TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Fn and Ft: MERHU2_8 TEXT
Author: Mersenne, Marin
Title: Livre sixiesme de l'art de bien chanter
Source: Harmonie Universelle, contenant la theorie et la pratique de la musique, 3 vols. (Paris: Sebastien Cramoisy, 1636; reprint ed. Paris: Centre national de la recherche scientifique, 1965), 2:331-442.
Graphics: MERHU2_8 01GF-MERHU2_8 19GF
[-331-] LIVRE SIXIESME DE L'ART DE BIEN CHANTER.
IL ne suffit pas d'auoir traité des mouuemens, des sons, des consonances, des dissonances, des systesmes, des genres, des modes, de la composition, de la voix, et des chants, si l'on ne sçait la maniere et la methode de bien chanter toute sorte de Musique, c'est pourquoy i'ajoûte ce liure, lequel ie diuise en quatre parties, dont la premiere explique deux methodes fort aysées pour enseigner le plain chant, et la musique aux enfans, et à toutes sortes de personnes, sans vser des muances ordinaires, qui embarassent d'auantage l'esprit qu'elles ne l'aydent. La seconde enseigne comme il faut faire toutes sortes de diminutions pour embellir les chants: la 3 monstre ce que c'est que la Musique Accentuelle: et la 4, en quoy consiste la Musique Rythmique, d'où dependent tous les mouuemens des Airs, et des dances.
Or ce liure est le principal, et le plus difficile de tous, parce que ses preceptes ne peuuent estre reduis en pratique sans vne bonne voix, laquelle on doit supposer: mais parce quelle ne suffit pas toute seule, si elle n'apprend à se conduire par toutes sortes de mouuemens, de degrez, et d'interuales, i'explique dans ce liure comme elle doit se porter dans les plaintes, dans les diminutions, et aux accents, et comme elle doit executer tout ce qui peut tomber sous l'imagination. Ie commence donc par vne methode fort aysée, laquelle Monsieur des Argues excellent Geometre, a dressé en des termes, qu'il a reconnu propres pour l'insinuer dans l'esprit des enfans, et pour la leur faire comprendre en peu de temps auec beaucoup de facilité: C'est pourquoy ie ne les ay pas voulu changer; elle sert de sujet à la premiere proposition, comme vne autre methode bien-aysée pour apprendre à chanter, et à composer seruira pour la seconde.
[-332-] PREMIERE PROPOSITION.
Expliquer vne methode aisée pour apprendre et enseigner à lire et à escrire la Musique.
CETTE maniere est diuisée en 4 parties, dont la premiere monstre l'ordre des sons, et la suite qu'ils tiennent dans les chants ordinaires; la seconde enseigne comme on lese scrit; la troisiéme, comme il les faut lire, et la quatriesme comme le Maistre doit proceder auec ses Disciples pour les enseigner aysement. Or auant que commencer il est à propos de remarquer que les exemples de la premiere proposition du premier liure, ceux de la _ et 3 du 3 liure des Genres, et ceux de la 19 proposition du 4 liure de la Composition suppleent aux exemples que l'on pourroit requerir dans le traité qui suit, dont ie fais d'autant plus d'estime, que son auteur est plus propre pour exprimer la pratique des arts familierement, auec des termes qui tesmoignent vne puissante imagination, et vn bon raisonnement, qu'il nous fera paroistre quand il luy plaira en des sujets beaucoup plus vtiles, et plus releuez que celuy-cy, lors qu'il fera part au public des pensées qu'il a pour la Perspectiue, et pour les differentes couppes des Cones: commençons donc par l'ordre des lettres et des sons, dont on vse dans la pratique de la Musique.
Ordres des Sons.
EN la pratique de la musique on employe aujourdhuy sept sons diuers, comme principaux, qu'on fait ouyr ou sonner au moyen de la voix, et des instrumens propres à cela.
On entend que ces sons là soient arrangez et disposez en suite l'vn de l'autre, comme par eschelons ou degrez, et cottez chacun d'vne des lettres de l'alphabet. A quoy seruent les sept premieres A, B, C, D, E, F, G.
L'on entend encore que ces sons, eschelons ou degrez soient differens, ou bien esloignez l'vn de l'autre d'vne certaine differance ou interuale, qu'on nomme ton, ou bien d'vne certaine differance ou interuale qu'on nomme demi-ton. Ie laisse à part les pretenduës especes de chacun de ces tons et demi-tons.
On augmente et multiplie à volonté le nombre de ces sept sons, eschelons, ou degrez, et des sept lettres A, B, C, D, E, F, G. En y en ajoustant d'autres semblables de part et d'autre, ou bien en montant ou descendant, y gardant tousiours l'ordre, soit des sons soit desdites lettres, pour les cotter, selon lequel sont arrengez et cotez les sept premiers, en façon qu'à conter duquel que ce soit, le huitiesme soit de la mesme espece que le premier de ce conte, ou que la huitiesme des lettres, dont ils sont cottez, reuienne à estre la mesme que la premiere de ce mesme conte.
Aucunesfois on entend que du son ou degré cotté A au son ou degré cotté B il y ayt l'interuale, ou la differance qu'on nomme ton; puis en suite que du son ou degré cotté B au son ou degré cotté C il y ait seulement l'interuale ou la differance qu'on nomme demi-ton. Et l'on à iusques icy nommé [-133 <recte 333>-] ce cas là Bmol, par où l'on veut dire que cette espece d'ordre de sons est nommé Bmol, c'est à dire que ce qui se chante sur cette disposition de sons est nommé chant par Bmol.
Mais en tous les deux cas de Bmol, et de Bquarre tousiours on entend, à parler generalement, que du son ou degré cotté C, au son ou degré cotté D, il y a l'interuale nomme ton, et que du son ou degré cotte E, il y a l'interuale encore nomme ton; Mais que du son ou degré cotté E au son ou degré cotté F, il y a seulement l'interuale nommé demiton; puis en suite que du son cotté F, au son cotté G il y a l'interuale encore nommé ton: et si l'on passe outre, on entend que du son cotté G au son cotté A il y ait tousiours l'interuale ou la differance nommé ton; et si l'on poursuit, il faut continuer tousiours de mesme façon et du mesme ordre qu'on a commencé.
De mesme en retrogradant par ces sons, ou degrez, à rebours de l'ordre des lettres de l'alphabet, on entend que du son cotté G au son cotté F il y ait vn ton, mais que du son cotté F, au son cotté E il y ait seulement vn demi-ton; et en suite que du son cotté E au son cotté D. il y ait encore vn ton et du son cotté D. au son cotté C encore vn ton; et au cas de Bquarre du son cotté C au son cotté B il y ait seulement demi-ton, puis en suite que du son cotté B au son cotté A il y ait vn ton. Mais au cas de Bmol on entend que du son cotté C au son cotté B il y ait le ton, puis en suite que du son cotté B, au son cotté A il y ait seulement demi-ton; et si l'on passe outre, on entend que du son cotté A au son cotté G, il y ait tousiours l'interuale nommé ton, et si l'on poursuit il faut continuer tousiours de mesme façon, et du mesme ordre qu'on a commencé.
Quand on a redoublé comme cela plusieurs fois ce nombre de sept sons d'vn ou d'autre cotté, ou bien en montant, ou descendant, ou des deux costez ensemblement, soit au cas de Bmol, soit au cas de Bquarre, il aduient que les interuales, qu'on nomme tons, et ceux qu'on nomme demi-tons, se trouuent entremeslez, de façon que d'vn costé de chacun des demi-tons, il y a trois tons d'vne suite, et de l'autre il n'y en a que deux.
Mais il est libre de changer apres au besoin l'ordre de ces interuales, et diuersifier à volonté le meslange ou l'entrelas de ces tons et demi-tons, en plaçant vn demi-ton conuenable à l'endroit, où il y auoit vn ton, ou bien au contraire en plaçant vn ton conuenable à l'endroit où il n'y auoit qu'vn demi-ton; qui est-ce qu'on nomme faire des feintes, et qu'on exprime sous les mots de diesis, dont le caractere est [x], et de Bmol, dont le caractere est b: or le diesis signifie qu'on place vn ton à l'endroit où il n'y auoit qu'vn demi-ton, et au contraire; et le bmol signifie qu'on place vn demi-ton au lieu d'vn ton, et au contraire.
Escritures de la Musique.
POur Escrire la musique, ou pour signifier cette intention qu'on a touchant les sons, au moyen de caracteres visibles, on employe des lignes droites filees de mesme sens, l'vne au long et proche de l'autre en [-134-] nombre de quatre, de cinq, ou de six, et d'auantage si l'on veut, par bande: mais parce que l'on void plusieurs de ces bandes dans nos liures precedens, par exemple à la page 253. du liure de la Composition, et par tout ailleurs, il n'est pas besoin de les repeter icy.
Or en chacune de ses bandes chaque ligne et chaque interuale ou espace d'entre-d'eux, et par dehors represente vn de ces sons, ou bien est entenduë comme le siege ou la place de l'vn de ces sons arrangez ainsi qu'il est dit.
Et d'autant qu'on entend, ainsi qu'il est dit aussi, que chacun desdits sons est cotté d'vne des sept premieres lettres, et selon leur ordre de l'alphabet, il s'ensuit qu'aux mesmes bandes chaque ligne et chaque espace d'entredeux, et du dehors est de mesme entendu comme la place, ou le siege de l'vne de ces lettres qui seruent à cotter ces sons.
De façon qu'ayant assigné, choisi, ou determiné laquelle que ce soit de ces lignes ou espaces d'vne desdites bandes pour estre le siege ou la place de l'vn de ces sons, il s'ensuit que le mesme endroit, soit ligne, soit espace, est aussi le siege ou la place de celle desdites lettres, qui sert de cotte audit son: comme au contraire quand on assigne quelque ligne ou espace en l vne desdites bandes pour estre le siege ou la place de l'vne de ces lettres, qui seruent à cotter lesdits sons, la mesme ligne ou espace de la mesme bande est aussi necessairement la place, ou le siege de celuy desdits sons, auquel cette lettre sert de cotte.
Et consequemment l'on a assigné sur chacune des autres lignes et espaces de la mesme bande, le siege ou la place de chacun des autres de ces sons, et en suite de chacune aussi de ces lettres, qui leur seruent de cotte.
Au moyen de quoy l'on a determiné les endroits de la mesme bande où l'on entend que soient placez les sons, entre lesquels on entend qu'il n'y a que l'interuale qu'on nomme demi ton, et de mesme des sons, entre lesquels on entend qu'il y a l'interuale qu'on nomme ton, c'est à dire que l'on sçait en quels endroits de la bande sont placez les sons, entre lesquels est le ton, et ceux entre lesquels est le demi-ton.
Et encore que chaque ligne et chaque espace d'entre-deux, et du dehors de chaque bande soit entendu comme la place ou le siege de l'vn desdits sons, et consequemment de la lettre dont il est cotté, et qu'il semblast qu'estant dispencé de figurer vn son entant que cela semble impossible, il seroit au moins necessaire de figurer chacune de ces lettres, qui leur seruent de cotte, à l'endroit auquel il eschet qu'elle se trouue placée, neantmoins il suffit d'en marquer vne seule en sa place et à volonté, ou sur vne desdites lignes, ou en l'vn desdits espaces d'vne mesme bande, afin de seruir de memorial, de guide, ou de conduite à recognoistre la place de chacune des autres desdites lettres, et parce moyen cognoistre aussi la place ou le siege en vne bande de chacun desdits sons.
Mais la coustume a esté iusques icy de figurer cette lettre seulement sur vne des lignes de la bande, où l'on forme vn caractere que l'on nomme Clef, lequel signifie que l'endroit, auquel ce caractere est figuré, est la place ou le siege de celle desdites lettres qu'on entend que ce caractere represante, et par consequent du son auquel on entend que cette lettre sert de cotte.
[-135-] On a dauantage employé jusques icy l'vne ou l'autre des trois seulement de ces sept lettres, dont on s'aide à cotter les sons, à sçauoir l'F, le C, et le G, chacune desquelles sert de clef, ainsi qu'il est dit.
Quand on veut employer la lettre G, l'on figure ou forme au commencement de la bande vn *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 135,1] [MERHU2_8 01GF]
sur la ligne, de laquelle on entend qu'elle est la place ou le siege du son, auquel cette lettre G, sert de cotte.
Quand on veut employer la lettre C, on figure au commencement de la bande vn caractere, dont la forme est telle *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 135,2] [MERHU2_8 01GF]
sur celle des lignes, de laquelle on entend qu'elle est la place ou le siege du son, auquel ladite lettre C, sert de cotte.
Lors qu'on veut employer la lettre F, on s'ayde de l'vn ou de l'autre de deux caracteres diuers, dont les formes sont telles *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 135,3] [MERHU2_8 01GF]
et l'on figure vn desdits caracteres au commencement de la bande, sur la ligne de laquelle on entend qu'elle est la place ou le siege du son, auquel cette lettre F, sert de cotte.
Ainsi la lettre G, et les precedens caracteres sont ce qu'on nomme la Clef en la pratique d'escrire et de chanter la Musique à present en l'Europe; Laquelle Clef signifie et sert à cognoistre que la ligne en laquelle vn de ces caracteres se trouue figuré, est le siege ou la place du son, auquel la lettre que ce caractere represente sert de cotte.
Lors qu'on entend que le chant escrit est de l'espece qu'on nomme Bmol, on figure ou met au commencement de chaque bande, et outre la clef, la lettre b, aux endroits où il eschet que le son cotté de la lettre se trouue placé.
Mais lors qu'on entend que le chant escrit est de l'espece qu'on nomme Bquarre, on ne figure point la lettre b, au commencement de la bande.
Ainsi quand au commencement de la bande il y a cette lettre b, figurée, cela signifie que le chant escrit est de l'espece qu'on nomme Bmol; et quand cette lettre b, n'est point figurée au commencement de la bande, cela signifie que le chant escrit est de l'espece qu'on nomme Bquarre.
Ie n'ay sçeu recognoistre encore la raison sur laquelle est fondée le troisiesme nom de Nature, qu'on a donné au chant, chaque espece de chant me paroissant naturelle.
Et parce qu'on entonne à present les sons, dont on façonne la Musique, sous la prononciation de ces six sillabes Vt, Ré, Mi, Fa, Sol, La, ausquelles on peut adjouster vne septiesme; Et qu'à fin de faire eschoir toujours la prononciation des silabes Mi, et Fa, au droit des lignes ou des espaces, qui sont les places ou les sieges des sons, entre lesquelles on entend qu'il n'y a que demi-ton, et par ce moyen entonner toujours ce demi-ton sous la prononciation tant seulement desdites silabes Mi et Fa, l'on a disposé l'entresuite de ces six silabes, en certaines occasions, d'vn certain ordre, par lequel il aduient qu'on entonne vn mesme des autres sons toujours cotté d'vne mesme lettre sous la prononciation tantost de l'vne, tantost de l'autre, des autres desdites six silabes, à sçauoir Vt, Ré, Sol, La.
Ainsi l'on entonne le son cotté C, à diuerses rencontres, quelquesfois sous la prononciation de la silabe Vt, quelquesfois de la silabe Sol, et quelquesfois de la silabe Fa: et c'est de-là que procede qu'on nomme le [-136-] caractere, qui represente la lettre C, la clef de C, Sol, Vt, Fa, ou de C, Sol, Fa, Vt.
Semblablement à cause que par cette methode on entonne le son cotté F, quelquesfois sous la prononciation de la silabe Vt, et quelquesfois de la silabe Fa: c'est de-là que procede qu'on nomme l' vn et l'autre des caracteres *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 136,1] [MERHU2_8 01GF]
qui representent la lettre F, la clef de F, Fa, Vt, ou F, Vt, Fa.
De mesme à cause qu'il aduient selon cette methode, qu'on entonne le son auquel la lettre G, sert de cotte, quelquesfois sous la prononciation de la silabe Ré, quelquesfois de la silabe Sol, et quelquesfois de la silabe Vt, de là vient qu'on nomme la lettre *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 136,2] [MERHU2_8 01GF]
qui se met au commencement de la bande, la clef de G, Ré, Sol, Vt, ou G, Sol, Ré, Vt.
Semblablement à cause qu'on entonne le son cotté B, sous la prononciation quelquesfois de la silabe Mi, et quelquesfois de la silabe Fa, de-là vient qu'on dit B, Fa, b, Mi.
De mesme à cause que, par mesme raison, il aduient qu'on entonne le son, auquel la lettre A, sert de cotte sous la prononciation quelquesfois de la silabe Mi, quelquesfois de la silabe Ré, et quelquesfois de la silabe La, de là vient qu'on dit A, Mi, La, Ré, ou bien A, La, Mi, Ré.
Semblablement à cause qu'il aduient qu'on entonne le son, auquel la lettre E, sert de cotte sous la prononciation quelquesfois de la silabe La, et quelquesfois de la silabe Mi, de là vient qu'on dit E, mi La, ou bien E La, Mi.
De mesme à cause qu'il aduient qu'on entonne le son, auquel la lettre D, sert de cotte, quelquesfois sous la silabe La, quelquesfois sous la silabe Ré, et quelquesfois sous la silabe Sol, de là vient qu'on dit D, la, Ré, Sol, ou D, La, Sol, Ré.
Ainsi le seul nom de la lettre est proprement le vray nom de la Clef, et les autres silabes que l'on prononce apres cette lettre, y sont comme supernumeraires. Or tout cecy est si aisé à entendre par le moyen des tables, écheles et gammes, que i'explique dans la premiere Proposition du 3. liure des Genres, qu'il n'est nullement besoin de le repeter icy.
On s'aide encore des chiffres d'arithmetique, notamment du *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 136,3] [MERHU2_8 01GF]
et du *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 136,4] [MERHU2_8 01GF]
à representer l'espece de diuision, qu'on entend qui soit faite de plusieurs égales durées de temps pendant le chant, qui est ce qu'on nomme la mesure dont l'intelligence est aisee, et l'exercice y acoustume.
On a de plus mis en vsage diuers caracteres en l'escriture de la musique, dont les formes sont *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 136,5] [MERHU2_8 01GF]
qu'on nomme notes, lesquelles on figure à discretion sur les lignes et sur les espaces d'vne bande: et lesquelles i'ay expliquées dans la 20. Proposition du 4. liure de la Composition.
Et de mesme que chaque ligne et chaque espace de chaque bande est entendu le siege ou la place d'vn de ces sons, et de celle des lettres, à laquelle il échet d'estre là placée, celle aussi de ces notes, qui se trouue figurée en chaque ligne, ou espace d'vne bande, signifie qu'on entend que le son doit resonner, lequel est cotté de la lettre qui est placée en cet endroit, et la forme de la note y signifie combien de temps on entend que doit durer le resonnement de ce son là.
C'est à dire que quand vne desdites notes est figurée, placée, ou escrite [-137-] en quelqu'vne des lignes ou espaces d'vne bande, cette note là signifie qu'on entend qu'il faut entonner en cet endroit-là, haut ou bas, selon le degré où elle se trouue escrite: et la forme de cette note là signifie combien de temps on doit faire durer le resonnement de ce son.
Il y a d'autres marques encore en diuers endroits au long des bandes, qui sont telles [signum], [rob], et [x], desquelles on nomme la premiere Bquarre, et la troisiesme Diese, et signifient chacune, qu'au lieu qu'il y auroit vn demi-ton en cet endroit, suiuant ce qui precede en la bande, il y faut entonner vn ton, soit que l'on monte, ou que l'on descende: Et la deuxiesme de ces marques nommée Bmol, signifie au contraire, qu'au lieu que suiuant ce qui precede en la bande, il y auroit vn ton en cet endroit, il y faut faire seulement vn demi ton, soit que l'on monte ou que l'on descende.
Sur quoy l'on notera que l'on a pratiqué de mettre les premiere et deuxiesme desdites marques [rob], [sqb] et en la place ou siege presque seulement des deux lettres B et E et la troisiesme [x], presque seulement aux autres desdites sept lettres, à sçauoir C, F, et autres, quand il y échet.
La methode donques plus aisée pour apprendre à lire et chanter la Musique selon l'vsage à present receu, de l'escrire et de l'entonner en l'Europe, sembleroit estre celle-cy.
QV'on acoutume à porter la voix haut et bas, ou bien à monter et descendre la voix selon les deux diuers interuales qu'on nomme ton ou demi ton, ou, comme on parle communément, à entonner le ton et demi-ton à volonté, soit en montant, soit en descendant, sous la prononciation d'vne seule et mesme silabe, dont celle de La, semble estre aujourd'huy plus conuenable en France qu'aucune autre.
Ainsi l'on s'acoustume à monter et descendre de la voix à volonté, par autant qu'on veut de degrez conjoints de sons, ou d'interuales tous de tons, ou tous de demi-tons, d'vne suitte continuée, ou bien de tons et de demi-tons entre-meslez et placez chacun à volonté.
L'on s'acoustume de la façon encore à porter sa voix tout d'vn temps, ou tout d'vn saut à volonté, plus ou moins haut et bas que chacun de ces degrez conjoints de tons et de demi tons; je veux dire à monter et descendre de la voix à volonté par toutes les especes d'interuales grands et petits, ou, comme on les nomme communément, d'accors et discords, soit parfaits ou imparfaits, ou bien encore de consonances et dissonances parfaites ou imparfaites.
Et pour cecy l'exercice de la voix et l'acoutumance de l'oüie semblent estre comme absolument necessaires à quiconque a la disposition propre à chanter, à fin de se le rendre familier par habitude.
[-138-] Lecture de la Musique escrite.
AInsi lire l'escriture de la Musique consiste à sçauoir combien il faut monter ou descendre de la voix, et combien il faut la faire durer à chaque occurrance, et en chaque endroit, selon l'intention que signifie la note, laquelle y est appliquée; à quoy la memoire aide, et le jugement conduit.
Et n'y a qu'à se ressouuenir de la lettre que represente chacun de ces caracteres, qu'on nomme Clef, à sçauoir *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 138] [MERHU2_8 01GF]
et que la presence du [rob], au commencement de la bande signifie que le chant est de l'espece nommée Bmol, mais que l'absence au contraire du mesme [rob], au commencement de la bande signifie que le chant est de l'espece nommée Bquarre; et d'auantage il ne faut que sçauoir de memoire le nom et l'ordre à droit et à rebours des sept lettres A, B, C, D, E, F, G, redoublées plusieurs fois, et à commencer de laquelle que ce soit, et se ressouuenir encore entre lesquelles de ces sept lettres il y a le ton, et entre lesquelles il n'y a que le demi-ton, soit par Bquarre, soit par Bmol.
Cela simplement sceu de memoire à l'ouuerture de tout liure de Musique, en telle partie et clef que ce soit, voyant le commencement de la bande et le caractere de la Clef, on connoist premierement si le chant est par Bquarre ou par Bmol, suiuant l'absence ou presence du [rob]; Dauantage on sçait la place de la lettre que le caractere de la Clef represente, moyennant quoy on vient à sçauoir aisément la place de chacune des autres lettres, quand on les nomme toutes de suite à droit et à rebours, ou bien en montant et en descendant, en commençant à les nommer par celle que le caractere de la clef represente, entendant que sa place est au mesme lieu que la clef, et chacune des autres lettres suiuantes d'vne suite continuée de ligne en espace, et d'espace en ligne, l'vne apres l'autre, soit en montant, soit en descendant.
Et consequemment on descouure et remarque aisément les endroits de la bande où les demi-tons se trouuent placez, et les endroits encore où les tons se trouuent placez, et moyennant l'exercice on s'acoustume à les discerner, et l'on se rend ceste distinction familiere.
Ceux qui sont préocupez de l'vsage d'vne methode ancienne, auront de la peine à se persuader qu'il y ait jamais vne methode pour apprendre à lire et chanter la Musique plus aisée que celle qu'ils ont acoustumée: I'en laisse le jugement à ceux qui seront en vne libre disposition de faire vne experience pure de l'vne et de l'autre maniere.
Methode pour enseigner à chanter à la veuë des notes de la Musique.
ET voicy de quelle façon je pense qu'vn Maistre peut en moins de temps enseigner vn Disciple à lire et entonner ces notes de la Musique, [-139-] supposé que ce Disciple aye les conditions necessaires de la voix, de l'oüye et du jugement.
C'est que le Maistre au commencement entonne à l'oreille du Disciciple, auec la voix, qui est le meilleur, ou bien auec quelque instrument, et luy face ouyr, imiter, ou contrefaire de mesme auec la voix vn de ces sons, puis vn autre, sous la prononciation tousiours d'vne seule et mesme silabe, qui sera le La, si l'on veut; et face acoustumer ainsi le Disciple à contre-faire ou imiter vn chacun des sons qu'il oyra, sous la prononciation de la mesme silabe seule, et luy face à mesme temps remarquer et connoistre la difference qu'il y a sensible à l'oüye entre le contre-faire et imiter bien vn son, et ne le contre-faire ou imiter pas bien, comme encor la difference qu'il y a sensible à l'oüye entre vn son bien vniforme, égal, ou ferme, qui se maintienne, et vn son variable, inégal, ou qui se relasche en haut ou en bas.
Dauantage qu'il le fasse acoustumer à bien connoistre de l'oüye, et entonner de la voix sous la prononciation aussi de la mesme silabe seule deux sons diuers, separez ou differens par degré d'vn ton en montant et en descendant: puis autres deux separez ou differens par degré seulement d'vn demi-ton en montant et en descendant aussi, et le face acoustumer de la façon à bien connoistre la difference qu'il y a sensible à l'oüye entre les sons esloignez ou differens l'vn de l'autre de l'interuale d'vn ton, et ceux qui sont esloignez ou differens l'vn de l'autre de l'interuale seulement d'vn demi-ton en montant et en descendant.
Qu'il le face acoustumer encore à entonner sous la mesme prononciation d'vne silabe seule plusieurs sons esloignez ou differens l'vn de l'autre par degrez tous de tons conjoints, ou d'vne suite continuée en montant et en descendant; puis tous de demi-tons aussi conjoints, ou d'vne suite continuée en montant et descendant, comme encore de tons et de demi-tons entre-meslez à volonté, soit en montant soit en descendant.
Et qu'à l'aide tousiours de son chant, s'il est possible, ou bien du son de quelque instrument, le Maistre face enfin acoustumer le Disciple à monter et descendre de la voix par tous les interuales qui se peuuent imaginer dans cette disposition de sons accordans et non accordans: c'est à dire, par toutes les especes d'accords et discords, ou bien de consonances et dissonances de toutes sortes, en montant et en descendant; et luy face acoustumer à bien connoistre la difference qu'il y a sensible à l'oüye entre les vns et les autres de ces interuales, et comme ils touchent l'oreille, et se font sentir à l'oüye chacun diuersement, ou les vns d'vne autre façon que les autres.
Et c'est à quoy l'habile Maistre ayde bien au Disciple, et l'exercice acoutume auec le temps. Et cependant que le Maistre exercera de la façon l'oreille et la voix du Disciple; c'est à dire par des interuales pris entredeux, il luy proposera pour toute game ou regle de la lecture des notes, et connoissance ou intonation des sons de la Musique.
Qu'il doit sçauoir de memoire, et se doit acoustumer à prononcer familierement les noms tout d'vne suite des sept premieres lettres de l'alphabet A, B, C, D, E, F, G, redoublées plusieurs fois l'vne apres l'autre, à droit [-140-] et à rebours, montant et descendant, ou bien auançant et reculant, et à commancer de laquelle que ce soit, ie veux dire qu'estant ces sept lettres entenduës redoublees plusieurs fois en suite, l'vne de l'autre, comme A, B, C, D, E, F, G, A, B, C, D, E, F, G, A, B, C, D, E, F, G, lors qu'il eschet de les nommer en commançant par la lettre C, en auançant ou montant, faut dire C, D, E, F, G, A, B, C, D, E, F,
En descendant ou reculant, il faut ainsi dire C, B, A, G, F, E, D, C, B, A,
Lors qu'il eschet de les nommer en commançant par la lettre G, auançant ou montant, il faut dire ainsi G, A, B, C, D, E, F, G, A, B. Et en reculant ou descendant, il faut dire ainsi G, F, E, D, C, B, A, G, F, et continuer.
Lors qu'il eschet de les nommer en commançant par la lettre F, en auançant ou montant, il faut ainsi dire F, G, A, B, C, D, E, F, G, A, mais en reculant ou descendant, il faut ainsi dire F, E, D, C, B, A, G, F, E. D,
Et de mesme à commencer, de laquelle que soit des autres lettres.
D'auantage le Maistre enseignera le disciple, et luy fera sçauoir entre lesquelles de ces lettres est placé le ton, et entre lesquelles est placé le demi-ton, et afin qu'il s'en resouuienne mieux, et que finalement il le scache de memoire, il luy donnera par escrit, luy fera lire, et dire souuent, à scauoir.
Que lors que le chant est par b quarre, de la lettre A à la lettre B, il y a vn ton; de B à C, demi-ton; de C à D, vn ton; de D à E, vn ton: de E à F, vn demi-ton; de F à G, vn ton: de G à A, vn ton; et en retrogradant, de A à G, il y a semblablement vn ton; de G à F, vn ton: de F à E, demi-ton; de E à D, vn ton, de D à C; vn ton; de C à B, demi-ton; et de B à A, vn ton.
Mais quand le chant est par b mol, alors de la lettre A, à la lettre B, il y a seulement demi-ton: et de la lettre B à la lettre C vn ton; le reste demeurant par tout de mesme qu'alors que le chant est par b quarre; ainsi luy fera il entendre aysement que la differance de l'ordre des sons par b quarre à l'ordre des sons par b mol consiste à la seule transposition d'vn demi-ton entre A, B, ou entre B, C,
D'abondant le Maistre enseignera le disciple à cognoistre les clefs ou les caracteres, qui representent quelqu'vne desdites lettres, en quel lieu chacune de ces clefs est placée suiuant qu'elle se trouue figurée; et à discerner que le chant est par b quarre, lors qu'il ny a point de B figuré au commencement de la bande en la place de la lettre B: et que le chant est par b mol, lors qu'il y a vn b figuré au commencement de la bande en la place de la lettre B.
Toutes lesquelles obseruations et circonstances bien entenduës consistent en si peu de chose, et sont tellement aisees à conceuoir, et retenir de memoire, que l'explication plus au long en seroit ennuyeuse.
Et quand le disciple est bien accoustumé par vn frequent exercice à monter et descendre de la voix par toutes les especes d'interuales, degrez conjoints, et autres à volonté: ce qu'on nomme communement entonner toutes les especes de consonances, et dissonances, et de tons et demi-tons en montant et descendant.
[-341-] Qu'il connoist chacun des caracteres, qu'on nomme la Clef; l'endroit auquel elle est entenduë placée; Et sçait quelle des sept lettres elle represente, entre quelles desdites lettres sont placez les ton et demi-ton, que l'absence du b, au commencement de la bande, signifie que le chant est par Bquarre, et que la presence du mesme b, signifie que le chant est par Bmol.
A l'ouuerture de tout liure de Musique en quelque partie et clef que ce soit, ce Disciple voit d'abord par l'absence ou presence du b, au commencement de la bande, si le chant est par Bquarre, ou bien par Bmol; en quel endroit la Clef est placée, et sçait quelle des lettres elle represente, et n'a plus qu'à nommer lesdites sept lettres redoublées autant que de besoin, en montant et descendant par chacune des lignes et espaces de la bande en suite continuée, en commençant tousiours de la place où la clef est figurée, et par le nom de la lettre que cette clef represente.
Ainsi faisant il s'acoutume aisément à remarquer la place de chacune desdites lettres, haut et bas en la bande, et à discerner les endroits où les demi-tons sont placez haut et bas en la bande, et entre les tons.
De façon qu'ayant entonné, suiuant la portée de sa voix et l'estenduë du chant qu'il entreprend, vn son pour la premiere note qu'il rencontre; il n'a qu'à remarquer si la note suiuante est en mesme degré, ou si elle est plus haute ou plus basse que la precedente d'vn seul, ou de plusieurs degrez, et de combien, et de quelle espece chacun est, ou de tons ou demi-tons. Si la note suiuante est en mesme degré, il redoublera pour cette note suiuante, le mesme son qu'il auoit entonné pour la precedente; Que si la note suiuante est plus haute ou plus basse que la precedente d'vn seul degré qui vaille vn ton ou bien vn demi-ton, alors pour cette note suiuante il entonnera vn son plus haut ou plus bas seulement d'vn ton, ou bien d'vn demi-ton, si la note suiuante est plus haute ou plus basse que la precedente de plusieurs interualles et de differentes especes, et qu'il ne puisse d'abord entonner cet interualle, à lors premierement il y montera ou descendra par les degrez conjoins qu'il contient; Et puis en reprenant, il entonnera d'vn plain saut tous les degrez par vn seul nterualle. Et de mesme en suite à chaque endroit.
L'auantage que l'on reçoit de cette maniere d'apprendre à lire et entonner les mots de la Musique est, que l'entendement s'en trouue grandement soulagé, la memoire et la veuë n'y ont pas beaucoup d'employ, et n'y a quasi que l'oüye et la voix du Disciple qui trauaillent, lors qu'il s'exerce ainsi dessus vn liure de Musique; d'où vient que l'esprit ne se rebute pas dans le long exercice necessaire à l'apprentissage des Arts, comme il se rebute lors qu'il a plusieurs difficultez à combatre et surmonter en mesme temps, comme en la façon ancienne d'apprendre à chanter à cause des muances et des diuers noms que chaque note reçoit: ce qui ne se rencontre point dans cette methode icy.
Or pour chanter auec moins d'imperfection, il semble qu'il ne suffise pas de prononcer aussi franchement comme si l'on recitoit auec les accens conuenables aux sens de la lettre que la voix soit belle, pleine, douce et moëlleuse portée et conduite d'vne belle maniere; mais encore qu'elle [-342-] tienne d'vne grande intention, et soit animée d'vn beau mouuement; mais il semble que la mode presente ne soit qu'à la delicatesse et à la mignardise.
SECONDE PROPOSITION.
Expliquer vne autre methode pour apprendre à chanter et à composer sans les notes ordinaires, par le moyen des seules lettres.
LA methode precedente a fait voir la maniere d'entonner, et d'apprendre à chanter par le moyen de la seule note ou syllabe LA, ou sous telle autre syllabe qu'on voudra; si ce n'est que l'on ayme mieux prononcer les sept premieres lettres de l'alphabet, A, B, C, D, E, F, G, au lieu d'vt, re, mi, fa, sol, et cetera que celle-cy retient, de sorte qu'elle n'vse que des premieres lettres V, R, M, F, S, L, pour escrire la Musique, dont il y a long temps que i'ay donné des exemples dans le 16 article de la grande question Latine de la Musique mise dans nos Commentaires sur la Genese: où i'ay encore auerti que l'on peut vser des nombres ordinaires 1, 2, 3, 4, et cetera pour escrire toute sorte de Musique. Mais auant que de passer oûtre, il faut remarquer ce que i'ay desia dit dans la 19. proposition du 3 liure des Genres, qui suffit à ceux qui l'entendront, pour chanter, et ce que i'ay dit en d'autres lieux de la 7 syllabe BI, NI, ou ZA, laquelle ayde a euiter les muances. Ie di donc que si l'on fait suiure za, inuenté par le sieur le Maire, apres la 6 syllabe LA, toute la difficulté du Bmol, et du Bquarre sera reduite à la syllabe ZA, laquelle s'entonnera vn ton ou seulement vn demiton plus haut que LA; et pour ce sujet l'on mettra tousiours vne diese dessous, lors qu'il sera plus haut d'vn ton: et si la diese n'y est pas, elle sera seulement plus haute d'vn demiton que le LA, comme l'on void icy en montant, où ZA est éloigné d'vn ton entier du LA, et consequemment il n'y a qu'vn demi ton de ZA, à VT, tant en montant qu'en descendant:
[Mersenne, Livre Sixiesme, 342; text: VT, RE, MI, FA, SOL, LA, ZA] [MERHU2_8 01GF]
Car cette diese supplée tout ce que l'on dit du [sqb] quarre; et lors qu'elle est absente, comme l'on void icy vt, re, mi, fa, sol, la, za, vt, il y a seulement vn demiton de la à za, et par consequent de za à l'vt d'en haut il y a vn ton entier. Sur quoy il faut remarquer qu'il est plus aysé à entonner que la syllabe SI, BI, ou NI, à raison qu'il n'est pas necessaire de changer l'ouuerture de la bouche dont on prononce le la qui precede: duquel seul l'on peut vser au lieu de l'vt, re, mi, et cetera comme i'ay dit dans la premiere proposition Or ledit Maire se sert de nouueaux caracteres tres-fauorables pour la composition, qui ne sont point differens des premieres lettres des 7 syllabes precedentes vt, re, mi, et cetera qu'en ce qu'elles portent la valeur des temps: mais puis que les Imprimeurs n'ont point de tels caracteres, ie veux essayer, s'il est possible, d'expliquer vne maniere bien aysée pour composer [-343-] auec les seuls caracteres des impressions ordinaires, afin que chacun puisse desormais faire imprimer tel traité de Musique qu'il voudra, sans l'embarras des notes. Ie ne veux pas repeter les methodes que j'ay données dans la 17, 18, et 19, proposition du 4 liure de la Composition, par le moyen des nombres, afin d'en expliquer vne plus aysée en 2 manieres, dont l'vne se sert des premieres lettres, d'ut, re, mi, et cetera et l'autre des nombres ordinaires. Ie suppose donc maintenant que les 7 sons de la plus haute Octaue soient marqués par ces 7 lettres Italiques de gros Romain v, r, m, f, s, l, z, pour seruir aux parties du Dessus; que les 7 lettres courantes du mesme texte Romain, u, r, m, f, s, l, z, seruent pour la seconde Octaue; que les 7 petites lettres capitales V, R, M, F, S, L, Z, soient destinées à la 3. Octaue; et les 7 autres grosses capitales, V, R, M, F, S, L, Z, seruent aux 7 sons de la 4 Octaue propre pour les Basses; ce que l'on entendra aysement par la correspondance des lettres ordinaires de la Gamme, qui sont dans la seconde colomne auec lesdites lettres des 4 sortes de gros Romain, qui sont dans la 3 colomne.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 343; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, [Gamma], A, B, C, D, E, F, G, a, b, c, d, e, f, g, V, R, M, S, L, Z, v, r, m, s, l, z, u] [MERHU2_8 02GF]
Quant à la premiere colomne de nombres, elle sert pour monstrer le quantiesme lieu chaque son, lettre ou note occupe et tient dans l'eschele, ou dans l'Alphabet Harmonique: par exemple le nombre 8 enseigne que le G capital est le 8 son, et par consequent qu'il fait l'Octaue auec le [Gamma], c'est à dire le gamma, que les Latins ont retenu pour témoigner qu'ils ont appris la Musique des Grecs.
Semblablement le nombre 15, enseigne que le g courant du texte Romain signifie le 15 son de l'alphabet, et consequemment qu'il fait le Disdiapason, ou la Quinzieme, que l'on appelle double Octaue, ou Octaue reduublée, auec le mesme [Gamma]; et ainsi des autres nombres; de sorte que chacun sert pour la denomination de chaque interualle, tant consonant que dissonant.
Mais parce qu'il est souuent necessaire de faire le demiton au lieu du ton, en haussant chaque lettre, comme l'on hausse chaque note par le moyen de ce charactere [x], que l'on appelle diese, l'on peut en vser sous chaque lettre, quand on la veut entonner vn demiton plus haut; par exemple si l'on veut faire la Tierce maieure depuis Vt iusques à Mi, au lieu de mettre V, M, l'on escrira V, R, parce que V, R faisant le ton, la diese fait hausser [x] le R d'vn demiton, et ainsi des autres, Cecy estant posé, l'on aura chaque Octaue diuisée en 12 lettres, comme l'on voit dans la premiere ou plus basse Octaue qui suit, V, V, R, R, M, F, F, S, S, L, L, Z, car la 13 lettre v, est aussi bien le commencement de la 2 Octaue, comme la fin de la premiere, c'est pourquoy ie ne la conte pas.
[-344-] Où l'on doit remarquer que ie ne mets pas deux, z, l'vne sans diese, et l'autre auec diese, comme fait le sieur le Maire, afin qu'il n'y ait iamais que demiton de, z, à la lettre qui suit immediatement en montant, comme il n'y a iamais qu'vn demiton de M à F. Et en cette maniere, il n'y aura tousjours que 7 lettres differentes en chaque Octaue; mais parce que l'on n'vse point de dieses dans les Imprimeries ordinaires, l'on peut se seruir de quelqu'autre caractere pour ce sujet, par exemple d'vn petit accent aigu sur chaque lettre que l'on veut hausser d'vn demiton, comme l'on peut voir dans l'Octaue la plus aiguë escrite auec l'Italique Romain en cette façon v, v', r, r', m, f, f', s, s', l, l', z; laquelle empeschera la ligne en blanc, que l'on est contraint de laisser lors qu'on ajoûte les dieses aux lettres. Quant à la prononciation des sons, soit sous la seule syllabe, LA, dont i'ay parlé dans les proposition precedente, ou sous les syllabes, que i'explique dans la 19 proposition du 3 liure des Genres de Musique, ou sous telles autre syllabes que l'on voudra, comme peuuent estre les syllabes, qui expriment les lettres cy-deuant expliquées A, B, C, D, et cetera et les noms des nombres, vn, deux, trois et cetera il importe fort peu, puis qu'en chantant la lettre ou le sujet, l'on n'a besoin d'aucune autre prononciation de syllabes.
Voyons maintenant la maniere de composer à 2 ou plusieurs parties par le moyen de ces lettres; ce que nous ferons premierement à simple Contrepoint, parce que nous n'auons pas encore expliqué les caracteres propres pour marquer les differentes mesures pour le Contrepoint figuré, et pour toutes sortes de diminutions, auec les caracteres des Imprimeries ordinaires.
Pource qui est des lettres, il n'importe desquelles on vse, pourueu qu'elles ayent vne estenduë assez grande pour exprimer le chant de toutes les parties: c'est pourquoy nous escrirons le Duo qui suit par les lettres courantes du texte Romain, qui seruent à l'impression de cét oeuure, et qui sont destinées pour les 2 Octaues les plus aiguës.
Et pour ce sujet ie repete l'excellent Duo d'Eustache du Caurroy, lequel j'ay mis en notes ordinaires dans la 265 page, afin que l'on y puisse auoir recours pour le comparer auec les lettres qui suiuent.
Exemple d'vn Duo du 4 Mode.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 344; text: v, v', r, m, f, f', s, l, z, Dessus. Basse. Miserere mei, Domine, quoniam infirmus sum, sana me Domino quoniam conturbata sunt ossa mea.] [MERHU2_8 02GF]
Or les lettres du Dessus de ce Duo se doiuent lire, et entonner en cette fa- la, za, re, la, vt, za, re, re, mi, mi, fa', sol, la, sol, fa', la, mi, fa', sol, la, sol, fa', za, [-345-] za, vt, vt, re, mi, sol, fa, mi, re, vt, re: ce qui reuient à l'ancienne maniere de chanter, re, mi, sol, re, fa, mi, sol, sol, re, re, mi, fa, sol, fa, mi, sol, re, mi, fa, sol, fa, mi, mi, mi, fa, fa, sol, re, fa, mi, la, sol, fa, sol. Ce que l'on entendra aisement en confrontant les notes de la page 265. auec ces syllabes.
Cette maniere d'escrire est fort propre pour voir tous les accords sans qu'il soit besoin d'autre partition, pourueu que l'on scache seulement combien les lettres, qui sont vis à vis les vnes des autres, sont éloignées; suiuant l'echele des sons qu'elles representent, c'est à dire, suiuant l'ordre d'vt, re, mi, fa, sol, et cetera. Par exemple la premiere lettre de la Basse, r, est éloignée de 5 sons de la premiere du Dessus, l, ce qui signifie que ces 2 lettres representent les 2 sons du Diapente, et qu'ils font l'accord que les Practiciens appellent Quinte.
Si elles sont eloignées de 3, 4, 6, ou 8 sons, elles signifient les Tierces, les Quartes, les Sextes, et les Octaues; et si elles sont eloignées de dix sons, ou dauantage, elles representent les Dixiemes, et les autres repliques, comme il arriue à la 20, 21, 22, 27, 28, et 29 lettre de la Basse et du Dessus, qui font les Dixiemes, tant maieures, que mineures. Voyons vn autre exemple à 3 parties, lequel est le second Duo de la page 268, et puis nous en mettrons vn à 4, afin que ceux qui voudront composer pour leur plaisir, soit pour se recreer en joüant du Luth, de l'Epinette, ou de quelqu'autre instrument capable d'exprimer plusieurs parties ensemble, ou pour communiquer leurs Compositions, n'ayent nulle difficulté en cette sorte d'escrire la Musique. Mais ie veux me seruir des lettres que i'ay proposees pour la premiere, et la 2 Octaue, afin que l'on comprenne l'vsage des vnes et des autres, lequel est entierement semblable.
Exemple d'vn Trio d'Eustache du Caurroy.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 345,1; text: Dessus, Taille, Basse, v, r, m, f, s, l, z, V, R, M, F, S, Misericordias Domini, in aeternum cantabo.] [MERHU2_8 02GF]
Il n'est pas necessaire de mettre icy la modulation ordinaire auec l'autre, comme au Duo precedent, parce que la comparaison des notes du Duo de la 263 page suffit pour cet effet, c'est pourquoy ie viens à l'exemple à 4. parties, que ie prends du second Quatuor de la 272 page.
Contrepoint à 4 voix de du Caurroy.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 345,2; text: Cantus, Altus, Tenor, Bassus, v, r, m, f, s, l, V, R, M, F, S, L, Z, Misericordias Domini, in aeternum cantabo.] [MERHU2_8 02GF]
Où les 2 F du Tenor, et du Bassus monstrent qu'elles finissent par l'vnisson, [-346-] et par consequent qu'au lieu du nombre 8, lequel est sur la derniere note du Tenor en la page 272, il faut mettre 1. Par où l'on void l'vtilité de ces lettres, qui monstrent tous les accords; par exemple la derniere F du Dessus, fait l'Octaue auec la derniere de la Taille, et de la Basse, et la Quarte auec la derniere de la Haute-contre.
Il n'est pas besoin de mettre icy des exemples à 5, et 6 parties, parce qu'il est tres-aisé d'accommoder ceux de la 278, 279, et 281 page à nos lettres, au lieu desquelles on peut vser de celles dont i'ay parlé dans la premiere proposition à sçauoir des sept A, B, C, D, E, F, G, lesquelles auront le mesme effet, et la mesme disposition: et parce que nous auons expliqué fort clairement les degrez, ou les interualles des sons qu'on fait entre ces lettres, i'en donnne icy vn exemple à 6 parties en supposant la distinction des 4 Octaues, par le moyen des 4 sortes de lettres du gros Romain, comme i'ay dit cy-deuant, et en prenant la mesme permission de hausser chaque lettre d'vn demiton par l'accent aigu; c'est pourquoy il y aura tousiours vn demiton d'A à B, comme d'E à F, lors qu'il n'y aura point d'accent sur B; et vn ton, quand il sera accentué, de sorte que le B tout simple monstrera le bmol, et l'accentué le Bquarre: il y aura semblablement vn ton d'E à F, quand F sera accentué: Cecy estant posé, ie mets l'exemple à 6 parties de la 279 page, en commençant la partie du Dessus par la premiere chorde de la seconde Octaue, c'est à dire par le g de la seconde colomne de la table precedente, pour l'exprimer, et pour ce sujet nous aurons besoin des 22 premieres lettres, de la 343 page, par ce que les 6 parties ont cette estenduë.
Exemple à 6 parties de du Caurroy.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 346; text: a, b, b', c, d, e, f, f', g, B, C, D, I, [Gamma], Misericordias Domini, in aeternum cantabo. Premier Dessus, Second Dessus, Haute-contre, Taille, Premiere Basse, Seconde Basse] [MERHU2_8 03GF]
Or cette maniere d'escrire la Musique, aussi bien que la precedente, apprend si aysement à connoistre toutes les Consonances, et les dissonances, et mesmes l'art de partir, et de composer à tel nombre de parties que l'on voudra, qu'il ne faut pas vne heure pour en comprendre l'artifice, puis qu'il est certain que toutes les lettres de mesme nom qui sont en chaque rang, font l'Octaue, ou ses repliques. comme celles qui sont proches les vnes des autres, et qui se suiuent immediatement en mesme rang, et ont caracteres égaux, font les Secondes qui sont les premieres,ou les moindres Dissonances: par exemple les f auec les (g), les (g) auec les (a), les (a) auec les (b) et cetera et auec les lettres des autres rangs, elles font les repliques de ces dissonances, comme il arriue de G aux trois lettres (A), a, (a).
[-347-] Mais elles sont tousiours des accords de trois en trois, de 4, en 4, de 5 en 5, de 6 en 6, par exemple l'A fait la simple Tierce auec C, et ses repliques, c'est à dire les Dixiesme, Dix-septiesmes et les vingt-quatriesmes auec C. c, et (c): comme la Quarte auec D, et ses repliques auec D, d. (d), c'est à dire l'Onziesme, la Dix-huitieme, et la Vingt-cinquiesme.
Le mesme A fait la Quinte, la Douzieme, la Dix-neufieme, et la Vingt-sixieme auec E, (E), e, (e); la Sexte, la Trezieme, la Vingtiemes et la Vingt-septiesme auec F, (F), f, (f); et finalement l'Octaue la Quinzieme là Vingt-deuxieme et la Vingt neufieme auec V, a, (a), et [alpha]; car l'on peut vser de ces lettres grecques [gamma], [alpha], pour acheuer l'estenduë des 4 Octaues, qui commencent par A, afin d'auoir l'estenduë des clauiers.
Quant à la dissonance, que l'on appelle Septieme, elle se trouue de 7 en 7 lettres, comme ses repliques de 14, en 14, de 21, en 21, et de 28 en 28: ce qui est si aisé à comprendre qu'vn discours plus long sembleroit inutile. Toutesfois l'autre maniere, qui se sert d'vt, re, mi, et cetera pourra donner plus de facilité à ceux qui sçauent desia chanter, et entonner ces syllabes.
Et parce que ie veux icy aioûter deux pieces à simple Contrepoint de du Caurroy, dont l'vne est à 7, et l'autre à 8 parties, lesquelles m'ont esté données par le sieur des Aux Couteaux excellent Compositeur, ie repete encore les lettres V, R, et cetera et les mots en 4 rangs comme les precedentes, afin que dans vn seul regard on comprenne tous les accords et les discors des 4 octaues.
Il faut seulement remarquer que les plus grosses lettres, qui sont dans la premiere octaue d'en bas, representent les 8 premieres touches de l'Orgue et de l'Epinette, et sont destinées à la Basse, et que celles des autres rangs seruent pour les autres parties plus aiguës; et que celles qui seront accentuées montent plus haut d'vn demiton que celles qui ne le sont pas: de sorte que l'on n'a iamais besoin du bmol en cette maniere d'escrire les sons, parce que si l'on veut baisser quelque note d'vn demiton, par exemple le mi d'Emila, ce que l'on fait en y metant vn bmol, l'on vse du D' accentué, et ainsi des autres.
Mais parce qu'oûtre la modulation. il est necessaire de connoistre le temps sous lequel chaque mot ou syllabe doit estre chantée, et qu'il ne doit rien manquer dans cette nouuelle methode de tout ce qui se pratique dans les caracteres ordinaires de la Musique, ie veux expliquer tous les caracteres dont l'on peut vser à cette intention, auant que d'escrire les pieces de du Caurroy.
III. PROPOSITION.
Expliquer tous les caracteres necessaires pour escrire, et composer aysement toute sorte de Musique, soit pour les voix, ou pour l'Orgue, ou l'Epinette, le Lut et tous les autres Instrumens imaginables.
LEs premiers et principaux caracteres sont compris par le 4 rangs des 4 sortes de lettres qui suiuent, dont chacune vaudra tousiours vne [-348-] mesure lors qu'elle sera toute nuë sans aucune marque de temps, comme l'on void aux 2 pieces à 7 et 8, dont chaque note ou syllabe est d'vne mesure entieres que l'on appelle semi breue: or ie repete aussi les autres lettres G, A, B et cetera vis à vis, afin qu'elles se seruent mutuellement pour se faire comprendre.
Echele de la Musique Literaire.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 348,1; text: a, b, c, d, e, f, g, A, B, C, D, E, F, G, [gamma], v, r, m, f, s, l, z, u, V, R, M, F, S, L, Z] [MERHU2_8 03GF]
Les seconds caracteres consistent seulement dans l'accent aigu, qui supplée les dieses ordinaires pour toutes les lettres ausquelles on l'applique dessus ou à costé, comme i'ay dit cy-deuant: de sorte que la lettre accentuée doit estre entonnée, et haussée d'vn demiton plus haut, que la mesme lettre non accentuée, et consequemment cet accent seruira pour passer des Tierces et des Sextes mineures aux maieures, et des maieures aux mineures, comme fait le caractere du diesis: par exempte G', ou V', sera plus haut d'vn demiton que G et V, et ainsi des autres, et G fera la Tierce maieure contre B' et la mineure contre B. et par consequent la Dixiéme et Dixseptiéme maieure auec B', et b', et la mineure auec B et b, et ainsi des autres.
Les troisiemes caracteres marqueront le temps de chaque syllabe; estant mis sur lesdites lettres, dont le premier - signifiera la valeur d'vne demie mesure, c'est à dire d'vne blanche à queüe. Le second [signum] exprimera les quarts de mesure au lieu des noires; le troisieme, ', monstrera les crochuës, et le quatriesme ^ les doubles crochuës, en cette maniere V, R-, M[signum], F', S^, au lieu de ces 4 notes ordinaires, *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 348,2] [MERHU2_8 03GF]
car quant à la mesure marquée par cette semibreue [Sv on staff2] elle n'a pas besoin de caractere, puisque ie suppose que la lettre toute nuë vaut cette semibreue.
Les quatriesmes caracteres supplent tout ce que les Praticiens peuuent dire ou escrire de leurs mesures binaire, ternaire, sesquialtere, ou hemiolie, de leur modes maieurs, et mineurs tant parfaits qu'imparfaits, et de la perfection ou imperfection tant de la Prolation, que du temps, dont ie parleray plus amplement dans la 4 partie de ce liure: or nuls caracteres ne peuuent ce me semble estre plus propres pour ce sujet que le chiphres, dont on vse desia dans la pratique; dans laquelle on signifie la mesure ternaire par
3, ou par 2/3, quoy qu'il vaille mieux l'exprimer par 2, ou 1/2, d'autant que le baisser de la main est double de son leuer, car lors que le baisser vaut 2, 4, 8, 12, ou 24 notes, le leuer n'en vaut qu'vne, 2, 4, 6, ou 12, c'est à dire moins de moitié, c'est pourquoy la raison de cette mesure est double, et non triple, ou sesquialtere, car pour estre triple il faut faire 3 notes en batant et vne en leuant: et pour estre sesquialtere, il en faut faire 3 en baissant, et deux en leuant, et ainsi des autres iusques à l'infini. La mesure binaire [-349-] se marquera par 1, ou par 1/1, puis qu'elle est en raison d'egalité, car le leuer est égal au baisser. Ie laisse maintenant tous ces caracteres *
[Mersenne, Livre Sixiesme, 349,1] [MERHU2_8 03GF]
et les autres points d'augmentation, de perfection, de diuision, et d'alteration, dont Cerone remplit son 17, 18 et 19 liure, comme inutiles, ou peu necessaires puis que l'on peut marquer tout ce qui appartient à la diuersité des notes, et de leur valeurs auec les seuls nombres, et que i'en pourray parler plus amplement dans le Traité de la Rythmique.
Les cinquiesmes caracteres enseignent les endroits, où les parties se doiuent taire, soit toutes ensemble, ou tandis que les autres poursuiuent; lesquels ne sont autre chose que des barres qui trauersent 2, ou 3 reglets des portées, ou bandes, comme l'on void à la 256 page, où l'on a les 8 differentes valeurs des notes, et les signes ou caracteres des silences, auec les points qui suiuent les figures, et qui sont les cinquiesmes caracteres, dont on vse en la pratique, dans laquelle ils valent tousiours la moitié de la note qu'ils suiuent, et se chantent sur la la mesme chorde, comme si l'on continuoit ladite note. Et parce que ces points se trouuent dans les impressions ordinaires, nous en vserons aussi. Pour les silences nous n'en auons pas besoin, d'autant que la partie qui deura se taire, n'ayant nulle lettre sur les paroles qu'il faut chanter, se taira de necessité sans auoir besoin d'en estre auertie par d'autres signes et si toutes se doiuent taire ensemble, elles n'auront point de lettre sur les paroles.
Tout cecy estant posé, l'on peut aisement escrire, lire et chanter toute sorte de Musique auec les caracteres ordinaires des impressions, sans qu'il soit besoin des notes, de sorte que tous ceux qui composent des Airs, et des Motets communiqueront leur pensée, et leur dessein à toutes sortes de personnes, et que nous pourrons auoir quantité de bonnes compositions qui se perdent, et dont on ne peut iouïr manque des caracteres de Musique, qui sont fort rares en France. Ie mets dont icy les deux compositions à 7 et 8 parties, afin de faire vn essay de cette methode.
Composition à 7. parties d'Eustache du Caurroy.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 349,2; text: I. Dessus, II. Dessus, Hautecontre, Hautetaille, Basse taille, I. Basse, II. Basse, Misericordia et veritas obuiauerunt sibi, Iustitia et Pax osculatae sunt. v, r, m, f, s, l, z, M, F, S] [MERHU2_8 03GF]
Mais auant que de passer oûtre, ie mets icy la main Harmonique, dont ie me suis desia serui dans la 216. page du Traité de l'Harmonie Vniuerselle, afin que l'on y voye tous les caracteres dont i'ay parlé iusques icy, et en oûtre les caracteres qui signifient la reprise, ou la repetition dans les Airs, qui sont au bas de cette main pres du point d'orgue, par lequel finit la bande, ou la portée des 5 reglets.
[-350-] Ioint qu'elle monstre le Tetrachorde diuisé en 12 sons, ou 12 chordes à costé gauche, et en haut la mesme Quarte diuisée en 9 chordes, et que les jointures, et les extremités des doigts sont marquez des lettres et des syllabes que nous auons expliqué dans cette premiere partie; comme fait aussi la main de la premiere proposition du 3 liure des Genres, dont la lecture peut grandement seruir à ce Traité. Mais si l'on desire sçauoir les raisons de toutes les diuisions de ces Tetrachordes il faut lire les 2, et 3 propositions du 2. liure des Dissonances, ou les 4 9, et 10 du 3 liure des Genres.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 350; text: ton majeur, ton mineur, demy ton mineur, demy ton majeur, demy ton moyen, demy ton maxime, comma, diese, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, [Gamma] ut, A ré, B mi, C fa vt. D sol, ré. E la, mi. F fa, vt. G sol, re, ut. a la, mi, re. b fa. [sqb] mi. c sol fa vt. d la sol re. e la mi. f fa, vt. g sol, re, vt. aa. la mi re. c. sol fa. d. la sol. e la. TETRACORDE. comma majeur, comma mineur, diese majeure, diese mineure, ton maxime superflu, ton majeur superflu, Composition du mesme auteur à 8. parties. I Dessus, II Dessus, I Haute-contre, II Haute-contre, Haute Taille, Basse Taille, I Basse, II Basse, u, r, m, f, s, l, z, M, F, S, L, Ecce quàm bonum et quàm iucundum habitare fratres in vnum.] [MERHU2_8 04GF]
[-351-] Or si l'ordre de ces lettres V, R, M, F, S, L, Z, v, semble plus difficile à retenir que celuy des lettres A, B, C, D, E, F, G, A, il est aysé de leur accommoder tout ce que nous auons dit des autres, de sorte qu'il est indifferent desquelles on vse, toutes reuenant à vne mesme chose.
Où il faut remarquer que de quelques caracteres qu'on vse, la facilité de composer en Musique est si grande, qu'vn homme d'esprit et de iugement peut apprendre à composer sans fautes dans vne ou deux heures, ce que ie demonstre dans la proposition qui suit.
IV. PROPOSITION.
Apprendre à composer correctement en Musique dans peu de temps.
IE suppose premierement que l'on sçache l'ordre des sons, et les degrez et interualles qui se trouuent entre les lettres A, B, C, D, E, F, G, A, dont nous auons parlé dans la premiere proposition. En second lieu, que d'A à B. puntué, ou B' accentué il y ayt tousiours vn ton, et que de mesme de E, à F' punctué, ou accentué il y ayt vn ton, et qu'il n'y ayt qu'vn demiton depuis A iusques à B, et depuis E iusques à F non accentuez. Et que de chaque autre lettre à chaque autre lettre voisine, à sçauoir de C à D, de D à E, de F et à G, et de G à A, il y ayt tousiours vn ton, lors qu'elles ne seront point accentuées, et si elles sont toutes punctuées en cette maniere C., D., E., et F., G., A., qu'il y ayt aussi vn ton entre C., et D., F., et G., G et A; et par consequent qu'il y ayt vne Tierce mineure de C non punctué à D punctué, comme de D à E., de F à G, et de G à A.; d'où il s'ensuit que l'A. punctué fait le mesme son que le B non punctué, et l'E. punctué que l'F non punctuée. Cecy estant posé, venons à la composition de 2 parties, lesquelles on chantera par tout le monde en mesme ton, et auec la mesme mesure, si l'on entend ce que ie demonstre dans la 149 page du 3 liure des Instrumens, dont ie repete le sujet pour seruir de dessus à nostre Duo, lequel ie commence à l'Octaue du son dont ie parle au lieu susdit; et pour ce sujet ie le marque par les lettres courantes du gros Romain; et parce qu'il commence dans le mi d'Emila, l'E signifiera sa premiere chorde.
Duo du 5. Mode ou du Mode de mi.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 351; text: Dessus, Basse ou Concordant. a, b, c, d, e, f, g, O Seigneur mon Dieu que tu es grand en toute grandeur.] [MERHU2_8 04GF]
Ce Duo monstre comme il faut commencer, suiure, et finir la Basse contre le Dessus, car il est euident qu'il y a cinq sons du premier, a, de la Basse au premier, e, du Dessus, et par consequent que ces deux parties commencent par la Quinte: et puis que les deux lettres suiuantes font la [-352-] Sexte mineure, et les troisiesmes lettres c et e la Tierce majeure. Mais la 4 du Dessus, à sçauoir a tient ferme contre la 4, 5, et 6 de la Basse
[Mersenne, Livre Sixiesme, 352,1; text: c, b, a] [MERHU2_8 05GF],
de sorte que 3 lettres diuisent l'a du Dessus en 3 parties, dont la premiere vaut demie mesure, et fait la Sexte maieure; et les deux suiuantes valent chacune vn quart de mesure, dont la premiere fait la Septiéme, et la seconde l'Octaue contre l'a du Dessus: car lors qu'vne partie fait la diminution de 3 chordes, tandis que l'autre partie tient ferme sur vne mesme chorde, la premiere et la 3 doiuent faire des accords, et la seconde peut faire vn discord, qui rend l'accord suiuant plus agreable.
Or il n'y a point d'autre diminution en ce Duo; de sorte qu'apres cette Octaue l'e de la Basse fait la Tierce mineure auec le, g, du Dessus, et les lettres suiuantes font ensemble la Quinte, la Sexte maieure, la Dixiéme mineure, l'Octaue, la Quinte, la Tierce mineure, la Sexte maieure, la Tierce mineure, et l'vnisson, qui finit ce Duo, dans lequel les consonances se suiuent d'vn fort bel ordre, duquel on peut tirer ces regles, Que les lettres des differentes parties font des conionctions agreables, lors qu'elles sont éloignées les vnes des autres de 3, 5, 6, 8, 10, 12 et cetera c'est à dire qu'en commençant à conter par l'vne d'icelles, vn, deux, trois, 4, 5, 6, et cetera celles qui se trouuent au 3, 4, 5, 6, 8 et 10. lieu, et cetera font des accords, de sorte qu'apres auoir commencé vn Duo par vn accord parfait, c'est à dire par l'Vnisson, l'Octaue, ou la Quinte, on peut ioindre les lettres qui suiuent, et qui se respondent de 3 en 3, de 5 en 5, de 6 en 6, et de 8 en 8, et cetera. Ie laisse de 4 en 4, parce que l'on euite cette conionction dans les Duo à simple Contrepoint, quoy qu'il ne soit deffendu d'en vser que par ceux qui n'ont pas l'autorité d'en abolir entierement l'vsage, lequel on peut introduire. Mais pour acheuer cette proposition en peu de mots, ie di que l'on composera correctement, si l'on fait tousiours des Tierces, ou des Sextes maieures et mineures, qui se suiuent alternatiuement, en y meslant quelquesfois la Quinte, et l'Octaue, et si l'on vse le plus souuent qu'on pourra de mouuemens contraires, en faisant monter vne partie tandis que l'autre baisse, et si on les fait aller par degrez conjoints, ou du moins que l'vne procede par degré conioint, tandis que l'autre vient par degrez disjoints, que les Practiciens nomment interualles; et finalement si l'on passe aux accords parfaits par les imparfaits qui en sont plus proches, par exemple de la Tierce mineure à l'vnisson, et de la Sexte maieure, et Dixiéme mineure à l'Octaue; dont ie mets encore icy vn exemple du 7. mode de F.
Duo de F vt fa, ou du 7 Mode.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 352,2; text: Dessus, Basse, a, b, c, d, e, f, g, O Seigneur mon Dieu que tu es grand en toute grandeur.] [MERHU2_8 05GF]
Ie laisse le reste qui se peut aysement deduire de ce que i'ay expliqué dans le 3 liure des Genres, et dans le 4 de la Composition, afin de venir à la [-353-] 2 partie de ce liure; car il est aysé d'escrire toutes sortes de Motets à tant de parties que l'on voudra, suiuant les regles et les exemples que i'ay mis en plusieurs lieux.
SECONDE PARTIE DE L'ART D'EMBELLIR LA VOIX, LES RECITS, LES AIRS, OV LES CHANTS.
APRES AVOIR EXPLIQVÉ LA MANIERE d'arranger, d'escrire, de lire, d'enseigner, d'apprendre, et de composer la Musique dans la premiere partie de ce liure, i'aioûte la maniere dont il faut orner, et enrichir les Airs, et les Chants pour les mettre dans leur perfection, afin que l'on ne puisse plus rien desirer qu'vne excellente voix pour les reciter, dont ie descris les qualitez dans la proposition qui suit.
V. PROPOSITION.
Expliquer la maniere de connoistre si la voix proposée est bonne, et quelles sont les qualitez qu'elle doit auoir.
ENCORE qu'il soit aysé de conclure qu'elles doiuent estre les qualitez d'vne bonne voix de ce que nous auons dit dans le liure de la voix, il faut neantmoins les expliquer icy plus distinctement, afin que ceux qui enseignent à chanter ne perdent pas leur temps apres les mauuaises voix. Or il y a 4 sortes de voix, à sçauoir celle de la Basse, de la Taille, de la Hautecontre, et du Dessus, Quant à leurs qualitez, elles doiuent estre iustes, égales, et flexibles; dont la iustesse consiste à prendre le ton proposé, sans qu'il soit permis d'aller plus haut, ou plus bas que la chorde, ou la note qu'il faut toucher, et entonner.
L'égalité est la tenuë ferme, et stable de la voix sur vne mesme chorde, sans qu'il soit permis de la varier en la haussant ou en la baissant, mais on peut l'affoiblir, et l'augmenter tandis que l'on demeure sur vne mesme chorde. Et la flexibilité de la voix n'est autre chose que la facilité et la disposition qu'elle a à se porter par toutes sortes de degrez et d'interualles tant en montant, qu'en descendant, et en faisant toutes sortes de Passages, et de diminutions: ce que l'on doit particulierement obseruer à la voix du Dessus, dont depend le principal ornement de la Musique, comme i'ay monstré ailleurs, d'autant qu'elle fait ordinairement les diminutions, et [-354-] qu'elle fait paroistre la beauté du sujet, et de la lettre qu'elle recite: de là vient que plusieurs ayment mieux entendre le recit d'vn bon Dessus, qu'vn concert entier, dont i'ay expliqué les raisons dans vn autre lieu.
Or les Maistres qui enseignent à chanter, peuuent aysement experimenter si la voix qui leur est proposée est iuste, et égale, tant auec l'orgue, qu'auec la Viole, le Luth, et les autres instrumens: car si elle s'accorde aysement, et promptement à l'vnsson de chaque tuyau, ou de chaque chorde, il est certain qu'elle est iuste, or les instrumens qui ont plus de tenuë sont les plus propres pour éprouuer les voix: quoy que les Maistres qui ont la voix et l'oreille iuste, n'ayent pas besoin d'instrument pour former la voix des enfans.
Il y a plusieurs autres qualitez que l'on peut desirer dans la voix, et qui se rencontrent assez rarement, par exemple la douceur, et vne certaine harmonie, dont dependent les charmes qui rauissent les Auditeurs, car les voix qui sont dures ne plaisent pas, quoy qu'elles soient iustes, et qu'elles ayent les autres qualitez, dont i'ay parlé, parce qu'elles ont trop d'aigreur, et d'esclat, qui blessent les oreilles delicates, et qui empeschent qu'elles ne se glissent assez agreablement dans l'esprit des auditeurs pour s'en rendre les maitresses, et pour le conduire par tout où l'on veut. Neantmoins les Maistres peuuent cortiger la pluspart des defauts de la voix par plusieurs industries, dont ils doiuent auoir la connoissance, ou qu'ils doiuent rechercher, puisque la nature en produit fort peu de bonnes, et de parfaites.
Il y a encore vne autre qualité de la voix qui la rend plaine, et solide, et qui augmente son harmonie, ce que l'on peut expliquer par la comparaison d'vn canal qui est tousiours plain d'eau, quand elle coule, ou par celle d'vn corps, et d'vn visage charnu et en bon point; au lieu que les voix qui sont priuées de cette qualité, sont semblables à vn filet d'eau qui coule par vn gros canal, et à vn visage maigre, et decharné.
VI. PROPOSITION.
Expliquer la maniere dont on vse pour former les voix, et pour les rendre capables de chanter toutes sortes d'airs, et de chansons, et particulierement pour faire les Cadences.
IL n'y a nulle difficulté à enseigner ceux qui ont vne bonne voix, parce qu'ils se portent d'eux-mesmes à imiter, et à faire tout ce que l'on veut; ce qui arriue semblablement à tous les autres Apprentifs, qui ont plus besoin du frein que de l'osperon, comme l'on disoit d'Aristote, lors qu'il estoit encore escolier: de là est venu le Prouerbe Latin gaudeant benè nati, à raison des bonnes qualitez que la nature, et la naissance donnent à quelques vns, et qu'elles denient aux autres: ce que l'on doit rapporter à l'ordre de la Prouidence Diuine, qui se sert de toutes sortes de conditions, comme d'autant de voix, pour composer le grand concert de cet vniuers, dont nous ne comprendrons iamais les beautez, et les charmes qu'au Ciel.
[-355-] Or apres que l'on a enseigné à former le ton, et à ajuster la voix à toutes sortes de sons, on l'acoustume à faire les cadences, qui consistent aux roulemens de la gorge, qui respondent aux tremblements et aux martelemens que l'on fait sur le clauier de l'Orgue et de l'Epinette, et sur le manche du Luth et des autres instrumens à chordes. Ces cadences sont les plus difficiles à faire et tout ce qu'il y a dans les Chants, à raison qu'il faut seulement battre l'air de la gorge, qui doit faire quantité de tremblemens sans l'aide de la langue. Mais elles sont d'autant plus agreables qu'elles sont plus difficiles, car si les autres mouuemens sont les couleurs et les nuances, l'on peut dire que les cadences en sont les rayons et la lumiere. Ceux qui n'ont pas la disposition de la gorge pour faire lesdites cadences et les passages, se seruent des mouuemens de la langue, qui ne sont pas si agreables, particulierement lors qu'on les fait du bout, car quant à ceux qui se font du milieu, ils sont necessaires pour de certains passages qui ne peuuent s'executer assez exactement sans l'aide et le tremblement du milieu de la langue, à raison de la rencontre des voyelles, qu'il faut prononcer, et faire sentir aux auditeurs.
Pour les tremblemens des levres, ils ne sont pas agreables, ny permis, non plus que ceux qui semblent estre tirez de l'estomach. Il faut aussi remarquer que lesdits tremblemens ne se font pas sur vne mesme chorde ou note, comme ceux dont les chordes produisent leurs sons, car ils seroient vicieux, si ce n'est que l'on vueille contrefaire ou imiter le Trillo des Italiens, mais qu'ils descendent et remontent d'vn demiton ou d'vn ton: par exemple, si la cadence est composée des 3. notes, la, sol, fa, l'on doit faire le tremblement sur le sol, en faisant 4. 8. 16. ou tant de fois que l'on pourra, ou que l'on voudra la, sol, la sol, la sol, et cetera comme l'on void dans l'exemple suiuant,
[Mersenne, Livre Sixiesme, 355] [MERHU2_8 05GF]
lequel a 8. doubles crochües, que l'on doit faire dans vn temps égal à la demie mesure sol. Et si s'on veut faire cette cadence auec toute sa perfection, il faut encore redoubler la cadence sur la note marquée d'vn point dessus, auec vne telle delicatesse, que ce redoublement soit accompagné d'vn adoucissement extraordinaire, qui contienne les plus grands charmes du Chant proposé.
Apres que l'on sçait faire ces tremblemens, qui seruent aussi pour toutes sortes de passages, l'on doit apprendre à faire les ports de la voix, qui rendent les Chants, et les Recits fort agreables, et qui seuls, estans bien executez, rendent les voix recommendables, encore qu'elles ne puissent faire les tremblemens, soit martelez ou non martelez, car l'esprit reçoit vn singulier contentement lors qu'il considere vne voix qui se porte comme il faut par toutes sortes de degrez et d'interuales, et qui tenant ferme sur les principales chordes du mode, qui animent le chant, sembler charmer et transporter l'oreille et l'esprit des auditeurs. Mais ces ports de voix ne sont pas marquez dans les liures imprimez; ce que l'on peut faire en mettant vn point apres la note, sur laquelle on commence le port; et puis en ajoûtant vne noire, crochüe, ou double crochüe apres le point, laquelle signifie qu'il faut seulement vn peu toucher la chorde precedente, pour y commencer la note qui suit. Ce que l'on comprendra mieux par les 3. exemples precedens de la note, dont le premier monstre comme il faut porter la voix, d'vt à ré: le second fait voir comme on la porte de mi à fa, et le troisiesme de [-356-] ré iusques à mi, ou à fa. Enfin la voix se coule, et passe de ré à mi, comme si elle tiroit le ré apres soy, et qu'elle continuast à remplir tout l'interuale, ou le degré de ré à mi par vne suite non interrompuë, et qu'elle rendist ces deux sons continus: ce qu'il ne faut neantmoins faire que bien à propos, et aux lieux où les ports de voix ont de la grace: ce qu'il faut semblablement conclure des fredons, roulemens, martelemens, tremblemens, et adoucissemens de la gorge et de la voix. Or il faut remarquer que les Maistres vsent de differents caracteres pour signifier les lieux et les notes où les tremblemens se doiuent faire: par exemple, le Baillif, Boësset, et Moulinié mettent vne croix ou vne demie croix sur la note, sur laquelle ils veulent que l'on face la simple cadence, ou deux, trois ou quatre tremblemens: et vn autre caractere en forme de la lettre m, ou de la diese, lors qu'il faut doubler la cadence, ou multiplier les tremblemens.
L'on peut vser de plusieurs autres caracteres pour signifier les autres accidents des recits, comme l'on vse de cette petite ligne droite, |, ou de cet accent, ', pour signifier qu'il faut faire l'accent plaintif sur la note accentuée, en haussant vn peu la note à la fin de sa prononciation, et en luy donnant vne petite pointe, qui passe si viste, qu'il est assez difficile de l'apperceuoir: mais il la faut seulement hausser d'vn demi ton, qui consiste dans vn petit effort de la voix. Quant aux Italiens, ils obseruent plusieurs choses dans leurs recits, dont les nostres sont priuez, parce qu'ils representent tant qu'ils peuuent les passions et les affections de l'ame et de l'esprit; par exemple, la cholere, la fureur, le dépit, la rage, les defaillances de coeur, et plusieurs autres passions, auec vne violence si estrange, que l'on iugeroit quasi qu'ils sont touchez des mesmes affections qu'ils representent en chantant; au lieu que nos François se contentent de flatter l'oreille, et qu'ils vsent d'vne douceur perpetuelle dans leurs chants; ce qui en empesche l'energie.
ADVERTISSEMENT
Pour les Maistres qui enseignent à chanter: où il est parlé des Airs Italiens.
L'Vne des grandes perfections du chant consiste à bien prononcer les paroles, et à les rendre si distinctes, que les auditeurs n'en perdent pas vne seule syllabe; ce que l'on remarque aux recits de Baillif, qui prononce fort distinctement, et qui fait sonner toutes les syllabes, au lieu que la plus part des autres les étouffent dans la gorge, et les pressent si fort entre la langue, les dents, et les levres, que l'on n'entend quasi rien de ce qu'ils recitent, soit faute de n'ouurir pas assez la bouche, ou de ne remuer pas la langue comme il faut. C'est à quoy les Maistres se doiuent estudier, afin que leurs escoliers leurs facent de l'honneur, et que les Pages et autres enfans qui doiuent chanter deuant le Roy, et dans les Eglises, prononcent aussi bien en chantant, comme s'ils parloient simplement, et que leurs recits ayent mesme effet qu'vne harangue distinctement prononcée. Et pour ce sujet ils doiuent leur enseigner la maniere de prononcer également bien les 5. voyelles a, e, i, o, u, en faisant les cadences et les roulemens. Or l'vne des choses qui manquent aux Maistres ordinaires vient de ce qu'ils n'ont pas eux mesmes de bonnes voix propres pour reciter,et pour executer les beautez qui embellissent les airs, et qu'ils ne prononcent pas assez bien chaque syllabe pour faire [-357-] executer les mesmes choses à leurs escoliers; de sorte qu'ils sont semblables à ceux qui voudroient enseigner à bien escrire, auant que de sçauoir bien escrire eux mesmes. Ioint qu'ils deuroient auoir voyagé és pays estrangers, et particulierement en Italie, où ils se piquent de bien chanter, et de sçauoir la Musique beaucoup mieux que les François. Car bien que tout ce qu'ils font ne soit peut estre pas à approuuer, neantmoins il est certain qu'ils ont quelque chose d'excellent dans leurs recits, qu'ils animent bien plus puissamment que ne font nos Chantres, qui les surpassent en mignardise, mais non en vigueur. Ceux qui n'ont pas la commodité de voyager, peuuent du moins lire Iules Caccin, appellé le Romain, qui feit imprimer vn liure de l'Art de bien chanter, à Florence l'an 1621. dans lequel il distingue les passages propres aux Instrumens d'auec ceux qui seruent à la voix, et diuise les principales beautez des Chants en augmentation et affoiblissement de la voix, ce qu'il appelle Crescere, e scemare della voce, en exclamation, et en deux sortes de passages, qu'il nomme Trillo, et Gruppi, lesquels respondent à nos passages, fredons, tremblemens, et batemens de gorge. Il ajoûte qu'il faut seulement faire les passages et les roulemens de la voix sur les syllabes qui sont longues, et que la voix doit estre affoiblie, ou renforcée sur de certaines syllabes pour exprimer la passion du sujet; ce que l'on fait naturellement sans l'auoir appris, pour peu de iugement que l'on ait. Mais nos Chantres s'imaginent que les exclamations et les accents dont les Italiens vsent en chantant, tiennent trop de la Tragedie, ou de la Comedie, c'est pourquoy ils ne veulent pas les faire, quoy qu'ils deussent imiter ce qu'ils ont de bon et d'excellent, car il est aisé de temperer les exclamations, et de les accommoder à la douceur Françoise, afin d'ajoûter ce qu'ils ont de plus pathetique à la beauté, à la netteté, et à l'adoucissement des cadences, que nos Musiciens font auec bonne grace, lors qu'ayant vne bonne voix ils ont appris la methode de bien chanter des bons Maistres. Ledit Iules ioignoit son Citharron à sa voix, afin de faire vne basse perpetuelle, comme ils font encore maintenant en Italie, où ils ont quasi tousiours vn petit Orgue, ou vn Teorbe dans les recits qu'ils font sur le theatre, lors qu'ils representent quelque Comedie, ou quelque celebre action, comme l'on void dans la Flora d'Andrea Saluadori, qui fut representée à Florence aux nopces du Duc de Parme et de la Princesse Marguerite, auec vn tel appareil, que ceux qui en furent les spectateurs tesmoignent n'auoir iamais rien oüy, ny veu de semblable, soit pour la beauté des recits que chaque personnage faisoit en parlant, et en chantant sur le theatre, soit pour la majesté des vers, ou pour les richesses et les machines qui representoient les esclairs, les tonnerres, et les autres orages auec tant de perfection, que les spectateurs en demeuroient estonnez et rauis.
Giacomo Peri auoit commencé l'an 1600. à Florence, durant les nopces de la Reyne Mere, à introduire la maniere de reciter en Musique les vers sur le theatre; ce qui a esté suiuy par la Flora, dont ie viens de parler, l'an 1628. et le Dramma Musicale de sainct Alexis, representé à Rome l'an 1634. a esté la derniere piece de consequence que l'on a vûe auec vn contentement fort particulier. Mais nos Musiciens sont, ce semble, trop timides pour introduire cette maniere de recit en France, quoy qu'ils en soient aussi capables que les Italiens, si quelques-vns les y poussent, qui vueillent faire la dépence requise en vn tel sujet.
[-358-] Ie reuiens aux cadences et exclamations, que l'on peut faire en vne infinité de manieres, n'y ayant rien de tellement reglé en ce qui dépend de l'opinion et de la fantaisie des hommes, que l'on n'y puisse tousiours ajoûter. Or ceux qui ayment la multitude des passages et des diminutions, peuuent lire ceux d'Ignace Donat; les 156. passages ou glosados de Cerone, au 5. chapitre de son 8. liure, ceux du Fontegara de Syluestro di Ganassi, qui remplit 120. pages de ces passages accommodez aux fleutes, et plusieurs autres, et particulierement Lenvove Musiche di Giulio Caccini, dont i'ay parlé cy-dessus: mais il suffit de considerer les exemples que nous donnerons à la fin de ce linre, parce qu'ils peuuent seruir d'idée à la posterité, pour faire voir la maniere d'orner et d'embellir les Airs, car l'on n'y a, ce semble, iamais procedé auec tant d'adresse et de politesse, comme l'on fait maintenant.
PROPOSITION VI.
Expliquer les Caracteres necessaires pour signifier toutes les particularitez des Airs, et des Chants que l'on desire reciter auec toute sorte de perfection; et la maniere de bien faire les cadences, et les tremblemens.
I'Ay desia expliqué quelques signes ou caracteres, dont on vse ordinairement, pour signifier et enseigner la maniere dont ils se doiuent chanter: mais parce qu'ils n'ont pas beaucoup de rapport auec les mouuemens de la voix qu'ils signifient, il faut voir si l'on en peut inuenter de meilleurs, et particulierement dans la nouuelle maniere d'escrire la Musique auec les lettres dont i'ay parlé dans la 2. Proposition. Ie di donc premierement que l'on peut marquer le port de la voix, que i'explique dans la Proposition precedente, auec la ligne qui suit la note, ou la lettre, sur laquelle commence ledit port, comme l'on void en cet exemple, vt-ré; L'on peut encore marquer ce port en ne mettant nulle distance ou virgule entre v et r. en cette façon, vt ré, ou vr, ou bien, en mettant vne ligne dessus, ou dessous les deux lettres, afin de signifier que la voix doit passer d'vt à ré, en frappant legerement le re sur l'vt, et en le montant doucement, et comme par vn mouuement continu iusques à la chorde ré.
En second lieu, les tremblemens qui se doiuent faire sur la note de la cadence, sur laquelle il faut trembler, seront fort bien exprimez par vne estoile, qui ait autant de rayons comme il faut faire de tremblemens; par exemple, si l'on doit trembler six fois sur la seconde lettre ou note sol, de cette cadence la, sol, fa, il faudra marquer ce tremblement par cette estoile *, en la mettant dessus ou à costé de la lettre, en cette façon, la, s*ol, fa; mais parce que l'on n'a pas des estoiles auec 2. 3. 4. 5. 8. et 16. rayons, l'on pourroit les suppléer par les nombres, car 8. mis sur la lettre, ou note, sur laquelle il faut trembler, monstrera 8. tremblemens, et ainsi des autres. Quant aux plaintes ou souspirs, la petite pointe dont vsent quelques Maistres, est assez propre pour cela.
En troisiesme lieu, il y a quantité de passions que l'on peut faire paroistre en chantant, pour lesquelles on n'a pas encore inuenté des caracteres, comme sont les grandes exclamations des Airs Italiens, et les representations de la defaillance de coeur; il semble que si l'accent circonflexe n'estoit pas employé [-363 <recte 359>-] pour les doubles crochuës dans la 2. Proposition il seroit propre pour representer ces grands cris et excez de la voix, parce qu'il est composé de l'accent aigu, et du graue, comme l'exclamation du desespoir, et de la douleur est composée de l'esclat de la voix, et d'vn petit reste qui descend iusques à la Tierce, à la Quarte, à la Sexte mineure, ou à d'autres interualles, suiuant sa grandeur, et la puissance de la voix qui chante. Mais ie parleray plus amplement des caracteres propres pour exprimer la cholere, la tristesse, et les autres passions dans la 3. partie de ce liure.
En quatriesme lieu, l'on manque de caracteres pour aduertir des notes, ou syllabes que l'on doit chanter plus fort, comme l'on oit des traits d'archet beaucoup plus forts les vns que les autres. Et parce que la voix a autant de degrez de force, que d'interualles, l'on peut diuiser cette force en 8. degrez, comme l'on diuise la chaleur et les autres qualitez, afin que le premier degré soit propre pour exprimer les echos tres-foibles, et que les 7. autres degrez signifient les differens degrez des passions les plus vehementes, iusques au 8. qui representera la plus grande exclamation qui puisse estre faite, comme est celle du desespoir, et de quelque grande douleur d'esprit ou de corps, telle qu'on se peut imaginer celle d'Esau, lors qu'il rugit, et s'escria en demandant la benediction à son pere Isac. Or ces differents degrez de force peuuent estre signifiez par les nombres, ou par autant de points ou d'accents, mais parce qu'ils nous ont desia seruy à d'autres vsages, il seroit besoin d'ajouter de nouueaux caracteres, quoy que si l'on retient l'vsage ordinaire des notes, qui portent la valeur des temps auec elles, les nombres puissent seruir pour marquer les differences de la force de la voix.
En 5. lieu, si l'on veut tellement regler et escrire les Airs, que l'on entende parfaitement tout ce qui est requis à leur parfaite execution, il faut marquer le temps de la mesure; et si le Compositeur a dessein qu'vne ou plusieurs notes et mesures soient plus longues ou plus courtes qu'à l'ordinaire, il doit le marquer par des signes particuliers, autrement l'on ne peut reciter l'air suiuant son intention, comme l'on experimente aux Airs Italiens, que l'on ne chante iamais selon le dessein du Compositeur, si premierement on ne les a oüy reciter suiuant sa methode et son genie: Ce que l'on peut en quelque façon accommoder aux Harangues, car l'on pourroit vser de certains caracteres pour signifier la maniere de les reciter en perfection.
Il seroit neantmoins plus à propos d'vser tousiours de chaque note en sa propre valeur, afin d'éuiter tant de caracteres differens; par exemple, lors qu'on veut qu'vne note noire dure autant que la semibreue, l'on deuroit vser de cette semibreue au lieu de la noire, et ainsi des autres. Ie laisse plusieurs autres choses qui concernent l'ornement et l'embelissement des Airs, parce qu'il est aisé de se les imaginer en lisant tout ce que nous auons dit des tremblemens du Leut, dans la 9. Proposition du liure des Instrumens. I'ajoûte seulement en faueur des Cadences, qu'il faut assurer le tremblement qui se doit faire dessus la note auant que de le commencer, et que l'on en fait d'autant plus que la note est plus longue: par exemple, l'on en fera 2. sur la crochüe, quatre sur la noire, 8. sur la blanche à queüe, et 16. sur la semibreue: quoy que ce nombre ne soit pas tellement reglé que l'on n'en puisse faire plus ou moins, selon la disposition de la voix. L'on n'assure pas neantmoins [-364 <recte 360>-] la cadence sur vne note crochüe, parce qu'elle dure trop peu de temps: Mais les cadences doiuent estre bien marquées, et suffisamment martelées, de peur qu'elles soient trop confuses; quoy que ceux qui les font en perfection, en les redoublant sur la note antepenultiesme, aillent si viste et si delicatement, qu'il est malaisé de nombrer les percussions de l'air que fait la gorge, et de remarquer si elle change de chorde. Lors que la cadence et les tremblemens se feront sur vne note diesée, il la faut tenir le plus haut que l'on peut, comme si l'on ne descendoit que d'vn quart de ton, et que l'on ne feist que la diese enharmonique au lieu du demi-ton.
ADVERTISSEMENT.
IL n'est pas necessaire de mettre icy des exemples pour les cadences, les passages, et les tremblemens, parce que i'en ay assez donné dans la diminution du Dessus des Violons, que l'on void dans la 4. Proposition du 4. liure des Instrumens, et dans la diminution de l'Air du Roy, mise dans la 41. Proposition du 6 liure des Orgues: ioint que l'on en trouue tant qu'on veut dans les Airs que le sieur Ballard imprime tous les iours: c'est pourquoy i'acheue la seconde partie de ce liure par la Proposition qui suit en faueur des beaux Chants.
PROPOSITION VII.
Expliquer l'Art et la methode de faire de bons Chants, ou des Airs sur toutes sortes de suiets et de lettres.
L'Art de faire de bons Chants sur toutes sortes de sujets ne dépend pas seulement du genie, de la caprice, et de l'inclination de ceux qui les font, mais aussi du iugement qui doit seruir de conduite aux Compositeurs, comme aux autres Artisans, en tout ce qu'ils entreprennent, afin qu'ils puissent rendre la raison des chordes, des degrez, des interualles, des passages, et des tremblemens, qu'ils employent dans leurs compositions. Or ie suppose maintenant ce que i'ay dit des regles necessaires pour faire de bons Chants, dans la 5. et 6. Propositions du liure des Chants, dont l'vne appartient à la Melodie, et l'autre à la Mesure, que les Grecs nomment Rythmique.
Quant à la Melodie, il n'est pas besoin d'expliquer ses degrez et ces interualles, puis que cela a esté fait si exactement dans le liure des Genres, dans celuy des Consonances, et des Dissonances, et dans le 2. des Instrumens, que l'on ne peut plus desirer qu'vn bon iugement pour en vser à propos, suiuant les sujets differents, qui se presentent; par exemple, les choses tristes et amoureuses sont fort bien expliquées par les demi-tons majeurs, moyens, et mineurs, et encore mieux par les Dieses Enharmoniques, si l'on y vouloit accoustumer la voix: et semblablement par la Tierce mineure, qui suit la nature du demi-ton, et par la Sexte mineure, laquelle est propre pour expliquer les grandes plaintes et les douleurs. Les choses qui tiennent du grand et du rude, ou du rustique, comme les actions martiales et vigoreures, sont mieux representées par les tons, et par les Tierces et les Sextes majeures, ou par la Quarte iuste ou superfluë. Ie ne parle plus de l'embelissement de la Melodie, parce qu'il suffit de remarquer que si les Airs François ont quelque [-365 <recte 361>-] chose de recommandable et de particulier sur ceux d'Italie, d'Alemagne, et d'Espagne, cela dépend des cadences, et des tremblemens, dont ceux qui chantent bien, comme fait le Baillif, ont coustume d'vser en faisant les cadences et les passages, dautant que la voix a pour lors vne grande douceur, et qu'elle redouble tous ses charmes: ce qu'il est, à mon auis, impossible d'expliquer assez clerement pour le faire comprendre à ceux qui n'ont pas oüy de bonnes voix. Ie laisse aussi les mouuemens differens, dont on void l'abbregé à la fin de la derniere Proposition du liure des Chants, parce que i'en traite dans la 4. partie de ce liure: ioint que les exemples que i'ay donnez de toutes sortes d'airs, de dances, et de balets depuis la 23. Proposition iusques à la fin dudit liure, et dans tous les liures des Instrumens, et ceux qui sont depuis la 1632. iusques à la 1665. page de la Question Harmonique de la Genese, suffisent pour donner l'intelligence des mouuemens propres pour les Airs.
Cecy estant posé, ie dis qu'il faut considerer la lettre toute entiere, et le dessein ou l'intention de ce qu'elle contient, et où elle porte l'esprit, afin de luy accommoder vne modulation, et des mouuemens si propres, qu'estant chantée elle ait du moins autant de force sur les auditeurs, comme si elle estoit recitée par vn excellent Orateur: afin que le Compositeur, ou plustost le Chantre flechisse, et porte leur esprit à tout ce qu'il voudra. Et pour ce sujet ledit Compositeur doit marquer tous les endroits du chant, ausquels il faut renforcer ou affoiblir la voix, et où doiuent estre faits les accents des passions dont nous traiterons apres, afin que le chantre suiue ponctuellement le dessein du Compositeur.
Il faut aussi remarquer le ton, auquel la voix doit commencer, car l'experience fait voir que les chants recitez à de certains tons sont beaucoup plus agreables, et ont plus d'effet sur les auditeurs, que lors qu'on les chante d'vn ton plus haut ou plus bas. Or il est aisé de marquer le propre ton de chaque voix, et de chaque air, si l'on entend ce que i'ay dit dans la 18. Proposition du 3. liure des Instrumens. A quoy i'ajoûte seulement qu'il y a de certains tons plus naturels, et par consequent plus faciles à chanter les vns que les autres, tel qu'est celuy que les Grecs ont appellé la Mese, c'est à dire la 8. chorde de leur Systeme de 15. chordes: de sorte qu'on peut l'appeller Dominante, parce que la voix doit toucher cette chorde plus souuent que les autres, lesquelles on ne touche quasi que pour la faire trouuer plus excellente, et pour empescher qu'elle n'ennuye. L'on peut donc considerer cette voix comme la fondamentale du Chant, comme l'on fait le medium ou milieu dans les syllogismes, l'Equateur entre les Tropiques, et la vertu entre les vices. C'est cette voix dont on vse souuent dans la cholere et dans les autres passions, et dont les Orateurs se seruent le plus ordinairement dans leurs Harangues.
Mais il y a encore vne autre chose dans les Airs, qu'il est plus difficile de marquer et d'executer en chantant, que tout ce que nous auons dit iusques icy, à sçauoir vne certaine majesté qui accompagne l'agreement du chant, et l'harmonie de la voix, et qui fait qu'vne mesme chanson a ie ne sçay quoy qui tient du grand et du beau, comme il arriue quasi à toutes les autres choses qui peuuent estre executées par l'industrie de l'homme, et qui consistent dans l'action, comme il arriue aux Dances, à la maniere de se tenir à cheual, laquelle a donné le nom de Bon et bel homme à cheual dans l'Academie de Pluuinel. Ce que l'on remarque aussi dans les Perspectiues, dans les tableaux, [-366 <recte 362>-] dans les edifices, et par tout ailleurs, où il y a des choses qui tiennent du grand et du beau. De là vient que le plus simple habit paroist dauantage sur vn corps bien fait, que le plus riche du monde sur vn corps mal fait. Ce que l'on peut en quelque façon comprendre par le son d'vne cloche frappée d'vn marteau, car il n'a pas la grace et l'harmonie de celuy qu'elle fait lors qu'elle est sonnée en branle. La mesme chose arriue quasi à toutes sortes d'instrumens, entre lesquels il s'en rencontre qui ont le son doux, moüelleux, et harmonieux: de là vient que le son des bonnes cloches qui n'ont rien d'aigre et de piquant, et qui font l'Octaue, la Dixiesme majeure, et la Douziesme, comme il arriue particulierement aux plus grosses, donnent de grandes atteintes à l'esprit qu'elles charment et adoucissent par leur doux murmure. Et si l'on est attentif aux sons de toutes les chordes de chaque instrument, l'on trouuera qu'il y en a tousiours quelqu'vn qui est le plus plain, le plus moüelleux, et le plus doux de tous, et qui tient du grand et du beau, c'est pourquoy on le fait oüir fort souuent. Or c'est particulierement sur ce ton que les Chantres doiuent s'arrester, ou qu'ils doiuent repeter le plus souuent, parce que la voix y a plus de force et de vigueur, et mesme plus de douceur. Mais il faut auoüer que les accents des passions manquent le plus souuent aux Airs François, parce que nos Chantres se contentent de chastoüiller l'oreille, et de plaire par leurs mignardises, sans se soucier d'exciter les passions de leurs auditeurs, suiuant le sujet et l'intention de la lettre. Ils n'ont pas aussi cette majesté, qui naist du beau et du grand, dont i'ay parlé; et le Chant n'exprime pas tousiours la signification des paroles, dont on doit auoir vn soin tres-particulier. Ie mets encore beaucoup d'autres choses dans la Proposition qui suit, pour aider à faire de bons Chants.
PROPOSITION VIII.
Découurir les industries qui seruent à trouuer et à composer de bons Chants, et des Airs de toutes sortes de façons.
L'Vne des grandes peines qu'ont les Compositeurs d'Airs, consiste à éuiter les redites, et à trouuer des Chants qui n'ayent pas encore esté faits: car si quelqu'vn retomboit au mesme chant d'vn autre, on estimeroit qu'il n'en seroit pas l'inuenteur, à raison que les Compositeurs estiment qu'il est quasi impossible que deux ou plusieurs facent le mesme Chant sur vn sujet proposé, tant il y a de varieté et de difference dans la Musique; ce que l'on remarque semblablement aux stiles Latins ou François, esquels on ne rencontre quasi iamais en toutes choses, de sorte que si l'on donne vn theme à mille escoliers de mesme classe, ou si mille Orateurs descriuent quelque sujet, tous leurs themes, et toutes leurs descriptions seront differentes, et ne conuiendront pas en toutes choses. Ce qui arriue aussi aux versions des auteurs d'vne langue en l'autre, comme de Grec, ou de Latin en François: aux Peintures, Sculptures, Escritures, et à tout ce qui consiste dans l'action. Mais la mesme personne retombe plus aisément dans les mesmes Chants qu'elle a composé: de sorte que l'vne des plus grandes industries des Compositeurs dépend de la varieté. Ie di donc qu'il y a plusieurs choses tres-vtiles pour trouuer tousiours de nouueaux Chants sur vn mesme sujet, et [-363-] sur mesme lettre, que sur differents suiets: dont l'vne des principales est la parfaite connoissance du manche du Leut, de la Viole, du Violon, ou du Clauier de l'Orgue et de l'Epinette, lequel a grandement aidé Claudin à faire les beaux Chants que l'on admire dans ses oeuures. Car il est aisé de remarquer les belles chordes qui font les meilleurs effets, en tastant et en touchant lesdits instrumens.
La seconde industrie consiste en l'imitation, à la lecture, et à la consideration des Airs, et des Chants de ceux qui ont le mieux reüssi en cette matiere, tels que sont entre les François, Claudin, Guedron, Boësset, Chancy, Moulinié, et cetera. Car comme ceux qui veulent apprendre à composer en Latin, lisent et imitent Ciceron en tornant son Latin en François, et puis en remettant le François en Latin, iusques à ce qu'ils le remettent en mesmes termes, qu'ils se soient imprimez ce style dans l'esprit, et qu'ils se soient rendus familier le caractere de cet Orateur: et comme ceux qui veulent apprendre à composer en Contrepoint tant simple que figuré, ne trouuent rien plus auantageux que de lire, partir, et imiter les oeuures d'Eustache de Caurroy, iusques à ce qu'ils se soient rendus familiere son excellente maniere de coucher, et d'employer les accords, et d'y mesler tellement les Dissonances, qu'elles rehaussent autant les Consonances, comme les ombres rehaussent les couleurs; de mesme ceux qui veulent apprendre à faire de bons Airs, doiuent tellement imiter les meilleurs Maistres, tel qu'est maintenant le sieur Boësset, que toute la France considere comme vn Phoenix en cette matiere, qu'ils se reuestent de leur esprit, iusques à ce qu'ils ayent la veine, et le genie semblable.
La troisiesme chose est, que l'on doit bien considerer, comprendre, et exprimer le sens, et l'intention des paroles, et du sujet, afin de l'accentuer et de l'animer en telle sorte, que chaque partie face tout l'effet dont elle est capable; ce qui arriue particulierement lors que le Compositeur est luy mesme frappé du sentiment qu'il desire imprimer dans l'esprit de ses auditeurs, en faisant et en chantant ses Airs: comme il arriue que l'orateur a plus de puissance sur son audience, quand il se sent esmeu et entierement persuadé de ses raisons: ce qui se remarque encore en ceux qui ont recours à Dieu pour leurs maladies, et leurs autres necessitez, car ils se sentent eschauffez et émeus de certains mouuemens interieurs extraordinaires, qui leur font apprehender et croire que leur guarison est prochaine, et que la bonté diuine commence à les secourir.
La 4. chose qui peut aider à faire de bons Chants, et particulierement à les varier, et à fuir les redites, dépend de la consideration de tous les Chants possibles qui se peuuent faire dans l'estenduë des sons, des chordes, ou des notes que l'on se propose: par exemple, lors qu'on choisit l'estenduë de la Sexte mineure ou majeure, il est difficile qu'on n'y trouue de bons Chants, si on lit la 9. Proposition du liure des Chants, puis qu'elle contient toutes les modulations possibles de cette estenduë, de sorte que l'on n'a qu'à choisir la modulation que l'on iugera la plus propre pour exprimer les paroles proposées.
Et si l'on veut vser de l'estenduë de l'Octaue, tous les Chants possibles qui se treuuent dans l'estenduë des 8. chordes du Diapason, lesquels ie communiqueray à ceux qui les desireront, peuuent seruir à la mesme chose: car outre chaque varieté ils pourront repeter telles chordes qu'il leur plaira, [-364-] ou laisser celles dont ils n'ont pas besoin. A quoy l'on peut aussi rapporter la consideration de tous les mouuemens possibles, en les ioignant ausdites modulations et varietez: dont i'ay mis vn exemple dans la 19. Proposition du mesme liure des Chants. Ioint que si quelqu'vn ne se contente des degrez et interuales ordinaires de la voix, et de ceux des Clauiers ordinaires de l'Orgue, il puisse pratiquer tous les autres que i'ay expliqué dans la 5. 6. et 8. Propositions du 2. liure des Instrumens, et dans le 3. liure des Genres, où l'on void tout ce qui se peut desirer en cette matiere.
ADVERTISSEMENT Pour les beaux Chants.
QVelques regles et methodes que l'on puisse donner pour composer de bons et de beaux Airs sur toutes sortes de sujets et de lettres, il semble qu'elles ne peuuent faire arriuer iusques où porte le genie heureux, et l'inclination naturelle de ceux qui en font d'excellens sans auoir appris, ou estably d'autres regles que celles que leur fournit leur imagination: comme il est aisé de conclure par les Chants de plusieurs Organistes et Ioüeurs d'Epinette et de Leut, qui ne peuuent faire d'aussi bons Chants et d'aussi beaux Airs que ceux de Guedron et de Boësset, encore qu'ils connoissent mieux qu'eux le Clauier, ou le manche desdits Instrumens. Ie sçay qu'il y en a qui s'imaginent que les Musiciens de la Grece sçauoient tellement le Genre et l'Espece de la Musique, et le Ton, le Mode, et tous les interuales ou degrez dont il falloit vser pour chaque lettre, et qu'ils choisissoient tellement l'espece du metre, des vers, et des mouuemens, que l'on ne pouuoit pas mieux faire: mais ils me dispenseront s'il leur plaist, d'embrasser ce sentiment, iusques à ce qu'ils m'ayent du moins fait voir la possibilité de cet Art: et cependant ie seray de l'auis de ceux qui disent que le Genie de la Musique est semblable à celuy du Poëte, du Peintre, de l'Orateur, et de plusieurs autres Artisans, à qui la nature, ou plustost le Maistre de la Nature a departy de certains dons, ausquels l'Art ne peut paruenir. Ce n'est pas que ie ne fusse de contraire auis, si ie croyois que l'on peust establir vn Art certain, par lequel on connoist de quels sons, degrez, interualles et mouuemens il faut vser pour faire l'effet donné dans l'esprit, ou sur le corps des auditeurs, mais ie ne me puis persuader que les Grecs ayent eu cette connoissance, puis qu'il est assez aisé de iuger que les plus excellens de la Grece, à sçauoir Hippocrate, Platon, Aristote, Galien, et les autres, ne l'ont pas euë, et mesme que nous en sçauons autant ou plus qu'eux dans cette matiere. Quoy qu'il en soit, le clauier d'vn petit cabinet d'orgues à vent ou à chordes, peut seruir non seulement à faire de bons Chants, mais aussi pour examiner toutes sortes de pieces de Musique à 2. 3. 4. 5. 6. parties, et cetera au lieu que ceux qui ne peuuent toucher le clauier ont besoin de plusieurs personnes pour éprouuer leurs Compositions. Ie laisse mille particularitez que l'on peut ajoûter, pour enseigner à faire de bons Chants, soit de la part de la melodie, afin de toucher les belles chordes du Mode, de les mesler, et de rentrer dans ledit Mode si à propos, lors que l'on en est sorti, que l'auditeur en soit raui; soit de la part des beaux mouuemens, lesquels peuuent tous seuls faire remarquer dans les Chants vne certaine majesté qui tient du grand et du beau, comme i'ay desia remarqué.
[-365-] PARTIE III.
De la Musique Accentuelle.
CEtte partie de Musique semblera peut estre nouuelle à plusieurs, encore qu'elle se pratique par ceux qui chantent en perfection, et qu'elle accomplisse l'Art de l'Orateur Harmonique, qui doit connoistre tous les degrez, les temps, les mouuemens, et les accents propres pour exciter ses auditeurs à tout ce qu'il veut, comme faisoit Timothée, et le Musicien Danois, dont parle Albert Crantzius dans son 5. liure de la Danie, chapitre 3. ce qu'il n'est pas besoin de repeter, puis que i'ay rapporté cette histoire auec plusieurs autres dans le premier Article de la 57. question sur la Genese. Or ie suy l'ordre et le nombre des Propositions precedentes, afin de continüer ce liure en expliquant tout ce qui concerne les Accents des passions, ce qui aidera grandement à perfectionner toutes sortes de Chants, qui doiuent en quelque façon imiter les Harangues, afin d'auoir des membres, des parties, et des periodes, et d'vser de toutes sortes de figures et de passages harmoniques, comme l'Orateur, et que l'Art de composer des Airs, et le Contrepoint ne cede rien à la Retorique.
PROPOSITION IX.
Les Accents dont nous parlons icy, sont en si grand nombre qu'il est quasi impossible de les exprimer tous.
L'Experience enseigne qu'il y a presque autant de differences aux Accents, comme il y a d'hommes, bien que l'on ne s'en apperçoiue pas, si l'on ne fait reflexion sur les differentes manieres de parler. Or cette varieté prouient de l'infinité des parties, ausquelles l'interualle, par où passe la parole du graue à l'aigu, ou de l'aigu au graue, peut estre diuisé: car bien que l'Octaue se diuise seulement en 5. tons et deux demi-tons, quand on chante diatoniquement, neantmoins chaque demi-ton se subdiuise encore par la parole en vne infinité de petits interualles qui sont souuent insensibles: Et chaque diuision peut changer l'accent.
La force de la voix fait aussi beaucoup de differences aux mesmes accents, qui reçoiuent plus de vigueur de la vehemence de la parole, que du graue ou de l'aigu, qui n'ont quasi point de puissance s'ils ne sont accompagnez de ladite vehemence, ou de la foiblesse mourante de la voix, qui fait les accents de la tristesse, comme nous dirons dans vn autre lieu.
Quant aux accents ordinaires dont parlent les Grecs, les Latins, et les autres nations, ils n'en mettent que trois, à sçauoir le graue, l'aigu, et le circonflexe; ou l'accent de Grammaire, de Retorique, de Musique, dont vsent les Hebreux, et dont ils font autant d'estat comme font les Alchymistes de leur esprit-corps, et corps-esprit, dautant, disent-ils, que les consonantes sont [-366-] la matiere, les voyelles l'ame, ou la forme, et les accents l'esprit de la parole, et qu'ils peuuent sçauoir tout ce que l'on voit de l'oeil, et tout ce que l'on croit par la Foy, en assemblant et separant les caracteres de leur alphabet, et en considerant la vertu desdits accents.
PROPOSITION X.
Les accents font reconnoistre de quel pays l'on est, et quelquefois le temperament et l'humeur.
CAr l'experience fait voir que le Gascon a l'accent different de celuy du Prouençal, et que le Prouençal l'a different de celuy du Normand. Si nous connoissions les accents dont se seruent les Chinois, les Arabes, les Espagnols, et toutes les autres nations, nous les pourrions reconnoistre au seul accent, encore qu'ils parlassent tous mesme langue, mais l'on se contente de les discerner par la diuersité de leurs Idiomes, c'est pourquoy l'on n'a pas fait la remarque de leurs accents.
Et l'experience enseigne que ceux qui sont prompts et brusques en leurs actions, et qui sont bilieux, ont l'accent brusque et aigu: et que ceux qui sont melancholiques, l'ont graue, lent, et pesant: et comme il y a tout autant de differens temperamens et de differentes humeurs qu'il y a d'hommes, aussi y a-il autant de differents accents et de differentes manieres de parler: car bien que deux ou plusieurs ayent esté nourris ensemble, qu'ils se soient addonnez à mesmes exercices, et qu'ils soient de mesme pays, neantmoins on recognoist de la difference à leurs accents, et à l'air qu'ils donnent à leur parole et à leurs discours: ce qui ne peut, ce semble, venir que de la difference de leurs humeurs et de la diuersité de leurs organes, qui vient de la difference de leurs temperamens.
PROPOSITION XI.
L'accent, dont nous parlons icy, est vne inflexion ou modification de la voix, ou de la parole, par laquelle l'on exprime les passions et les affections naturellement, ou par artifice.
CEtte proposition contient la description de l'accent, dont le genre est expliqué par cette diction, inflexion, ou modification, laquelle conuient au discours, au chant, et à la voix, dautant que nous flechissons la voix en parlant et en chantant, mais l'accent est vne modification plus particuliere de la parole, que du chant, auquel il est difficile de donner toutes sortes d'accents, comme ie diray dans vn autre lieu.
La difference de ceste definition est expliquée en ces paroles, par laquelle l'on exprime, et cetera car la nature mesme nous enseigne de quels accents il faut vser pour monstrer et pour signifier nos passions et nos affections qui sont seulement exprimées par artifice auec la simple parole, ou auec le chant, car le chant et le discours dépendent de l'Art et de l'instruction: mais nous pleurons, nous crions, et donnons certains accents à la voix et aux paroles, sans auoir appris à les faire. Or ces accents de passion sont communs aux hommes [-367-] et aux animaux qui crient autrement pour monstrer leur ioye que pour monstrer leur tristesse: c'est pourquoy i'ay dit de la voix ou de la parole, dautant qu'il n'est pas necessaire de parler pour faire des accens, encore que les Grammeriens dient que l'accent est vn accident, par lequel nous haussons ou baissons quelque diction, car les differentes voix par lesquelles nous exprimons la douleur, l'estonnement, la cholere, et cetera sont accentuées.
I'ay encore adjouté, naturellement, ou par artifice, dautant que les Orateurs et ceux qui imitent la parole, la voix et le discours des autres, se seruent souuent des accens qui ne leur sont pas naturels: et que deux ou plusieurs personnes peuuent prendre l'accent de la cholere pour signifier la tristesse en déguisant la nature.
Si l'on auoit remarqué les differens accens dont se seruent les animaux pour exprimer leurs passions, l'on pourroit peut estre auoir quelque connoissance de leurs temperamens, et de leurs humeurs, mais il seroit necessaire de faire vne grande multitude d'obseruations sur ce sujet.
PROPOSITION XII.
Chaque passion et affection de l'ame a ses accens propres, par lesquels ses differens degrez sont expliquez.
NOus experimentons tous les iours que la cholere s'exprime par vn accent different de celuy de l'admiration, ou de la tristesse. Et si nous suiuons la diuision que font les Philosophes des passions de l'ame, nous establirons onze sortes d'accens, car ils mettent onze passions, à sçauoir six dans l'appetit concupiscible, qui reside au costé droit du coeur, ou dans le foye, comme veulent les Platoniciens; et cinq dans l'appetit irascible, qui est au costé gauche du coeur, ou dans le fiel; ou en d'autres lieux suiuant ce distique Latin,
Cor sapit, et pulmo loquitur, fel commouet iras,
Splen ridere facit, cogit amare iecur.
La premiere passion de l'appetit concupiscible, ou de la concupiscence est l'amour, qui est la racine de toutes les passions; car nous ne haïssons rien que quand nous croyons qu'il s'oppose et est contraire à ce que nous aimons; de sorte que tout le desordre des passions naist de l'amour, qui se diuise en desir et en ioye, suiuant les mouuemens differens qu'il donne à l'ame.
La haine est opposée à l'amour, et a son progrez dans la fuite et dans la tristesse, de maniere que les 6. passions se peuuent reduire à ces 2. capitales, puis qu'elles sont vn progrez d'amour et de haine, et que nous ne desirons rien, ny ne nous rejouïssons d'aucunes choses que de celles que nous aimons; comme nous ne fuyons rien, et ne nous attristons de nulles choses que de celles que nous haïssons.
L'esperance, l'audace, ou la hardisse, la cholere, la crainte et le desespoir appartiennent à l'appetit irascible; mais Boëce reduit ces 5. passions à 2. à sçauoir à l'esperance, et à la crainte, comme les 6. passions de l'appetit concupiscible à la ioye et à la douleur, comme il enseigne en ces vers,
Gaudia pelle,
[-368-] Pelle timorem,
Spémque fugato,
Nec dolor adsit,
Nubila mens est
Haec vbi regnant.
Virgile a compris ces 4. principales passions dans vne partie de l'vn de ses vers,
--metuunt, cupiuntque, dolent, gaudentque. et vn autre,
Hic timet, ille cupit, dolor hinc furit, inde voluptas.
D'où l'on peut conclure que les anciens ont estably ces 4. passions, à sçauoir la ioye, la douleur, la crainte et l'esperance, comme les 4. elemens, ou les 4. humeurs de l'appetit qui nous est commun auec les animaux. Mais l'on peut mettre l'amour et la haine au lieu de la ioye et de la douleur. Or il faut voir en quoy consiste le mouuement de ces passions auant que de leur establir de certains accens.
En premier lieu le coeur s'eslargit, s'épanoüit et s'ouure dans la ioye et dans l'esperance, comme l'heliotrope, la rose et le lis à la presence du Soleil; de là vient que le teint du visage est vermeil à cause des esprits vitaux que le coeur enuoye en haut; de sorte que si la ioye est si grande que le coeur demeure sans vne assez grande quantité de ces esprits, l'on tombe en defaillance, et quelquefois l'on meurt en riant.
Au contraire, quand la tristesse est excessiue, les mesmes esprits se retirent au coeur en trop grande multitude, et l'étouffent, parce qu'il ne peut plus se mouuoir, ny s'ouurir: de sorte que ces deux passions sont semblables au flux et reflux de la mer, car la ioye est semblable au flux qui ameine grande quantité de pierres, de coquilles et de poissons au bord de la mer; et la ioye ameine quantité de sang, et d'esprits au visage, et aux autres parties du corps. Mais la crainte et la douleur sont semblables au reflux qui retire ce qu'il auoit amené: car la crainte et l'effroy rendent le visage pasle, et la contenance morne et hideuse, en retirant le sang et les esprits, et font que la melancholie corrompt le peu de sang qui reste dans les veines, et qu'elle remplit l'imagination de songes épouuantables. Il faut donc que les accens par lesquels on exprime les differentes affections et passions de l'ame, soient differens, et que les vns imitent et representent le flux des esprits et du sang, et les autres le reflux; que ceux-là soient prompts, vifs, gais, et semblables aux fleurs et aux odeurs du Printemps, et ceux-cy soient semblable à la pluye, à la neige, à l'Hyuer, et à tout ce qui est desagreable: que ceux-là soient semblables aux consonances et aux concerts, et ceux-cy aux dissonances, et aux bruits importuns: en fin ceux-là ont autant de perfections comme ceux-cy ont d'imperfections.
Or il faut voir s'il est possible d'establir 4. principaux accens suiuant ces 4. passions differentes, car les accens, dont nous parlons icy, se peuuent appeller la parole, ou le discours des passions, comme les paroles et le discours ordinaire s'appelle le discours de l'esprit, qui tient plus de l'artifice que de la nature, comme celuy des passions tient plus de la nature que de l'artifice, et par consequent cestuy-cy est moins sujet à la dissimulation que celuy-là. Quant à l'accent de la ioye, c'est chose certaine qu'il est different de celuy de la tristesse; mais celuy de la ioye comprend celuy du desir et de l'amour, comme le triangle comprend deux angles droits, et comme l'ame [-369-] raisonnable comprend la sensitiue et la vegetatiue. Cet accent est gay, riant et tres-agreable, et peut estre diuisé en autant d'autres accens qu'il y a de differens degrez de ioye et d'amour.
L'accent de la tristesse est lent, morne et fascheux: celuy de la haine est plus violent, et approche de celuy de l'indignation, qui est contenu sous celuy de la cholere. Quant à l'accent de la fuite, il est rapporté à celuy de la crainte, et celuy du desir est semblable à celuy de l'esperance. L'accent du desespoir suit celuy de la tristesse, comme celuy de l'audace suit celuy de l'esperance, et du desir. Mais il est difficile d'exprimer tous ces accents.
PROPOSITION XIII.
L'on ne peut exprimer les accents des passions si l'on n'vse de quelques caracteres nouueaux.
NOus n'auons point eu de signes iusques à present par lesquels nous puissions marquer et signifier les accents des passions, et les anciens ne nous ont laissé que l'accent graue, l'aigu et le circonflexe, auec celuy d'admiration et d'interrogation; c'est pourquoy il faut treuuer des caracteres qui soient propres pour signifier, et pour exprimer l'amour, la haine, la tristesse, la cholere, l'indignation et les autres affections de l'ame.
Il me souuient que les Medecins ont inuenté de nouueaux noms pour signifier les 6. muscles qui meuuent l'oeil, et qu'ils ont appellé superbe celuy qui le tire en haut, et humble celuy qui le tire en bas. Les deux qui le portent vers le nez sont nommez amoureux, et ceux qui le tirent à gauche sont appellez muscles d'indignation. Ausquels on peut adiouster celuy ou ceux qui font le mouuement tonique, soit qu'il se fasse par vn septiéme muscle ou par le concours mutuel des six autres.
Les Astronomes se sont aussi seruis de nouueaux caracteres pour expliquer les 12. signes du Zodiaque, les sept Planettes et leurs aspects: et les Chymistes, les Egyptiens, les Chinois, et toutes sortes d'artisans ne sont point repris quand ils inuentent de nouueaux caracteres pour expliquer les particulieres remarques et difficultez de leur art.
Et les Musiciens mesmes ont vsé en tout temps et en tous lieux de particulieres notes pour signifier l'aigu et le graue des sons, et la longueur des mesures, comme on voit dans les liures des Grecs, des Latins, et des autres nations. Il faut donc prendre cette mesme liberté pour marquer les accents des passions: et pour ce sujet ie diuise chaque passion en 3. degrez, comme les Medecins diuisent les degrez des premieres qualitez en 4. degrez, et les Philosophes en 8. Et afin d'abreger, ie rapporteray toutes les passions à trois principales, à sçauoir à la cholere, à la ioye, et à la tristesse: car l'enuie, la jalousie, et la haine sont meslées et composées de tristesse et de cholere; l'amour est vne ioye commencée, et si l'absence de ce que nous aimons nous afflige, c'est vn amour triste, ou vne tristesse amoureuse.
[-370-] PROPOSITION XIV.
Tous les accents, dont l'on vse pour exprimer les trois passions ausquelles nous auons rapporté les autres, ont besoin de 9. caracteres differens pour estre expliquez et entendus, à sçauoir de 3. pour les 3. degrez de la cholere, et de tout autant pour les degrez de l'amour et de la tristesse.
LE premier degré de la cholere se remarque à la voix quand elle s'esleue un peu plus haut, et que l'on parle auec plus de vehemence: et si l'on touche le poux, l'on iugera facilement que le coeur bat plus viste, ou plus fort: mais il faudroit obseruer si ce battement est sesquialtere du battement naturel, ou s'il garde quelqu'autre proportion, afin d'establir le premier degré de cholere, et d'auoir son caractere interne par le mouuement du poux, ou par celuy de la respiration, et son caractere externe par l'aigu, ou la force, et la vitesse de la voix.
Et parce que cet accent prouient de la bile, l'on pourroit representer ce premier degré de cholere par vne pointe de flamme, ou de feu, ou par quelqu'autre caractere qui signifie de combien de degrez il faut éleuer, ou renforcer, et precipiter la parole au premier degré de cholere. Ce que l'on pourroit peut-estre faire auec les crochuës, et les fredons de la Musique.
Le 2. degré de cholere donne vne plus forte atteinte à la raison, qui commence de ceder à la passion, laquelle peut estre expliquée par deux pointes de flamme: et si le poux du premier degré de cholere est sesquialtere du naturel, le poux du 2. degré sera double en vitesse du naturel, et par consequent sesquitierce du battement que fait le 2. degré: car la raison double est composée de la sesquialtere et de la sesquitierce. Il faut neantmoins remarquer que le battement naturel ne passe pas tout d'vn coup au 2. degré; ny celuy du 2. degré à celuy du 3. mais il suffit d'auoir establi la derniere periode de ces degrez, à laquelle l'on peut paruenir ou tout d'vn faut, ou par plusieurs interualles, comme l'on peut aller du son plus graue à la Quinte, sans vser de degrez, ou auec les degrez ordinaires.
Le 3. degré de cholere, qui monte iusques à la fureur, peut estre representé par vne flamme à 3. pointes; or le battement du coeur sera triple du naturel, soit en vitesse, soit en force, ou en tous deux. A quoy se peut rapporter l'estenduë de la voix, laquelle à peine monte plus d'vne Douziesme depuis le ton de la parole ordinaire, dont on vse sans passion, iusques au cri de la fureur et du desespoir: car si la voix monte plus haut, elle deuient rauque, et desagreable, et doit plustost estre appellée clapissement que voix humaine. De là vient que ceux qui sont venus à ce degré ne disent plus mot, ou s'ils parlent, ou crient, ils rabaissent le ton. Et puis il est difficile, et peut estre naturellement impossible que le poux batte plus de trois fois plus viste dans la cholere, que hors d'icelle. Mais parce qu'il faut euiter tant que l'on peut la nouueauté des caracteres, vn accent aigu peut signifier le 1. degré de cholere, deux le second, et 3. le troisiéme: ou si lon veut vser des particulieres lettres, elles pourront porter auec soy tel point, ou signe que l'on voudra, par lequel ceux qui liront le discours, seront aduertis qu'il faut prononcer la fin, ou quelqu'autre partie de la periode auec le premier, le 2. ou le 3. accent de cholere.
[-371-] Il faut dire la mesme chose des accents de la passion, de la ioye, et de la tristesse, qui ont leurs commencemens, leurs progrez et leurs fins, comme la cholere, les maladies, et les autres choses de ce monde: bien que le poux, et la voix de ces deux passions ne soient pas si faciles à expliquer comme celles de la cholere. L'on peut neantmoins leur establir des accents, et des caracteres à proportion de ceux de la cholere.
Quelquesvns ont creu que les passions faisoient changer la pesanteur du corps, et que l'homme qui est en cholere, est plus leger de 8. liures sur cent, que quand il est triste; de la treziéme partie quand il est au souuerain degré de cholere, et de la vingtcinquiéme quand il est extremement ioyeux. Mais ces remarques, ou plustost ces imaginations sont tres fausses, car l'inflammation et la mort apportent vne plus grande alteration au fer, et au corps humain, que ne font toutes les passions de l'ame au corps; et neantmoins le corps viuant n'est pas plus leger que le mort, ni le fer chaud et enflammé que le froid, comme nous auons experimenté tres-exactement.
PROPOSITION XV.
A sçauoir si l'on peut exprimer les susdites passions en chantant la Musique, et si l'on peut faire toutes sortes d'accents.
CEtte proposition est tres-difficile à expliquer, tant parce qu'il semble que la Musique desire de certaines delicatesses, et des agreemens qui ne peuuent compatir auec la vehemence, et la rudesse des passions, et particulierement auec la cholere; car quant aux accents de la tristesse, et de la douleur, il est aisé de les faire par le moyen du demi-ton que fait la voix en languissant: et c'est quasi le seul accent des airs François, dans lesquels on mesle aussi quelquefois assez à propos l'accent de la ioye, de l'amour, et de l'esperance. Mais les Italiens ont plus de vehemence que nous pour exprimer les plus fortes passions de la cholere par leurs accents, lors particulierement qu'ils chantent leurs vers sur le theatre pour imiter la Musique Scenique des anciens. Or l'accent de cholere se fait en precipitant les dernieres syllabes, et en renforçant les derniers sons; et si l'on fait reflexion sur l'éleuation de la voix, l'on remarquera qu'on la hausse souuent d'vn ton entier, d'vne Tierce, et d'vne Quarte, en prononçant la derniere syllabe des paroles qui seruent à la cholere, et d'autresfois des mesmes interualles, ou du Diapente, en appuyant la voix sur la syllabe antepenultiéme. Mais les manieres dont la cholere s'exprime est si diuerse, qu'il n'y a quasi point d'interualle qu'elle ne pratique, suiuant ses degrez differens, et les autres passions qui l'accompagnent: de sorte que le Musicien doit considerer le temps, le lieu, les personnes, et le sujet pour lesquels l'accent se doit faire, afin qu'il le marque sur la syllabe, sur laquelle la voix doit appuyer, et qu'elle doit hausser et renforcer.
I'ay remarqué que le ton de la cholere monte souuent d'vne Octaue entiere ou dauantage tout d'vn coup; ce qui est difficile à apperceuoir, si l'on n'essaye de mettre ces interualles en Musique en faisant les mesmes interualles lentement, et peu à peu, afin que l'imagination ait loisir de comprendre l'interualle de la cholere. Il faut dire la mesme chose de l'accent du [-372-] dépit, du déplaisir, et des autres passions; que l'on trouuera souuent dans vn ton beaucoup plus aigu que l'on ne croit, quoy qu'on le face aussi quelquefois sur vne mesme chorde en la frappant plus fort et plus viste.
Ie laisse la recherche des caracteres necessaires pour marquer cette passion, et les autres, aux Compositeurs qui desirent faire des chants ausquels il ne manque rien, et particulierement qui ont dessein de les accentuer en toutes sortes de façons: ce qui donnera vne telle grace et vn tel air aux chants, et aux recits, que tous ceux qui les oyront, auoüeront qu'ils sont animez, et pleins de vigueur et d'esprit, dont ils sont destituez sans ces accents, esquels les Compositeurs se peuuent instruire en considerant les batemens des chamades, et des charges sur le tambour, et celles des trompettes, dont les derniers sons de chaque mesure representent la cholere par la promptitude, et la force du coup de baston ou de langue. Quant à la promptitude, l'on a des notes crochuës, ou doubles, et triples crochuës, qui vont assez viste pour marquer la vitesse de tous les degrez des passions les plus rapides, comme l'on en a de 16, 12, 8, 6, 4, 3, et 2 mesures, qui sont assez tardiues pour marquer la langueur des plus grandes tristesses: de sorte qu'il ne manque plus que les caracteres qui signifient l'impetuosité, la vigueur et la force desdites passions: par exemple, l'on peut signifier le premier degré par le mesme trait dont on marque les premieres minutes, à sçauoir par cette petite ligne droite ', le second par le signe des secondes ", le 3. par le signe des tierces "', et cetera. Mais ceux qui enseignent à chanter doiuent monstrer tous ces differens degrez des passions aux enfans, comme ils leur enseignent les cadences, les diuers passages et les tremblemens, afin qu'ils ne manquent point d'accentuer toutes les syllabes, et les notes marquées par le compositeur, qui doit s'estudier à la connoissance des mouuemens, et des degrez de chaque passion pour les representer le plus naïfuement qu'il pourra.
Or si le Compositeur d'Airs iuge qu'il ne puisse faire les accents des passions auec les interualles ordinaires de la Diatonique et de la Chromatique, c'est à dire auec la Musique dont on vse ordinairement, il luy est aisé de pratiquer les dieses enharmoniques, que i'ay expliqué dans le liure des Genres, et dans celuy des Luths et de l'Orgue. Par exemple, s'il treuue que la Tierce majeure est trop petite pour exprimer quelque passion, et son accent, il peut l'augmenter de telle diese qu'il voudra; c'est à dire de celle qui ne fait que le quart d'vn ton, ou de celle qui en fait le tiers, ou de tel autre interualle qu'il iugera propre à son dessein. Ce que i'ay voulu adjouster, afin que l'on ne s'imagine pas que les Grecs ayent eu, ou pû auoir d'autres degrez et interualles que ceux dont nous pouuons aussi bien vser qu'eux en toutes sortes de rencontres, sans qu'il nous reste aucune raison de douter qu'ils ayent pû faire de meilleurs chants que les nostres, particulierement si on leur accommode tout ce que nous auons dit, et ce que nous ajousterons dans la quatriesme partie de ce liure, apres auoir mis la Proposition qui suit en faueur des Predicateurs.
[-373-] PROPOSITION XVI.
Monstrer l'vtilité que les Predicateurs, et les autres Orateurs peuuent tirer des Accents de chaque passion.
IL est certain qu'il n'y a point d'hommes qui meritent dauantage que l'on trauaille pour eux que les Predicateurs, puis qu'ils sont en quelque façon les Ambassadeurs du ciel, et les Peres des ames, qu'ils engendrent, et qu'ils nourrissent par la force de la parole de Dieu; c'est pourquoy cette proposition sera tres-bien employée, pour peu qu'elle leur puisse aider; mais parce qu'il y en a bcaucoup qui ont quasi toutes les parties que l'on peut desirer dans vn excellent Orateur, sur lesquels les autres se peuuent former, ie toucheray seulement comme en passant les aides qu'ils peuueut tirer de ce Traité: ce qu'ils pourront estendre tant qu'il leur plaira. Ie dy donc premierement que le Predicateur doit cognoistre l'estenduë, et la force de sa voix, par exemple, si elle peut faire tous les degrez du Diapason assez facilement pour estre entenduë sur chaque degré. En 2. lieu, il doit remarquer le lieu auquel elle a plus de force et de vigueur, afin d'en vser en expliquant les menaces de Dieu, et les autres paroles qui desirent le ton de la cholere: mais parce que les menaces sont quelquefois plus grandes, et d'autrefois moindres, il faut diuiser ce ton, ou plustost, ce son de la voix en autant de degrez qu'il y a de differentes menaces, et reprehensions ou reprimandes, afin d'apporter autant de iugement à la prononciation, qu'au choix et à l'ordre, ou à l'arangement des paroles.
En 3. lieu, il doit l'estudier à bien faire les accents de la passion, sans neantmoins franchir les bornes de la modestie d'vn Orateur Chrestien, de peur de se rendre ridicule, et d'empescher le fruit de la parole diuine, qui seule peut percer, et penetrer les coeurs de ceux qui la considerent attentiuement. Or il est malaisé de croire la force desdits accents, si l'on ne les a experimentez, laquelle est si grande que ceux qui les font bien à propos peuuent faire trembler leurs auditeurs, encore qu'ils ne parlent à eux qu'en se ioüant, et par plaisir. Et peut estre que nostre Seigneur prononça ces paroles Ego sum, d'vn tel accent, et d'vn tel ton, qu'elles furent capables de faire trembler et tomber les Soldats qui le cherchoient pour l'arrester. Car l'esprit et l'oreille des auditeurs ont vn certain rapport à des tons, et à des accents qui sont capables de les esbranler, et qui les frappent si puissamment, lors que les paroles s'y rencontrent, que l'Orateur les conduit où il veut.
Il n'est pas necessaire de parler de chaque degré de la voix propre pour chaque Passion, puis que les predicateurs estant ordinairement Philosophes et Theologiens, peuuent conclure tout ce que l'on en doit tenit s'ils lisent ce liure, et ce que nous auons dit des degrez et interualles de la Musique et de la Voix: joint que ie donneray vn Traité entier des aides et des vtilitez que les Orateurs peuuent tirer de l'Harmonie Vniuerselle, et de la maniere qu'ils doiuent euiter, ou imiter les chants dans leurs Harangues et dans leurs Predications.
[-374-] IV. PARTIE.
De la Rythmique, ou des mouuemens mesurez, de la Prosodie, et de la Metrique.
IE n'auois pas dessein d'ajoûter aucune chose à ce que i'ay dit de la Rythmique depuis la 19. Proposition du liure des Chants iusques à la fin, et particulierement dans la 24. où j'explique les mouuemens de chaque espece de dances, et dans la 27. où l'on void 23. sortes de mouuemens et pieds rythmiques ou metrique: mais puis que ie n'ay point encore traité des diuers signes dont on a coutume d'vser dans la Musique pour signifier la diuersité des temps, et la differente valeur des notes et des sons, et qu'il est certain que nostre langue Françoise est capable de faire toutes sortes de vers mesurez propres pour la Musique, comme i'ay desia fait voir dans la grande Question Harmonique sur la Genese, ie mets les Propositions qui suiuent en faueur de la Rythmique, et de l'Art Metrique.
Or i'ay mis vne table des mouuemens Rythmiques à la page 179. du liure des Chants, laquelle peut suppléer ce que l'on pourroit icy desirer pour la Prosodie Françoise, qui contient la Rythmique necessaire à toutes sortes de metres ou de vers mesurez propres pour faire des Airs: i'ajoûte seulement icy que l'Art Rythmique a son estenduë aussi grande que les nombres appliquez aux objets de la vûe, de l'oüye, et du toucher; de maniere que l'entendement qui considere les nombres intellectuels dans leur pureté, descend à la matiere qui les accompagne, et qui les rend sensibles, afin de l'éleuer en quelque façon à vn estre intellectuel et raisonnant, et de la dégager de l'alteration, de la mutabilité, et de la corruption.
PROPOSITION XVII.
La Rythmique est vn Art qui considere les mouuemens, et qui regle leur suite et leur mélange pour exciter les passions, et pour les entretenir, ou pour les augmenter, diminuer, ou appaiser.
CEtte description contient les principaux effets et le plus haut dessein de la Rythmique, soit qu'on la considere speculatiuement, ou entant que Pratique, car ceux qui en vsent sur les Tambours et les Trompettes, aux dances et balets, dans les Chants, et dans les vers, et cetera n'ont point d'autre intention que de plaire aux auditeurs et aux spectateurs, ou de les exciter à quelque passion ou affection, soit de ioye ou de tristesse, et d'amour, ou de haine, et cetera. De là vient que les bons Poëtes, comme Virgile, vsent des mouuemens prompts representez par les syllabes briefues, par les Dactyles, les Anapestes, et autres pieds semblables pour donner vn semblable branle, ou vne semblable imagination au lecteur ou à l'auditeur. Or i'espere que l'on [-375-] entendra aisément les six liures de la Rythmo-Metrique de sainct Augustin, et ceux de Terentian, d'Ephestion, d'Aristide, Quintilien, de Martianus Capella, et des autres, par la lecture de cette quatriesme partie, laquelle contient tout ce qu'ils ont de meilleur et de plus considerable sur ce sujet. Il est certain que ces mouuements estant bien reglez et arrangez ont vne grande puissance sur l'esprit, ou sur le sang, et les autres humeurs, puis que plusieurs se sentent portez à chanter et à dancer à la cadence lors qu'ils voyent cet exercice, encore qu'ils n'en eussent nul dessein, et que comme nous baaillons souuent en voyant baailler les autres, l'on se trouue aussi chantant, sautant, ou dançant, sans aucune deliberation precedente, que la nature imitatrice deuance en plusieurs de ses mouuemens. D'où il est aisé de conclure que celuy qui donne de plus beaux mouuemens à ses Airs, et qui imprime mieux la passion de la lettre aux auditeurs, doit estre preferé à tous les autres. Mais il semble aussi difficile de prescrire quelle doit estre la suite desdits mouuemens pour exciter les auditeurs à la passion donnée, comme de donner les interualles harmoniques, et leur suite, c'est à dire, comme de faire des chants propres pour la mesme fin. Et bien que l'on ne change pas entierement l'espece ou le genre du mouuement, quand on vse de 2. 4. 8. ou 16. notes crochües, ou doubles, et triples crochües, au lieu d'vne note blanche ou noire, neantmoins l'effet est different à proportion que cette diminution éloigne les mouuemens plus tardifs de leur simplicité; et fait souuent que l'on ne comprend plus l'espece du mouuement; comme il arriue qu'il est beaucoup plus difficile de comprendre vne raison expliquée en grands nombres, que lors qu'elle est contenuë dans ses termes essentiels, primitifs, et radicaux; par exemple, la raison sesquioctaue du ton majeur est plus difficile à comprendre de 36. à 32. que de 9. à .8. qui sont differents de la seule vnité. Or si les Musiciens et les Poëtes François ne veulent ou ne peuuent s'acoustumer aux noms que les Auteurs Grecs et Latins ont donné aux mouuemens ou aux pieds, et aux vers, ils les peuuent changer; par exemple ils peuuent nommer le Pyrrichi-Anapeste, le mouuement ou la cadence dont on exprime la marche Françoise sur le Tambour, parce qu'on le bat en cette façon [b b b b l]: L'on peut voir les autres pieds, et toutes sortes de vers expliquez par notes, dans le 5. 6. et 7. liure de Salinas, et tout ce que i'ay dit des pieds Rythmiques et Metriques, dans le premier Theoreme du 2. liure du Traité de l'Harmonie Vniuerselle, sans qu'il soit besoin de le repeter icy, ou ie monstre la maniere de reduire toutes sortes de pieds metriques, ou de mouuemens mesurez en vers, afin de ioindre la Rythmique à l'Harmonie. Et pour ce sujet ie mets icy toutes les especes de pieds metriques en notes de Musique, afin qu'ils seruent pour entendre ce qui suit, car toutes les sortes de vers en sont composez. Le nom de chacun est sur les notes qui le representent: Il faut seulement remarquer que chacun peut estre dissous ou diminué en vn plus grand nombre de notes ou de temps, comme l'on void au quatriesme Epitrite, lequel est dissous et diminué par 16. crochües.
[-376-] Table de vingt-sept pieds Metriques ou mouuemens Rythmiques.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 376; text: Pyrriche. Iambe. Trochee. Spondée. Tribrache. Dactyle. Anapeste. Scolien. Cretique. Bacchean. Palimbacheam. Molosse. Proceleumatique. 1. Paeon. 2. 3. 4. Ionique majeur. Ionique mineur. Choriambic. Antispastic. Tautopodie Iambique. Trochaïque. 1. Epitrite. 4. Epitrite dissous, ou diminué.] [MERHU2_8 05GF]
PROPOSITION XVIII.
Reduire toutes sortes de pieds, ou mouuemens Rythmiques en vers: et expliquer les caracteres necessaires pour cet effet: où l'on void le nombre, la valeur, et la vraye prononciation des lettres de l'Alphabet.
IE ne veux pas m'arrester à preuuer que nostre langue Françoise a trois sortes de temps, aussi bien que les Grecs et les Latins, parce que ie l'ay fait assez au long dans le 7. 8. 13. et 16. article de la 57. question sur la Genese, et que chacun se peut satisfaire et conuaincre soy-mesme en faisant reflexion sur les temps differens qu'il donnera à chaque syllabe en prononçant. Or puis que les Airs et les Chansons dont on vse maintenant, ou qui ont esté et seront tousiours en vsage, tandis que l'on s'exercera aux chants et aux vers, se rapportent aux mouuemens ou pieds, dont Anacreon, Pindare, Horace, et les autres Poëtes tant Grecs que Latins ont composé leurs vers, il n'est pas hors de propos d'vser de leurs termes. Ie di donc premierement qu'ils ont distingué leurs vers en parfaits, abondans, et diminuez: Les parfaits sont ceux ausquels il ne manque nul pied, ou nulle syllabe, ils les nomment acatalectiques; s'il leur manque vne syllabe, catalectiques; et si leur en manque deux, brachycatalectiques, ce qui peut se rapporter aux differentes cadences, et aux dances, ausquelles il manque quelque pas, ou qui en ont plus qu'il ne leur en faut. Mais il est difficile de faire gouster les noms, la suite, et le plaisir de ces pieds ou mouuemens reglez, et des vers qui en sont composez, à nos Musiciens, c'est pourquoy ie ne mets pas icy la version d'Ephestion, lequel explique fort exactement toutes les especes de vers vsitez par les Poëtes Grecs, de peur de prendre beaucoup de peine qui ne leur seruiroit peut estre de rien, car ils ne veulent pas estre gesnez, et aiment mieux suiure les mouuemens qui leur viennent dans l'imagination, que d'estre contraints par aucune regle, parce qu'ils ont plus de diuersité, et qu'ils n'ennuyent pas si tost que les vers hexametres, pentametres, saphiques, et les autres, qui vont [-377-] tousiours d'vne mesme cadence. Il est neantmoins necessaire qu'ils connoissent les syllabes longues et briefues pour faire des Chants et des Airs parfaits, c'est pourquoy ie les explique dans la Proposition qui suit, afin qu'ils ioignent la Rythmique à l'Harmonie, c'est à dire les beaux mouuemens à l'excellente modulation.
Quant aux characteres ou lettres propres à marquer, et à escrire toutes sortes de pieds et de vers, il y a fort long temps que plusieurs ont maintenu que les 23. lettres de nostre alphabet ne suffisent pas; de là vient que Honorat Rambaud Maistre d'Eschole à Marseille, a fait vn traité de l'abus que l'on commet en escriuant, auquel il essaye de remedier par 52. characteres, dont il nomme les consones masles, et les voyelles femelles. Or ce liure fut imprimé l'an 1578. et est digne d'estre leu, pour les gentilles comparaisons dont il vse pour exprimer la grande difficulté que l'on a d'enseigner les enfans à lire. Du depuis Simon Docteur en Medecine a voulu donner la vraye maniere d'ortographer, dans le liure qu'il feist de ce sujet l'an 1609. où il desire que l'on double les voyelles, lors que les syllabes sont longues. Baïf, Nauiere, et plusieurs autres, ont aussi trauaillé sur cette mesme difficulté, dont on peut voir vn grand nombre de particularitez dans la 57. Question sur la Genese, où i'ay mis l'alphabet de Baïf auec plusieurs exemples en vers, qui sont escris auec ses characteres. Mais il semble qu'il n'est pas impossible de faire toutes sortes de vers mesurez sans changer de caracteres, et sans en ajoûter de nouueaux, lesquels il est difficile de faire embrasser, comme l'experience a fait voir depuis le temps que l'on a commencé à escrire de cette matiere: et il suffit de retrancher les lettres superfluës des dictions ausquelles elles ne seruent de rien, comme l'on fait peu à peu. Ie remarqueray seulement que les vns ont desiré que l'on écriuist les syllabes longues auec les voyelles redoublées, par exemple cette diction âge, en cette facon aage, et dist, diit, et voulust vouluut, et cetera et que les autres ayment mieux écrire auec l'accent circonflexe âge, dît, voulût, et cetera ou Age, dIt, voulVt, et cetera. Quoy qu'il en soit, il suffit qu'on sçache la vraye prononciation de chaque diction, pour faire des vers mesurez propres pour les Airs, soit qu'on retranche les lettres superfluës, comme celles de vouldroient en écriuant, voudrêt, et de mille autres semblables, où en les laissant dans leur premiere ortografe: Car bien qu'il soit plus conforme d'écrire comme l'on prononce, afin que la copie réponde à son original, quelques-vns ayment mieux retenir l'ancienne orthographe, afin que l'écriture se ressente de sa source, et que l'on se souuienne des mots Hebrieux, Grecs, ou Latins, d'où nos dictions Françoises sont deriuées, et qu'elles rendent hommage à leurs auteurs. Voyons maintenant les syllabes longues, douteuses, et briefues.
Il faut donc premierement remarquer que les syllabes qui sont longues en Latin, sont fort souuent briefues en François; par exemple, la premiere syllabe de clement et prudent est briefue en François, et longue en Latin; et celle de ces deux mots rose et posée est longue en François, et briefue dans les dictions Latines rosa et posita.
En second lieu, qu'il faut establir plusieurs sortes de voyelles, à sçauoir vn a long, vn commun, ou douteux, et vn brief: l'on pourroit marquer le long auec vn accent circonflexe, le douteux auec vn aigu, et le brief auec vn point, en cette maniere â, á, ./a, quoy que l'on n'ait besoin de ces accents [-378-] que pour les estrangers, qui ne sçauent pas prononcer nos dictions. Quant à la seconde voyelle e, il y en a semblablement trois, à sçauoir le feminin, qui est sourd, et mol, comme le sceua des Hebrieux, et qui ne se prononce point à la fin des dictions qui sont suiuies d'vn mot commençant par vne voyelle; c'est pourquoy il seroit à propos de l'oster, en mettant vne virgule pour signifier son absence, comme l'on void en ces mots, il chemin' à pied, pour il chemine à pied: ce qui se pratique par plusieurs il y a long temps, particulierement dans les vers rimez.
Le second e s'escrit auec vn accent aigu, é, et se prononce comme l'e Latin du vocable domine. Le troisiesme se prononce à bouche ouuerte, comme en ces mots teste, feste, et cetera au lieu desquels il faudroit escrite tête, fête, afin que nul ne prononçast la lettre s: car il seroit bon d'oster les lettres superfluës de nostre escriture, c'est à dire celles qui ne se doiuent iamais prononcer, afin de mieux establir la quantité, ou le temps des syllabes Françoises, de sorte que cet ê s'escriroit auec vn accent circonflexe pour signifier sa longueur et sa prononciation entre a et e. A quoy l'on peut ajoûter la syllabe eu, qui se rencontre dans plusieurs dictions tant au commencement, qu'au milieu, et à la fin, car elle est plustost vne voyelle qu'vne diphtongue, et est indifferente, ou douteuse, comme en ces mots Dieu, et veu.
La 3. voyelle est i, auquel on doit allonger la queüe lors qu'il est consone, comme en ce mot j'ajoûte: or l'i voyelle est commun, c'est à dire tantost long, et d'autresfois brief. L'accent circonflexe est propre pour signifier sa longueur, î.
La 4. voyelle est o, qui se peut escrire auec le mesme accent, quand il est long; il peut aussi seruir pour tous les endroits où la syllabe ou diphtongue au se prononce comme l'ô long; par exemple ces 5. mots, causes, faux, maux, pastureaux, et hauts: se peuuent ainsi escrire côses, fôx, môs, paslureôs, et hôs; quoy que l'on puisse rapporter cet au à la voyelle a, puis qu'elle se prononce entre a et o.
La derniere voyelle est u, qui se prononce comme l'ypsilon des Grecs: et quand il est consone il faut l'escrire ainsi, v; quelques-vns reduisent la syllabe ou à cette voyelle, comme eu à l'e, et l'au à l'ô, car il semble que la syllabe, ou, n'est pas diphtongue, puis qu'elle est quasi tousiours briefue, comme l'on experimente dans les dictions soudain, et mourir, si ce n'est quand la position la fait longue, comme en ces dictions, nourrir et rouller: de sorte que nous auons dix voyelles en nostre langue, comme l'on void en cette table qui contient vn exemple pour chaque voyelle: or l'on pourroit escrire les deux voyelles qui répondent à ces trois syllabes au, eu, et ou, en cette maniere [u/a,u/e,u/o], ou en telle autre sorte que l'on voudra.
Table des dix voyelles.
a auoir. o operer. e dire. ô lôs. é diré. au hôt. ê fête. eu meure. u iurer. i imprimer ou soudain.
Mais oûtre ces voyelles il y a plusieurs diftongues, dont l'vne est formée d'a et i, comme l'on void dans ces mots, paier, et raier, dans lesquels ai ne fait qu'vne syllabe. La 2. est composée d'e et i, comme en ces vocables sein, plein, humein, et cetera car ces mots sont mieux escrits par ei, que par ai, si l'escriture suit la vraye prononciation Françoise, quoy qu'ils viennent des vocables Latins planus et humanus, dont il ne faut pas suiure l'ortografe, [-379-] autrement il faudroit escrire paire, et madre, au lieu de pere et mere, et mair pour mer. Et parce que l'on n'entend quasi que l'e dans ces mots, quelquesvns ont creû qu'il se pouuoit rapporter à l'é aigu, afin d'ecrire humén pour humain.
La 3 diftongue est composée de l'e et de l'ô, comme en ces mots beô, eô, au lieu de beau, et eau. La 4. est composée d'i et d'é, comme l'on void en ces mots ciel, bien, fier, et cetera et lors qu'il ne faut pas prononcer la diftongue, l'on met deux points dessus, comme en ce mot fier, lors qui signifie fidere, car l'autre signifie ferox. Ce qu'il faut remarquer pour toutes sortes de verbes, qui se prononcent par dierêse, comme en ceux cy, marier, enuier, et cetera au contraire des noms meurier, halier, et cetera qui se prononcent par synerêse. Quant aux mots qui se terminent en ien, ils font deux syllabes, comme ancien, terrien, et mien, excepté quelques-vns qui n'en font qu'vne, comme Chrestien, et cetera. Or l'on pourra tousiours distinguer les 2. syllabes par deux points mis dessus.
La 5. diftongue, ou plustost triftongue est composée de i, e, et u, comme en ces mots Dieu, et lieu, qui sont difficiles à prononcer aux Allemans, c'est pourquoy on les fait premierement prononcer Diu. La 6. est composée d'i et d'o, comme en ces dictions, allions, venions, et cetera esquelles io ne fait qu'vne syllabe, quoy qu'il en face deux dans les mots vnion, scorpion, et cetera et dans les presens pluriers des verbes terminez en ier, car lier et marier, prononcent io en deux syllabes dans lions, et marions, encore qu'on n'en face qu'vne syllabe dans leurs imparfaits liions, mariions, et cetera. Or ceste diftongue peut estre precedée par la diftongue ai, et ui, d'ont nous parlerons apres, comme dans paiions, et apuiions, c'est à dire, soluebamus, et fulciebamus.
La 7. est ordinairement escrite par oy, comme aux vocables Roy, Loy. et cetera quoy qu'elle puisse estre escrite auec vn o, et auec l'é aigu, Roé, et l'oé, qui fait l'admiration des enfans au lieu de voé. La 8. est üi, facile à prononcer dans le mot auiourd'huy. La 9. est vne diftongue, qui sert pour prononcer les verbes terminez en oyer, et quelques dictions qui finissent par l'e feminin comme coye; dont on peut approcher en ajoûtant la 4. diftongue ié à la 7. oé en cette maniere, ploéiér, ou à la 4. ié, metoéién, et cetera. Quelques vns ajoutent la dixiéme pour la derniere syllabe des futurs, qu'ils composent de l'é aigu, et de l'i, éi, au lieu de nostre ai, comme en ces verbes direi, ferei pour dirai, et ferai, mais le seul é aigu suffit pour ces dictions diré, feré, et cetera.
Ces dix diftongues estant bien entenduës, l'on n'aura pas besoin de toutes ces autres, au, ay, ai, ei, eu, ie, io, oi, oy, ou, ui, uy, ia, ea, eo, oe, eau, ieu, ail, eil, ou euil, ieil, oei, et oeu, qui sont en ces mots maux, bay, vain, plein, peu, pié, disions, tenois, roy, doux, bruit, luy, diable, forgea, pigeon, boete, beau, lieu, vaillants, vermeil, souillé, dueil, vieil, oeil, et oeuures: car elles suffisent pour prononcer toutes nos dictions, c'est pourquoy ie les mets icy toutes ensemble; et viens aux Consonances, qu'il faut mettre iusques au nombre de 29. pour faciliter la prononciation Françoise aux estrangers, et quant et quant l'Art Metrique.
Table des 10. diftongues.
ai paier. éi plein. éô beau. ié ciel. ieu Dieu. io alions. oé moy. ui auiourd'huy. ei diréi. oéi loéier.
Nous auons donc premierement le b, qui se prononce [-380-] comme le [Beta] des Grecs, si nos brebis bêllent comme celles d'Aristophane. Et puis le k au lieu du q, qui est propre aux Latins, et au lieu du c, qui peut aisément deceuoir le Lecteur, parce qu'il se prononce souuent comme k, et dautrefois comme s deuant e et i. La 3 est le c auec vne virgule dessous ç, lequel vaut ch, par exemple, le ç seruira pour escrire Charles. La 4 est d, et la 5 f qui seruira pour ph en cette diction philosophie, et dans les autres semblables. La 7 est le g qui se prononcera tousiours de la gorge, comme en la diction synagogue; et lors qu'il se prononce mollement, comme l'j consone, l'on vsera de cet j, par exemple l'on escrira pour la diction iugement, jujement, et pijon, pour pigeon.
Quant à la 10. consone h, il la faut oster des vocables, où elle ne se prononce point, encore qu'ils viennent des dictions Latines qui l'ont, comme sont horribilis, humidus, historia, herba, hordeum, car il faut prononcer orrible, vmide, istoire, erbe, orje, mais il la faut prononcer en ces mots hache, haut, et cetera quoy qu'elle ne soit pas dans les mots Latins ascia, et altus: de sorte qu'il ne faut pas suiure le Latin, autrement il faudroit escrire il ha pour a, puis qu'il vient du Latin habeo, habet.
La 9. l, se prononce fermement comme en ces mots las, rouller, et cetera mais il en faut mettre vne autre molle, douce, et mignarde, qui se prononce comme dans le mot trauail; et pour ce sujet on met vn i deuant, dont on n'auroit pas besoin si l'on auoit vn ceractere particulier, par exemple l'on peut mettre vn petit reglet dessus en ceste maniere [~/l], comme font les Hespagnols sur leur n molle: or cette [~/l] sera la 10. consone, et m l'onziesme, n la douziéme; l'Hespagnolle [ñ], que nous n'aurons plus besoin de suppléer auec vn g, deuant, comme dans la diction mignonne, sera le treiziéme; quant à nostre n elle se prononce bien fort, comme l'on entend en la diction n'a. L'Italien vse aussi du g deuant l, afin de la rendre molle, comme dans ce mot figlioli. Or il est bon d'oster toutes ces superfluitez si l'on veut perfectionner nostre Prosodie, autrement l'on prendra souuent les syllabes longues pour des briefues, comme la 2. du mot Conseiller, qui paroist icy longue par position, au lieu qu'elle est briefue, c'est pourquoy il faudroit escrire Consei[~/l]er.
A quoy l'on peut ajoûter que nous sommes inconstans dans la prononciation de ces deux ll, car elles se prononcent mollement en famille, et fort en mille. Le p est la 14. qu'il faut oster des mots où elle ne se prononce point, par exemple du mot de compte, comme b de celuy de Prebstre, et le c de faict: afin que nostre idiome soit pur comme sa prononciation, et qu'il ait vne ortografe laquelle produise vne bonne prononciation chez les estrangers, comme la prononciation doit produire vne bonne escriture. La 15. r s'apelle lettre canine; la 16. est s qu'il faut prononcer fort par tout où elle se rencontre, comme l'on fait dans salut, ou si l'on veut encore la prononcer mollement comme z en ce mot ayse, et dans plusieurs autres, il faut auoir deux sortes de s, comme de n, et de l, car il n'est pas à propos de doubler s comme l'on fait en assister, pour signifier qu'elle se prononce fort, de peur que l'on croye que la syllabe soit longue par position, au lieu qu'elle est briefue. Le t est la 17, dont il ne faut plus vser au lieu de s, comme l'on fait dans patience, qu'il faut escrire pasiense, car si l'on vse du c au lieu du k, il faut tousiours le prononcer fort, comme en ce mot car: quant au t, il faut toûours le prononcer fort, comme l'on fait dans question: autrement il est tres-difficile [-381-] que les estrangers puissent sçauoir quand il se doit prononcer mollement, comme en partial, ou durement, comme en partie, car quelques regles qu'on apporte pour sa douce ou sa dure prononciation, il est tres-difficile d'en comprendre la pratique, laquelle est tres-facile, si on la prononce tousiours d'vne mesme sorte, et qu'on mette s où l'on a coustume de le prononcer mollement. La 18. est v, qui se prononce tousiours comme dans le mot verd. z est la 19. qui se prononce tousiours comme s molle, dont elle tient la place en saison. x est la vingtiesme, au lieu de laquelle on pourroit vser de cs. Venons maintenant aux syllabes longues et briefues.
PROPOSITION XIX.
Determiner toutes les syllabes Françoises qui sont longues, briefues, ou douteuses, et donner des regles pour ce suiet: et par consequent establir la Prosodie Françoise.
PVisque la quantité ou le temps de nos syllabes ne suit pas la mesure des syllabes Latines, comme l'on void en aspirons, et respirons, dont la 2. syllabe est briefue, encore que la 2. de respiro et aspiro soit longue, il faut mesurer nos quantitez par la vraye prononciation, et par l'accent François, sans nous arrester à la fontaine d'Hypocrene, ou au Tibre, dont la Seine et la Loire ne prennent pas leurs eaux.
Or la premiere regle sert pour e, lequel est tousiours bref, quoy qu'il soit dans la 2. et dans la 3. personne pluriere des Verbes, et quelque position qui s'y rencontre, comme l'on void en ces exemples tu parles, ils parlent trop, et dans ce distique mesuré.
Ses yeux chastes rians sont traits qui forcent la raison,
Et ses afables deuis chaines liantes d'amour.
C'est pourquoy l'on pourroit escrire la fin de ces mots sans u, s et t en ioignant vn petit trait apres pour signifier qu'ils sont absens, par exemple, force-la raison, pour forcent, et cetera mais il suffit de sçauoir que ces syllabes sont tousiours briefues: et puis cette syllabe se doit prononcer, car l'on ne dit pas pourquoy force-ils, mais pourquoy forcent-ils la raison. L'on seroit peut estre mieux fondé d'escrire ces pluriers sans n, parce qu'elle ne s'entend pas, et que forcent se prononce comme forcet, dont la derniere syllabe cet se prononce comme quand on impose silence par le sifflement cet.
La 2. regle appartient à la syllabe au, qui se prononce comme l'o long; ce qui est tousiours vray, comme l'on void en ôtel, ôtant, preuôt, et defôt, pour autel, autant, preuost, defaut: si ce n'est qu'vne voyelle ou vne diftongue suiue apres, comme en cet exemple noy au ouuert, car au ou ô est bref.
La 3. regle sert pour l'ê ouuert qui se trouue en fête, pour feste, et cetera bête, forêt, et cetera pour beste, forest, et cetera dont on excepte les monosyllabes communes ou indifferentes es, mer, ter, ses, les, tres, des, et cetera car on les peut faire brefues, comme il arriue lors qu'on prononce mes amis, comme si l'on disoit ms amis, ou més amis. Or cet ê long se rencontre en plusieurs dictions, comme en succês, orêzon, mêzon, et ez adjectifs feminins terminez en esse, comme Duchêsse, et cetera mais non tristesse et richesse, qui ont leur seconde syllabe briefue.
La 4. regle appartient à toutes les voyelles, qui sont briefues deuant vne [-382-] autre voyelle, ou vne diftongue, par exemple i deuant e est bref dans chatier, et u deuant a, comme en tu as, et i deuant la diftongue oi, en mon cri oiant tu criois: or cette regle n'a point d'exception.
La 5. regle est pour les diftongues, qui sont tousiours longues, pourueu qu'il ne suiue point d'autres diftongues ou vne voyelle, car pour lors elles sont toûjours briefues: nous sommes plus constans dans cette regle que les Grecs, qui la font quelquefois longue deuant vne autre diftongue ou voyelle: le vers exametre qui suit, monstre la verité de cette regle.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 382,1; text: Pourquoy à sauls de moutons ô mons bondites-vous ainsi? En Dieu étant apuié, et cetera.] [MERHU2_8 05GF]
La 6. regle est pour les autres voyelles. Nos a, é, i, o, u, et ou, qui terminent vn voceble final, sont indifferens ou douteux. Ce que l'on void dans les deux vers mesurez Asclepiadeens qui suiuent, car le premier é du premier vers est long, et le 2. est bref; le ra du premier est long, et celuy du 2. est bref; le premier qui est bref, le 2. est long; le premier peu est long, et le 2. bref, et cetera.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 382,2; text: Prizé prizé sera non qui voluptueux, Mais qui peu repeu vit, et sera vertueux.] [MERHU2_8 05GF]
Il faut dire la mesme chose des autres voyelles et des syllabes qui sont dans la regle.
La 7. regle, est pour les syllabes finales qui ont quelqu'vne des voyelles precedentes, et qui sont indifferentes: Or elle sert seulement pour les 7. voyelles qui se rencontrent en ces dictions mal, aler, honneur, vous, on, vn, amour, qui sont indifferentes en leur quantité, si ce n'est que la consone qui suit les rende longues par position: l'exemple de cette indifference se void dans ce distique.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 382,3; text: Sur le felon Basilic, et l'Aspic auancé tu iras, Et fouleras le Dragon, et Lion en t'en alant.] [MERHU2_8 06GF]
Il y a neantmoins quelques syllabes qui sont tousiours longues, comme â en degât, i en fît, et cetera qu'il faut reseruer pour les exceptions.
La 8. regle est pour la position ou rencontre de 2. ou plusieurs consones qui rendent les syllabes longues, si ce n'est que l'vne soit liquide, à sçauoir l, r, m et n, qui rendent quelquefois la syllabe briefue, et d'autre fois longue. Ces dictions écler, sangler, regler, et peupler, monstrent l conjointe dans vne syllabe auec d'autres consones; et ces autres libre, sacré, degré, et cetera font voir la mesme chose pour r: mais elles ne sont pas liquides dans barrer, et branler, parce qu'elles font leur syllabe sans l'autre consone: le distique qui suit explique la regle.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 382,4; text: Libre ie veux sacrer librement, et consacrer ofrant Pour mon ofrande le corps reglé, de coeur le reglant.] [MERHU2_8 06GF]
L'ô et l'ê empeschent cette indifference des liquides, car ôtre et être, et cetera sont tousiours longs, et l'e feminin est tousiours bref, comme en repris, retrait, et cetera les noms terminez en âtre et acle sont aussi tousiours longs, idolâtre, miracle, et cable, et cetera. Quant au redoublement des consones, il n'en faut point vser dans les syllabes briefues, par exemple, il faut escrire homes, toner, doner, soner, [-383-] couler et cetera auec vne seule consone, puis que leurs premieres syllabes sont briefues; comme il faut escrire casser, passer, et cetera auec deux s, puis que la premiere syllabe est longue, si ce n'est que l'on mette l'â circonflexe en la place de ce redoublemont. Or la position se peut faire au commencement, au milieu, et à la fin d'vne diction apres ces 7. voyelles a, e, i, o, u, eu, ou.
La 9. et derniere regle contient tout ce qui reste pour composer des vers mesurez, sans qu'il soit besoin de l'ayde des Latins ou des Grecs, car nous faisons la 2. syllabe d'Arion, et de Lycaon, et la premiere de vanité briefues, encore qu'Athenes et Rome les allongent. Or ceste derniere regle monstre que lesdites 7. voyelles sont briefues, tant au commencement qu'au milieu, comme l'on void en ces mots, apert, aparence, edit, medecin, note, colorer, suputer, courir: dont on excepte quelques circonflexes, comme mâtin, gîter, nommêment, goulûment, et cetera. Si l'on entend ces neuf regles, l'on pourra composer toutes sortes de vers mesurez en François: i'ajoûte neantmoins la quantité de chaque voyelle deuant chaque consonance, afin que cet Art soit compris plus aisément. Il faut donc premierement faire la voyelle a briefue au commencement, et au milieu de la diction de deux ou trois syllabes, de sorte que le dissyllabe soit vn pied iambique, propre pour la fin du pentametre; et que le trissyllabe soit vn bacchean propre pour finir le vers hexametre, comme l'on void dans la table qui suit.
Il est encore brief aux syllabes du milieu, comme en exhaler, aualer, afamer, abatant, amateur, consolateur, et cetera quoy qu'il soit long en Latin. Mais quand il est suiuy de x ou z, axe, razer, ou de l molle [vale batale,] pour vaille, et bataille, ou lors qu'il est circonflexe, hâter, et cetera ou qu'il est dans les feminins terminez en ation, comme nation, et cetera il est long, comme il arriue semblablement aux premieres syllabes d'âge, fâcher, grâce, et cetera comme l'on sçaura aisément par la seule prononciation.
La voyelle aiguë é est aussi briefue deuant toutes les consonances, excepté x, car elle est briefue deuant z en ces mots pezer et mesurer, et cetera où elle se prononce souuent comme l'e feminin: or la table qui suit monstre les exemples.
Table des dictions dissyllabes et trissyllabes.
b abus abonder. c acord acorder. ç açét açeter. d adonc adapter. f afin afermir. g hagard aguiser. h ahan ahontir. j ajancer. l aler alonger. m amour amander. n banir anoncer. p apât apartient. r arêt arêter. s asaut asaillir. t ateint atenter. v avant avizer.
Il faut excepter l'ê circonflexe en ces mots agrêra, reglêment, et cetera. Quant aux substantifs formez des verbes regler, traiter, banir, et agrandir, ils font l'e brief, reglement, traitement, banissement, et cetera car il est feminin: ce qui arriue encore aux aduerbes subitement, finement, et aux autres formez de l'adjectif feminin bonne, fine, et cetera mais ils sont longs quand ils sont formez du participe feminin, comme de serrée, separée, et cetera serrêment, separêment, et infinîment, et nûment, d'infinie et de nuë.
Table des dissyllabes et trissyllabes.
b brebis ç eçet eçauder. c ecart écorner. d edit édenter. f defaut defaillir. g regent regarder. j sejour sejourner. l peler epeler. m semer emailler. n denier deuancer. p repos reposer.
La voyelle i est aussi brefue au commencement et au milieu deuant vne seule consone, comme l'on void en brider, et brigand: dont il faut excepter les optatifs punîsent, et les preterits et autres temps fîmes, fîrent, îras; et quand il est deuant z en prizer, atizer, et cetera laquelle rend aussi l'o long en ôzer, rôze, chôze, et cetera autrement [-384-] il est bref tant au milieu qu'au commencement en ces mots odeur, oranger, adorer, et cetera. La prononciation enseignera le reste. Butin et murer monstrent la mesme chose de la voyelle u, qui est longue deuant z en uzer, et ez preterits fûmes, fûrent, et en brûler, et cetera. La syllabe ou lettre eu est aussi briefue en pleurer, demeurer, et cetera et longue deuant z en creuzer, et ez deriuez de seur, peur, heur, meur, peûreux, heûreux, meûrir, et cetera. Or cet eu se change souuent en û, comme nous lûmes, dûmes, elûrent, pour nous leumes, deumes, eleurent. En fin la voyelle ou est briefue en couler, soudain, et cetera et longue en doûce, boûcher, et cetera où elle est circonflexe. Quant à l'ô, et l'ê longs, ils ne sont iamais brefs deuant vne consone.
Mais il faut remarquer que les licences des Grecs et des Latins ne doiuent pas estre permises dans la poësie Françoise, de peur qu'elles nous engendrent toutes les difficultez de leurs metaplasmes, ectases, protheses, epentheses, paragoges, synalephes, et cetera qui osteroient la facilité, la beauté, la constance, et la naïueté de nostre langue. Nous pouuons neantmoins alonger la premiere syllabe des mots poly-syllabes, dont les 3. premieres sont briefues, pour les faire entrer dans les vers hexametres, comme dans ces deux dictions misericorde, et opinion.
Mizericorde, Seigneur, par ton grand nombre de douceurs:
L'opinion des grands opinans font opiniastrer.
Ce qui est encore permis en ces mots sedition, et laborieuse, mais il ne faut pas se licentier dans les autres dictions qui en viennent, par exemple, en opinans et labeur, ny dans la repetition des consones pour alonger les syllabes briefues, comme ont fait les Latins on relligio, et quattuor, et cetera tant parce que nous auons plus besoin de la parrelipse pour retrancher les lettres superfluës, que de la prosthese pour en ajoûter où il n'est pas necessaire, que parce que ce n'est pas cette addition, mais la seule raison, qui nous doit faire alonger les syllabes en de certains mots.
PROPOSITION XX.
Expliquer tout ce qui appartient aux pieds Metriques, et aux vers mesurez, et particulierement à l'Exametre, au Pentametre, et au Saphique.
ENcore que les syllabes des vers rimez soient nommez pieds par quelquesvns, et consequemment que le vers Alexandrin ou Heroïque ait douze pieds, neantmoins le pied mesuré, qui sert à faire des vers semblables aux Grecs et aux Latins, a pour le moins deux syllabes, et souuent trois ou quatre: de là vient que le vers hexametre n'a que six pieds, quoy qu'il ait du moins 13. syllabes, et qu'il en puisse auoir 17. comme l'on void en ces deux vers.
AEneas moesto defixus lumina vultu.
Quadrupedúmque putrem sonitu quatit vngula campum.
Quant à la valeur de tous les pieds qui seruent aux vers mesurez, ie les ay desia expliquez ailleurs, c'est pourquoy ie remarque seulement icy que tous les pieds sont composez de syllabes longues ou briefues, et que ce que nous dirons de la mesure des vers, se peut appliquer à celle des dances et de tous les airs et les branles, et cetera que l'on touche sur les instrumens, de sorte que les Compositeurs de Balets et de Pas peuuent grandement profiter à la lecture de ce liure.
[-385-] Or l'vn des plus excellens vers est appellé Hexametre, à raison qu'il a six pieds, dont le 1. 2. 3. et 4. sont dactyles ou spondées, comme l'on veut, n'y ayant que le 5. lieu lequel oblige tousiours au dactyle, et le six au spondée. Il faut neantmoins remarquer qu'il est permis de mettre vn spondée au 5. lieu, lors que le sujet le requiert, comme a fait Virgile dans son Procumbit humi bos, et dans son Incrementum, et Baïf dans le 58. vers de sa traduction du Cantique, Audite coeli quae loquor.
Et de l'amere douleur de la peste cruel' infectez.
Et dans le 6. du 103. Psalme.
D'eaux attachez repara comme d'vn lambris suspendu.
Lesquels i'ay donné tous entiers à la fin du Commentaire sur la Genese, où l'on void vn grand nombre de toutes sortes de vers mesurez François, sans qu'il soit necessaire de les repeter icy. Ces vers seruent aux ouurages de longue haleine, comme l'on void dans l'AEneïde de Virgile, dans l'Odyssée d'Homere, et cetera mais il suffit d'en donner vn seul exemple.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 385,1; text: Monde raconte le los du Tré-haut, et chante sa bonté.] [MERHU2_8 06GF]
L'on acompagne souuent ce vers d'vn pentametre, comme l'on void dans Ouide, Catule, Tibule, et Properce; et l'on appelle les deux ensemble vn distique: surquoy il faut remarquer que ce vers de cinq pieds se peut mesurer et chanter en trois manieres, comme l'on void par les caracteres des longues et des brefues, qui marquent sa quantité.
Luths et Psalterions ioints à la Harpe sonez.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 385,2; text: Premiere maniere. Seconde maniere. Troisiesme maniere. Luths et Psalterions ioints à la Harpe sonez] [MERHU2_8 06GF]
Les deux derniers pieds sont anapestes dans la premiere maniere: la seconde a vne cesure ou coupeure au milieu et à la fin, et la troisiesme a vn choriambe, et vn bacchean au 4. et 5. lieu: quoy que ces differentes manieres gardent tousiours vn mesme temps: ce qui arriue aussi à l'exametre, qui n'a tousiours qu'vn mesme temps, soit qu'il n'ait que des dactyles ou des spondées, c'est pourquoy il est aisé de chanter toutes sortes de ces vers sur vn mesme chant, en diuisant vne note en 2. pour changer les spondées en dactyles, ou en n'en faisant qu'vne de deux pour changer les dactyles en spondées.
Il faut encore remarquer que ce vers exametre est d'autant plus excellent que ses dictions et ses mesures sont plus enclauées les vnes dans les autres, comme il arriue lors que chaque diction appartient à deux pieds, ce qui se void en ces deux vers.
Sus delogez vitement de ce lieu, car voici l'Eternel,
Gloire, cheuance, faueur, viendront chez Phyllis abonder.
Toutesfois il suffit que le troisiesme pied ne soit pas d'vne seule diction separée de la 2. ou 4. Quant à la fin elle est excellente lors qu'elle se fait par vne diction de 3. syllabes, dont se forme le pied Bacchéen: Ce que l'on doit aussi [-386-] conclure de l'Adonique qui finit la strophe Saphique: quoy qu'vne diction de deux syllabes longues le finissent assez bien. Quant aux monosyllabes il les faut éuiter tant que l'on peut, et renuoyer ceux de quatre et de cinq syllabes aux Grecs. Il ne faut pas aussi finir par vne syllabe feminine. Pour le Pentametre, il suffit d'auertir que la cesure du troisiesme pied doit estre à la fin d'vne diction acheué, ou d'vn monosyllabe; et qu'il finit excellemment par vne diction de deux syllabes, comme a tousiours fait Ouide, qui ne finit iamais par vn anapeste, comme cettuy-cy.
Parce que tous mes os sont de fraieur étonez,
Lequel finit mieux ainsi:
Pource que tous mes os sont étonez de frayeur.
Or il ne doit iamais estre seul sans vn hexametre precedent, dont voicy quelques exemples:
Christ a passé du ciel au ventre, du ventre maternel
Dans une grange, de là sur une tres-dure croix.
Ainsi que dans les eaux plus s'altere Tantale bruslant,
Plus d'or a l'uzure, plus l'uzure cherche d'auoir.
L'on peut mettre les vers saphiques apres les hexametres, que l'on dit auoir esté inuentez par Saphon, laquelle est mise entre les Lyriques, et qui est loüée par ce distique d'Antipatre Sidonien:
[Mnemosunen hele thambos, hot' eklue tes meliphones,
Sapphous me dekatan mousan echousi brotoi.]
Lequel Guillaume Nauiere exprime par ce distique François:
Mnemosin', en s'étonant d'entendre la doucéte Saphon,
S'écria les mortels ont une Muse là-bas.
Or le vers saphique est de douze syllabes reduites à cinq pieds, dont le 1. est vn trochée, le 2. vn spondée, le 3. vn dactyle, et le 4. et 5. vn trochée, il y a trois vers dans chaque strophe, auec vn vers Adonique composé d'vn dactyle et d'vn spondée, comme l'on void dans cette strophe d'Horace.
Saepiùs ventis agitatur ingens
Pinus, et celsae grauiore casu
Decidunt turres, feriúntque summos
Fulgura montes.
Fort souvent dez vents le pin est ébranlé.
Et de plus grand saut une haute tour chet,
Et le choc foudreux du tonerre combat
Les cimes des monts.
Or le troisiesme pied, qui est dactyle, doit estre lié pour rendre le vers agreable, de sorte que la cesure soit la derniere syllabe d'vne diction, comme il arriue aux syllabes tis, sae, et res des trois vers Latins; quoy que les monosyllabes ayent aussi bonne grace dans cette coupe, comme l'on void en dez et grand du premier et second vers François, car la cesure du troisiesme est dreux. Surquoy il faut remarquer que les vers rimez ont tellement acoustumé nos oreilles à la cadence de la rime, qu'elle ne reçoiuent nul plaisir des vers mesurez, si quant et quant ils ne sont rimez, comme ceux-cy.
Rendre par ces vers ie te veux Redempteur
Graces, et chanter ta celeste grandeur,
Eleu', ô bon Dieu ma deuote oraison
Vers son orizon.
[-387-] Car bien que le Leonisme ne soit pas agreable au milieu et à la fin des vers Latins, neantmoins nostre François en reçoit de la grace: et nous experimentons que ceux du Leuant vsent de rimes dans leurs vers, comme l'on void parmy les Persans, les Hebreux, et les Turcs: de sorte qu'il seroit plus à propos de n'oster pas la rime de nos vers, et d'y ajoûter la mesure des vers Grecs et Latins; ou si cela est trop difficile, il suffit de garder la quantité des mesures qui se rencontrent dans les rimez: ce qui n'empeschera pas que ie ne parle des autres especes de vers mesurez, afin que chacun considere l'effort que les esprits de ce siecle ont fait sur ce sujet, et que leur inuention ne perisse pas entierement.
PROPOSITION XXI.
Expliquer le vers Phaleuce, l'iambique, le Trochaique, l'Alcmenien, et l'Asclepiadean.
LE Phaleuce a cinq pieds comme le Saphique, dont le spondée est le premier, le dactyle est le second, et les trois autres sont trochées, comme l'on void en ces quatre vers, dont le premier a ses pieds marquez par les signes des longues et des brefues.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 387,1; text: En Dieu ferme de coeur remets ton espoir,] [MERHU2_8 06GF]
Qui seul contre le mal te peut garantir:
Car au temps limité de son vouloir sainct
Tes facheuses douleurs s'ecarteront loin.
Il a sa cesure à la sixiesme syllabe au commencement du premier trochée, comme l'on void dans celuy d'Horace,
Vitam que faciunt beatiorem.
Quant au vers Iambique, il y en a de plusieurs sortes, dont les senaires, qui ont six pieds, sont propres pour les choses tragiques: leur sixiesme pied doit estre vn spondée: il reçoit au 1. 3. et 5. lieu l'iambe, le tribraque, le spondée, le dactile, et l'anapeste, et dans le 2. 4. et 6. lieu, vn iambe, vn tribrache, et vn anapeste, lequel est aussi frequent dans les Comiques, qu'il est rare dans les Tragiques, comme remarque Ephestion dans son Manüel. Mais ie ne veux pas m'arrester à toutes les especes de dimetres, trimetres, et tetrametres, tant Catalectiques, qu'Acatalectiques, et Hypercatalectiques, puis que ie n'espere pas qu'on les mette en vsage. Or cette grande varieté de pieds, qui est permise dans l'iambe, le rend tres-aisé à composer, et luy apporte vne grande diuersité pour varier les mouuemens des airs de Musique: mais il est plus difficile lors qu'il est seulement composé d'iambes, comme l'on void en cet exemple, lequel est encore plus malaisé à cause de la rime:
A l'aube du Soleil leuant
Te plaize nostre Dieu viuant
Preseruer en ta saincte main
De tous sez anemis l'humain.
Et cettuy-cy, lequel est dimetre comme l'autre, est plus aisé, parce qu'il n'est pas rimé.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 387,2; text: L'Eternel est le Dieu tréfort,] [MERHU2_8 06GF]
Qui regne tout vestu d'honneur.
Sedule a fait vn Hymne Iambique, dont les couplets suiuent l'ordre alphabetique, [-388-] comme l'on void en nos Hymnes A solis ortus cardine, Beatus autor: Casta, et cetera esquels il met indifferemment l'iambe ou le spondée au premier et au troisiesme pied, mais le deux et le quatriesme sont tousiours iambiques.Baïf s'est fort exercé en cette poësie, comme l'on void dans plusieurs vers Dimetres, Catalectiques, Anacreontiques, dont voicy vn fragment, dans lequel il parle de Cupidon.
S'il pleure garde toy bien
D'estre deceu de ses pleurs;
S'il rit ne sois adoucy, et cetera.
Et s'il vouloit te baiser
Refuse, fuy: ce baizer
Est faux, et traitr' et mortel,
Sa bouche n'est que poison, et cetera.
Le vers Trochaïque deuient iambique si l'on met vne syllabe, ou si l'on fait vne pause deuant, et l'iambique deuient trochaïque: ce qui arriue semblablement entre le dactylique et l'anapestique. Les Grecs appellent ces changemens Epiploques, [epiplokas], qui sont de trois sortes, dont la premiere s'appelle [Trisemos duadike], parce que les pieds qui se changent les vns aux autres, à sçauoir l'iambique et le trochaïque, ont trois temps: La seconde espece se nomme [tetrasemos diadike], à cause des quatre temps du pied dactylique et de l'anapestique: Et le troisiesme s'appelle [hexasemos tetradike], à raison des six temps du Choriambique, de l'Antispatique, et des deux Ioniques.
Il suffit de mettre vn exemple de Baïf pour les Trochaïques Dimetres Brachycatelectiques:
O que i'ay de plaizir
Chantre gentil oyseau,
Quand tu viens tous les ans
En la neuue saizon
Promptement rebatir
Ta retrait' et ton nid, et cetera.
Le vers Alcmenien se rapporte au nostre de dix syllabes, qui a sa coupe ou cesure à la fin du quatre pied. Horace ne luy donne que quatre pieds, à sçauoir deux dactyles et deux trochées, quoy que le dernier trochée puisse estre vn spondée, à cause de l'indifference de la derniere syllabe. Il peut estre appellé Dactylique-Trochaique-Tetrametre: sa cesure est au commencement du second Dactyle: l'exemple qui suit est de Baïf.
Torne cet oeil fauorablement beau
Et ie viuray releué du tombeau, et cetera.
Le vers Asclepiadeen est l'Heroïque François; il a 12. syllabes, et se rapporte à nostre Alexandrin; c'est par luy que le Prince des Lyriques Latins a commencé sa premiere Ode, dediée à Mecenas. Il est composé d'vn spondée, d'vn dactyle, d'vne longue cesure, et de deux dactyles, ou d'vn spondée, de deux choriambes, et d'vn pyrriche, ou iambe: c'est par ce genre de vers que Rapin a commencé son premier liure de vers mesurez.
Henry branche de Mars, Roy genereux et fort,
Des vertus et d'honeur l'inuiolable fort, et cetera.
Dans lesquels il garde la mesure et la rime, à laquelle plusieurs ne veulent pas s'astreindre, tant à cause de la difficulté, que pour imiter le Latin et plus prez, [-389-] comme fait Charles de Nauiere dans la traduction de cette Ode,
[Mersenne, Livre Sixiesme, 389,1; text: O Mecene qui es sorty de sang royal] [MERHU2_8 07GF]
Ma franchise, recours, douceur et ornement, et cetera.
Ces vers Asclepiadeens se peuuent rimer, afin de les faire Alexandrins, comme l'on void dans le 127. Psalme Beati omnes.
Bienheureux l'home vit qui du diuin Signeur
A la crainte, l'amour, et filial honeur,
Et qui tient le chemin par sa loy ordonné, et cetera.
Ephestion explique d'autres especes de vers qui sont moins en vsage, par exemple, l'AEolique, qui peut auoir six pieds, dont le premier est vn spondée, vn Iambe, vn Trochée, ou vn Pyrriche, le 2. 3. 4. et 5. sont dactyles, et le 6. est dactyle, ou Amphimacre, qu'on appelle Cretique.
Il parle encore du Lagaodique, qui finit par vn double trochée; les autres pieds sont dactyles: quelques-vns les nomment Epodiques et Alcaïques: Or l'on entendra ces sortes de vers par la Proposition suiuante.
PROPOSITION XXII.
Expliquer le vers Anapeste, le Paeonique, et l'Ionique maieur et mineur, le Choriambique, l'Antispastique, et toutes les autres especes.
LE vers Anapestique reçoit en tout lieu le spondée, et l'anapeste, et quelquefois le Proceleusmatique: l'on y trouue aussi le dactyle et l'ïambe, dans les Tragiques, quoy que l'on aime mieux le nommer AEolique, quand il a vn ïambe au commencement, et Logaodique quand il finit par le Bacchean. Il se mesure par dipodie, comme l'Iambe et le Trochaique, dont voicy vn exemple de Baïf, qui a son troisiesme vers Coriambique dimetre catalectique, et le 4. est Dactylotrochaïque-tetrametre-brachicatalectique.
La fonteine sourd, nett' et clere touiours
Et la vûe la perce et decouure le fond,
Rien de caché ni verras;
Eau, viue mais ie ne voy le fond de ton coeur.
Quant aux vers Paeonique ou Bacchean, il est l'vn des plus gais et des plus excellens, à raison de ses trois briefues, qui me semblent plus agreables au commencement qu'en aucun autre lieu, comme il arriue au 4. Paeon.
I'ay donné vn exemple de cette espece de vers à quatre parties en Musique dans la 57. question de la Genese, lequel commence ainsi:
[Mersenne, Livre Sixiesme, 389,2; text: Dieu se leuera soudein, ses anemis se rompront, et cetera.] [MERHU2_8 07GF]
L'on trouuera le reste de ce 67. Psalme dans ladite Question, auec la nouuelle escriture, et ortographe de Baïf. Or il y a trois sortes de vers Paeoniques, dont les vns sont appellez Cretiques, qui se peuuent quelquefois changer et dissoudre dans les Paeons de la 1. ou 4. espece: le 2. s'appelle Bacchaeaque, à raison du pied Bacchean dont il est composé: et le 3. se nomme Palimbachie, parce qu'il est composé des pieds qui portent ce nom.
Cratin donne des exemples de ces vers dans Ephestion, apres auoir inuouoqué les Muses:
[egeire mousa kretikon melos], c'est à dire,
Sus Muse chante vn air en vers Cretiques. à quoy il ajoûte:
[-390-] [Chaire de mousa chronia men hecheis hotos.]
L'exemple de Simmias qui suit n'a que des Cretiques qui ne sont point dissous.
[Mater o potnia kluthi numphan asran].
Ce qui est familier à ce Poëte, quoy qu'il dissolue quelquefois les 2. longues des Cretiques, comme l'on void dans ce vers tout composé de syllabes brefues, excepté qu'il a mis la 4. espece de Paeon au 4. pied.
[Se pote Dios ana pumata nearekore nebrochiton].
Ephestion remarque que ce genre de vers n'excede point 30. temps, lequel il nomme [Triakontasemon]; et qu'il peut aller iusques à l'exametre. Ie laisse les exemples qu'il rapporte pour toutes ces especes de vers, afin d'en donner de François pris du 67. Psalme susdit, dont le 7. vers est Cretique, et le 52. est Bacchean.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 390,1; text: Donque chantez à Dieu, donc sonez à son nom. Nous emplist de bienfaits, le Dieu nostre Sauueur.] [MERHU2_8 07GF]
Le Palimbaque est plus rare que les autres, dont voicy l'exemple.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 390,2; text: Grand Dieu qui as fait le bel astre du iour.] [MERHU2_8 07GF]
Ie laisse l'exemple des Cretiques dissous, qui ne sont quasi point differens des Pyrriches, afin de parler des Ioniques, qui sont purs, lors qu'ils n'ont que des pieds Ioniques majeurs ou mineurs. L'exemple d'Ephestion n'a que le 1. pied Ionique, car le 2. pied contient les 7. temps qu'il appelle [ephthemimere]; le 3. pied est vn choriambe, ou vn double trochée; et parce qu'il luy semble tres-excellent il le nomme [episema en to ioniko]. Ceux qui sont Dimetres Acatalectiques, reçoiuent des Molosses és lieux pairs, aussi bien que des Choriambes.
Les Trimetres-Brachicatalectiques, ou Praxileens, ont leur 1. pied Ionique, et le 2. Trochaïque: et les Trimetres Acatelectiques ont 2. Ioniques, et vn Trochaïque à la fin, ou vn Ionique et 2. Trochaïques. Mais le Bracchicatalecte, qu'on appelle Sotadique, est le plus excellent entre les Tetrametres, car il reçoit en 3. lieux differens vn Ionique, vn Trochaïque, ou le pied composé d'vn Anapeste et d'vn Pyrriche, ou d'vn tribraque, et d'vn trochée, ou d'vn pied composé de six syllabes brefues. Ie laisse les Acatalectiques composez de 3. Ioniques, et d'vn Trochaïque, dont Sappho vsoit souuent.
Or il est à propos d'expliquer les dictions dont vsent les Grecs dans leur Prosodie et Poësie, afin que les Musiciens entendent tout ce qui peut seruir à leur art. Ie di donc qu'Acatalectique signifie le vers qui a son dernier pied entier, ce que l'on peut dire en nostre François Cadencé: On l'appelle Catalectique lors qu'il manque vne ou deux syllabes au dernier pied du vers, ou que le pied qui doit estre de trois syllabes est diminué d'vne ou deux desdites syllabes: nos Poëtes l'appellent Court-cadencé. Lors qu'il n'a qu'vn pied au lieu de sa dipodie entiere, il s'appelle Brachicatalectic, et Hypercatalectic, ou Surcadencé, quand il a vne ou 2. syllabes superfluës. Quant à la Dipodie, ou conjonction de deux pieds semblables, on la nomme Tautopodie, à raison de la repetition du mesme pied, car on met 2. ïambes ensemble pour faire vne Dipodie. Ie laisse quelques autres termes dont l'explication est aisée.
Quant à l'Ionique mineur, il n'est autre chose que le majeur renuersé, comme l'Anapeste n'est qu'vn Anti-dactyle. L'on void vn exemple de cet Ionique dans la 12. Ode du 3. liure d'Horace, qui commence, Miserarum est, et cetera dont ce vers François du 46. Psalme suit la cadence.
[-391-] [Mersenne, Livre Sixiesme, 391,1; text: Dites, chantez Odes, Chansons, à ce grand Dieu.] [MERHU2_8 07GF]
Or il peut receuoir vn double trochée, et le 3. paeon, lequel se change quelquefois en vn Palimbachean: les Molosses y entrent aussi.
Ephestion remarque que la Dipodie trochaïque a sept temps, lors quelle precede vn Ionique, qu'elle est le 2. Epitrite: et que le 3. Paeon precede toûjours ladite Dipodie, qu'il nomme [pentasemon], à raison de ses 5. temps. Ie laisse la grande multitude de vers meslez, qui sont dans Anacreon et Aristophane, dont il est aisé de iuger par les pieds qui entrent dans ce genre de vers, afin d'acheuer cette Proposition par le Choriambique, et l'Antispatique, dont celuy-là prend son nom de son pied principal; et lors qu'il finit par vn Bacchean, ou vn Amphibraque, il est catalectic. Il reçoit aussi le Cretique et le Dactyle, qui est vn Choriambe imparfait, et lors qu'il est acatalectic, sa base est ïambique, ou le 3. Epitrite. S'il est meslé, le choriambe se dissout en vn tribrache et vn ïambe, c'est à dire, vn Pyrrichi-anapeste. Or il n'y a nul doute que le mélange de ces pieds est fort propre pour faire toutes sortes d'Airs excellens, comme l'on experimente lors que l'on met la Dipodie iambique apres le Choriambe, ioint que la beauté de toutes sortes de Branles, de Courantes, et des autres dances et balets, vient particulierement du mouuement et de la suite de ces pieds, comme l'on peut éprouuer par l'examen de tous les mouuemens, que le sieur Belleuille, les autres Maistres de la dance, et les Compositeurs de Balets donnent à leurs Branles, et autres pieces qui seruent à la recreation: car ils vsent des mesmes pieds qu'Anacreon, Pindare, Theocrite, et les autres Poëtes, encore qu'ils ne suiuent autre chose que leur genie, et qu'ils n'en ayent point oüy parler: c'est pourquoy l'on peut appeller chaque espece de vers, Branle, Courante, et cetera suiuant le mouuement du vers: par exemple, le Branle Choriambique, Anapestique, et cetera car il est aisé de trouuer tous les pieds dont on compose les branles de Poitou, et des autres pays, et de faire voir que les plus excellens Maistres de France, d'Italie, et d'Hespagne n'ont aucun mouuement, qui ne se rencontre dans les vers Grecs.
I'ajoûte que le Choriambe peut estre nommé Penthemimere, lors qu'il est monometre hypercatalectic, et qu'il n'est autre chose que le vers Adonic: mais on l'appelle Dimetre, Trimetre, et cetera iusques à hexametre, suiuant le nombre de ses pieds, ou de ses pas, comme l'on fait les autres especes de vers.
Quand il commence par la Dipodie-Trochaïque, on le nomme Epichoriambique, et se rapporte au Saphique trimetre. Où il faut remarquer qu'outre la maniere ordinaire de mesurer ou de chanter le Saphique, l'on vse d'vne autre qui consiste à commencer par la Dipodie Trocahaïque, soit heptaseme, quand sa 4. syllabe est longue, ou exaseme, quand elle est briefue: et puis on fait le Choriambe, et le Bachean, qu'ils appellent Cataclide-Iambique, parce que c'est vne Dipodie Iambique diminuée d'vne syllabe: ie mets icy les deux manieres de mesurer ce vers, afin que les Compositeurs d'airs et de balets voyent à quelles dances elles se peuuent rapporter.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 391,2] [MERHU2_8 07GF]
La derniere espece de vers s'appelle Antispatique, du verbe [anti<>an], qui signifie faire quelque chose auec repugnance, parce que les pieds, ou pas de ce vers sont composez d'ïambes et de trochées qui sont contraires. Mais l'on peut vser d'vne autre dipodie au lieu de l'antispaste, car il reçoit vn spondée, et [-392-] vn tribrache ou ïambe dissous, et toute sorte d'autre pied composé de deux syllabes, au lieu de l'ïambe. Il est fort semblable au vers Choriambique, et est monometre, dimetre, trimetre, tetrametre, et cetera comme luy; et a plusieurs noms, suiuant les diuers autheurs: par exemple, le monometre surcadencé s'appelle Docmaïque, à raison du pied Dochmien, lequel est celebre à cause du beau mouuement qu'il donne aux chants: surquoy il est bon de lire Quintilien liure 9. chapitre 4. où il parle de ce pied, lequel on appelle aussi Iambocretique, parce qu'il est composé d'vn ïambe et d'vn cretique, qui contient ces 8. temps [b l l b l]. Le Dimetre est composé d'vn Antispaste, et d'vn Scolie, ou d'vn Bachean: quoy que quelques Latins vsent du 4. Epitrite au lieu de l'Antispaste, comme Boëce au 2. liure.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 392,1; text: Pontus, versat' arenas,] [MERHU2_8 07GF]
Coelo sydera fulgent.
L'on peut neantmoins mettre ces vers entre les dactyliques-trimetres, en les mesurant ainsi [longa, longa], [longa, brevis, brevis], [longa, longa]. La premiere syllabe se dissout souuent en 2. briefues, comme l'on void dans le vers de Boëce qui suit.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 392,2; text: Sitis ardescit habendi.] [MERHU2_8 07GF]
Lors que ce Dimetre est cadencé il a vn Antispaste au premier lieu, et vn ïambic au dernier, et s'appelle Glyconien. Mais les Poëtes Grecs se sont donné tant de licence dans ce vers, qu'ils vsent indifferemment de l'Antispaste, de l'Epitrite, de 2. Trochées, ou de l'Hemo-scolie, qui a cinq syllabes toutes briefues, excepté la penultiéme, car il est composé d'vn Pyrriche et d'vn Scolie, ou Amphibrache. Ie laisse le Dimetre courtcadencé, et le surcadencé, aussi bien que le Trimetre et le Tetrametre, qui se compose de trois Antispastes, et d'vne Dipodie ïambique, que l'on appelle Saphique en faueur de Saphon, laquelle en vsoit souuent: et Theocrite en a fait son 34. Idylion, qui commence [Glaukas]: Seruius l'appelle, Alcmanien, et Diomede Archilochien, et donne la 18. Ode du 1. d'Horace pour exemple, laquelle se mesure en 2. manieres, comme lon void icy.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 392,3; text: Nullum Varé sacrâ vite prius seueris arborem.] [MERHU2_8 07GF]
Par où il est aisé de conclure la maniere de passer du vers Antispatic au Choriambique, car la seconde maniere de mesurer change le vers en Choriambique Alcaïque Pentametre Acatalectic, lequel est composé d'vn spondée, de trois choriambes, et d'vn Pyrriche, ou d'vn iambe. On le nomme Simmiaque; lors qu'il a vne syllabe plus qu'il ne fait, à cause du Poëte Simmias. Il y a plusieurs autres sortes de vers qui meslent les pieds, et qui pour ce sujet s'appellent Polyschematistes; dont ie ne veux pas parler, dautant qu'il suffit que les Musiciens sçachent que toutes sortes de mouuemens leur sont permis, afin de representer tout ce qui leur plaira par les mouuemens tant des pieds, des jambes, et des mains, que des sons de la voix et des instrumens.
[-393-] PROPOSITION XXIII.
Expliquer les essais que l'on a produit en ce siecle pour establir la Prosodie, et la Poësie Metrique Françoise, en faueur de la Musique.
ENcore que les Italiens, et plusieurs autres ayent essayé d'establir vn art Metrique, semblable à celuy des Grecs, pour faire des vers mesurez de toutes sortes d'especes, neantmoins ie parleray seulement icy de l'essay des François, dont les vns ont seulement desiré que l'on changeast l'ortografe, afin qu'il n'y eust nulle lettre dans chaque diction qui ne se prononçast, et que les estrangers apprissent aisément à prononcer nostre langue; et les autres ont passé iusques à l'art Metrique pour faire de toutes sortes de vers, comme les Grecs et les Latins. Or bien que i'aye desia parlé des vns et des autres, j'ajoûte cette Proposition afin que l'on en ait vne connoissance plus distincte, et dis premierement que Baïf a le plus trauaillé aux vers mesurez François, car outre plusieurs Poëtes Grecs et Latins dont il a fait la version Françoise en vers de mesme espece, il a mis les 150. Psalmes de Dauid en vers mesurez de toutes sortes, tant Latins que François, dont i'ay donné plusieurs exemples dans la 57. Question sur la Genese. Mais parce qu'il ostoit la rime des vers, sans laquelle il semble que les François et les autres nations ne les peuuent quasi souffrir, à raison de leur rudesse, ou parce qu'ils n'y ont pas l'oreille acoustumée, Rapin, Callier, et plusieurs autres ont ajoûté la rime aux mesures, afin de ioindre les mouuemens reglez, ou la Rythmique à la douceur. Il y en a d'autres qui ont iugé qu'il estoit à propos de se seruir de ces deux sortes de vers, à sçauoir des mesurez sans rime, lors qu'on les chante seulement en Musique, laquelle fait éuanoüir leur rudesse, et des mesurez rimez, quand on les lit sans Musique. Les autres ont essayé d'ajoûter aux Chants des mouuemens semblables à ceux dont ils conjecturent que les anciens Grecs et Latins ont vsé, et dont on peut voir plusieurs exemples dans la question susdite, où les vers mesurez François sont de Baïf, et la Musique est de Iaques Mdauuit. A quoy j'ajoûteray cy apres la 1. Chanson du 3. liure des Odes d'Horace, afin que l'on voye la maniere dont vse Monsieur du Chemin Aduocat au Parlement, pour restituer la melodie, et les mouuemens rythmiques des anciens: peut estre que cet échantillon excitera ceux qui ayment l'antiquité, à le presser de faire part au public de ses pensées sur ce sujet, afin que nous experimentions la force de la Musique ancienne, ou du moins que nous en considerions l'art et la beauté.
Les autres en fin ayment mieux se seruir de nos vers rimez, sans y obseruer d'autre mesure que celle qu'ils iugent propre pour donner de beaux mouuemens à la melodie, c'est pourquoy ils allongent souuent des syllabes briefues, ou font les longues briefues, lors qu'ils iugent que les Chants et les Airs en sont meilleurs, comme l'on experimente souuent sur ces syllabes briefues, ce, de, le, et cetera sur lesquelles ils chantent 4. ou 5. notes, par exemple, vt, ré, mi, fa, sol. ce qui n'est pas si blasmable, comme plusieurs s'imaginent, si l'on ne veut condamner les anciens Grecs, qui ont vsé de la mesme licence, comme i'ay dit dans la 2. Proposition du liure de l'Vtilité de l'Harmonie. Neantmoins ceux qui ne voudront pas se licentier, et qui ayment mieux obseruer les longues et les briefues dans les vers rimez, trouueront souuent des vers Iambiques, ou d'autres especes, qui seront autant ou plus agreables que si on les auoit mesurez exprez, à raison que la mesure s'y rencontre sans contrainte, et que le Compositeur d'Airs a plus de sujet d'y faire paroistre son industrie et son art, [-394-] car l'on peut dire que cette mesure vient de son inuention. Les vers de la Proposition qui suit nous seruiront pour faire voir la mesure dont nous parlons, et dont le premier couplet se peut mesurer en cette façon:
[Mersenne, Livre Sixiesme, 394; text: N'esperez plus mes yeux De reuoir en ces lieux La beauté que j'adore: Le Ciel ialoux de mon bon-heur A rauy ma naissante aurore Par sa rigueur. 1. 2. 3. 4. 5. 6.] [MERHU2_8 08GF]
Où l'on peut considerer à quelle espece de vers chacun appartient; par exemple le 4. est Iambique, Dimetre, Acatalectic, ou Cadencé. Et si l'on se contente de sçauoir les pieds sans les reduire en vers, le premier vers est composé du pied Cretique et d'vn Molosse; le second d'vn Anapeste et d'vn Molosse; le troisiesme d'vn Bachean, et du troisiesme Paeon, quoy qu'on puisse dire que c'est vn Proceleumatique, puis que la syllabe do est briefue en adorer. Le 4. a deux Dipodies, ou Tantopodies Iambiques. Le 5. a vn double trochée, ou vne Dipodie Trochaïque, et puis vn Spondée, et vn Palimbachean; quoy que l'on puisse reduire ces mouuemens à d'autres especes de pieds.
Or en quelque maniere que l'on prenne les vers, les Musiciens peuuent faire leur profit de toutes sortes de mouuemens ou de pieds rythmiques, dont nous auons parlé iusques à present: surquoy il est bon de remarquer que les Compositeurs de Branles et de Balets, et les Maistres de la Dance peuuent appeller chaque pied rythmique, vn pas, et par consequent les vers qui ont 3. 4. 5. ou 6. pieds seront semblables aux Dances composées de 3. 4. 5. ou 6. pas; et lors que le vers aura 5. pieds et demy, et cetera il sera composé de 5. pas et demi, et cetera de sorte que chaque espece de vers representera chaque espece de dance, et que l'on pourra faire des Balets entiers en vsant des pas et des mouuemens de toutes les especes de metres dont nous auons parlé, en faueur desquels ie donneray apres l'exemple des principales sortes de metres ou mouuemens Rythmiques, afin que les Compositeurs en puissent vser pour rendre leurs Chants pathetiques, et qu'ils entendent la maniere dont les Grecs et les Latins se sont seruis des mouuemens, soit pour chanter ou pour dancer, et qu'ils ne leur cedent en nulle chose.
Si l'on vouloit auoir tout le plaisir qui peut reüssir de la Musique, il faudroit auoir toutes les manieres de chanter, et les faire paroistre les vnes apres les autres, afin de iuger en quoy l'vne surpasseroit l'autre: par exemple, il faudroit faire chanter vne ou deux Madrigales, ou autres Airs d'Italie par vne douzaine de bonnes voix Italiennes, autant de Sarabandes pat des Hespagnols, autant de Courantes et d'Airs par les François, et puis faire chanter aux vns et aux autres les meilleures pieces de Musique que l'on feroit pour les Instrumens, de sorte que six Leuts, ou tel nombre que l'on voudroit commençassent, et puis qu'vn concert de Violes suiuist, et finalement vn concert de Violons semblables aux 24. du Roy; car outre le plaisir de cette varieté, l'on iugeroit du concert qui donne plus de plaisir, et de ceux qui chantent le mieux. Mais puis que nul liure ne peut fournir la pratique de cette Musique, et qu'elle n'est pas aisée à rencontrer, il suffit de monstrer ce que nostre France a inuenté, ou ce qu'elle a ajoûté à la Musique, ou du moins ses Essais, qui ne peuuent estre que loüables, encore qu'ils n'eussent pas atteint la perfection.
[-395-] I'en mets donc icy vn échantillon, qui pourra estre imité par ceux qui sont bien aises d'oüir les vers des Poëtes anciens mis en Musique, si ce n'est qu'ils ayent vn genie assez heureux pour encherir par dessus: il sera aisé aux Compositeurs d'Airs de remarquer à quelle de leurs mesures elle se rapporte.
Premiere Ode du troisiesme liure d'Horace.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 395; text: ODi prophanum vulgus et arceo. Fauete linguis: carmina non priùs Audita, Musarum sacerdos, Virginibus, puerisque canto. REgum timendorum in proprios greges, Reges in ipsos imperium est jouis Clari, giganteo triumpho, Cuncta supercilio mouentis. et cetera] [MERHU2_8 08GF]
Il n'y a point d'autres differences dans les couplets qui suiuent le premier, sinon qu'en tous les seconds vers la premiere syllabe est longue, et partant doit estre d'vne demie mesure: mais parce que la syllabe fa de Fauete du premier couplet est brefue, il y a vn souspir deuant pour faire paroistre ladite briefue, en gardant neantmoins le mesme temps.
Si quelqu'vn desire plusieurs autres Odes d'Horace mises en Musique, suiuant leur propres mouuemens, ie ne doute nullement que Monsieur du Chemin ne leur en monstre, et ne leur en face oüyr tres-librement, s'ils prennent la peine de l'en prier: et i'espere qu'ils auront le mesme sentiment de ces Odes, et de celles de Pindare que moy, à sçauoir qu'il n'y a point de Musique plus agreable que celle-là, pourueu qu'on y apporte tout ce qui est requis à vn parfait concert, à sçauoir d'excellentes voix, et des Instrumens bien touchez.
Mais il faut maintenant voir ce qui concerne les mouuemens qui se peuuent faire dans la mesure binaire et ternaire des Praticiens.
[-396-] PROPOSITION XXIV.
Determiner la grande multitude des mouuemens, qui viennent des changemens des temps, ou des notes d'vne mesure dont on vse dans les Chants, et les Airs de Musique.
IL est certain que les Compositeurs d'Airs, de Branles, et de Balets n'ont pas vn moindre nombre de varietez dans les temps de leurs mesures, que dans la modulation dont i'ay parlé dans le liure des Chants, et par consequent qu'ils n'ont pas encore employé toutes les especes de mouuemens, et qu'il en restera tousiours assez pour les exercer toute leur vie, comme ils peuuent conclure eux mesmes par le changement d'vne mesure binaire, dans laquelle il soit permis de mettre vne blanche, vne crochuë, et vn point, vne autre crochuë, et trois doubles crochuës, car cette mesure se peut changer en 120. façons, encore que l'on retienne tousiours les mesmes notes, et qu'on ne les mette que sur vne mesme ligne. La seconde mesure binaire composée de sept crochuës, et de deux doubles crochuës, peut estre variée en 336. façons. La 3. composée de 5. crochuës, et de six doubles crochuës, en 462. manieres: et la 4. composée d'vne noire, d'vne crochuë auec vn point, de deux autres crochuës, et de cinq doubles crochuës, en 1512. manieres.
Quatre mesures Binaires.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 396; text: 1. 2. 3. 4. 120. 336. 462. 1512.] [MERHU2_8 09GF]
Ce qui suffit pour faire voir le grand nombre des varietez de chaque autre mesure binaire, lesquelles ie donneray librement à ceux qui voudront en vser pour enrichir leur pratique. I'ajoûte seulement que cette espece de mesure se peut faire en 36. façons, encore que l'on n'vse pas du point, ny de la diuersité de l'ordre, ou des lieux que les notes peuuent receuoir, suiuant la combination ordinaire: et si l'on vse de cette diuersité, que l'on aura 5818. mesures toutes aussi differentes, que les 462. mesures, qui se peuuent faire de la 3. mesure precedente. Et lors qu'il est permis d'vser de tous les points qui augmentent et suiuent les notes, l'on a 73. sortes de nouuelles mesures, sans auoir aucun égard à la diuersité des lieux, ou de l'ordre, auquel si l'on a égard, l'on aura 18622. sortes de mesures binaires, où entreront les points; et si l'on ajoûte ce nombre au precedent, la seule mesure binaire donnera 24440. mesures aussi differentes, comme les 1512. de la quatriesme precedente. Ie donneray aussi ces varietez auec les points à ceux qui les desireront pour en vser: quoy qu'ils puissent les treuuer eux mesmes par la 10. Proposition du liure des Chants, laquelle enseigne à trouuer en combien de façons chaque mesure donnée se peut changer, puis qu'elle demonstre les mesmes varietez dans les Chants. Mais afin que chaque Musicien puisse trouuer toutes ces varietez, i'en mets icy la regle dans l'exemple de la troisiesme mesure, laquelle ayant 5. crochuës et six doubles crochuës, l'on [-397-] trouue ses varietez en multipliant la conbination de six choses par celle de 5. c'est à dire, 720. par 120. car le produit 86400. ayant diuisé la conbination d'onze choses, à sçauoit 39916800. le quotient 462. monstre le nombre des varietez de cette 3. mesure, et ainsi des autres. Mais si l'on ioignoit les diuersitez de la modulation à la varieté precedente, c'est à dire, s'il estoit permis de mettre chaque note de la mesure sur des lignes differentes, par exemple, qu'il fust permis de mettre les neuf notes de la 2. mesure en 9. differents lieux des reglets, l'on auroit toutes ces varietez en multipliant la conbination de 9. par 336. et ainsi des autres: ce qui s'entend en supposant que chaque note se mette dans vn lieu different du systeme, car s'il y en auoit 2. 3. ou 4. dans vn mesme lieu, ou 2. sur vn reglet, et 2. ou 3. sur vn autre, et cetera il faudroit proceder comme nous auons fait dans la 20. Proposition des Chants. Or ie donne vn moindre exemple, de peur que le precedent épouuante nos Praticiens: Soit donc le pied dactyle
[Mersenne, Livre Sixiesme, 397,1] [MERHU2_8 09GF]
ie di qu'il se peut changer en trois manieres, dont la premiere precede, et les 2. autres suiuent
[Mersenne, Livre Sixiesme, 397,2] [MERHU2_8 09GF]
et parce que la conbination de 3. est 6. si l'on prend la liberté de mettre ces trois notes dans 3. lieux differents des reglets, par exemple, en C sol, D ré, et E mi, l'on aura 18. varietez, parce que trois multipliant 6. donne 18. Et s'il est permis de les mettre dans 8. lieux differens, le nombre des varietez sera prodigieux. Semblablement les quatre notes du Paeon
[Mersenne, Livre Sixiesme, 397,3] [MERHU2_8 09GF],
qui font la mesure sesquialtere, se varient en 4. manieres, comme l'on void à la table des pieds de la 17. Proposition et si l'on vse de quatre chordes differentes, par exemple d'E mi, F fa, G ré, et A mi, la conbination de 4. multipliée par les 4. susdites varietez, monstrera que ce pied paeonique peut estre varié en 96. façons. Mais il faut remarquer que bien que l'on n'ait pas coustume de faire suiure vne note de mesme valeur apres vne note semblable augmentée par le point, comme i'ay fait à la 1. et 4. mesure precedente, dans lesquelles les points sont apres et deuant vne crochuë, au lieu qu'vne double crochuë a coustume de suiure le point d'apres la simple crochuë, afin qu'il la vaille auec la double crochué, l'on peut neantmoins en vser comme i'ay fait, n'y ayant qu'à y accoutumer la voix, et y accommoder la composition: car lors qu'il est question de donner toutes les varietez, l'on n'a pas seulement égard à la pratique ordinaire, mais à tout ce qui se peut faire, soit facile ou difficile, et bon ou mauuais, comme i'ay fait en donnant toutes les modulations possibles dans la 10. Proposition du liure des Chants, et dans vn volume entier, où i'ay mis les quarante mille trois cens vingt sortes de modulations, ou chants des 8. notes de chaque Octaue.
Si le point pouuoit estre mis apres les doubles crochuës, la varieté en seroit beaucoup plus grande, mais on le met seulement apres les simples crochuës et les autres notes de plus grande valeur, comme l'on void dans la 24. Proposition du 4. liure de la Composition. Or il est libre aux Compositeurs d'vser des sortes de mesures qui leur seront plus aisées et plus agreables, et de laisser celles qui ne leur plairont pas. A quoy ils peuuent ajoûter toutes les varietez de la mesure ternaire sans points, et auec les points, sans qu'il soit besoin d'en mettre icy les exemples, puis qu'on les peut former sur les precedens: joint qu'ils auront plus de plaisir de les trouuer eux mesmes, que si ie les leur donnois tous faits. Il faut seulement remarquer que la mesure binaire [-398-] composée de deux temps égaux, se rapporte aux Pyrriches, aux spondées, aux dactyles, et aux Anapestes, et cetera qui sont composez de 2. ou de 4 temps, comme la mesure ternaire au Tribrache, à l'Iambe, au Trochée, et à tous les autres pieds composez de 3. 6. ou de 12. temps. Mais les autres pieds contiennent plusieurs autres sortes de mesures, qu'il est aisé de mettre en pratique, par exemple, le Bacchien contient 5. temps, et s'exprime auec 5. notes noires, lors qu'il est dissous, ou auec deux notes minimes, et vne noire: le Paeon a semblablement 5. temps, car il est composé d'vn Iambe, et d'vn Trochée, comme le Choriambe. Quant aux Epitrites, ils sont composez de 7. temps, de sorte qu'ils peuuent se rapporter aux termes de la raison sesquitierce, qui fait le Diatessaron, parce qu'il faut chanter 4. notes en frappant et 3. en leuant, ou au contraire, 3. en frappant et 4. en leuant: comme les Paeons ressemblent en quelque façon au Diapente, parce qu'il faut chanter trois notes en baissant, et deux en leuant, ou au contraire: c'est ce que l'on doit proprement appeller mouuement et mesure sesquialtere ou hemiole: car quant aux trochées et ïambes, ils forment plustost vne mesure double semblable à l'Octaue qu'vne mesure ternaire, puis que 2. bat contre vn: comme le spondée forme vne mesure égale, plustost que binaire, afin qu'elle se rapporte à l'vnisson. Ie laisse le reste à la meditation des Musiciens studieux, qui ne se contentent pas de sçauoir pratiquer les choses ordinaires, et qui desirent ajoûter à leur art, afin d'encherir pardessus leurs deuanciers, et de faire des mouuemens nouueaux et extraordinaires: ce qui leur sera aisé par la consideration des 2. dernieres Propositions, car s'ils vsent de chaque pied metrique pour vne mesure particuliere, et qu'ils dissoluent ou diminuënt chaque temps ou syllabe en tant d'autres moindres temps qu'ils pourront, ils rencontreront tousiours de nouuelles varietez, sans qu'ils ayent besoin de se seruir de tous les signes anciens, ou modernes, dont on marque les modes majeurs et mineurs, la prolation parfaite et imparfaite, et les temps parfaits et imparfaits, qui embarassent plus qu'ils n'aident.
PROPOSITION XXV.
Expliquer l'vtilité et l'vsage de la varieté precedente des mesures, ou des temps et des mouuemens, et les contretemps qui se forment des differens mouuemens. Et monstrer que les Praticiens abusent des dictions de binaire, triple ou ternaire, et cetera lors qu'ils parlent de leurs mesures.
L'Vtilité de ces varietez est si grande dans la Musique, que nul ne la peut expliquer, s'il ne s'en est seruy, à raison de la grande multitude des mouuemens extraordinaires qui s'y rencontrent. Il faut donc premierement remarquer que chaque Compositeur peut faire telle piece de Musique qu'il voudra, en vsant d'vne seule sorte de mesure prise dans les 73. mesures binaires qui vsent du point, ou dans les 36. de celles qui rejettent le point: par exemple si le Roy commandoit aux Maistres de sa Musique de composer vne fantaisie, ou vn Air de 336. mesures, à condition qu'ils n'vsassent que d'vne seule desdites mesures, et neantmoins que toutes ces mesures fussent variées et differentes, ils ne pourroient satisfaire à ce commandement, s'ils ne sçauoient cette Proposition, qui monstre que la seconde mesure precedente [-399-] peut estre changée ou diuersifiée en 366. manieres; comme la 4. peut estre variée en 1512. façons, de sorte que l'on peut chanter vne heure entiere en variant tousiours vne mesme mesure, sans repeter le mesme ordre des notes ou des mouuemens.
En second lieu, qu'il peut vser des 36. mesures sans point, ou des 73. auec le point dans vne mesme piece, sans se seruir des changemens de chacune de ces mesures; ce qui donnera vn particulier contentement aux auditeurs.
En troisiesme lieu, que l'on doit éuiter l'identité, ou la ressemblance des mouuemens, comme celle des consonances, dans la composition, parce que l'on s'ennuye d'entendre la repetition d'vn mesme mouuement: de là vient que quelques Compositeurs d'Airs et de Balets mesprisent les mouuemens Spondaïques, Dactyliques, et les autres, dont les especes des vers sont composez, à raison de la redite ou repetition trop frequente et continuë des mesmes pieds et mouuemens.
A quoy l'on remedie en meslant toutes les sortes de pieds qui peuuent entrer dans vne mesme espece de vers, ou en meslant les vers de differentes especes, comme nous auons fait dans le Dithyrambe de l'article de la 57. question sur la Genese, lequel commence:
Cor micat, exultant trepidis praecordia fibris.
Ou en diminuant le mesme pied et mouuement, et en vsant de toutes les conbinations et varietez que chaque mesure peut souffrir, comme i'ay dit dans la Proposition precedente. Or il est certain que si l'on pratique ces varietez et ces meslanges, l'on fera plus de beaux mouuemens differens dans vn iour, que les plus excellens faiseurs de Balets qui ne sçauent pas cette pratique, on qui la mesprisent, n'en peuuent faire dans vn mois, quoy qu'ils dient que cela semble choquer le sens commun, et qu'ils s'estiment les plus habiles hommes du monde: ce qu'ils auoüeront franchement, s'ils prennent la peine, ou plustost le plaisir d'vser de toutes les varietez dont nous venons de parler, en meslant les pieds et les mouuemens qui sont de mesme nature, ou bien de differente espece, suiuant les passions des auditeurs qu'ils voudront toucher, ou des choses qu'ils veulent representer.
En quatriesme lieu, lors qu'on chante à plusieurs parties, l'vne peut vser d'vne espece de mouuement, et l'autre d'vn autre: par exemple, la Basse peut vser du Spondée ou de l'Anapeste, tandis que le Dessus fait le Dactyle, car ils ont vn mesme temps; et ces contretemps seront agreables s'ils sont pratiquez bien à propos, soit dans vne piece entiere de Musique, ou seulement en quelques mesures. L'vne peut aussi se seruir du 1. et 2. Paeon, tandis que l'autre fera le 3. et le 4. et ainsi des autres. Et mesme si l'on veut, et si le sujet le requiert, l'vne des parties pourra faire des pieds de la mesure égale, ou double, tandis que l'autre se seruira de la mesure ou du mouuement ternaire, sesquialtere, ou sesquitierce, et cetera. Et s'il y a 4. 5. ou 6. parties, chacune pourra vser de mouuemens ou de pieds differens; par exemple le Dessus fera 9. notes crochuës à la mesure, pour imiter le mouuement du Diton, tandis que la Hautecontre fera le mouuement du Diatessaron auec 7. notes, la Taille le mouuement du Diapente, en faisant 5. notes, la premiere Basse le mouuement de la Douziesme, en faisant quatre notes dans sa mesure, et la seconde Basse le mouuement de l'Octaue auec trois notes à la mesure.
[-400-] Surquoy il faut encore remarquer que les Praticiens ne prennent pas les dictions binaire, triple, ternaire, et hemiole, et cetera lors qu'ils parlent de leurs mesures en leur propre signification, car la mesure binaire, ou double, doit estre composée de 2. notes contre vne, par exemple de trois noires, dont on en face deux en baissant, et vne en leuant, ou au contraire; et parce qu'elle est en mesme raison que les mouuemens qui font le Diapason, l'on peut nommer cette mesure mouuement d'Octaue. Quant à celle qu'ils appellent Binaire, elle sera mieux nommée mesure égale, ou d'égalité, et mouuement de l'vnisson, puis qu'elle est composée d'vne note en baissant, et d'vne en leuant, lesquelles sont de mesme valeur et comme Vnisones, au lieu que la note de la mesure double, qu'ils appellent ternaire, a la note de son baisser double de celle de son leuer.
Or les Compositeurs ordinaires n'vsent quasi que de ces deux sortes de mouuemens, parce qu'ils les trouuent les plus aisez, et qu'ils fuyent la peine et le labeur: mais s'ils veulent faire quelque chose d'extraordinaire, ils peuuent encore vser de 5. sortes d'excellentes mesures, qui enrichiront grandement la varieté des mouuemens harmoniques; dont i'en explique seulement icy trois; et lors qu'ils les auront mis en pratique, ie leur donneray les deux autres, et tout autant qu'ils en pourront employer ou souhaiter.
L'vn de ces trois mouuemens imite le Diapente, parce qu'il fait trois notes, ou trois temps en frappant, et deux en leuant, ou au contraire, comme l'on void au 5. exemple de cette table:
[Mersenne, Livre Sixiesme, 400,1; text: 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.] [MERHU2_8 09GF]
De sorte que sa mesure est composée de 5. de 10. ou de 20. notes; comme la mesure du 2. mouuement ou du 6. exemple, est composée de 7. temps, dont on en fait 4. en frappant et 3. en leuant, ou au contraire, et finalement le troisiesme qui se void au 7. exemple, est composé de 9. temps, à sçauoir de 4. en baissant, et de 4. en leuant; or la sixiéme mesure est le mouuement de la Quarte, et la 7. celuy de la Tierce majeure: de sorte que celuy qui vsera de ces mouuemens, sera aussi harmonique en ses mesures qu'en sa melodie. Ioint qu'ils luy feront inuenter vne grande multitude de regles et d'obseruations pour l'employ des consonances et des dissonances; ausquelles l'on n'a pas encore pensé.
En cinquiesme et dernier lieu, il ne faut pas s'imaginer que l'on soit obligé de faire tousiours valoir le baisser d'vne mesure deux fois autant que son leuer dans la mesure double, ou également dans la mesure simple, ou d'vnisson; au contraire il est souuent expedient de faire le leuer beaucoup plus court, afin de renforcer le mouuement, et de luy donner plus de gayeté et d'énergie; par exemple, au lieu de faire le mouuement ou pied Iambique ou l'Anapestique, suiuant la valeur ordinaire de ces notes
[Mersenne, Livre Sixiesme, 400,2] [MERHU2_8 09GF]
il est bon de les faire comme ils sont dans le premier et 2. exemple precedent, afin de le rendre plus sensible et plus vigoureux: de mesme le mouuement Choriambic se peut faire comme il est au troisiesme exemple; ce qu'il faut semblablement conclure de toutes les autres sortes [-401-] de mouuemens, comme auoüeront ceux qui l'experimenteront: lesquels ne trouueront peut estre rien plus puissant dans leur art que cette maniere de mouuemens precipitez, pourueu qu'ils en vsent auec discretion, et qu'ils y ioignent la vehemence et le degré de force de la voix, ou des autres sons, suiuant le sujet, la lettre, et la passion qu'ils desirent toucher, et que les degrez et interuales du chant requis y soient employez auec iugement, et conformement à l'intention de la lettre et du sujet. I'ay dit la force de la voix, parce qu'elle donne vne si grande difference aux temps et aux mouuemens, qu'ils semblent remplis de vie et d'énergie lors qu'ils en sont accompagnez, et qu'ils n'ont quasi nulle vigueur quand ils en sont destituez. Il faut encore remarquer que les six notes noires du 4. exemple se peuuent rapporter au Choriambe du 3. exemple, car les 2. premieres et les 2. dernieres estant changées en 2. minimes, l'on a le Choriambe, lequel est dissous par les 6. noires par lesquelles quelques Praticiens ont pensé introduire vne nouuelle espece de mesure, encore qu'elle se rapporte à leur binaire ou à nostre mesure égale, puis que le baisser est égal au leuer; et si l'on en donne 4. au baisser et 2. au leuer, cette mesure est double, et respond à leur ternaire: voyons maintenant l'vsage de tous ces mouuemens.
PROPOSITION XXVI.
Expliquer la Rythmopoeïe, ou l'Art de faire de beaux mouuemens sur toutes sorte de suiets.
COmme l'Art de faire des Chants et des Airs, et de composer toute sorte de Musique à tant de parties que l'on veut, lequel est nommé et definy par les Grecs, [melopoiia, dunamis kataskeuastike melous.] consiste à sçauoir la suite et le progrez des degrez et des interualles de chaque systeme pris dans chaque genre, et à choisir la melodie propre pour exprimer la passion du sujet, et de la lettre que l'on se propose, de mesme l'Art d'arranger les mouuemens, que les Grecs appellent [rhuthmopoiia], consiste à connoistre et à choisir les pieds ou les metres, et les vers qui sont propres pour exprimer les passions, ou les autres choses que l'on se propose, et qui peuuent estre representées par le mouuement. Or nous auons expliqué toutes les especes de pieds et de vers, de sorte qu'il faut seulement ajoûter leurs proprietez, afin que les Compositeurs en vsent, et qu'auant que de commencer vne fantaisie, ou telle autre piece de Musique que l'on se peut imaginer, ils sçachent les mouuemens dont il faut se seruir, s'ils desirent que leur Musique face quelque impression sur l'esprit des Auditeurs. Ie di donc premierement que la parfaite melodie doit estre composée d'harmonie, de mouuement, et de paroles, comme enseigne Aristide dans son premier liure, [melos de esti teleton men to ek te harmonias kai rhuthmou kai lexeos sunestikos.] et par consequent que le Compositeur doit auoir vn soin particulier de ces trois parties; par exemple il doit choisir le genre et le mode de Musique, afin que s'il est plus à propos d'vser des degrez du Diatonique, et du Mode Phrygien, il éuite les degrez chromatiques, et les chordes du Lydien, et que si le Chant doit se faire dans les premieres ou plus basses chordes du Systeme, lesquelles sont nommées par les Grecs Hypatoides, il ne touche point celles du milieu, ny d'enhaut, [-402-] qu'ils appellent Mesoides, et Neroides, suiuant les passions qu'il veut exciter, ausquelles les Grecs font seruir leur Systaltique, Diastaltique, et Hesycastique, lesquelles i'ay expliqué dans la version Françoise de la Musique d'Euclide, article 5. et dans la 30. Proposition des Instrumens de Percussion, et dont ie parleray encore ailleurs. Apres auoir choisi la melodie, il faut y ioindre le mouuement propre, que les Grecs appellent Rythme, lequel est vn systeme composé de temps differens, suiuant le sujet que l'on traite. Si ce mouuement doit estre aux dances, il faut obseruer le baisser et le leuer, qu'ils nomment [arsis] et [thesis], afin d'eleuer le corps en celuy-là, et de l'abaisser en cettuy-cy, ce qu'ils faisoient mesme en chantant, et ce que l'on fait encore aux dances de vilage, où ceux qui dancent chantent ensemble.
En second lieu, l'on doit choisir l'espece de mouuement, et des temps necessaires pour executer l'effet que l'on pretend: et parce que le mouuement égal est propre pour les esprits qui ayment la tranquillité et la paix, et qui sont amis du repos et de la solitude, si l'on veut induire à cette affection, ou si on l'a veut entretenir, il faut vser du mode Dorien des anciens, et de leur Hesycastique, auec le mouuement spondaïque, qui admet tous les pieds dont le baisser est égal au leuer, lesquels on void aux exemples que i'ay mis dans les Propositions precedentes. Or ce mouuement égal est appellé mesure binaire par les Compositeurs ordinaires, comme i'ay desia remarqué: mais lors que l'on veut faire changer cette affection pour entrer dans vne passion plus turbulente, il faut vser du mode Phrygien et d'vn mouuement double, et des pieds, dont le baisser ou le thesis est double du leuer, ou de l'arsis, ou au contraire, et particulierement du mouuement ïambique, dont les Poëtes se seruent dans leurs Tragedies, comme l'on void dans Seneque; à quoy se rapporte la Diastaltique. Si l'on vse d'vne pose égale au premier baisser du mouuement trochaïque, il se rapporte entierement à l'ïambique. Le mouuement Choriambique tient de ces deux pieds, car il en est composé; et le 3. Paean tient du Pyrriche et de l'Iambe qui le composent. Certes il est difficile de treuuer la raison de ces differents effets des pieds metriques, ou des mouuemens differents, et de déterminer precisément à quoy chaque pied ou vers est propre, attendu particulierement que tous les Poëtes vsent indifferemment de toutes sortes de vers pour representer, ou pour exciter toutes sortes de passions et d'affections, encore qu'ils essayent de mettre plusieurs syllabes briefues de suite pour exprimer les choses vistes et legeres, comme i'ay dit cy-deuant: quoy que ceux qui ne sont pas astreins aux paroles, et qui se contentent de faire des Branles, et d'autres especes de fantaisies et de dances pour les Balets, puissent, ce semble, vser de plus de sortes de mouuemens, parce qu'ils ne s'assujetissent ny à prose ny à vers. Or s'il est permis de philosopher en cette matiere, l'on peut dire que l'ïambe est propre pour exprimer la cholere, parce qu'il imite la promptitude et la legereté du feu en son commencement, et qu'il redouble sa force à la seconde partie de son mouuement, laquelle est double de la premiere que les Grecs font en leuant, comme celle du Pyrriche. Les Praticiens appellent ce mouuement ïambique et trochaïque, mesure ternaire, quoy qu'elle soit plustost double. Ceux qui de sirent passer outre pour trouuer la raison des effects de chaque mouuement, pied, ou vers, doiuent s'estudier à connoistre les mouuemens des passions, du sang et des autres humeurs, qui se suiuent et s'accompagnent ordinairement, [-403-] car il semble qu'il n'y a nul moyen plus puissant pour exciter les passions des Auditeurs que d'vser des mesmes temps et mouuemens dont se seruent les mesmes passions dans ceux qui en sont touchez.
Troisiesmement, l'on peut aussi bien passer d'vn genre de mouuement à vn autre, comme d'vn mode à l'autre, par exemple l'on peut passer du Spondaïque, ou Dactylique, à l'Iambique, ou au Trochaïque; ce que les Praticiens appellent passer de la mesure binaire à la ternaire; quoy qu'il soit bon de rentrer dans la premiere sorte de mouuement auant que de finir, comme l'on rentre dans le Mode. Les Grecs ont pratiqué ce changement aussi bien que celuy des Modes, comme l'on void dans Bacchius, et Aristide: et les Poëtes qui se sont donnez cette liberté, ont appellé leurs vers Polyschemastiques, par ce qu'ils les meslent de toutes sortes de pieds: et c'est particulierement en quoy les compositeurs de branles les imitent, encore qu'ils n'y pensent pas. Mais s'ils prennent la peine de mettre deuant eux les pieds ou mouuemens tant simples que diminuez des Grecs et des Latins, que nous auons expliquez cy-deuant, afin de choisir ceux qui leur agreeront dauantage pour les employer à leurs compositions, ils les enrichiront beaucoup plus aisément, et en feront vne plus grande multitude qu'à l'ordinaire, sans se troubler en nulle maniere. Ie trouue que le 4. Paeon et le Cretique qui contiennent 5. temps, et qui ont la mesure sesquialtere, et le Choriambique, qui a six temps, composent les plus beaux mouuemens et les plus agreables de tous, sans qu'ils ennuyent, si l'on mesle d'extrement tous les pieds de mesme temps qui leurs sont homogenes. Il est aisé de rapporter tous les mouuemens des Courantes, des Sarabandes, des Branles, et cetera à cette Rythmique, c'est pourquoy ie laisse cela aux Maistres de la Dance et des Balets; lesquels feront plus d'estat de cette reduction, s'ils prennent la peine de la faire, que si on la leur donnoit toute faite, car l'on a coustume de negliger ou de mespriser ce qui vient sans peine et sans trauail.
En quatriesme lieu, il faut choisir de belles paroles pour faire de beaux effects, et y faire entrer plusieurs fois les voyelles a et o, lors qu'on veut representer des choses grandes et magnifiques; et plusieurs fois l'e feminin, et l'i brief, et l'u, pour exprimer des choses tristes, abjectes, et petites; ce qui est assez bien representé par la diction Petite.
L'on doit aussi choisir les dictions remplies de consones rudes, comme est r, pour exprimer les choses fascheuses, et celles qui ont les consones plus douces, comme d, l, et z, pour representer ce qui est doux et agreable, si l'on veut suiure les pensées d'Aristide, lequel traite de la nature et de la force de chaque voyelle, et des consones dans son 2. liure, dont i'ay rapporté les principales considerations dans le 4. article de la 57. question sur la Genese. A quoy l'on peut ioindre la 43. 46. et 50. Proposition du liure de la Voix, et l'excellent traicté que Denys Halicarnasse a fait de cette matiere, où il remarque que la suite des pieds dont vse Thucidide, à sçauoir de 3. Spondées, d'vn Anapeste, et puis d'vn spondée, et d'vn Cretique, et puis de deux Palymbachiens, au 1. 2. et 4. lieu, d'vn Cretique au 3. lieu, est tres-excellente et tresbelle. Il remarque que le 3. nombre de la mesme periode a le Cretique au premier lieu, au 2. l'Aanpeste, au 3. le Spondée, au 4. l'Anapeste, et puis deux Dactyles et deux Spondées; ce que ie represente en cette façon,
[Mersenne, Livre Sixiesme, 403] [MERHU2_8 09GF]
laquelle a fort bonne [-404-] grace en Musique, lors qu'elle est accompagnée d'vne melodie conuenable. Or il donne le stile d'Herodote, de Platon, et de Demosthene, pour l'idée de la belle suite des pieds: à quoy il est bon d'ajoûter les Obseruations de Iul. Rapicius sur le stile de Ciceron, et ce que Platon recite de la vertu des noms et des dictions dans son Cratile, et ailleurs.
Ceux qui voudront s'instruire plus amplement sur cette matiere, peuuent voir les Obseruations que fait Halicarnasse sur la description du caillou de Sisyphe, dans laquelle Homere vse de dictions monosyllabes, et de deux syllabes, et de lettres rudes et aspres, et de Spondées dans l'Odyssée, pour signifier la difficulté de leuer la pierre en haut, et lors qu'il en descrit la cheute, il vse de plusieurs Dactyles et syllabes briefues pour representer la facilité et la vitesse de sa cheute. D'où les Compositeurs de Musique, aussi bien que les Poëtes et les Orateurs, peuuent tirer beaucoup d'instruction, et particulierement les premiers, car Halicarnasse confesse qu'il leur est permis de faire les syllabes briefues longues, et les longues briefues, et de mettre deux accents graues ou aigus dans vne mesme diction, comme l'on void au 32. et 33. chapitre de son liure De Collocatione verborum: quoy que ie desire qu'ils soient assez sçauans pour faite tout ce qu'ils iugeront necessaire à la beauté de leurs Chants, sans en emprunter la cognoissance des anciens. Scaliger est encore vtile pour ce sujet dans son liure De causis linguae Latina, et dans celuy de l'Art de Poësie. I'ajoûte seulement que plusieurs ne sont pas de l'auis de Halicarnasse, qui assujetit la lettre à la Musique, lesquels iugent plus à propos que l'on assujetisse la Musique aux paroles, de sorte que l'on face aussi bien les syllabes longues et briefues en chantant qu'en parlant, et que les chants ne soient autre chose qu'vn discours embelli et releué par vne excellente Harmonie. Ce qui doit particulierement s'obseruer aux vers mesurez, et mesmes aux rimez tant que l'on peut, afin que les Auditeurs distinguent et entendent toutes les paroles, et que la Musique ne se rende pas esclaue de la barbarie et de l'ignorance. Or ie reuiens aux mouuemens Rythmiques, et à l'Art de les faire, dont il semble qu'on ne puisse donner vne meilleure instruction que par les exemples de toutes, ou du moins des principales especes de vers mesurez, qui contiennent les mouuemens et les mesures dont les Grecs et les Latins ont vsé dans leurs Odes et leurs Chansons. Car bien que la table des pieds Metriques de la 17. Proposition suffise pour faire comprendre tout ce qui appartient aux mouuemens, neantmoins la suite de plusieurs pieds de mesme espece donneront plus de clarté. Mais auant que de mettre ces exemples il est à propos de remarquer qu'il n'est pas necessaire que les Compositeurs obseruent tellement la briefueté des syllabes, qu'il ne leur soit quelquefois permis de les allonger, comme ont fait les Poëtes Grecs et Latins, particulierement lors qu'il se rencontre plusieurs syllabes briefues dans vne mesme diction, comme en sedition, premediter, pudicité, et cetera qui ont toutes leurs syllabes briefues, c'est pourquoy l'on peut allonger leur premiere syllabe, comme l'on en a fait dans la diction Latine Italiam, afin d'en faire vn Dactyle. L'on peut aussi allonger les syllabes briefues lors qu'elles precedent l'e feminin, parce qu'il est plus brief qu'aucune autre syllabe, et qu'elles paroissent longues à son égard, comme en ces dictions dire, et lire, dont on peut faire deux Trochées, encore qu'ils soient deux Pyrriches: d'où il est aisé de conclure que nous auons pour le moins quatre sortes de syllabes, [-405-] à sçauoir les tres-longues, les longues, les brefues, et les tres breues; ce qui se peut voir dans les dictions hatiuement, et tristesse, car la syllabe briefue ti est plus longue que la syllabe ue; et la syllabe tes, quoy que briefue, est plus longue que la syllabe se; et mesme la premiere syllabe tri semble vn peu plus longue que la seconde ste: car il n'est pas necessaire de ioindre st dans vne mesme syllabe auec tri, pour la faire longue par position, ny que les deux ss rendent la syllabe stes longue, l'escriture ordinaire n'allongeant pas ce qui est brief à la prononciation: de sorte qu'il vaudroit mieux retrancher les lettres superfluës en écriuant tristêce, que de s'y tromper: l'on peut neantmoins faire vn Dactyle de tristesse. Quoy qu'il en soit, et quelque liberté que les Compositeurs vueillent prendre pour les mouuemens, et pour les temps des syllabes et des pas, ou des pieds, laquelle ie ne pretends pas de leur oster, ie mets icy des exemples de chaque mouuement pratiqué par les anciens, tant afin que chacun comprenne mieux tout ce que nous auons dit des pieds, des vers, des mouuemens, et de leur mesure, qu'afin que ceux qui ayment l'antiquité puissent en vser dans leurs chants, et iouir de ce qu'ils ont pratique de plus beau et de mieux reglé; car quant aux mouuemens qu'ils ioignent à la melodie, ils n'ont point d'autres regles que les pas, sous lesquels ils les font exercer, comme l'on peut voir dans les exemples des Dances que i'ay mis dans les Propositions 23. 24. 25. et 27. du liure des Chants, où i'ay essayé de les rapporter à de certains mouuemens, en laissant la liberté à chacun de les reduire à tels autres pieds ou mouuemens qu'ils iugeront à propos. I'ajoûte seulement icy vn autre exemple d'vn Branle à mener, dont le chant est iugé fort excellent, afin qu'il puisse seruir d'exercice à ceux qui voudront determiner à quel genre de vers, ou à quelle espece de pieds ou mouuemens il se doit rapporter.
Branle à mener.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 405] [MERHU2_8 09GF]
Car ie ne doute pas que l'on ne rencontre toutes sortes de pieds et de vers dans les fantaisies et chansons qui seruent maintenant à chanter, à dancer, et à boire, puis que les imaginations des hommes sont semblables, n'y ayant ce semble autre difference entre les chansons des Praticiens et celles de Pindare et d'Horace, sinon que ceux-cy donnent le mesme temps, la mesme mesure, ou la mesme quantité à leurs vers, et aux paroles qu'à la melodie, et au mouuement du corps, et qu'ils en regloient peut estre mieux les pieds et les pas; au lieu que nos Compositeurs n'vsent que de vers rimez, qui n'ont pas de certaine mesure. Or il suffit d'auoir entamé le traicté de la Rythmique, pour en introduire l'vsage, et pour exciter ceux qui ont plus trauaillé sur ce sujet à la donner toute entiere. I'ajoûte seulement qu'ils peuuent grandement profiter à la lecture de Demetrius Triclinien, qui monstre de quelles especes de vers vse Sophocle dans ces 7. Tragedies; à quoy peut encore seruir la Preface de Canterus sur les Tragedies d'Euripide, dans laquelle il fait vn abregé d'Ephestion: quoy qu'il soit plus à propos et plus vtile de [-406-] lire l'Ephestion tout entier, que les fragmens que l'on en rapporte, si l'on veut sçauoir l'estenduë de la Metrique des anciens, et tout ce qui appartient à leurs vers: et si l'on n'a Ephestion, Iaques Mycille peut seruir, lequel a compilé Terentianus, Diomedes, et Ephestion, dans ses liures de la Metrique.
PROPOSITION XXVII.
Donner des exemples de toutes les sortes de mouuemens Rythmiques des anciens, c'est à dire de leurs vers: monstrer les mouuemens et les pieds metriques de nos vers rimez, et expliquer l'Art de les trouuer en toutes sortes de paroles tant Françoises que Latines.
CEtte Proposition iointe aux precedentes donne la Rytmopoeïe ou l'Art des mouuemens, sans qu'il soit besoin de la chercher ailleurs, car toutes les sortes des temps ou mouuemens Rythmiques que ie mets à la fin de cette Proposition font comprendre tout ce que les anciens ont eu de meilleur sur ce sujet, particulierement si l'on y ioint la liberté de la diminution des temps longs et briefs.
Quant aux mouuemens des vers rimez, dont on vse seulement en France, entre plusieurs vers qui peuuent seruir d'exemples, ie prends ceux de la premiere Proposition du 5. liure de la Composition afin que le lecteur ne depende point d'ailleurs que de nos liures. Or le premier couplet qui suit,
[Mersenne, Livre Sixiesme, 406; text: Puisque le Monarque des Anges Ne dedaigne point nos loüanges, Chantez l'excez de sa bonté, Et viuant dedans l'innocence Faites connoistre la puissance De sa diuine Maiesté.] [MERHU2_8 10GF]
a les mouuemens que i'explique icy de la mesme sorte que Demetrius et les autres Scholiastes Grecs ou Latins expliquent les pieds des vers dont vsent les Poëtes anciens, auec cette seule difference que le sujet de nos vers est plus excellent et plus releué que celuy qui leur a seruy; de sorte qu'il reste seulement à leur donner vne modulation qui soit propre à leur sujet diuin qui peut et doit rauir les hommes et les Anges. Ie di donc premierement que le premier vers est composé d'vn Dactyle, d'vn Scolien, et d'vn Palimbachean, quoy que l'on puisse faire vn Molosse du dernier pied, à raison que la derniere syllabe de chaque vers peut estre longue ou briefue, suiuant la volonté d'vn chacun: l'on peut aussi dire que ce vers est composé d'vn Trochée, d'vn Anapeste, qui font vne Dipodie ïambique, et puis d'vn Iambe et d'vn Spondée, qui font le premier Epitrite, si l'on fait la derniere syllabe longue, ou l'Antispastic, si on la fait briefue, comme l'on void aux longues et briefues marquées vis à vis du premier vers. Le second vers est composé d'vn Anapeste, d'vn Spondée, d'vn Trochée,et d'vn Spondée qui font le 2. Epitrite, si l'on allonge la derniere syllabe, ou d'vne Dipodie trochaïque si on la fait briefue. Le 3. vers est composé du 2. Epitrite, et de l'Ionique mineur, qui fait vn fort beau mouuement. Le 4. contient vne Dipodie ïambique composée d'vn Anapeste et d'vn Iambe, et vne Dipodie Trochaïque, [-407-] de sorte que ce vers contient les deux bases des deux principales especes de vers. Le 5. est composé du 2. Epitrite, d'vne Dipodie ïambique, de 2. ïambes, et d'vne syllabe, de sorte qu'on le pourroit nommer Dimetre Hypercatalectic, ou Trimetre Brachycatalectic: comme les 3. premiers Dimetres catalectics. Quant au 5. il est composé d'vne Dipodie ïambique faite d'vn ïambe et d'vn Tribrache, et d'vn Bachean, ou d'vn ïambe, d'vn Proceleusmatique, et d'vn Spondée. D'où il est aisé de conclure que l'on peut transporter et trouuer dans nos vers rimez toute la richesse, la varieté, et la beauté des mouuemens qui sont dans les vers de Pindare, et des autres Poëtes, sans qu'il soit necessaire de pratiquer les vers mesurez: quoy que leur pratique augmente encore grandement la diuersité des mouuemens. Quant à l'Art de trouuer les pieds metriques dans les vers rimez, et dans la prose Latine ou Françoise, il ne faut point d'autre chose que la table des 27. pieds de la 376. page de ce liure, car si on la met deuant les yeux, en lisant toutes sortes de vers, ou telles paroles qu'on voudra, l'on pourra marquer toutes les syllabes longues et briefues des vers, en les diuisant en pieds, comme i'ay fait dans le couplet des 6. vers precedens: par exemple l'on trouuera que le premier vers du second couplet, à sçauoir, Sa main la source de tout estre, est composé d'vne Dipodie Iambique, et du 4. Paeon, auec vne syllabe qui reste, ou de deux Iambes, d'vn Tribrache, et d'vn Trochée, de sorte qu'il peut estre Iambique Dimetre Acatalectic. Ie laisse les autres couplets pour l'exercice de ceux qui se plairont à cette reduction de mouuemens, laquelle ne requiert que le sens commun, ioint à la prononciation de chaque diction, car lors que l'on fait vne syllabe longue qui est briefue, par exemple la premiere syllabe de viuant, et qu'on fait briefue celle qui est longue, par exemple la premiere syllabe de [estre], l'oreille et l'imagination en sont blessées, de sorte qu'on a de la peine à l'endurer, et que chacun peut marquer la quantité, le temps, et le mouuement de chaque diction et syllabe sans autre Maistre, ou enseignement que l'oreille. Ce n'est pas neantmoins que toutes les syllabes qui sonnent mal à l'oreille, quand on les fait longues ou briefues, ayent cette quantité de leur nature (si l'on en excepte quelques-vnes, dont la prononciation ne se peut faite que longue ou briefue sans vne grande difficulté, comme il arriue à nostre e feminin, qu'il est difficile d'allonger) car la plus part des prononciations ne viennent que de l'vsage et de la coustume qui passe pour loy en matiere de paroles, comme font les mesmes dictions quant à leur signification, laquelle n'est pas moins volontaire ny mieux fondée que leur prolation ou prononciation, comme i'ay monstré dans le liure de la Voix.
Or les douze couplets du Psalme dont i'ay determiné les pieds dans le premier couplet, monstrent euidemment dans les 12. Modes ausquels il seruent de lettre, que nos Compositeurs de Musique sont bien éloignez de l'obseruation des mouuemens et des temps qu'il faut donner à chaque syllabe, d'où il arriue souuent que leurs Chants n'ont pas de grace, bien que leur Composition a deux ou plusieurs parties soit bonne, et qu'elle suiue les regles ordinaires. Mais s'ils obseruent la quantité dont ie viens de parler, ils reüssiront aisement à faire des Chants fort naturels et agreables, de sorte que nul n'y pourra trouuer aucune faute, et que ceux qui ne sçauent pas le secret des mouuemens et des pieds metriques les admireront, et ne pourront les imiter.
[-408-] Voyons maintenant les exemples des principales especes des vers, dont les Musiciens et les Poëtes Grecs et Latins ont vsé dans leurs Chansons, afin que chacun en puisse imiter les mouuemens. La premiere page les contient tous simples, et la seconde les met auec les pieds qu'ils peuuent receuoir, et auec la simple solution ou diminution dont ils sont capables, car ie ne mets pas les diminutions d'vne note minime en deux crochuës, ou quatre doubles crochuës, parce que cela seroit trop long; joint qu'il suffit d'en auoir parlé cy-deuant, et d'en auoir monstré l'vsage dans les exemples du liure des Chants, et des Instrumens, et dans l'Ode d'Horace.
Mouuemens Rythmiques, et Metriques.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 408; text: Pyrriche. Iambe. Trochée. Spondée. Tribrache. Dactyle. Anapeste. Scolien. Cretique. Bacchean. Palimbachean. Molosse. Paeon 4. Ionique majeur.] [MERHU2_8 10GF]
[-409-] Cette seconde page contient encore trois especes de mouuemens Rythmiques dans leur simplicité, à sçauoir l'Ionique mineur, le Choriambic, et le Pyrrichi-Anapeste, ou Tribracho-Iambe, lequel on peut aussi nommer Choriambique dissous, parce que sa premiere syllabe ou mode est diuisée en deux. Les autres mouuemens sont meslez, et peuuent encore estre meslez en plusieurs autres manieres, suiuant la caprice et la volonté des Compositeurs, et de tous ceux qui employent les mouuemens dans les sons, et dans tout ce qui se void, ou ce qui se touche.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 409; text: Ionique mineur. Choriambic. Pyrrichi-Anapeste. Iambe dissous ou meslez. Trochées dissous. Spondées meslez. Tribraques meslez. Dactyles meslez. Anapestes meslez. Scoliens meslez. Cretiques meslez. Bacheens meslez. Palimbacheens meslez. Molosses meslez.] [MERHU2_8 11GF]
[-410-] Les Italiens, Hespagnols, Allemans, et les autres nations peuuent aussi marquer les pieds ou mouuemens rythmiques de leurs vers en la mesme maniere, de sorte que les Musiciens de chaque Royaume auront leur poësie metrique sans changer leurs cadences rimées, ou leurs rimes cadencées.
Or ie veux icy ajoûter la maniere de chanter, dont les meilleurs Maistres vsent en France, laquelle on peut comprendre par l'exemple qui suit, que i'auois promis dans la seconde partie de ce liure, afin que l'on ne puisse rien desirer dans nos traitez, et que chacun puisse imiter la methode de ceux qui enseignent à chanter à Paris, et dont l'exercice et l'Art consiste à faire de bons Chants, et à les diminuer et embellir.
PROPOSITION XXVIII.
Donner des exemples de la diminution et de l'embellissement des Chants, et la metbode de faire de bons Chants, et de les embellir par la diminution.
L'Exemple qui suit ne sert pas seulement pour enseigner la Methode d'enrichir les Airs pour toutes sortes de diminutions, et pour donner vne idée à suiure et à imiter, mais aussi pour faire voir que le temps des syllabes et l'ordre des mouuemens n'y est pas obserué; ce qui, sans doute, en oste beaucoup de charmes, comme il est aisé à iuger à quiconque a le sens et l'intelligence des syllabes longues et briefues: car toutes les syllabes du premier vers y sont toutes faites d'vne égale valeur, et la seconde syllabe de la diction [i'adore] y est allongée, quoy qu'elle soit briefue: mais i'ay desia donné la mesure et la quantité de ce premier couplet dans la 23. Proposition et l'on ne peut sçauoir ce que i'ay dit dans cette quatriesme partie de la Rythmique, que l'on ne puisse marquer la quantité de chaque syllabe aussi bien que moy, c'est pourquoy ie n'ajoûte rien à ce discours, sinon que nos Compositeurs d'Airs peuuent excuser leur methode d'allonger les syllabes courtes, et d'accourcir les longues, suiuant l'opinion de Denys Halycarnasse.
Quoy qu'il en soit ie mets icy vn exemple auquel chacun en peut ajoûter tant qu'il voudra, car tous les beaux traits et toutes les sortes de diminutions et de modulations ne peuuent pas se rencontrer dans vn seul Chant si court comme est celuy-cy.
Et puis apres auoir donné cet exemple, qui fait voir la methode de chanter, ou du moins de composer des meilleurs Maistres, des plus experimentez, et de ceux qui sont dans l'approbation de tout le monde, i'expliqueray toutes les manieres dont les Musiciens marquent leurs mesures, afin que chacun puisse connoistre à liure ouuert tout ce que l'on a coustume de marquer au commencement, et és autres lieux de la Composition à plusieurs parties, soit dans les anciens liures imprimez et descrits depuis 2. ou 3. cens ans, ou dans les nouueaux, car bien que i'estime que les nombres puissent suppleer tous leurs Caracteres, il est à propos d'expliquer leur artifice, comme nous faisons dans la 30. Proposition de ce liure. Quant à la 29. qui suit, elle fait voir la Methode de chanter les Odes de Pindare et d'Homere, lesquelles on pourra comparer auec l'Air qui suit, afin de voir si nos Compositeurs de France sont plus excellens que ceux de la Grece, ou des autres nations.
[-411-] Air de Monsieur Boesset.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 411; text: Chant simple. NEsperez plus mes yeux De reuoir en ces lieux la beauté que j'adore, Le Ciel jaloux de mon bon-heur, A rauy ma naissante aurore par sa rigueur. Diminution de Monsieur le Bailly. Les pleurs n'ont plus de lieu Dans le coeur de ce dieu Dont le feu me deuore. Autre diminution de Monsieur Boesset.] [MERHU2_8 12GF]
[-412-] Autre façon de chanter de Monsieur Moulinié.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 412; text: Chant simple. N'esperez plus mes yeux De reuoir en ces lieux la beauté que j'adore: Le Ciel jaloux de mon bon-heur, A rauy ma naissante aurore Par sa rigueur. Port de Voix. Second couplet en diminution. Les pleurs n'ont plus de lieu Dans le coeur de ce dieu Dont le feu me deuore.] [MERHU2_8 13GF]
[-413-] Autre façon de chanter de Monsieur Moulinié.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 413; text: Chant simple. N'esperez plus mes yeux De reuoir en ces lieux la beauté que j'adore: Le Ciel jaloux de mon bon-heur, A rauy ma naissante aurore Par sa rigueur. Port de Voix. Second couplet en diminution. Les pleurs n'ont plus de lieu Dans le coeur de ce dieu Dont le feu me deuore.] [MERHU2_8 14GF]
[-414-] Basse du quatriesme couplet de l'Hymne Brutio natus.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 414; text: Chant simple. AD suum demum tumulum frequenter, languidis cunctis tribuit medelam: saepius confert miseris rogatus dona salutis. Diminution du quatriesme couplet.] [MERHU2_8 15GF]
[-415-] Si les Musiciens de la Grece se sont donné autant de licence que leurs Poëtes pour accourcir les syllabes longues, ou pour allonger les briefues, ie ne doute pas qu'ils n'approuuassent la maniere precedente de chanter, laquelle doit, à mon auis, estre permise à toutes sortes de Musiciens qui desirent exceller dans l'Art de faire de bons Chants; car il n'y a pas grande apparence de les restreindre tousiours à la rigueur des briefues et des longues; quoy qu'ils puissent quelquefois vser de cette contrainte pour monstrer qu'ils ne l'ignorent pas. Mais ils ne sont pas obligez de faire toutes les syllabes longues d'vne mesme longueur, car ils peuuent donner le temps d'vne semibreue, ou d'vne minime, ou d'vne noire, ou mesme d'vne crochuë aux syllabes longues, pourueu que dans vne mesme mesure ou diction, ils vsent des notes d'vn moindre temps sur les syllabes briefues, comme l'on void dans l'Ode d'Horace qui commence Odi prophanum, laquelle i'ay donnée cy-dessus; et dans celle de la Proposition qui suit, par laquelle ie conclus ce qui appartient à la Poësie Metrique, apres auoir remarqué que i'ay mis cy dessus la diminution du verset, Maluit terris, de l'Hymne Brutio natus de Sainct François de Paule, que l'on chante aux premiers Vespres de sa Feste, afin que l'on voye aussi bien la maniere d'embellir les Chants Latins que les François. Quelques-vns s'imaginent que l'on vsoit autresfois de ces diminutions, fredons, ports de voix, et passages en chantant les Neumes, et les Alleluia dans les Eglises, au lieu de quantité de notes dont on vse maintenant sur vne mesme syllabe; ce qui deplaist à plusieurs, à raison des sauts et des rudesses et duretez des voix: ce qui a desia fait retrancher quantité de notes de dessus plusieurs syllabes. Quant à la conduite et à la modulation des Chants de l'Eglise, il est certain qu'il y en a de fort bons, comme l'on experimente en ceux des Hymnes A solis ortus cardine, Conditor alme syderum, Sacris solemniis, et Vt queant laxis; et en ceux des Proses, Victimae paschali laudes, et Lauda Sion saluatorem. Et peut estre que les plus habiles Musiciens de ce siecle ne pourroient pas si bien reüssir si on leur donnoit ces paroles pour faire des Chants dessus. Quoy qu'il en soit, l'antiquité et la beauté de ces Chants, et de plusieurs autres, dont on vse dans les Eglises, merite du respect, et les rend dignes de consideration.
PROPOSITION XXIX.
Expliquer la maniere de chanter les Odes de Pindare et d'Horace, et le moyen de rendre les vers François aussi propres pour la Musique, comme sont ceux de Pindare et des autres Poëtes.
PLusieurs sont tellement charmez des Odes de Pindare et des vers des autres Poëtes, qu'ils mesprisent nos vers rimez, comme indignes d'estre comparez à ceux de la Grece, ou mesme d'estre leus: mais tous ne sont pas de cet auis, car il y en a qui maintiennent que nous auons plusieurs pieces de Poësie rimée, qui ne cedent nullement aux meilleures des Grecs.
Quoy qu'il en soit, il suffit de monstrer comme l'on peut chanter les Odes des Poëtes Grecs et Latins, et comme nos vers rimez peuuent receuoir la mesme grace: et pour ce sujet ie mets icy tellement la premiere Strophe de Pindare, que l'on void le chant et la tythmique sur chaque vers: car les lettres [-416-] Latines rondes a, b, c, d, et cetera et les Italiques a, b, c, d, et cetera qui sont sur les syllabes, signifient la modulation, suiuant ce que i'en ay dit dans les 5. premieres Propositions de ce liure, et particulierement dans la 2. où i'ay donné la methode d'escrire la Musique auec les seules lettres de l'Alphabet, sans les notes ordinaires; et les caracteres [longa, bravis], monstrent les syllabes qui sont longues et briefues, et par consequent chaque espece de vers, suiuant le Scholiaste de ce Poëte, lequel reduit tous les pieds des vers au nombre de 28. c'est à dire, à tous ceux que i'explique par notes dans la 17. Proposition car il n'y manque que le Dispondée, lequel est composé de deux Spondées, ou de 4. temps longs.
Premiere Ode de Pindare mise en Musique.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 416; text: [ARISTON men hudor; hode] Antispastic Dimetre, Glyconien. [Chrusos, aithomenon pur] Trochaïc Dimetre Brachycatalectic. [Ate diaprepei nu-] Choriambic Dimetre Catalectic. [kti, Meganoros exocha ploutou.] Anapestic Dimetre Catalectic. [Eid' aethla garuen] Semblable au second. [Eldeai philon etor] Item semblable au second. [Miketh' haliou skopei] Trochaïc Dimetre Catalelectic, Euripideen. [Allo thalpnoteron] Trochaïc Monometre Hypercatalectic. [En hamera phaeinon astron] Iambic Dimetre Hypercatalectic. [Eremas di aitheros.] Antispactic, Epionie Dimetre Catalectic. [Med' Olumpias agona] Trochaïc Dimetre Acatalectic. [Pherteron audasomen] Choriambic Dimetre Catalectic. u, r, m, f, s, l, z] [MERHU2_8 16GF]
[-417-] [Mersenne, Livre Sixiesme, 417; text: [Othen ho poluphatos] Proceleusmatic Dimetre Catalectic. [<H>umnos amphiballetai] Semblable au neufiéme. [Sophon metiesi, keladein] Antispactic Dimetre Hypercatalectic. [Kronou paid' es aphnean ikomenous] Antispatic Trimetre Brachic. [Makairan <H>ieronos estian.] Antispatique Trimetre Brachycatalectic. u, r, m, f, s, l, z] [MERHU2_8 16GF]
Or il est euident que l'estenduë de ce Chant n'est que d'vne Dixiéme majeure, et par consequent qu'il faut seulement vser de dix lettres, qui respondent aux dix Dictions dont on vse dans la nouuelle Main, ou Gamme harmonique, comme l'on void icy.
Estenduë du Chant de l'Ode de Pindare.
e mi m d ré r c ut u [sqb] za z' a la l g sol s f fa f e mi m d re r c ut u
Où il faut remarquer que l'on peut commencer cette maniere d'entonner en telle clef que l'on voudra, par exemple en C solut, comme nous auons fait en cette Ode, ou en F ut fa; et pour lors il faudra faire seruir le fa de bfa pour ce qu'il est, et pour le mi de [sqb] en mettant vn accent ou vne diese dessus ou dessous pour signifier qu'il le faut hasser d'vn ton, depuis le mi d'Amilare, et parce que le za se trouuera pour lors en Emila, il faut mettre E za, lequel za fera vn ton auec le re de D laresol, dans les Chants par [sqb] quarre, et vn demiton par bmol, de sorte qu'vn petit accent mis sur zá sauuera le labeur de toutes les muances, et seruira à apprendre à lire correctement la Musique dans fort peu de temps, comme i'ay fait voir bien au long dans les premieres Propositions de ce liure. Mais il faut remarquer qu'il est necessaire d'vser de quelques pauses en de certains lieux des vers precedens, si l'on y veut obseruer les temps, ou les mesures ordinaires des Praticiens, comme l'on void dans le mesme chant qui suit, lequel est marqué auec les notes ordinaires, auec ses propres pauses, ou silences: ce qui sert pour entendre la Musique par les lettres que nous auons mis sur chaque syllabe pour suppleer les notes suiuantes, par lesquelles on verra la mesure et les temps que donne le sieur du Chemin à ces vers.
Mais il faut remarquer qu'il seroit necessaire de mettre l'Antistrophe, et l'Epode de cette premiere Ode de Pindare, pour comprendre parfaitement comme elle se doit chanter, afin de voir toute la varieté de ses trois parties. Ioint qu'il seroit à propos d'y ajoûter la Basse, ou mesme les quatre parties, tant pour les Voix que pour le Leut, ou les autres Instrumens, ce que l'on peut esperer de l'Autheur de ce Chant.
[-418-] Ode de Pindare.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 418,1; text: [ARISTON men hudor; hode Chrusos, aithomenon pur Ate diaprepei nukti, Meganoros exocha ploutou. Eid' aetla garuen Eldeai philon etor Miketh' haliou skopei Allo thalpnoteron En hamera phaeinon hastron Eremas di aitheros. Med' Olumpias agona Pherteron audasomen Othen ho poluphatos <H>umnos amphiballetai Sophon metiesi, keladein Kronou paid' es aphnean ikemenous Makairan <H>ieronos estian.]] [MERHU2_8 17GF]
Il n'est pas necessaire d'auertir des differentes notes de ce chant, qui marquent les longues et les briefues, puis qu'elles sont si euidentes; il suffit d'ajoûter que chacun doit prendre la mesme liberté de marquer les syllabes longues tantost d'vne minime, et d'autrefois d'vne noire, ou d'vne crochüe, soit toute seule ou auec vn point, qui donne souuent bonne grace au chant et à la syllabe, mais les notes qui suiuent immediatement apres pour marquer les syllabes briefues de la mesme diction, doiuent estre de moindre temps, par exemple si la syllabe longue a vne note minime, la syllabe briefue doit auoir vne noire, et cetera dont on void la pratique dans le Chant precedent, et dans l'Ode d'Horace qui suit; sans qu'il soit besoin d'vn plus long discours.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 418,2; text: SOluitur acris hyems grata vice Veris et Fauoni, Trahuntque siccas machinae carinas. Ac neque jam stabulis gaudet pecus aut arator igni: Nec prata cânis albicant pruinis. et cetera] [MERHU2_8 17GF]
[-419-] Quant aux autres couplets de cet Ode, ils se peuuent chanter sur ce mesme chant, pourueu que l'on allonge les syllabes de l'vn qui se trouuent briefues dans l'autre, par exemple la premiere syllabe de la diction trahunt, du couplet precedent est briefue, laquelle est longue dans la diction iunctae qui luy respond dans le second couplet: il faut conclure la mesme chose des autres syllabes.
Or apres auoir monstré la maniere de chanter la Poësie Grecque et Latine, il faut ajoûter la methode de reduire la Françoise à vne aussi grande perfection; ce qu'il est aisé de faire, si l'on vse des mesmes licences que les Grecs, en se seruant des vers mesurez par pieds, ou par syllabes longues et briefues, comme eux; à quoy nos vers rimez estant ajoûtez, nous serons plus riches dans nostre Poësie qu'ils ne sont dans la leur. Mais parce que i'ay traité assez amplement de l'Art Metrique, et de la maniere de trouuer toutes sortes de pieds et de mouuemens dans les vers rimez, il suffit d'ajoûter l'exemple qui suit pour faire voir la maniere de chanter les vers mesurez de Baïf, suiuant l'opinion de Iacques Mauduit: le premier est Dactylique Hexametre, et se mesure par vne simple monopodie; comme le 2. qui est Pentametre; le 3. et le 4. est Anapestic Dimetre Acatalectic; le 5. et le 6. sont Dactyliques Trochaïques.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 419; text: Reçant. çant.] [MERHU2_8 18GF]
I'ay seulement donné icy vn exemple, parce que i'en ay mis plusieurs autres dans la 57. question sur la Genese, tant en Latin qu'en François; mais il est difficile de determiner si ces vers mesurez en nostre langue sont aussi bons et peuuent auoir autant d'efficace en la Musique que les Grecs, attendu que plusieurs les mesprisent, parce qu'ils ne sonnent pas bien à l'oreille, comme les rimez, et qu'ils croyent que nous sommes fort éloignez de l'esprit, de l'industrie, et de la capacité des Poëtes Grecs et Latins: mais ils changeront peut estre d'auis s'ils considerent la mesme mesure, le mesme mouuement, et les mesmes genres de vers, auec d'aussi beaux sujets et d'aussi riches matieres, qui ne sont pas moins bien traitées dans nos vers que dans les leurs, qui ne sonnent pas mieux à l'oreille en effet, n'y ayant que la seule [-420-] coustume qui nous preoccupe, car s'ils eussent commencé par la rime, comme nous auons fait, ils l'eussent peut estre preferée et retenuë.
Auant que de mettre fin à cette Proposition il faut remarquer que quelques vns s'imaginent que l'Ode precedent de Pindare se chantoit au ton Dorien, à raison qu'il met dans l'Antistrophe, [dorian apo phorminga passalou lambane]; mais cela se peut expliquer de l'idiome Dorien, comme la Musique dont parlent les Poëtes, s'entend le plus souuent de l'Encyclopedie des Sciences, ou des bonnes lettres, ausquelles s'appliquent les honnestes hommes, ce qui n'empesche pas que l'on n'ait chanté leurs Odes sur la Harpe, ou sur leurs autres instrumens suiuant l'epithete [anaxiphorminges humnoi], qu'il donne aux Hymnes dedans sa 2. Ode: toutesfois si l'on veut entendre les passages de Pindare, ou des autres Poëtes de certains Instrumens propres pour exprimer le ton Dorien, plustost qu'vn autre, suiuant la remarque de la 30. Proposition du 7. liure des Instrumens de percussion, i'en laisse le libre iugement aux lecteurs. Voyons maintenant toutes les sortes de mesures dont vsent nos Praticiens.
PROPOSITION XXX.
Expliquer le Mode majeur, et le mineur, le temps parfait, et l'imparfait, et la prolation parfaite et imparfaite, auec les Caracteres dont les Praticiens signifient toutes ces sortes de temps.
L'Intelligence de tous ces termes et de leur pratique depend des quatres notes que l'on nomme Maxime, Longue, Breue, et Semibreue, dautant qu'il n'y a que ces quatre notes dont la valeur soit augmentée ou diminuée par les caracteres que l'on met au commencement des reglets de Musique. Or les Musiciens vsent particulierement de trois ou quatres sortes de characteres pour ce sujet, à sçauoir des lettres capitales O et C, dans lesquelles ils mettent quelquefois des points, où les tranchent d'vne ligne, comme l'on void en ces premiers caracteres, et d'vne ou 3. barres, qui trauersent 2. ou 3. espaces, comme font ceux qui suiuent.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 420] [MERHU2_8 18GF]
Outre ces caracteres ils adjoustent encores les nombres 2. ou 3. comme l'on void dans la Table suiuante, laquelle explique si clerement toute cette Proposition, qu'il ne faut nullement trauailler pour la comprendre, car la premiere colomne monstre premierement la note maxime, qui seule appartient au Mode majeur, lequel est parfait ou imparfait, suiuant les caracteres mis au commencement des reglets de Musique, lesquels modifient et determinent la valeur de cette maxime: par exemple l'O 22. de la 5. colomne monstre que le Mode maieur est parfait, comme l'O auec vn seul 2. enseigne qu'il est imparfait: et que le Mode mineur de la 2. colomne, qui contient la note longue, laquelle seule est affectée à ce mode mineur tant parfait qu'imparfait, est rendu parfait par ce mesme caractere; de là vient que le signe de perfection du Mode majeur fait que la Maxime vaut 3. longues; c'est pourquoy i'ay mis 12. à la 7. colomne, et 4. à la 8. vis à vis de la Longue et de la Maxime, pour signifier que cette Maxime comprend et vaut 3. longues, comme 12. comprend 3. fois 4. et ainsi des autres. La 3. colomne appartient à la note que les Praticiens nomment
[-421-] [Mersenne, Livre Sixiesme, 421; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 27, 2/1, 3/1, Mode majeur, Mode mineur, Temps, Prolation, Caracteres vieux, Caracteres nouueaux, Maxime, Longue, Breue, Semibreue, Minime, Parfaite, Imparfaite] [MERHU2_8 19GF]
[-422-] Breue, et au temps parfait ou imparfait, lequel appartient seulement à cette note; or elle a son temps parfait lors que l'vn des caracteres de la 5. ou 6. colomne, vis à vis duquel l'on void, parfait, dans les cellules de la 3. colomne, se trouue sur les reglets. La 4. colomne contient la note Semibreue, et appartient à la Prolation tant parfaite qu'imparfaite, laquelle a aussi ses caracteres de perfection ou d'imperfection dans la 5. ou 6. colomne. Or si l'on compare les quarrez ou cellules de chaque colomne les vns auec les autres, l'on sçaura exactement la valeur de chacune de ces 4. notes, par exemple si on list la 6. colomne en descendant à la marge, lon verra, parfait, dans les 4. premieres cellules, et dans les 5. dernieres les nombres 27. 9. 3. 1. 3/1, qui signifient que la Maxime appartient au Mode majeur, la Longue au Mineur, et la Breue au temps parfait, et que la Semibreue a sa prolation parfaite, et par consequent qu'elle vaut 3. minimes, comme l'on void dans l'onziesme ou derniere cellule, comme la Breue vaut 3. Semibreues, la Longue 3. breues, et la Maxime 3. longues, suiuant les nombres precedens 27. 9. et cetera. Au contraire la 5. colomne prise à la marge fait voir l'imperfection et la moindre valeur desdites 4. notes, à sçauoir 8. 4. 2. 2/1. pour monstrer que la Maxime ne vaut que deux longues, la Longue deux breues, et cetera. Ceux qui desirent des exemples de tous ces temps et ces characteres, les peuuent voir dans le 17. 18. 19. et 20. liure de Pierre Cerone, s'ils n'ayment mieux les attendre du sieur de Cousu Chanoine de Sainct Quentin, lequel en promet vn traité entier auec toutes les regles et les exemples de toutes sortes de Composition. Quant aux exemples, il n'est pas necessaire d'en donner d'autres que ceux que le sieur Aux Cousteaux excellent Musicien a fait depuis peu imprimer à trois parties, car il a donné 50. Trios qu'il a mis dans les 12. Modes tant par Bmol, que par Bquarre, lesquels peuuent seruir d'idée à ceux qui veulent apprendre à composer; et le Reuerend Pere Charles Ambleuille Iesuiste a fait aussi imprimer les Psalmes et les Hymnes des Vespres tant à 4. qu'à 6. parties, qui suppleent abondamment tous les exemples que l'on pourroit icy desirer; c'est pourquoy ie n'en mets point icy, et que i'en ay donné si peu dans les liures de la Composition; car il n'y a ny plaisir ny profit à repeter ce qui a desia esté fait par tant de personnes: ioint que la boutique du sieur Ballard est si pleine et si bien fournie de toutes sortes d'exemples des meilleurs Maistres qui ayent iamais esté, comme i'ay dit dans la 31. Proposition du 7. liure des Instrumens, que l'on ne peut rien souhaiter dauantage, dont le public, et particulierement tous ceux qui font profession de cet Art, ou qui en reçoiuent du plaisir, luy sont grandement redeuables, tant à cause du grand temps et du grand soin qu'il a employé à inuenter les beaux caracteres dont il vse, qui surpassent si fort ceux d'Italie, et des autres lieux, qu'à raison de sa correction, laquelle est si exacte qu'il est difficile de rencontrer vne seule faute dans vn liure entier.
Or il faut remarquer, pour l'intelligence de la Table precedente, qu'en la 6. colomne du milieu, commençant du haut en bas, tous les [Cdim on staff5] et les [Odim on staff3] tranchez sont mis au lieu des [C] et des [Od] ponctuez de la Table de Cerone, parce que l'on n'en a pas de ponctuez en France et que les [C] de la 5. non ponctuez, vis à vis des tranchez de la 6. doiuent estre ponctuez: tout le reste est bien: mais nos Musiciens se contentent d'vser des [O] et [Odim on staff3] et des [C] et [Cdim on staff5] pour toutes sortes de signes.
[-423-] PROPOSITION XXXI.
Expliquer la maniere de chanter toutes sortes de mesures sans les characteres precedens, et proposer ce qui semble de plus difficile dans la Rythmique des Anciens.
ENcore que ie ne blasme, ny ne rejette pas entierement les signes precedens des modes, des temps, et de la prolation, puis qu'il est necessaire d'en connoistre la valeur et les accidens pour entendre la Musique des anciens marquée en cette maniere, neantmoins ie ne doute pas que l'on ne puisse exprimer leurs pensées par les seuls nombres, car il est aisé de destiner chaque reglet, ou ligne des portées à chaque note de celles qui sont sujettes aux modes precedens, à la prolation, et au temps; par exemple, l'vnité mise sur la premiere ligne du chant du reglet signifiera que la maxime vaut trois longues; estant mise sur la seconde ligne, elle seruira pour faire entendre que la longue vaut trois breues; estant mise sur la troisiesme ligne, que la breue vaudra trois semibreues; et estant mise sur la quatriesme ligne, que la semibreue vaut trois minimes: et lors que cette vnité ny sera pas, l'on sçaura qu'elles ne valent que deux des precedentes notes; ou si l'on ayme mieux se seruir de l'vne des lettres de l'Alphabet, par exemple, du P, pour signifier la perfection du mode majeur sur la premiere ligne, du mineur sur la seconde, du temps sur la troisiesme, et de la prolation sur la quatriesme, l'on aura tout ce que l'on peut desirer sur ce sujet, sans aucun embarras et sans vser d'autres caracteres que de ceux de l'Alphabet, qui sont connus de tous ceux qui sçauent lire. Ie laisse les notes noires tant quarrées que rhomboïdes, soit auec queuë ou sans queuë, et auec crochets ou sans crochets, et tous les [C] droicts et renuersez [CL], barrez, et diuisez d'vne, de deux, ou de trois barres, dont Cerone traite fort amplement dans son 19. liure, et Zarlin depuis le 67. iusques au 72. chapitre de la 3. partie de son Institution, afin de remarquer les plus grandes difficultez que ie trouue dans la Rythmique des anciens. Ie di donc premierement qu'il semble que leur [arsis] et [thesis] est difficile à pratiquer dans les chants, et mesme dans la prononciation des vers, parce qu'ils veulent que l'on esleue tousiours la voix dans l'arsis, et qu'on la baisse dans le thesis, au lieu que nos Praticiens se contentent d'abaisser et de leuer la main pour faire le signe de la mesure, que les Hespagnols appellent Compas. Si l'on pouuoit prendre l'eleuation de la voix pour son renforcement, soit dans vn mesme ton, ou sur differentes chordes, et son abaissement ou sa remission pour son affoiblissement, il seroit plus facile de les pratiquer en chantant, de mesme qu'on pratique les Echo sur les Instrumens, mais les Auteurs Grecs que i'ay leu, soit imprimez ou manuscrits, parlent de l'arsis, comme d'vne eleuation de voix plus aiguë, par laquelle ils veulent qu'on commence le premier temps du Pyrryche, que Bacchius et plusieurs autres appellent [hegemon], comme le premier de tous les pieds. Ils commencent ainsi tous les autres pieds qui ont des syllabes briefues à leur commencement, par exemple, l'Anapeste en leuant la voix, et ceux qui commencent par des syllabes longues en la baissant; quoy que sainct Augustin et plusieurs autres Latins prennent la mesure comme nos Praticiens, à sçauoir pour l'eleuation et l'abaissement de la main.
[-424-] La seconde difficulté consiste à sçauoir pourquoy ils n'ont vsé que de seize temps dans le rythme égal, comme Martianus Capella remarque apres les Grecs, dans son 9. liure, où il determine encore le nombre des syllabes du genre double, sesquialtere, et sesquitierce; mais il y a tant d'obscurité, et peut estre de fausseté, ou de repugnance dans ce que nous lisons és derniers chapitres de ce liure, que ie ne peux m'imaginer qu'il ne s'y soit glissé plusieurs corruptions.
La 3. difficulté me semble encore plus grande, à sçauoir de quels rythmes l'on doit vser pour toutes sortes de passions, et quel ordre l'on doit garder en toutes sortes de rencontres pour passer d'vn mouuement à l'autre. Peut estre qu'ils ne l'ont pas mieux connu que nous, et que comme le premier qui s'est auisé par rencontre et par hazard de faire des vers hexametres composez de spondées et de dactyles, et des Pentametres plus courts d'vne syllabe, a esté suiuy de tous les autres, le premier qui a introduit le nombre de temps, ou de syllabes pour chaque autre espece de vers ou de mouuemens, a semblablement esté suiuy, quoy qu'il n'eust point de raison pour establir plustost ce nombre de temps que tel autre qu'il eust voulu, si ce n'est que l'on die qu'il ait mesuré ce nombre par la durée de la voix qu'vn homme peut tenir sans reprendre son vent ou son halene. Si quelqu'vn se croid assez clairuoyant dans l'antiquité pour donner des raisons peremptoires de ces difficultez sans recourir au hazard, et à ce que i'ay dit icy, il obligera le public s'il luy en fait part, et particulierement tous ceux qui se plaisent à la Poësie, ou à l'Harmonie. A quoy il semble que sainct Augustin donne quelque entrée, et quelque sorte de lumiere dans ses 6. liures de la Musique Rythmique, c'est pourquoy ie les donne dans la Proposition qui suit, afin que nos Musiciens ioüissent des belles pensées de cet excellent Pere de l'Eglise.
PROPOSITION XXXIII.
Expliquer ce que sainct Augustin a de plus particulier en ses 6. liures de la Musique Rythmique.
I'Ajoûte cette Proposition en faueur de ce grand homme, dont les 6. liures de Musique ont esté perdus dés son temps, comme il remarque luy mesme, dans lesquels i'estime qu'il auoit traité les mesmes choses que Boëce: quoy qu'il en soit, les six qui nous restent doiuent auoir pour leur Inscription, De la Rythmique, ou De la Metrique, puis qu'il traite des pieds et des vers, dont i'ay parlé dans ce 6. liure, et non De la Musique, dont il se contente d'expliquer la description, qui consiste à sçauoir bien chanter ou mouuoir la voix par toutes sortes de degrez et d'interualles; mais i'ay expliqué si amplement dans le liure des Chants et ailleurs, ce que c'est que la Modulation, et la Musique, qu'il n'est pas à propos d'en parler dauantage. Or apres auoir mesprisé les mouuemens des doigts, et tout ce que les Ioüeurs d'instrumens ont appris par imitation, et par coustume, à l'égard de la science, qui reside dans l'entendement, parce que les perroquets et plusieurs autres animaux sont capables de cette imitation par le moyen de leurs sens exterieurs et interieurs, et de leur memoire, il conclud que les Musiciens qui ont seulement appris cet art pour en tirer du profit, de l'honneur, et de [-425-] la vanité, ne connoissent pas la science de Musique, autrement ils l'estimeroient meilleure que le lucre, et l'honneur, qu'ils luy preferent, car les sciences sont mises entre les biens honnestes, qui sont aymables d'eux mesmes. Il employe le reste du premier liure à parler des nombres, dont les raisons les plus aisées à comprendre plaisent dauantage dans toutes sortes de mouuemens et de temps; mais i'ay traité si amplement de toutes leurs raisons, tant dans le liure des Consonances, que dans celuy de l'vtilité de l'Harmonie, et és autres, que i'estime que sainct Augustin s'en contenteroit luy mesme. I'ajoûte seulement qu'il appelle les nombres multiples, complicatos, et les surparticuliers sesquatos, et qu'il nomme ces deux sortes de nombres connumeratos, et les surpartiens dinumeratos. Et puis il finit par le ternaire comme par le premier nombre parfait, qui a commencement, milieu, et fin, et par le quaternaire, lequel est pair, qu'il estime grandement, à raison que 1, 2, 3 et 4, font le nombre dix, qui est le dernier des simples nombres; or i'ay traité fort exactement de ce nombre quaternaire, et denaire, dans la 9. question des Preludes de l'Harmonie, c'est pourquoy ie viens au second liure de Sainct Augustin, dans lequel il essaye de trouuer pourquoy les arrangemens des temps, et des mouuemens differents, qui sont dans les vers dont nous auons parlé dans nostre Rythmique, plaisent aux sons et à l'esprit, lequel considere aussi bien la raison double, ou sesquialtere, et cetera entre deux mouuemens, dont l'vn dure vne heure ou vn iour, et l'autre 2, ou 3 heures, ou iours, ou siecles, comme entre ceux qui font le pied ïambic, ou le Paeonic; ou ceux qui font les sons de l'Octaue, ou de la Quinte, quoy que ces deux sortes de mouuemens soient si tardifs, ou si vistes; que nul sens n'est capable de les apperceuoir: d'où il est aisé de conclure que l'entendement est bien plus excellent et plus vniuersel que les sens.
Dans tout le 2. liure il ioint les raisons d'égalité, la double, la sesquialtere, et la sesquitierce aux pieds des vers, et monstre en combien de manieres les temps longs se peuuent ioindre aux briefs dans les pieds de 2, 3, 4 et cetera syllabes, ce que nous auons expliqué cy-dessus tant par discours, que par l'exemple des pieds, des vers, et des notes.
Apres auoir mis les exemples de tous les pieds, dont nous auons donné la Table dans la 17. Proposition, il est d'accord que les vers composez des pieds dont les temps sont égaux, sont les plus excellens, comme il arriue aux Hexametres, et Pentametres dactyliques, parce que tous leurs pieds sont composez de quatre temps: dont il excepte l'Amphibraque, parce qu'il n'a pas son frapper égal à son leuer dans la mesure, car il faut faire vn seul temps en baissant la main, dans le [thesis], et 4. dans l'[arsis], en la baissant, ou au contraire, au lieu que le Spondée, le Dactyle, l'Anapeste, le Proceleumatique, et cetera ont leur leuer égal à leur baisser, qu'il nomme plausus; de sorte que tous ces vers sont propres pour la mesure binaire, et ceux dont le leur est au baisser, comme 3. à 2. pour la ternaire des Praticiens: mais l'Amphibraque, que i'ay nommé Scolien, a son baisser triple ou sous-triple de son leuer, c'est pourquoy les Praticiens nommeroient sa mesure quaternaire, parce qu'elle se diuise en quatre parties, quoy quelle soit plustost ternaire, comme i'ay dit ailleurs.
Ayant rejetté ce pied d'entre les autres, il monstre que tous ceux de six temps se ioignent fort bien ensemble, à sçauoir les Ioniques, et les Dipodies [-426-] Trochaïques, et Iambiques auec le Molosse, et l'Antispaste, à raison du nombre Senaire, dont le milieu est égal à l'vn et l'autre de ses costez, car il est composé de trois binaires, et est le premier nombre circulaire et parfait. Le pied Pyrriche va tout seul; le Trochée ne se joint pas bien à l'Iambe, à raison du different battement de leur mesure, parce que le baisser de l'vn est double du baisser de l'autre. Le Spondée, le Dactyle, l'Anapeste, et le Proceleumatique conuiennent fort bien ensemble tant en leur temps qu'en leur mesure. Le Baccheen reçoit le Cretique, et le 1, 2, et 4 Paeon; et le Palimbacheen reçoit les mesmes pieds, excepté le 2. Paeon, au lieu duquel il a le 3; de sorte que tous les pieds des 5. temps peuuent se joindre au Cretique, et au 1 et 4 Paeon. Entre ceux qui ont 7 temps, le 1 et 2. epitrite conuiennent; et puis le 3 et le 4, parce que ceux-là commencent leur baisser par trois temps, et ceux-cy par 4.
Dans le 3 liure, il distingue le Rythme d'auec le Metre, et le Vers, en ce que le premier signifie vn mouuement reglé par les pieds precedens, sans aucune fin determinée, comme lors qu'on fait cent mouuemens ou tel autre nombre que l'on veut, tout de suite, sans discontinuer, par exemple cent ou deux cens mouuemens dactyliques: le second a vn certain nombre de pieds, par exemple, 5, ou 6, mais il n'est pas obligé à de certains pieds, ou de certaines cesures en deux lieux determinez, comme le troisiesme, qui doit tousjours auoir vn certain retour et de certaines syllabes et cesures en des endroits determinez, comme il arriue au Vers Hexametre, qui doit auoir sa cesure au 9 temps, ou apres ses deux premiers pieds, et qui doit estre composé de deux membres qui se respondent tousiours.
Mais il y a particulierement deux choses dignes de remarque en ce liure, dont l'vne est que l'on ne peut distinguer le Rythme Pyrriche dauec le Proceleumatique, par le batement qui marque la mesure; ce qui arriue semblablement aux pieds composez comparez aux simples dont ils sont composez, c'est pourquoy l'on doit rapporter leurs mouuemens à ceux desdits simples, tant qu'on peut. L'autre consiste à suppleer les vers imparfaits par le moyen des silences ou pauses; par exemple, lors que le vers est Brachycatalectic, c'est à dire, lors qu'il luy manque deux syllabes ou deux temps, il faut faire autant de pauses comme il y manque de temps, afin que la mesure se trouue entiere en finissant chaque vers, et que chacun recommence en frappant ou en baissant la main. Il enseigne encore que le moindre metre est composé d'vn pied et demy, et par consequent du moins de trois temps, qui respondent à vn Pyrriche et demy; et que le moindre vers est composé de huict temps, et le plus grand de 38. ce qui conuient encore au metre, lequel n'ayant que trois temps, le silence d'vn temps doit acheuer ses deux pieds chorées, ou ses quatre temps: or il n'y a que le batement de la mesure qui face discerner le rythme ou le mouuement continué du Pyrriche, d'auec le Trybrache, et les autres pieds composez de syllabes brefues. Dans le 4. liure, il compose des Metres de 7. Pyrriches,
Leuicula, fragilia, gracilca bona,
Quae adamat animula similis erit eis.
Ausquels il adjoûte ces metres de huict Pyrriches
Solida bona bonus amat, et ea quae amat, habet:
Itaque nec eget amor, et ea bona Deus est.
[-427-] Il donne aussi des exemples de 14. sortes de metres Iambiques, et autant de Trochaïques, et de Spondaïques, dont le 7. Trochaïc est
Veritate facta cuncta sunt, omniúmque forma veritas;
Et les deux derniers sont Iambics.
Beatus est videns Deum, nihil boni amplius volet.
Malus foris bonum requirit, hinc eget miser homo,
Et le 4. Spondaïc
Solus liber viuit qui errorem iam vicit.
Mais au lieu qu'il n'y a que 14. especes de metres en chacun de ces trois genres, il en met 21. composez de Tribraches, à raison des differents silences dont on vse pour acheuer les imparfaits. Il monstre quels pieds se ioignent bien ensemble, et met 568 sortes de metres, soit qu'on vse de silences, ou qu'ils soient entiers, esquels il maintient que la derniere syllabe du dernier pied ne se doit pas faire briefue, ou longue indifferemment, lors qu'on poursuit d'autres vers semblables, mais qu'il luy faut donner la quantité, ou le temps que desire la nature du vers, par exemple, elle doit tousiours estre longue dans chaque Spondée, et briefue dans les purs Trochées, et Pyrriches. Mais il n'y a ce me semble rien de si remarquable dans tout ce liure, que ce qu'il dit des silences ou pauses, que l'on peut faire non seulement à la fin du metre imparfait, mais aussi en tel autre lieu que l'on voudra, mesme au commencement, afin de rendre le vers tel qu'il plaira au Musicien, par exemple il fait vne pause d'vn temps apres les trois premieres syllabes Iam satis terris, du vers d'Horace.
Iam satis terris niuis atque dirae Grandinis, et cetera.
Il fait aussi deux pauses apres les cinq premieres syllabes de ce vers,
Gentiles nostros inter oberrat equos.
Et deux autres à la fin, pour le reduire aux metres composez, qui ont leurs pieds de six temps, car le premier est vn Spondée, auquel il manque deux temps; le 2 est vn Molosse; le 3 vn Choriambe, et le 4 vn Anapeste, de sorte qu'il faudroit scander ou mesurer ce vers en cette maniere, pour le chanter suiuant l'intention de sainct Augustin.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 427; text: Gentiles nostros, inter oberrat equos.] [MERHU2_8 18GF]
Et partant que les endroits et le nombre des pauses dependent de la volonté du Musicien, qui peut donner plusieurs sortes de mouuemens et de cadences à vne mesme lettre, suiuant les pieds, ausquels ils la reduira par le moyen des pauses mises au commencement, à la fin, ou en tel autre lieu qu'il voudra: d'où les Compositeurs d'Airs peuuent tirer mille sortes d'inuentions, s'ils vsent des silences necessaires, qui seruent à parfaire les metres et leurs pieds imparfaits, et des volontaires, dont on vse pour allonger chaque espece de metre iusques à 32 temps: surquoy ie leur conseille de lire tout ce 4. liure de sainct Augustin, qui leur apprendra comme il faut mesler les pieds et le nombre des pauses, qui sont permises en chaque lieu. Ioint que dans son 5. liure il traite fort amplement des vers, et particulierement des senaires, qu'il prefere à tous les autres, dont le plus excellent est l'Hexametre Heroïque, par exemple le premier de l'AEneide, Arma virúmque, et cetera qu'il mesure et scande en faisant la premiere syllabe à part, afin de faire deux Anapestes de ce qui suit dans le premier membre ou la premiere partie du vers, en cette façon,
[-428-] [Mersenne, Livre Sixiesme, 428; text: Arma virúmque cano] [MERHU2_8 18GF],
afin que la premiere partie du vers finisse par vn pied entier: Or cette premiere syllabe peut estre comparée au temps que l'on fait auant que de commencer le premier pas des Branles ou de certaines chansons à dancer. Il enseigne plusieurs autres choses des parties des vers, qu'il diuise en 4 et 3, 3 et 5, 5 et 7, 6 et 7, 8 et 7, et 7 et 9, et reduit tous les Senaires aux Heroïques et aux Trochaïques, ou Iambiques. Mais puis qu'il a fait ses 5. liures pour détacher les hommes de bon esprit des choses sensibles par le moyen des nombres et de la raison, et pour les transporter à Dieu, et afin que, comme il parle au commencement du 6 liure, Vni Deo et dominorum omnium, qui humanis mentibus nulla naturâ interpositâ praesidet, incommutabilis veritatis amore adhaerescerent, il est raisonnable que nous ioüissions du fruit qu'il en tire dans ce dernier liure, lequel consiste principalement à monstrer que nous auons vne certaine espece de mesures, de temps, et de mouuemens dans l'esprit, qui nous auertissent des nombres et des temps de ce qui resonne, à nos oreilles, ou de ce qui donne plaisir aux autres sens. Il fait quatre degrez de nombres, dont le premier est dans le son; s'il eust pris nostre phenomene du nombre des retours que font les chordes, ou des batemens et mouuemens de l'air, il les eust peu mettre dans l'oüye, où il met le 2. degré des nombres, car le petit tambour, ou la membrane de l'oreille interne endure autant de petites secousses que les chordes font de retours. Le 3. degré consiste à faire que le nombre des mouuemens d'air aillent plus ou moins viste, et c'est ce qui fait le graue et l'aigu dans les sons: le 4. depend du souuenir que l'on a de ces nombres, et le 5. consiste dans l'approbation que l'on fait naturellement de ceux qui nous agreent, ou dans le desaueu de ceux qui nous deplaisent. Or il tient que les 3 premiers degrez sont plus excellens que le 4, parce que l'ame deuient meilleure en s'éloignant des nombres materiels pour s'vnir aux spirituels et diuins, par lesquels elle est reformée. Où il faut particulierement remarquer qu'il tient que les corps et les choses corporelles n'agissent point sur l'esprit, lequel fait tout ce qu'il veut du corps, et dans le corps, excepté qu'il s'oppose souuent à ses actions; d'où il arriue que l'on dit qu'il sent de la douleur, lors qu'il est grandement attentif à la difficulté de son action, et de la volupté, lors qu'il considere attentiuement que l'action du corps est conforme aux siennes; de sorte que toutes les passions que l'on transporte du corps à l'esprit, ne sont autre chose que les differentes considerations de l'esprit, qui agit sur le corps auec vn si grand repos dans la santé, qu'il n'apperçoit quasi pas son action, tant elle est aisée, au lieu qu'elle la considere fort attentiuement dans la douleur, parce qu'elle a pour lors beaucoup plus de peine à agir. Mais tout le 5. chapitre, et particulierement le dernier tiers merite d'estre leu pour les belles pensées de sainct Augustin, dont l'vne des principales monstre ce que l'ame aquiert en se conuertissant à Dieu: Conuertenti se ad Dominum maior cura oritur, ne auertatur, donec carnalium negotiorum requiescat impetus effraenatus consuetudine diuturnâ, et tumultuosis recordationibus conuersionis eius sese inferens: ita sedatis motibus suis, quibus in exteriora protrahebatur, agit otium intrinsecus liberum, quod significatur sabbatho, si cognoscit solum Deum esse Dominum suum, cui vni summâ libertate seruitur.
Apres ces eleuations d'esprit il reuient aux nombres Sonores, qu'il nomme [-429-] Iudiciales, lors qu'ils seruent à l'ame pour iuger de leur proportion, quand mesme qu'ils sont euanoüis; progressores, lors qu'elle employe ses propres nombres pour se torner vers son corps, et pour le mouuoir: occursores, quand elle en vse dans les passions du corps; et recordabiles, entant qu'ils demeurent dans la memoire; de sorte qu'il met 4. sortes de nombres, qui dependent des Sonores: et parce que nous sommes vne petite partie de l'vniuers, nous ne iugeons pas des pieds qui ne nous sont pas proportionnez, comme il arriue à l'Iambe qui se fait de deux mouuemens, dont l'vn dure six mois, et l'autre vne année. Et si les nombres Sonores s'effaçoient de la memoire à proportion qu'ils s'euanoüïssent dans l'oreille, nous ne pourrions iuger d'aucun pied, car pendant que la seconde partie de l'Iambe s'imprimeroit dans la memoire, la premiere n'y seroit plus, et par consequent l'ame n'auroit nuls nombres iudiciels; comme il arriueroit qu'elle ne pourroit iuger si vn corps est rond ou quarré, si chaque partie s'effaçoit de la memoire comme de l'oeil: mais le mouuement passé demeurant en quelque façon dans la memoire, sert pour nous faire ressouuenir, lors qu'il est excité, et comme accompagné d'vn nouueau mouuement exterieur. Apres auoir consideré les nombres Iudiciels, qui seruent seulement pour iuger des mouuemens sujets au temps, il essaye de s'esleuer à d'autres nombres plus sublimes et plus excellens, qui ne dependent point des interualles passagers des temps, et qui surpassent tous les autres: c'est par leur moyen que nous iugeons que tel ou tel mouuement n'est pas agreable, et que nous voyons la cause de l'agreement dans l'egalité des parties de tous les pieds Rythmiques, dont nous auons parlé. Surquoy il faut lire son 11. chapitre, où il compare les mouuemens de tout le monde à vn vers, et monstre la beauté de la prouidence diuine en toutes choses.
Coelestibus terrena subjecta orbem temporum suorum numerosa successione quasi carmini vniuersitatis consociant. In quibus nulla nobis videntur inordinata et perturbata, quia eorum ordini pro nostris meritis assueti sumus, nescientes quid de nobis diuina prouidentia pulchrum gerat.
Or tout son discours tend à faire comprendre les nombres incommuables et eternels de l'ame, par lesquelles elle void la parfaite égalité, et toutes les autres raisons et proportions imaginables dans vne aussi grande perfection, comme les Anges les voyent; ce qui appartient à la pure Mathematique, qui n'est nullement empeschée par la matiere, ni par le temps et les mouuemens, d'où il s'éleue à Dieu qui a imprimé cette eternité dans l'esprit, dont nous voyons la beauté, mais nous ne la possedons pas dans sa perfection, car nous nous amusons à considerer la beauté et l'égalité des nombres et des temps dans les sons, qui en sont comme la lumiere, ou dans l'Architecture, qui contente l'oeil par son égalité et sa symetrie, de sorte que l'vnité comparée à l'vnité, c'est à dire à soy-mesme, est le principe du plaisir dans tous les sens; et parce qu'elle se treuue seulement en Dieu dans toute l'estenduë de sa perfection, elle nous distrait l'esprit lors qu'elle est considerée és autres, quoy qu'il donne vn art, par lequel on peut reduire tous ces nombres à l'vnité: ce que l'on fait en en rapportant l'vsage à l'vtilité du prochain, et en transportant l'egalité des nombres considerez dans le Pyrriche, et les autres Rythmes, à la source de l'egalité, qui ne change iamais, quoy que l'egalité des temps du Pyrriche, ou Chorée, se puisse changer en celle du Spondée, [-430-] si l'on allonge ses temps. Ie laisse ce qu'il dit des quatre Vertus Cardinales, par lesquelles il veut que l'ame gouuerne tous ces nombres, et qu'il met dans la contemplation, la sanctification, l'impassibilité, et l'ordre admirable qu'auront les Saincts, afin d'acheuer le sommaire de ces liures par vne excellente comparaison, dont il vse pour expliquer que le monde a esté creé de rien, comme la ligne est produite par le point qui n'est rien à l'egard de ladite ligne, comme la ligne n'est rien comparée à la largeur, ny la largeur en comparaison de la profondeur. Or ie remarque dans ces traitez, aussi bien que dans les autres, que ce grand Docteur imite nostre Seigneur, en rapportant tout ce que l'on peut s'imaginer de sublime, d'excellent, et de parfait dans la vraye Religion, dans les sciences, et dans tout le monde, à ces deux preceptes, qui contiennent la Loy et les Prophetes, Ayme Dieu de tout ton coeur, et de toutes tes forces, et ton prochain comme toy mesme. Ce que l'on peut fonder sur ce Commandement naturel, que l'on peut appeller le principe de la Morale, Fais, ou ne fais pas aux autres ce que tu desire, ou ce que tu ne veux pas que l'on te face; car l'on peut l'appliquer à Dieu, et à l'homme, parce que si vn homme bien sensé se propose la maniere dont il voudroit qu'on se comportast en son endroit, au cas qu'il fust Dieu, il verra incontinent qu'il desireroit que tous les hommes l'aimassent plus que tout autre chose, et qu'ils endurassent plustost toutes les peines imaginables, que de l'offencer tant soit peu; de sorte que l'homme ne peut mieux faire que de rendre à Dieu ce qu'il voudroit qu'on luy rendist, s'il estoit en sa place, et que la mesme lumiere qui nous conduit à nostre deuoir vers le prochain, nous enseigne quant et quant quels deuoirs il faut rendre à Dieu.
COROLLAIRE I.
Ceux qui voudront sçauoir plus particulierement toutes les sortes de vers dont les anciens ont vsé, doiuent lire Terentianus Maurus, d'où sainct Augustin a pris vne bonne partie de ce qu'il rapporte des Rythmes, des Metres, et des vers dans ses six liures: car il a beaucoup de choses fort particulieres, par exemple, il discourt fort amplement dans son dernier chapitre des vers d'Horace, Soluitur acris hyems, dont i'ay donné la Musique dans la 28. Proposition comme il fait de plusieurs autres vers tant d'Horace que des autres Poëtes dans ses autres chapitres, où il parle de leur quantité et de leurs pieds. Il faut seulement remarquer qu'il tient que la seule mesure egale, double, et sesquialtere sont propres pour la Musique, et par consequent que nos Compositeurs pratiquent tout ce qu'il dit, en vsant de la mesure qu'ils appellent binaire, ternaire, et sesquialtere, ou hemiole. L'on peut aussi lire ce que Bede, Victorin, Plotius, Fortunatian, Rufin, Seruius, et les autres Auteurs anciens ont dit des Metres et des vers, si l'on n'ayme mieux s'arrester à ce qu'en a escrit Ephestion.
COROLLAIRE II.
Ceux qui ayment la Prosodie, l'Ortographie Françoise, et les vers mesurez, profiteront à la lecture du traité de l'Ortographie Françoise mis à la fin du Dictionnaire des rimes, lequel on attribuë au sieur de la Noüe, qui [-431-] donne plusieurs auertissemens fort vtiles tant pour l'ortographe que pour les vers; et particulierement, qu'oûtre les 3 e differens, qui sont necessaires en nostre langue, il y en a encores deux autres, à sçauoir vn é masculin, lequel est long, comme en la 3 syllabe de ce mot éfrontément, au lieu qu'il est bref dans la premiere: et puis vn ê, qui est bref, comme l'on void en fêr, quoy qu'il ne soit pas necessaire d'inuenter de nouueaux e pour ce sujet, car il suffit d'ajoûter des accents pour monstrer quand lesdits e sont longs, briefs, ou indifferens; ce que l'on pourroit aussi pratiquer sur les autres. I'aioûteray seulement que l'é dont il parle, et qu'il dit estre brief dans la diction fer, n'est pas bref à proprement parler, non plus que l'é de la 2 syllabe de tristesse; mais seulement à l'égard de l'ê tres-long, tel qu'il est dans la premiere syllabe de fête, pour feste: de sorte que l'on peut marquer ledit è de la 2 syllabe tes, d'vn accent graue, afin de signifier qu'il est du moins aussi long que l'é aigu, comme en ces mots tristèce et fêt, nèt, et cetera pour tristesse, fait, net, et cetera cecy posé tri n'est pas plus long que stè; au contraire on le peut faire plus bref. Surquoy il faut remarquer que toutes les syllabes qui precedent l'e feminin peuuent estre allongées, et que celles qui precedent ces allongées sont fort souuent briefues, comme il arriue dans ledit vocable tristèse: par où l'on corrigera ce qui est dans la 405. page: de sorte que l'e feminin donne la loy aux deux syllabes precedentes de la mesme diction.
Il faut encore remarquer que l'è de la 2 syllabe des vocables de l'antepenultiesme ligne de la 381. page, comme en Duchesse, n'est pas semblable à celuy d'orêzon, et cetera de la ligne precedente, lequel est circonflexe, au lieu que l'autre est graue, et vaut autant que l'ai qui est en fait, ou en lait, et cetera.
COROLLAIRE III.
Quant à ce qui concerne les vers mesurez François, dont i'ay parlé fort amplement dans ce liure, il est certain qu'estant rimez et mesurez ils peuuent auoir bonne grace, comme i'ay monstré par quelques exemples, ausquels on peut ajoûter ceux que fait et rapporte le sieur Pasquier dans le 12. chapitre du 7. liure des Recherches de la France; i'en mets seulement quelques Distiques ou couplets, dont le premier est de sa façon; il asseure qu'il feist voir toute la piece à Ramus l'an 1556. et ajoûte que Iodelle en auoit fait trois ans deuant, et que Claude Butet en a le premier monstré le chemin dans ses oeuures Poëtiques. Voicy donc deux vers ou vn distique dudit Pasquier, dont le 7. liure est tout plein de remarques pour la Poësie, et merite d'estre leu, pour sçauoir le progrez de la Poësie Françoise.
Plus ie requiers, et plus ie me tiens seur d'estre refusé,
Et ce refus pourtant point ne me semble refus.
Il ajoûte des Saphiques et des Ioniques mineurs de Passerat, qui sont fort bien faits; dont i'en mets seulement icy 2 des Ioniques.
Vn Été froid, vn Hiuer chaud, me gele et fond,
Mine mes nerfs, glace mon sang, ride mon frond.
Mais il faut auoüer que les Saphiques sont les plus agreables de tous dans nostre langue, lors qu'ils sont rimez, comme il est aisé de iuger par l'Epitaphe que Rapin a fait de Ronsard, dans vne Ode de 18. couplets, dont ie mets icy le premier.
[-432-] Vous qui les ruisseaux d'Helicon frequentez,
Vous qui les Iardins solitaires hantez,
Et le fonds des bois, curieux de choisir
L'ombre et le loisir. et cetera
Plusieurs personnes de qualité en ont fait d'Hexametres, d'Iambiques, et de Saphiques, pour exprimer le Pater noster, les Commandements de Dieu, les Psalmes, les Hymnes de l'Eglise, et plusieurs autres choses, lesquels ie communiqueray librement à ceux qui ayment cette espece de Poësie.
COROLLAIRE IV.
Quelques-vns tiennent que Pasquier a tasché d'oster la gloire à Baïf d'auoir esté le premier qui a donné le commencement aux vers mesurez en nostre langue, à raison que s'estant voulu mesler d'en faire il auoit fait la premiere syllabe de gracieux longue, laquelle est briefue, dequoy Baïf le reprit par ces vers vn peu raillards.
Tu es mal gracieux Poëte Pasquier
Quand du mot gracieux tu fais le gra long:
Va t'en, va chicaneur ton, S, alonger,
Laissant là comme il est le pauure François.
Dautant que Pasquier estoit Aduocat, car on dit que les Aduocats tirent l'S pour amplifier les roolles de leurs escritures. En effet Iean Antoine de Baïf tesmoigne dans la Preface de ses Poëmes, laquelle il addressa au Roy l'an 1573 que nul n'auoit entrepris de faire de ceste sorte de vers en François, lors qu'ayant recognu qu'il auoit appris la Poësie Grecque et Latine de Dorat, il dit:
C'est par luy que sortant de la vulgaire trace
Dans vn nouueau sentier moy le premier ie passe,
Ouurant à vos François vn passage inconnu,
Que nul parauant moy dans France n'a tenu.
Nul Poëte ne s'est vû si osé d'entreprendre
D'y entrer seulement. Par où m'y dois-ie prendre?
Ie n'y voy rien frayé; ie n'y voy rien ouuert.
Ie voy tout de haliers et de buissons couuert.
Laisseray-ie d'aller? la force et le courage
Ne me faudront iamais. I'ouuriray le passage, et cetera.
Or si cela n'eust esté vray, il n'y a nulle apparence qu'il eust osé s'en vanter publiquement, sans en estre repris par plusieurs Poëtes, et autres excellens esprits qui viuoient de son temps; et Pasquier mesme n'a rien escrit de contraire tandis que Baïf a vescu.
Mais puisque la plus grande partie de ce liure a esté employée en faueur des vers, i'y veux ajoûter la Meditation qu'vn excellent Poëte a faite sur le 136. Psalme, Super flumina Babylonis, afin que nos Musiciens en vsent pour faire des Chants tristes et lugubres, et tous les Chrestiens pour se consoler dans leurs tristesses et douleurs, à l'imitation des Israëlites; Lors qu'apres, et cetera. Or s'ils veulent vser des Rythmes, il leur sera aisé de donner la mesure des temps de chaque syllabe, et diction à leur Musique; par exemple, [-433-] le premier sizein se mesure selon les pieds qui suiuent,
[Mersenne, Livre Sixiesme, 433] [MERHU2_8 18GF]
dont le premier est composé de deux Cretiques, d'vne Dipodie Iambique faite d'vn Anapeste et d'vn Iambe, et d'vn Trochée: ou (si l'on met l'Anapeste tout seul) d'vn Antispaste. Le second est composé d'vn Spondée, d'vn Iambe, d'vn autre Spondée, d'vn Anapeste, et d'vne Dipodie Trochaïque. Le 3. a vn Cretique, vn Bachean, vn Palimbachean, et vn autre Cretique. Le 4 a 2 Tautopodies Iambiques, vn Dactyle, et vn Trochée. Le 5. est composé d'vn Palimbachean, d'vn Cretique, d'vn autre Palimbachean, et d'vn Antispaste; et le 6 a deux Bacheans, vne Tautopodie Iambique, et vn Iambe: d'où il est aisé de conclure que ces vers sont Polyschematistes, dont les Musiciens verront l'effet, s'ils suiuent ces pieds et cette mesure: car il est facile de treuuer les pieds des autres couplets.
PSEAVME CXXXVI.
LORS qu'apres les trauaux d'vne guerre mortelle,
Assis dessus les bords du riuage infidelle,
Nous prenions la fraischeur des eaux et des zephirs;
Touchez du souuenir des nos tristes alarmes,
Nous fismes dans le fleuue vn fleuue de nos larmes,
Et meslasmes au vent celuy de nos soupirs.
Quelquefois de Sion l'image renaissante,
Paroissant à nos yeux superbe et florissante,
Consoloit nos douleurs de quelque reconfort;
Et quelquefois aussi sous les fers engagée,
Les yeux baignez de pleurs et la face changée,
Elle les augmentoit et nous donnoit la mort.
Ceux qui nous conduisoient nous firent mille outrages,
Et mirent plus de trouble en nos tristes courages,
Que l'Euphrate agité n'en fit voir en ses eaux;
Nous seruions de joüet à ces ames tragiques,
Et fusmes à l'effort de leurs rages publiques,
Ce que furent aux vents les fragiles roseaux.
Nostre ennuy fut si grand qu'il fit taire nos plaintes,
Nos coeurs furent blessez des plus rudes ataintes
Qu'en ce bannissement ils peussent receuoir;
Et nos Luths qui pendoient aux saules du riuage,
Ne se firent oüyr à ce peuple sauuage,
Que par le bruit du vent qui les faisoit mouuoir.
[-434-] Sous les fueillages verds ou nous fusmes à l'ombre,
Nous souffrîmes des maux dont l'excez et le nombre
Nous ostent le moyen de les representer;
Mais si iamais aucun força nostre constance,
C'est l'orgueil insolent, c'est l'injuste arrogance
Dont nos gardes cruels nous pressoient de chanter.
Recitez, disoient-ils, ces chansons agreables,
Poussez dedans les airs tous ces airs admirables
Qui couronnoient la fin de vos actes guerriers;
Celebrez sur vos Luths nostre juste conqueste,
Et chantez dans les fers ou le sort vous arreste,
Tout ce que vous chantiez au milieu des lauriers.
C'est ainsi que parloit cette troupe inflexible,
Lors qu'exigeant de nous vne chose impossible,
Elle nous enuioit ce moment de repos;
Mais de tous ces discours nous fismes peu d'estime,
Et chacun repensant au malheur de Solyme,
Sembloit dire en ses pleurs ce genereux propos.
Pourrois-je bien chanter alors que ie soupire?
Pourrois-je de ma voix honorer vn Empire
Qui me rend sous les fers et captif et confus?
Sentirois-je si peu la grandeur de mes pertes?
Oublirois-je si fort tant d'injures soufertes,
Que ma langue fust libre où mon corps ne l'est plus?
Non non, il ne faut pas que pour quelque menace
Où leur ambition ait porté leur audace,
Ie consacre à leurs voeux la gloire de mes Chans;
Et que les mesmes airs dont nos voix animées
Celebroient le pouuoir du grand Dieu des armées,
Seruent à chatoüiller l'oreille des meschans.
Est-il quelque raison qui me pût faire croire
Que ie doiue chanter ma prise et leur victoire,
Et ioindre en mesme temps les Cyprez et les fleurs?
Quel moyen d'accomplir tout ce qu'ils me commandent?
Leurs insolentes voix des chansons me demandent,
Et leurs actes sanglans me demandent des pleurs.
Apres qu'ils ont destruit nos superbes portiques,
Apres qu'ils ont razé nos temples magnifiques,
Ils esperent encore entendre nos Concers;
O nompareille audace! ô ridicule attente!
De croire que ma foy soufre que ie leur chante
Les Hymnes reseruez au seul Dieu que ie sers.
[-435-] Alors que leur rigueur à ma perte fatale
M'eut araché du sein de ma terre natale,
Et contraint de les suiure en ces tristes desers,
Mes yeux en ce malheur qui n'eut iamais d'exemple
Prirent auec des pleurs congé de nostre temple;
Et ma voix d'vn soupir le prit et tous nos airs.
Ie ne puis contenter cette bande homicide,
Quand mesme ie croirois que sa rage perfide
Se laisseroit fleschir aux douceurs de mon Lut:
Ie ne puis me soumettre à l'office d'vn traistre:
Ie ne puis preferer mon tyran à mon Maistre;
Ny le bien d'estre libre à mon propre salut.
En fin que ie sucombe aux fureurs de la guerre,
Et que tous les malheurs du Ciel et de la terre
Pesle mesle assemblez me puissent aterrer;
Que d'vn somme eternal soit mon ame assoupie,
Si des Hymnes de Dieu ie fais rire vn impie;
Et celebre son nom pour le faire abhorrer.
En ces prophanes lieux où ie suis tributaire,
Seigneur, pour te loüer il suffit de se taire,
Et suprimer ton nom afin de le benir;
Ie ne doy t'inuoquer qu'auêque le silence,
Et croy que parmy cenx où regne l'insolence
Ne parler point de toy c'est s'en ressouuenir.
Encore que mon ame à tes soins obligée
Des fruits de ta bonté soit tellement chargée
Qu'elle ne puisse plus en soûtenir le fais,
Ie n'en veux pas pourtant raconter les merueilles
De crainte de flater leurs coeurs, et leurs oreilles,
Et publier ta gloire où tu ne fus iamais.
Si dans ce champ ingrat ie seme tes loüanges,
Et si i'ose chanter en ces terres estranges
Les Hymnes qu'en Sion ie chantois autrefois,
Ie veux voir sans retour mon absence inhumaine,
Mes doits sans mouuuement, mes poulmons sans haleine,
Mon Luth sans harmonie, et ma bouche sans voix,
Que ne mourus-je alors que la flame barbare
Ne faisant qu'vn brazier d'vne ville si rare
En vn mesme tombeau confondit tant de morts;
Ie me serois acquis vne gloire immortelle,
I'aurois par mon trépas fait reluire mon zêle,
Et le feu de mon coeur par celuy de mon corps.
[-436-] Ie n'aurois iamais veu ce funeste riuage,
Ie n'aurois point soufert cet indigne seruage
Dont l'extreme rigueur m'acable de liens,
Sous l'Autel du Seigneur i'aurois ma sepulture,
Et ne sentirois pas l'eternelle torture
Que ie sens de suruiure à la perte des miens.
O sejour glorieux, ô ma chere patrie,
Bien que dans l'vniuers ta gloire soit flestrie,
Elle regne tousiours dedans mon souuenir:
Au milieu de mon coeur son image est tracée;
Et ie fais seulement estat de ma pensée
Pour le soin qu'elle prend de m'en entretenir.
Ie consens de languir en d'eternelles gesnes,
De voir multiplier le nombre de mes chaisnes,
Et trouuer s'il se peut vn plus rude vainqueur,
Ie consens qu'à mes voeux le Ciel mesme s'opose,
Si ie puis desormais receuoir autre chose,
Que ton penser en l'ame, et ton amour au coeur.
Que ie sois le seul but du mespris et du blasme,
Qu'à mes yeux le Soleil ne donne plus sa flame,
Que les luths à ma voix n'accordent plus leurs sons,
S'il arriue qu'vn iour ta misere i'oublie,
Ou si de tes Palais la pompe r'establie
N'est l'vnique sujet de toutes mes chansons.
Tu causas mes plaisirs, tu causes mes suplices,
Et comme ta ruine a borné mes delices,
Ton restablissement bornera mex trauaux:
Apres tes interests il n'est rien qui me touche;
Ie n'aime que ta gloire et ne prise ma bouche,
Que pour chanter tes biens, et soupirer tes maux.
Mais ô iuste vangeur lasche ta main armée,
Sur ce peuple jalous, sur ce traistre Idumée
Qui de nos déplaisirs vint agrauer le fais,
N'espargne contre luy ny foudre ny tempeste,
Dans ses propres filets enuelope sa teste,
Et tourne contre luy la pointe de ses traits.
Il a des affligez la cause méprisée,
Il a des opresseurs la fureur atisée,
Il a veu d'vn oeil sec nos temples prophanez,
Il fait ses pourmenoirs de nos terres desertes,
Ses chansons de nos pleurs, ses tresors de nos pertes,
Et semble triompher de nous voir enchaisnez.
[-437-] Qu'on perde, disoit-il, cet Empire superbe,
Qu'vne iuste fureur mette plus bas que l'herbe
Ces Palais esleuez de richesse éclatans,
Qu'à la rage du feu tout serue de matiere,
Que la grande Sion soit vn grand Cimetiere,
Et qu'on face vne mer du sang des habitans.
De toutes les rigueurs d'vn funeste carnage,
Il n'en est point de rude à l'égard de l'outrage,
Que ce voisin cruel contre nous a commis:
Et certes i'ay soufert auêque plus de peine
Les traits injurieux de sa langue inhumaine,
Que tous les traits mortels des mains des ennemis.
Et toy fiere Cité, cruelle Babylone,
Qui fais de nostre sang le pourpre de ton thrône,
Tu verras quelque iour la fin de ton orgueil:
La hauteur de tes murs me presage ta cheute;
A tous les coups du Ciel tu seruiras de bute,
Et sous ton propre fais tu feras ton cercueil.
Le Seigneur qui du Ciel voit les maux que i'endure,
Se lassant de permettre vne peine si dure,
Brisera tous les fers qui nous font soupirer;
Il nous fut rigoureux, il nous sera propice:
Son courroux nous ietta dedans le precipice,
Et sa compassion nous en doit retirer.
Vien donc, ô mon suport, où la pitié t'apelle,
Reserue à ta fureur cette race infidelle
Qui nage en nostre sang, qui se baigne en nos pleurs,
Opose ta puissance au progrez de sa gloire,
Et pour ne rien laisser qui marque sa victoire,
Arrache luy du front, les palmes et les fleurs.
Si ta main est fatale aux crimes des coupables,
Si ta faueur est preste aux cris des miserables,
Ie la verray pleurer le reste de ses iours,
Ie verray ses Palais en cendre se resoûdre;
Et sous mesme ruine vn mesme coup de foûdre
Confondre son orgueil et celuy de ses tours.
Souuien toy que ta gloire, et non pas mon suplice,
Solicite ma voix à prier ta iustice
De mettre sous le joug ces superbes mortels;
Et que ie n'eus iamais de si grandes tristesses,
De me voir dépoüiller de mes propres richesses,
Que de voir prophaner l'honneur de tes autels.
[-438-] Ces peuples n'ont pour loy que l'iniuste licence,
Sous leurs piés orgueilleux ils foulent l'innocence;
Et ne font qu'vn desert d'vne grande Cité:
Ils osent attaquer ta puissance suprême;
Embrazant ta maison, et de ton autel même
En font vn sacrifice à leur impieté.
Cruelle nation, source de ma ruine,
Asseure toy qu'vn iour cette bonté diuine
Fera luire sa grace au fort de nos trauaux;
Et les voeux que ie fais s'en iront en fumée,
Où l'ire du Seigneur iustement alumée
Punira ton audace, et vangera nos maux.
O bien heureux celuy dont la iuste colere
A ton propre merite égalant ton salaire,
Te fera repentir de tes actes meschans:
Qui iusqu'à tes enfans declarera la guerre,
En frapera les murs, en ionchera la terre,
Et de leur sang perfide inondera les chams.
PROPOSITION XXXIV.
Determiner s'il est necessaire ou à propos d'vser de quelqu'vne des especes du Genre Chromatic, ou de l'Enharmonic, pour chanter les vers tant rimez que mesurez, auec autant de perfection et d'energie que les Grecs.
PLusieurs ont creu que la Musique feroit des effets beaucoup plus grands, si l'on vsoit de chaque espece de Diatonic, de Chromatic, et d'Enharmonic, ce qu'ils peuuent experimenter, puis que tous leurs degrez et interualles sont connus, car ie les ay expliqué si clerement dans le second liure des Instrumens, et dans la version de la Musique d'Euclide, article 3, laquelle i'ay mise dans le 17 Theoresme du premier liure du Traité de l'Harmonie Vniuerselle, qu'il n'est pas besoin d'y rien ajoûter: par exemple, la Quarte, ou le Tetrachorde du Diatonic mol a pour ses trois degrez le demiton, puis vn interualle de trois dieses, et vn autre interualle de cinq, qui reuiennent quasi à nostre demi-ton majeur, et à nostre ton maxime, dont i'ay parlé ailleurs. Quant au Chronomol, il procede par deux dieses, chacune d'vn tiers de ton; et puis par son troisiesme interualle composé du ton, du demi-ton, et du tiers de ton: comme le Chrome sesquialtere fait premierement deux dieses, dont chacune est sesquialtere de la diese Enharmonique, et puis il acheue sa Quarte par l'interualle de sept dieses enharmoniques; ce que i'explique dans ledit troisiesme article par la diuision du ton en 12 parties égales. Quoy qu'il en soit, i'estime que quiconque voudra mettre ces diuisions en vsage et en pratique, particulierement à plusieurs parties, y employra beaucoup de temps sans en pouuoir retirer beaucoup de contentement et de satisfaction, et auoüera franchement apres y auoir trauaillé [-439-] toute sa vie, que nostre Diatonic, comme il se pratique maintenant, auec les dieses et les bmols que l'on met par tout où l'on veut pour changer le ton en demi-ton, et au contraire, suffit pour executer tout ce que l'on peut s'imaginer des anciens auec raison.
Ie veux neantmoins icy repeter le Diapason, ou l'Octaue, diuisée en 24. degrez, afin que chaque ton ait ses 4 dieses,
Octaue diuisée en 24. dieses Enharmoniques.
[Mersenne, Livre Sixiesme, 439; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25] [MERHU2_8 18GF]
et que s'il se rencontre des Poëtes si excellens en la Musique qui vueillent passer oûtre, sans se contenter de la modulation ordinaire, ils puissent vser de tels interualles qu'ils voudront, car il y a vne diese enharmonique de la premiere à la seconde note, de la 2 à la 3, de la 3 à la 4, de la 4 à la 5, et ainsi des autres, de sorte que chaque ton a 5 notes, et 4 interualles, et que l'on peut faire trois quarts de ton dans vn seul interualle, soit en montant, ou en descendant, par exemple, de la premiere à la 4 note, ou au contraire. Semblablement on peut faire 5 dieses de la 1 à la 6 note, ou 7 de la premiere à la 8, et cetera de sorte que l'on peut augmenter ou diminuer chaque consonance, ou dissonance d'vne diese enharmonique, c'est à dire, d'vn quart de ton, ou enuiron. Ie laisse plusieurs autres particularitez de cette diuision.
Le sieur le Maire, don i'ay desia parlé dans ce liure, a mis cette diuision sur le manche du Luth par le moyen d'vn nouuel accord, et de plusieurs touches, dont les vnes sont faites par de petits ressorts que le pouce touche par dessous le manche. A quoy l'on peut ajoûter de petits tuyaux d'orgue qui feront les tenuës d'vne fleute douce, ou de tel autre jeu que l'on voudra, de sorte que les doigts de la gauche touchant de certaines touches mises entre les ordinaires feront parler lesdits tuyaux logez dans le manche du Luth ou dans vn Contrecorps, sans qu'ils nuisent en nulle façon à l'Harmonie et au resonnement des chordes. L'on peut aussi diuiser le ton en 3 parties égales, comme auoit fait Titelouze dans vne Epinette particuliere qu'il m'a fait oüir: mais il faut des siecles entiers pour mettre ces diuisions et sections du Monochorde dans vne aussi grande perfection de pratique, que celle de nostre genre Diatonico-Chromatic, dont on vse maintenant dans tous les Royaumes: lequel suffit pour la recreation des oreilles, et de l'imagination, et pour chanter les loüanges de Dieu, c'est pourquoy ie n'ay point mis d'exemples de la pure Chromatique, et Enharmonique, les ayant iugé inutiles; iusques à ce que la pratique de quelques bons Compositeurs les ait fait gouster. Ceux qui en desirent sçauoir dauantage trouueront tout ce qu'ils peuuent desirer dans le troisiesme liure des Genres: Ie prie seulement tous ceux qui prendront la peine de lire nos Traitez Harmaniques en tout ou en partie, et qui se seruiront desormais de la Musique, employent principalement leur esprit, leurs voix, leurs doigts, et leurs Instrumens à loüer Dieu, pour lequel toutes choses ont esté faites, car si l'on ne rapporte tout ce que l'on peut, tout ce que l'on veut, et tout ce que l'on fait à son honneur et à sa gloire, il n'en faut esperer aucune recompense, dans l'eternité, [-440-] qu'il faut tousiours regarder fixement, à l'imitation du Prophete Royal, Et annos aeternos in mente semper habui. Neque enim in tempore vtiliter viuitur, comme dit sainct Augustin dans sa 121 Epistre, nisi ad comparandum meritum, quo in aeternitate viuatur. Ad illam ergo vnam vitam, qua cum Deo, et de Deo viuitur, caetera quae vtiliter, et decenter opiantur, sine dubio referenda sunt.
Fautes de l'impression du 5 et 6 liure, auec quelques Auertissemens.
LEs fautes qui suiuent se trouuent dans le 5 et le 6 liure precedent; et le Lecteur suppleera, s'il luy plaist, les autres qu'il y pourra rencontrer.
Il faut donc premierement ajoûter finir, apres faire dans la 14 ligne de la page 290.
premiere ligne d'apres la Musique le pour les.
ligne 3. deuant Quinte, mettez fausse.
Page 198. la 2. note de la Basse du 3 exemple de la Seconde, ou Neufiesme doit estre diesée.
Page 210. 211. 212. chacun doit diuiser chaque exemple par des barres, afin d'entendre plus aisément les passages d'vne consonance à l'autre: mais il faut baisser la seconde note du premier exemple de la page 210. d'vne Tierce mineure, afin de faire deux Ditons de suite, suiuant l'intention du discours et des exemples. Où l'on doit aussi prendre garde aux exemples qui ont trois notes ou plus en chaque partie, et aux points d'orgues, ou [signum] coronnez du Dessus, qui monstrent la fin de chaque sorte d'exemple tant au Dessus qu'à la Basse, où ils ne sont pas marquez, à raison que l'on n'a peu trouuer assez de ces [signum] pour en mettre aux deux parties, de sorte que ceux du Dessus seruent aussi pour la Basse.
ligne 6. apres cotté lisez, D au son ou degré cotté.
page 135. ligne 23. deuant se mettez B.
page 138 [recte 136]. ligne 1. apres caractere mettez [ClefC on staff4]
Et la troisiesme de ces marques nommé Bmol, signifie au contraire qu'au lieu qu'entre le son ou degré, auquel elle se raporte, et le son ou degré proche d'en bas, il y auoit vn ton entier, suiuant ce qui precede en la bande, il n'y a lors qu'vn demi-ton; par où l'on connoist ce qu'il faut entonner en cet endroit, en montant et descendant.
ligne 13. lisez troisiesme, pour deuziesme.
ligne 14. deuxiesme pour troisiesme.
page 341. ligne 35. notes pour mots.
ligne 45. apres prononcer lisez, les paroles que l'on chante.
ligne 46. apres lettre mettez deux points ou vne virgule.
ligne 34. qu'elle est plus aisée.
page 343. ligne 29. redoublée.
page 344. ligne 13. la pour les.
ligne 28. apres Romain, ajoûtez et par l'italique.
ligne 35. qui a les lettres du Dessus il faut effacer la 17. lettre qui est vne fausse l.
d d d b' a b' g F' g D D D G A G [Gamma] D [Gamma]
car leur ordre et arrangement est troublé.
page 355. ligne 27. l'on pour son.
page 363. ligne 1. lisez 3 pour 2.
page 364. ligne 17. les 2 Propositions qui suiuent.
page 366. ligne derniere, apres chants, lisez, tant.
page 365. ligne antepenultiesme apres Retorique lisez et.
page 367. ligne 4. pres de la fin, hardiesse.
ligne 13. mien, ne fait qu'vne syllabe dans les vers, c'est pourquoy il le faut effacer.
ligne 23. il faut faire 2 syllabes dans iions de liions et mariions.
page 380. ligne derniere toûjours.
ligne 35. l'é est plustost aigu accentué que circonflexe, aussi bien que celuy de la 42. ligne.
page 386. ligne 23. Charles pour Guillaume.
page 388. ligne 23. Brachycatalectiques, ou court-cadencez.
page 302. ligne 35. faut pour fait.
page 394. ligne 2. lisez 28. pour qui suit.
page 400. ligne 3. apres mesures, il faut mettre vne virgule.
ligne 29. pour le premier 4, lisez 5.
page 406. ligne 5. pres de la fin effacez Spondée, d'vn, et lisez d'vn Double.
page 407. ligne 2. effacez la virgule.
page 409. ligne 4. note pour mode.
page 410. ligne 15. par au lieu de pour, à la fin Horace pour Homere.
page 422. ligne 23 apres exemples, ajoûtez de la Composition ordinaire.
Autres fautes du 6 liure.
Page 375. ligne derniere, lisez par 12. crochuës et vne noire.
ligne 17. il faut escrire pu repu.
ligne 24. l'a est bref dans la premiere syllabe de hazard, il faut donc icy faire exception.
page 384. au tiltre il faut ajoûter Dactylique apres Pentametre.
ligne 38. et 39. pour dez et grand, lisez vents et saut.
page 393. ligne 19. et 24. pour rudesse lisez estrangeté.
ligne antepenultiesme ostez ou plus.
page 400. 5 lignes apres la Musique, pour 4 mettez 5.
page 415. ligne 31. meritent et rendent.
page 426. ligne 10. de pour des.
page 427. dans le vers escriuez oberrat
page 429. ligne 2. ils pour qu'ils.
Apres toutes ces fautes, qu'il est à propos de corriger, aussi bien que celles des autres liures, que i'ay mises deuant, ou à la fin de chaque Traité,
Page 67. ligne 17. recheute ou.
il y faut mettre page 3 au lieu de 14. et y ajoûter
page premiere. ligne derniere, Consonances, et depende.
page 4. ligne 28. centre pour cercle.
page 9. ligne 25. apres que mettez de.
4 lignes pres de la fin de pour des.
Licence du General
Frater Franciscvs a Longobardis Ordinis Minimerum Corrector Generalis.
TVis petitionibus annuere cupientes tenore praesintium facultatem tibi facimus typis mandandi volumina Harmonicorum tàm Latina, quàm Gallica, dummodo antea examinentur, et approbentur à duobus Theologis eiusdem Ordinis à Reverendo Patrae Prouinciali Franciae nominandis, et seruentur reliqua ad praescriptum sacri Concilij Tridentini. In quorum fidem Datum in nostre Conuentu Beatae Mariae Victricis vrbis Senlucarencis die 28. Februarij anni 1634.
Frater Franciscus à Longobardis General.
APPROBATION DES DOCTEVRS.
IE soubsigné Docteur Regent en la Faculté de Theologie à Paris, souscris et approuue les Discours de la nature des Sons, composé par le Reverend Père Mersenne R. Minime, qui a tasché par ses recherches laborieuses et experiences de faire vne nouuelle Science de la Voix, expliquer methodiquement toute la Musique des anciens et modernes, et par des muances de la nature à la grace remplir ses Compositions de beaux accords de la Theologie Mystique. Ie luy rends ce tesmoignage public. A Paris ce 6. Aoust 1635.
CHAPELAS, Curé de Sainct Iacques.
FIN.