01GF]
CHAPITRE VI.
Methode facile pour apprendre la Musique.
LA Game ancienne a eu autre-fois sa vogue, comme estant tresbonne, et vtile: voire necessaire à ceux qui apprennent a composer: mais de trop longue haleine: en ce temps icy, comme les esprits s'aiguisent, et subtilisent tous les jours, on a trouué vn chemin plus court, qui aide, et soulage fort la memoire. C'est vne main ou alphabet de Musique recent, et plein d'artifice: pour ce qu'on y trouue, par ordre vt, ré, mi, fa, sol, la, par [rob] mol, Nature, et [sqb] dur, comme il s'ensuit.
Par mol. Par Nature. Par [sqb] Dur. E mi la D la re sol C sol vt fa B fa [sqb] mi A mi la re G re sol vt F vt fa
Remarquez en l'artifice, et puis voyez en la Pratique
[-13-] [Parran, Traité, 13; text: Par [sqb] mol. Par Nature. Par [sqb] dur.] [PARTRA 01GF]
Les Muances où eschelle.
SI vous voulez monter plus haut, ou descendre plus bas, comme il est par fois necessaire, il faut se seruir de muances, ou eschelle, par laquelle vous monterez aisement de mol en Nature, prenant la muance en d la ré sol: c'est a dire changeant, le la, en ré, et en descendant le ré, en la. Quand on monte de nature en [sqb] dur, il faut changer le la de a mi la ré, en ré, dautant que c'est la, ou se fait la muance: montant de [sqb] dur en nature la muance se fait en d la ré sol, changeant le sol, en ré, en descendant la muance est en e mi la, changeant le mi en la. Bref quand on monte de nature en [rob] mol: il faut changer le sol, de g ré sol vt, en ré, et en descendant le mi de a mi la ré, en la. D'ou s'ensuit, comme l'on peut voir, qu'absolument parlant, il y a deux façons de muance seulement, lesquelles se partagent par apres en quatre, dont les deux premieres sont semblables quand a l'ordre: mais non quand a la situation de lieu, les deux dernieres sont aussi semblables quand a l'ordre, et noms des figures, differentes neantmoins pour ce qui est de la situation, et position de lieu: voyez les en exmple icy, et en l'eschelle, ou Game de Guido Aretin.
[-14-] [Parran, Traité, 14; text: Muance de [rob] mol en nature. De nature en [sqb] dur. De [sqb] dur en nature. De nature en [rob] mol. re, la] [PARTRA 02GF]
PAr ces regles, et maximes, qui sont les elements de cét art, vous pouuez apprendre de vous mesmes a chanter mediocrement, et vous disposer pour tenir vostre partie.
I'auois quasi oublié de dire que ce qui apporte ce changement sont le [rob] mol, le [sqb] dur, et la diese, comme estant opposés contraires: dont celle cy (c'est a dire la diese) se doit marquer en toute autre lieu qu'en [rob] fa [sqb] mi et celuy la, (c'est a dire le [sqb] dur) seulement en [rob] fa [sqb] mi. telles sont leurs figures [rob] [sqb] [x] de ce que dessus s'ensuit que [rob] fa [sqb] mi, ne reçoit aucune muance, ou changement: mais si font bien toutes les autres voix, ou clefs. [libro 3. et cetera. in marg.]
[-15-] SECONDE PARTIE DES INTERVALLES et Consonances.
CHAPITRE I.
Du Ton et Semiton.
IE sçay bien parlant en general que ton, son, voix, et phtongue signifient vne mesme chose, et que l'on dit ton graue, où bas, ton aigu, haut, ou delié: Neantmoins pour parler proprement, ton se prend pour la distance d'vn son a vn autre son immediat, comme vt re, re mi, de sorte qu'il faut deux sons pour le moins pour faire vn ton, où demi-ton.
La plus part des Anciens n'ont cognu que le ton majeur, où parfait: mais dautant que quelques vns d'iceux ont fait mention du ton mineur, ou petit, il faut establir l'vn et l'autre, puis qu'ils sont fondez en bonne raison.
Zarlin en parle, Salomon de Caux les met en ligne de compte, selon la constitution du Monochorde de Ptolomée, et les prouue fort bien auec plusieurs autres, specialement le Solitaire, et Keplerus: la seule authorité dudit Ptolomée nous seruira de garent au liure second chapitre premier: où il fait mention de la raison sesquihuictiesme, sesquineuuiesme, et sesquidixiesme et cetera expliquant le Tetrachorde: et partant nous suiuons son opinion contre le sentiment de quelques Praticiens, qui tiennent opiniastrement, et sans raison que cela n'est point, faisants tous les tons egaux: en quoy ils se trompent bien fort. On verra cy apres les proportions du ton mineur, et majeur, et des autres interualles.
Quand a la diuision du ton mineur, quelques Autheurs l'ont diuisé en vne Apotome majeure, et mineure, en Limma, et vne diese; en vn diaschisme, comma, et schisme: mais il est veritable, qu'il ne peut estre diuisé en parties egales Arithmetiquement: quoy qu'il le puisse Geometriquement, selon l'opinion de Pontus du Tiart: dont l'vne contient deux diaschismes, et vn schisme: et l'autre tout autant.
[-16-] La raison d'Euclide au Theoreme seiziesme pour laquelle il n'est point diuisible en parties egales, est que l'interualle du ton majeur, et mineur est en raison surparticuliere. Or est il qu'il ny a aucun nombre metoyen proportionable entre les deux nombres extresmes de cet interualle majeur, qui sont 8. et 9. donques il s'ensuit que le ton ne peut estre diuisé en parties egales.
La vraye diuision du ton mineur c'est en vn semiton majeur, et en vn semiton mineur; et la diuision du ton majeur en vn semiton majeur, et en vn semiton moyen: c'est a dire vn semiton majeur, vne diese chromatique, et vn comma; et voyla la difference de l'vn et de l'autre: car si vous ostez le ton mineur du majeur, reste le comma.
Voyons maintenant en pratique ou se retrouuent les tons, et semitons majeurs, et mineurs: la tierce majeure et mineure nous donnent entierement, et asseurement la cognoissance de ce point de difficulté: car la tierce majeure est composée du ton majeur, et du ton mineur: la tierce mineure du ton majeur, et du semiton majeur: donques si nous disons vt ré mi fa, vt ré, ne peut estre que le ton mineur: et ré mi, le ton majeur, puis que vt mi, c'est la tierce majeure composée du ton mineur, et du ton majeur: et re, fa, la tierce mineure composée du ton majeur, et du semiton majeur.
Voyez cela en pratique.
[Parran, Traité, 16; text: Vt ré, ton mineur. Ré mi, ton majeur. Mi fa, semiton majeur. Fa sol, sol ré, Ré mi, Mi fa, semiton majeur. Fa sol, sol la, C'est le mesme en descendant.] [PARTRA 02GF]
POur le regard du semiton mineur, c'est l'interualle, où la distance qui est entre le fa, et le mi, de e mi la: notez icy en passant, que les interualles du ton majeur, ont leur juste mesure selon le Monochorde de Ptolomée: et celles du ton mineur ne l'ont pas: car il faudroit abaisser d la ré sol, et g ré sol vt, d'vn comma, pour faire qu'ils ayent leur juste mesure: mais ce changement apporteroit du trouble, et du desordre aux autres interualles.
[-17-] Exemple du Ton majeur, et mineur, et du Semiton majeur, du mineur, et du moyen.
[Parran, Traité, 17,1; text: Tons majeurs. Tons mineurs. Semitons majeurs. Semitons mineurs. Semitons moyens.] [PARTRA 02GF]
I'adjouste a ce que dessus, que trois Tons s'entre rencontrans de suite, comme Fa lol re mi, le premier doit estre majeur: le second mineur, et le troisiesme majeur: pour ce que deux Tons de mesme espece ne se suiuent pas bien: quoy que par fois ils soyent contraints de se suiure par necessité,, comme il est euident en Mi fa sol la fa; si ce n'est qu'on prenne fa sol pour le mineur: et sol la pour le majeur.
Voila l'opinion de quelques vns qui n'est point tant mal asseurée, ny sans fondement: mais si nous auons esgard au Monochorde de Ptolomée, lequel met vn Ton majeur de C sol vt fa, a D la re sol, et de F vt fa, a G re sol vt, nous dirons autrement.
PAR EXEMPLE.
Les Tons et Semitons suiuant le Monochorde de Ptolomée
[Parran, Traité, 17,2; text: Vt re, ton majeur. Re mi, ton mineur. Mi fa, semiton majeur. Fa sol, sol la, Fa re] [PARTRA 03GF]
[-18-] [Parran, Traité, 18; text: Du [rob] mol de E mi la, au fa de F vt fa, ton mineur. Du [rob] mol de A mi la re, au [rob] mol de [rob] fa [sqb] mi, ton mineur] [PARTRA 03GF]
Mais icy on me dira, comment sauuerez vous le diton et semiditon? car semiditon est composé d'vn ton majeur, et d'vn semiton majeur: or est il que de D sol re à F vt fa, il y doit auoir vn semiton, lequel n'a pas sa juste mesure: pour ce que de D sol ré, à E mi la, c'est le ton mineur, et de E mi la, à F vt fa, le semiton majeur: tout de mesme de G ré sol vt, à [rob] fa [sqb] mi, doit estre vn semiditon, et il ne l'est pas: puis que de G ré sol vt, à A mi la ré, ce n'est qu'vn ton mineur, et de A mi la ré, a [rob] fa [sqb] mi, vn semiton majeur. Donques ils n'ont leur juste mesure: quel moyen y à il? je respons qu'il ny en a point d'autre, que d'adjouster l'interualle d'vn comma plus bas en D la ré sol, et en G ré sol vt, et alors toutes les interualles du semiton mineur, moyen et majeur, du ton majeur et mineur, du diton, et semiditon et cetera auront toutes leurs justes mesures: c'est a dire qu'il faut faire D sol ré, et G ré sol vt, mobiles affin que l'on face le ton mineur, où majeur quand on voudra de C sol vt fa, à D la ré sol, et de F vt fa, à G ré sol vt, pour obuier a toutes sortes d'inconueniens selon le Monochorde de Ptolomée, et le Systeme de Salinas, et selon les interualles de Pythagore.
Quand aux semitons majeurs, ils se retrouuent dans les tons majeurs, et dans les tons mineurs, pour ce que ceux cy sont composez de ceux là en partie.
Les semitons mineurs ne se retrouuent que dans les tons mineurs, comme parties d'iceux; et ne sortent jamais de l'espace, où de la ligne où ils sont.
Les semitons moyens ne se rencontrent que dans l'enceinte des tons majeurs, comme en C sol vt fa, en F vt fa, et en [rob] fa [sqb] mi, où ils sont tellement confinez, qu'ils ne sortent jamais de la ligne, où de l'espace.
[-19-] Quand à la diese Enharmonique, c'est l'interualle qui reste apres auoir osté le semiton mineur du semiton majeur, comme de D la ré sol diesé, au [rob] de E mi la, et se trouue seulement entre la diese Chromatique, et le [rob] mol. Les commes majeur, et mineur composent la diese Enharmonique.
CHAPITRE II.
De l'Vnisson et Interualles.
PLine au liure 25 de son histoire naturelle, et de l'harmonie des astres, chapitre 22. parlant de la distance des Cieux va cherchant les interualles de ces corps celestes par les degrés de Musique, [de die natali. capitulo 10. in marg.] suiuant la doctrine de Pythagore, comme vous pourrez voir: mais Censorinus, qui est son interprete, discourant de la proportion, et interualle des Planettes, dit que depuis la Terre jusques au plus haut Ciel, il y a vn Diapason (s'il est vray qu'il y a de l'harmonie aux Cieux) pour ce que de la Terre à la Lune est vn ton: de la Lune à Mercure, vn semiton, de Mercure à Venus, aussi vn semiton, de Venus au Soleil, vn ton et demi, du Soleil à Mars vn ton, de Mars à Iupiter vn semiton, de Iupiter à Saturne vn semiton aussi, de Saturne jusques au plus haut Ciel il y a encores vn semiton: et partant depuis la Terre jusques au plus haut Ciel il y a vn Diapason: car de la Terre au Soleil est vn Diapente, de la Lune au Soleil, vn Diatessaron, du Ciel du Soleil jusques au plus haut, il y a vn autre Diatessaron, la où si vous comptez bien, vous trouuerez en tout six tons pour former vn Diapason.
Ne semblera-il point à quelqu'vn, qu'il ny a point de difference entre interualle, proportion, et consonnance! de vray il semble qu'elle n'est pas grande, s'il y en a: neantmoins ils sont tous trois differens, comme l'espece, le genre, et la cause: car toute consonnance est interualle, non au contraire: et proportion est la cause de l'interualle, et de la consonnance produisant l'vn et l'autre.
Mais qu'est-ce qu'interualle? c'est la distance, qui est entre le son aigu, et le son graue diuersifié en plusieurs sortes: [ex Boetio de Musica. in marg.] ainsi vn ton est vn interualle d'vn son au prochain son, comme vt ré, fa sol.
[-20-] Interualle donc n'est autre chose que la distance qui se trouue entre les sons graues et aigus, lesquels, comparés les vns auec les autres se trouuent inegaux, c'est à dire, sont hors de l'Vnisson: d'où s'ensuit que l'Vnisson n'est pas interualle, puis qu'il se fait lors que deux, ou plusieurs voix conferées par ensembles sont egales, et d'vne mesme hauteur.
Les interualles moindres, et moins principales sont celles que nous auons touché en la diuision du Ton, à sçauoir les parties, desquelles le Ton peut estre composé, comme l'Apotome, diese Chromatique, comma, diese Enharmonique, et cetera.
Quand aux principales, et plus grandes, les vns en mettent plus, les autres moins.
Les voicy toutes par ordre, tant les composées que les simples.
Semiton mineur, Semiton moyen, Semiton majeur, Ton mineur, Ton majeur, Diton, Semiditon, Diatessaron, Diapente, Exachorde mineur, et majeur, Diapason, Diapasonditon, Diapasondiatessaron, Diapasondiapente, Diapasondiaex, Disdiapason et cetera. Le Triton presque Diatessaron, le Semidiapente où Diapente diminué, ne sont censés entre les interualles, non plus que le Semidiapason, où Diapason diminué, et le superflu; dautant qu'ils sont faux, et tres-rudes à l'oreille, quoy que par fois on se serue du triton, et du Semidiapente, qui sont la fausse Quinte, et la fausse Quarte.
Quelques vns diuisent les interualles en deux especes: dont l'vne est appellée Diasteme, qui doit contenir pour le moins deux interualles en quelque sorte de Musique que ce soit, quoy qu'il en puisse contenir dauantage.
Par exemple, vt mi; l'autre est appellé Syteme, qui est vn espace contenant plusieurs Chordes pour accomplir diuerses Consonances en soy, et doit pour le moins enfermer vn Diasteme, et vne interualle, à celle fin de fournir vn Diatessaron, vt fa. A ce propos voyez les vingt proportions d'Euclide des interualles: vous verrez ailleurs que c'est que Consonance, Dissonance, Tetrachorde, Harmonie, Symphonie, et cetera mais ayant parlé du petit Systeme, il est raisonnable que nous traitions du grand, lequel merite bien vn Chapitre tout entier.
[-21-] CHAPITRE III.
Le grand et parfait Systeme des Anciens.
CE grand Systeme est cognu pour le jourd'huy de fort peu de Maistres Theoriciens et Praticiens, dautant qu'il est grandement obscur, et difficile à entendre: le voicy par ordre, et clairement.
Ce parfait Systeme (duquel font mention tous les Anciens, comme Aristoxene, et les autres: les modernes comme Boëce, et les autres, lesquels a mon opinion ne l'ont pas bien distingué, et rendu notoire a la posterité) n'est autre que l'espace, et toute l'estendue qu'vne voix peut monter, et descendre sans peine et sans contrainte. Il est compose de quinze chordes où voix, de sorte que la meilleure voix de Basse, de Tenor, de Haute contre, et de Dessus chantant à l'aise, et d'vne voix naturelle non forcée, ne peut monter ordinairement que quinze degrez, où chordes: dautant que les autres qu'elle entonnera par dessus, seront forcées, et moins agreables, estant contrainte d'vser de feinte, où faussét. Voyla que c'est de Systeme en general.
Les Anciens donc ont inuenté quatre Tetrachordes, pour la perfection d'iceluy, et quelque temps apres ils en ont inuenté vn cinquiesme.
Tetrachorde est vne continuation de quatre chordes, ou sons, soit en montant, ou descendant, comme Vt ré mi fa, ou La sol fa mi.
Le premier des cinq Tetrachordes est appellé Tetrachordehypaton; c'est a dire des principales, et plus basses.
Le deuxiesme Tetrachorde Mezon, c'est a dire des moyennes, ou de celles du milieu. [Martianus Capella libro 9. de tropis et tonis. in marg.]
Le troisiesme Tetrachorde Diezeugmenon, c'est a dire des disjointes, et separées.
Le quatriesme Tetrachorde Hyperboleon, c'est a dire des excellentes, et plus hautes. [Vitruius 5. capitulo 4. a Tetrachordi in marg.]
Le cinquiesme que j'ay dit auoir esté adjousté c'est le Tetrachorde Synemenon, c'est a dire des conjointes, pour ce qu'il commence là ou le deuziesme finit: et partant conjoint, et comme incorporé à iceluy.
Toute la difficulté de ces Tetrachordes consiste à sçauoir ou commencent, et finissent les quatre chordes d'vn chacun d'iceux: et c'est ce qui m'a fait suer en cét estude principalement. [Franchinu de harmonia Musica instrumentis in marg.]
[-22-] Voyci donc les quinze chordes distinguées par ordre, pour l'accomplissement desquelles on y en a adjousté vne nommée Proslambanomene, aussi ce mot grec signifie adjoustée: la raison de cette addition a esté a fin que le Diapason de A re contre A mi la re, y fut parfait.
Quelques vns par apres en ont encore adjousté vn autre nommée Hypoproslambanomene, c'est a dire sous-adjoustée, qui est G vt.
I. TETRACHORDE.
Les quatre cordes du premier Tetrachorde sont celles cy.
1 Hypatehypaton, principale des principales comenceant en [sqb] mi.
2 Parhypatehypaton, sous principale des principales. C fa vt.
3 Lychanos hypaton, l'indice des principales. D sol ré.
4 Hypatemeson, principales des moyennes. E mi la.
II. TETRACHORDE.
La premiere chorde du second Tetrachorde commence ou le precedent finit.
1 Hypatemeson, principales des moyennes. E mi la.
2 Parhypatemeson, sous principales des moyennes. F vt fa.
3 Lychanos meson, signe, ou indice des moyennes G ré sol vt.
4 Mese, qui signifie la moyenne, c'est A mi la ré.
III. TETRACHORDE.
La premiere chorde du Tetrachorde troisiesme, commence au dessus de Mese, pour ce que ce Tetrachorde est separé du deuxiesme.
1 Paramese, sous moyenne suiuant inmediatement apres mese, c'est [rob] fa [sqb] mi.
2 Tritediezeugmenon, la troisiesme des disjointes. C sol vt fa.
3 Paranetediezeugmenon, penultiesme des disjointes. D la ré sol.
4 Netediezeugmenon, la derniere des disjointes. E mi la.
IIII. TETRACHORDE.
Le quatriesme Tetrachorde commence ou finit le precedent.
1 Netediezeugmenon, la derniere des disjointes. E mi la.
2 Tritehyperboleon, la troisiesme des excellentes. F vt fa.
3 Paranetehyperboleon, la penultiesme des excellentes. G ré sol vt.
4 Netehyperboleon, la derniere et plus haute des excellentes. A mi la ré.
[-23-] V TETRACHORDE. Le cinquiesme Tetrachorde, qui à esté trouué depuis les autres, commence en Mese, qui est la derniere chorde du 2. Tetrachorde, et partant appellé des conjointes, pour ce qu'il est enclos et enfermé dans le troisiesme dit des disjointes.
1 Mese, c'est la moyenne, ou celle du milieu. A mi la ré.
2 Tritesynemenon, la triosiesme des conjointes. [rob] fa [sqb] mi.
3 Paranetesynemenon, la penultiesme des conjointes. C sol vt fa.
4 Netesynemenon, la derniere des conjointes. D la ré sol.
Celuy cy est different du troisiesme, comme il appert: dautant qu'il commence vne chorde plus bas, et est par [rob] mol, et l'autre par [sqb] dur comme vous voyez icy.
[Parran, Traité, 23; text: Les deux adjoustées. I. Tetrachorde. II. III. Hypaton. Mezon. Diezeugmenon. IIII. V. Hyperboleon. Synemenon.] [PARTRA 03GF]
Ce sont les quinse chordes du Systeme parfait des Anciens comptant Proslambanomene pour vne, que si vous y mettés Hypoproslambanomene, elles seront seize en tout: ce Systeme n'est que Diatonique; si vous desirez le Chromatique, et l'Enharmonique, voyez Franchin Gafore, et le Pere Mersenne.
Notez que le premier et plus ancien Systeme, n'estoit que de quatre chordes, ausquelles peu à peu on en adjousta jusques a sept, et puis Pythagore curieusement vne huictiesme: on tient toutefois que Mercure a trouué et monté le premier la Lyre a sept chordes, ausquelles Simonides adjousta la huictiesme, Timothée la neufiesme, ac Terpandre les autres jusques a quinze. Voyez les Systemes de Guido Aretin, de Zarlin, et de Salinas, contenans les genres Diatonique, Chromatique, et Enharmonique.
[-24-] CHAPITRE IIII.
Des Consonances en general, de leur diuision, et composition.
TOut ainsi que les Medecins tres-experts meslans certaines matieres chaudes, et seiches auec les froides, et humides, en tirent la quinte-essence pour la guerison du corps, et de plusieurs simples vne nouuelle forme, qui surpasse la force elementaire, et naturelle, comme l'on voit manifestement en la confection du Mithridate, et en la Theriaque d'Andromachus: de mesme aussi les Musiciens artificielz detrempans industrieusement les sons graues auec les aigus, en font vn composé, à celle fin que de plusieurs especes, et formes de voix en resulte vne, qui surpasse sa nature, et deuienne comme celeste, produisant des effets admirables; ainsi que Democrite, et Theophraste ont laissé par escrit. Pythagore à esprouué en effet, que certaines maladies, tant de corps que d'esprit, se guerissent admirablement par les Concerts melodieux d'vne harmonie plus que celeste: de sorte que ce n'est pas merueille, si les sages de l'antiquité ont attribué la source de la Medecine, et de la Musique aux nombres d'Apollon: car l'vne et l'autre sert de remede: mais celle la guerit l'ame par l'entremise du corps, et celle cy le corps par le moyen de l'ame: qui se fait par les Consonances d'vne harmonie bien compassée et temperée.
Mais notez qu'il y a quelque difference entre melodie, harmonie, symphonie, et Consonance: car harmonie se prend pour vn rapport de plusieurs Consonances auec symmetrie conuenable, et faut a cét effét pour le moins trois Consonances: symphonie est vne bonne, et delectable harmonie, laquelle se fait en chantant, où joüant des instruments bien accordés, et harmonieux. Il y a deux sortes d'harmonie, sçauoir est: propre, et non propre: la propre selon Lactance est vne composition de voix hautes et basses, laquelle chatouille souuent le sens procedant des parties d'vn chant bien fait, et accordant jusques a la fin, esmouuant ce pendant les esprits a diuerses passions et affections, et se trouue entre plus que de deux parties: celle qui est appellée harmonie improprement ne contient aucune harmonie en soy: ains doit estre appellée harmonieuse Consonance plustot qu'harmonie, telle qui est entre deux parties. Melodie, c'est quand vne voix seule chante [-25-] melodieusement et artistement. En outre remarqués qu'il y a modulation parfaite, et imparfaite: l'imparfaite se trouue dans le Plain-chant et Faux-bourdon, et la parfaite dans la Musique figurée, lors que l'on chante par mouuements contraires, degrés continuez, ou discrets, battement tardif, ou leger selon les signes, temps, nombres, et diuersité de figures.
Qu'est-ce donc que Consonance? c'est vn meslange de sons graues et aigus frappant l'oreille doucement, et vniformement, lequel se fait de la sorte selon Platon: [D. Seuerini libro 1. capitulo 8. in marg.] il est necessaire, dit-il, que le son aigu soit plus leger que le graue, allant donc deuant le graue il entre promptement dedans l'oreille, et comme estant ja las par vn mouuement reïteré, il deuient lasche, et moins aigu qu'il n'estoit: et partant meslé auec le graue ils se rencontrent semblables, et font vne Consonance: mais Nicomachus n'estime pas cela vray, dautant dit-il, que les Consonances ne se font pas de Tons semblables, ains dissemblables selon la definition susditte, et deux sons graues egaux, et meslez par ensemble ne font aucune consonance: et voicy comme il va recherchant la nature de la Consonance.
Si vous pinsez deux chordes d'vn instrument musical, ces deux sons se rencontreront: que s'ils sont comensurables, et bien proportionez, ils se mesleront, et produiront vn accord merueilleusement agreable: au contraire s'ils sont disproportionez, et incommensurables, ils vous rendront vne dissonance fort rude, et insuportable au sens.
La principale diuision de la Consonance est en simple, et composée: la simple est celle en la proportion de laquelle les deux extremes sont tellement ordonnez entr'eux, que telle proportion ne peut estre diuisée par vn terme metoyen: comme il se void au Diapente, les termes duquel sont 3 et 2. et pour cette raison sommes nous contraints d'admettre ces six especes de simple consonance: Diapason, Diapente, Diatessaron, Diton, Semiditon, et l'Vnisson, qui est principe de consonance.
La Consonance composée est celle, la proportion de laquelle peut estre diuisée en vne autre proportion par vn terme metoyen; comme est l'Exachorde entre 5 et 3. produit par le Diatessaron, et Diton: où pour mieux dire la Consonance composée est celle qui se fait de chaque simple jointe au Diapason.
Vous direz peut estre, que le Diapason est produit par le Diapente, et le Diatessaron: doncques il est composé et non simple: responce, j'accorde que certaines Consonances contiennent par accident en [-26-] soy d'autres Consonances moindres, desquelles semblent estre composées, et ne le sont pas: par exemple le Diapason, lequel enferme en soy toute les autres Consonances, et toutefois il n'en est point composé: doncques la vraye raison est, que la où les nombres moindres, et primitifs d'vne proportion ne souffrent aucun terme metoyen, comme 2. à 1. la Consonance est simple: s'ils en ont vn, elle est composée comme 5. à 3. entre lesquels se retrouue 4. lequel comparé auec 3. produit le Diatessaron: auec 5. le Diton.
D'icy je conclus fort bien, que puis que les Consonances composées se font par l'assemblage des simples: (du moins virtuelement) elles seront encloses dans le Senaire, qui est le premier des nombres parfaits, contenant en soy toute sorte de Consonances: pour ce que ses parties sont tellement proportionées, que si vous en prenez deux d'icelles, elles produiront vne Consonance simple ou composée.
Le Diapason est la premiere des Consonances simples, lequel simplement consideré est vne seule espece, que si on le considere diatoniquement par Tons et Semitons, il contient sept especes, trois Tons majeurs, deux mineurs, et deux Semitons majeurs.
Il est euident que c'est la plus parfaite des Consonances: dautant qu'entre les proportions d'inegalité majeure, la premiere de toutes c'est la double, de laquelle resulte le Diapason: mais me semble que la meilleure raison est que tant plus le nombre approche de l'vnité, tant plus aussi il est parfait: au contraire tant plus il s'en esloigne, tant plus aussi est il imparfait: et dautant que le Diapason est fondé en 1 et 2. qui sont les plus parfaits nombres, eu esgard a leur proportion: par consequent le Diapason est la plus parfaite Consonance qui soit.
Quand à l'Vnisson, il consiste aussi en la proportion double, lequel est appellé ordinairement le principe, la matiere vniuerselle, et la mere d'ou sont engendrées les Consonances. Il est simple a cause du voisinage du Binaire, qui n'est autre que l'vnité doublée: et partant comme le Binaire n'est pas vn nombre composé, mais quasi de mesme nature que l'vnité: aussi le Diapason n'est il pas composé, voire quasi de mesme nature que l'Vnisson: et bien que ce qui a esté dit de l'Vnisson soit vray: toutefois il n'est pas proprement Consonance, ains seulement commencement de Consonance: ce qu'a tres bien remarqué Aristote en ses Politiques, lequel voulant prouuer qu'il ne se peut faire que toutes choses soyent communes en vne Ville, dit que ce seroit tout de [-27-] mesme que si quelqu'vn vouloit faire l'Vnisson d'vne Consonance, ce qui est impossible.
La seconde Consonance simple, c'est le Diapente, lequel selon la mesme Diatonique a quatre especes, et contient deux Tons majeurs, vn mineur, et vn Semiton majeur: car comme le Diapason est le premier en proportion multiple: aussi est le Diapente en proportion surparticuliere. Et comme le Diapente est la plus grande partie du Diapason harmoniquement diuisé, aussi fort a propos et raisonablement le mettons nous le second accord.
Le Diatessaron tient le troisiesme rang, et contient trois especes, comme nous verrons ailleurs: pour ce que selon ses interualles il a le Semiton disposé en trois manieres. Cette troisiesme simple Consonance n'a jamais esté tant pratiquée comme elle est en ce temps: et pour dire vray elle est fort douce et agreable quand elle est bien maniée, soustenuë, et couchée bien a point, quoy qu'vn peu rude de sa nature
Que le Diatessaron soit Consonance il est tout clair, veu qu'il tient place dans la pleine harmonie, et que sa proportion est harmonique, telle que les Anciens la nous ont laissée par escrit, et que l'experience enseigne.
Pour le regard du Diton, et Semiditon, qui sont les quatriesme, et cinquiesme especes de simple Consonance, il est certain qu'elles sont Consonances quoy que moins parfaites, ayans leurs proportions aussi entieres que pas vn autre. Dont celuy la en matiere de Musique Diatonique comprend deux Tons, l'vn majeur, et l'autre mineur en proportion dautant et quatriesme: celuy cy est composé d'vn Ton majeur, et d'vn Semiton majeur en raison dautant et cinquiesme: pour ce qu'en matiere de proportion, de tant plus grand est le nombre, de tant aussi est la proportion moindre: et au contraire tant plus le nombre est petit, tant plus aussi la proportion est grande.
Il ne reste plus que les Consonances composées, qui sont principalement quatre en nombre, Disdiapason, Diapasondiapente, Diapasondiatessaron, Diapasonditon, et Diapasonsemiditon, auec leurs dupliques: on met neantmoins entres celles cy les deux Exachordes majeur, et mineur auec leurs doubles, dautant qu'ils sont composez d'vn Diatessaron, et d'vn Diton: d'vn Diatessaron, et d'vn Semiditon: descendons en particulier.
[-28-] COROLLAIRE
De l'Harmonie, et Melodie.
L'Harmonie et Melodie sont deux parties essentielles de la Musique. La Melodie naist des beaux chants, et l'Harmonie des accords bien couchez, et liez par ensemble.
Le mot d'Harmonie qui signifie conuenance, composition, ou accord de sons differens, vient du verbe Grec armazo qui signifie conuenir, ou accorder: d'ou vient que Ciceron dit fort a propos au premier des Tusculanes.
Harmoniam ex interuallis sonos nosse possumus:
dautant que l'Harmonie depend totalement de plusieurs Consonances, et interualles des sons.
Elle est encore appelée Symphonie, qui signifie accord de Musique du verbe Grec symphonin c'est a dire accorder, et chanter ensemble.
La Melodie est vn chant melodieux: car melos signifie douceur de chant, ou modulation douce, appartenant a la flexion de voix, selon l'opinion de Budaee: melos, dit il, ad flexum vocis pertinet: constat enim canore, ac sonis: c'est a dire d'vne voix accordante, et resonante.
CHAPITRE V.
De la bonté des Consonances, auec leurs proportions.
LA plus belle cognoissance qui soit en toute la Musique, sans doute c'est de bien entendre les nombres, et proportions, puis que tout ce qui est de cét art se raporte a ce point, comme a son principe, objét, et source totale. De sorte que si vous entendez quelque beau concert tissu et entrelassé de Consonances delicates, d'vne harmonie parfaite et excellente, ce sont tout autant d'effets des nombres et proportions Harmoniques.
Toute Consonance est parfaite, ou imparfaite: les parfaites sont trois, l'Vnisson ou Diapason, Diapente, et Diatessaron: elles sont parfaites dautant qu'elles ne peuuent reçeuoir aucun changement, ny alteration sans quelque mauuais effét, et desordre, non plus que la substance ne sçauroit reçeuoir le moins ny le plus.
[-29-] Il faut icy noter que toute Consonance peut estre ditte plus ou moins parfaite en son genre, et imparfaite relatiuement: il ny a proprement que le Diapason, et le Diapente qui soyent absoluement parfaits, et doux auec leurs repliques: car le Diatessaron est parfait d'vne perfection differente des autres, estant comme metoyen, et neutre: c'est a dire meslé de douceur, et d'amertume, tenant neantmoins place entre les Consonances parfaites, et estant parfait en son genre.
Quand a la bonté des Consonances, le Diapason tient le premier rang: [Ptolomée 1. Capitulo 5. in marg.] a raison qu'il auoisine de plus pres l'Vnisson, luy estant fort semblable, et fondé dans la proportion des moindres nombres: apres iceluy suiuent ses repliques.
Le Diapente est preferable a Diapasondiapente, pour parler auec Ptolomée, pour ce que celuy là est simple, et celuy cy composé: et pour cette raison je conclus generalement, qu'il semble que les simples Consonances, chacune en son genre, surmontent en bonté les composées: et par ainsi cét ordre de perfection peut estre mis. L'Octaue, la Quinte, et leurs repliques: la Quarte, la Tierce majeure, la Tierce mineure, et leurs repliques. Il semble neantmoins au sens que la Dixiesme est meilleure que la Tierce, et partant je la mets deuant: la Sexte majeure, la Sexte mineure, et leurs repliques.
Pour le regard de la Quatre puis qu' elle est Consonance, quoy que moins agreable que l'Octaue, et la Quinte, pour ce qu'elle n'a pas la douceur d'icelles, ains vn peu de rudesse, et d'aigreur, me semble qu'elle doit passer pour bonne aussi bien que les autres: pourueu, qu'elle soit soustenuë ou bien suiuie promptement d'vn plus doux accord: et dautant qu'il est mal aisé de donner raison de cette bonté et excellence plus grande, j'en laisse le jugement en partie au sens, lequel semble juger ainsi que j'ay dit.
Les Consonances imparfaites sont, Diton, et Semiditon, Exachorde majeur, et Exachorde mineur: ainsi nommées non qu'elles ne soyent parfaites en leur espece: mais pour ce que estant comparées aux autres ne sont pas si parfaites: de quoy l'oreille juge fort aysement, lors qu'elle ne se contente de telles Consonances fades, et moins pleines: mais la raison principale est qu'elles reçoyuent alteration, diminuant, ou augmentant selon le bon plaisir du Compositeur: ny plus ny moins que l'accident, lequel de sa nature reçoit plus et moins; c'est a dire peut changer de forme exterieurement a la volonté de celuy qui la voudra [-30-] introduire. Ainsi le Diton peut estre changé en Semiditon, ou au contraire: l'Exachorde en majeur, ou mineur: et partant sujét a changement: ce qui n'arriue jamais aux accords parfaits, n'en estant pas capables: et c'est pour cette cause que les Consonances moins parfaites n'ont pas esté bonnement cognuës des Anciens, n'ayans que l'vsage et la cognoissance des parfaites: veu que les Pythagoriciens les ont rejettées ne passant point au delà du nombre de quatre.
Pour rendre la chose plus claire par quelque experience, et faire voir la perfection des Consonances, je ferois volontiers cette question, si je ne craignois prolixité: pourquoy pinsant la chorde d'vn instrument bien resonant, on entend sonner contre les autres chordes sans les toucher, tantost vne Octaue, tantost vne Quinte, ou vne Douziesme, selon la disposition, temperement, et ordonnance des chordes montées et accordées diuersement?
Quelques vns attribuent cét effet a la sympathie, et antipathie des sons, et des chordes: en vn mot je dis auec Keplerus, que l'espece du son, voire le son mesme s'espendant en l'air, frappe et s'arreste a ce qui luy est propre; sçauoir est a l'Octaue, comme a la premiere, et plus parfaite des Consonances: et aussi par fois a la Douziesme, mais rarement, n'estoit que l'instrument fut grandement delié, et extraordinaiment resonant. Ne voyla pas qui confirme nostre raison sus alleguée touchant la bonté des Consonances les plus parfaites.
Il ne faut pas oublier de dire vn mot des Dissonances en passant, lesquelles j'ay mis cy apres au denombrement des proportions: ce sont des melanges des voix rudes, et non proportionnées, lesquelles n'ont en soy aucune douceur ny suauité, frappant l'oreille si asprement, qu'à peine les peut elle supporter, si elles ne sont accompagnées du miel des Consonances: telles sont la Seconde, la Septiesme, tant majeure que mineure, et leurs repliques. Voicy donc par ordre tous les accords bons, et mauuais, auec leur proportions, choses a la verité dignes de l'entendement humain.
Denombrement des Consonances, et Dissonances, auec leurs nombres et proportions.
L'Octaue, la double, ou Diapason de 2 a 1.
La Septiesme majeure, composée de la Sexte majeure, et du Ton majeur est de 8 a 15.
[-31-] La Septiesme majeure, composée de la Sexte majeure, et du Ton mineur est de 5 a 9.
La Septiesme mineure, composée de la Sexte majeure, et du Semiton majeur est de 9 a 16.
La Sexte majeure, ou Exachorde majeur de 5 a 3.
La Sexte mineure, ou Exachorde mineur de 8 a 5.
La Quinte, Diapente, Sesquiautre, ou dautant et demy de 3 a 2.
La fausse Quinte, ou Quinte diminuée de 64 a 45.
La Quarte, Diatessaron, Sesquitierce, ou dautant et troisiesme de 4 a 3.
Le Triton, fausse Quarte, ou Quarte superfluë de 45 a 32.
La presque Quarte, ou Quarte diminuée de 18 a 25.
La Tierce majeure, Diton, Sesquiquarte, ou dautant et quatriesme de 5 a 4.
La Tierce mineure, Semiditon, Sesquiquinte, ou dautant et cinquiesme de 6 a 5.
Le Ton majeur, ou Seconde majeure, Sesquioctaue, ou dautant et huictiesme de 8 a 9.
Le Ton mineur, ou Seconde mineure, Sesquineufiesme, ou dautant et neufiesme de 10 a 9.
Le Semiton majeur de 15 a 16.
Le Semiton moyen de 135 a 128.
Le Semiton mineur de 25 a 24.
La Diese Enharmonique est de 128 a 125. Voyla les Simples.
Suiuent les Composées.
La Neufiesme mineure, premiere dissonance composée de 20 a 9.
La Neufiesme majeure, premiere dissonance composée, comme de 9 a 4.
Diapasonditon, ou Dixiesme majeure de 10 a 4. ou de 5 a 2.
Diapasonsemiditon, ou Dixiesme mineure de 12 a 5.
Diapasondiatessaron, qui est l'Vnziesme de 8 a 3.
Diapasondiapente, ou la Douziesme en proportion triple de 9 a 3. ou de 6 a 2.
La Treziesme majeure, ou Diapasondiaex majeur de 10 a 3.
La Treziesme mineure, ou Diapasondiaex mineur de 16 a 5.
La Quatorziesme mineure de 32 a 9.
La Quatorziesme majeure de 30 a 8.
Disdiapason, la Quinziesme, ou quadruple de 4 a 1, ou de 8 a 2.
[-32-] Disdiapasonditon, la Quintuple, ou Dixseptiesme majeure de 10 a 2. ou de 20 a 4.
Disdiapasonsemiditon, ou Dixseptiesme mineure de 24 a 5.
Disdiapasondiatessaron, ou la Dixhuictiesme de 16 a 3.
Disdiapasondiapente, la Dixneufiesme, ou Sextuple de 12 a 2, ou 1 a 6.
La Vingtiesme majeure de 20 a 3.
La Vingtiesme mineure de 32 a 5.
La Vingt deuxiesme, ou Octuple de 8 a 1.
Voicy leur composition auec la preuue.
Le Ton mineur est composé d'vn Semiton majeur, et d'vn Semiton mineur: la preuue, joignez la proportion du Semiditon majeur, et mineur ensemble ainsi 16/15 25/24 et dites 25 fois 16 combien est-ce? et 24 fois 15 combien? ayant trouué, et adjousté ce grand nombre, diminués le toujours de la moitié: en fin vous reueindrez a vos premiers nombres: car de 400 vous viendrez a 40, de 40 a 20, de 20 a 10, qui est le premier nombre du Ton mineur: de 360 vous viendrez a 36 diminuant de la moitié a 18, et puis a 9, qui est la proportion que vous cherchiez de 9/10.
Le Ton majeur est composé d'vn Semiton majeur, et d'vn Semiton moyen: la preuue, adjoustez les deux nombres ensemble comme icy 128/135 15/16 multipliez 128 par 15 produit 1920, et 135 par 16 vient 2160, desquels ostant toujours la moitié, on viendra a 270 et 240, desquels prenant le tiers on viendra a 90 et 80, desquels la dixiesme partie est 9 et 8 nombres cherchez.
Quand a leur difference, Comma c'est l'excez du Ton majeur sur le mineur, comme de 80 a 81.
Le Semiton mineur c'est l'excez par lequel Diton surmonte Semiditon. Voyla la proportion cy dessus, et des suiuantes.
Le Semiton moyen c'est ce qui reste apres auoir osté le Semiton majeur du Ton majeur, comme de 135 a 128.
Le Semiton majeur, c'est la difference de la Quarte, et de la Tierce majeure.
Le Ton majeur ,c'est l'excez par lequel Diapente surmonte Diatessaron.
Le Ton mineur c'est l'excez dont Diatessaron excede Semiditon: car si vous ostez de Diton le Ton majeur, restera le mineur.
[-33-] Diton est composé du Ton majeure, et du Ton mineur: vous auez sa proportion cy dessus, qui est de 5 a 4. la preuue. je veux sçauoir sçientifiquement, ou par demonstration, si sa proportion est de 5 a 4. je conjoints le Ton majeur auec le mineur, dont le Diton est composé, ainsi 9/8 10/9 puis je dis 9 fois 10 font 90, la moitié de 90 c'est 45, 45 diuisés par 3 font 15: item 15 diuisés par 3 font 5: voila le premier nombre que nous cherchions. Venons a l'autre, 8 fois 9 sont 72, la moitié de 72 c'est 36, 36 diuises par 3 font 12: item 12 diuisés par 3 font 4: doncques la proportion du Diton est de 5 a 4, comme dessus.
Semiditon est composé d'vn Ton majeur et d'vn Semiton majeur, en voyci la preuue: ignorant sa proportion quel moyen de la sçauoir? joygnez le Ton majeur, au Semiton majeur, ainsi 9/8 16/15. et puis dites 9 fois 16 sont 144, la moitié de 144 c'est 72, la moitié de 72 c'est 36. la moitié de 36 c'est 18, 18 diuisés par 3 font 6: voila le premier nombre de sa proportion. Venons a l'autre: 8 fois 15 font 120, la moitié de 120 c'est 60, la moitié de 60 c'est 30, la moitié de 30 c'est 15, 15 diuisés par 3 font 5: doncques la proportion du Semiditon c'est de 6 a 5.
Diatessaron se fait d'vn Ton majeur, d'vn Ton mineur, et d'vn Semiton majeur: sa proportion est comme de 4 a 3. la preuue, Diatessaron est composé de la Tierce majeure, du Semiton majeur ainsi 5/4 16/15. 5 fois 16 font 80, 4 fois 15 font 60; ostez les zero, restent 8 et 6: la moitié de 8 c'est 4, la moitié de 6 c'est 3, mettez 4 auec 3 c'est la proportion du Diatessaron que nous cherchons.
Le Diapente est composé de deux Tons majeurs, d'vn mineur, et d'vn Semiton majeur, c'est a dire du Diton, et Semiditon: vous sçauez sa proportion, faites en la preuue vous mesmes: que si ne la sçaués, vous la trouuerés en cette façon joignant Diton auec Semiditon ainsi 5/4 6/5: Car 5 fois 6 font 30, 4 fois 5 font 20, ostez les zero restent 3 et 2, de 3 a 2 n'est-ce pas la proportion du Diapente?
L'Exachorde majeur se compose de deux Tons majeurs, deux mineurs, et d'vn Semiton majeur: faites en la preuue, et vous trouuerez sa vraye proportion, qui est de 5 a 3, joignant Diatessaron auec Diton ainsi 4/3 5/4. 4 fois 5 font 20, la moitié de 20 c'est 10, la moitié de 10 c'est 5: en voila vn. Trois fois 4 font 12, la moitié de 12 c'est 6, la moitié de 6 c'est 3: doncques la proportion que nous demandons est de 5 a 3.
[-34-] L'Exachorde mineur comprent deux Tons majeurs, vn mineur, et deux Semitons majeurs, c'est a dire vn Diatessaron, et vn Semiditon. Voyez si vous en ferez bien la demonstration, et la preuue, et si la proportion trouuée sera semblable a celle que je vous ay marqué a la liste des Consonances: faites en de mesme de toutes les autres tant Dissonances que Consonances, et vous auez la creme de la Musique speculatiue. Mais auant que clorre ce chapitre, ce point si important estant vuidé, j'en adjouteray vn autre qui n'est pas moins digne d'estre sçeu, lequel consiste a bien entendre, et pouuoir dire promptement en quel genre de proportion est telle, où telle Consonance. Premierement lisez ce qui a esté dit au commencement de la premiere partie, touchant les proportions, et leurs especes. Secondement entendant bien leurs definitions, appliquez chaque espece a chaque Consonance, et vous trouuerez que Diapason, Diapasondiapente, Disdiapason, et cetera sont en proportion multiple: dautant que le grand nombre contient plusieurs fois le petit.
Diapente, Diatessaron, Diton, et cetera en proportion surparticuliere: pour autant que le grand nombre contient le petit vne fois, et vne partie d'iceluy, ou la moitié.
L'vn et l'autre Exachorde gist en raison et proportion surpartiante, pource que le plus grand nombre contient le moindre vne fois, et quelque partie d'iceluy.
Diapasonditon, et les deux Diapasonsdiaex consistent en proportion multiple surparticuliere, dautant que le grand nombre contient plusieurs fois le moindre, et vne partie, au la moitié d'iceluy.
Diapasonsemiditon, Diapasondiatessaron et cetera sont en raison multiple surpartiante, puis que le grand nombre contient plusieurs fois le petit, et quelques parties d'iceluy, comme deux, trois, ou quatre parties, et cetera a tant des Consonances et proportions.
[-35-] CHAPITRE VI.
La diuision du Monochorde.
IVsques a maintenant nous auons deduit les nombres, et proportions raisonables, reste que nous les facions voir a l'oeil, entendre a l'oreille, et toucher au doigt, par effet et par experience: a fin que l'oreille mesme soit juge de cette verité. Ce sera par le moyen du Monochorde, qui est vn petit coffrét sur lequel sera estenduë vne seule chorde bien raisonante, a celle fin que selon les diuisions, et sections diuerses d'icelle au moyen du cheualét mobile, elle puisse rendre fidelement les accords, et interualles que l'on desire. Aux deux bouts de cét instrument il faut attacher deux cheualets immobiles, lesquels tiendront la corde esleuée, et bandée par le benefice d'vne cheuille, qu'on tournera a plaisir et volonté. Vrayement Boëce a grandement obligé les amateurs de musique pratique, et speculatiue, [libro 4. capitulo vltimo. in marg.] lors qu'il a pris la peine de leur enseigner, et mettre en estat ce petit Monochorde, au moyen duquel ils peuuent entendre toutes sortes de Consonances, auec le cheualét mobile courant ça et la, aux diuisions faites.
Or la diuision de ce Monochorde se peut faire en deux façons: premierement en comparant toute la chorde auec ses parties: secondement en comparant les parties auec les parties de la mesme chorde.
Voicy comment.
1 Quant a la premiere façon il faut diuiser toute la chorde, A. H. en deux parties egales, et vous aurez le Diapason A a.
2 Faut diuiser ladite chorde en trois parties egales, dont l'vne sera A. E. et produira le Diapente, comparant E. auec toute la chorde.
3 La partie de la chorde qui est entre E. et H. sera diuisée en neuf parties egales, et adjoustée vne de ses parties au bas de E. sçauoir est au point D. et vous entendrés le Ton mineur entre D et E. c'est a dire sol, la.
4 Diuisés toute la chorde en six parties egales, dont les cinq seront marquées H. C. la sixiesme ce sera le Semiditon.
5 Diuisant toute la chorde en huict parties egales, et cinq d'icelles estant entre les points F. H. et les autres trois entre les points F. A. et mettant le cheualet sous le point F. contre toute la chorde, vous entendrez sonner l'Exachorde mineur.
[-36-] 6 Ayant diuisé toute la chorde en neuf parties, mettez en huict d'icelles entre les points H [sqb], et ainsi l'interualle A [sqb], faira le Ton majeur.
7 Si vous coupés la chorde depuis F. jusques a H. en neuf parties, et en prenez huict d'icelles au point G. vous aurez la Septiesme.
Quant à la deuxiesme façon de diuision du Monochorde qui consiste en la comparaison des parties auec les parties, la section estant faite;
1 Qui voudroit auoir le Comma, il faudroit diuiser la chorde totale en 161 parties comparant 80 a 81 par le moyen du cheualét mobile.
2 Si vous diuisés la chorde en 49 parties 25 d'vn costé, et 24 de l'autre, elle vous rendra le Semiton mineur. Si en 31 parties, le Semiton majeur sera produit, en laissant d'vn costé 16, et de l'autre 15.
3 Le Ton mineur est engendré au Monochorde par la section d'iceluy en 19 parties egales, dont vne moitié sera 10 et l'autre 9.
4 Le Ton majeur se fera oüir distinctement, si vous diuisés ladite chorde en 17 parties, en prenant 9 d'vn costé, et 8 de l'autre.
5 Si vous desirés entendre le Semiditon, faites la diuision en vnze parties, en sorte que le cheualét en laisse 6 d'vn costé, et 5 de l'autre.
6 Si la section de la chorde se fait en 9, elle vous sonnera le Diton aussi parfaitement, qu'il ne s'en faudra rien: moyennant que vous posiés vostre cheualét entre 5 et 4.
7. Desirez vous entendre le Diatessaron, faites la section en 7, comparant 4 auec 3, la chose est infallible estant la proportion Sesquitierce, ou dautant et troisiesme.
8 Le Diapente s'engendre, et se fait au Monochorde par la diuision d'iceluy en 5 parties egales, en conferant 3 auec 2, en proportion Sesquiautre, ou dautant et demy.
9 Tout de mesme en est il des Exachordes majeur, et mineur: dont celuy-cy se fait par la section de la chorde en 13 parties, 8 comparées a 5, celuy là se produit, la chorde estant diuisée en 8, et les 5 comparées aux 3.
10 Bref le Diapason est trop aisé: veu que sa diuision consiste en trois parties esgales, les deux estant comparées a vne, en proportion double. Ie laisse maintenant a vostre industrie la section, et diuision des [-37-] autres interualles, et Consonances au Monochorde, puis que vous en auez les proportions au Chapitre cinquiesme, comme Diapasonditon, diuisant la chorde en quatorze parties; Diapasondiatessaron en vnze, Disdiapason en cinq. Voyez les figures de l'vne, et de l'autre diuision à la fin de ce Traité.
CHAPITRE VII.
Des trois especes de Musique Diatonique, Chromatique, et Enharmonique.
VOicy vn point des plus essentielz, qui soyent en la Musique a l'opinion de plusieurs Maistres de Psallendo, ou Psallete: s'il n'est si essentiel du moins il est tres-difficile, et mal entendu: les Maistres de Theorie en parlent diuersement; mais a qui croirons-nous? mon opinion est auec plusieurs autres que le genre Diatonique est fondé en tres bonne raison, bien cognu, et facile, d'autant que ses interualles ne sont pas mal aisées. Le genre Chromatique est vn peu plus difficile, et a grand peine sçait on bien que c'est. Vne chose sçay-je bien, que la pure Chromatique n'est en aucune façon chantable, ny en vsage: ains seulement estant meslée auec la Diatonique. Quant a l'Enharmonique elle est impossible, si elle est telle qu'on la nous figure: veu que l'oreille ne peut juger de ses interualles.
Doncques pour le faire court, je dis qu'en la Diatonique les quatre chordes du Tetrachorde sont tellement ordonnées que montant du graue a l'aigu (a l'opinion de Zarlin,) le premier interualle c'est vn Semiton majeur. Le deuxiesme vn Ton majeur. Le troisiesme vn Ton mineur, montant ainsi tousiours par Tons et Semitons. C'est ce que signifie le mot mesme de Diatonique, qui est nostre musique commune.
La Chromatique (de laquelle on estime Timothée le Millesien autheur) est plus difficile, et partant moins vsitée: et quoy que cette espece ne soit si grand miracle, qu'on s'imagine; toutefois elle donne vne merueilleuse grace au chant, et a l'harmonie. C'est pourquoy elle est ainsi appellée par les Grecs; comme qui diroit colorée, donnant couleur, embellissant, et adoucissant par ses viues couleurs la Diatonique. Les Orateurs, et Peintres ont aussi leur Chrome, ou Coloris, [-38-] par lequel ils donnent lustre, et couleur a leurs oraisons, et peinture, releuant ainsi de la moitié leurs ouurages: de mesme les maistres Compositeurs se seruent de Chromatique pour donner couleur a leurs pieces, lors qu'ils vsent de dieses, et [sqb] durs, au moyen desquels ils chantent partout, c'est à dire en toute sorte de clefs, et notes, vi re mi fa sol la.
Quelques-vns ont estimé (entre autres Salomon de Caux) que cette espece monte en son premier interualle du Tetrachorde, par vn Semiton moyen. Au second par vn presque Semiton. Le troisiesme interualle est vn presque Semiditon. Le 4, 5, et 6, sont semblables au 1, 2, et 3: voila sa diuision touchant le Tetrachorde Chromatique. Mais vous pourrez voir dans son Traité la diuision de celuy de Ptolomée, et Pythagore, que luy mesme raporte, et explique.
Les autres disent, et asseurent auec plus de probabilité, que le genre Chromatique a pour premier interualle vn Semiton majeur, comme le Diatonique. Le second interualle est vne diese majeure, ou Chromatique, c'est à dire vn Semiton mineur, comme l'on verra cy apres. Finalement le troisiesme est vn Semiditon, ou vne Tierce mineure.
Le genre Enharmonique, qui veut autant dire que bien seant, et de parfaite harmonie: ainsi appellé par excellence, est bien different des autres, et point en vsage: d'autant que le sens ne peut juger bien a point de ses interualles: car le premier est vne diese mineure, ou Chromatique, qui est le Semiton mineur. Le second vne Diese mineure, ou Enharmonique. De sorte que le premier, et deuxiesme interualle, ne montent en tout que d'vn Semiton Majeur. Le troisiesme c'est le Diton, ou Tierce majeure. On dit que l'autheur de celuy cy, ç'a esté Olympius Mysien, Poëte et joüeur de fleutes.
Ces trois genres different entr'eux en ce que le Diatonique abonde en Tons, montant par vn Demi-ton majeur, vn Ton majeur, et vn Ton mineur pour accomplir son Tetrachorde: il est naturel, et le plus ancien de tous selon Plutarque. Les autres sont artificielz, et posterieurs a celuy cy.
Le Chromatique est entre le Diatonique, et Enharmonique, ce que la couleur est entre le blanc, et le noir: montant par Semitons, et premierement par vn Semiton majeur: puis par vn Semiton mineur: et enfin par vne Tierce mineure: et comme le Demiton diuisé en deux [-39-] produit l'Enharmonique: ainsi le Ton diuisé en deux Demitons fait le Chromatique.
L'Enharmonique est ainsi nommé des anciens comme le plus harmonieux, et delectable des trois, contenant en soy les deux autres genres: comme le Chromatique contient le Diatonique. L'Enharmonique monte par deux Dieses: dont le premier est majeur, le second mineur, et puis par vne Tierce majeure pour acheuer sa Quarte.
Il se sert de toutes les interualles du Chromatique, et non au contraire. On dit qu'il a esté inuenté long temps apres les autres par Olympias, comme j'ay dit: tout ainsi que le Chromatique a esté inuenté long temps apres le Diatonique par Timothée Milesien, non celuy qui força Alexandre le Grand à prendre, et quitter les armes: ains vn autre au raport de Suidas.
Plusieurs estiment qu'on n'a jamais ouy le pur Chromatique, ny le pur Enharmonique: Toutefois Aristide asseure qu'il les a tous chantés: ce qui est bien difficile a croire.
Doncques pour conclure ce Chapitre, remarquez, comme j'ay ja dit, que la Diatonique c'est la musique commune, et partant je n'en dis autre chose: Si vous voulez sçauoir plus particulierement quelque chose de la Chromatique, et Enharmonique: Voyez ce qu'en dit vn certain Vincentius Italien qui a tasché d'exprimer cette derniere par points, [rob] mols, [sqb] durs, et autres figures. Mettons quelque exemple de la Chromatique.
[Parran, Traité, 39; text: Genre Diatonique. Genre Chromatique. Genre Enharmonique.] [PARTRA 04GF]
[-40-] A quatre. Exemple de la Chromatique.
[Parran, Traité, 40] [PARTRA 04GF]
[-41-] A quatre. Autre exemple.
[Parran, Traité, 41] [PARTRA 05GF]
[-42-] [Parran, Traité, 42] [PARTRA 06GF]
CHAPITRE VIII.
De la Musique ancienne parfaite.
TOute la Musique de ce temps, au raport des anciens autheurs est imparfaite pour ce qui est des Nombres, Signes, Moeuf, Temps, Prolations, et Valeurs des Notes. Il n'est icy question que de cinq figures que l'on appelle vulgairement Maxime, Longue, Breue, Semibreue, et Minime: lesquelles sont essentieles quand aux Signes et Valeur.
Toute la perfection, en matiere de Musique pratique, consiste au Ternaire: c'est a dire au nombre de 3. c'est pourquoy il ny a que trois choses qui donnent le branle, et gouuernement, toute la chanterie roulant sur icelle comme sur ses trois piuots. Ce sont le Moeuf, le Temps, et la Prolation: on cognoist le Moeuf par les pauses qui occupent quatre lignes: le Temps par le cercle rond: la Prolation par le point mis au milieu du cercle.
Le propre de ces trois signes est d'augmenter, ou diminuer la valeur des figures: a cét effet le Moeuf ou Mode se diuise en majeur et mineur: et de rechef l'vn et l'autre en parfait et imparfait. Le majeur parfait c'est la mesure des Longues aux Maximes, c'est a dire que la Maxime [-43-] vaut autant que trois Longues. Le Moeuf majeur imparfait,c'est la mesure de deux Longues en vne Maxime.
Le Moeuf mineur parfait fait valoir la Longue autant que trois Breues, a l'aune desquelles elle se mesure, et est équiualente a neuf mesures.
Le Moeuf mineur imparfait diminuë la Longue de la troisiesme partie de sa valeur, ne valant que deux Breues, dont chacune est de deux mesures ou deux battuës.
Le Temps parfait, qui est la mesure de trois Semibreues a vne Breue, fait que laditte Breue vaut trois mesures, c'est a dire trois Semibreues: au Temps imparfait la susditte Breue n'en vaut que deux.
Bref en la Prolation parfaite la Semibreue vaut trois Minimes, ou trois figures des moindres, et en l'imparfaite n'en vaut que deux.
Exemple de ce que dessus.
[Parran, Traité, 43; text: Signes de Moeuf majeur parfait. Signes de Moeuf majeur imparfait. Signes du Moeuf mineur parfait. Signes du Moeuf mineur imparfait. Signes de Temps parfait. Quelques vns y adjoustent ceux cy. Signes de Temps imparfait. Signes de Prolation parfaite. Signes de Prolation imparfaite.] [PARTRA 06GF]
[-44-] Quelques vns tiennent que les notes et pauses doublent de la moitié en ce Signe [Cd] A. et que ce Signe parfait [Od] auec vn point au milieu fait valoir les pauses et notes de quatre mesures 6. et celles de deux mesures vne tierce partie plus qu'elles ne vaudroyent: c'est a dire que ce qui valoit quatre mesures de ce temps [Cdim on staff2] imparfait et mesure ordinaire vaut 6. et ce qui valoit 2 vaut 3. ainsi qu'en vse le sieur du Caurroy en son Christe qui lux es ex dies. B.
Exemple.
[Parran, Traité, 44; text: A. Ce Signe augmente de la moitié. Temps imparfait, mesure commune. B. Celles qui valent deux et quatre, augmentent d'vne troisiesme partie. Les notes de quatre valent six, les notes de deux valent trois: les autres notes se chantent comme si le Signe estoit imparfait.] [PARTRA 07GF]
Le Moeuf majeur parfait se marque encores ainsi [O3].
Le Moeuf majeur imparfait [C3]. Le Moeuf mineur parfait [O2].
Le Mineur imparfait [C2]. Le Temps parfait, et la Prolation comme dessus seulement, quoy qu'anciennement on les mit tout trois ensemble par deux cercles l'vn dans l'autre, et vn point au milieu. Le grand cercle represente le Moeuf: le petit le Temps: et le point la Prolation.
D'icy je conclus la verité de ces principes et axiomes des Anciens, que la perfection de la Musique quand au chant, et valeur des figures, consiste au nombre Ternaire, et son imperfection au Binaire: puis qu'il faut trois Longues pour la Maxime au Moeuf parfait, et deux a l'imparfait: au Temps parfait trois Semibreues pour la Breue, et deux a l'imparfait. En la Prolation parfaite trois Minimes mesurent la Semibreue; et deux en l'imparfaite. Ce nonobstant je confesse que ces choses dependent fort de la volonté des hommes, puis que diuers autheurs en parlent diuersement.
[-45-] CHAPITRE IX.
De l'augmentation et diminution des figures.
APres auoir leu ce que les autheurs disent de cette matiere, j'aduoüe que je n'ay esté content: car au lieu de m'esclarcir ils m'ont rendu plus confus: toutefois voicy ce que j'en ay peu conceuoir, et tirer au vray, bien qu'entre eux ils ne s'accordent en tout.
Pour bien entendre le tout, il faut sçauoir qu'il y a proportion egale et inegale: egale quand la Semibreue vaut vne mesure, comme en ces Signes [O] [C]. [O2]. [C2]. inegale quand il faut plusieurs Semibreues pour vne mesure.
Proportion inegale majeure, est lors que le grand nombre est comparé au petit comme 4 a 2.
Proportion inegale mineure, quand le moindre est comparé au plus grand, comme 2 a 4.
Les proportions augentes, ou d'inegalité majeure, sont celles ausquelles les figures augmentent, et se cognoissent lors que le nombre superieur est moindre que l'inferieur. Telles sont la Subduple, Subtriple, Subquadruple et cetera comme vous voyez icy 1/2 1/3 1/4 : car l'augmentation qui n'est autre qu'vn accroissement de la valeur des notes, ou des pauses de plus que de leur valeur essentielle, se fait en trois manieres. Premiere. Par l'opposition du signe de Prolation majeure au signe de Prolation mineure touchant la Semibreue ainsi [Od] [O] [C]. et alors la Semibreue vaut trois battuës. Seconde. Par les susdites proportions d'inegalité mineure. Troisiesme. Par la prescription d'vn Canon a la volonté du Compositeur faisant que la Breue vaille vne Maxime, la Semibreue vne Longue et cetera ce qui est arbitraire comme vous voyez.
La diminution se fait en quatre façons. Premierement par le nombre Binaire ainsi [O2]. [C2]. Secondement par l'addition des Virgules, [Odim] [Cdim] Troisiesmement par le demy cercle au rebours [CL]. En quatriesme lieu par les proportions d'inegalité mineure, que l'on appelle diminuantes, qui sont la Double, Triple, Quadruple, Sesquiautre, ou Hemiolia, Sesquitierce et cetera ainsi 2/1 3/1 4/2 3/2 4/3 et cetera.
Les Signes de la Double sont ceux cy. [Odim] [Cdim]. [O 2/1]. C 2/1].
Les Signes de la Quadruple ceux cy. [Cdim] [CL]. [Cdim 2].
[-46-] Les Signes de la Triple ainsi. [Odim 3/1] [Cdim 3/1] [O 3/1]
En la Soustriple la valeur des notes augmente de la tierce partie: de sorte que la Semibreue vaut trois Semibreues: ainsi des autres figures.
La proportion de Sesquialtera resemble a la Triple: mais il y a cette difference qu'en la Triple trois Semibreues sont limitées a vne mesure, et Sesquialtera n'a autre esgard que de faire chanter aussi-tost trois notes que deux, comme l'on void dans Claudin frequemment: les Signes sont telz [O 3/2] [C 3/2] [Odim 3/2] [Cdim 3/2].
Mais il y a Sesquialtera de Temps, et Sesquialtera de Prolation: voyez Franchin Gaffore, au liure 2. ch. 14. de la diminution et augmentation. Hemiolia est appellé 3 pour 2. pour ce que trois Semibreues sont aussi-tost chantées que deux Minimes, et il y a Hemiolia de Temps, et Hemiolia de Prolation.
La proportion Sesquitierce, et l'Epitrite, c'est la mesme, et se trouue en pratique lors que quatre notes semblables en espece, sont aussi tost proferées que trois.
[Parran, Traité, 46; text: Exemple de Sesquialtere. A. Exemple de Sesquitierce. B.] [PARTRA 07GF]
CHPITRE X.
De la perfection et imperfection des notes.
TOute la perfection Musicale en matiere de nombres, et proportions, consiste au nombre de 3. comme j'ay dit cy dessus. Or cette perfection vient a manquer en deux façons: sçauoir est par l'abondance de quelque note, qui est en la perfection ou par le defaut d'icelle. [-47-] Quand vne note entre plusieurs autres defaut, l'vne des deux, sçauoir est la suiuante, doit estre double, et par ainsi se fait l'alteration.
Trois choses marquent l'imperfection. Premiere Si la note abonde. Seconde Si le point de diuision y est. Troisiesme La couleur noire, laquelle fait perdre la troisiesme partie de sa valeur a la Longue, Breue, et Semibreue en Musique parfaite, et la quatriesme partie en Musique imparfaite. De sorte que l'imperfection, ou diminution n'est autre que la perte d'vne partie de la valeur d'vne note parfaite au nombre de 3. ce qui est seulement vray aux Signes parfaits.
Quand a l'alteration elle n'est autre qu'vn redoublement d'vne petite figure a l'egard d'vne grande. Franchin lib. 2. ch. 13. tient qu'il y a quatre notes alterables, la Longue, la Breue, la Semibreue, et la Minime, et dit que la Maxime n'altere jamais, pour ce qu'elle n'en a point de plus grande que soy. Ce ne sont pas les pauses qui alterent, ains les notes seulement: et l'alteration ne tombe point sur la premiere: mais seulement sur la seconde note, et ce aux degrez parfaits, a raison du defaut d'vne note necessaire pour accomplir le nombre ternaire.
Quelques autres asseurent que la Maxime seulement reçoit alteration, et imperfection, sans alterer les autres figures appellées pour cette raison Patiente. La Minime altere les autres sans estre alterée, et partant nommée Agente: mais la Longue, la Breue, et la Semibreue, alterent les autres, et reçoiuent elles mesmes en soy alteration, et imperfection: et par ainsi dittes Agentes, et Patientes.
La grande figure ne peut alterer, n'y diminuer la petite: n'y l'egale son egale: mais si fait bien la petite, la grande, tant deuant qu'apres soy, et ce toujours, si le Point de diuision n'interuient, qui empeche.
Or il faut noter que si vne petite note suit apres vne grande, elle luy fera perdre autant de sa valeur qu'elle en a en soy, n'estoit que le Point de diuision interuint, et l'empechat.
Si la Breue suit apres la Longue, elle luy fera perdre tout autant de sa valeur qu'elle vaut: tellement qu'elle ne vaudra plus que deux Breues. Le mesme faut-il dire de la Semibreue si elle suit apres la Longue: car la Longue, laquelle estant parfaite selon le Moeuf et le Temps, vaut neuf Semibreues: si apres icelle suit vne Semibreue, n'en vaudra plus que huict. Item la Longue, laquelle estant parfaite de Moeuf, et imparfaite de Temps, vaut six Semibreues, si vne Semibreue suit apres n'en vaudra plus que cinq. Tout de mesme, si apres vne Breue vous [-48-] mettez vne Semibreue, comme auparauant elle valoit trois Semibreues, maintenant elle n'en vaudra que deux, pourueu qu'aucun point n'interuienne. Iugez, et dites le mesme de la Prolation parfaite.
C'est aussi vne maxime que la semblable deuant sa semblable, n'admet aucune alteration ou imperfection. Toutefois et quantes que le Maistre, qui donne le branle et mouuement au chant, veut que l'on chante legerement, et gayement, sans diminution quelconque de valeur, il tire vne ligne a trauers le cercle, ou demy cercle, nommant cette vitesse de Tact, ou mouuement, diminution.
La diminution, et augmentation qui se fait par proportion de nombres qu'on adjouste aux Signes, est digne des doctes oreilles, d'autant qu'elle est fondée sur les preceptes indubitables de l'art, et de la raison. Voyez en l'exemple mesme en parties, apres que nous aurons deduit la question du Point Musical.
CHAPITRE XI.
Des Points Musicaux.
TOuchant les Points, les opinions sont vn peu differentes: quelques vns en mettent quatre, a sçauoir de perfection, de diuision, d'alteration, et d'augmentation. d'autres n'en reçoiuent que deux, le Point d'augmentation, et le Point de diuision. Il est vray qu'ils diuisent celuy cy en Point de perfection, d'alteration, et de diminution, ou d'imperfection: ce qui reuient tout en vn. Le premier se nomme le Point d'augmentation, ou d'addition, faisant valoir sa note d'vne moitié plus qu'elle ne vaudroit. Le second le Point de diuision, qui diuise et separe vne note de l'autre pour accomplir le nombre de trois, requis en tout degrez, et Signes parfaits. Ce Point se diuise en Points de perfection, d'alteration, de diminution, ou imperfection. Le Point de perfection conserue et declare la perfection de la note. Le Point d'alteration fait redoubler la valeur non de la note voisine: ains de celle qui suit la voisine. Le Point de diminution ou d'imperfection, qui est le mesme, est celuy par lequel deux Breues sont renduës imparfaites: et partant ne valent que deux Semibreues chacune, lesquelles sans lesdits Points eussent esté parfaites, et valu chacune trois.
[-49-] [Parran, Traité, 49,1; text: Exemple. 1, 2, 3, Point d'augmentation. Point de perfection. Point d'alteration. Point d'imperfection, ou diminution. Point de diminution. A.] [PARTRA 07GF]
Trois Semibreues estant enfermées entre deux Breues, et le Point de diminution diuisant, et separant les deux premieres Semibreues, la premiere Breue vaut deux, et la troisiesme Semibreue est alterée, comme vous voyez cy dessus au dernier exemple du Point de diminution. A.
[Parran, Traité, 49,2; text: A DEVX. Subquadrupla augmentation de la Quadruple. Destruction d'icelle. A quatre. Subquadrupla. Augmentation de la Quadruple. Quadrupla. Diminution de la Quadruple. Subdupla. Augmentation de Semidité. Dupla. Diminution de la moitié.] [PARTRA 08GF]
Icy il ne faut auoir esgard aux Signes, ains seulement aux nombres, lesquels augmentent, ou diminuent la valeur des figures, selon qu'elles sont ordonnées et posées en haut ou en bas, en proportion d'inegalité majeure ou mineure.
[-50-] TROISIESME PARTIE EN LAQVELLE SERA TRAITE de la maniere de composer.
CHAPITRE I.
De la Composition en general.
IAçoit que pour l'ordinaire ceux qui desirent apprendre a composer en Musique, doiuent sçauoir la verbo et la solfo, et tenir leur partie seurement: toutefois nous voyons que quelques vns a force de sçience Theorique, ou Speculatiue, composent assez bien, et font passablement le Contrepoint simple: c'est a dire note contre note, ou pour mieux dire nombre contre nombre: mais au reste ils ne sçauroyent chanter leur ouurage a faute de Pratique. C'est la Theorie qui leur donne cette cognoissance par le moyen des Proportions, et des Nombres, tant Arithmetiques, Geometriques, qu'Harmoniques, qu'ils possedent, et entendent parfaitement bien.
Si vous voulez apprendre la Composition seulement par art, et par Proportions, voire mesme par Pratique, je vous mettray en auant quelques moyens qui vous ayderont a cela. Premier Par lettres Alphabetiques. Second Par nombres Arithmetiques. Troisiesme Par nombres Harmoniques: car pour le regard des proportions Geometriques, je vous ay donné la façon de trouuer toutes sortes de Consonances sur le Monochorde, par diuerses sections d'vne chorde tenduë. Quatriesme Par conjonctions d'accords, ou Consonances, auec les figures de Musique en Contrepoint simple et figuré, ce qui appartient seulement aux Maistres qui en sont profession, et sçauent manier la Melopée, quoy qu'auec le temps, et a la longue vous y puissiez arriuer par vostre industrie, si vous le desirez.
Ie ne dis rien de la façon de chanter sur le liure, et sur la partie, veu que plusieurs le font sans sçauoir Composer, bien que ce soit vne espece et rude commencement de Composition, celuy là consistant à de chanter sur vn Plainchant, et celuy cy sur la Musique figurée. Apprenons donc a Composer puis qu'il n'est pas mal aisé.
[-51-] De la composition des Consonances en faueur de ceux qui la veulent apprendre.
1. Les bons accords sont l'Octaue, la Quinte, la Quarte, la Tierce, la Sexte, et leurs repliques.
2. Les faux accords la Seconde, la Septiesme, auec leurs repliques, et la Quarte, laquelle aucune fois passe pour Dissonante a l'opinion de quelques vns. Pour ce qui est de la fausse Octaue, de la fausse Quinte, et du Triton, j'en parleray ailleurs.
3. Deux Octaues, deux Quintes, et deux Quartes de mesme espece ne valent rien de suitte, si ce n'est par mouuement contraire: par ce qu'elles ne font aucun effet a faute de varieté.
4. Deux Sextes majeures, et deux Tierces majeures de suitte, sont defenduës ordinairement.
5. Deux, et trois Sixiesmes mineures, et tout autant de Tierces mineures sont bien permises par fois: mais si on les varie, mettant la majeure apres la mineure: ou la mineure apres la majeure, l'accord en sera bien meilleur et plus doux.
6. La Tierce, et la Sixiesme deuant l'Octaue, doiuent estre majeures, comme estant plus proches de leur terme: et la Tierce mineure deuant la Quinte, pour esuiter la fausse relation du Triton.
On ne passe point de la Sexte majeure a la Tierce majeure, ny de la mineure a la mineure, sans necessité, si on veut fuir les fausses relations.
7. Sur vn Diese de Basse, ou autre partie, on ne met jamais d'Octane ny de Quinte: mais au lieu d'icelle on double la Tierce ou la Sexte.
8. La Quinte imparfaite ne vaut rien de soy, si ce n'est vne seconde note liée, ou par syncope: encor faut-il que la Tierce majeure suiue apres immediatement.
9. La fausse Quarte, ou Triton, est bonne en liaison et syncope, pourueu que la Sexte mineure vienne incontinent apres.
10. La Quarte et la Sexte tiennent lieu de Tierce et de Quinte, lesquelles s'accompagnent d'ordinaire dans le Contrepoint, pour faire vn excellent effet.
11. La Seconde est sauuée par la Tierce, la Quarte par la Tierce, par la Sexte, et par la Quinte, et la Septiesme par la Sexte. Vous verrez cy apres les exemples de ce que dessus.
[-52-] 12. Il est apropos de commencer et finir le Contrepoint tant simple que figuré, par vn accord parfait, c'est a sçauoir par l'Vnisson, et Octaue, plustot que par la Quinte, ce qui est bien fondé en raison, authorité, et experience. Voyez Zarlin en la troisiesme partie de ses institutions Harmoniques.
13. Composant a plusieurs parties, il ne faut point tant s'arrester a faire des fugues, comme de bons et excellents Contrepoints.
14. Il ne faut jamais faire finir vne partie par la Tierce mineure a la fin de la piece: ains par la majeure, et tant que faire se pourra par vne Dixiesme majeure, et non mineure, ny Tierce majeure que rarement: car c'est la Dixiesme majeure qui embellit parfaitement vne composition.
Des Tierces majeures et mineures.
1. Deux Tierces mineures de suite sont bonnes, pourueu qu'elles soyent inegales, et exemptes de relation non Harmonique: quelques vns toutefois les excusent en degrez conjoints. A.
2. Deux Tierces majeures de suite sont mauuaises, horsmis en vne cadence finale: comme la sol auec le [x] contre fa mi. B.
3. On va d'ordinaire de la Tierce mineure a l'Vnisson par mouuement contraire, et degrez conjoints, ou par separez sur vne mesme note. C.
4. Quand on va de la Tierce a la Quinte par mouuement contraire, et degrez conjoints, ce doit estre la mineure. Si vne partie tient ferme sur vne mesme corde, la Tierce majeure sera meilleure que la mineure. D.
5. Quand les deux parties montent ou descendent ensemble par degrez conjoints ou separez en vne partie, ou en toutes les deux, allant de la Tierce a la Quinte, cela se peut faire par la Tierce majeure, ou mineure: toutefois quelques vns estiment la majeure meilleure. E.
6. Les deux parties montant et allant de la Tierce a l'Vnisson, ou de la Dixiesme a l'Octaue, ce doit estre la majeure, non la mineure: si ce n'est que la troisiesme partie fasse la Sexte. F.
7. Si on fait les deux notes contre vne de la partie basse, la premiere estant vne Tierce, la deuxiesme doit estre vne Sexte, montant ainsi toujours de l'accord imparfait a l'imparfait: et au contraire du parfait au parfait: quoy que par fois l'on puisse faire autrement. G.
[-53-] 8. La Tierce mineure demande deuant et apres, non seulement la Quinte, comme il a esté dit, voire mesme la Dixiesme mineure, et l'Octaue par fois par mouuement contraire. H.
9. La Tierce majeure ne vaut rien deuant ny apres la Quinte, deuant ny apres la Sexte majeure par mouuements contraires, a cause de la fausse relation. I.
10. Il faut fuir aussi la Tierce mineure deuant ou apres la Sexte mineure. K.
11. La Tierce mineure doit preceder la Sexte majeure, et pour l'Octaue elle la peut aussi preceder par fois. Elle desire naturellement l'Vnisson apres soy, et la Tierce majeure. L.
12. La Tierce mineure se met quelque fois deuant la Quarte par syncope. M.
13. La Tierce majeure requiert naturellement le Diapente par mouuements semblables: et lors qu'vne partie tient ferme sur vne note. N.
A propos des deux Tierces mineures de suitte, j'auois oublié d'en dire ce qui s'ensuit. Notez qu'il y en a de deux sortes, dont les vnes sont egales, et les autres inegales: les egales sont composées de Tons, et Semitons semblables, sans aucune varieté, lesquelles il faut fuir tant que faire se peut. Exemple O.
Les Tierces mineures inegales sont composées d'vn Ton majeur, et d'vn Semiton majeur: d'vn Semiton majeur, et d'vn Ton majeur: le Semiton majeur se rencontrant au premier lieu et au second: et au contraire, ou vous voyez qu'il y a de la varieté, et partant bonnes. Exemple. P.
C'est merueille de voit le changement qu'apporte le Semiton majeur: car de la diuerse situation d'iceluy procedent les Modes, la variation du Diapason, de la Quinte, et de la Quarte: la relation harmonique, et beaucoup d'autres choses. De là vient que deux Tierces majeures sont plus estroitement defenduës de suitte, que deux mineures: d'autant qu'elles n'ont point de relation harmonique entr'elles: c'est a dire de Semiton majeur: car bien que te Ton majeur, et le Ton mineur varient se trouuant au premier et second lieu: toutefois cela n'est rien dire, a cause que cette relation harmonique du Semiton majeur ne s'y rencontre point, qui fait toute la varieté en la Musique: et de fait si vous composez trois ou quatre mesures sans ce Semiton majeur, vous entendrez vn mauuais effet.
[-54-] A devx. Exemple de ce que dessus.
[Parran, Traité, 54; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, Deux Tierces mineures de suite, bonnes. Tierces majeures mauuaises. Bonnes. Cet effet est mauuais.] [PARTRA 09GF]
[-55-] [Parran, Traité, 55; text: A devx. L, M, N, O, P, Tierces majeures illicites.] [PARTRA 10GF]
Des Sextes majeures et mineures.
1. La Sexte majeure demande naturellement l'Octaue, a cause de sa proximité, par degrez conjoints, et mouuements contraires: et lors aussi qu'vne partie tient ferme sur vne mesme note. A.
2. Si apres la Sexte majeure on ne met point l'Octaue, on peut mettre quelqu'autre Consonance imparfaite: comme la Sexte mineure, ou majeure. B.
3. La Sexte majeure doit estre suiuie de la mineure par mouuement semblable, et degrez conjoints. C.
[-56-] 4. La Sexte majeure deuant la Tierce majeure, et mineure, tres bonne par mouuements semblables, et par contraires seulement la mineure. D.
5. La Sexte mineure demande la Quinte, comme la plus proche: E. au defaut de laquelle on luy donne la Tierce majeure ou mineure. F.
6. On va d'ordinaire de la Sexte mineure a la Tierce majeure: G. mais jamais de la Sexte majeure ny de la mineure a l'Octaue par degrez disjoints. H.
7. Quand on va de l'imparfaite a la parfaite, il faut que ce soit par la plus prochaine. I.
8. La Sexte majeure veut l'Octaue en montant, et la Sexte mineure la Quinte en descendant. K.
9. Par fois la Quinte peut suiure la Sexte majeure par syncope. L.
10. On peut aussi aller aucune fois de la Sexte mineure a l'Octaue, par le moyen d'vne dissonance mise entre deux: et pareillement aussi de la Dixiesme majeure a l'Octaue. M.
Il est mal aisé d'obseruer tout cecy a plusieurs parties: mais a deux parties il le faut obseruer estroitement: car les fautes sont entenduës aisement quand il y a peu de parties.
Exemple de ce que dessus.
[Parran, Traité, 56; text: A devx. A, B, C, D, E] [PARTRA 10GF]
[-57-] [Parran, Traité, 57; text: E, F, G, H, I, K, L, M, De la Sexte majeure a l'Octaue tres bon. De la Dixiesme majeure a l'Octaue, Bon auec cette suitte en bas. Mauuais sans cette suitte. Bon a l'opinion de quelques vns. Meilleur.] [PARTRA 11GF]
[-58-] De la Quinte, et de sa suite.
1. la Quinte, ou le Diapente se peut mettre deuant le Diapason par quelque mouuement que ce soit. N.
2. La Tierce, et la Sexte majeure peuuent suiure la Quinte par mouuements semblables, O. ou bien quand il ny a mouuement qu'en vne partie. P.
3. La Tierce, et Sexte mineures peuuent mieux suiure la Quinte par semblable, et contraire mouuements. Q.
4. Le Diapente ne doit point estre mis deuant ny apres la Tierce majeure par mouuements contraires: R. quoy que par fois il le puisse deuant la Dixiesme majeure. S.
De l'Vnisson a la Quinte.
1. Cet effet ne vaut rien par semblable mouuement, si bien par contraire, et sur vne mesme corde. A.
2. De la Quinte a l'Vnisson, bon effét par mouuement contraire, et degrez conjoints en la partie aiguë, et sur vne mesme corde en vne des deux parties. B.
3. De l'Vnisson a la Quinte, et de l'Octaue a la Douziesme, ne vaut rien par semblable mouuement: par contraire, et degrez separez non plus. C.
De l'Octaue a la Quinte.
4. De l'Octaue a la Quinte par contraire et semblable mouuement: mais conjoint en vne partie, tres bon: comme aussi sur vne mesme corde: si le mouuement est semblable et disjoint il ne vaut rien. D.
5. De la Quinte a l'Octaue c'est vn effet licite a degrez conjoints, par l'vn et l'autre mouuement, et sur vne mesme corde: mais si les deux parties montent, et descendent ensemble par degrez separez, l'effet n'en vaudra rien, et partant illicite. E.
De l'Vnisson apres la Quinte.
1. De la Quinte a l'Vnisson bon effet par contraire mouuement, et degré conjoint en la partie aiguë, ou sur vne mesme corde: mais par semblable, et contraire mouuement, le degré estant conjoint en la Basse, ou separé en toutes les deux parties, il ne vaut rien. F.
[-59-] 2. De l'Vnisson apres l'Octaue: ou de l'Octaue apres l'Vnisson est vn bon effet: pourueu qu'vne des deux parties demeure sur vne mesme corde ou note: mais il est defendu par mouuement contraire. G.
3. Il faut entendre le mesme des Consonances composées que des simples: car il est permis d'aller de la Douziesme a la Quinte, et de la Quinte a la Douziesme par mouuement contraire et separé. H.
4. On ne peut aller d'vne Consonance parfaite a vne autre parfaite de diferente espece, par degrez separez et mouuement semblable: quoy qu'on le puisse par conjoints, voire par separez si le mouuement est contraire. I.
5. On peut passer de la Quarte a la Quinte, et de la Quinte a la Quarte pourueu qu'vne partie tienne ferme sur vne mesme note: que si apres la Quarte les deux parties montent ou descendent ensemble, on ne doit point mettre la Quinte apres laditte Quarte. K.
Notez que plusieurs des susdits effets illicites, et defendus, se peuuent faire en certaines compositions, selon le nombre des parties qu'il y a.
Exemple de la Quinte, et de sa suite.
[Parran, Traité, 59; text: A devx. N, O, P, Q, R, S] [PARTRA 12GF]
[-60-] Exemple de l'Vnisson a la Quinte. A devx.
[Parran, Traité, 60; text: A, Exemple de la Quinte a l'Vnisson, et de l'Vnisson a la Quinte. B, C, D, E, Par semblable mouuement ne vaut rien. Par contraire disjoint non plus. De l'Octaue a la Quinte bon effet. Par semblable mouuement disjoint mauuais. Bon.] [PARTRA 12GF]
[-61-] [Parran, Traité, 61; text: A devx. E, F, G, H, I, K, Bon. Mauuais.] [PARTRA 13GF]
[-62-] Exemple de quelques autres mouuements ou efféts tant licites qu'illicites
[Parran, Traité, 62; text: A devx. Passages licites. Les mouuements suiuants tous vicieux. Bon au sens. Tous ces mouuements sont parfaitement bons. 3. meilleure a cause qu'elle est majeure] [PARTRA 14GF]
[-63-] [Parran, Traité, 63; text: Bonne Tierce mineure. Zarlin les fait passables: il faut fuir. Bon en Syncope. Bon. Mauuais, et illicites effets. La 6. mineure d'ordinaire doit preceder la fausse 5. et la 3. mineure la suiure. Mauuais a cause du degré disjoint. Bonne 3. deuant la fausse 5. Bonne a l'opinion de quelques vns. Le Triton est sauué par la Sixiesme mineure, et degré conjoint. Bonnes Cadences. Ces effets ne valent rien a cause que la Syncope est par degrez separez.] [PARTRA 15GF]
[-64-] [Parran, Traité, 64; text: A trois. Pour esuiter la fausse relation. De la fausse Quinte. Du Triton contre la Basse et entre les parties. Bons effets.] [PARTRA 16GF]
De la Quarte.
La Quarte se peut placer tant au graue qu'en l'aigu: elle est meilleure en l'aigu, et estant conjointe auec les Consonances imparfaites, il faut qu'elles soyent majeures, afin qu'elle en soit plus douce, comme vous voyez cy dessous. Si elle est au graue, la Tierce majeure sera plus agreable en l'aigu que la mineure. B. Si la Quarte est en l'aigu, la Tierce majeure meilleure causera la Sexte majeure. C. Quand la Quarte est mise au graue, elle doit preceder la Tierce majeure, ou mineure, et plustot la majeure a cause de la proximité: ce qui se doit entendre quand la syncope se fait. D. O.
[-65-] [Parran, Traité, 65,1; text: Quarte tres bonne. Moins bonne. Tres bonnes. Passables. Quarte en Syncope. B, C, D, O.] [PARTRA 16GF]
I'auois oublié a dire que l'on void frequemment chez du Caurroy la cadence rompuë, le redoublement de la Quarte, et le progrez de Septiesme et Neufiesme, tout cela est bon: mais il faut esuiter ces derniers icy quand la Septiesme, et la Neufiesme sont si proches, qu'il ny a qu'vne ou deux notes entre deux, n'estoit qu'on peut prendre aysement, et bien a propos l'Octaue de laditte Septiesme comme seroit en Cadence.
Exemple du progrez de la Neufiesme et Septiesme.
[Parran, Traité, 65,2; text: Les progrez de Neufiesme et Septiesme sont bons, a cause de la multitude des notes qui sont entre deux. Mauuais progrez. Bon en Cadence.] [PARTRA 16GF]
Pratique de la Composition a deux, en diuerses façons, et puis a 3. et a 4.
Ayant veu les preceptes du Contrepoint en destail, et par pieces, et ce qui se peut faire a 2, a 3, et a 4. Reste que nous les reduisions en pratique a nostre ordinaire. Ie mettray doncques en auant quelques Contrepoints diuersement variez sur vne partie.
[Parran, Traité, 65,3; text: Les parties suiuantes sont toutes contre ce sujét. Autrement.] [PARTRA 16GF]
[-66-] Autre Sujét diuersement couché.
[Parran, Traité, 66; text: Les parties suiuantes sont toutes contre ce sujét. Sur le mesme Sujét a 2, a 3, a 4, a 5, et a 6. Ce Contrepoint ne vaut rien a cause de deux fausses relations de Triton. Bon a plusieurs parties. A 2. proprement. A 3. A 4. A 5. A 6.] [PARTRA 17GF]
[-67-]Autre Sujét a 2, a 3, et a 4.
[Parran, Traité, 67; text: A. Les parties suiuantes sont contre ce Sujét. A deux contre ce Sujét, Premiere façon de Contrepoint. Seconde façon a deux. Troisiesme, Quatriesme, Cinquiesme, Sixiesme] [PARTRA 18GF]
[-68-] A Trois sur le mesme Sujét.
[Parran, Traité, 68] [PARTRA 19GF]
[-69-] A Quatre sur le mesme Sujét.
[Parran, Traité, 69] [PARTRA 20GF]
[-70-] A Quatre sur le mesme Sujét.
[Parran, Traité, 70] [PARTRA 21GF]
[-71-] Autre Contrepoint a Trois.
[Parran, Traité, 71] [PARTRA 22GF]
[-72-] CHAPITRE II.
Reigles de la Composition, pour ceux qui ne sçauent pas la pratique de la Musique.
1. FAut auoir en main, ou plustot en l'esprit les proportions Geometriques du Monochorde, et les Arithmetiques, les appliquant aux Harmoniques, comme je les ay mises par ordre parlant des Consonances. Voyez les aussi cy apres en la table des accords Synonymes, au Chapitre 4.
2. Faut sçauoir que les principales Consonances sont Diapason, Diapente, Diton, et Diapasonditon, qui est la double du Diton et cetera. Ce sont les trois accords que l'on doit distribuer aux parties composant a quatre, chacune faisant l'accord qui luy est le plus conuenable.
3. On doit chercher les plus proches accords pour l'ordinaire, a quoy seruira de sçauoir que les quatre parties sont le Dessus, la Haute-Contre, la Taille, et la Basse. Si le Dessus fait Disdiapason, la Haute-Contre fera Diapasondiapente, et la Taille Diapasonditon: mais voicy l'ordre meilleur, et plus facile. Le Dessus doit faire Diapasonditon: la Haute-Contre Diapason, et la Taille Diapente: et tout cela a l'egard de la Basse, qui est le fondement auquel toutes les parties se doiuent raporter, et estre soutenuës, bien qu'entre elles ne soyent gueres bien Consonantes. Finalement si le Dessus fait le Diapason, la Haute-Contre fera le Diapente, et la Taille Diton, ou Semiditon, qui sont les plus proches accords.
4. Faut transporter vos proportions, ou Consonances trouuées, et les agencer sur les lignes de Musique qui sont cinq, ou bien sur les espaces entre les lignes: quoy que vous le puissiez sans vous seruir de lignes.
5. Notez qu'il ny a que six voix, ou notes, nommez les comme vous voudrez. On les nomme ordinairement Vt, ré, mi, fa, sol, la: nous les nommerons icy G, A, B, C, D, E, F. I'ay mis la Septiesme afin que recommençant, et reprenant G, apres la Septiesme nous venions a la Huictiesme, qui sera le Diapason, montant de la sorte si haut que nous voudrons en doublant les lettres. Tellement que doublant trois fois A, a, a: et vsant de grand, petit, et moyen a, vous ferez le Disdiapason, et ainsi des autres lettres. Mettons vn exemple, et composons par lettres.
[-73-] [Parran, Traité, 73,1; text: Le Dessus dira, La Haute-Contre- La Taille. La Basse. a, b, c, d, e, f, g, A, B, C, D, E] [PARTRA 23GF]
La raison de cecy est que supposant qu'il y a lettres basses, et lettres hautes, les vnes a la double, les autres a la triple, et quadruple: le C bas ou grand fait le Diton contre A bas. E le Diapente, l'a de la double fait le Diapason. Le c mediocre Diapasonditon: l'e, le Diapasondiapente, et le petit a de la quadruple fait le Disdiapason et cetera C'est ainsi que cette Melopée a esté faite: car auec la premiere lettre A la Taille fait le Diapasonditon, qui est c. la Haute-Contre le Diapasondiapente, qui est e. et le Dessus le Disdiapason, qui est a, et ainsi des autres. Voicy la mesme chose reduitte en notes de Musique.
[Parran, Traité, 73,2; text: Dessus. Iesvs amor noster crucifixus. Haute-Contre. Taille. Basse.] [PARTRA 23GF]
[-74-] CHAPITRE III.
Pratique de la Composition par nombres Arithmetiques.
LA Composition qui se fait par nombres Arithmetiques, est plus aysée que la precedente, qu'ainsi ne soit voyez en l'experience.
Pour signifier et exprimer en chaque partie, Vt, ré, mi, fa, sol, la, nous mettons 1, 2, 3, 4, 5, 6: et pour monter plus haut adjouterons 7 et puis 8. sera le Diapason contre l'vnité. 10. Diapasonditon. 12. Diapasondiapente, et ainsi des autres. S'il est de besoin de descendre plus bas que 1. il se faut seruir de 4, 3, 2, et l, s'il faut descendre quatre chordes plus bas: si trois, on se seruira de 3, 2, et 1. seulement.
En cecy vous voyez que le Chifre mesme, ou les nombres vous montrent qu'elle Consonance c'est: voyez ce petit Motet a quatre par composition de nombres.
Dessus. 4 4 5 4 4 3 4 2 2 1 1 1 1. Haute-Contre. 5 6 6 6 5 5 5 4 4 3 3 2 3. Taille. 6 7 7 6 6 5 6 4 5 3 4 3 4. Basse. 1 4 2 6 8 5 3 4 2 3 1 5 1.
Voicy le mesme reduit en notes de Musique.
[Parran, Traité, 74; text: Dessus. Iesvs amor noster pro nobis crucifixus. Haute-Contre. Taille. Basse.] [PARTRA 23GF]
[-75-] Autre exemple a Quatre, par nombres Arithmetiques.
[Parran, Traité, 75; text: Basse. Taille. Haute-Contre. Dessus. Sancta Maria succurre fidelibus tuis. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10] [PARTRA 24GF]
CHAPITRE IV.
De la Composition par nombres Harmoniques.
CEtte façon de composer est beaucoup plus excellente, et docte que les autres deux: mais tres difficile, pour ce que comme vous sçauez les nombres Harmoniques sont les principes, et fondements de toute bonne Musique pratique: d'ou resultent diuerses proportions, qui sont choses tres mal aysées. Pour cette cognoissance je me seruiray de six nombres, 1, 2, 3, 4, 5, 6. puis que le nombre Senaire contient toute sorte de Consonances en perfection, comme nous auons dit ailleurs, si ce n'est que je sois contraint par necessité d'vser d'autres nombres plus grands pour fournir les trois accords ordinaires aux quatre parties.
Sçachez donc que 2. comparez a 1. c'est le Diapason. 2. comparez a 4. c'est le mesme. 3 a 2. le Diapente. 3 auec 1. Diapasondiapente. 4 auec 3. Diatessaron. 4 auec 1. Disdiapason. 5 auec 1. Disdiapasonditon, ou la quintuple. 5 auec 4. Diton. 6 auec 5. Semiditon. 6 auec 4. Diapente. auec 3 Diapason. auec 2. Diapasondiapente. auec 1. c'est la Sextuple, c'est a dire Disdiapasondiapente.
Cela suposé il vous sera aysé maintenant de composer Harmoniquement La Basse qui est le Sujét se seruira seulement du nombre 2 placé en tel lieu qu'on voudra: et les autres parties se seruiront de diuers [-76-] nombres Harmoniques, c'est a dire feront harmonie contre le 2. de la Basse. Escriuez donc premierement le Sujét en nombres Arithmetiques respondants aux Harmoniques ainsi.
Le Sujét par nombres Arithmetiques respondants aux Harmoniques,
1 5 3 4 5 1 8 6 6 5 1. Laudate Dominum in sanctis ejus. Dessus. 8 5 4 6 5 8 5 5 5 6 10. Haute-Contre. 6 4 5 5 4 6 3 4 4 5 8. Taille. 5 3 5 4 3 5 2 3 3 4 6. Basse. 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2.
On peut faire encor d'vne autre façon si on veut, gardant ces quatre preceptes.
1. Seruez vous de ces trois nombres seulement a la Basse, a sçauoir 2.4.5.
2. Les autres parties vseront de ceux-là, et de tous les autres qui seront necessaires pour faire diuerses Consonances auec le Sujét posé le premier.
3. Vous composerez a vostre fantasie tout ce que vous voudrez, moyennant que vous mettiez toujours les trois accords ordinaires a quatre parties, qui sont Diton, ou Diapasonditon, Diapente, ou Diapasondiapente, Diapason, ou Disdiapason: car je les mets par fois indifferemment. Rarement vserez vous du Diatessaron et Exachorde, d'autant que leur composition est fort mal aysée: que si voulez vous en seruir, voicy comment vous le pourrez. Le Diatessaron c'est de 4 a 3. l'Exachorde majeur de 5 a 3. s'ils ne se peuuent joindre au Sujét joignez les a quelqu'vne des autres parties: mais prenez garde que deux Diapasons, et deux Diapentes ne se suiuent immediatement.
4. Seruez vous des nombres Arithmetiques pour le Sujét ad libitum, et placez les sur les lignes et espaces que vous voudrez: vous aurez vostre modulation en bonne Musique. Escriuez donc tel sujét que bon vous semblera en Chifre sur ces lignes, et espaces indifferemment, pourueu qu'il y ayt autant de nombres Harmoniques a la Basse, qu'il y a de nombres Arithmetiques au Sujét, vous aurez a laditte Basse le Sujét de vostre piece, auquel il sera aysé d'adjouter les autres parties, et les d'escrire separement.
[-77-] Sujét de la Melopée par nombres Arithmetiques.
[Parran, Traité, 77; text: 1, 2, 4, 5, 6, 8] [PARTRA 24GF]
Les nombres de ce Sujét montrent l'Arsis, et la Thesis, c'est a dire le Graue, et l'Aigu quand il faut monter, ou descendre: car 1 c'est vt. 4 fa. 5 sol. 6 la. et cetera. Ie sçay bien que la proportion du Diton c'est de 5 a 4. et du Semiditon de 6 a 5. neantmoins je les mets indifferemment y estant contraint. Faisons donc le susdit Sujét a quatre parties en cette sorte par nombres Harmoniques.
Dessus. 10 16 15 5 16 15 8 12 8 5 16. Haute-Contre, 8 12 12 4 12 10 5 10 6 4 12. Taille. 6 10 10 3 10 6 3 8 5 3 10. Basse. 2 4 5 2 4 5 2 4 4 2 4.
Voyez comme les nombres s'entre raportent admirablement bien en proportion Harmonique en chaque partie l'vne auec l'autre, puis que le premier nombre de la Basse qui est 2, comparé auec le 6 de la Taille fait vn Diapasondiapente, ou la Douziesme. 2 auec 8 de la HauteContre la Quadruple, ou Quiziesme. Le mesme 2 auec le 10 du Dessus la Dixseptiesme, ou la Quintuple, et ainsi des autres.
Si l'on pouuoit Composer Harmoniquement a quatre, le Sujét contenant toute sorte de nombres sans aucun choix, ce seroit vne merueille nompareille: mais il est fort mal aysé, dautant que tout nombre comparé a vn autre ne peut auoir proportion Harmonique, ny Consonance, si ce n'est par l'addition des nombres rompus. Cela se pourroit bien faire a deux, et peut estre a trois parties pour le plus: mais la chose ne seroit du tout parfaite. Suiuent quelques Tables qui seruent a la composition des nombres Harmoniques.
[-78-] Table de la Composition par nombres Harmoniques dans le nombre de six.
1 2 3 4 5 6.
2 3 4 5 6.
3 4 5 6.
4 5 6.
5 6.
6.
Le nombre de six est tres parfait, pour ce qu'il contient en soy toute sorte de Consonances: ce que vous recognoistrez aysement si vous conferez tous ces nombres les vns auec les autres: comme 1. auec 2. et auec tous les autres jusques a 6. Deux auec trois, et les autres suiuants et cetera comme vous voyez au commencement de ce Chapitre.
Tables des accords Synonymes.
Les Diapasons.
1 a 2. 2 a 4. 3 a 6. 4 a 8. 5 a 10. 6 a 12. et cetera
Les Diapentes.
2 a 3. 4 a 6. 6 a 9. 8 a 12. 10 a 15. et cetera
Les Diatessarons.
3 a 4. 6 a 8. 9 a 12. 12 a 16. 15 a 20. et cetera
Les Ditons.
4 a 5. 8 a 10. 12 a 15. 16 a 20. 32 a 40. 64 a 8o. 128 a 160. et cetera
Les Semiditons.
5 a 6. 10 a 12. 20 a 24. 40 a 48. 80 a 96. et cetera
Les Exachordes majeurs
5 a 3. 10 a 6. 20 a 12. 40 a 24. 80 a 48. et cetera
Les Exachordes mineurs.
8 a 5. 16 a 10. 32 a 20. 64 a 40. et cetera
Les Diapasonsditons.
5 a 2. 10 a 4. 20 a 8. 40 a 16. et cetera
[-79-] Les Diapasonssemiditons.
12 a 5 24 a 10. 48 a 20. 96 a 40. et cetera
Les Diapasonsdiatessarons.
8 a 3. 16 a 6. 32 a 12. 64 a 24. et cetera
Les Diapasonsdiapentes.
1 a 3. 2 a 6. 3 a 9. 4 a 12. et cetera
Les Diapasonsdiaex majeurs.
10 a 3. 20 a 6. 40 a 12. et cetera
Les Diapasonsdiaex mineurs.
16 a 5. 32 a 10. 64 a 20, et cetera
Les Disdiapasons.
1 a 4. 2 a 8. 3 a 12. 4 a 16. 5 a 20. et cetera
Les Disdiapasonsditons.
1 a 5. 2 a 10. 4 a 20. 8 a 40. et cetera
Les Disdiapasonssemiditons.
24 a 5. 48 a 10. et cetera
Les Disdiapasonsdiatessarons
16 a 3. 32 a 6. 64 a 12. et cetera
CHAPITRE V.
Pratique de la Composition pour ceux qui y sont des-ja aduancez.
IL y a tout autant de façons de composer en Musique par le meslange de cinq accords, et leurs repliques, qu'il y a de manieres de peindre en la peinture, de phrases en latin, de styles de parler en françois, et de sorte d'humeurs et d'inclinations en l'homme. Il y a tout autant de diuers styles de composition Musicale, qu'il y a de maistres Compositeurs: car a grand peine en verra on deux qui s'accordent en la façon de composer, ny deux compositions qui se ressemblent: d'autant qu'il y aura toujours de la diference en la substance, ou en la quantité, ou en la qualité du chant, mode, inuention, liaison, mouuement, et temperement de Consonances. Nous voyons cela par experience en la varieté que l'on inuente tous les jours, en la conjonction, et maniement des accords auec plus ou moins d'industrie et doctrine. Tellement qu'on ne sçauroit exprimer cette sçience si diuerse par escrit: c'est l'vsage, et la pratique qui l'enseigne. On peut bien donner quelques reigles a ceux qui commencent et profitent, telles que vous voyez icy.
[-80-] Reigles de la Composition, ou du Contrepoint.
1. Apres auoir pris et choisi le Sujét conforme a quelqu'vn des douze modes, que la Taille, ou le Dessus tiendra, et rarement les deux autres parties: il faut que le Contrepoint se fasse principalement des Consonances les plus douces, et plus proches qu'on pourra trouuer.
2 Le Contrepoint doit commencer, et finir ordinairement par vne Consonance parfaite: je dis ordinairement pour ce que par fois il peut commencer, et finir par vne imparfaite.
3. On peut passer d'vne Consonance parfaite a vne imparfaite, et au contraire de l'imparfaite a la parfaite: mais il faut esuiter tant que faire ce peut les relations non Harmoniques, que l'on appelle fausses relations, comme sont celles du Triton, ou Quarte superfluë, et de la Quarte diminuée, la presque Quinte, la Quinte superfluë et cetera. On va aussi par fois de l'accord parfait au parfait, pourueu qu'ils soyent de diuerse espece: car plusieurs Consonances parfaites de mesme espece ne se peuuent pas bien suiure immediatement par semblable mouuement, comme deux Octaues, deux Quintes, et deux Quartes: si bien par mouuement contraire.
4. Les parties du Contrepoint tant qu'il est possible doiuent proceder par mouuement contraire, si elles ne sont contraintes par fois de monter, ou descendre par mouuements semblables. Il est bien loisible d'aller de la Tierce mineure, ou majeure a la Quinte en descendant: pourueu qu'vne des parties se meuue par degrez conjoints, comme fa mi, contre la mi: car l'effet n'en est pas si bon par degrez separez comme sol vt, mi vt, quoy qu'il soit loisible, et en vsage.
5. Quand les parties du Contrepoint passent d'vne Consonance imparfaite a vne parfaite, soit par mouuemens semblables, ou par contraires: il se faut seruir de l'imparfaite plus voisine de la parfaite. Par exemple, s'il faut passer de la Sexte a l'Octaue, ce doit estre la majeure, comme son vray et naturel effét, et rarement la mineure. De cette reigle il ny a qu'vne exception, a sçauoir quand on passe de la Tierce a la Quinte: car alors ce ne doit point estre la majeure, ains la mineure, a cause de la fausse relation. On ne doit point faire scrupule d'aller par fois de la Dixiesme, ou Tierce majeure a l'Octaue, ou a l'Vnisson, quoy qu'ordinairement ce doiue estre la mineure par mouuement contraire. Quelques vns esuitent le passage qui se fait de la sexte, a la [-81-] Quinte, et de la Sexte à l'Octaue, tant en montant, qu'en descendant ensemble, et font tres-bien: car cet effet ne vaut rien contre la Basse, quoy qu'il soit permis dans la composition des parties, et seulement entre les parties.
6. Quand on va d'vn accord imparfait à vn autre imparfait, il les faut diuersifier pour donner grace à la Musique; et par ainsi apres la Tierce, et Sexte majeures, doiuent suiure la Tierce et Sexte mineures; et au contraire, apres la Tierce et Sexte mineures, doiuent suiure la Tierce et Sexte majeures. Cela est vray pour l'ordinaire, mais par fois il est licite de faire autrement.
7. La Quarte s'applique diuersement. Premierement, quand elle est soustenuë de la Sexte, ou suiuie et sauuée de la Tierce, Quinte et Sexte par syncope, ou autrement. Secondement, dans l'Harmonie des parties, où se trouue aussi la Sexte. Troisiesmement, quand apres la Quarte suit la fausse Quinte, et apres le Triton la Sexte mineure. Iamais la Quarte n'est receuë entre la Basse, ou autre partie quelle qu'elle soit, comme Dissonance: et partant elle peut entrer au Contrepoint de deux voix pour Consonance parfaite, tout ainsi qu'elle entre dans le corps de l'Harmonie auec les parties.
8. Les rencontres qui se font auec l'Vnisson et le Diapason, se doiuent euiter lors que deux parties marchent par degrez separez, comme sol vt, contre mi vt: vt sol, contre mi sol: ou bien vt mi, contre sol mi. Mais si la voix graue procéde par degrez separez, et l'aiguë par conjoints, et non au contraire: alors le rencontre sera bon et legitime. Comme re sol, fa sol, mi la, sol la. Les autres rencontres sont permis, pourueu qu'ils ne se rencontrent point dans l'Vnisson et Octaue, et ne soyent contraires aux reigles susdites, comme de la Tierce a la Quinte, mesmes par degrez disioints, qui est vn effet licite.
9 Il faut fuir l'Vnisson frequent, tant qu'il est possible, au Contrepoint, tant simple que figuré: voire ne faut point se seruir si souuent du Diapason, dautant que ces Consonances chatouillent moins l'oreille, que plus elles ont de perfection et de ressemblance de sons, lors qu'elles sont trop frequentes:
Tant mange-t'on de miel, qu'en fin on s'en dégouste.
10 Finalement, notez qu'il n'y a reigle si generale, qu'elle n'aye quelque exception: et partant nonobstant ce qui a esté dit, il y a beaucoup de licences dans l'art de la Melopée, que l'experience enseigne [-82-] auec le temps dans la pratique. Par exemple, que deux Quartes, et deux Quintes de diuerse espece, voire de mesme espece, sont licites par fois: Que la fausse Quinte, et la fausse Quarte sont tres douces, et excellentes, pourueu qu'apres celle là suiue la Tierce majeure, et la Sexte mineure apres celle cy, et cetera l'on verra par apres tout cecy en pratique.
Notez quatre choses principales en la composition: l'inuention, l'ordre, la liaison des accords, et le mouuement diuers: et que tant mieux on manie ces quatre choses, d'autant meilleure en est l'Harmonie, et le chant plus agreable.
Pour clorre ce Chapitre, il faut remarquer qu'vne des principales perfections en matiere de Composition, c'est de bien faire chanter les parties sans les forcer, precipiter, ny contraindre.
La Composition s'entend premierement de quelque beau sujet en vne seule partie, moyennant qu'il soit chanté de bonne grace. Secondement, de deux parties, que l'on appelle vulgairement Duo, et de trois, qui est le Trio, et cetera.
La Composition a deux, a trois, et a quatre parties, n'est pas si aisée que l'on diroit bien, quoy que a cinq, a six, a huict, et a plusieurs Choeurs, il y ait plus de trauail, et moins d'industrie: c'est pourquoy si la chose n'est bien faite et élaborée, on n'en fait point d'estat: car à trois et a quatre, il faut que les parties soyent si artistement et parfaitement liées, qu'on n'y puisse adjouster vne quatriesme et cinquiesme partie, autrement le tout n'en vaut rien. Ie mettray cy apres vn Duo, vn Trio, et vn Quatuor pour exemple, puis que la perfection de la Composition gist es quatre parties: A ces fins disons vn mot du Contrepoint simple et figuré.
CHAPITRE VI.
Du Contrepoint simple et figuré.
COntrepoint, parlant en general, n'est autre que la Composition mesme, ainsi appellé, pour ce que anciennement on se seruoit de poincts contre points, au lieu de nos figures.
Il se diuise en simple et composé: le simple est celuy auquel l'on se sert simplement de notes égales, note contre note, sans varieté de figures, comme l'on void en nos Fauxbourdons.
[-83-] Le figuré, auquel on vse de figures inégales et diuerses, qu'on appelle pour cette raison Musique figurée: quelques vns toutefois nomment le Contrepoint Fleuretis, qui est vn déchant d'vne ou plusieurs parties sur vn Plain-chant, cherchant comme la créme et la fleur des accords les plus doux, principalement auec fredons, roulemens, tremblemens, et autres beaux traits de quelque belle voix, qui les face bien à propos.
Exemple du Contrepoint simple.
[Parran, Traité, 83; text: A devx. A trois.] [PARTRA 24GF]
[-84-] [Parran, Traité, 84; text: A qvatre. A cinq.] [PARTRA 25GF]
[-85-] [Parran, Traité, 85; text: A six.] [PARTRA 26GF]
Quoy que ce que j'ay dit du Contrepoint figuré soit certain: toutefois a vray dire, il n'est autre qu'vne Composition vne peu plus delicate et industrieuse, en laquelle on se sert de la diminution des notes Minimes, Semiminimes, et Croches pour la Semibreue: lors aussi qu'on ne s'arreste point aux accords simples: mais on vse de Syncopes et Dissonances de diuerses figures, fugues, et autres industries, dont on se peut aduiser. Telle est la Musique d'Orlande, Claudin, du Caurroy, et autres.
Selon que j'ay peu cognoistre jusques a present par vne longue experience, me semble que l'on peut composer en trois ou quatre façons principalement: en air, où le battement, ou mouuement commun ne se baille point par mesure reglée: mais on bat quasi a chaque note, et s'appelle Musique d'air. Secondement en Musique legere et gaye, approchant de l'air, où se baille la mesure reglée commune, où les parties vont le plus souuent ensemble de mesme pied sur vn mesme sujet, [-86-] bien qu'on y puisse mesler quelque peu d'industrie. Ceste façon de Composition est en ce temps en vogue, mais ne l'est plus tant qu'elle a esté: tesmoin la Musique gaillarde de Granier, et Intermet jadis. Troisiémement, en Musique graue et deuote propre pour l'Eglise, en laquelle on mesle bien souuent de l'industrie, accompagnée de Fugues naturelles, et non contraintes: Telle est la Musique d'Orlande, et Bournonuille. La quatriesme sorte est vne Musique grandement obseruée, toute pleine d'industrie et doctrine, où l'on fuit ce qui est commun auec obseruation de Cadences rompuës, pour chercher ce qui est de plus rare, et moins vsité: comme pourroit estre celle de Claudin, du Caurroy, et plusieurs autres Maistres de ce temps, comme l'on peut voir au Puy de Saincte Cecile. Cette maniere de Composition, et Contrepoint obserué, ne plaist gueres qu'aux Maistres, qui jugent et goustent ce qui est d'artifice en la disposition et meslange d'accords bien obseruez, et pressez. C'est pourquoy j'en mettray icy quelques reigles.
Reigles du Contrepoint pressé.
PAr ce Contrepoint pressé ou estroit, j'entends vne Composition estroitement obseruée, et docte, où les Consonances sont liées, et meslées auec les Dissonances par industrie et artifice. Voicy comment.
1. On éuite toute sorte de fausses relations contre la Basse, et non contre les autres parties, pource que ce seroit vn trop grand trauail: c'est ainsi que font ceux qui presentent au Puy de Saincte Cecile, hors lequel on ne les éuite pas tousiours, aussi n'y est on pas obligé.
2. La Syncope, qui se varie en vne infinité de façons, est excellente, et grandement importante, ayant des effets admirables quand elle est bien maniée: car c'est elle qui allie les mauuais accords aux bons, les moderant et détrempant, en sorte que ce qui est rude et amer de soy, est rendu doux par le moyen d'icelle. Voyez en quelques exemples cy apres, lesquels nous montreront qu'apres la Syncope il est loisible de faire tel accord qu'on voudra, et ce par degrez conjoints, et non separez.
3 Le Point ne syncope jamais, et en cela a tres-bien jugé le sieur du Caurroy, dans les Oeuures duquel vous ne le trouuerez en vsage, pource que l'experience montre par effet, qu'estant mis pour Syncope il est rude, et comme insupportable ce semble.
[-87-] 4 Quelques-vns estiment que la huictiesme partie d'vne mesure, c'est à dire la Crochuë, ne peut sauuer ny deux Quintes, ny deux Octaues, je croy neantmoins le contraire auec ledit du Caurroy, qui l'a pratiqué plusieurs fois.
5. La Quarte se pratique en diuerses façons aussi bien que la Syncope, et est sauuée tantost par la Tierce et par la Sexte, tantost par la Quinte, tant fausse que bonne, et cetera. Vous en verrez quelques exemples cy apres.
6. La Quinte et l'Octaue doiuent estre accompagnées d'ordinaire de la Tierce, et la Sexte se met par fois au lieu de la Quinte, afin que l'accord parfait estant accompagné de l'imparfait, contente mieux l'oreille, et ce à trois parties.
7. Deux Sextes mineures, et deux Tierces majeures de suite, ordinairement ne valent rien à cause de la fausse relation. Pour ce qui est des deux Tierces mineures de mesme espece, ou égales, elles ne sont point permises principalement par degrez separez, si ce n'est qu'elles ayent de la varieté et inégalité par le moyen du Semiton majeur diuersement placé, autrement la relation harmonique n'y sera pas. Deux Sextes mineures sont bonnes de suite, quand les deux parties montent ensemble ou descendent d'vn Semiton: si d'vn Ton, ne valent rien.
8. D'ordinaire on ne passe point de la Sexte majeure à la Tierce majeure, ains à la mineure: ny au contraire de la mineure à la mineure, ains à la majeure, quoy qu'elles se trouuent par fois dans du Caurroy par degrez conjoints, et non autrement.
9. Apres la fausse Quinte doit tousiours suiure la Tierce majeure, si vous voulez que vostre Contrepoint soit parfait: et apres la fausse Quarte, la Sexte mineure: bien que quelques vns se licentient en cela, ou par ignorance, ou par vanité, si ce n'est qu'alors ils abandonnent le Contrepoint pressé pour prendre le large.
10. Quoy que quelques-vns se licentient de la Sexte à la Quinte par mesme mouuement, toutesfois il vaut mieux fuir cét effet veu qu'il n'est pas tant bon, voire est insipide et mal gracieux.
11. Notez aussi que la Tierce, ou Dixiesme deuant l'Octaue et Vnisson, doit estre majeure par semblable mouuement, n'estoit que la Sexte s'y trouuast: la mineure doit preceder l'Octaue et l'Vnisson, si elle se fait par mouuement contraire.
[-88-] 12. Si on met la Sexte auec la Quarte, celle cy estant au dessous, il faut que celle là soit majeure, et non mineure, pource que cette Quarte est bonne à cause de la Tierce majeure, et la Quarte n'est pas tant bonne à cause de la Tierce mineure. Cét effet est encor meilleur lors que la Tierce est en bas, et la Quarte en haut. Vous en auez veu l'exemple auparauant.
13. C'est tousiours le meilleur et le plus parfait de passer de la Tierce majeure et de la Sexte mineure à la Quinte: et de la Sexte majeure à l'Octaue par mouuement contraire d'vne partie, et sur vne mesme chorde d'vne autre: dautant que ces Consonances estans imparfaites, cherchent la perfection à laquelle chaque chose tend par le chemin le plus court.
14. Il faut vser fort rarement dans les Duos, de l'Vnisson et de l'Octaue, excepté au commencement et à la fin.
15. Les parties du Contrepoint doiuent estre tellement vnies et voisines, que l'on ne puisse aisément mettre d'autres Consonances entre deux, tant que faire se peut, et faire en sorte que les chants soyent beaux et agreables.
16. Il faut euiter trois sortes de relations non Harmoniques: à sçauoir du Triton, de presque Diapente, du Diapason superflu, et Semidiapason. Dauantage, il faut fuir dans la Composition tant que faire se peut, les progrés des Septiesmes et Neufiesmes, quand elles sont si proches qu'il n'y a qu'vne note ou deux entre deux.
Quoy que ce que j'ay dit du Contrepoint pressé soit vray, plusieurs neantmoins ne font point scrupule de passer par dessus, ne se soucians point d'obseruer ces reigles: car à trois parties ils joignent l'Octaue auec la Quinte, laissant en arriere la Tierce, n'éuitant point les relations fausses, et non Harmoniques, voire prennent nouuelles licences: comme de faire deux Quintes de diuerse espece contre la Basse, et cetera se seruans tantost du Contrepoint large, tantost de l'estroit, qui est comme vne autre espece, qu'on peut nommer pour cette cause Contrepoint meslé. Il est bien vray que pour trop obseruer, on oste vne bonne partie de la grace à la Musique. Venons aux exemples.
[-89-] Exemple de la Syncope, et du Point.
[Parran, Traité, 89; text: Tout ce que chante cette Taille est bon contre le Dessus à cause de la Syncope. Autre Sujét. Le Point de ce Dessus ne vaut rien contre cette partie mise au dessous en diuerse façons, pource que le Point ne syncope point. Cette partie est bonne et licite contre le Point de Dessus. Autre Sujét à Trois. En cét Exemple le Point est bon et licite contre ces deux parties.] [PARTRA 26GF]
[-90-] Addition de la Quarte.
LA Quarte est consonante, et non dissonante, pource qu'elle entre et se mesle dans la Musique, faisant vn tres bon effet auec la Quinte, ce qui ne se peut dire des pures Dissonances. Elle a esté de tout temps ainsi nommée mesme chez les Grecs. Iosquin des Prez excellent Compositeur de son temps, en a vsé en la Messe de L'homme armé à quatre, au commencement de Et resurrexit. De plus, chacun vse de la Quarte à la fin des pieces de Musique, ou la plus grande perfection des Consonances se doit retrouuer. Si elle n'estoit point consonante, elle seroit dissonante. Or si vous adjoutez la Seconde, ou la Septiesme, ou autre dissonante que ce soit, auec vne consonante jamais elles ne s'accorderont, si fera bien la Quarte estant jointe à la Quinte, et cetera elle est au milieu des Consonances simples, en ayant deux dessus, et deux dessous. Pythagore et Ptolomée ont estably en la diuisision du Tetrachorde, ou Diatessaron, les gonds de la science, bien qu'ils soyent de diuerses opinions. Ie sçay bien qu'elle a esté tenuë longtemps comme pour dissonante par quelques vns, ainsi que dit Zarlin: mais les Anciens l'ayans receuë, les nombres l'approuuant, et ceux qui touchent les Instrumens l'ayans trouuée plus douce, que ny les Tierces ny les Sextes, nous sommes aussi obligez d'en vser. C'est donc à tort que quelques vns l'ont rangée au nombre des Dissonances, et quelques autres ne l'ont pratiquée qu'elle ne fust soustenuë d'vne autre Consonance, comme de la Sexte.
Exemple de la quarte diversement pratiquée à trois parties, par le Sieur du Caurroy.
[Parran, Traité, 90; text: 4, Quarte redoublée.] [PARTRA 27GF]
[-91-] [Parran, Traité, 91; text: 4, A trois.] [PARTRA 27GF]
[-92-] [Parran, Traité, 92; text: 4, A trois.] [PARTRA 28GF]
Veritablement il faut auoüer que la Musique est celeste et diuine, et qu'elle nous a esté donnée d'en haut pour nostre profit et contentement, mais le malheur est qu'on en abuse: les vns en composant, les autres en chantant, à faute de se proposer vne bonne fin et intention: car la plus part des Chantres chantent par vanité, sçauoir est pour faire entendre leurs belles et bonnes voix, afin d'en receuoir quelque loüange: que peut on dire de ceux là autre chose sinon ce que disoit le Fils de Dieu? Ie vous dis en verité, qu'ils ont desja receu leur recompense: et n'auront que cette pretenduë loüange.
Qu'ils se souuiennent de ce Chanoine regulier, lequel estant allé trouuer Saincte Liduuine, luy dit, qu'elle priast Dieu de luy oster ce qui luy déplaisoit le plus en luy, et empeschoit son salut. Ce Chanoine auoit vne fort belle voix, qui luy causoit de la vaine gloire en chantant. Aussi-tost que la Saincte eut fait oraifon pour luy, il deuint enroüé, et ne chanta plus. Ne sçachant pas d'où luy venoit ce rheume il se fit traiter: mais quand le Medecin sceut ce qui s'estoit passé entre Liduuine et luy: S'il est ainsi (dit-il) Hipocrate ny Galien n'auanceront rien en cette cure.
Ie veux donc dire par cecy, que le Maistre Compositeur doit viser en ses compositions à vne fin honneste, ne les faisant ny trop legeres, ny trop pesantes, ains entre deux, obseruant diligemment les reigles de l'art: et que les Chantres chantent gayement, non par vanité, ains par recreation et pour loüer Dieu, specialement à l'Eglise.
[-93-] A devx. Exemple du Contrepoint figuré.
[Parran, Traité, 93; text: A trois.] [PARTRA 28GF]
[-94-] [Parran, Traité, 94; text: SVsanne vn jour d'amour solicitée Par deux vieillards conuoitans sa beauté.] [PARTRA 29GF]
[-95-] CHAPITRE VII.
Des bons et mauuais effets en la Composition, et premierement des Fugues.
CE n'est pas peu de sçauoir bien mesnager et manier les accords, veu que les Musiciens mettent en cela quasi toute la perfection d'vne bonne composition, et principalement aux Fugues, ou imitation, lors que les parties s'entre-suiuent de deux ou trois mesures plus ou moins; donnant loisir aux vnes et aux autres d'entrer, et faire le mesme effet: ce qui se peut faire à l'Vnisson, au Diatessaron, Diapente, Diapason, et cetera. Vous en verrez par apres la pratique.
Ce pendant remarquez en passant qu'il y a trois sortes de Fugues. Fugue simple, ou commune, Fugue double, et Fugue renuersée, ou de mouuement contraire, autrement ditte Contrefugue. Elle sera simple, si toutes les parties, par exemple, disent vt re vt fa mi fa; double, si vne partie disant, re fa sol la, l'autre fait, la fa sol la re; la renuersée se fait, lors que les parties faisans leurs effets, chantent par mouuement contraire, comme au rebours et à la renuerse, l'vne montant et l'autre descendant: Par exemple, vt mi sol la sol, et l'autre, fa la fa mi fa: d'où s'ensuit que toute Fugue renuersée, ou de mouuement contraire est double, et non au contraire. Quant aux bons et mauuais effets ils se retrouuent aux rencontres, mouuemens, et degrez discretz ou separez, et aux continuez ou conjoints: comme de l'Exachorde au Diapente et Diapason: du Diapasonditon au Diapason, soit en montant ou en descendant. Cela se void aussi en l'effet des faux rapports, ou fausses relations, et particulierement au Triton, autrement faux Diatessaron: comme aussi en l'effet mauuais de presque Diapente, Diapente superflus presque Diapason, et Diapason superflus: neantmoins on verra par apres quelques effets licites touchant le mesme Triton et presque Diapente, car pour le superflus, il n'est point en vsage.
De plus comment c'est que deux Diapentes se peuuent mettre de suite, non seulement de diuerse, voire de mesme espece: et quoy que ce dernier effet de mesme espece ne soit gueres vsité, si est ce qu'il y en a qui en vsent en ce temps, asseurans qu'il est bon et faisable, pourueu qu'on mette vne note pour autre: c'est à dire, qu'elle s'entende autrement par supposition qu'elle n'est couchée: par exemple, vn sol pour vn fa, vn la pour vn sol, et cetera.
[-96-] I'auois quasi oublié de dire, qu'il se faut donner de garde de deux Octaues, non seulement en effet, mais aussi en harmonie, lors qu'vne partie faisant l'Octaue contre la Taille, ou autre, s'en va faire immediatement apres vne autre Octaue auec la Basse, ou autre partie, qui vient tout fraischement de commencer à chanter. Notez aussi qu'vn des plus excellents effets, en matiere de composition, sont les Syncopes, apres lesquelles il est permis de faire tel accord qu'on voudra apres la diuision faite: mais on ne reçoit point en ce temps le Point pour Syncope, comme il a esté dit.
On verra aussi comme il faut euiter les fausses relations, et autres choses dignes d'estre sceuës. Il est bien vray qu'aux airs on prend vn peu plus de licence: car on ne fuit pas tousiours les fausses relations, aussi n'y est on pas obligé. Ie vous demande, Claudin le Ieune, Orlande, et autres Maistres anciens, n'auoyent ils point l'oreille aussi delicate que ceux de ce temps pour juger de cét erreur, s'il le faut ainsi appeller? je crains fort qu'il n'y ait vn peu trop d'imagination. Ne faut pas douter que deux Diatessarons, du moins de diuerse espece, ne soyent bons, et se puissent faire de suite, encore qu'ils soyent Consonances parfaites, mais d'vne perfection moindre que le Diapason et le Diapente, et plus grande que le Diton et Hexachorde majeur: Ie veux dire que c'est vn genre d'accord parfait, metoyen entre le Diton et le Diapente, comme l'Exachorde est imparfait, metoyen entre le Diapente et le Diapason: le Diton entre l'Vnisson et le Diatessaron, quoy qu'ils ne soyent tous milieux Harmoniques.
Puis que l'occasion se presente de parler du milieu Harmonique, j'en diray vn mot en passant. Les Autheurs en parlent si diuersement, que je ne sçay à qui croire, estans de contraire opinion. La difficulté n'est pas petite, sçauoir est, si le Diapason est diuisé Harmoniquement la Quinte estant au dessous de la Quarte, ou Arithmetiquement, la Quarte estant au dessous de la Quinte, laquelle des deux est le milieu Harmonique, la Quinte ou la Quarte? Ie sçay qu'il y en a qui tiennent que c'est la Quarte posée au dessous de la Quinte, et que la Quinte mise au dessous de la Quarte, c'est le milieu Arithmetique, à raison de l'ordre des nombres, tant Arithmetiques que Harmoniques.
Pour moy il me semble que ce deuroit estre le contraire, pource que l'authorité des anciens a vn grand poids, lesquels nous ayans laissé la diuision Arithmetique du Diapason en Quarte et en Quinte, la Quarte [-97-] se trouuant au dessous, et la Quinte au dessus, il s'ensuit que le mesme Diapason estant diuisé Harmoniquement, la Quinte se trouuera au dessous de la Quarte: et par consequent le medium Harmonicum ce sera la Quinte, et non la Quarte: autrement il ne seroit Harmonique: car cét interualle ne peut estre Harmonique, lequel n'a aucune harmonie de soy: or la Quarte, parlant simplement, n'a point d'harmonie dans le Diapason Arithmetiquement diuisé; doncques il ne peut estre le milieu Harmonique, ainsi des autres milieux tant Harmoniques qu'Arithmetiques. Voila mon opinion: toutefois je m'en rapporte à ceux qui voyent plus clair que moy en ce point de difficulté. Ie poursuis à ce que j'ay promis.
Exemples de quelques bons et mauuais effets en la Composition.
[Parran, Traité, 97; text: A devx. Ordinairement illicite. Licite. Illicites. Vicieux. Bon. Fausses relations.] [PARTRA 30GF]
[-98-] [Parran, Traité, 98; text: A qvatre. Bons effets de diuers Contrepoints suiuants.] [PARTRA 30GF]
[-99-] [Parran, Traité, 99; text: A qvatre.] [PARTRA 31GF]
[-100-] [Parran, Traité, 100; text: A qvatre. A cinq.] [PARTRA 32GF]
[-101-] [[Parran, Traité, 101; text: A qvatre. Autrement. 7, 4] [PARTRA 33GF]
[-102-] [Parran, Traité, 102; text: A trois.] [PARTRA 34GF]
[-103-] [Parran, Traité, 103; text: Piece bien obseruée. A qvatre.] [PARTRA 35GF]
[-104-] [Parran, Traité, 104] [PARTRA 36GF]
[-105-] [Parran, Traité, 105] [PARTRA 37GF]
[-106-] [Parran, Traité, 106] [PARTRA 38GF]
[-107-] Exemple de la Fugue simple.
[Parran, Traité, 107; text: A qvatre. Dessvs. Havtecontre. Taille. Basse.] [PARTRA 39GF]
[-108-] Exemple de la double Fugue.
[Parran, Traité, 108; text: A qvatre. Dessvs. Taille.] [PARTRA 40GF]
[-109-] Exemple de la double Fugue.
[Parran, Traité, 109; text: Havte-contre. Basse.] [PARTRA 41GF]
[-110-] Exemple de la Contrefugue, ou renuersée.
[Parran, Traité, 110; text: A qvatre. Dessvs. Taille.] [PARTRA 42GF]
[-111-] Exemple de la Contrefugue, ou renuersée.
[Parran, Traité, 111; text: Havte-contre. Basse.] [PARTRA 43GF]
Cecy n'est qu'vn eschantillon duquel vous jugerez le reste de la piece, et ce qui se peut faire ad placitum. Tout bien consideré, je trouue que cette diuision de Fugues est bonne et juste, et qu'il n'y en peut auoir plus ny moins.
[-112-] QVATRIESME PARTIE DES EFFETS DE LA MVSIQVE.
CHAPITRE I.
Des huict Modes, ou Tons de l'Eglise.
DIev est l'Autheur de toutes choses, et par consequent des arts liberaux, et en special de cestui-cy. Il a operé toutes choses pour soy-mesme; et quand il a donné la cognoissance de la Musique aux hommes, ç'a esté à celle fin qu'ils l'en louënt lors qu'ils y prendront leur recreation, leur donnant à cet effet des effets merueilleux pour le contentement du corps et de l'esprit. Ces effets consistent en la voix humaine, aux chants de diuers Modes, aux Instruments à souffle ou à vent, comme sont les Orgues, et semblables: bref aux Instruments à chordes, desquels on jouë à la main, comme sont le Luth, la Harpe, la Viole, et cetera. Voyez ceux qui ont traité pertinemment de diuers genres d'Instruments comme le Pere Mersenne. [De ordine capitulo 14. in marg.] Ces Instruments se diuisent tous en trois selon Sainct Augustin, en Instruments de voix, de souffle, et de touche. On dit qu'Orphée auec sa Lyre attiroit les rochers, faisoit sauter les arbres et les montaignes, les transportant d'vn lieu à vn autre, et cetera c'est vne fable, mais c'est la verité que la Musique opere des effets beaucoup plus admirables que ceux-là, changeant et rauissant les coeurs, les volontez et affections. Pour bien cognoistre ses effets, il faut auoir l'intelligence des huict Tons de l'Eglise, et des douze Modes des anciens.
Ie ne puis que je ne loüe grandement le chant Ecclesiastique, appellé vulgairement le Gregorien, comme estant party d'vn si grand homme que sainct Gregoire, lequel nous a donné moyen de loüer Dieu par ordre, et par reigles bien obseruées au chant plein tant doux et deuot, que plus on le chante plus agreable il est. Que voudriez vous de plus agreable que l'Office des jours solennels, comme les Venite exultemus Domino, Te Deum laudamus, les Introïtes de la Messe, Salue sancta parens, Gaudeamus, et cetera les Kyrie, les Sequences, specialement [-113-] ces deux ou trois, Lauda Sion, Victime Paschali Laudes, et Dies irae? Et quoy plus diuin que les hymnes Conditor alme syderum, Vt queant laxis, duquel le premier verset contient vt re mi fa sol la, Veni creator, Vexilla regis, et cetera? Iamais on ne se saoule de les chanter. Ie ne m'estonne pas si sainct Augustin estoit rauy de ces beaux chants, comme il confesse luy-mesme. Escoutez comme il en parle, Quantum fleui in hymnis, et canticis tuis suaue sonantis Ecclesiae tuae vocibus commotus acriter, voces ille influebant auribus meis, et cetera. [Libro 9. Confessiones capitulo 6. in marg.]
Ie disois que quelques reigles estoyent obseruées fort à propos, sur lesquelles tout le Plein-chant est fondé et appuié. Ces reigles sont les huict Tons, chacun desquels suit immediatement apres les Antiennes. par où l'on peut voir promptement de quel Ton est chaque chant, et est compris sous ces six voyelles E, u, o, u, a, e, qui signifient saeculorum
amen.
Les huict Tons sont compris et declarez chacun par deux notes fondamentales, representant l'vne la fin de l'Antienne, et l'autre le commencement du Psalme. Les voicy de suite.
Primus cum Sexto fa sol la semper habeto.
Tertius, octauus, vt re fa, sicque secundus.
La sol la quartus, fa re fa, sit tibi quintus.
Septimus fa mi fa, sic omnes esse recordor.
Le premier re la, le second re fa, le troisiesme mi fa, le quatriesme mi la, le cinquiesme fa fa, le sixiesme fa la, le septiesme vt sol, le huictiesme vt fa.
Quoy que les huict Tons de l'Eglise ayent esté bien inuentez, et n'y ait rien à redire, veu qu'ils comprennent les douze Modes, sinon en effet, du moins virtuellement, toutefois ils ne sont si parfaits que les douze Modes des anciens, lesquels consistent en six notes essentielles, comme nous dirons par apres. Les Tons du Plein-chant suiuent tous assez bien les reigles de Musique, hors mis le septiesme, lequel on a fait finir en re, c'est à dire à la seconde de la finale de l'Antienne, qui n'est gueres à propos. Il n'y a que celuy cy qui degenere, tous les autres sont assez bons et passables: car le re contient le premier et le second, le mi et le la le troisiesme et le quatriesme, fa et vt le cinquiesme et le sixiesme, sol le septiesme et le huictiesme.
Notez en general que les authentiques, c'est à dire le premier, troisiesme, cinquiesme et septiesme, montent vne Quarte plus haut que [-114-] les Plagaux, qui sont le deuxiesme, quatriesme, sixiesme, huictiesme, et les Plagaux descendent vne Quarte plus bas que les Authentiques. Mais pour dire quelque chose de plus asseuré et solide, il nous faut déduire amplement les douze Modes.
CHAPITRE II.
Des douze Modes anciens.
MOde n'est autre chose que l'ordre, la mesure, ou la forme que nous tenons à faire quelque chose, laquelle nous astraint puis apres à ne point passer outre. Vous pouuez aisément appliquer cette definition aux douze Modes, appellez des Grecs Loix et formes. Voyez diuerses opinions touchant les Modes.
Boëce liure 4. chapitre 16. dit, qu'il n'y a que sept Modes, pource qu'il n'y a que sept Diapasons: et au liure quatriesme chapitre 14. il adjouste ces paroles, Ex Diapason igitur speciebus existunt, qui appellantur Modi.
Ptolomée dit qu'il y a huict Modes, pource qu'il y a huict especes de Diapasons: et Glarean prouue qu'il y a douze Modes, pource qu'il y a douze especes de Diapason, libro 2. Dodecachordon et libro 2. capitulo 1. il adjouste cecy: Modi igitur Musici non aliter distinguntur, nisi ex ipsis speciebus Diapason, ex quibus constituuntur.
Diapason se prend en trois façons: premierement, pour la Consonance de l'Octaue, comparant ensemble ses deux sons extrémes, Secondement pour la diuision Harmonique de la Quinte, et pour l'Arithmetique de la Quarte. Tiercement, pour toutes les interualles qui se retrouuent entre les deux sons extrémes de l'Octaue: et c'est en cette troisiesme signification que je prens le Diapason, lequel estant composé de sept interualles, de Tons et Semitons, selon que ces Tons et Semitons sont disposez diuersement en chaque Diapason, de là naissent diuers Modes: or ils sont disposez seulement sept fois diuersement, doncques il y a sept Diapasons, et non plus: et par consequent quatorze Modes, chaque Diapason en contenant deux: pour ce qui est du septiesme Diapason rejetté, nous en parlerons apres.
Ie sçay que quelques Musiciens de ce temps soustiennent opiniastrément qu'il n'y a que six Modes Authentiques, selon le nombre des six Diapasons, et que les six Plagaux qu'on y adjouste pour faire les [-115-] douze, ne sont point differents des autres primitifs: mais me semble que Claudin, du Caurroy, Glarean, et plusieurs autres, ont raison d'en constituer douze, puis qu'il y a de la difference entre les Authentiques et les Plagaux, sinon essentielle, du moins accidentelle: car il y a changement de clef aux Plagaux, ils descendent plus bas de quatre chordes, et montent par Quartes, se perdans ainsi dans les Authentiques: bref les Mediations sont differentes.
Tellement que les Tons, ou Modes Musicaux, que les Grecs appellent Harmonies, au rapport de Platon, [libro 3. Reipublica in marg.] ne sont point differents entr'eux, que comme les sept especes de Diapason sont differentes entr'elles, dont les douze Modes sont composez. Or il est certain que ces Modes, especes, ou differences de Diapasons ne prouiennent d'ailleurs sinon de la diuerse situation du Semiton majeur mi fa. Ces sept Diapasons, ou pour mieux dire ces six especes, (car il en a vne qui est rejettée) sont differentes entr'elles essentiellement, dautant qu'elles prennent leur fondement et origine des six notes fondamentales, chacune d'icelles contenant deux Modes, dont l'vn est appellé Authentique, et l'autre Plagal; lesquels ne different entr'eux qu'accidentellement, à raison qu'ils ont seulement le Semiton diuersement situé: ce qui sera clair et manifeste, si nous déduisons par ordre l'estenduë des especes de Diapason, Diapente, Diatessaron, et cetera de la cognoissance desquels tout cét affaire dépend.
La septiesme majeure a deux especes, et est composée de trois Tons majeurs, deux mineurs, et d'vn Semiton majeur.
La septiesme mineure a cinq especes, et est composée de deux Tons majeurs, deux mineurs, et deux Semitons majeurs.
La sixiesme majeure à trois especes, et est composée de deux Tons majeurs, deux mineurs, et vn Semiton majeur.
La sixiesme mineure a trois especes, et est composée de deux Tons majeurs, vn mineur, et deux Semitons majeurs.
La troisiesme majeure est composée d'vn Ton majeur et d'vn Ton mineur, et a deux especes.
La troisiesme mineure d'vn Ton majeur, et d'vn Semiton majeur, et a deux especes.
Au Diatessaron il y a quatre chordes, trois interualles, et le Semiton peut estre trois fois diuersifié auec deux Tons, c'est à dire, qu'il y a trois especes de Diatessaron. Le Diapente contient cinq chordes, [-116-] quatre interualles, et le Semiton est quatre fois mis diuersement auec trois Tons, qui sont quatre especes de Diapente.
Bref le Diapason comprend en soy huict chordes, ou voix, sept interualles, et deux Semitons majeurs, sept fois diuersement situez auec cinq Tons; c'est à dire qu'il y a sept especes de Diapason, et douze Modes differents, partie essentiellement, partie accidentellement, comme il a esté dit, si grande est la force du Semiton majeur. De ce que dessus je conclus que le dire de Saint Seuerin est tres-veritable, [D. Seuer. libro 4. capitulo 12 de Interual. in marg.] qu'en chaque Consonance, ou interualle, il y a tousiours vn espece moins qu'il n'y a de voix: car au Diatessaron, par exemple, il y a quatre voix, bien qu'il n'y ait que trois especes, et ainsi des autres, comme l'on peut voir icy.
Exemple.
[Parran, Traité, 116; text: Deux especes de la Septiesme majeure. Cinq especes de la mineure, Trois especes de la Sixiesme majeure. Trois de la mineure. Deux especes de la 3 majeure. Deux de la mineure. Trois especes de la Quarte. Qutre especes de la Quinte.] [PARTRA 44GF]
[-117-] [Parran, Traité, 117; text: Sept especes de l'Octaue. L'Octaue rejettée.] [PARTRA 44GF]
Les douze Modes des Anciens sont ceux-cy.
Le premier Authentique et plus graue c'est le Dorique, propre pour le chant pieux, il est seuere, belliqueux, meslé de grauité, et d'allegresse. Tel pourroit estre le Motet composé sur ces paroles, Omnes gentes, plaudite manibus, ainsi appellé Dorique, des Dores peuples d'Orient.
Il commence en D sol re, l'Antiquité le reçoit seulement en choses graues et d'importance, à raison quelle aymoit vniquement la grauité, constance, et seuerité. Platon admiroit la Musique Dorique de l'antiquité, masle et propre aux bonnes moeurs: c'est pourquoy il la receut à raison qu'elle produit la force et temperance, contribuant je ne sçay quoy à la defense de la Republique, selon l'opinion mesmes d'Aristoxene.
Le troisiesme Mode Authentique est appellé Phrygien du peuple de Phrygie, propre pour émouuoir à cholere; car il enflamme, est plein d'indignation, et se commence en E la mi. Tel seroit le chant fait sur ces paroles, Quare fremuerunt gentes. Glarean estime qu'il conuient fort bien au chant triste, comme aux lamentations, pleurs, et enterrements. [Libro 2. de Dodecachordon in marg.]
Le cinquiesme Authentique c'est le Lydien, propre pour les chants funebres, et lamentables. Pline dit qu'il est haut, et pleureux. Il commence en F fa vt.
[-118-] Quelques vns ont estimé qu'il estoit aussi joyeux, et propre pour les dances, ce que je n'approuue aucunement, veu qu'il y auroit de la contrarieté: cela ne peut estre, si ce n'est à raison qu'il a esté changé abusiuement en Ionique transposé. Tel seroit le chant sur le Miserere mei Deus, ou De profundis. Sapho Lesbyenne a esté la premiere inuentrice de ce Mode reprouué par Platon, pource qu'il est trop aigu, et moins graue.
Le septiesme Authentique c'est le Myxolydien, ou Mysolydien, à Mysis et Lydiis, propre pour esmouuoir et appaiser; ainsi appellé dautant que c'estoit anciennement vne harmonie meslée, comme rapporte Aristote, de Mysienne, et Lydienne, c'est G re sol vt. [Politica 8. in marg.]
Quelques vns l'attribuent à Lamproclus: quelques autres à Terpandre. Pline en l'Vniuersité des chants et harmonies tesmoigne, que les trois premiers sont les principaux, pource que Saturne se meut par la Dorique, comme fort harmonieuse: d'où vient que nos Musiciens ont mis la Dorique la premiere. Iupiter par l'harmonie Phrygienne, et Mercure par la Lydienne, et cetera. Les plus doctes ont nommé ces quatre premiers Modes, comme les principaux, Encyclopedie, pource qu'ils asseurent tous que la Musique embrasse toutes les sciences. Ce que Platon prouue fort bien disant, [1. libro de legibus in marg.] Musica sine vniuersa disciplina tractari non posse. Voila les quatre premiers Authentiques, à sçauoir le premier, troisiesme, cinquiesme et septiesme: ausquels si vous adjoustez les Plagaux, commençans trois interualles plus bas, à sçauoir Sousdorien, Sousphrygien, Souslydien, et Sousmixolydien, (le dernier desquels a esté adjousté par Ptolomée) vous aurez les huict Tons de l'Eglise: mais pour rendre la chose de tous points parfaite, on en a trouué du depuis quatre autres, à sçauoir le neufiesme, dixiesme, vnziesme, et douziesme. Doncques le neufiesme Mode c'est l'AEolien, commençant en A mi la re propre aux vers Lyriques, et conforme aux paroles douces et graues.
Le dixiesme commence auec le Phrygien, que nous appellons Sousaeolien, ayant les mesmes effets que son primitif et maistre le AEolien, et commençant au dessous d'iceluy vn Diatessaron plus bas.
Le vnziesme c'est le Ionien ou Ionique, selon l'opinion de Porphyrion, appellé aussi Iastien par Aristoxene, il est jouial, et propre pour les recreations et dances, et se commence en C sol vt fa.
[-119-] Le douziesme Plagal, et comme seruiteur du precedent, est nommé Hypoionien, ou Hypoiastien, commençant en G re sol vt, pratiqué anciennement aux resueils amoureux, et partant defendu par Platon, de peur qu'il ne rallumast le feu qu'on taschoit d'esteindre: mais dautant que plusieurs Autheurs parlent diuersement de ces Modes, j'en mettray icy le synopse vn peu plus clairement, afin qu'on les voye en vn clin d'oeil par ordre, auec leur dénombrement.
CHAPITRE III.
L'ordre et dénombrement des douze Modes des modernes.
IE sçay bien qu'ordinairement, et selon les anciens on commence le premier Mode par re, suiuant le Plein-chant, et les Tons de l'Eglise: mais pour parler auec plus de raison, j'estime auec plusieurs modernes, comme sont, Zarlin, Claudin, du Caurroy, et autres, qu'il est plus à propos de commencer par vt, c'est la premiere clef, ou note des six fondamentales de l'art: doncques puis que toute la chantrerie est fondée sur vt re mi fa sol la, il faut aussi que nos douze Modes s'appuient sur les mesmes, chaque note contenant deux Modes, comme finale d'iceux: Vt comprenant le premier et le second, re le troisiesme et le quatriesme, mi le cinquiesme et le sixiesme, fa le septiesme et le huictiesme, sol le neufiesme et le dixiesme, la le vnziesme et le douziesme: ce que ne trouuerez estrange, si vous considerez que certains Autheurs laissent la chose libre et indifferente, asseurans que l'on peut commencer indifferemment le premier par la note qu'on voudra, ce que je ne trouue gueres conforme à la raison. Voicy la liste clairement selon l'opinion de plusieurs Autheurs, entre autres Charles Guillét en ses Phantaisies.
Le premier Mode Dorique, belliqueux, pieux, et propre à l'entretien de prudence, c'est l'vt de C fa vt. Voyez les autres qualitez de ce mode, et des suiuans sus mentionnez.
Le second Sousdorique, graue, et fort propre pour les chansons spirituelles et religieuses, c'est G vt, vn Diatessaron plus bas que le precedent.
Le troisiesme c'est le Phrygien, propre pour exciter à cholere, c'est le re de D sol re: et bien que nous ne sçachions pas asseurément [-120-] quels estoyent les Dorique, Phrygien, et les autres chez l'Antiquité: toutesfois il est vray semblable qu'elle a tenu l'ordre que nous tenons.
Le quatriesme Sousphrygien, propre aux lamentations, et pour appaiser les passions de cholere, et autres, c'est le re d'A re, trois interualles plus bas que le Phrygien.
Le cinquiesme le Lydien, propre aux complaintes, lasche et effeminé, c'est le mi d'E mi la.
Le sixiesme le Souslydien, defendu aux jeunes gens du temps de Platon, pource qu'il est trop mol à son opinion, excitant à volupté, c'est le mi de [sqb] mi.
Le septiesme le Myxolydien, defendu aussi par Platon, pource qu'il est trop effeminé et affoiblissant, c'est le fa d'F vt fa.
Le huictiesme Sousmyxolydien plaisant, delicat, et propre à flatter, et delecter l'oreille, c'est l'vt de C fa vt, deux Tons et demy plus bas que l'autre.
Le neufiesme le AEolien, propre pour les vers Lyriques, donnant aux paroles et aux voix de la douceur et grauité, c'est le sol de G re sol vt.
Le dixiesme Sousaeolien, qui a les mesmes effets que le precedent, c'est le re de D sol re, commençant vn Diatessaron plus bas que son naturel Authentique.
L'vnziesme c'est le Ionien, ou Iastien, propre pour les recreations et ballets, c'est le la d'A mi la re.
Le douziesme et le dernier le Sousionien, ou Sousjastien, seruant à donner les aubades, et produire les mesmes effets que son Authentique, commençant au mi d'E mi la, qui est vn Diatessaron plus bas que l'autre, et finissant de mesme que le naturel.
Voila les douze Modes, leurs qualitez et proprietez par ordre, compris dans six Diapasons: Mais qu'est deuenu nostre septiesme Diapason? comment s'est-il eschappé? Nous auons dit par cy deuant qu'il y auoit sept Diapasons, et que chacun d'iceux contenoit deux Modes: doncques en tout il y en doit auoir quatorze de bon compte, et ce pendant nous n'en auons estably que douze, compris dans les six notes essentielles de la Musique.
Il est vray qu'il y a sept Diapasons differents non plus ny moins: mais que le septiesme est faux, et partant rejetté auec les deux Modes qu'il contient, à raison du Semidiapente et du Triton qui s'y trouuent, soit qu'on les diuise Harmoniquement, ou Arithmetiquement: et [-121-] partant restet pour six Diapasons et douze Modes, le treziesme et quatorziesme estans faux et rejettez comme bastards et illegitimes, c'est le mi de [rob] fa [sqb] mi, et le fa de F vt fa. Remarquez icy en passant que tous ces Modes sont diuisez en Authentiques et Plagaux, et les vns et les autres en naturels, et transposez au Diapente, ou au Diatessaron, en haut ou en bas, comme vous verrez en pratique cy apres. Les Authentiques, ou maistres, montent toujours en leur Diapason Harmoniquement diuisé, par vn Diapente, et finissent par vn Diatessaron, tels sont les Dorique, Phrygien, Lydien, et cetera.
Les Plagaux, ou seruiteurs, commencent ordinairement vn Diatessaron plus bas que leurs Authentiques et Maistres, et montent aussi par vn Diatessaron, leur Diapason estant diuisé Arithmetiquement, et finissent par vn Diapente: tels sont les Sousdorique, Sousphrygien, Souslydien, et cetera. Il faut montrer tout cecy en pratique distinctement selon nostre coustume.
Vous noterez aussi, qu'encores que j'aye dit cy dessus auec plusieurs autres que le premier Mode, qui commence par vt, c'est le Dorique: toutefois il est vray semblable que c'est l'Ionique, ou Iastien, et que ré c'est le Dorique, et cetera. La raison et la probabilité que j'ay eu de mettre la Dorique en l'vt de C fa vt, et ainsi des autres, a esté que nous ne sçauons point asseurément quelle estoit la Dorique et Ionique des Anciens, et cetera et partant je laisse la chose libre et indifferente. Quelques Autheurs diuisent les Modes autrement Arithmetiquement, faisant perdre confusément les Plagaux dans l'estenduë des Authentiques, mais alors ils sont d'vn autre Mode plus esloigné; car le premier en vt contient le huictiesme, le troisiesme Mode Harmonique enferme le dixiesme Arithmetique, le cinquiesme contient le douziesme, et ainsi des autres: et dautant que le tout reuient à vn, je me contenteray seulement de la diuision des Authentiques et Plagaux.
[-122-] [Parran, Traité, 122; text: Authentiques naturels. Authentiques transposez, I. Dorien. III. Phrygien. V. Lydien. VII. Mysolydien. IX. AEolien. XI. Ionien. XIII. Hyperionien. Rejetté.] [PARTRA 45GF]
[-123-] [Parran, Traité, 123; text: Plagaux naturels. Plagaux transposez. II. Sovsdorien. IIII. Sovsphrygien. VI. Sovslydien. VIII. Sovsmysolydien. X. Sovsaeolien. XII. Sovsionien. XIIII. Sovshyperionien. Rejetté.] [PARTRA 46GF]
[-124-] CHAPITRE IV.
Des effets admirables des Modes.
I'Aurois icy sujet de me plaindre justement et raisonnablement si on vouloit escouter ma plainte, du peu d'effet qu'a la Musique de nostre temps; ou pour mieux dire des mauuais effets qu'elle produit le plus souuent, et du peu de bons. Nous sçauons qu'anciennement elle en produisoit de si merueilleux, comme nous lisons de Clitemnestre, laquelle estant laissée par Agamemnon qui alloit au siege de Troye, fut conseruée pudique et immaculée par le chant Dorique d'vn Musicien, laissé aupres d'elle à cette fin, contre les importunitez lasciues d'Egiste: mais ayant perdu sa douce et fidelle garde, elle perdit aussi tost le joyau de sa pudicité.
Si nostre Dorique est le premier Mode que nous auons dit, d'où vient qu'elle n'engendre les mesmes affections que celle de l'Antiquité, rendant les ames chastes et pieuses? N'est-ce point parauenture qu'on n'obserue pas la mesme façon que les Dores, et qu'on n'y apporte pas la diligence requise et necessaire? Possible que la Musique Dorique et Phrygienne ancienne, n'est pas la nostre moderne, ny par consequent les autres Modes: car le Phrygien eut tant de force anciennement qu'il transporta vn jeune Taurominitain à vne si extreme cholere, qu'il vouloit forcer par feu et par armes vne maison voisine, poussé de la jalousie et affection qu'il portoit à sa maistresse, et puis, par le conseil de Pythagore, vn Chantre le remit en son bon sens, luy esteignant sa furieuse violence par le benefice de l'harmonie Sousphrygienne. Vn certain Timothée fit l'espreuue de ces deux especes de chant esmouuant par le Phrygien Alexandre qui estoit à table, jusques à courir furieusement aux armes, et soudain par le Sousphrygien le rendant calme et tranquille d'esprit. Auez vous jamais veu que nostre troisiesme et quatriesme Mode ayent operé semblables choses?
La Musique Lydienne estoit fort puissante, tesmoin Aristote, lequel la voyant fort conforme aux sciences, et à la doctrine, la permit à la jeunesse ainsi que les autres Modes, vn chacun d'iceux estant doüé d'vne secrette vertu, et partant employez par Theophraste, Thales et [-125-] Xenocrates, à la guerison des troubles d'esprit, et maladies corporelles: de sorte que la Musique est souueraine pour consoler vn dueil, appaiser la cholere, refrener l'audace, temperer les desirs excessifs, guerir les douleurs, soulager l'ennuy des miseres, conforter la langueur, et adoucir toute sorte de peines: tesmoin m'en sera la Flute d'Ismenias, qui operoit ces effets: à quoy j'adjousteray ce que fit le Roy Dauid auec sa Harpe, deliurant Saül du malin esprit. Pourquoy est-ce donc que les Modes et la Musique de ce temps, s'ils sont les mesmes que jadis (comme il est vray semblable) n'auront pas la mesme force et vertu que ceux-là?
Les raisons de cecy peuuent estre, premierement, pource que, peut estre, nostre premier Mode n'est pas leur Dorien, comme l'on estime, graue, pieux, et belliqueux; et les autres par consequent estans dissemblables, ne peuuent produire semblables effets. Secondement, que s'ils sont les mesmes, la façon toutefois de composer et chanter est differente. Tiercement, que les Maistres ne trauaillent pas diligemment, ou ne veulent prendre la peine, et se donner le loisir de bailler à chaque Mode ce qui luy est propre pour tel ou tel effet, et par ainsi faut attribuer ce defaut à la negligence, ou à l'ignorance, ou à tous deux ensemble. Quatriesmement, que quand bien ce seroit les mesmes Modes, mesme façon de composition, et qu'on ne manquast de science et diligence (car il y a plusieurs doctes et bons Maistres) toutefois peut estre que les esprits sont autrement disposez et affectionnez qu'ils n'estoyent au temps passé, et que l'oreille est plus delicate, et par consequent plus mal aisée à contenter.
De dire que n'ayons d'aussi élaborée et bonne musique que l'Antiquité, d'aussi bonnes voix, et qui chantent pour le moins auec autant de grace, je n'en doute nullement. Il est bien vray que quand je lisois les Autheurs sur ce sujét, ils sembloient m'asseurer que la Musique des Anciens se chantoit ordinairement auec les Instruments: ceux de Delphe se seruoyent de Luths, de Violes, et autres Instruments à la main, fort semblables à ceux dont on a l'vsage en France. Tritonidas et Martias Lydiens se plaisoyent grandement aux Flutes, comme aussi les Lacedemoniens. Les Amazones ne combattoyent point autrement en guerre qu'au son des chalumeaux, à l'vne desquelles Alexandre ayant donné vn maistre joüeur de Flutes, l'en remercia, et s'en alla contente.
[-114 <recte 126>-] On sçait la force qu'a la Trompette en guerre, non seulement sur les hommes, ains aussi sur les animaux. On dit que Martianus Capella restituoit la santé aux phrenetiques par la douceur et melodie des sons bien proportionnez. Asclepiades Medecin appaisa et assoupit par chants frequents, les seditions des villes. Damon domptoit les jeunes gens yures et insolents, auec la suauité et grauité de ses Motets: car commandant aux joüeurs de Flutes d'entonner le chant Spondaïque, ils appaisoyent les troubles, et dissipoyent les fumées du vin.
On dit bien dauantage, que les anciens guerissoyent les fieures, blessures, et autres maladies, auec leurs melodieuses chansons: car le susdit Asclepiades auec la Trompette, rendoit l'oüie aux sourds, chose à la verité fort estrange et inoüie. Theophraste remedioit aux mouuements d'esprit déreglez, par le moyen de la Flute. Qui ne sçait que la Goutte sciatique se guerissoit par ce mesme remede. Xenocrates deliuroit les Lunatiques auec la Musique des Orgues. Thales de Crete chassoit les maladies, voire mesme la peste auec l'industrie et la douce harmonie de ses Instruments, comme Harpe, Luth, et cetera et qui ne sçait qu'on prend les Cerfs à la chasse auec la Flute? les poissons dans les estangs d'Alexandrie, en excitant vn grand bruit et tintamarre, auec la voix et l'instrument. Le jeu de Harpe attire les Cygnes Septentrionaux. Les Orgues arrestent les Elephans des Indes. On a experimenté que les Oiseaux se pipent et se prennent auec la Flute. Les petits enfans dans le berceau s'appaisent au bruit des Instruments, et les Dauphins s'appriuoisent aisément en cette mesme façon; tesmoin la Lyre d'Arion. Bref vous sçauez ce que faisoit le Chantre Thracien Orphée, mariant son Instrument à la voix, les merueilles duquel je mettray icy à la loüange de la Musique.
QVand ce fameux Harpeur qu'engendra Calliope,
Enseignoit ses beaux airs aux Nymphes de Rhodope,
Et joignant les accords de son Luth à sa voix
Rauissoit les rochers, les fleuues et les bois:
Les sapins sourcilleux, et les chesnes superbes,
S'arrachans de leurs seps dansoyent dessus les herbes,
Ores d'vn pas leger, ores plus lentement,
Selon que son archet poussoit son mouuement.
Les tertres et les monts qui couronnent la Thrace
[-125 <recte 127>-] Pour estre du Balet abandonnent la place.
L'Hebre quittant son lict de jonc et de roseaux,
Au bruit de ces concerts se montroit sur les eaux.
Les Tygres dépoüillez de leur humeur sauuage,
Ne songeoyent plus au sang, ny les Ours au carnage.
Les Lyons et les Cerfs se couchoyent à ses pieds,
Où son Luth les tenoit estroittement liez.
Tout les vents se taisoyent pour entendre ses charmes,
Les vagues apres luy disoyent tout bas ses carmes,
La Mer craignoit de bruire, et ses Poissons muets
Taschoyent de retenir à par eux ses Motets.
Les habitans de l'air, qui deuant ces merueilles
N'auoyent pas plus de voix, que les cailloux d'oreilles,
S'estans alors laissez par bon-heur enchanter,
Apprirent en l'oyant à se faire escouter,
Et les Cieux qui faisoyent des branles d'auenture,
Danserent du depuis par art et par mesure:
Tant vn Concert bien fait est efficacieux
Pour esmouuoir la Terre, et la Mer, et les Cieux.
CHAPITRE V.
De la Mediation, Terminaison, ou Cadences des Modes.
AYant veu la nature, le nombre, et les effets des Modes, reste que nous donnions les marques par lesquelles on puisse discerner les vns des autres.
Ces marques sont les Mediations, Terminaisons, ou Cadences, lesquelles déterminent et nous font cognoistre de quel Mode est telle ou telle modulation à la fin, au milieu, et encore au commencement de la piece, ou Motet: à cela seruent aussi les clefs, les voix, et les chordes qui viennent le plus souuent en vsage. Il y a ordinairement en chaque Mode trois notes ou chordes, lesquelles sont plus vsitées, et sur lesquelles les parties tombent le plus souuent, appellées pour cette raison Cadences, pource que les parties du chant se rencontrent frequemment sur telles notes, comme les meilleures, plus douces, naturelles, et essentielles.
[-128-] Ces Cadences sont au nombre de trois sans plus en chaque Mode, quoy qu'on en puisse faire dauantage par emprunt. La premiere et plus parfaite c'est la finale, ainsi appellée pource qu'à la fin de la piece on s'en sert plustost que des autres, comme estant celle qui doit terminer et clorre tout l'ouurage, luy donnant sa derniere perfection. C'est aussi celle-là qui nous donne à cognoistre plus clairement de quel Ton ou Mode est tel ou tel chant: car comme tesmoignent les Philosophes, chaque chose prend sa denomination de la fin: de mesme aussi chaque mode se nomme et se cognoist par sa note finale.
La deuxiesme Cadence est appellée mediante, ou mediane, pource qu'on ne se sert point d'icelle à la fin comme de Cadence, ains seulement au milieu, et par fois au commencement, bien que le Pleinchant n'obserue pas toujours cette reigle, veu qu'en certains Tons en l'Intonation des Pseaumes, les Mediations se trouuent à la fin, specialement au premier, troisiesme et huictiesme.
Quelques vns confondent les especes, disans que toutes notes ou voix, qui font accord contre la finale peuuent estre dites mediantes: où il faut noter que mediante se prend en deux façons: premierement, eu esgard au milieu de la piece Musicale, où toutes les Consonances qui se peuuent rencontrer auec la note fondamentale du Mode propre ou empruntée, peuuent estre dites Cadances mediantes, ou mediations. Secondement, si nous comparons les trois notes ou chordes propres de chaque Mode, l'vne auec les deux autres, qui font les deux plus proches accords, à sçauoir le Diton et le Diapente, comme vt mi sol: alors nous dirons qu'vt c'est la finale, mi la mediante, et sol la dominante: car pour ce qui est du Diapason, il n'est pas proprement appellé mediante, si ce n'est, comme j'ay dit, à raison qu'il se rencontre au milieu, ou bien encore à la fin du chant, le comparant à la finale: lequel toutefois j'aimerois mieux nommer finale, veu qu'il tient de la nature d'icelle, c'est pourquoy je mets
La troisiesme espece des Cadences ditte dominante, comme seigneuriant et tenant place sur les autres: car comme la mediante est ainsi nommée, pource qu'elle tient le milieu entre la finale et la dominante: de mesme aussi la dominante a retenu ce nom, à cause qu'elle tient le plus haut entre les deux autres. Semble qu'il est bien raisonnable que chaque Cadence des trois aye son nom particulier pour les distinguer l'vne des autres, veu qu'elles sont totalement differentes entre [-129-] elles, quoy que parlant en general, la dominante et mediante se puissent dire mediations, pour la raison qu'auons dit cy-dessus. Ce n'est pas à dire pourtant qu'en la piece d'vn Mode on ne puisse vser et emprunter vne ou deux Cadences d'vn autre Mode, si la piece est mediocrement longue, pour luy donner grace: deux ou trois, si elle l'est excessiuement, specialement si telles Cadences empruntées se trouuent à l'Exachorde, ou au Diatessaron de la finale du Mode primitif, c'est à dire, qu'on a choisi au commencement du chant qu'on veut composer: par exemple, si le chant est du Premier de l'Eglise, on y peut mesler les Cadences du Septiesme, Vnziesme, et autres en passant, pourueu que l'on reuienne aussi tost au premier et propre Mode pretendu: mais donnez vous de garde d'vser de [rob] mol aux Modes où vne des trois chordes ou Cadences se trouueroit à la fausse Quinte, ou à la fausse Quarte de tel [rob] mol, comme au Premier et Second, au Cinquiesme et Sixiesme, à l'Vnziesme et Douziesme. Voicy doncques l'exemple des trois Cadences en chaque Mode tant Authentique que Plagal, tant naturel, que transposé.
CADENCES DES DOVZE MODES a qvatre parties.
Du Premier Mode, ou de l'Vnziesme.
[Parran, Traité, 129; text: Le transposé. Dominante. Mediante. Finale.] [PARTRA 47GF]
[-130-] [Parran, Traité, 130; text: Du Second Mode, ou du Douziesme. Le transposé. Dominante. Mediante. Finale. Du Troisiesme Mode ou du Premier.] [PARTRA 47GF]
[-131-] [Parran, Traité, 131; text: Du Quatriesme Mode ou du Deuxiesme. Le transposé. Dominante. Mediante. Finale. Du Cinqiesme Mode ou du Troisiesme. Dominante et Finale.] [PARTRA 48GF]
[-132-] [Parran, Traité, 132; text: Du Sixiesme Mode ou du Quatriesme. Le transposé. Dominante. Mediante. Finale. Du Septiesme Mode ou du Cinquiesme.] [PARTRA 49GF]
[-133-] [Parran, Traité, 133; text: Du Huictiesme Mode ou du Sixiesme. Le transposé. Dominante. Mediante. Finale. Du Neufiesme Mode ou du Septiesme.] [PARTRA 50GF]
[-134-] [Parran, Traité, 134; text: Du Dixiesme Mode ou du Huictiesme. Le transposé. Dominante. Mediante. Finale. De l'Vnziesme Mode ou du Neufiesme.] [PARTRA 51GF]
[-135-] Du Douziesme Mode ou du Dixiesme.
[Parran, Traité, 135; text: Le transposé. Dominante. Mediante. Finale.] [PARTRA 52GF]
Si vous espluchez le tout de bien pres, vous trouuerez que ce sont icy les vrais Modes, et leurs reigles bien asseurées auec leurs chordes et Cadences bien obseruées: d'où je conclus qu'il n'y en peut auoir plus ny moins de douze. Peut estre aurons nous moyen quelque jour de faire voir au jour vne douzaine de pieces assez recherchées et obseruées suiuant les douze Modes, si Dieu et nos Superieurs le permettent.
CHAPITRE VI.
Conclusion de l'Oeuure, determinant si on chantera la Musique au Ciel.
FErmons le bouton de la Couronne que nous auons tissuë jusques icy en faueur de la Musique, assemblons tous les fleurons pour comprendre en vn mot le comble de ses excellences: mais quoy! je suis arresté au premier pas: je n'ay ny mots ny nombres pour exprimer l'harmonie des accords melodieux qui se chantent dans le Ciel; Aussi prends-je vne autre route, cher Lecteur, et ne seray pas si temeraire de vouloir enseigner ce qui ne se peut apprendre en cette vie, j'aurois peur d'estre deuoré comme le pauure Neantus, qui merita ce chastiment en voulant imiter le jeu d'Orphée sur sa Lyre, qu'il auoit sacrilegement tirée des mains des Prestres qui la gardoyent: ce m'est assez de vous montrer qu'on chantera la Musique dans le Paradis, sans esplucher à yeux clos la qualité de ses fredons. Ie dis donc qu'vne partie des attraits que Dieu doit donner aux Bien-heureux, pour les forcer sans violence à l'amour de leur Paradis, sera la Consonance harmonieuse de quelque bel accord musical. Car, de grace, qui a-il de mauuais en la Musique, qui la face bannir des Cieux? si elle nous fait compagnie dans la guerre, pourquoy la voulez vous priuer du triomphe? C'est faire tort aux Fifres, Tambours, et aux Trompettes, de leur defendre la fanfare apres la victoire. L'Eglise Militante s'en sert pour temperer vn peu les mescontentemens de cette vie, et pour donner vn auant goust de la future: l'vne et l'autre de ces intentions luy donnent passeport, voire quand elle ne l'auroit pas, qui luy refusera l'entrée quand elle sera renduë comme vne chose empruntée à son legitime possesseur, et retournera, comme vne partie du tout, en son lieu naturel? Et de fait, ne pensez pas que la Musique soit en ce monde comme en son centre, c'est vn erreur, Non canit Philomela in cauea, disoit Scopelian chez les Clazomenes: et les Iuifs en leur captiuité, Quomodo cantabimus Canticum Domini in terra aliena? Le Rossignol enfermé, qui ne void les champs que par les fenestres d'vne cage, croiroit profaner ses chansons, s'il chantoit aussi courageusement qu'en sa liberté: et les [-137-] meilleures voix des hommes exilez en terre estrangere, sont les soupirs et les gemissemens: je veux dire par là qu'estans bannis du Ciel, comme nous sommes, et prisonniers en terre, nous ne deuons pas attendre vne Musique parfaite, comme nous l'aurons dans la liberté apres le retour nostre patrie, mais seulement prendre celle cy comme vn eschantillon destaché de la piece; ou comme vn petit ruisseau bourbeux esloigné de la fontaine: c'est assez d'inferer, Si tanta Deus facit in carcere, quid faciet in palatio? Si Dieu a tant mis d'attraits en la Musique de ce monde, quelle suauité n'aura pas celle du Ciel? Sainct Anselme n'ayant point de mots pour l'expliquer, se sert d'vne metaphore hyperbolique, disant, que la melodie des Cieux enyurera les Bien-heureux, c'est à dire les rauira tellement, que comme extasiez hors d'eux mesmes, ils se laisseront emporter à la douce violence des voix charmantes de ces Choristes, qui font escorte à l'Aigneau dans l'Apocalypse, chantans le nouueau cantique, qui ne peut estre entonné que par les cent quarante quatre Pages d'honneur qui font vne perpetuelle compagnie à sa Majesté. C'est ce que rapporte Sainct Iean dans l'admirable vision qu'il eut, qui est confirmée par le Prophete Royal au Pseaume 149. Exultabunt Sancti in gloria, laetabuntur in cubilibus suis: exaltationes Dei in gutture earum. Les Saincts tressailliront de joye contemplans l'objet de leur gloire, puis transportez de sa beauté, pensans au bien qu'ils possedent par vne vtile reflexion, ils se conjoüiront en eux mesmes de leur bon-heur, d'où sortiront par vn excez d'amour, mile cantiques de loüange, qui prendront le ton et la melodie dans les diuerses contractions et dilatations de leur gorge: d'où l'on void apertement que ces loüanges ne seront pas seulement intellectuelles sans meslange de son, ny de voix: aussi ne seroit-il pas raisonnable que l'oreille, qui a beaucoup contribué pour sa part en la conqueste de la gloire, perdist sa recompense, pendant que les autres sens auront la leur: et si la Iustice punit les damnez auec cette rigueur, que chaque sens a son tourment particulier dans le lieu de miseres, je vous laisse à penser si la mesme Iustice, aydée de sa bonté, ne recompensera pas particulierement auec plus de liberalité chacun des mesmes sens dans le lieu de contentement.
C'est pourquoy je me mocque de ces Clairons Dodoneans, qui donnent des faux Tons à nostre Musique, et troublent nos Concerts en nous voulant faire croire que le son ne se peut faire sans air; d'où consecutiuement [-138-] ils ostent toute l'harmonie du Paradis: Mais que ceux-là me respondent, comment les Bien-heureux verront sans air l'Humanité du Fils de Dieu, et les corps de leurs Concitoyens, et qu'ils prennent leurs responses pour la difficulté qu'ils me proposent: neantmoins de peur que je ne les esconduise sans satisfaction, je dis que la puissance de Dieu n'est pas si limitée, que quand tout l'air du monde seroit aneanty, il s'ensuiuist incontinent que Dieu ne pourroit pas faire parler vn homme: non non, il peut suppléer à ce defaut par mile autres moyens qui sont cognus à sa toute science: Il fait bien sortir le son du profond de l'eau, pourquoy non de quelque autre corps? Il a bien fait parler des hommes sans langues, et des telles tranchées sans poulmon, pourquoy non des poulmons et des langues sans air.
Que si cela ne les paye pas, qu'ils sçachent que Dieu n'auroit pas vne puissance infinie, si elle auoit les limites de leur foible imagination, qui se noye dans tout ce qui passe sa capacité. Pour moy j'ay de la peine à conceuoir cela, mais je me contente de la raison, et ferme les yeux, voyant l'experience des Sainctes Magdelaines, des Saincts Pauls, des Saincts Anthoines; des Saincts Trasiles, et mile autres, qui ont eu des auant-gousts de la melodie celeste dés cette vie: cela, dis-je, m'est assez pour me faire souhaiter que nos Cantiques de Cygnes se changent en immortels, et que nos oreilles grossieres deuiennent plus delicates, pour entendre cette rauissante melodie, qui doit rassasier nos esprits dans l'Eternité.
FIN.
Errata.
PAge 28. ligne 8. lisez sonorum.
page 38. au lieu de Diese mineure, ou Chromatique, lisez majeure.
page 42. ligne 9. lisez gouuernent.
page 45. au lieu d'inegalité mineure, lisez majeure.
page 63. au lieu de la Tierce mineure lisez majeure.
[-139-] La Musique au Roy.
[Parran, Traité, 139; text: IE suis la Reyne des concerts, L'esprit des Luths, l'ame des Airs, Et la belle ouuriere des charmes: Mais juste et glorieux vainqueur Ie ne me vante que des armes Dont j'ay peu te gaigner le coeur.] [PARTRA 52GF]
Mes plaisirs rendus innocens
N'ont plus rien qui gaste les sens,
Ie suis deuote à ton exemple,
Et par vn excez de bon-heur
Tu m'as remise dans le Temple,
Et rendu mort premier honneur.
De tes vertus, et de ma voix,
De mes airs, et de tes explois
Par tout il se fait des merueilles,
Et par vn concert glorieux
Mes chansons charment les oreilles,
Et tes faits rauissent les yeux.
[-140-] Sur la naissance de Monseigneur le Dauphin.
[Parran, Traité, 140; text: Dessvs. EN fin nos voeux sont exaucez, Chantez François, chantez victoire: Voyla vos tristes jours passez, Et suiuis d'vn siecle de gloire. Chantez il n'est point d'esperance Que ne donne vn Dauphin en France.] [PARTRA 53GF]
Anges protecteurs de nos loix,
Vniques tuteurs de nos Princes:
Si vous chantastes autre fois
Dans la plus saincte des Prouinces,
Chantez il n'est point d'esperance
Que ne donne vn Dauphin en France.
Il promet l'Empire des Mers,
Asseure celuy de la Terre,
Et se fera dans l'Vniuers
L'Arbitre de paix, et de guerre.
Chantez il n'est point d'esperance
Que ne donne vn Dauphin en France.
[-141-] Sur la naissance de Monseigneur le Dauphin.
[Parran, Traité, 141; text: Basse. EN fin nos voeux sont exaucez, Chantez François chantez victoire: Voyla vos tristes jours passez, Et suiuis d'vn siecle de gloire. Chantez il n'est point d'esperance Que ne donne vn Dauphin en France.] [PARTRA 53GF]
Le Dauphin sur l'eau paroissant,
Semble predire la tempeste.
La paix suit le nostre naissant
Comme sa premiere conqueste.
Chantez il n'est point d'esperance
Que ne donne vn Dauphin en France.
[-142-] Figure de Ptolomée nommée Helicon, comprenant
toute sorte de Consonances.
LA façon de faire cette figure est de tirer premierement la ligne C B, laquelle vous diuiserez en deux parties esgales au point N. Secondement diuiser, la mesme chorde en trois aux points O et N. Tiercement, il la faut diuiser en quatre parties, d'ou prouient L.
De ces points il faut tirer et bander six chordes equidistantes C. D. O. S. N R. M. Q L. P. B. A. lesquelles seront toutes diuisées en deux parties depuis l'angle C, jusques au milieu de la ligne B A, hors mis la premiere.
En cét instrument se font entendre toutes les Consonances et Interualles, grandes et petites, selon le genre Diatonique.
L'Vnisson de 12 à 12.
Le Semiton majeur de 16 à 15.
Le Ton mineur de 20 à 18.
Le Ton majeur deux fois, de 9 à 8, et de 18 à 16.
Le Semiditon deux fois de 18 à 15, et de 24 à 20.
Le Diton deux fois de 15 à 12, et de 20 à 16.
Le Diatessaron cinq fois de 8 à 6, 12 à 9, 16 à 15, 24 à 18.
Le Diapente cinq fois 6 à 4, 9 à 6, 12 à 8, 18 à 12, 24 à 16.
L'Exachorde mineur 24 à 15.
L'Exachorde majeur deux fois 15 à 9, 20 à 12.
Le Diapason auec le Ton mineur de 20 à 9, auec le Ton majeur deux fois de 9 à 4, et de 18 à 8.
Diapason
{auec le Diton deux fois de 20 à 8, et de 15 à 16.
{auec le Diatessaron deux fois de 16 à 6, et de 24 à 9.
{auec le Diapente trois fois de 12 à 4, de 18 à 6, de 24 à 8.
{auec l'Exachorde majeur de 20 à 6.
Le Disdiapason deux fois de 16 à 4, de 24 à 6.
Le Disdiapason auec le Ton majeur 18 à 4, auec le Diton de 20 à 4,
La ligne E C coupe toutes les paralleles en toute sorte de Consonances qu'on sçauroit desirer.
L T 9 et V M 8 Sesquioctaue le Ton majeur.
Q V 16 et P T 15 Sesquidecimequinte le Semiton majeur.
S Z 20 et Q V 16 Sesquiquarte le Diton.
E B 12 T L 9 Sesquitierce le Diatessaron.
[-143-] Item E B 12 et V M 8 Sesquiautre le Diapente.
Q V 16 et V M 8 la double ou Diapason.
X N 6 R X 18 triple, le Diapasondiapente.
X O 5 Z S 20 quadruple, Disdiapason.
L'Helicon de Ptolomée contenant toute sorte de Consonances.
[Parran, Traité, 143; text: A, B, C, D, E, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, X, Z, 5, 6, 8, 9, 12, 15, 16, 18, 20, 24] [PARTRA 54GF]
[-144-] LE MONOCHORDE auec sa diuision.
[Parran, Traité, 144; text: H, Disdiapason, Diapasondiapente, Diapasondiatessaron, Diapasonditon, Diapason, Exachorde majeur, Exachorde mineur, Diapente, Diatessaron, Diton, Ton majeur, Semiton majeur, Semiton mineur, Ton mineur, Semiditon, A. L'Vnisson, G. la Septiesme, F. l'Exachorde mineur, E. D. C.] [PARTRA 55GF]