TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: MERHU3_2 TEXT
Author: Mersenne, Marin
Title: Livre second, des Instrvmens a chordes
Source: Harmonie Universelle, contenant la theorie et la pratique de la musique, 3 vols. (Paris: Sebastien Cramoisy, 1636; reprint ed. Paris: Centre national de la recherche scientifique, 1965), 3:45-100v.
Graphics: MERHU3_2 01GF-MERHU3_2 19GF

[-45-] LIVRE SECOND, DES INSTRVMENTS A CHORDES,

PROPOSITION I.

Expliquer la figure, les parties, le Ton ou l'accord, et les Temperamens du Luth, et du Tuorbe.

LEs deux figures qui suiuent font voir si clairement tout ce qui appartient au Luth, et au Tuorbe, qu'il n'est pas quasi necessaire de les expliquer, si ce n'est en faueur de ceux qui n'en ont iamais veu. Quant aux noms differents que l'on peut donner à cét instrument, comme sont [phorminx], [chelus], Testudo, Cithara, et cetera i'en laisse la dispute aux Grammairiens, et l'on peut consulter Athenee, Pollux, Aristide, et les autres Grecs, car puis que nous possedons les choses, et que nous expliquons la realité des instrumens, les noms seruent de fort peu, qui sont indifferens pour signifier tout ce que l'on veut, comme i'ay demonstré ailleurs.

La premiere figure à main droicte n'est autre chose que le Luth augmenté d'vn nouueau manche [alpha], [beta], [delta], qui sert pour donner vne plus grande estenduë aux 4. dernieres chordes, c'est à dire à la 8. 9. 10. et 11. qui ont le son d'autant plus graue qu'elles sont plus longues, et d'autant plus fort qu'elles sont plus grosses. L'on appelle ce Luth à deux manches Tuorbe, lequel n'a souuent qu'vne seule chorde à chaque rang, encore que celuy-cy ait tous ses rangs doubles, excepté celuy de la chanterelle qui est simple. L'on pourroit encore augmenter le nombre de ces manches, quoy que ces deux suffisent. Mais il faut remarquer que les Italiens commencent a compter les rangs de leurs chordes par la plus grosse, de sorte qu'ils finissent par la chanterelle, par laquelle nous commençons, autrement on n'entendroit pas leurs Tablatures, dont Vincent Galilee a fait vn liure, et dont ie parleray apres.

Le Luth n'auoit autresfois que six rangs de chordes, mais on en adioûte 4, ou 5 autres plus bas, c'est à dire le 7. 8. 9. 10. et 11. rang, afin de faire les basses, quoy que l'on ne marque la Tablature que de 6 lignes, ou regles paralleles, comme ie diray apres. Quelques-vns ont voulu mettre 15, ou 20 rangs de chordes sur le Luth, mais la table est si chargee, qu'elle est souuent contrainte de de creuer, et de se rompre, de sorte qu'il n'est pas à propos d'vser de plus 10, 11, ou 12 rangs.

Le Sillet des Luths est ordinairement d'yuoire, quoy que l'on le puisse faire d'autre matiere bien dure, afin qu'elle resiste aux chordes qui portent dessus, et qui le pressent continuellement, comme l'on void au sillet du 2. manche [beta, gamma], qui borne la longueur des quatre derniers rangs de chordes, car le reste du manche [-46-] qui tient les cheuilles n'entre pas dans la longueur du Luth, ou du Tuorbe, laquelle se prend depuis le cheualet iusques au sillet precedent pour les 4 chordes qui sont sans touches, ou iusques à l'autre sillet pour les 7 autres rangs.

[Mersenne, Instruments à chordes, 46; text: A, B, C, D, E, F, G, b, c, d, e, f, g, h, i, k, M, 1620, 1536, 1440, 1350, 1296, 1215, 1152, 1080, 1024, 960, 900, 864, 810, 3600, 3456, 3375, 3240, 3200, 3072, 3000, 2880, 2700, 2502, 2500, 2400, 2304, 2250, 2160, 2025, 2000, 1920, 1800, 10000, 93750, 88889, 83333, 80000, 75000, 71111, 66667, 62500, 60000, 56250, 53333, 50000, 94444, 89298, 84242, 39562, 75242, 70697, 67025, 63301, 59785, 56463, 53329, 50363] [MERHU3_2 01GF]

Le nombre des cheuilles est égal à celuy des chordes, comme l'on void à [delta] et [epsilon], où elles commenccnt. Or cét instrument est composé de trois parties, comme les autres, à sçauoir de la table [nu, mu, lambda, kappa, theta, iota], laquelle est de sapin, de cedre, ou de quelqu'autre bois propre à resonner: et du corps, qui est ordinairement [-47-] composé de 9, ou de plusieurs éclisses semblables aux trois que l'on void en [xi, omicron, omega]. L'épesseur de ces costes est d'vne ligne, ou enuiron, comme celle de la table, laquelle on colle sur le bord desdites costes, ou éclisses. Le rond du milieu de la table s'appelle la Rose, et donnc l'entrée, et la sortie aux sons. Quant à la troisiesme partie du Luth, elle consiste en son manche, qui a neuf touches faictes de chordes de boyau. Les lettres du manche du Tuorbe monstrent le lieu, où les doigts se mettent pour presser les chordes, et celles du Luth monstrent les touches mesmes, ou les chordes qui trauersent, et qui determinent les neuf differentes longueurs des chordes, de sorte que le manche des instruments à touche peut seruir de Monochorde. On ne met pas ordinairement les doigts de la main gauche sur les touches, mais vn peu au dessus, afin que leur son en soit plus net: par exemple, on ne met pas le doigt sur le b, ou le c du Luth, mais vis à vis du b, et du c du Tuorbe, qui a 21 chorde, au lieu que le Luth n'en a que 19. Mais i'expliqueray par apres amplement tout ce qui appartient aux touches du Luth, et la maniere dont il faut mouuoir chaque doigt pour en tirer la parfaicte harmonie.

Il faut encore remarquer que l'on se sert d'vne petite poulie à la cheuille de la chanterelle, afin qu'elle ne rompe pas si souuent; ce que l'on faict à raison que l'on est contrainct de la bander beaucoup plus fort que les autres à proportion de sa grosseur, parce qu'elle doit faire des sons fort aigus: et parce que l'on a de la peine à la faire monter iusques à la Dix-neufiesme, comme ie diray en parlant de l'accord du Luth, on la descend souuent d'vne Quinte plus bas que la 2 chorde.

Quant à l'accord du Luth, ie l'ay mis en trois façons, à sçauoir par lettres, par nombres, et par notes, afin que ceux qui ne sçauent la Theorie de la Musique que par les nombres, voyent les interualles des sons de chaque chorde par les nombres qui sont sur les chordes du Tuorbe; que ceux qui ne la sçauent que par les lettres de la Gamme, comprennent le mesme accord par les lettres C, D, et cetera qui sont vis à vis de chaque nombre sur le mesme Tuorbe, et que ceux qui n'entendent la science des sons que par les notes, entendent le mesme accord exprimé par les notes qui sont à costé du Luth, vis à vis de son manche. Or les notes signifient toutes les chordes qui sont icy expliquees par les dictions de la Gamme, et par les nombres, dont les interualles sont escrits entre deux.

6400             A mi la re
quarte 
6800             E mi la
quarte
3600             [sqb] mi
tierce maieure
2880             G re sol
quarte 
2160             D la re sol
quarte
1620             A mi la re
ton mineur 
1458             G re sol
ton maieur
1296             F vt fa
demi-ton maieur
1215             E mi la
ton maieur
1080             D la re sol
ton mineur
972              C sol vt fa

Par où l'on void que les 6 premieres chordes du Tuorbe se suiuent par degrez conioints depuis l'VT de C sol iusques au LA d'A mila, qui font l'estenduë de la Sexte majeure. Mais il faut remarquer que l'on nomme cét accord le vieil ton, duquel on vse encore maintenant dans les concerts, et qui sert de fondement à tous les autres accords, que l'on a pratiquez, ou inuentez depuis cét ancien accord qui est vsité en Italie, et ailleurs, et qui est aussi marqué par les notes susdites. Or encore qu'il commence icy par l'Vt de C sol, afin qu'il represente l'accord de nostre Tuorbe, il est aisé de laisser cet VT pour prendre le RE qui suit, et qui represente la 10, ou la derniere chorde du Luth, auquel l'on peut aussi bien adiouster vn onziesme rang, comme au Tuorbe.

[-48-] I'ay mis les trois sortes de clefs dont on vse en la Musique dans cét accord par notes, afin que l'on sçache comme il faut les entonner. La clef d'en ba et celle d'en haut signifient vne mesme chose, et ne different que de figure, car elles marquent toutes deux le mesme b mol, ou le F vt fa. Le 2 charactere qui vas en montant signifie la clef de nature, et le 3 celle de b quarre. Or l'estendue de cét accord est d'vne Vingtiesme, et si l'on oste le premier VT, il sera d'vne Dixneufiesme: mais il ne peut estre marqué par de moindres nombres que par ceux qui sont sur le Tuorbe. Où il faut remarquer que ie n ay pas mis le G re sol sur la 6 chorde, comme font plusieurs, d'autant que ie n'eusse peu marquer le Ton, que l'on faict de la 7 à la 8 chorde, par les lettres de la Main Harmonique, car si l'on met le G re sol sur la 6. le F vt fa se trouue sur la 7. et consequemment l'E mi la sur la 8, lequel ne fait qu'vn demi-ton maieur auec ledit F vt fa, de sorte qu'il faudroit mettre vne nouuelle lettre, qui marquast la feinte plus basse d'vn demiton que n'est ledit E mi la pour faire vn ton de la 7 à la 8 chorde: mais cette difficulté ne se rencontre pas aux nombres, et n'est de nulle importance.

I'expliqueray la quatriesme maniere dont on marque l'accord du Luth par les characteres de sa Tablature, lors que ie monstreray comme il faut mettre la Musique ordinaire en Tablature pour le Luth, car il faut maintenant voir en quoy consiste son Temperament, et celuy des autres instruments à manches touchés.

Or l'on appelle Temperament, l'alteration que l'on fait des interualles tant consonans que dissonans, dont i'ay expliqué les vrayes raisons, et les iustes proportions dans les liures de la Theorie, et mesme dans cette proposition, lors que i'ay expliqué l'accord du Tuorbe, comme s'il eust esté iuste, et en sa perfection. Ce Temperament est marqué à costé du Tuorbe et consiste en 12 demitons égaux, esquels l'Octaue est diuisée, et se trouue en diuisant les chordes à vuide, ou le Luth depuis le sillet iusques au cheualet en 100000 parties, dont le b, c'est à dire la premiere touche en a 94444; la seconde 89298, et ainsi des autres iusques à la 9, ou 10 touche, suiuant les nombres de ce Temperament, dont le 13. à sçauoir 50363, represente la moitié de la chorde, encore que ce nombre soit trop grand de 363. puisque 50000 est sousdouble de 100000. C'est pourquoy i'ay mis l'autre rang des nombres, qui donne les demi-tons beaucoup plus iustes que le premier, comme l'on void en comparant les vns aux autres. Mais les deux autres rangs des nombres qui sont à costé gauche du Luth monstrent la distance des touches dans leur plus grande perfection, dont le premier a seulement 13 nombres pour marquer les 12 demitons qui font l'Octaue du Luth: et le second rang monstre qu'il faut 19 touches, suiuant les 19 nombres, qui peuuent seruir pour les trois Genres, comme i'ay dit dans les liures de la Theorie, dont on peut tirer d'autres manieres pour diuiser le manche du Luth.

Plusieurs Facteurs d'instruments diuisent la longueur du Luth, ou de la chorde à vuide en 18 parties, dont la 17 fait la premiere touche; et puis ils diuisent le reste de la chorde en 18 parties, dont ils en prennent encor 17 pour faire le second demiton, et ainsi consequemment iusques à ce qu'ils ayent 8. ou 9. demi-tons. D'où il faut conclurre que ces demitons sont moindres que les maieurs qui sont de 16 à 15, et plus grands que les mineurs, qui sont de 25 à 24, et qu'ils approchent dauantage de ceux-là que de ceux-cy. L'on pourroit semblablement diuiser la chorde en 17 parties, pour en prendre 16, ou en [-49-] plusieurs autres manieres beaucoup plus iustes et meilleures, dont ie parleray apres auoir monstré ce que les Grecs ont eu de meilleur dans leur Musique, et particulierement tout ce que Ptolomée a enseigné, afin que tous ceux qui touchent le Luth, sçachent s'ils vsent du temperament d'Aristoxene, ou de quelqu'autre genre, espece, ou Systeme, et qu'ils n'ignorent rien de tout ce qui leur peut apporter du plaisir, ou du profit, et de tout ce qui les peut mettre en credit dans les excellentes compagnies où ils se rencontrent. Mais auant que d'entamer ce discours, il faut expliquer la maniere de construire le Luth, et donner la figure de la Pandore, dont l'accord et le nombre des chordes est semblable à celuy du Luth.

PROPOSITION II.

Expliquer la maniere dont il faut construire le Luth et la Pandore, et tout les autres instrumens qui luy sont semblables, comme il le faut monter en perfection, et comme l'on peut cognoistre si les chordes sont bonnes.

CE traicté du Luth ne seroit pas (ce semble) parfait, si ie n'expliquois sa construction, qui seruira pour entendre celle de la Mandore, et de tous les autres instrumens qui imitent le Luth, que quelques vns escriuent Leut, et que les Estrangers appellent Laud, Lauto, et cetera. Or l'on doit premierement auoir vne forme, ou vn moule de mesme figure et grosseur, dont on veut faire le corps de l'instrument, lequel on commence par l'Eclisse du milieu du fonds, ou du dos: car il la faut ployer en rond, et l'attacher au gros bout dudit moule auec vne cheuille, apres qu'on la collée au moindre bout d'enhaut sur le morceau de bois, que l'on appelle ordinairement le tasseau, ou le coeur du Luth, et qui fait la pointe du moule.

En second lieu, il faut arranger les autres éclisses aux deux costez de la precedente, dont le nombre peut estre de 6. 12. et cetera selon la volonté des Facteurs; et en les arrangeant l'on doit les coller legerement l'vne contre l'autre, en les appliquant sur le dos de la forme, comme la premiere. En troisiesme lieu, il faut les consoler en dehors par le gros bout, c'est à dire qu'il faut les entourer d'vne autre éclisse qui soit de la longueur de la table, afin de les lier et de les tenir ferme dans la situation qu'elles ont prise sur le moule, que l'on oste de dedans le corps, apres auoir couppé les cheuilles dont les éclisses estoient attachées dessus. En quatriesme lieu, il faut encore lier et embrasser par dedans les mesmes extremitez des éclisses d'vne autre éclisse que l'on met vis à vis de celle de dehors, et que les Facteurs appellent la fausse, ou la contrebragne. Il faut aussi coller des petites tranches de velin, ou de papier sur les jointures en dedans. Cinquiesmement l'on met vne fausse table dans le corps du Luth pour le tenir en estat, et afin de l'appliquer sur vne table bien droicte, et de le dresser tellement qu'il ne gauchisse point: et lors qu'il est parfaitement dressé, on l'applique sur l'ais dont la table doit estre faite, lequel on couppe iustement de la largeur, et de la longueur du corps qui en doit estre couuert. Sixiesmement on barre la table en la diuisant en huict parties esgales, afin de coller ses six barres sur la 2, 3, 4, 5, 6, et 7, partie, car le manche commence sur la huictiesme partie au defaut de la table.

Quant à la Rose, elle doit tellement estre située que son milieu se rencontre [-50-] sur la 5. partie, sur laquelle la 4 barre est collée. Mais l'on vse encore de deux ou trois autres petites barres que l'on met à costé, lors que la table est foible: or toutes les barres trauersent la table, et aboutissent aux éclisses d'vn costé et d'autre. Elles sont de mesme matiere que la table, quoy qu'on les puisse faire d'autre bois, et ont vne ou deux lignes d'espaisseur, et peuuent auoir iusques à vn demy poulce. Lors qu'elles sont collées souz la table, on l'applique sur les bords des éclisses, sur lesquels on la colle. Mais il faut remarquer que les Facteurs adioustent encore d'autres petites barres plus bas que la premiere des grandes, ou en d'autres endroits selon la foiblesse des differentes tables, ou suiuant les experiences qu'ils ont faites, pour donner vne meilleure harmonie aux Luths.

Quant au cheualet, au quel l'on attache toutes les chordes, on le met entre la premiere et la seconde partie de la table, car apres auoir diuisé ces deux parties en trois autres parties esgales, on colle ledit cheualet sur la seconde partie qui se rencontre en montant. Or il faut remarquer que la bonté du Luth depend particulierement de la barrure, qui ne doit estre ny trop forte ny trop foible: car lors qu'elle est trop ferme le son n'est pas agreable, et les chanterelles ne peuuent monter si haut sur cette table, comme elles sont sur les plus foibles, qui tremblent, et fremissent plus aysément, encore que les espaces d'entre le cheualet et le sillet soient esgaux, dont il n'est pas aysé de treuuer la raison, puis que les Facteurs maintiennent que cet accident ne peut estre rapporté aux differentes dispositions des cheualets, ou des sillets, et des cheuilles. Mais il est difficile de rencontrer la perfection de la barrure sans vne longue experience, et vne grande multitude d'obseruations, à raison de la difference des tables, dont les vnes desirent vne barrure plus ferme, et les autres vne plus foible suiuant leur matiere, leur espaisseur, et plusieurs autres accidens que les Facteurs peuuent remarquer.

Tout cecy estant fait, l'on adiouste le manche, que l'on colle sur le tasseau, apres qu'il a esté couppé obliquement, ou en bizeau: or ce manche n'est autre chose qu'vn morceau de bois, qui doit soustenir la touche que l'on colle dessus, et qui est de mesme longueur; finalement on colle la teste au bout du manche, laquelle sert de clauier au Luth, car elle tient toutes les cheuilles, dont on vse pour le monter, et pour le mettre d'accord. Mais il faut remarquer que le manche ou la touche doiuent estre de mesme longueur que l'interualle, qui est depuis le commencement de la table iusques au milieu de la rose: c'est à dire que le manche doit auoir cinq parties, et la table huict, afin qu'elle fasse la proportion de la Sexte mineure auec ledit manche, et qu'il ne se rencontre rien dans le Luth qui ne soit harmonique. Il faut maintenant expliquer la maniere dont on monte les Luths, c'est à dire comme il faut attacher, arranger, et bander les chordes, et accommoder, et ajuster les touches pour les rendre prestes à toucher, et à sonner.

Quant aux chordes dont on monte le Luth, elles doiuent estre proportionnées à sa grandeur: c'est à dire qu'elles doiuent estre d'autant plus ou moins grosses que le Luth est plus long, ou plus court. Or ie donneray des tables dans le Traicté de l'Epinette, qui monstrent la iuste proportion que doiuent garder les chordes de chaque instrument; c'est pourquoy il suffit icy d'en apporter quelques exemples, quoy qu'ils ne soient pas necessaires pour ceux qui entendent la proportion des notes, qui marquent l'accord du Luth, [-51-] d'autant que les chordes seront parfaitement proportionnées entr'elles, lors qu'elles suiuront les raisons desdites notes. D'où il est aysé de conclurre que si la plus grosse, ou l'onziesme chorde du Tuorbe ou du Luth a vne ligne en diametre, que la 7. qui monte à la quinte, ne doit auoir que 2/3 de ligne pour son diametre: et parce que la 4. chorde monte à la Douziesme, son diametre doit seulement estre d'vn tiers de ligne; et finalement la seconde chorde qui suit la chanterelle, et qui monte à la Dix-septiesme de la plus grosse chorde, doit auoir son diametre du 5. d'vne ligne, puis que la raison de la Dix-septiesme est de 5. à 1, comme i'ay monstré dans les liures de la Theorie.

Ie viens au choix des chordes qui depend de l'oeil, de la main, et de l'oreille, car l'on cognoist si les chordes sont bonnes ou mauuaises, selon qu'elles fendent l'air esgallement, apres qu'on les a tirées auec l'vn des doigts, tandis que les deux mains les tiennent tenduës, et lors qu'elles le fendent inesgalement, et quelles troublent leurs tours, et retours par des inesgalitez, et des mouuemens desreglez, on les appelle fausses: ce qui se void en ces deux figures, dont la premiere monstre la bonne, et la seconde fait voir la fausse chorde.

[Mersenne, Instruments à chordes, 51; text: BONNE CORDE, FAVLSE CORDE] [MERHU3_2 02GF]

Il y en a qui n'vsent point de la veuë, et qui se contentent de les taster, et de les manier auec les doigts, qu'ils font courir et couler tout au long de la chorde, et tiennent qu'elle est bonne et esgale, lors qu'ils n'y rencontrent point dlinesgalité, et qu'ils la trouuent comme vn Cylindre poly. Mais s'il arriue que ces deux sens se trompent, l'oreille iuge de la bonté, ou de la fausseté de chaque chorde en dernier ressort. Si tost que l'on a rencontré de bonnes chordes, on monte le Luth en commençant par la plus grosse, que l'on attache premierement au cheualet par le moyen d'vn noeud composé du droit et du [-52-] coulant, comme l'on void dans les figures: et puis on l'entortille à l'vne des cheuilles du manche, laquelle on tourne iusques à ce que la chorde soit assez tenduë, et qu'elle fasse le ton qu'elle doit auoir selon la portée du Luth: et puis on continuë à attacher et à tendre les autres chordes, iusques à ce qu'elles fassent l'accord que l'on appelle le vieil ton, ou le nouueau, selon les differentes pieces de Musique que l'on veut ioüer, ou la volonté de ceux qui montent les Luths, qui sont capables de toutes sortes de tons, et d'accords.

Quant aux touches, on les peut faire stables ou mobiles; les premieres peuuent estre de bois, d'iuoire, ou de cuiure, comme elles sont sur le Cistre, dont ie parleray apres, et monstreray la maniere de poser les touches dans leurs propres lieux. Mais ie veux icy expliquer la maniere la plus aysée de toutes les possibles, pour mettre toutes les touches dans leurs propres lieux, soit que l'on veille les faire immobiles, ou mobiles; quoy qu'il vaille beaucoup mieux qu'elles soient mobiles, afin de les pouuoir hausser ou baisser tantost d'vn costé, et tantost de l'autre, pour suppleer aux faussetez, et aux autres defauts qui se rencontrent perpetuellement dans les chordes, dont la moitié d'enbas est souuent differente de celle d'enhaut, et dont l'vne des touches peut estre iuste, et les autres iniustes et mauuaises; de sorte que la dispotition des touches depend de la bonté, de la iustesse, et delicatesse de l'oreille.

Il faut donc supposer que toutes les chordes sont bonnes, et que l'on vueille que tous les interualles et accords du Luth soient parfaits, pour entendre la disposition des touches dont ie parle maintenant, encore qu'elle puisse seruir pour toutes sortes de chordes dont on vse, et pour toutes sortes de temperamens, à raison qu'ils sont si proches de la iustesse de l'harmonie, que les touches que ie marque leur peuuent seruir en les haussant, ou en les baissant si peu que l'on voudra. Or encore qu'il n'y ayt que neuf touches sur le manche des Luths, qui font monter chaque chorde depuis le ton qu'elles font à vuide, iusques à la sixiesme maieure, que l'on diuise en neuf demy tons, neantmoins ie monstre dans la Proposition qui suit, la maniere d'y adiouster encore trois touches, afin de faire monter lesdites chordes iusques à l'Octaue: ce qui seruira aussi pour toutes sortes d'autres instrumens touchez.

Mais auant que de passer outre, il faut donner la figure de la Pandore, puis qu'elle a le mesme nombre de chordes, la mesme estenduë, et le mesme accord que le Luth, or elle n'est quasi plus en vsage; quoy que cet instrument soit fort agreable, et qu'il ayt ces sons de resonnance plus longs que ceux du Luth, à raison des chordes de leton, qui tremblent plus long-temps. Mais l'on se blesse plus aysément les doigts de la main gauche et de la droicte, à cause de la dureté des chordes: ce qui a peut estre fait qu'on la negligé; et puis les chordes de boyau ont le son plus doux et plus charmant, mais elles ne tiennent pas si long-temps leur accord. Ceux qui voudront remettre la Pandore en vsage, se peuuent seruir de tout ce que i'ay dit du Luth, et des autres instrumens: et l'on peut monter vn Luth de chordes de boyau et de leton si on luy donne deux tables, dont celle de dessouz porte les chordes de leton, et celle de dessus les chordes de boyau, ou au contraire, car si elles sont à l'vnisson, celles qui seront touchées feront trembler et sonner celles qui ne seront pas touchées. Or A B C monstre la forme de son manche, et de ses touches; D est la rose, et E F monstre que le cheualet est collé obliquement, afin que la chanterelle puisse monter plus haut: quoy qu'il soit plus à propos [-53-] de le faire droict, autrement les touches ne seront pas iustes sur toutes les chordes qui son d'airain, et consequemment les touches doiuent estre de leton ou de cuiure, comme celles du Cistre.

Quant à son dos, il est plat, ou du moins il n'est pas si conuexe que celuy du Luth: ses costez ont 2, 3, ou 4 doigts d'espaisseur, suiuant la volonté du Facteur: et l'on n'a pas besoin de moule pour le construire, mais seulement d'vn patron pour tailler la table, à laquelle il est aysé d'accommoder les éclisses, comme l'on fait à la Guiterre, dont ie parle ailleurs.

[Mersenne, Instruments à chordes, 53; text: A, B, C, D, E, F] [MERHU3_2 02GF]

COROLLAIRE.

Des differentes sortes de noeuds.

Il faut remarquer que les Facteurs, et ceux qui ioüent du Luth doiuent apprendre à faire les noeuds qui sont necessaires pour attacher les touches sur le manche, et les chordes au cheualet, afin qu'elles tiennent ferme sans se destacher: et consequemment il faut apprendre à faire le noeud droit tant simple que double, lequel est souuent conioint auec le noeud coulant simple ou double, soit horizontalement, ou perpendiculairement. Il y a plusieurs autres noeuds qui peuuent encore seruir à differentes occasions: par exemple le noeud du tisserand, qui est l'vn des plus forts; le noeud Gordien, que l'on estime le plus beau de tous; le noeud de pinseau, qui sert à noüer les crins de cheual, qui font la soye des archets; le noeud duMarinier, dont il nouë ses cables; le noeud composé de deux droits tirez l'vn contre l'autre; le noeud de la brosse et de l'arbaleste, et plusieurs autres qui tous sont differents, et qui seruent à plusieurs vsages que l'on peut appliquer à de nouueaux instrumens.

PROPOSITION III.

Expliquer la maniere de diuiser le manche du Luth, et d'y mettre toutes les touches necessaires pour en ioüer en perfection: où l'on verra plusieurs remarques curieuses des chordes, et de la difference de leurs sons.

L'Vne des principales parties du Luth consiste à son manche, car si les touches ne sont posées aux endroits où les racourcissemens des chordes doiuent faire les degrez, et les interualles des sons dans leur iustesse, ou dans le temperament harmonique, le Luth blesse les oreilles des Auditeurs: c'est pourquoy ceux qui le montent doiuent auoir la cognoissance des diuisions [-54-] du Monochorde, dont le manche des instrumens est vn abbregé. Mais puis que tous les Facteurs ne veulent pas prendre la peine de s'instruire sur ledit Monochorde, ie les veux soulager en leur enseignant vne methode tres-aysée pour diuiser iustement toutes sortes de manches, soit des Luths, ou des autres instrumens, afin qu'ils mettent toutes les touches dans leurs propres lieux. Et pour ce sujet, il se faut figurer que les deux lignes entieres A C, et B D representent les chordes à vuide, et consequemment l'espace qui est entre le cheualet et le sillet du Luth: soit donc C D le cheualet, et A B le sillet, ie dis premierement que l'on aura la premiere touche, c'est à dire n, si l'on diuise le parallelogramme A D en deux parties esgales au point n, lequel fera l'Octaue en haut contre les chordes à vuide.

[Mersenne, Instruments à chordes, 54; text: A, B, C, D, a, b, c, d, e, f, g, h, i, k, l, m, n] [MERHU3_2 03GF]

Secondement l'on aura la 7. touche h, qui fait la Quinte contre la chorde à vuide, et la Quarte contre la touche n, si l'on diuise le parallelogramme A D en trois parties esgales, dont l'vne prise en descendant du sillet vers le cheualet donne h. En troisiesme lieu l'on diuise la ligne A C, ou B D en quatre parties esgales, dont l'vne estant ostée en descendant du sillet, donne la touche f, qui fait la quarte contre la chorde à vuide: mais parce que la chorde auoit desia esté diuisée au point n en deux parties, il faut seulement diuiser n A en deux autres parties, afin de mettre ladite f au milieu. En 4. lieu, si l'on diuise la ligne A C en cinq parties, dont l'vne estant ostée en descendant du sillet donne la touche e, qui fait la Tierce maieure contre la chorde à vuide: et si l'on retranche trois parties, l'on aura la 9. touche k, qui fait la Sexte maieure contre la chorde à vuide, et qui est la derniere des Luths. En cinquiesme lieu l'on aura la 3 touche d, si l'on diuise la ligne A d en six parties esgales, car la sixiesme partie estant retranchée depuis le sillet en descendant, l'on a d, qui fait la Tierce mineure contre B D: et si l'on diuise A D en huict parties, les trois parties estant retranchées depuis le sillet en bas, donnent la 8. touche i, qui fait la Sexte mineure contre A C, de sorte que nous auons trouué les sept touches, qui font les sept consonances de l'Octaue, à sçauoir N, H, F, E, K, D, I.

Il faut maintenant trouuer les cinq autres touches, qui font les interualles dissonants, dont le principal est le ton, ou la seconde maieure, que l'on aura en diuisant A D en 9. ou 10. parties, car la 10. partie retranchée donnera la seconde touche c, qui fera le ton mineur contre A D, et la 9. partie retranchée donnera le c, qui fait le ton maieur: et parce que l'on a desia diuisé A D en cinq parties, il faut seulement diuiser la derniere partie en deux, pour auoir toute la chorde diuisée en 10. Quant à la premiere touche b, encore que l'on la puisse trouuer en diuisant A D en seize parties, ou plustost la derniere huictiesme partie de la diuision qui a desia esté faite, en deux parties, afin que la 16. partie estant retranchée donne le b, qui fait le demy ton maieur contre A D, neantmoins l'on peut la trouuer en plusieurs autres manieres par le moyen des touches qui font les Consonances: quoy qu'il soit assez vtile et assez aysé de la trouuer comme i'ay dit, d'autant que l'on trouue la 6. touche par son moyen, car D b estant diuisé en quatre, la 4. partie estant retranchée donne la sixiesme touche g; et si l'on diuise le mesme D b en trois parties, la derniere [-55-] partie estant retranchée donne la 8. touche i, contre laquelle c D fait la Quinte, comme elle fait la Quarte contre g. De sorte qu'il n'y à plus que la dixiesme et l'onziesme touche à marquer, c'est à dire l, et m, dont la premiere se trouue en diuisant d D en trois parties, car la 3. retranchée donne l, qui fait la Quinte contre D, et si l'on diuise e D en trois parties esgales, la 3. estant ostée donne l'onziesme touche m, contre laquelle elle faict aussi la Quinte. Ie laisse plusieurs autres manieres dont on peut vser pour mettre les touches dans leurs propres lieux, parce qu'il n'est pas possible d'entendre ce que i'ay dit du Monochorde dans la cinquiesme Proposition, et ailleurs, que l'on ne sçache quant et quant toutes les manieres dont on peut se seruir pour asseoir, et arranger les touches du Luth, et de tous les autres instrumens, soit que l'on y vueille mettre la Chromatique, comme l'on fait ordinairement, ou l'Enharmonique.

Ie remarqueray seulement en faueur de ceux qui font les Luths, et qui les touchent, que la touche c fait le ton mineur contre la chorde à vuide, et que s'ils veulent faire le ton maieur, il faut hausser la touche iusques à la ligne ponctuée qui est sur la ligne c, car B c est la 9. partie de la chorde B D: mais depuis A iusques à ladite ligne ponctuée, il n'y a que la 10. partie de la chorde A C, de sorte que le ton maieur et le mineur ne different pas dauantage qu'vne neufiesme et vne dixiesme partie, or ces deux parties different d'vne nonantiesme partie, c'est à dire que la chorde A C estant diuisée en neuf, et en dix parties, chaque neufiesme est plus grande que chaque dixiesme, d'vne nonantiesme partie de la ligne B D diuisée en 90. parties, car la neufiesme partie de B D contient 10/90 de ladite ligne; et la dixiesme partie de la mesme ligne n'en contient que 9/90: de sorte que l'on peut dire que le ton maieur ne surpasse le ton mineur que d'vne nonantiesme partie, que l'on void depuis la touche c, iusques à la ligne ponctuée: et consequemment que l'oreille recognoist vne nonantiesme partie de la ligne A C, ou B D, ou de la chorde de chaque instrument, lors qu'elle peut discerner le ton maieur d'auec le mineur Mais le ton des instrumens n'estant maieur ny mineur, il est entre la touche c, et la ligne ponctuée, car le temperament fait croistre le ton mineur de la moitié d'vn comma, dont il diminuë le maieur, afin de n'en faire qu'vn des deux, comme i'ay desia monstré ailleurs.

Il est aysé de trouuer de combien chaque autre interualle est plus ou moins grand que les autres, et quels demy-tons sont marquez par ces touches: par exemple, que le maieur est depuis A iusques à b, et le mineur depuis b iusques à la ligne ponctuée, et que le moyen est depuis b iusques à c, puis que le ton maieur contient ces deux demy-tons. Finalement quant à ce qui concerne les chordes du Luth, il faut remarquer qu'outre ce que i'en ay dit iusques à present tant en general qu'en particulier, elles font d'autres sons que ceux que l'on oyt ordinairement, et que l'on appelle naturels, car le doigt qui les touche fait la fonction d'vn cheualet; de sorte que l'on oyt vn faux son qui suit la longueur de la chorde prise depuis le cheualet ou le sillet iusques au doigt qui la touche: par exemple, si l'on touche la chorde à vn pied du cheualet, et qu'elle soit longue de quatre pieds, la partie qui est depuis le cheualet iusques au doigt fera la Quinziesme, et la partie qui est depuis le doigt iusques au sillet fera la Quarte contre la chorde entiere.

Or encore que l'on ne remarque pas ordinairement ces sons, parce que le [-56-] son naturel de la chorde les couure, et les esteint, neantmoins si l'on met l'ongle contre la chorde tandis qu'elle tremble, on les entend, et particulierement celuy de la partie de la chorde qui est la plus longue, soit depuis le sillet, ou depuis le cheualet iusques au doigt; de maniere qu'il arriue la mesme chose que sur le Monochorde, dont le cheualet coulant d'vn bout à l'autre, la chorde fait toutes sortes d'interualles d'vn costé et d'autre.

L'on peut encore considerer la difference des sons de chaque chorde, selon les lieux differens où l'on les touche, car outre qu'elles font vn son d'autant plus mol qu'elles sont touchées plus loing du cheualet, et d'autant plus dur, et plus fort qu'on les touche plus pres du cheualet, il semble qu'elles ont le son vn peu plus aigu, lors qu'on les touche plus fort, quoy qu'il ne soit pas quasi possible d'en distinguer la difference.

PROPOSITION IV.

Expliquer les Genres, et les Especes de Musique que les Grecs ont proposez, et tout ce qu'ils ont eu de meilleur dans leur Pratique, et dans leur Theorie.

ENcore que ces discours appartiennent aussi bien à la Viole, et à la Mandore, comme au Luth, neantmoins ie les mets icy, à raison que le Luth a pris vn tel ascendant sur les autres instrumens à chorde, soit que les honnestes gens luy ayent donné cet auantage, ou qu'il l'aye acquis par son excellence, et par sa perfection, que l'on ne fait quasi nul estat des autres, si ce n'est lors que l'excellence extraordinaire de ceux qui les touchent, les releue, et les rend recommandables. Or quoy qu'il en soit, le Luth merite ces discours, et ceux qui le touchent sont assez habiles pour les comprendre, pourueu qu'ils soient assez studieux pour les lire: et parce que Ptolomée est le plus sçauant de tous ceux qui nous ont appris la Musique des Grecs, il me semble que ie ne peux mieux faire que d'expliquer ce qu'il en dit dans ses deux premiers Liures.

Il aduouë donc dans le second Chapitre du premier, que l'action et la fin du Musicien consiste à garder les loix du canon, ou de la Regle harmonique, lesquelles ne repugnent point aux sens, et qui sont receuës de la plus part des hommes. A quoy il adiouste que la raison est plus iuste, et plus exacte que les sens, et qu'il appartient aux Doctes, et à ceux qui sçauent la Theorie de faire voir que toutes les choses de la nature se font auec vn bel ordre, et qu'elle ne fait rien par hazard: ce qui s'obserue particulierement dans les obiets des deux sens, qu'il appelle raisonnables, à sçauoir de la veuë et de l'ouye.

Et parce qu'il semble que les disciples d'Aristoxene ont trop donné à l'oreille, et que ceux de Pythagore ont refusé l'experience du sentiment pour suiure la seule raison des nombres, il blasme les vns et les autres, parce que les vrayes raisons se doiuent accorder auec l'operation, et la perception des sens. Ce qui est veritable, et ce qui monstre euidemment qu'il ne s'estoit pas addonné à la Pratique, ou qu'il n'auoit pas l'oreille si bonne, et si delicate que nos Organistes, nos Facteurs d'instrumens, et les autres Praticiens, qui recognoissent et sentent aysément l'interualle du comma, quoy que Ptolomée ayt creu qu'il n'est pas sensible à l'oreille.

Dans le cinquiesme Chapitre, il dit que les Pythagoriciens ont reietté l'onziesme [-57-] d'entre les Consonances, parce que sa raison de 8. à 3. est surpartiente, car elle est double surpartiente 3, et qu'il n'y a que les raisons multiples, et les deux plus grandes surparticulieres, à sçauoir la sesquialtere, et la sesquitierce, dont la raison double est composée, qui soient propres pour les consonances. Ce qu'il refute dans le 6. Chapitre, d'autant que tous les simples interualles qui font des accords, ne changent pas leur espece ny leur bonté, lors qu'on leur adiouste l'Octaue dessous, ou dessus: parce que les deux sons de l'Octaue ont mesme puissance, et sont si semblables qu'ils ne paroissent que comme vn simple son: d'où il conclud que la Douziesme à mesme raison à l'Onziesme, que la Quinte à la Quarte, et que la Quinziesme a mesme rapport à la Douziesme, que l'Octaue à la Quinte, d'autant que 4, qui est le plus grand terme de la Quinziesme, est sesquitierce de 3, qui est le plus grand terme de la Douziesme; et que 3 qui est le plus grand terme de la Quinte, est sesquialtered de 2, qui est le plus grand terme de l'Octaue; d'où il conclud encore que la Quinziesme est d'autant plus douce, et plus accordante que la Douziesme, que l'Octaue est plus douce que la Quinte. Surquoy ie ne m'arreste pas, parce qu'il est aysé de sçauoir ce qui est vray, ou faux dans ces positions, si l'on entend ce que i'ay dit en parlant de la bonté, de la douceur, et de la preeminence des Consonances.

Dans le 7. Chapitre, il diuise les interualles harmoniques en trois especes, à sçauoir en ceux, dont les termes extremes s'entendent de la mesme façon que s'il n'y en auoit qu'vn, c'est à dire en Octaue, Quinziesme, Vingt-deuxiesme, et cetera en ceux qui font accord, c'est à dire en Quinte, et Quarte simples, ou repetées et composées auec l'Octaue, et en ceux qui sont propres à chanter, c'est à dire en ceux, dont les raisons surparticulieres sont moindres que la sesquitierce, comme est le Ton maieur, et le mineur, et cetera.

Dans le 8. Chapitre il maintient qu'il n'y a point de meilleur moyen d'examiner les interualles harmoniques qu'auec le Monochorde. Quant aux 4. Chapitres qui suiuent, il les employe à expliquer la maniere dont les disciples d'Aristoxene se seruent pour establir les raisons des consonances, et des autres interualles, et les blasme dans le 9. de ce qu'ils mesurent les consonances par leurs interualles, au lieu qu'elles doiuent estre expliquées par leurs sons: Par exemple, ils disent que le ton est composé de deux parties, ou de deux interualles esgaux semblables aux 5. interualles dont ils composent la Quarte, qu'ils disent estre semblables aux 12. interualles, ou parties de l'Octaue. Mais il veut que l'on exprime autrement le ton, et les autres interualles, et que l'on die qu'il est la raison de 2 sons, que l'on appelle sesquioctaue, et ainsi des autres; de sorte qu'll ne suffit pas de dire que le ton est l'excez, ou la distance de la Quinte à la Quarte, autrement l'on ne pourroit le faire ouyr, ny le mettre sur le Monochorde, si quant et quant l'on n'y mettoit les deux interualles, dont il est la difference.

Dans le 10. Chapitre il touche plusieurs difficultez qui sont expliquées dans la Proposition qui suit, afin que celle-cy ne soit pas trop longue; autrement on les peut ioindre ensemble, et n'en faire qu'vne des deux.

[-58-] PROPOSITION V.

Monstrer que l'on vse du Systeme d'Aristoxene sur le Luth, et sur les autres instrumens à manches touchez, et ce qu'il a de defectueux, ou dauantageux.

PTolomee suppose les raisons des consonances que les Pythagoriciens ont donné pour refuter les positions d'Aristoxene, et consequemment il compose le Diton, ou la Tierce maieure de deux tons maieurs, et la mineure d'vn ton maieur, et du demy-ton Pythagorique, que l'on appelle Limma, c'est à dire le residu, ou l'interualle qui reste pour faire la Quarte; lequel estant moindre que la moitié d'vn ton maieur, il s'ensuit que la Quarte ne contient pas deux tons et demy, ny la Quinte trois tons et demy, comme ils disent. Ce qu'il demonstre par les moindres nombres que l'on puisse choisir pour cet effet, dont le premier est 1536, duquel 1728. est sesquioctaue, comme 1944. est sesquioctaue de 1728; d'où il est aysé de conclure qu'il fait la Tierce maieure Pythagorique auec 1536, dont 2048 est sesquitierce, et que le limma est de 2048. à 1944. Or la raison de ces deux derniers nombres est plus grande que celle des deux precedens, car l'excez de 2187. par dessus 2048. est plus grand que leur quinziesme partie, et moindre que leur quatorziesme: mais l'excez dont 2048. surpasse 1944, est seulement plus grand que leur dix-neufiesme partie, et moindre que leur 18, comme l'on void clairement dans la table qui suit.

1536

ton maieur

1728

ton maieur

1944

limma

2048

Apotome

2187

Salinas demonstre d'vne autre maniere dans le 24. Chapitre de son 4. Liure, que la Quarte est plus grande que deux tons et demy, lors que de deux tons l'vn est maieur, et l'autre mineur, et consequemment que la Quarte surpasse la vraye Tierce maieure de plus de la moitié d'vn ton maieur; car si le son A, ou le nombre 1920, et le son B, ou le nombre 1440 font la Quarte; et que le son D, ou le nombre 1800 fasse la Tierce maieure en bas auec 1440, et que C ou 1536 fasse la mesme Tierce en haut auec 1920, et qu'E, ou 2048 fasse la Quarte en bas auec C, comme l'on void dans la table qui suit,

E 1350

B 1440

C 1536

D 1800

A 1920

F 2048

dans laquelle il y a quatre demy-tons maieurs esgaux, à sçauoir E B, B C, D A, et A F, il s'ensuiura que puis qu'il y a vne Quarte de B à A, et qu'E B, et A F sont les deux excez, dont elle surpasse la Tierce maieure, que ces deux excez sont plus grands que le ton maieur, c'est à dire que deux sesquiquinziesmes surpassent la sesquioctaue du mesme interualle, dont la Diese surpasse le Comma, c'est à dire du Comma mineur, comme l'on void aux nombres suiuans: car le ton maieur est moindre que 2 demytons maieurs de la raison de 2048. à 2025, laquelle est la mesme, dont la Quinte de 2025, à 1350. est moindre que l'interualle d'E à F.

A quoy Ptolomée adiouste que l'on ne peut diuiser la raison sesquioctaue en deux raisons esgales, d'autant que des deux raisons, qui approchent le plus de cette moitié, la sesquidixseptiesme est trop petite, et la sesquiseiziesme est trop grande; de sorte que la moitié du ton est tellement cachée entre ces deux raisons, qu'il est impossible de l'exprimer par nombres soit entiers, ou rompus. Et parce que la 15. partie est moindre que la 16, de 243, et qu'elle est plus [-59-] grande que la 17, si l'on adiouste 15 à 243, l'on aura vn demy-ton de 258 à 243, lequel sera quasi la moitié du ton. C'est pourquoy le limma de Pythagore est moindre que ce demy-ton, de la raison de 258 à 256, ou de 129 à 128, qu'il estime si petite qu'elle n'est pas sensible à i'oreille. Il les reprend aussi de ce qu'ils mettent la Tierce maieure de 81 à 64, d'autant que la comparaison de ces termes est trop difficile à comprendre: en effet la vraye raison de la Tierce maieure, qui est de 5 à 4, est beaucoup plus aysée, et quant et quant plus douce, comme i'ay demonstré ailleurs.

Il monstre dans le 12. Chapitre que l'Octaue ne contient pas 6 tons maieurs, et qu'ils sont quasi trop grands de la raison sesquisoixante-quatriesme: où il remarque aussi que les sons que font deux chordes esgalement tenduës, et differentes de grosseur ont mesme raison que la circonference, ou le circuit desdites chordes, et consequemment qu'il faut bander la plus grosse d'autant plus fort que la moindre, pour les mettre à l'vnisson, que celle-cy est plus deliée que celle-là; dont i'ay parlé si amplement dans le liure des chordes, qu'il n'est pas besoin d'en dire autre chose en ce lieu.

Finalement il explique dans le 12. Chapitre les trois genres de Musique selon la diuision d'Aristoxene, apres auoir remarqué que la moindre des Consonances, c'est à dire la Quarte, est composée de trois interualles propres à chanter, et que ces 2 extremes sont appellez stables, parce qu'ils sont tousjours en raison sesquitierce, quelque varieté qui se rencontre entre les deux autres termes du milieu. Or la diuersité des Genres vient de cette varieté d'interualles, qui remplissent la Quarte, et qui font la difference des especes de chaque Genre, car si les 2 premiers interualles d'en bas sont moindres que le 3, qui acheue la Quarte, l'on a le genre Chromatic, et l'Enarmonic, et l'on a le Diatonic, lors que nul interualle de la Quarte n'est plus grand que les deux autres. Mais pour entendre parfaitement la diuision d'Aristoxene, il faut remarquer qu'il diuisoit chaque ton en 2, 3, 4, ou 8 parties, et qu'il appelloit la quatriesme partie diese Enharmonique; la 3, diese Chromatique, et la quatriesme iointe à la huictiesme, c'est à dire les 3/8 du ton, la diese Chromatique sesquialtere. Ce que l'on comprendra aysément si l'on diuise le ton en 24 parties esgales, afin que chaque demy-ton ayt 12 parties, chaque diese Enharmonique 6, et chaque diese Chromatique 8; à laquelle il adiouste vne autre diese de 9 parties, qu'il fait sesquialtere de la precedente.

Il compose 6 sortes de Quartes des interualles precedens, à sçauoir 2 Diatoniques, 3 Chromatiques, et vne Enharmonique, comme l'on void dans la table qui suit, dont chaque nombre signifie les parties du ton contenuës en chaque interualle: par exemple, le premier nombre d'en haut de la Quarte Enharmonique, c'est à dire 48, signifie que le dernier interualle de cette Quarte contient deux tons, dont chacun a 24 parties: et 6, qui est le 2 nombre, signifie que le 2 interualle de la mesme Quarte, c'est à dire la diese Enharmonique, est composée de 6 parties du ton, et ainsi des autres.

Table des 6 Quartes, ou Tetrachordes d'Aristoxene.

[Mersenne, Instruments à chordes, 59; text: Enharmonique, Chromatique mol. Sesquialtere. Toniée. Diatonic mol. Incité. 48, 44, 42, 36, 30, 24, 6, 18, 8, 9, 12] [MERHU3_2 03GF]

[-60-] D'où il est aysé de conclure qu'il diuise tous les interualles de la Quarte en 60 parties, puis que les nombres de chacun de ces 6 genres estant assemblez font tousiours 60. Surquoy Salinas remarque que le vers Hexametre se diuise en 2 parties inesgales, dont l'vne contient deux pieds et demy, comme l'on void en cette moitié de vers Arma virumque cano, et l'autre en contient trois et demy, Troiae qui primus ab oris, comme la Quarte contient deux tons et demy, et la Quinte 3 tons et demy; et que le ton se diuise en 2, ou 4 parties esgales, comme le spondée en 2 syllabes longues, ou en 4 briefues. Mais i'ay expliqué dans le premier Theoreme du 2. liure de l'Harmonie Vniuerselle, tous les rapports de la Metrique auec les Consonances.

Or le Luth, la Viole, et les autres semblables instrumens gardent cette diuision dans leur temperament, de sorte que l'on peut dire que tous les Facteurs de ces instrumens sont disciples d'Aristoxene, qui par ce moyen a reduit toute la Musique à l'esgalité de parties, pour euiter la grande diuersité des interualles qui se rencontrent dans les raisons que i'ay deduites ailleurs en parlant de la perfection du genre Diatonic. Il y en a encore plusieurs qui croyent que cette diuision d'Aristoxene doit estre preferée à toutes les autres, ce que Vincent Galilée s'est efforcé de prouuer en faueur de ses amis Aristoxeniens, par ce que ce Systeme est le plus aysé de tous, et que le iugement des sons depend entierement de l'ouye, sans laquelle la raison ne peut pas seulement cognoistre s'il y a des sons, et à laquelle elle a tousiours recours, quand elle veut iuger de leurs differences, et de leurs proprietez.

D'ailleurs l'Octaue estant tousiours composée de 5 tons, et de 2 demy-tons en chaque espece Diatonique, si chaque ton se diuisoit en 2 demy-tons inesgaux, plusieurs de ces demy-tons seroient inutiles dans la Musique, soit qu'on les considere seuls, ou qu'on les ioigne à d'autres interualles. Par exemple, 2 parties ne font iamais le demy-ton mineur en chantant, et neantmoins il se rencontre entre la Diese de D la re sol, et le B d'E mi la, et entre la diese de G re sol, et le B d'A mi la re. Or il maintient que ce demy-ton ne se pratique iamais, soit seul, ou auec d'autres interualles.

Il dit la mesme chose de l'interualle, done la fausse Quinte surpasse le Triton; de celuy dont la Septiesme maieure surpasse la fausse Octaue, que l'on appelle diminuée: de celuy dont le demy-ton maieur surpasse le mineur: de celuy, dont la Neufiesme mineure surpasse l'Octaue superfluë; de ceux, dont les interualles d'entre la diese de D, et de F surpassent le ton: de celuy, dont la fausse Quarte surpasse la Tierce maieure, et de celuy, dont la Sexte mineure surpasse la quinte superfluë. D'où il arriue vn grand nombre de Tierces, et de Sextes superfluës, et diminuées, et consequemment vn grand desordre, et vne estrange confusion dans la Musique; et ce desordre s'augmenteroit encore, si l'on vsoit de tons differens entre les chordes stables, quoy qu'ils soient en puissance entre les mobiles.

C'est pourquoy il conclud qu'Aristoxene choisit le Diatonic incité, qui a tous ses tons, et ses demy-tons esgaux, apres auoir consideré que les autres Systemes ne peuuent subsister, d'autant que Pythagore mettoit le demy-ton maieur en haut, et le mineur en bas, et que Didymus faisoit le contraire en mettant le maieur en bas, et le mineur en haut: que le Triton de celuy-là surpassoit la fausse Quinte, et que le Triton de celuy-cy estoit moindre, et cetera. D'où il prit occasion de composer tous les interualles du genre Diatonic, et du [-61-] Chromatic de demy-tons esgaux. Par exemple, la Quinte de 7 demy-tons, et le Triton, et la fausse Quinte de 6, dont celuy-là se rencontre entre 4 chordes, et celle-cy entre 5: or Galilée dit que cet interualle est en mesme raison que le costé du quarré auec son diametre.

La Sexte mineure est composée de 8 demy-tons, la maieure de 9, la Septiesme mineure de 10, la maieure de 11, et l'Octaue de 12; d'où il est aysé de conclure que la diuision d'Aristoxene est la plus facile, et qu'elle n'a nul interualle qui ne se mette en pratique. A quoy il adiouste que le son est vne quantité continuë, et non discrete, et consequemment qu'il faut plustost suiure les lignes que les nombres, puis que nul interualle ne se peut diuiser en 2 parties esgales par leur moyen, excepté la Quinziesme et ses repliques, mais seulelement par le moyen des lignes. Et puis il dit que l'vnisson representant le centre du cercle, et l'Octaue la circonference, il n'y a que ces 2 consonances inalterables, car elles ne peuuent estre tant soit peu augmentées, ou diminuées qu'elles ne blessent l'oreille, au lieu que les autres, comme la Quinte, et la Quarte souffrent differentes sortes d'alterations que l'on supporte aysément. Or cet Autheur n'est pas blasmable d'auoir deffendu ses amis, puis qu'apres leur auoir rendu ce bon office, qui luy a fait dire que la Quinte du Luth estant entre la iuste Quinte, dont la raison est sesquialtere, et entre celle des instrumens à clauier, qui est trop diminuée, est la plus agreable, il confesse en faueur de la verité que le Quinte Pythagorique, est plus agreable que l'Aristoxenique, et que la nature n'a pas esgard à nos commoditez; de sorte qu'il ne s'ensuit pas que le Systeme d'Aristoxene, dans lequel la quinte contient 7 douziesmes de l'Octaue, soit plus parfait que celuy, dans lequel elle est iuste.

Or si l'on entend ce que i'ay dit des Consonances, et des Dissonances, l'on n'aura pas besoin d'vne autre lumiere pour recognoistre qu'il n'est pas veritable, que la diuision d'Aristoxene soit plus aysée que celle qui suit la iustesse des interualles que i'ay expliqué en plusieurs lieux: et quant et quant pour demonstrer que de tous les Systemes possibles, celuy-là est le plus aysé à chanter, et le plus naturel qui suit les nombres Harmoniques, comme l'on experimente lors que de bonnes voix chantent plusieurs parties ensemble, lesquelles ne peuuent faire tout ce qui est marqué dans les Compositions à contrepoint simple, ou diminué, dont on vse ordinairement, si elles n'obseruent la distinction du ton maieur, et du mineur, et celle du demy-ton maieur, moyen, et mineur, et de plusieurs autres que i'ay expliquez.

Ce qui n'empesche nullement que l'on n'vse de l'esgalité des tons, et des demy-tons sur le Luth; ce que l'on fait à raison de la commodité, et pour euiter l'embarras, et la multitude des touches, qui sont necessaires pour trouuer, et pour faire tous les interualles iustes sur le manche. Car s'il estoit aussi aysé d'y marquer les consonances iustes, comme les imparfaites, il n'y a nul doute que les Practiciens le feroient, puis qu'ils en approchent tant qu'ils peuuent en haussant ou baissant les touches, plus ou moins selon la bonté, et la iustesse de leurs oreilles. Or il faut maintenant expliquer de combien les Consonances, et les Dissonances sont alterées sur le manche du Luth, et par consequent quel est son temperament; ce que ie feray dans la Proposition qui suit, quoy qu'elle peust estre iointe à la precedente, comme la precedente à la penultiesme: mais ie les distingue, afin que le Lecteur reprenne son haleine, [-62-] et que le repos luy donne de nouuelles forces: ce que ie desire que l'on remarque vne fois pour toutes, lors que ie n'explique pas tout ce que ie promets dans la Proposition, car ie mets ordinairement le reste dans celles qui suiuent, si ce n'est que i'aye desia discouru plus amplement des matieres dont il est question: par exemple, i'ay tellement enoncé la cinquiesme Proposition de ce Liure, que l'on pouuoit attendre l'explication de toute la Musique des Grecs, quoy que ie n'aye expliqué que le premier Liure de Ptolomée dans la 2. et la 3. Proposition, parce que le reste se trouue dans le Liure des Dissonances, et ailleurs.

PROPOSITION VI.

Expliquer le temperament du Luth, et consequemment celuy de la Viole, et des autres instrumens à manches touchez; et monstrer de combien chaque Consonance, et Dissonance est alterée, c'est à dire de combien elle est esloignée des iustes interualles du Systeme parfait: où l'on verra les trois Genres de Musique dans leur perfection.

[Mersenne, Instruments à chordes, 62; text: B, a, c, d, e, f, g, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, E mi la, D la re sol, C sol vt fa, [sqb] mi, A mi la, G re sol, F vt fa, 72, ton maieur, 80, comma, 81, ton mineur, 90, demy-ton maieur, 108, 120, 135, 144] [MERHU3_2 03GF]

IL faut icy supposer ce que i'ay dit du Systeme parfait, qui a 25 sons, ou 24 degrez dans son Octaue, autrement l'on ne peut entendre ce que ie diray du temperament du Luth dans cette Proposition, d'autant qu'il depend de la iustesse des interualles, et de la perfection, dont il participe autant comme il peut, c'est pourquoy ie repete icy la mesme Octaue, qui commence vn demy-ton plus bas que F vt fa, c'est à dire en E mi la, afin que ceux qui ayment le Luth, et ceux qui les font, ou ceux qui en ioüent entendent parfaitement enquoy consiste le genre Diatonic, le Chromatic, et l'Enharmonic, qui sont compris dans cette Octaue de 25 notes, car les lettres capitales E, F, G, A, B [sqb], C, D, E monstrent les notes Diatoniques tant par b mol, que par [sqb] quarre; quoy que le b mol appartienne au genre Chromatic, de sorte que le Diatonic n'a que 8 lettres ou 9, en contant les deux D, qui ne sont differents que d'vn comma. Ce que l'on entendra aysément par les nombres qui sont à costé des notes pour signifier le rang qu'elles tiennent dans cette Octaue, et pour monstrer celles qui appartiennent à chaque genre, afin qu'on les comprenne toutes en particulier, et dans le meslange que l'on en peut faire. Il est donc euident que les nombres 1, 3, 8, 11, 16, 18, 21, 22, et 25 appartiennent au genre Diatonic, qui sert de base, et de fondement aux deux autres, puis que ces 9 [-63-] nombres respondent aux 9 lettres, ou notes Diatoniques, qui sont seulement 8 dans la gamme, dans laquelle l'on ne recognoist qu'vn D la re sol, parce que l'on ne marque point la distinction du ton maieur, et du mineur: quoy que l'on en vse en chantant, comme i'ay demonstré ailleurs. Ce genre Diatonic est exprimé par les nombres radicaux qui suiuent, dont les interualles sont escrits entre-deux.

Quant au genre Chromatic, il a 16 lettres, et autant de notes, si l'on y comprend les Diatoniques, mais en les laissant, il n'a que 7 notes propres, à sçauoir la 4, 5, 9, 14, 15, 19, et 24; car l'on diuise tous les tons du genre Diatonic en 2 demy-tons inesgaux par le moyen du genre Chromatic, de sorte que les tons se treuuent tous diuisez en demy-ton maieur, et mineur: afin que l'on ayt par tout le demy-ton mineur, qui est le moindre interualle de la Chromatique, comme le maieur est le moindre de la Diatonique; quoy que les autres demy-tons, comme le maieur, et le moyen, appartiennent au mesme Chromatic, autant de fois qu'ils se rencontrent hors des deux lieux du demy-ton maieur Diatonic.

[Mersenne, Instruments à chordes, 63; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, e mi la, D la re sol, C sol vt fa, [sqb] mi, B fa, A mi la, G re sol, F vt fa, E mi la, demy-ton mineur, demy-ton maieur, comma, 1440, 1500, 1600, 1620, 1728, 1800, 1920, 2000, 2025, 2160, 2304, 2400, 2560, 2592, 2700, 2880] [MERHU3_2 04GF]

Mais parce qu'il y a trois tons maieurs dans le Diatonic, il est necessaire qu'il reste vn comma apres leur diuision en demy-ton maieur, et mineur, c'est pourquoy l'on a trois comma dans le genre Chromatic, dont celuy qui est entre les deux D appartient au Diatonic: or les lettres, et les nombres radicaux qui suiuent, feront mieux comprendre ce qui concerne le Chromatic, que ne feroit vn discours plus ennuyeux.

D'où il est euident qu'il n'y a que sept chordes Chromatiques, qui diuisent les 5 tons de la Diatonique en demy-tons, à sçauoir la 3, 4, 6, 8, 9, 12, et 15, pour lesquelles on peut trouuer 7 nouuelles dictions pour enrichir l'eschelle, ou la main Harmonique de Guy Aretin, et pour enseigner aux enfans ce que Salinas n'a, ce semble, proposé que pour les sçauans.

Or comme le Diatonic a esté inuenté pour la diuision des Consonances en tons maieurs et mineurs, et en demy-tons maieurs, et le Chromatic pour diuiser lesdits tons en demy-tons maieurs et mineurs, de mesme l'Enharmonic a esté adiousté pour diuiser les demy-tons maieurs en demy-ton mineur, et en diese; de sorte qu'il faut diuiser tous les tons mineurs en 2 demy-tons mineurs [-64-] (qui seront separez par la diese qui se rencontre tousiours au milieu, afin de trouuer le demy-ton maieur tant en bas qu'en haut) et tous les demy-tons maieurs en demy-ton mineur, et en diese: ce que l'on void si clairement dans la table qui suit, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer: dans laquelle il y a 12 demy-tons mineurs, 5 dieses, cinq comma, et 2 demy-comma, que ie nomme comma mineurs.

[Mersenne, Instruments à chordes, 64; text: e mi la, D la re, C sol vt, [sqb] mi, B fa, A mi re, G re sol, F vt fa, E mi, demy-ton mineur, diese, comma, demy-comma, 28800, 30000, 30720, 32000, 32400, 33750, 34560, 36000, 36864, 38400, 40000, 40500, 40960, 41472, 43200, 45300, 46080, 48000, 50000, 50625, 51200, 51840, 54000, 55296, 57600] [MERHU3_2 04GF]

Or l'on peut remarquer plusieurs excellentes analogies entre ces trois genres, et particulierement que le Chromatic commence où le Diatonic finit, en adioustant vn zero, car les 2 extremes de l'Octaue Diatonique sont 72, et 144, et ceux de la Chromatique 1440, et 2880, auquel commence l'Enharmonique, dont les extremes sont 28800, et 57600: de sorte que tous les nombres Chromatiques sont vigecuples des Diatoniques, comme les Enharmoniques le sont des Chromatiques: d'où Salinas conclud que le Diatonic est comme la ligne, le Chromatic comme la surface, et que l'Enharmonic est semblable au corps, parce que si l'on met le premier d'vn à 2, le 2 sera de 2 à 4, et le 3 de 4 à 8: et consequemment le 3 contient les 2 autres comme le corps contient la surface, et les lignes, et comme l'ame raisonnable contient la sensitiue, et la vegetante. Et puis les 9 sons du premier, les 16 du 2, et les 25 du 3 sont 3 quarrez, qui se suiuent immediatement, et qui sont produits par ces 3 racines 5, 4, 3, multipliées par elles mesmes, dont la premiere produit autant que les deux dernieres, et est la Diagonale du triangle rectangle, dont les costez sont 4, et 3.

Et si l'on prend le nombre des chordes de chaque Genre pour les comparer auec leurs interualles, les 9 sons du Diatonic feront le ton maieur [-65-] auec ses 8 interualles, les 16 sons du Chromatic feront le demy-ton maieur auec ses 15 interualles, et les 25 sons de l'Enharmonic feront le demy-ton mineur auec ses 24 interualles: de sorte que le propre interualle de chaque Genre se rencontre dans le mesme Genre: et l'on peut dire que le ton est propre au Diatonic, puis qu'il a pris son nom du ton, et qu'il a 5 tons; et qu'entre les tons le maieur luy est plus naturel, puis qu'il en a 3, et qu'il n'en a que 2 mineurs: que le demy ton maieur est propre au Chromatic, puis qu'il en a 7, et qu'il n'en a que 5 mineurs: et finalement que le demy-ton mineur est propre à l'Enharmonic, puis qu'il en a 12, encore qu'il n'ayt que 7 dieses.

Cecy estant posé, il faut expliquer le temperament du Luth, qui consiste à diuiser l'Octaue en deux parties esgales, chacune desquelles fait le Triton composé de 3 tons esgaux, dont chacun est plus grand que le ton de l'Orgue, et de l'Epinette, de la sixiesme partie d'vne diese, qu'il faut s'imaginer estre diuisée en 12 parties esgales, afin de comprendre l'alteration de chaque interualle, et de chaque touche du Luth. Or puis que chaque ton est augmenté d'vne sixiesme partie, la Tierce maieure est augmentée d'vn tiers de diese, et chaque demy-ton est trop grand de la 12 partie de la mesme diese. Mais puis que ce temperament depend de la diuision de l'Octaue en 12 parties esgales, il faut expliquer la maniere dont on peut se seruir pour diuiser la raison double en 12 raisons esgales; d'où l'on conclura aysément de combien chaque consonance du Luth est moindre, ou plus grande qu'elle ne doit estre, lors qu'elle est en sa perfection.

PROPOSITION VII.

Demonstrer que le ton maieur, et mineur, l'Octaue, et tous les autres interualles peuuent estre diuisez en deux, ou plusieurs parties esgales; d'où il s'ensuit que l'on peut diuiser l'Octaue en 12. demy-tons esgaux: où l'on verra la maniere de trouuer vne, et deux moyennes proportionnelles entre deux lignes données, de doubler le cube, et de mettre les touches sur le manche du Luth, et des autres instrumens.

CEvx qui ne sçauent pas la Geometrie, et qui se seruent seulement de l'Arithmetique vulgaire, croyent et concluent que le ton ne peut estre diuisé en deux parties esgales: de là vient qu'ils diuisent le ton maieur en deux parties, dont l'vne se nomme Apotome, et l'autre Limma par les Musiciens qui suiuent la tradition de Pythagore, et de Platon, comme l'on peut voir dans Ptolomée, et dans les autres Autheurs Grecs, dont i'ay parlé, et dans Boece, Faber, et Glarean. Les autres le diuisent en deux demy-tons inesgaux, dont l'vn s'appelle maieur, et l'autre moyen, lors que le ton est maieur, et quand le ton est mineur, le second demy-ton est semblablement mineur. Mais il est aussi aysé de diuiser l'vn et l'autre ton, et toutes sortes d'interualles de Musique en deux parties esgales, qu'en deux parties inesgales: car si l'on tend vne chorde qui soit moyenne proportionnelle entre les deux chordes qui font le ton, l'Octaue, ou quelque autre interualle, ledit ton, ou l'autre interualle proposé sera diuisé en 2 parties esgales: de sorte que le premier demy-ton du ton maieur sera iustement esgal au second demy-ton.

Quant aux autres diuisions de l'Octaue, ou du ton en 3, 4, ou plusieurs [-66-] parties esgales, elle est vn peu plus difficile, et mesme il y a de certaines diuisions que l'on ne peut faire geometriquement, ny mechaniquement. Voyons premierement celles qui se font geometriquement, dont la premiere est celle qui se fait de chaque interualle en 2 parties esgales par la moyenne proportionnelle. La seconde diuision est celle qui se fait par l'inuention de toutes les autres moyennes proportionnelles, que l'on trouue entre les termes de l'interualle proposé. Or l'on peut trouuer 3. 7 15 31. 63. et cetera moyennes proportionnelles entre deux lignes données, et consequemment l'on peut diuiser chaque interualle, par exemple, le ton, l'Octaue, et cetera en 2. 4. 8 16. 32. et 64 parties esgales. C'est pourquoy le Musicien doit sçauoir comme l'on trouue la moyenne proportionnelle entre 2 lignes données: ce qu'il apprendra par cette figure, dans laquelle A B, et E F, estant les deux lignes données, qui, par exemple, representent l'Octaue, puis que A B est double de E F, ie dis que C D est la moyenne proportionnelle, laquelle diuise la raison double d'A B à E F en deux raisons esgales, et consequemment l'Octaue en deux interualles esgaux, car il y a mesme raison de C D, à E F, que d'A B à C D.

[Mersenne, Instruments à chordes, 66; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L] [MERHU3_2 05GF]

Or pour trouuer cette moyenne proportionnelle, ou telle autre que l'on voudra, il faut ioindre les 2 lignes extremes qui sont données, de sorte qu'elles ne fassent qu'vne mesme ligne, par exemple G H, et H I, qui sont esgales à B A, et E F, et puis il faut prendre le milieu de la ligne totale G I, et du point L, comme du centre, descrire le cercle G K I, car la ligne perpendiculaire menée du point H, où se ioignent les 2 lignes données, iusques au point du cercle K, c'est à dire la ligne H K, sera la moyenne proportionnelle C D. Si l'on veut encore diuiser chacun de ces interualles, à sçauoir celuy d'A B à C D, et celuy de C D à E F en deux autres interualles esgaux, il faut trouuer vne moyenne proportionnelle entre B A, et C D, et entre C D et E F: ce que l'on fera de la mesme maniere que C D a esté trouuée, car elle est generale pour en trouuer vne infinité d'autres. Et si l'on ayme mieux faire le triangle rectangle G K I, que le cercle, l'on aura la mesme moyenne proportionnelle en menant la ligne K H de l'angle droit K perpendiculairement sur la ligne G I, car les triangles G H K, et K H I estant semblables, par la Proposition 8. du 6, il s'ensuit qu'il y a mesme raison de G H à H K, que de K H à H I: ce qui arriue tousiours aux segmens du diametre G I, de quelque point que l'on puisse tirer vne perpendiculaire sur la ligne G I, iusques au cercle G K I. Il y a d'autres diuisions qui ne se peuuent faire geometriquement, quoy que la Mechanique fournisse plusieurs moyens pour les faire, dont il faut maintenant parler.

Le premier est Geometrique et Mechanique, car apres auoir trouué vne moyenne proportionnelle entre 2 lignes données, l'on peut trouuer mechaniquement [-67-] deux moyennes proportionnelles entre l'vne et l'autre extreme, et la moyenne, pour diuiser l'interualle donné en 6 parties esgales par l'inuention des 5 moyennes proportionnelles: ce qui arriuera semblablement, si l'on trouue premierement deux moyennes proportionnelles, et puis vne autre proportionnelle entre elles, l'on aura onze moyennes proportionnelles, qui diuiseront l'interualle donné en 12 parties esgales, et consequemment l'on peut vser de cette inuention sur le manche du Luth, et des autres instrumens, sur lesquels on veut que l'Octaue soit diuisée en 12 demy-tons esgaux, comme ie diray apres. Et parce que l'on peut descrire vne moyenne proportionnelle entre toutes lesdites lignes, l'on peut trouuer 23 47. 95. et cetera moyennes proportionnelles; et consequemment l'on peut diuiser chaque interualle en 12. 24 48. et 96. parties esgales.

La troisiesme maniere de diuiser chaque interualle en plusieurs parties esgales, se sert encore de la seule inuention de 2 moyennes proportionnelles, car l'on en trouue 8, si l'on en trouue 2 moyennes entre les 2 premieres moyennes et les extremes. Et si l'on fait la mesme chose entre toutes les precedentes, l'on en aura 18, et puis 38, 78, et ainsi des autres iusques à l'infiny. D'où il appert que l'on peut diuiser chaque interualle donné en 3, 9, 19, et cetera parties esgales. Et si l'on adiouste l'inuention d'vne moyenne proportionnelle entre chaque binaire desdites 2 moyennes proportionnelles, l'on aura 13, 27, 55, et cetera moyennes proportionnelles. Si l'on prend vne moyenne proportionnelle entre les 8 moyennes, l'on en aura 17, 35, et cetera et finalement si entre les 17 on en prend 2 movennes, l'on en aura 53, et ainsi des autres.

Quant aux autres diuisions qui supposent 6, 10, ou 12 moyennes proportionnelles vne ou plusieurs fois repetées et meslées ensemble, les Geometres n'en ont pas encore trouué la maniere, et consequemment l'on ne peut diuiser le ton, ny aucun autre interualle en 7, ou 13 parties esgales, et cetera. D'où il est aysé de conclure en combien de <parti>es esgales l'on peut diuiser chaque interualle tant geometriquement, que mechaniquement; c'est pourquoy il n'est nullement necessaire de donner des exemples du ton, ou des autres interualles, puis que cela depend de la Geometrie, et que cette diuision n'est pas en vsage dans la vraye Harmonie.

Neantmoins puis qu'Aristoxene et ses disciples ont diuisé le ton en 2 demy-tons esgaux, le demy-ton en 2 dieses, et l'Octaue en 12 demy-tons esgaux, et que plusieurs vsent encore de cette diuision sur le manche du Luth et de la Viole, ie veux icy monstrer la pratique de cette diuision. Soient doncques les 2 chordes A C en raison sesquioctaue, pour faire le ton maieur, ie dis que la ligne, ou la chorde B le diuisera en 2 parties esgales, qui font les 2 demy-tons d'Aristoxene, d'autant qu'elle est moyenne proportionnelle entre A et C: et si l'on trouue vne autre moyenne entre A B, et puis entre B C, l'on aura 3 moyennes proportionnelles qui diuiseront le ton en 4 dieses esgales.

[Mersenne, Instruments à chordes, 67; text: A, B, C] [MERHU3_2 05GF]

Quant à l'Octaue, il faut trouuer onze moyennes proportionnelles entre les 2 lignes, ou chordes A B, et A N, si l'on veut la diuiser en 12 demy-tons esgaux: ce que l'on peut faire en 2 manieres, à sçauoir en trouuant premierement les 3 moyennes proportionnelles A L, A H, et A E; et puis 2 moyennes proportionnelles entre A N, et A L, entre A L, et A H, entre A H, et A E, et entre A E, et A B.

[-68-] [Mersenne, Instruments à chordes, 68,1; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O] [MERHU3_2 05GF]

Mais la seconde maniere est plus aysée, car l'on a seulement besoin de 2 moyennes proportionnelles, qu'il faut premierement trouuer entre les 2 lignes ou chordes A N, et A O, qui font l'Octaue, à sçauoir A I, et A E: quant aux 9 autres lignes, elles se trouuent en la maniere que i'ay expliquée pour trouuer la moyenne proportionnelle, suiuant cet ordre A M, A L, A K, A H, A G, A F, A D, A C, et A B. Et si l'on prend encore vne moyenne proportionnelle entre chaque ligne, l'on aura 23 moyennes proportionnelles, qui diuiseront l'Octaue en 24 parties esgales, que l'on peut appeller 24 dieses. Par où l'on void que les Musiciens peuuent diuiser les autres interualles de la Musique: par exemple, la Quinte, la Quarte, ou la Tierce, et cetera en tant d'interualles esgaux qu'ils voudront, en trouuant les moyennes proportionnelles entre 2 chordes données.

Or si l'on veut appliquer les 12 demy-tons precedens sur le manche du Luth, ou des autres instrumens, il faut seulement prendre le double, le triple, ou le quadruple de toutes lesdites lignes, pour les transporter sur les manches. Ce que l'on fera aysément par le moyen du triangle equilateral, dont la base representera la longueur du manche, et la ligne B N estant appliquée parallelle à la base dudit triangle, les lignes que l'on descrira depuis le sommet iusques sur la base par les points de la ligne B N, à sçauoir par B, C, D, E, F, G, H, I, K. L, et M diuiseront les manches en parties semblables, et par consequent en 12 demy-tons esgaux.

Mais puis que cette diuision ne se peut faire sans l'inuention de 2 moyennes proportionnelles entre 2 lignes données, il faut icy en expliquer quelques manieres, dont la premiere est la plus simple, et la plus aysée, mais elle ne sert que pour trouuer les 2 moyennes, lors que les 2 extremes sont en raison double, comme sont les 2 chordes qui font l'Octaue; et consequemment elle sert pour trouuer la duplication mechanique du cube, à pres d'vne 329 partie. Soient donc les 2 lignes données A B, et A C en raison double l'vne de l'autre, c'est à dire qu'A B soit double de C B, ie dis que si l'on trouue la moyenne proportionnelle B E, et que l'on retranche la ligne A D esgale à la ligne E C de la ligne A B, que la ligne A D sera la plus grande des 2 moyennes proportionnelles, et consequemment que B F moyenne proportionnelle entre B C, et B D sera la moindre, dont le cube est double du cube B C; car encore que plusieurs ayent demonstré que cette maniere n'est pas Geometrique, ils aduoüent neantmoins qu'elle n'est pas mauuaise pour la mechanique, et que l'erreur n'est pas beaucoup sensible, ce qui n'empesche nullement que l'oreille du Musicien ne soit satisfaite de cette diuision.

[Mersenne, Instruments à chordes, 68,2; text: A, B, C, D, E, F] [MERHU3_2 05GF]

La 2 maniere est propre pour trouuer 2 moyennes proportionnelles entre 2 lignes données telles que l'on voudra, laquelle Molthée explique en cette façon dans vn liure qu'il en a faict expres.

[Mersenne, Instruments à chordes, 68,3; text: A, B, C, D, E, F, G, H] [MERHU3_2 05GF]

Soient donc les 2 lignes données B H, et G A, entre lesquelles l'on aura les 2 moyennes proportionnelles A C, et D B, dont A C est la plus grande, et D B la moindre. Or pour trouuer ces 2 [-69-] lignes, il faut descrire vne ligne aussi longue que l'on voudra, par exemple G E, sur laquelle il faut prendre, et marquer 3 fois la moindre des données, à sçauoir G A, qui est 3 fois repetée sur la ligne G E aux points G A, A I, et L O, c'est à dire qu'il faut descrire vne ligne triple de G A, et puis il faut descrire vn triangle sur A G, et vn autre sur H O, de sorte que le compas soit pris de l'ouuerture de la moitié de la plus grande ligne B H diuisée au point C en 2 parties esgales, pour marquer les 2 parties de cercle en F, et D, où les deux triangles se terminent.

Il faut encore tirer vne ligne du point A au point F, pour auoir le triangle A O F: et finalement il faut mener vne ligne du point D, qui couppe tellement les lignes A F, et A O, que la partie qui est depuis B C, c'est à dire que la partie comprise entre les 2 lights A F, et A O, soit esgale à la moitié de la plus grande des données, c'est à dire à la moitié de C H, car cette construction estant acheuée, l'on aura les 2 moyennes proportionnelles D B, et A C, comme i'ay desia dit. D'où Molthée conclud la trisection de la raison, car la raison de G A à D B est la troisiesme partie de la raison de G A à B H, dont elle est souz triple: d'autant que lors que les grandeurs sont continuellement proportionnelles, la raison de la 1 à la 2 est la moitié de la raison de la 1 à la 3, le tiers de la raison de la 1 à la 4, le quart de la raison de la 1 à la 5, et ainsi consequemment iusques à l'infiny. D'où il est aysé de conclure que c'est mesme chose de diuiser les raisons par 2, 3, 4, et cetera que de trouuer la simple raison par la repetition de laquelle lesdites raisons sont composées.

Quelques-vns ont demonstré la maniere de trouuer deux moyennes proportionnelles par le moyen d'vne seule parabole, dont ils feront quelque iour part au public, s'il leur plaist, c'est pourquoy ie n'en parle pas icy.

COROLLAIRE I.

L'on peut aussi trouuer les 2 moyennes proportionnelles, par le moyen des nombres, lors que l'on cognoist la grandeur des 2 lignes données; par exemple l'on aura le nombre des moyennes entre les 2 lignes precedentes G A, et B H, si l'on multiplie G A, (que ie suppose estre de 100. pieds, et B H de 200.) par soy-mesme, et si l'on multiplie encore le produit, à sçauoir 10000, par B H, c'est à dire par 200, l'on aura 100000, dont le double est 200000, duquel la racine cubique 125 9921/10000, ou 126 donne la longueur de la moindre des moyennes proportionnelles.

Et l'on aura la plus grande, si l'on multiplie premierement B H par soymesme, et puis le produit par G A: où si l'on trouue vn nombre qui soit à 126, comme 100 est à 125, ou vne ligne qui soit à D B comme G A est à D B, ce qui est aysé à trouuer par l'onziesme du 6 des Elemens.

COROLLAIRE II.

Le plus facile de tous les moyens possibles, dont on peut vser pour diuiser le manche du Luth en demy-tons esgaux, consiste à marquer premierement la Sexte mineure sur le manche, ce que l'on fait en diuisant la longueur, qui est entre le cheualet et le sillet en 13 parties esgales, dont les 5 dernieres feront la Sexte mineure contre les 8 premieres. Or cette Sexte mineure estant marquée [-70-] sur le manche donnera les 8 touches pour les 8 demy-tons, et pour les 8 lettres b, c, d, e, f, g, h et i. Car si l'on trouue vne moyenne proportionnelle entre les 2 chordes, qui font la Sexte mineure, et puis deux autres moyennes entre la precedente et les 2 extremes, et finalement vne moyenne entre toutes les precedentes, l'on aura 7 moyennes proportionnelles, qui diuisent ladite Sexte en 8 interualles esgaux et geometriques, parce que les 9 lignes, dont la moindre de 5 parties, et la plus grande de 8 font la Sexte mineure, sont continuellement proportionnelles. Et parce que l'on n'a pas besoin de 2 moyennes proportionnelles entre deux lignes données dans cette diuision, qui est entierement Geometrique, elle est beaucoup meilleure et plus commode: quoy que les 8 demy-tons esgaux de cette Sexte soient differents des demy-tons esgaux du Diapason, que nous auons diuisé en 12 interualles esgaux par le moyen d'onze proportionnelles. Ceux qui desirent d'autres manieres pour diuiser l'Octaue, et le manche du Luth, et des Violes en 12 demy-tons esgaux, peuuent voir Zarlin au 4. liure de son Supplement, chapitre 30. où il applique cette diuision au manche du Luth, et Salinas son Contemporain en son 3. liure, chapitre 31, de sorte qu'il y a pres de 60. ans que l'inuention des demy-tons esgaux d'Aristoxene a esté renouuellée par ces deux Musiciens. Or ie donneray encore d'autres moyens pour diuiser l'Octaue, et le Clauier entier dans le Traicté des Orgues, et ailleurs.

PROPOSITION VIII.

Determiner si le Diatonic, ou le Genre de Musique, dont on vse maintenant, est le Synton de Ptolomée, ou le Diatonic de Pythagore, d'Architas, ou d'Aristoxene, ou quelque genre nouueau: où l'on void toutes les differentes especes du Diatonic, et celles du Chromatic, et de l'Enarmonic, que les Grecs ont proposé.

LEs Italiens se sont fort exercez en cette question, et particulierement Zarlin et Galilée: mais si l'on considere la pauureté de ce Genre, suiuant la description qu'en fait Ptolomée, il est euident que nostre Musique, qui a toutes ses Tierces et ses Sextes consonantes, et qui vse du demy-ton moyen, du mineur, et de plusieurs autres, n'est pas le Synton de Ptolomée, ny aucun autre de tous ceux que les Grecs ont proposé, comme ie fais voir par le desnombrement de toutes leurs distributions, desquelles il n'est pas besoin de parler, si l'on veut se contenter des Systemes que i'ay desia proposez, dont chacun est plus parfait que tous ceux des Grecs; mais parce que plusieurs croyent que l'on n'entend pas assez parfaitement les distributions de Ptolomée, et des autres qu'il rapporte, et qu'ils s'imaginent qu'il y a de grands secrets dans la profondeur de leur doctrine, dont la priuation nous oste l'esperance de paruenir aux effets merueilleux de leur Harmonie, il faut approfondir cette matiere, afin que le trop grand respect, que quelques-vns portent aux cendres des Gregeois, ne nous iette pas dans vne perpetuelle defiance de nos forces, et dans le desespoir d'arriuer à vne si grande perfection de l'Harmonie, que celle qu'ils ont pratiquée, selon ce que l'on en peut coniecturer des liures qu'ils nous en ont laissez.

Or les trois especes les plus celebres du Diatonic ont esté celles de Pythagore, de Didyme, et d'Aristoxene, comme Galilée a remarqué dans sa responce [-71-] au Supplement de Zarlin; celle qui se pratiquoit du temps de Pythagore, et qui a duré iusques à Glarean, suiuant l'opinion de tous ceux qui ont escrit iusques à son temps, est appellée Diatonée, à raison que tous ses tons sont maieurs, encore que cette diction puisse convenir au Diatonic, que Ptolomée appelle Synton dans le premier Chapitre de son 2 liure de Musique, et que l'on attribuë à Didymus, puis qu'il a autant de tons que l'autre, quoy qu'il en ayt de 2 especes, à sçauoir le maieur, comme celuy de Pythagore, et le mineur, dont les antiens n'ont pas parlé, comme l'on void dans Platon, Aristote, et les autres, <....> se sont souuenus que du ton maieur, qu'ils ont appellé sesquioctaue, <à cause de> la raison de 9 à 8, qui est entre ses 2 extremes.

Quant au Diatonic d'Aristoxene, que l'on appelle Incité, il a tousiours esté en vsage sur les instrumens à chorde, sur lesquels on le pratique encore, car le Luth, la Viole, et les autres instrumens à manche ont ce semble tous leurs tons, et leurs demy-tons esgaux, et leurs douze demy-tons font l'Octaue, quoy que l'on puisse vser des autres especes sur lesdits instrumens, si l'on en veut prendre la peine. Voyons maintenant les differentes especes de leurs trois genres, dont la premiere qui appartient au genre Diatonic, est la plus ancienne, dont Platon s'est seruy pour expliquer ses pensées: elle a deux tons maieurs, et vn demy-ton, que l'on peut appeller Pythagorique, comme l'on void en cette premiere table.

192

ton maieur

216

ton maieur

243

demy-ton

256

Il n'est pas necessaire de mettre l'Octaue entiere de cette espece, puis qu'elle contient seulement vne autre Quarte semblable à celle-cy, dont elle est separée par le ton maieur; de sorte qu'il n'y a nulle autre difficulté à comprendre le Diatonic diaton de Pythagore.

La seconde espece contient le ton maieur, le mineur, et le demy-ton maieur, dont i'ay donné les raisons ailleurs, et est attribuée à Didyme, et à Ptolomée; l'on vse de cette Quarte sur les instrumens parfaits, et dans nostre Musique Vocale; or cette espece est appliquée dans la seconde table qui suit.

72

ton maieur

80

ton mineur

90

demy-ton maieur

96

La troisiesme espece de Quarte, qu'ils ont appellée esgale et pacifique, parce qu'elle excite à la clemence, est composée d'vn ton mineur, d'vne sesquidixiesme, et d'vne sesquionziesme, comme l'on void dans cette troisiesme table.

9

ton mineur

10

sesquidixiesme

11

sesquidouziesme

12

En effet il n'y a nulle espece de Quarte qui ayt ses 3 interualles, ou degrez si esgaux, ny qui puissent estre exprimez par de si petits nombres, comme celle-cy; ce qui est digne de remarque: mais l'on ne peut adiouster vne autre Quarte à celle-cy, qui soit composée des mesmes interualles en continuant les nombres iusques à 18, qui fait l'Octaue auec 9; quoy que ceux qui sont assez curieux puissent essayer sur les instrumens, si cette Quarte, ou si les interualles qui peuuent se trouuer iusques à 18 pour acheuer l'Octaue, ont quelque bon effet; ces interualles sont entre 12, 13, 14, 15, 16, 17, et 18. L'on peut encore trouuer l'Octaue de l'autre costé, en continuant depuis 9 iusques à 6, pour auoir les interualles, qui sont entre 9, 8, 7, et 6; et pour esprouuer l'effet des chants, que l'on peut faire dans cette Octaue composée de 2 especes differentes de Quarte, dont la derniere n'a que 2 interualles.

[-72-] La 4. espece s'appelle Diatonic mol, et est composé des trois interualles qui suiuent;

168

ton maieur

189

sesquiseptiesme

216

sesquivingtseptiesme

224

il est difficile d'expliquer pourquoy ils l'ont appellé mol, car si l'on considere ses deux plus grands interualles, il deuroit plustost estre appellé dur; mais ils ont peut estre seulement consideré le demy-ton, qui est beaucoup moindre, et consequemment plus mol, et plus doux que les demytons des autres especes. Or il ne faut pas s'imaginer que la voix puisse chanter cet interualle, si elle ne l'apprend des instrumens, sur lesquels il sera marqué: ce qu'il faut semblablement entendre des autres especes de Quarte qui ne sont pas vsitées.

La 5. espece est composée des raisons qui suiuent dans la 5. table,

63

sesquiseptiesme

72

ton mineur

80

sesquivingtiesme

84

mais il vaut beaucoup mieux expliquer la maniere generale de diuiser le Tetrachorde, ou la Quarte en 3 interualles tels que l'on voudra, que de s'amuser à rapporter les differentes imaginations des Grecs, dont nous ne pouuons retirer que de la confusion, ou de l'irresolution, puis que nous ne treuuons pas que Ptolomée, ou quelques autres ayent esté assez sçauans, ou assez hardis pour determiner de quelle espece se seruent les voix, encore qu'ils n'ayent proposé leurs differentes especes, que pour treuuer le moyen de conseruer la regle harmonique, et de l'accommoder aux sentimens de l'oreille, et aux interualles ordinaires de la voix, qui suiuent le parfait Diatonique, que i'ay desia expliqué plusieurs fois en diuers lieux.

Car quant aux instrumens, l'on peut les marquer d'vne infinité d'interualles differens:

1  12, 13, 14, 16
2  12, 13, 15, 16
3  12, 14, 15, 16

par exemple, si l'on multiplie les termes de la Quarte par 4, l'on aura 3 especes de Quarte, à sçauoir. Si on les multiplie par 5, l'on aura 6 autres especes de Quarte, ausquelles on pourra donner tel nom que l'on voudra, comme l'on void en cette 2. table.

1  15, 16, 17, 20
2  15, 16, 18, 20
3  15, 16, 19, 20
4  15, 17, 18, 20
5  15, 17, 19, 20
6  15, 18, 19, 20

Il est aysé de trouuer douze autres especes de Quarte, si l'on multiplie les extremes par 6, et ainsi consequemment par 7, 8, 9, et cetera iusques à l'infiny: car pourueu que 3 interualles remplissent ou composent la Quarte, l'on aura ce que les multiplicateurs des especes, et des genres desirent. Si l'on veut voir plus particulierement les especes du genre Diatonic, Chromatic, et Enharmonic des anciens, on les trouuera à la 1894. page des Commentaires sur la Genese, et dans le 3 liure de la Verité des sciences, Theoreme 5.

Car il suffit icy de monstrer que nostre Musique à d'autres interualles que le Synton de Ptolomée, comme il est euident par les Tierces et les Sextes mineures, que l'on fait maieures en les augmentant d'vn demy-ton mineur, qui est de 24 à 25, soit en montant ou en descendant, et par le demy-ton moyen, et les autres dont i'ay monstré la necessité en d'autres lieux. Ie sçay qu'ils vouloient que le Genre Chromatic se chantast par 2 demy-tons consecutifs, et par le Sequiditon, que nous appellons la Tierce mineure, dont ils acheuoient leur Tetrachorde, et que l'Enharmonic se chantast par deux dieses, et puis par la Tierce maieure, qui seruist d'vn seul interualle, ce que i'ay expliqué si clairement, et si amplement dans le 17. Theoreme du premier liure de l'Harmonie [-73-] Vniuerselle, que ce seroit esclairer le Soleil que d'y adiouster; et les systemes que i'ay expliquez dans la Theorie comprennent les trois genres de Musique si parfaitement que l'on n'y peut rien desirer, car les Compositeurs peuuent vser de tels degrez Chromatiques, ou Enharmoniques qu'ils voudront dans lesdits Systemes. Mais il ne faut pas s'imaginer que l'on doiue necessairement proceder par les seuls degrez de ces Genres, lors que l'on prend la liberté d'vser de quelqu'vn de leurs interualles, car les chants n'auroient pas de grace, et seroient trop contraints: c'est pourquoy le Musicien doit se reseruer vne pleine liberté d'employer tantost la diese Enharmonique, tantost le demy-ton Chromatique, et puis les degrez Diatoniques dans vn mesme chant, suiuant le dessein qu'il aura, et selon l'effet qu'il voudra produire. Et il n'y a nul doute que les Grecs, qui ont eu la pratique, n'ayent fait la mesme chose, s'ils ont esté iudicieux et habiles.

Quant au Diatonic d'Aristoxene, i'en ay desia parlé en discourant de la participation ou du temperament. Ie diray seulement icy que l'Octaue d'Aristoxene n'a pas tous ses tons esgaux, si elle suit les nombres que propose Ptolomée dans le second liure de son Harmonie, chapitre 14. comme l'on void dans cette Table.

Table des Diatoniques de cinq Musiciens.

[Mersenne, Instruments à chordes, 73; text: Diatonic d'Archytas. Le Diatonic mol d'Aristoxene. Le Diatonic tendu d'Aristoxene. Le Diatonic d'Eratosthene, Le Diatonic de Didyme. A, [sqb], C, D, E, F, G, 60, 67, 68, 70, 75, 76, 77, 80, 90, 101, 105, 110, 111, 112, 113, 115, 120, 30, 9, 15, 43, 56, 41] [MERHU3_2 05GF]

Où il faut remarquer qu'il y a 2. rangs de nombres en chaque genre, dont le premier contient les raisons de chaque interualle; mais ie ne sçais pas si le second peut estre expliqué, de quelque biais, et en quelque sens que l'on le puisse prendre, car encore que le second rang du Diatonic mol d'Aristoxene soit composé de 70, qui y est resté 8 fois, et que ce nombre semble signifier que tous les tons de ce Genre sont esgaux; neantmoins il est euident que les premiers nombres de ce Genre ne contiennent pas des interualles esgaux. Si au lieu de 76, et de 111, l'on mettoit 75, et 110, ou 115, il y auroit quelque esgalité entre les differences des nombres, quoy que la difference des vns soit 10, et des autres 5, mais outre que la speculation en seroit inutile, le 2. rang des autres Diatoniques ne se peut expliquer de la mesme sorte: par exemple, le Diatonic tendu ou synton d'Aristoxene, a les mesme 70. par tout, encore que les premiers nombres ne suiuent pas la progression de ceux du genre precedent. Or puis que i'ay donné ces Diatoniques, ie veux encore adiouster ceux que Ptolomée propose de sa part.

[-74-] Table des cinq especes Diatoniques de Ptolomée.

Le Diatonic.   Le Toniée. Le Diatoniée. Le Synton, L'egal.
                                        ou Tendu.
E     60  70   60  70     60  70        60  70     60  70
D     68  34   67  30     67  3         66  40     66  40
C     76  11   77  9      75  56        75  70     73  20
[sqb] 80  70   80  70     80  70        80  70     80  70
A     90  70   90  70     90  70        90  70     90  70
G     102 81   101 15     101 15        100 <>     
100 70
F     111 17   115 43     113 51        112 30     110 70
E     120 70   120 70     120 70        120 70     120 70

Il faut remarquer que toutes ces especes de Diatonic ont le ton maieur au mesme lieu: ce qui monstre qu'ils ont tous recogneu et embrassé la iustesse de la Quarte et de la Quinte, et consequemment que ce ton est commun à toutes les especes, et qu'ils ont seulement cherché les autres interualles comme à tastons, sans pouuoir rencontrer les veritables interualles de la nature, dont nous vsons maintenant. D'où l'on peut ce semble conclure que nous entendons mieux qu'eux la Theorie, ou du moins la Pratique: ce qui n'est pas arriué à cause du trop peu de temps, et de diligence qu'ils ont employé à cet art, puis qu'ils en ont tant fait de liures, et qu'ils ont proposé vne si grande multitude d'especes en chaque sorte de genre, comme l'on void icy dans les Diatoniques, et dans les deux tables qui suiuent, dont la premiere contient les 8. especes de Chromatique, et la 2. les 5. de l'Enharmonique, que Ptolomée propose et rapporte au mesme lieu.

Table des huict especes du genre Chromatic.

[Mersenne, Instruments à chordes, 74; text: 60, 70, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 80, 90, 106, 108, 11, 112, 114, 115, 116, 120, 41, 43, 40, 20, 30, 5, 9, 22, 33, Chromatic d'Architas. d'Aristoxene. Le sesquialtere d'Aristoxene. Le Tonic d'Aristoxene. d'Eratosthene. De Didyme. de Ptolomée. Chromatic synton de Ptolomée.] [MERHU3_2 06GF]

Si ces Genres et ces Especes pouuoient apporter quelque vtilité, i'en corrigerois quelques nombres par les manuscrits Grecs de la Bibliotheque du Roy comme i'ay fait au penultiesme du premier rang du Chromatic de Didyme, ou i'ay mis 111, selon les manuscrits, au lieu de 114 de l'imprimé; mais ces especes estant inutiles et mal establies, ce seroit perdre le temps que de s'y arrester dauantage: c'est pourquoy i'adiouste seulement icy leurs especes du Genre Enharmonic.

[-75-] Table des cinq especes du Genre Enharmonic.

Enharmonic d'Aristoxene d'Eratosthene de Didyme de Ptolomée d'Architas.

60  70      60  70       60  70        60  70    60  70
73  70      76  70       74  70        75  70    75  70
77  8       78  70       77  70        78  30    78  15
80  70      80  70       80  70        80  70    80  70
90  70      90  70       90  70        90  70    90  70
106 30      114 70       114 70        112 30    112 30
115 43      117 70       117 30        116 15    117 23
120 70      120 70       120 70        120 70    120 70

Or l'on peut remarquer par toutes ces Tables qu'ils ne donnoient pas les mesmes degrez au Tetrachorde d'en-bas qu'à celuy d'en-haut, quoy que par tout ailleurs ils ne fassent qu'vn seul genre de Tetrachorde ou de Quarte pour chaque Genre, ou chaque espece de Genre. D'où l'on peut ce me semble coniecturer que toutes ces tables sont pleines d'erreurs: mais quoy qu'il en soit, elles ne peuuent seruir ny à la vraye Theorie, ny à la Pratique, autrement i'eusse pris la peine de reduire toutes ces especes dans vn mesme Systeme composé de nombres entiers, comme i'ay fait en faueur du Systeme de Fabius Colomna. Neantmoins ce discours n'est pas inutile, car il sert du moins d'vne fidele histoire, qui monstre l'industrie des Anciens, et fait voir que nous n'auons nul suiet de croire les effets de leur harmonie, qui n'ont pas esté beaucoup signalez, s'ils n'ont point eu d'autre esclat que celuy qui se tire de leur science et de leurs escrits, ausquels il faut auoir plus de creance qu'à quelque rapport leger, et peut estre inconsideré qu'en font les Historiens, et ceux qui n'ont pas oublié à loüer leur Nation, laquelle ayant esté blasmée de mensonge par sainct Paul, ie n'ay plus rien à dire sur ce suiet.

Or i'ay mis les 8 lettres ordinaires de la Pratique vis à vis de chaque nombre des especes Diatoniques, en commençant par E mi la, parce qu'ils commencent toutes leurs Quartes par le demy-ton d'en-bas, afin que si l'on veut chanter toutes ces especes, ou les experimenter sur les instrumens, l'on commence chaque Octaue par E mi la, mais l'on trouuera seulement la Quarte et la Quinte iustes, qui sont en toutes les especes tant de ce Genre, que du Chromatic et de l'Enharmonic, depuis 120. iusques à 90, et 80: car Ptolomée s'est seruy de ce nombre 120. pour toutes les especes de chaque Genre, comme l'on void dans les tables precedentes. Ce qui a peut estre esté cause qu'il a vsé des seconds nombres pour quelque raison qu'il n'a pas exprimée, et qu'il n'a pas voulu rendre les interualles de chaque espece en leur iustesse, afin de n'estre pas contraint de trouuer des nombres trop grands, dont il eust deu se seruir pour expliquer les veritables proportions sans fraction.

[-76-] PROPOSITION IX.

Expliquer la maniere de toucher le Luth en perfection, et de poser ou de mouuoir chaque main, et chaque doigt comme il est requis pour en bien ioüer.

L'Art ou la science, et l'industrie de la main est si grande que plusieurs l'ont appellée l'vn des principaux instrumens de la sagesse et de la raison, dont elle enuoye les pensées et les resolutions par tout le monde par le moyen de l'escriture, et dont elle explique les conceptions aussi bien que la langue, comme l'on experimente aux sourds et aux muets, qui escriuent dans l'air auec le seul mouuement des mains et des doigts, dont ils peuuent faire de grands discours, et des harangues entieres aussi viste ou plus qu'auec la langue.

Mais sans m'arrester à tous les chefs-d'oeuure qu'elle fait, il suffit icy de considerer ses mouuemens sur le Luth, et sur tous les autres instrumens, car ils sont si merueilleux que la raison est souuent contrainte d'aduoüer qu'elle n'est pas capable d'en comprendre la legereté et la vistesse, qui surpasse la promptitude de l'imagination la plus viue que l'on puisse rencontrer, comme l'on experimente lors qu'on veut nombrer les sons qu'elle fait, ou les chordes qu'elle touche, ou ses tremblemens dans le temps d'vne mesure. Mais puis que la Pratique n'en peut estre mieux entenduë, ny expliquée que par ceux qui enseignent à toucher le Luth, ie veux donner le traicté que Monsieur Basset en a fait à ma requeste, dont ie descrirois icy la loüange et les vertus, si sa modestie ne m'en empeschoit, et si elles n'estoient assez cogneuës dans Paris, où il enseigne selon la methode comprise dans cette Proposition, et dans les deux autres qui suiuent.

L'Art de toucher le Luth.

Dans lequel on verra la maniere de bien poser les deux mains, et de faire de la tablature si intelligible, qu'elle sera entenduë sans difficulté: la diuersité des tremblemens, et leur vsage y seront aussi expliquez auec des exemples vtiles et curieux.

Article I. Des conditions requises à celuy qui veut apprendre à toucher le Luth.

LA pluspart de ceux qui ont traicté des arts et des sciences, requierent trois conditions pour en acquerir la perfection, à sçauoir la Nature, la Discipline et l'Exercice, sans lesquelles on ne peut arriuer au but que l'on s'est proposé. Or il faut entendre par le mot de Nature, l'inclination, et la disposition naturelle que nous auons à de certaines sciences, et à des Arts particuliers, comme il arriue que les vns sont portez à la Peinture, ou à la Sculpture, et les autres à l'Architecture, à la Geometrie, et cetera. La discipline signifie la Methode, et l'instruction des bons Maistres: et l'Exercice n'est autre chose que la Pratique de leurs preceptes. Or ces deux dernieres parties peuuent suppleer le defaut de la premiere, car comme la terre la plus sterile est renduë fertile par le soin et la diligence du laboureur, ainsi ceux qui croyroient estre incapables d'apprendre cet art, doiuent s'asseurer qu'ils peuuent surmonter les defauts de la nature, et l'inclination, en mettant en pratique les enseignemens que nous allons donner. Et s'il estoit necessaire d'en apporter des exemples, [-77-] i'en fournirois vn grand nombre, mais cette verité se recognoist sans contredit par les experiences que l'on en voit tous les iours, c'est pourquoy ie viens aux choses qui sont les plus vtiles, et dis premierement qu'il est necessaire que celuy qui se veut addonner à ce noble exercice pour en receuoir vn parfait contentement, sçache vn peu de Musique, afin qu'il entende la valeur des mesures contenuës en sa tablature, encore qu'il se trouue des hommes qui ont l'oreille si delicate, qu'ils peuuent (estant enseignez) accorder, et toucher le Luth auec autant de iustesse que les meilleurs Musiciens du monde: mais il ne faut pas que ceux qui sont pourueus de ces rares qualitez naturelles, mesprisent cet art, sans lequel la nature est imparfaite et aueugle.

I'adiouste neantmoins que la seule delicatesse de l'oreille ne suffit pas, parce qu'il est encore necessaire que l'esgalité des deux mains soit conforme à la iustesse; afin qu'elles partent toutes deux en mesme temps, autrement l'on remarque de grandes imperfections au toucher; ce qui arriue des mauuais preceptes de celuy qui touche le Luth, mais ceux qui ont les deux mains esgales, et si adroites qu'elles sont capables d'executer tout ce que l'on peut s'imaginer, rauissent les auditeurs, et me font souuenir de l'opinion d'Anaxagore qui constituoit la sagesse humaine dans les mains, encore que les hommes ne soient pas sages parce qu'ils ont des mains, puis qu'ils les ont plustost parce qu'ils doiuent estre sages, afin d'executer ce que leur dicte l'art et la raison.

II. De la situation de la main droite, et comme il s'en faut seruir.

APres auoir parlé de l'excellence, et de l'esgalité des mains, il faut monstrer le lieu où l'on doit les poser sur le Luth, car cette situation nous sert de premier fondement, à raison que l'on ne le peut toucher sans de grandes contraintes, et sans de mauuaises contenances, si les mains ne sont bien posées. Ie commence donc par la main droite, afin d'imiter les plus habiles de ce temps, et dis en premier lieu, qu'il faut que le Luth appuyé contre vne table, ou vn autre corps soit soustenu par le poids du bras droit: quoy qu'on le puisse tenir sans cet appuy par le moyen de deux petits boutons d'ebene, ou d'yuoire: en second lieu, que le dessus de la main doit estre autant veu du costé du petit doigt que du costé du poulce, qui doit estre estendu vers la rose. 3. le premier doigt qui suit, et que l'on appelle l'Index, doit estre fort esloigné du poulce; et le 2 et le 3, que l'on nomme Medius, et Medicus, doiuent estre fort proches du premier, et s'incliner le plus pres qu'il sera possible du petit doigt. En 4. lieu, le petit doigt doit estre appuyé sur la table du Luth proche du cheualet, et de la chanterelle, car ceux qui le mettent derriere ledit cheualet, contractent vne mauuaise habitude, qui se change par apres en nature: de sorte qu'il est difficile que les enfans, que l'on accoustume à cette mauuaise pratique, la changent quand ils sont plus grands. C'est pourquoy il leur faut faire construire de petits Luths, afin que les espaces des chordes soient conformes à la grandeur de leur main, et qu'ils la posent tout d'vn coup comme les grands.

Or i'ay remarqué que l'on doit autant voir le dessus de la main du costé du petit doigt, que celuy de deuers le poulce, lors qu'elle est située comme nous venons de dire, parce que les doigts doiuent estre aussi proches des chordes les vns que les autres.

[-78-] C'est pourquoy ie viens à l'vsage des doigts; et premierement à celuy du pouce, dont il ne faut pas fleschir la iointure proche de son extremité, parce qu'il faut qu'il soit tout estendu comme s'il estoit sans iointure, à raison que l'on ne pourroit pas aysément toucher la dixiesme chorde en mesme temps que l'on a touché la quatriesme, à cause de la grande distance qui se treuueroit du poulce iusques à la dixiesme, si on l'auoit fleschy en touchant la quatriesme. Le premier doigt voisin du poulce, et qui en doit neantmoins estre fort esloigné lors que l'on s'en sert, doit toucher les chordes du coin de la pointe qui est deuers le poulce, plustost que de son milieu; ce qu'il faut soigneusement remarquer, afin que son action soit libre pour releuer, ou pour rabattre les chordes. Or quand on ne touche qu'vne seule chorde du premier doigt, it la faut enleuer par dessouz en tenant la pointe du doigt bien ferme: mais lors que l'on en touche trois, ou quatre, comme il arriue souuent, il faut tenir ladite pointe plus lasche, afin que le doigt puisse couler plus aysément sur les chordes que l'on veut releuer, ou rabattre.

Quant au second et au troisiesme doigt, il en faut aussi enleuer les chordes par dessouz; et lors que l'on ne s'en sert point, il les faut tenir negligemment appuyées aupres du petit doigt. La main estant ainsi disposée, il faut prendre garde qu'en faisant agir les doigts, le dessus de la main ne se iette pas en dehors, afin que l'on ne puisse apperceuoir qu'elle soit trauaillée par le mouuement des doigts.

III. De la position de la main gauche.

IL n'y a personne qui ne desire, et ne recherche d'auoir bonne grace en tout ce qu'il faut, comme l'on experimente en toutes les actions honnestes que l'on est obligé d'exposer aux yeux d'autru<y:> de là vient qu'on ne fait pas beaucoup d'estime de l'escuyer qui fait bien aller vn cheual à droit et à gauche, le pas et le galop, s'il n'est à droit, et s'il ne le fait sans contrainte: car la liberté d'agir est ce qui donne la bonne grace à l'action. Or afin que l'on iouysse entierement de cette liberté, qui consiste en la situation de la main gauche et en l'exercice, il faut mettre le poulce au dessus de la premiere touche pres le bord du manche du costé de la chanterelle, de maniere que sa pointe soit posée sur ladite touche, et tournée vers la teste du Luth. Et le poignet doit estre mediocrement esleué, afin que la pointe des doigts soit fort proche des chordes.

Quant au premier doigt l'on doit le poser vn peu de costé vers la teste du Luth: mais quand il est posé à la mesme touche que le second, par exemple, s'il faut poser deux [c], l'vn du premier et l'autre du second doigt, il faut pour lors redresser le premier doigt. L'on doit aussi tousiours esloigner le premier doigt du second, lors qu'ils ne sont pas en mesme touche; mais si l'on doit faire vn tremblement à l'ouuert, il faut ioindre tous les doigts l'vn contre l'autre, afin de luy augmenter sa force.

Le second doigt estant posé sur la touche du Luth doit estre situé presque droit, c'est à dire qu'il doit quasi autant pencher du costé du cheualet, que vers la teste du Luth. Le troisiesme et le quatriesme doigt doiuent estre pliez en rond, et auoir leur pointe proche des chordes, quand on ne s'en sert point, afin qu'ils soient plus prests à poser. Et si la main descend d'vne ou de deux touches, le poulce la doit suiure esgalement: par exemple, si on a fait le [c] sur [-79-] la chanterelle auec le second doigt, (le poulce estant posé au dessouz de la premiere touche) et qu'il faille toucher le [d] auec le second doigt, il faut aussi descendre le poulce d'vne touche: ce qu'il faut tousiours obseruer par tout où la main descendra, ou remontera.

IV. Des tremblemens.

ENcore que les siecles passez ayent produit des hommes tres-excellens en toutes sortes d'arts et de sciences, et particulierement en celuy dont nous traitons, l'on peut neantmoins dire qu'elles se perfectionnent d'autant plus qu'elles vont plus en auant: comme il est aysé de prouuer par l'vsage des tremblemens, qui n'auoit iamais esté si frequent qu'il est maintenant. De là vient que le ieu de nos deuanciers n'auoit pas les mignardises, et les gentillesses qui embellissent le nostre par tant de diuersitez. Mais puis que les tremblemens sont differens tant en leurs effets qu'en leurs noms, i'essayray à les faire cognoistre, et à les distinguer par des characteres que i'ay expressement inuentez pour ce sujet, car chacun les nomme et les figure selon qu'il luy plaist.

[Premier tremblement. in marg.] Or celuy qui est formé en cette façon, s'appelle vulgairement tremblement, et la plus part ne se seruent point d'autre charactere pour en exprimer toutes les differentes especes; c'est pourquoy ie ne l'ay pas voulu changer, puis qu'il est si familier à tout le monde, afin de n'vser d'aucune nouueauté si elle n'est vtile. Mais il y a encore d'autres tremblemens qu'ils appellent accens plaintifs, martelemens, verres cassez, et battemens, comme nous verrons à la suite de ce traicté. Quant au premier, marqué de cette virgule, et qui se fait à l'ouuert, il faut considerer deux choses pour le bien executer, à sçauoir que la pointe du doigt de la main gauche, qui doit faire ce tremblement, soit bien appuyée sur la chorde sur laquelle il se doit faire, et que l'on ne leue point le doigt de dessus ladite chorde, que l'on ne sente qu'elle ayt esté touchée de la main droite. Il faut encore remarquer que l'on peut estre en doute si l'on doit poser le doigt à la touche du [b], ou du [c] quand ce tremblement se doit faire à l'ouuert, c'est pourquoy ie mets vn petit traict au dessus du caractere comme s'ensuit, lors qu'il le faut faire à la touche du [b], et si c'est à la touche du [c], ie n'y en mets point.

Si ce tremblement se trouue à vne autre lettre qu'à vn [a], comme l'on void icy,

[Mersenne, Instruments à chordes, 79] [MERHU3_2 06GF]

il faut poser le premier doigt de la main gauche au dessus de la touche [d], comme le monstre le nombre qui precede le [d], (car les nombres qui precedent les lettres de la tablature signifient les doigts de la main gauche, qu'il faut poser; par exemple l'vnité signifie le premier doigt, 2 le second, et cetera) et faire le tremblement du petit doigt au dessus de la touche [f]. Il faut encore remarquer qu'en quelque lieu que se rencontre ce caractere, qu'il doit y auoir vn pareil espace du doigt qui marque la lettre, de celuy qui fait le tremblement, que celuy qui est en l'exemple precedent, c'est à dire qu'il faut qu'il y ait tousiours deux touches de distance entre les deux doigts. Mais s'il est accompagné d'vn petit trait au dessus, comme l'on void, [signum] il faut seulement laisser vne touche de distance entre le doigt qui marque la lettre, et celuy qui fait le tremblement: c'est à dire qu'au lieu que l'on a fait le tremblement au dessus de la touche [f], il le faut faire au dessus de la touche [e]: ce qu'il faut semblablement obseruer en tous les lieux, et en [-80-] toutes les sortes de tremblemens auec lesquels ledit signe se rencontrera.

V. Du tremblement appellé Accent plaintif.

ENcore que l'action de la main gauche ne fasse faire aucun tremblement à la chorde pour executer cette mignardise, ie ne luy ay pas neantmoins voulu changer le nom qu'on luy donne ordinairement, et ie ne le figure point autrement que le precedent, horsmis que i'adiouste vn petit point deuant, afin de le discerner d'auec le premier, comme l'on void

[Mersenne, Instruments à chordes, 80,1] [MERHU3_2 06GF].

[2. Tremblement. in marg.] Or ce tremblement ne se fait iamais à vn [a], c'est pourquoy s'il le faut faire à vn [b], l'on doit toucher la chorde à l'ouuert, comme si c'estoit vn [a], et apres que le son de la chorde est à demy passé il faut laisser tomber le doigt de haut à la touche du [b] sans faire aucun tremblement.

Mais s'il le faut faire à vn [c], et qu'il y ayt vn petit trait au dessus du caractere, comme l'on void icy

[Mersenne, Instruments à chordes, 80,2] [MERHU3_2 06GF],

il faut poser le premier doigt à la touche du [b], et apres auoir touché la chorde de la main droite, il faut laisser tomber de haut le second doigt de la main gauche à la touche du [c], comme l'on a fait au [b] precedent: mais s'il n'y a point de trait au dessus, comme l'on void [signum], il faut faire comme cy-dessus au [b]. Et si c'est à vn [d] qu'il le faille faire sans estre accompagné du petit trait au dessus, l'on doit poser le premier doigt à la touche du [b], et laisser tomber le quatriesme doigt à la touche du [d], comme nous auons dit cy-dessus. Mais s'il est accompagné du trait, il faut poser le second doigt à la touche du [c], et laisser tomber le quatriesme doigt à la touche du [d], comme l'on a fait aux autres doigts.

Or en quelque lieu que se fasse ce tremblement, si ce n'est à vn [b], il faut qu'il y ayt tousiours vn doigt posé au dessus de celuy qui doit marquer la lettre. Et puis il faut obseruer vne pareille distance entre les deux doigts de la main gauche, (soit qu'on l'accompagne de ce trait, ou sans iceluy) que celle qui se garde en l'obseruation du premier tremblement, dont nous auons parlé cy-dessus.

VI. De deux sortes de Martelements, et du tremblement que quelques vns appellent Verre cassé ou souspir.

[3. Tremblement. in marg.] I'E marque la figure de ce tremblement par vne petite croix, comme l'on void [*], par exemple s'il se doit faire au [b] de la seconde, il faut poser le premier doigt de la main gauche sur la seconde à la touche du [b]. Et lors que l'on touche la 2 de la main droite, l'on dolt faire le tremblement de la main gauche, et en finissant le tremblement il faut reposer le doigt bien ferme au mesme lieu qu'il estoit deuant, afin que la chorde, apres le tremblement acheué, ayt le son d'vn [b]. Or ce tremblement ne se fait iamais qu'en vn [b], et en vn [c], et ce d'vn seul doigt de la main gauche.

Il y a encore vne autre espece de martelement, que ie marque par ce caractere [^], et n'est different du precedent qu'au nombre des doigts de la main gauche, car il n'en faut qu'vn pour l'executer, et pour celuy-cy il en faut tousiours deux: par exemple, s'il le faut faire à vn [d] de la seconde en cette façon,

[Mersenne, Instruments à chordes, 80,3] [MERHU3_2 06GF]

[4. Tremblement. in marg.] il faut poser deux doigts, l'vn à la touche du [b], et l'autre à celle du [d]: et lors que l'on touche la chorde de la main droite, le doigt qui est [-81-] posé à la touche du [b] doit demeurer appuyé audit lieu, tadis que l'autre doigt qui est posé à la touche du [d] fait le tremblement: et lors qu'on le termine, il faut reposer fermement ce doigt sur ladite chorde, au mesme lieu qu'il estoit auparauant, comme nous auons dit au tremblement precedent.

Et si ce tremblement est accompagné d'vn petit trait au dessus en cette sorte,

[Mersenne, Instruments à chordes, 81,1] [MERHU3_2 06GF]

il faut seulement laisser l'espace d'vne touche entre les deux doigts de la main gauche, de la mesme maniere qu'en tous les autres, où ledit signe se rencontre.

Quant au verre cassé, ie l'adiouste icy, encore qu'il ne soit pas maintenant si vsité que par le passé, dautant qu'il a fort bonne grace, quand on le fait bien à propos: et l'vne des raisons pour laquelle les modernes l'ont reietté, est parce que les anciens en vsoient presque par tout. [5. Tremblement. in marg.] Mais puis qu'il est aussi vitieux de n'en point faire du tout, comme d'en faire trop souuent, il faut vser de mediocrité, sa figure est [signum] la virgule precedente suiuie d'vn point.

Et pour le bien faire, l'on doit poser le doigt de la main gauche au lieu où il sera marqué; et lors que l'on touchera la chorde de la main droite, il faut bransler la main gauche d'vne grande violence, en la haussant vers la teste du Luth, et en la baissant vers le cheualet sans leuer en aucune façon la pointe du doigt de dessus la chorde. Mais il ne faut pas que le poulce de la main gauche touche au manche du Luth, quand on fait ledit tremblement, afin que l'action de la main en soit plus libre.

VII. Du battement, du tremblement composé de l'accent et du battement, et de celuy qui est composé de l'accent, et du verre cassé.

LE battement est plus pratiqué sur le Violon que sur le Luth: mais parce que ie ne veux rien obmettre, tant qu'il me sera possible, pour le contentement du Lecteur, voicy son caractere [z]. Or il est appellé battement parce que le doigt de la main gauche ne doit tirer la chorde qu'vne fois, apres auoit esté touchée de la main droite, car le reste du tremblement se doit faire par le seul battement du doigt, autant de fois que la longueur de la mesure le peut permettre.

[Mersenne, Instruments à chordes, 81,2] [MERHU3_2 06GF]

[6. Tremblement. in marg.] Par exemple, s'il se doit faire sur le [c] de la quatriesme en cette façon, il faut poser le premier doigt sur la quatriesme à la touche du [c], et le petit doigt à la touche d'[e]: Et lors que l'on touche la chorde de la main droite, il faut tirer vne seule fois la chorde au petit doigt, et terminer le reste du tremblement en battant sur la chorde: or il se peut faire en toute autre lettre, comme en celle-cy.

Le septiesme tremblement est composé du second et du sixiesme, et sa figure est ainsi marquée [.z], afin que le point de dedans face cognoistre qu'il est composé de l'accent ioint au battement: par exemple s'il se doit faire sur le [b] de la seconde ainsi marqué

[Mersenne, Instruments à chordes, 81,3] [MERHU3_2 06GF],

il faut premierement toucher la seconde de la main droite, et puis il faut laisser tomber de haut le premier doigt de la main gauche sur la touche du [b] de la seconde, et immediatement apres il faut faire le battement du petit doigt à la touche du [d]. Et si ledit caractere est accompagné du trait ordinaire, il y faut obseruer vne semblable distance de touches qu'aux autres tremblemens.

Le 8. ou dernier tremblement, qui est composé du 2. et du 5, se marque en cette façon

[Mersenne, Instruments à chordes, 81,4] [MERHU3_2 06GF],

afin que le point de deuant monstre qu'il se doit commencer [-82-] sur l'accent, et que le point qui suit monstre qu'il se doit finir par le verre cassé: par exemple, s'il se doit faire sur l'[e] de la seconde en cette façon

[Mersenne, Instruments à chordes, 82,1] [MERHU3_2 06GF]

Apres auoir touché la chorde de la main droite, il faut laisser tomber de haut le premier doigt de la main gauche à la touche du [c], et puis poser le petit doigt de la main gauche sur la seconde à la touche de l'[e], en terminant le tremblement comme on fait au verre cassé. Et si le tremblement est accompagné du trait ordinaire, il faudra obseruer pareille distance des touches entre les deux doigts, qu'aux autres tremblemens. Or apres auoir traité de tous les tremblemens qui ont coustume de se faire sur le Luth, et dont ie mets icy les figures toutes ensemble, il faut parler des traits de la main gauche, et de tout ce qui appartient `a la perfection de la Pratique.

Les figures des tremblemens.

[Mersenne, Instruments à chordes, 82,2; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7] [MERHU3_2 06GF]

VIII.Des traits de la main gauche.

L'On fait encore d'autres mignardises que l'on appelle traits de main gauche, qui sont fort agreables quand ils sont bien executez: en effet il n'y a quasi que la main gauche qui y contribuë, car apres que la droite a touché la chorde, la main gauche fait deux ou trois lettres en suite du seul toucher de la droite:

[Mersenne, Instruments à chordes, 82,3; text: P] [MERHU3_2 06GF]

par exemple, si l'on veut toucher ces 7. lettres, il faut premierement toucher l'[a] du pouce, c'est pourquoy ie mets le p pour le signifier, au dessouz dudit [a]. Quant au [c] et au [d] qui suiuent, il faut seulement laisser tomber d'enhaut le premier et le second doigt l'vn apres l'autre sans toucher de la main droite, comme le demonstrent les caracteres qui sont au dessus desdites lettres.

L'[a] de la cinquiesme se doit toucher du pouce, et les trois autres lettres de la seule main gauche, comme les deux precedentes qui sont sur la sixiesme. Ie mets encore vn autre exemple, dans lequel il faut toucher les deux premieres lettres de la main droite, et la troisiesme qui est l'[a], auquel il y a vn tremblement, doit estre touchée de la seule main gauche; c'est à dire que quand on leuera le doigt de la main gauche de dessus le [b], qu'il en faut tirer la chorde vne seule fois, et qu'au mesme instant il faut poser les doigts de la gauche sur le [b] et le [d] sans toucher de la droite; et qu'en posant le petit doigt, il en faut faire le tremblement comme celuy du verre cassé.

[Mersenne, Instruments à chordes, 82,4] [MERHU3_2 06GF]

PROPOSITION X.

Expliquer les signes, et les caracteres de la Tablature, et plusieurs remarques et obseruations particulieres.

ENcore que plusieurs habiles hommes ayent cultiué cet art auec tant d'adresse et de dexterité, dans lequel il y en a qui reüssissent auiourd'huy [-83-] si heureusement en nostre France, il n'y a neantmoins qu'Adrian le Roy qui ayt donné par escrit quelques preceptes de son instruction, ils ont peut-estre creu acquerir plus de gloire à tenir cet Art caché, qu'à le diuulguer: de là vient que les pieces qui sortent de leurs mains, ne sont iamais touchées selon leur intention, si premierement elles n'ont esté ouyes, ou apprises d'eux mesmes. Or puis que cet art ne s'est iamais enseigné qu'en particulier, l'on ne doit pas trouuer estrange si ie me sers de signes, ou de preceptes particuliers, quoy que ie retienne les generaux tant qu'il m'est possible, puis qu'ils sont vsitez par les plus entendus en cette profession.

Et pour ce suiet il faut premierement considerer les lettres de la Tablature, et le lieu où elles sont posées. En second lieu, que les nombres qui les precedent representent les doigts de la main gauche, qu'il faut poser sur le manche du Luth: l'on pose ordinairement le premier doigt sur le [b], c'est pourquoy ie n'y mets point de chiffre, si ce n'est qu'il faille se seruir d'vn autre doigt. Or apres auoir posé les doigts de la main gauche, il faut remarquer le tremblement et son espece, lors qu'il en faut vser. En troisiesme lieu il faut considerer de quels doigts de la main droite l'on doit toucher, et s'il y a des tenuës representées par de certaines lignes droites ou courbes, qui enseignent à tenir les doigts de la main gauche depuis le commencement des lettres, où lesdites lignes commencent iusques à ce qu'elles finissent: ce qui sert pour faire durer plus long-temps le son de la chorde, dont on verra des exemples à la fin de ce discours, diuisé en plusieurs preceptes qui suiuent.

I. Precepte. L'[a] se touche tousiours à l'ouuert, ce que les autres appellent a vuide, ou à corde aualée; ce qui se fait de la seule main droite, sans l'ayde de la gauche, si ce n'est lors qu'il faut faire quelque tremblement, ou que les lettres qui sont vis à vis l'vne de l'autre se doiuent toucher ensemble, comme il arriue aussi que celles qui sont les vnes apres les autres se touchent selon le rang qu'elles tiennent.

II. Lors qu'il y a vn point souz vne lettre seule, il la faut toucher du premier doigt de la main droite, et s'il n'y en a point, il la faut toucher du second, ce qu'il faut seulement obseruer depuis la chanterelle iusques à la quatriesme, car les autres chordes doiuent estre touchées du pouce: ce que l'on void dans le premier exemple.

III. Le manche du Luth est ordinairement diuisé en neuf touches, dont la premiere est appellée bé, c'est à dire que s'il y a vn b marqué sur la chanterelle, ou sur la seconde dans la Tablature, qu'il y faut poser le premier doigt de la main gauche au dessus de la touche b: et s'il y a plusieurs bés, qui fassent vn accord, qu'il faut coucher le premier doigt sur les chordes depuis la premiere lettre iusques à la derniere: quoy que l'on se serue quelques-fois du 2. doigt auec le 1, comme l'on void dans le second exemple. Mais il faut remarquer qu'apres auoir posé les doigts de la main gauche, qu'il faut toucher autaut de chordes de la main droite, qu'il y en a de marquées dans la Tablature. Or la seconde touche represente le cé, la troisiesme le dé, et ainsi des autres, iusques à la neufiesme touche marquée par la lettre k, outre laquelle on peut encore poser les doigts; ce qui ne se fait que rarement, d'autant que les chordes n'en parlent pas si nettement.

IV. Le p qui se rencontre souz vne lettre toute seule, signifie qu'il le faut toucher du poulce, encore qu'elle n'en soit pas touchée ordinairement, comme [-84-] enseigne le troisiesme exemple.

V. Le p qui suit l'accord, et dont la iambe trauerse les chordes, enseigne qu'il faut toucher du pouce toutes les chordes qui sont touchées par ladite iambe, comme l'on void au quatriesme exemple.

VI. Quand la iambe du p a vn point en haut, il faut toucher plusieurs chordes ensemble du pouce et du premier doigt, mais en touchant vn accord de cette façon, le pouce doit toucher vne seule chorde, et le premier doigt toutes les autres: comme enseigne le cinquiesme exemple.

VII. Le pouce et le premier doigt seruent encore ensemble pour toucher, apres lesquels il n'y a qu'vn trait et vn point au dessus: ce qui arriue lors qu'on laisse quelque chorde à toucher entre le premier doigt et le pouce. Par exemple, s'il faut toucher la 2, 3, 4 et 7 ensemble, il faut toucher la 7 du pouce, qu'il faut laisser appuyé sur la 6, et auec le premier doigt il faut les releuer depuis la 2 iusques à la 4, comme l'on void au 6 exemple.

VIII. Il n'y a point de signe pour signifier le toucher que l'on appelle ordinairement pincer: ce qui se fait quand on touche vn accord auec trois ou quatre doigts, comme il arriue lors que l'on pince la 4, 3 et 2, dont la 4 se touche du pouce, et les 2 autres des 2 doigts suiuans consecutiuement: et s'il y a 4 lettres à l'accord, on y employe le 3 doigt, comme l'on void dans le 7. exemple. Mais s'il faut pincer cinq lettres, qui n'ont aucun signe apres, le pouce en touche 2, et les autres doigts 3; et s'il y a 6 lettres, le pouce en touche 3, comme enseigne le 8. exemple.

IX. Le trait qui suit l'accord, et qui a vn point dessus du costé de la chanterelle, signifie qu'il faut toucher 2 ou 3 chordes du premier doigt tout seul en releuant: mais quand le point est dessouz du costé de la 6, il faut rabattre les chordes du mesme doigt, comme l'on void au 9. exemple.

X. Lors qu'il faut toucher deux chordes ensemble, esloignées ou prochaines, il faut tousiours les toucher du pouce et du second doigt, si ce n'est qu'il y ait vn trait apres l'accord, qui signifie qu'il les faut releuer du premier doigt, ou qu'il y ayt vn point à l'vne des deux lettres, pour monstrer qu'il les faut toucher du premier et du second doigt, comme l'on void au 10. exemple.

XI. Quand il faut toucher trois chordes de trois doigts sans l'ayde du pouce, il y a vn point à la lettre qui est vers la sixiesme, lequel monstre qu'il faut toucher la lettre où il est posé, du premier doigt, et les deux autres des doigts suiuans, comme il se void dans l'onziesme exemple.

XII. Encore que i'aye dit dans le second Precepte, que les chordes qui sont au dessous de la 4, se doiuent tousiours toucher du pouce, neantmoins s'il y a vn point souz quelque chorde que ce soit, il la faut toucher du premier doigt, s'il y en a deux, du 2, et s'il y en a trois, du 3, comme l'on void dans le douziesme exemple.

XIII. Les Tenuës, dont i'ay parlé au commencement de ces Articles, et dont i'ay promis l'exemple à la fin, sont si necessaires que sans elles l'harmonie est du tout imparfaite: outre que l'on a mauuaise grace de leuer si souuent les doigts quand il n'en est point de besoin: il les faut donc remarquer et pratiquer exactement, et quand mesmes il n'y en auroit point de marquées, il ne faut pas laisser de tenir les doigts sur les chordes le plus long-temps que l'on pourra. Plusieurs les marquent seulement aux Basses, mais il est aussi necessaire d'en vser aux autres parties, et specialement où l'on desirera qu'elles

[-85-] [Mersenne, Instruments à chordes, 85; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, a, b, c, d, P, EXEMPLE, povr la main droite. povr la main gauche. Faut toucher du 1 doigt. Ce trait qui est deuant l'accord, montre qu'il faut coucher le 1 doigt. Faut toucher du pouce tout seul. Faut toucher du pouce et du 1 doigt ensemble. Faut toucher du pouce la 4, et du 1 et 2 doigt les deux autres. Faut toucher du pouce la 6 et la 5, et les trois autres des doigts suiuans, Fuat toucher du 1 doigt en releuant. Faut rabattre du 1 doigt. Faut toucher du pouce la 5, et du 2 doigt la Chanterelle. Faut releuer du 1 doigt. Faut toucher du 1 la 3 et du 2 la Chanterelle. Faut toucher du 1 doigt la 3, et les 2 autres lettres des doigts suiuans. Faut tenir le cé de la 4 jusques à la fin, et ainsi des autres. Il faut encore tenir les doigts qui peuuent seruir à faire les tremblemens, jusques à ce que l'on les fasse. Faut toucher esgalement viste depuis le 1 accord, jusques au 2. Faut mettre le pouce sur la 9 auparauant que de toucher l'a où est la crochuë. Faut toucher du pouce et du 1 doigt l'vn apres l'autre.] [MERHU3_2 07GF]

[-86-] soient obseruées. Or il faut remarquer que ces tenuës se font sur toutes sortes d'instrumens, et que tout ce que nous disons du Luth se peut, et se doit appliquer à la Mandore, au Cistre, et cetera.

XIV. Les Barres qui trauersent les six regles font la diuision, et la separation des mesures, et les notes ou les autres signes que l'on met ordinairement au dessus de la premiere regle qui represente la chanterelle, seruent à mesme dessein, car les notes blanches à queuë monstrent qu'il faut faire durer le son de la lettre le temps d'vne demie mesure, laquelle dure pour l'ordinaire 1/7200 partie d'vne heure ou 1/120 d'vne minute, c'est à dire durant la diastole du coeur: cette regle s'entendra aysément par le quatorziesme exemple, qui monstre que quand il n'y a qu'vne note pour sept ou huict lettres, qu'il les faut faire toutes de mesme valeur, c'est à dire qu'il les faut toucher aussi viste, ou aussi lentement les vnes que les autres depuis cette note iusques à la rencontre d'vne autre.

XV. Lors qu'il y a vne crochuë sur vne lettre seule, et qu'il suit vn accord apres, il faut disposer la main droite et la gauche à faire cet accord, auant que de toucher la lettre où est la crochuë; par exemple s'il faut toucher vn a sur la

3. qui a vne crochuë, et puis vn accord qui ait vne noire dessus, il faut appuyer le pouce sur la 9 auant que de toucher l'a de la 3 sur lequel est la crochuë: ce qui sert pour aller plus viste.

XVI. Finalement, quand il faut faire vn passage du pouce, et du premier doigt, ie mets vn pé dessous la premiere lettre du passage, et vn point souz celle qui suit, afin de signifier que toutes les lettres du passage, depuis la premiere crochuë iusques à la rencontre d'vne noire, se doiuent toucher du pouce, et puis du premier doigt reciproquement; de sorte que le premier doigt touche incontinent apres le pouce, et le pouce apres le premier doigt, iusques à la fin du passage, comme l'on void dans le seiziesme ou dernier exemple. Voyons maintenant les differentes manieres d'accorder le Luth, afin que l'on puisse iouër et mettre dessus toutes sortes de pieces de Musique.

PROPOSITION XI.

Enseigner la maniere d'accorder le Luth en toutes sortes de façons.

CEtte Proposition contient deux parties, dont la premiere comprend tout ce qui concerne l'accord du Luth, lequel est commun et ordinaire, ou nouueau; or il est certain qu'il faut auoir vne oreille naturellement excellente pour apprendre à accorder le Luth sans sçauoir la Musique, car puis que ceux qui la sçauent en perfection y rencontrent de grandes difficultez, ceux qui l'ignorent y en trouuent dauantage. C'est pourquoy i'enseigne l'ordre que i'y ay tousiours veu tenir, et qui se pratique encore maintenant par les plus habiles, afin de les soulager. Et pour ce sujet ie suppose premierement que le Luth soit bien monté, et que les touches en soient bien situées, selon les proportions dont il a esté parlé cy-deuant, et dont ie parleray encore apres. En second lieu que l'on sçache que c'est que l'vnisson et l'Octaue, parce que c'est par leur moyen que i'en donne l'intelligence. Cecy estant posé, il faut commencer par la petite sixiesme chorde en la mettant à tel ton que l'on voudra, pourueu qu'il ne soit ny trop haut ny trop bas, et puis il faut [-87-] mettre la grosse, c'est à dire sa compagne vne Octaue plus bas; car il faut tousiours commencer l'accord par les chordes les plus deliées de chaque rang, quoy que l'on puisse commencer par les plus grosses. En apres il faut tellement bander la cinquiesme qu'elle fasse l'vnisson à l'ouuert auec l'effe de la grosse sixiesme, et l'on sera asseuré qu'elles sont d'accord; et puis il faut accorder la petite à l'vnisson de la petite sixiesme.

L'on accorde la 5 auec la 4, comme la 6 auec la 5, et ainsi des autres de chorde en chorde iusques à la chanterelle selon la tablature qui suit, dans laquelle toutes les chordes à vuide marquées de la lettre a font l'vnisson auec les lettres de dessous les a, lesquelles sont sur les autres chordes. Mais auant que de passer à l'accord des autres chordes, il faut encore repasser sur les precedentes afin de les accorder le plus iuste que l'on pourra. Et puis il faut accorder la petite septiesme à l'vnisson de la 4 à l'ouuert, et sa compagne vne Octaue plus bas. La petite 8. s'accorde quelquefois à l'vnisson du d, et d'autre fois auec l'e de la 5, afin de ioüer par b mol, ou par [sqb] quarre selon que les pieces sont faites. La petite 9 s'accorde à l'vnisson du c de la 5 par [sqb], ou du b de la mesme 5 par b mol, et sa compagne à l'Octaue en bas. La petite 10 s'accorde à l'vnisson de la 5 à vuide, et la grosse à l'Octaue, comme les autres: ce qui se void en cet accord qui est par b mol et par [sqb].

[Mersenne, Instruments à chordes, 87,1; text: Accord ordinaire. Accord nouueau, ou extraordinaire. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, a, b, c, d, e, f] [MERHU3_2 08GF]

Or il faut remarquer que cet accord est diuisé en trois parties, dont la premiere appartient à l'accord des six premiers rangs des chordes; la seconde met les quatre derniers rangs d'accord tant par b mol que par [sqb] quarre; et la troisiesme monstre en quoy le nouuel accord, que l'on appelle extraordinaire, est different du commun qui precede, car il est constant qu'ils sont semblables depuis la 3. chorde iusques à la 10, et qu'ils ne sont dissemblables qu'en la 1 et en la 2, lesquelles font la Tierce mineure, ou la maieure les vnes contre les autres, car la seconde fait quelquefois la mineure auec la troisiesme, et d'autrefois auec la premiere, suiuant les tons et les accords differens dont on veut vser: mais il est si aysé d'accorder le Luth en mille differentes manieres, comme l'on peut conclure par le traité des Conbinations, qu'il n'est nullement necessaire d'en parler dauantage. L'accord precedent des 10 chordes du Luth est semblable à celuy de la figure que i'ay mise à la 46. page de ce liure, mais il monstre comme il faut accorder la 8 et la 9. chorde, tant par b mol que par [sqb] quarre: quant aux notes qui suiuent elles monstrent comme les Italiens marquent leur accord.

Accord du Luth.

[Mersenne, Instruments à chordes, 87,2; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10] [MERHU3_2 08GF]

[-88-] Mais si l'on ne veut pas prendre la peine de toucher le manche, et de se seruir de la main gauche, l'on peut accorder le Luth de ton en ton, comme la Harpe ou l'Epinette; ce que l'on pourroit faire en le montant de 15 chordes, dont les douze plus grosses se toucheroient seulement à vuide, et les 3 plus deliées à sçauoir la chanterelle, la 2, et la 3, se toucheroient tant à l'ouuert que sur le manche: ce qui apporteroit de nouuelles graces au Luth, à raison que l'harmonie des chordes à vuide est plus grande, et dure plus long-temps.

A quoy l'on peut rapporter les Guiterrons, ou Cisterons qui ont quatorze rangs simples de chordes, et qui sont differents des Tuorbes en ce que leurs tables sont plus longues et plus larges, et que leur dos est plat comme celuy des Guiterres; ce qui leur donne vn autre son, et vne autre harmonie qu'aux Luths. Mais il suffit de mettre icy l'accord du Tuorbe pratiqué à Rome en cette façon.

Accord du Tuorbe.

[Mersenne, Instruments à chordes, 88; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14] [MERHU3_2 08GF]

PROPOSITION XII.

Expliquer la Tablature vniuerselle du Luth, et tous ses accords auec vne nouuelle figure, et auec des Exemples.

ENcore que la tablature qui suit serue seulement à faire voir l'art, et la maniere de mettre la Musique par notes entablature de Luth, et qu'elle n'aye pas la grace et la disposition des pieces que l'on fait ordinairement pour iouër sur cet instrument, neantmoins ie mets tous les characteres dont il faudroit vser pour toucher cette piece à quatre parties, selon les Preceptes qui ont esté donnez cy-deuant, afin qu'elle serue pour l'intelligence de tout ce que i'ay dit dans la 9 et 10. Proposition de ce liure. Quant à l'accord de cette tablature, il est extraordinaire, ou nouueau par [sqb] quarre, dont le D re sol est au ton de l'Fa vt des quatre parties de l'air qui suit.

L'autre tablature qui n'a que le Dessus en notes, sert pour la Basse du Luth, qui fait les accords que l'on void tandis que la voix recite la lettre, et chante le Dessus. Mais ie veux icy adiouster vne regle si generale et si aysée pour mettre tout ce que l'on voudra sur le Luth, que l'on n'y trouuera nulle difficulté, quelque different ton ou accord que l'on puisse s'imaginer. Ie suppose donc premierement vn Luth monté de dix rangs de chordes, comme celuy dont i'ay donné la figure, ou plustost vn Luth à six rangs, comme celuy qui suit, et qui represente la simplicité des Luths anciens, d'autant que les quatre autres rangs, que l'on a du depuis adiousté, ne se touchent point sur le manche, mais seulement à l'ouuert. En second lieu ie suppose que l'on mette telle piece que l'on voudra suiuant le commun accord, ou l'extraordinaire, que les Praticiens appellent le vieil et le nouueau ton. Et parce que les chordes à vuide font l'accord marqué à costé gauche de la figure du Luth en taille douce que i'ay donnée dans la premiere Proposition, il est euident que l'estenduë de ce commun accord est d'vne Vingtiesme, c'est à dire d'vn

[-89-] [Mersenne, Instruments à chordes, 89; text: Table vniuerselle du Luth. 0, 1, 2, 3, 4, 5,0. 6, 7, 8, 9, 10,0. 11, 12, 13, 14,0. 15, 16, 17, 18, 19,0. 20, 21, 22, 23, 24,0. 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, I, II, III, IV, V, VI, a, b, c, d, e, f, g, h, i, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, A, B, C, D, E, F, G] [MERHU3_2 09GF]

Hexachorde par dessus le Disdiapason, ou d'vne Vingt et vniesme si l'on y adiouste vn onziesme rang, suiuant les onze notes de cet accord: mais il a seulement vne Quinziesme d'estenduë, lors que l'on considere seulement les six premiers rangs ausquels ie m'arreste maintenant, afin de mettre icy vne table, dont le premier rang signifie les six chordes par les six nombres Romains: le second contient tous les degrez de l'estenduë du Luth, le troisiesme monstre les lettres qui seruent à la tablature, et qui respondent iustement aux lettres, ou caracteres de la Musique.

Où il faut remarquer que les lettres ne montent qu'à la lettre e, iusques à ce qu'elles recommencent à la lettre a, parce que si l'on montoit à f, elle feroit l'vnisson auec ledit a: par exemple la premiere f du bas de la quatriesme colomne, qui est vis à vis de l'a de la 3. monstre que f du 6. rang de chordes est à l'vnisson du 5. rang à l'ouuert. Or la 4. colomne continuë ses lettres iusques à u, afin de monstrer que si l'on continuë à toucher la 6. chorde vers le cheualet, que l'on fera tous les sons de la 6, 5, 4, et 3. chorde iusques à celuy de la 2 à vuide: mais l'on n'a pas coustume de toucher les chordes plus haut qu'e ou f, parce que les sons des chordes à l'ouuert sont plus agreables: dont il faut seulement excepter la chanterelle, qui se touche iusques à la lettre K, c'est à dire iusques à la 9. touche qui fait la Sexte maieure auec le son qu'elle a à l'ouuert.

La cinquiesme colomne monstre les caracteres, c'est à dire les nombres dont vsent les

[-90-] [Mersenne, Instruments à chordes, 90; text: Tablature des IV. parties de l'air qui suit. 3, a, b, c, d, e, f, g, Air d'Anthoine Boësset Intendant de la Musique de la chambre du Roy, et de la Reyne. DIuine Amarillis, Ton teint brun comme il est fait honte à tous les lys, Ta grace est admirable: Mais ta vertu qui passe ta beauté, Dessous le Ciel n'a rien de comparable Que ma fidelité.] [MERHU3_2 10GF]

[-91-] Italiens au lieu de nos lettres, car ils mettent le zero 0 pour l'a, et puis 1, 2, 3, 4, et cetera pour b, c, d, e, et cetera de sorte que tous les o qui sont à costé des nombres signifient les mesmes chordes à vuide que les a de la 3. colomne, c'est à dire les six rangs marquez par les six nombres Romains. Or puis que l'on fait tous les demy-tons depuis le premier iusques au dernier E de mesme que sur l'Orgue, et sur l'Epinette, et que ces demy-tons sont esgaux, ou peuuent estre rendus esgaux, il est certain que l'on peut commencer par chaque clef ou note de Musique sur telle chorde, ou telle touche que l'on voudra, et consequemment qu'il n'y a nulle piece qui ne puisse estre mise sur le Luth, soit en son ton naturel, ou transposée d'vne Tierce, Quarte, ou Quinte plus haut ou plus bas, par exemple si l'on suit l'accord ancien, l'on montera les six rangs de chordes comme elles sont à la premiere colomne: si l'on vse de l'accord nouueau par [sqb] quarre, le Luth aura moins d'estenduë d'vne Tierce mineure qu'au commun accord, comme l'on void à la 6. colomne, dans laquelle les deux lettres C et E signifient la chanterelle et la seconde, dont le rang est marqué par les nombres I de la 7. colomne, et par le II de la 8, car le rang est au mesme ton dans l'accord nouueau par [sqb], et par b mol, lequel est marqué dans la 7. colomne, qui fait voir ses deux chordes differentes des deux du [sqb], à sçauoir la chanterelle et la 3.

Or tout le secret de ces accords consiste seulement en ce que le commun fait monter les chordes depuis le 4. rang, premierement par vn Diton, et puis par deux Quartes, comme l'on fait sur la Viole, le nouueau par [sqb] les fait monter par vn Diton, par vn sesquiditon, et par vn Diton: et par b mol il les fait monter d'vne Tierce mineure, ou sesquiditon, d'vne maieure, ou d'vn Diton et d'vne mineure: ce qui est contenu si clairement dans la table, qu'il n'est pas besoin d'en parler; c'est pourquoy ie viens aux autres instrumens qui imitent le Luth, et qui se touchent comme luy, apres auoir donné l'exemple precedent de sa Tablature, qui fait comprendre tout ce que nous auons dit iusques à present: car les notes qui sont souz la tablature monstrent l'ordre qu'il faut suiure aux lettres pour exprimer la mesme chose, de sorte que les lettres donnent la vraye partition de l'air precedent qui est à quatre parties; et l'on trouue d'excellens compositeurs de Musique, qui composent toutes sortes de pieces par lettres au lieu de notes.

Or si l'on considere attentiuement cette reduction de notes en lettres, l'on aduoüera qu'elle n'est pas sans artifice, à raison des lettres disposées extraordinairement, parce qu'elles respondent aux points qui suiuent les notes, ou pour d'autres raisons que l'on trouuera aysément en comparant chaque lettre à chaque note, et la valeur de l'vne à celle de l'autre.

Quant à l'air à quatre parties, il pourra seruir d'exemple à ceux qui s'estudient à faire de bons chants, et à faire des parties qui chantent bien contre le Dessus, car son autheur est sans contredit le plus habile de toute la France en cette matiere, dans laquelle il faut vser d'vne grande multitude de circonstances, qu'il est difficile d'acquerir sans vn long exercice, et sans vne inclination naturelle, laquelle a coustume d'estre l'origine, et la racine de tout ce qui paroist excellent, et extraordinaire dans les arts, et dans les sciences.

L'autre piece de tablature qui suit a le seul Dessus des quatre parties precedentes, mais elle enseigne à ioindre le Luth à la voix, ce qui ne se fait pas sans vne particuliere addresse, car il le faut particulierement toucher bien à propos [-92-] aux endroits où la voix manque, et où l'on à besoin de reprendre haleine, afin de cacher les defauts des recits, et de faire paroistre l'harmonie de la voix comme si elle estoit iointe auec deux ou trois autres. Cette coustume de marier la voix à l'instrument est tres-commune en France, en Italie et ez autres Prouinces: d'où l'on peut inferer qu'elle est bonne, et que les esprits les plus deliez ont apperceu que la seule voix n'est pas assez moëlleuse, succulente et nourrie, pour fournir aux recits dont on desire la perfection, laquelle on rencontreroit dans vne voix qui feroit toutes les parties ensemble, et qui n'auroit pas besoin de reprendre le vent, et de cesser.

L'on vse maintenant de grands Tuorbes qui sont au ton de chapelle pour accompagner la voix: mais ie quitte cette consideration pour examiner les pieces qui suiuent, et qui monstrent la pratique des differents tons, ou Accords du Luth, où l'on pourra apprendre beaucoup de choses, et puis ie parleray de la Mandore, qui n'est autre chose que le Luth diminué et racourcy.

Dessus de l'air precedent auec la Tablature du Luth d'Anthoine Boësset.

[Mersenne, Instruments à chordes, 92; text: a, b, c, d, e, f, g, DIuine Amarillis, Ton teint brun comme il est fait honte à tous les Lys, Ta grace est admirable: Mais ta vertu qui passe ta beauté, Dessous le Ciel n'a rien de comparable Que ma fidelité.] [MERHU3_2 09GF]

[-85bis-] Exemples de la Tablature de Luth auec leur explication.

PLvsievrs pourroient s'imaginer que i'aurois inutilement enseigné les Preceptes pour toucher et accorder le Luth, si ie ne donnois quelques pieces pour les mettre en pratique, dont les Autheurs sont assez recommandables pour estre estimées de tout le monde. Mais ie supplie le Lecteur de m'excuser, si ie n'exprime pas si ponctuellement leur maniere de les toucher: d'autant qu'elle est particuliere à chacun d'eux, et grandement differente. Et puis ie ne pretends pas par ce petit traitté donner l'intelligence des inuentions d'autruy, mais seulement des miennes. Les signes et caracteres que i'ay inuentez pour ce suiet, pourront seruir à mesme fin à ceux qui en voudront vser: ce sera vn moyen par lequel les Autheurs se rendront intelligibles, tant aux presens qu'aux absens. Et si i'ay obmis à expliquer beaucoup de difficultez qui se pourroient rencontrer, ie pourray dire de cet ouurage ce que disoit Hipocrates de la Medecine en son premier Aphorisme, Que la vie est briefue, et l'art est long. Or il est vray qu'il n'y a point d'Art au monde plus remply de difficultez, que cettuy-cy, i'essayeray neantmoins d'en donner l'explication aux lieux où elles se rencontreront. Ie commenceray donc par le ton Commun, puis qu'il a esté l'origine de tous les nouueaux.

La barre qui precede la premiere lettre de la Courante qui suit, monstre qu'il faut coucher le premier doigt de la main gauche sur autant de chordes, comme en demonstre l'estenduë de ladite barre, qui sert afin que le premier doigt soit tout posé pour l'accord qui suit. Or il faut remarquer que les barres qui font la diuision des mesures sont differentes d'auec celles qui representent le premier doigt de la main gauche, en ce que celles-là trauersent tout à fait les six rayes, et que les autres ne les trauersent pas, si ce n'est qu'il fallust coucher le doigt plus haut que la sixiesme.

Les tenuës qui outrepassent la fin des lignes, monstrent qu'il faut vser de tous les doigts pour ce qui suit apres. Ie ne mets point le Ton commun deuant la Courante, parce que ie l'ay desia expliqué auec la figure du Luth, qui se void dans la premiere Proposition, et dans l'onziesme: quant aux autres ie les mets seulement deuant les deux premieres Allemandes, parce que la troisiesme est de mesme ton que la seconde. Ie laisse plusieurs sortes d'accords que l'on peut donner au Luth, parce qu'il faudroit vn volume de plus de cent fueilles pour les comprendre tous, comme l'on peut voir dans le grand volume entier, dans lequel i'ay compris tous ceux qui se peuuent faire des huict notes de l'Octaue, au lieu desquelles on peut mettre tel autre octonaire de notes que l'on voudra. Ceux qui desireront vne plus grande multitude de pieces de tablature sur le Luth, peuuent voir celles qu'imprime tous les ans Monsieur Ballard; et les siecles à venir en verront peut-estre de plus excellentes que celles dont on vse maintenant.

[-86bis-] [Mersenne, Instruments à chordes, 86bis; text: Courante de Monsieur Ballard sur le vieil ton. a, b, c, d, e, f] [MERHU3_2 11GF]

[-87bis-] [Mersenne, Instruments à chordes, 87bis; text: a, b, c, d, e, f, Allemande de Monsieur Mezangeau.] [MERHU3_2 12GF]

[-88bis-] [Mersenne, Instruments à chordes, 88bis; text: a, b, c, d, e, f, Allemande de Monsieur Chancy.] [MERHU3_2 13GF]

[-89bis-] [Mersenne, Instruments à chordes, 89bis; text: a, b, c, d, e, f, Allemande de Monsieur Basset.] [MERHU3_2 14GF]

[-90bis-] I'eusse mis vne plus grande quantité de pieces dans ce traité, mais n'ayant eu dessein que de donner quelques Exemples pour faire conceuoir aux Lecteurs les principaux points de l'instruction precedente, i'ay creu que ces quatre suffisent, si on les considere attentiuement. Et si l'on obiecte que tous les traits et les mignardises qui se peuuent faire sur le Luth, ne sçauroient estre compris dans si peu de matiere, ie l'aduouë franchement, quoy que ceux qui s'exerceront bien à la pratique de celles-cy, puissent s'asseurer d'auoir acquis vne grande disposition à en executer d'autres de plus grande entreprise: ioint qu'il me semble qu'aux premiers essais où chacun est nouice, l'on doit facilement excuser ceux qui commencent vn ouurage sans le parfaire, i'espere neantmoins que si ce que i'en ay dit peut reüssir au contentement du public, ie le rendray quelque iour plus parfait et plus accompli auec la grace de Dieu, sans laquelle nous ne pouuons rien faire, ny penser comme il faut.

Or apres auoir donne toutes ces pieces de tablature pour le Luth, il faut premierement remarquer qu'il leur manque plusieurs caracteres necessaires pour les ioüer selon l'intention et la methode du sieur Basset, qui est expliquée dans la 10. Proposition. Mais ceux qui desireront les marquer les trouueront dans mon exemplaire, où ils sont adioustez à la main, parce que l'on n'a point de ces caracteres dans les imprimeries, et les transcriront aussi aysément, comme ie le leur presteray librement, si ce n'est qu'ils ayment mieux consulter ledit Basset, qui les accommodera: mais il est necessaire de faire lauer leur papier dans l'eau d'alun, afin qu'il ne boiue point, et qu'ils y puissent escrire tout ce qu'ils voudront.

En second lieu, que chacun peut inuenter de nouueaux caracteres, pour exprimer sa methode, n'y ayant aucune obligation de se seruir plustost de ceuxcy que de ceux-là, quoy qu'il soit à propos de retenir ceux qui sont desia en vsage, et d'adiouster seulement ceux qui manquent, comme nous auons fait dans cette tablature.

En troisiesme lieu, que l'accord n'est pas marqué sur la premiere piece de Musique, parce qu'elle est du ton ordinaire, dont l'accord est exprimé dans l'onziesme Proposition, et que l'accord du nouueau ton est deuant la seconde piece et non apres, comme le mettent quelques-vns, afin que chacun puisse commencer la piece sans torner le fueillet. Quant à la quatriesme piece, elle n'a pas son accord marqué, parce qu'elle est du mesme ton que la troisiesme.

En quatriesme lieu, qu'il y a moyen de rendre le Luth plus aysé qu'il n'est, soit en adioustant l'onze et le douziesme rang de chordes, et quelques touches souz les basses, ou pedales, comme fait le sieur le Maire, qui m'a asseuré que sa methode rend le Luth plus aysé que la Guiterre, et qu'il est l'inuenteur de la septiesme syllabe SI, que l'on adiouste aux six notes de Guy Aretin vt, re,mi, et cetera au lieu de laquelle il met ZA, dont ie parle plus amplement dans le liure de la Methode de bien chanter, et dont il promet de donner vn traité au public auec vne maniere de chanter et de composer sans les notes ordinaires.

En cinquiesme lieu, que l'on peut accorder le Luth par le moyen de l'Orgue, de la Voix, ou de quelqu'autre Luth qui sera desia d'accord, sans taster les accords dessus, parce que les tuyaux d'Orgue qui feront les mesmes tons qui doiuent estre sur le Luth, feront trembler ses chordes, quand elles se trouueront à l'Vnisson, ou à l'Octaue, que l'on discernera d'auec l'Vnisson par vn moindre tremblement, comme i'ay dit dans le liure des Consonances. Mais [-91bis-] cette maniere d'accorder est plus subtile, et curieuse qu'elle n'est vtile, à raison que l'on est trop long temps à toucher aux cheuilles pour donner vne telle tension aux chordes, qu'elles tremblent plus ou moins fort aux sons des tuyaux, de la voix, ou d'vn autre Luth, de sorte que la bonne oreille vaut mieux, et est plus prompte et plus vtile que tout ce que l'on peut s'imaginer en ce suiet, surquoy l'on peut voir ce que ie dis de la Tablature pour les sourds dans la septiesme Proposition du troisiesme liure qui suit, où i'examine le nombre des battemens que font les chordes du Luth, sur lequel on iouë l'Air du sieur Boësset que i'ay mis dans cette Proposition, et qui commence Diuine Amaryllis; la tablature monstre qui se peut iouër à quatre parties sur le Luth, comme i'ay desia remarqué, et si les bons esprits prennent la peine de perfectionner cet instrument et de le faciliter, ils pourront le rendre capable desdites quatre parties continuelles, soit en augmentant ses chordes, ou ses touches.

En sixiesme lieu, que si les sons des chordes ont le mesme effet sur les tuyaux d'Orgue que les voix, le Luth peut desaccorder vn Orgue, ce qui arriuera si l'on baisse ou si l'on hausse leur son d'vn demiton, ou d'vn quart de ton plus bas, ou plus haut que celuy des tuyaux, qui batteront comme s'ils n'estoient pas d'accord, quoy qu'il semble que le son des chordes est trop mol, et trop foible pour cet effet: mais ie parleray encore de ce discord dans le liure des Orgues.

En septiesme lieu, que le manche du Luth peut seruir de Monochorde tant pour les iustes interualles de Ptolomée, ou de Pythagore, que pour les esgaux d'Aristoxene; de sorte qu'il n'est pas besoin d'vn autre instrument pour regler tous les sons.

En huictiesme lieu, que l'on peut faire son corps si grand, qu'vn enfant si logera pour chanter le Dessus, tandis que le ioueur de Luth touchera la Basse, comme ie remarque aussi dans le traité de la Viole, car l'on peut tellement faire les éclisses, que le dos du Luth s'ouurira et se fermera comme la porte d'vne chambre, pour y enfermer vn enfant, dont le chant estant bien concerté auec les chordes, donnera du contentement aux Auditeurs.

En neufiesme lieu, que l'on peut faire des ressorts qui suppleeront vne bonne partie des tremblemens, des battemens, et des mignardises qui se font sur le manche, et que l'on peut mettre quelques tuyaux d'Orgue dans le corps, ou souz le manche, qui feront des accords auec les chordes qu'on touchera: ce qui a desia esté pratiqué par quelques-vns. En effet, il y a moyen de mettre douze ou treize tuyaux dans le corps du Luth, dont la bouche se tiendra du costé du manche, qui donneront peut estre plus d'harmonie au Luth par leurs differentes concauitez, qu'ils ne luy nuiront: et leurs petites marches se trouuant souz les touches ordinaires du manche, l'on fera parler chaque tuyau auec les mesmes doigts dont on presse les touches pour accourcir les chordes: de sorte que l'on aura vn Luth organisé. Mais parce qu'il faut vser de soufflets pour faire parler les tuyaux, il sera aysé de faire leur porte-vent d'vn canal de cuir, qui s'entera souz le manche, et de les tenir souz l'vn des bras comme celuy de la Musette, afin de dispenser le vent le plus esgalement qu'il sera possible. Et si ces soufflets sont trop incommodes, on les peut faire en telle sorte qu'on les fera hausser par le mouuement du pied qui battera la mesure: ce qui n'empeschera nullement qu'on ne puisse iouër du Luth tout seul, parce que [-92bis-] tout ce qui appartient à l'Orgue en peut estre separé quand on voudra; car il n'est pas necessaire d'engager tellement le sommier et les soupapes dans le manche, que l'on ne puisse les oster par le moyen de certains ais mobiles, qui ioignent neantmoins si iustement que le vent ne se puisse perdre. Et si l'on vouloit faire la depence necessaire, l'on pourroit enfermer des soufflets dans le Luth, qui se leueroient tous seuls par le moyen d'vne ou deux vis sans fin, et d'autres ressorts qui ne feroient point de bruit, car on a des artifices beaucoup plus difficiles.

L'on pourroit aussi ioindre la Harpe et plusieurs autres instrumens au Luth, quoy qu'il semble que l'embarras en seroit trop grand, et que la composition de plusieurs instrumens ioints ensemble oste beaucoup de l'ornement, et de la bonté de chacun, n'y ayant quasi que l'Orgue, sur laquelle le meslange des differentes sortes d'instrumens à vent reüssissent, quoy qu'il ne soit pas impossible de mesler ceux qui vsent de chordes, et de les composer d'autant de differens instrumens, comme il y a de jeux dans l'Orgue, qui pourroit semblablement se ioindre auec ledit instrument.

En dixiesme lieu, que le Luth est tres-propre pour exprimer le genre Chromatique, ce qui conuient aussi aux autres instrumens dont les touches font les demitons; et qu'il est estimé en France le plus noble de tous, soit à raison de la douceur de ses chants, le nombre et l'harmonie de ses chordes, son estenduë, son accord, et la difficulté qu'il y a de le toucher aussi parfaitement, que les sieurs l'Enclos, Gautier, Blanc-rocher, Merville, le Vignon, et quelques autres qui viuent maintenant. Il faut enfin remarquer que le Tuorbe ne doit auoir qu'vne chorde à chaque rang, auquel il faut rapporter le Cisteron, ou Guiterron, dont le derriere est plat comme sa table, et qui a quinze rangs de chordes; de sorte que le Tuorbe, dont i'ay mis la figure dans la premiere Proposition, est plustost vn Luth à double manche qu'vn Tuorbe, qui n'a pas coustume d'auoir sa donte si courte et si ronde; quoy qu'il soit si aysé d'en comprendre la figure en voyant les precedentes, qu'il n'est pas besoin d'en parler dauantage: c'est pourquoy ie viens à la Mandore, laquelle on peut appeller vn petit Luth, puis qu'elle en est l'abbregé, et qu'elle sert de Dessus dans ses concerts.

Il faut seulement adiouster que tout ce que ie dis des chordes, et de leurs proprietez dans le troisiesme liure et ailleurs, peut estre appliqué au Luth, et aux autres instrumens, et que si l'on entend les tables que i'ay mis dans les liures de la Voix et des Chants, on peut vser de la Tablature du Luth pour escrire, et pour expliquer toutes sortes de sciences, et pour enuoyer des lettres secretes qui ne pourront estre dechiffrées, de sorte qu'vn ioüeur de Luth pourra faire tout ce qu'il voudra par le moyen de son instrument: par exemple, il pourra representer les deux moyennes proportionnelles, la duplication du cube, la quadrature du cercle, la proportion des mouuemens de tous les cieux et de leurs astres, celle de la vitesse des poids qui tombent, et mille autres choses par les tons, et les airs de son instrument, s'il comprend tout le contenu de cet oeuure. Ce qu'il faut semblablement entendre des Organistes, et de ceux qui touchent les autres instrumens qui sont capables de toutes sortes de proportions.

[-93-] PROPOSITION XIII.

Expliquer la figure, l'accord, la tablature, et le ieu de la Mandore.

APres auoir parlé du Luth, il faut expliquer les instrumens qui en dependent, et qui se touchent aussi auec les doigts, ou auec le bout d'vne plume, que l'on tient entre le pouce et l'index, ou que l'on lie à l'vn des autres doigts. Or la Mandore est l'vn des plus vsitez, et des plus simples, car elle n'a pour l'ordinaire que quatre chordes, encore que l'on en fasse à six, ou à vn plus grand nombre, afin de les faire approcher de l'excellence du Luth, dont elle est le racourcy, et le diminutif, c'est pourquoy on l'appelle Luthée.

[Mersenne, Instruments à chordes, 93; text: a, b, c, d, e, f, g, h, i, k, A, B, C, D, E, H, P] [MERHU3_2 15GF]

Mais cette figure la monstre dans sa simplicité, et dans sa naïfueté, dont P D E est le manche diuisé en neuf touches, que l'on marque des 9 lettres b, c, d, e, f, g, h, i, k, qui seruent à sa tablature, et qui diuisent la touche du manche en 9 demi-tons, quoy que l'on puisse vser d'vn moindre nombre de touches. La longueur des chordes est bornée par le sillet P, et par le cheualet A B, auquel elles sont attachées.

La seconde partie consiste dans la table ABDE. La troisiesme partie s'appelle la donte, le corps, ou le ventre, lequel est fait d'eclisses de sapin, ou d'autre bois, qui sont taillées et ployées en costes de melon, dont il en paroist deux dans cette figure, laquelle est prise sur vne Mandore d'vn pied et demy de long, qui est sa longueur ordinaire. Le col du manche P H a quatre cheuilles, dont on bande les chordes, encore que plusieurs y mettent six cheuilles pour l'ornement. Mais il faut remarquer que la chorde E B sert de chanterelle, et consequemment qu'elle est la plus deliée, et que les trois autres vont tousiours augmentant leurs grosseurs, de sorte que la quatriesme P D est la plus grosse.

Quant à l'accord, auquel l'on doit principalement auoir esgard, ie l'ay marqué auec les notes de la Musique, et de la tablature ordinaire, par lesquelles l'on void que la 4 chorde est à la Quinte de la 3, cette 3. à la Quarte de la 2, et la 2 à la Quinte de la chanterelle, qui monte le plus haut. C'est pourquoy l'on appelle cet accord de Quinte en Quarte, d'autant que les quatre chordes [-93v-] font les susdits accords, quand on les touche à vuide. Il y a encore deux notes dans l'accord, dont la 5. monstre que l'on abbaisse quelquefois la chanterelle d'vn ton, afin qu'elle fasse la Quarte auec la 3. chorde; ce que l'on appelle accorder à chorde auallée. Et la derniere note signifie que l'on abbaisse la chanterelle d'vne Tierce mineure, afin qu'elle fasse la maieure auec la 3. chorde, c'est pourquoy on le nomme accord en Tierce.

Ces trois sortes d'accords sont encore marquez des lettres ordinaires, dont le plus haut monstre le plus ordinaire; et l'on vse de l'vnisson pour accorder la Mandore, à raison qu'il est plus aysé à comprendre que les autres Consonances, et que l'oreille remarque incontinent ses moindres defauts, on l'appelle accord à l'vnisson. Or ce discernement tres aysé des imperfections de l'vnisson merite que l'on fasse reflexion sur toutes les choses parfaites, dont les moindres defauts s'apperçoiuent à la premiere veuë, comme l'on experimente dans les hommes sçauans et vertueux, qui recognoissent plusieurs imperfections dans leurs cognoissances, et dans leurs actions, dont les ignorans et les vitieux ne s'aduisent pas, ou dont ils croyent estre exempts: mais ce n'est pas icy le lieu d'en examiner les raisons.

Quant aux lettres des trois accords, il faut supposer qu'elles signifient les touches du manche, par le moyen desquelles on fait les tons, et que la lettre a signifie les chordes à vuide, de sorte que toutes et quantes fois que l'a est marqué sur l'vne des chordes, il la faut toucher à vuide. Et quand elle est marquée de b, il faut toucher la premiere touche qui suit le sillet; et parce que i'ay dit que chaque touche ne fait qu'vn demy-ton, il s'ensuit qu'il faut passer de la chorde à vuide iusques à c pour faire vn ton, iusques à d pour faire la Tierce mineure, iusques à e pour faire la maieure, iusques à f pour faire la Quarte, iusques à g pour faire la quinte, iusques à h pour faire la Sexte mineure, et iusques à i pour faire la maieure, qui contient l'estenduë des manches de la pluspart des instrumens.

Cecy estant posé, il n'est pas difficile de comprendre que dans le premier accord la lettre h qui est sur la neufiesme touche, fait l'vnisson auec la chanterelle à vuide: que la cinquiesme touche, c'est à dire f, fait l'vnisson auec la 2 touchée à vuide; et que la 7 touche de la 4 marquée par h fait aussi l'vnisson auec la 3 à vuide; car puis que la seconde fait la Quinte auec la chanterelle, lors qu'elles sont touchées à vuide, et que chaque touche accourcit chaque chorde d'vn demy-ton, il s'ensuit que h l'accourcit et la fait monter de sept demy-tons, dont la quinte est composée sur les instrumens à manche: d'où il arriue necessairement qu'ayant accourcy la chorde de sept touches, on la fait monter d'vne Quinte, et consequemment à l'vnisson de la chanterelle.

Il faut dire la mesme chose de la touche f de la 3. chorde de ce premier accord, car puis qu'elle fait la Quarte auec la seconde à vuide, elle fera l'vnisson si on la monte d'vne Quarte, comme l'on fait en mettant le doigt sur h de la 3. chorde. Finalement l'h de la 4 fait l'vnisson auec la 3 à vuide, par la mesme raison que la 2 fait l'vnisson auec la chanterelle, sans qu'il soit besoin de l'expliquer plus amplement. Quant au 2, et 3. accord qui suiuent, il est aysé de les entendre, si l'on comprend ce qui a esté dit iusques icy, car ils ne different d'auec le precedent qu'ez deux premieres chordes, qui font la Quarte à vuide dans le second, et la Tierce dans le troisiesme, comme i'ay dit en parlant des notes; de sorte que la 5. touche de la 2. chorde fait l'vnisson auec la [-94-] chanterelle touchée à vuide dans le troisiesme accord. L'on peut aussi accorder la Mandore par Octaues suiuant le premier accord, car si sa chanterelle fait l'Octaue auec la troisiesme, et la 2 auec la 4, elle sera d'accord. Ie laisse plusieurs autres manieres dont on peut vser sur le manche pour l'accorder, et plusieurs autres accords que l'on peut s'imaginer, d'autant que la raison et l'vsage font recognoistre que les trois, dont nous auons parlé, sont les plus aysez et les meilleurs; de sorte qu'il ne reste plus que sa Tablature à expliquer, laquelle on peut comprendre par celle qui est à costé de la Mandore, d'autant que tous les characteres, dont on vse ordinairement y sont obseruez. Mais il faut tousiours supposer l'accord de la Mandore, sur lequel chaque Tablature a esté faite: par exemple celle-cy est sur le premier, et est prise du second bransle de Bocan que l'on trouue à la 16. page du liure que le Sieur de Chancy a fait pour la Tablature de la Mandore.

Et puis il faut sçauoir la signification, et la valeur de tous les characteres, ou signes dont on vse pour expliquer la maniere de toucher les chordes, et les touches: c'est pourquoy ie les ay tous mis dans ce petit fragment de Tablature, dont le premier est ce C tranché [Cdim], qui monstre la mesure dont on vse en ioüant ce bransle. Mais i'explique toutes les especes de mesure, et leurs characteres dans vn autre lieu; par exemple ce C signifie le temps imparfait de la mesure binaire.

D'abondant les lettres qui suiuent, à sçauoir

[Mersenne, Instruments à chordes, 94; text: a, f] [MERHU3_2 15GF]

et qui sont sur la chanterelle, sur la 2, et sur la 3. chorde, signifient qu'il faut seulement toucher ces trois chordes en mesme temps, et qu'il faut mettre le doigt sur f de la 2, tandis que l'on touche les deux autres à vuide: car la lettre a signifie tousiours les chordes à vuide.

Quant à la note noire qui est dessus ce rang de lettres, elle monstre le temps que ces trois sons doiuent durer: ce qu'il faut dire de toutes les autres lettres, qui ont des notes exprimées, ou souz-entenduës, comme l'on void à la suite des noires et des crochuës, qui ont la mesme valeur dans la Tablature que dans la Musique des voix. Or quand les Compositeurs mettent vne, ou plusieurs lettres qui n'ont point de notes dessus, elles gardent la mesme mesure que celles qui precedent, et qui ont des notes. Par exemple, le c de la chanterelle, qui suit le d de la seconde qui a vne crochuë, n'a point de note, c'est pourquoy il la faut faire durer le temps d'vne crochuë, c'est à dire la huictiesme partie d'vne mesure. Cecy estant posé, il est aysé de remarquer le nombre des mesures de chaque tablature par le nombre des notes, comme l'on peut experimenter en celle-cy qui est diuisée en trois parties, dont la premiere a deux noires et vne crochuë exprimées, et vne crochuë, et vne noire souz-entendües, qui toutes font vne mesure entiere. La seconde partie a deux crochües, vne noire, et vne double crochüe exprimées, et vne crochüe, vne noire, et vne double crochüe souz-entendües, qui font aussi vne mesure: et la troisiesme a vne noire exprimée, et vne souz-entendüe auec la derniere qui est blanche pour acheuer la troisiesme mesure; car les tablatures sont ordinairement distinguées par mesures pour vne plus grande facilité, par le moyen d'vne ligne perpendiculaire laquelle couppe les quatre lignes, qui representent les quatre chordes de cet instrument.

Il y a encore des points souz de certaines lettres, comme l'on void icy souz le c de la chanterelle, et souz l'e de la seconde, qui signifient qu'il faut toucher [-94v-] ces deux chordes en leuant, car elles sonnent autrement quand on les leue, que lors qu'on les abbaisse, ce que l'on appelle toucher en rabbaissant, et ont des graces differentes selon les differences du toucher.

Quant aux barres, ou lignes droites qui vont obliquement de bas en haut, comme il arriue dans la premiere mesure souz le d et le c, et aux demy-cercles qui sont souz les lettres, comme l'on void à celuy qui est souz le premier c de la seconde mesure, ils signifient la tenuë du doigt sur le manche, c'est à dire qu'il ne faut pas leuer le doigt de dessus le d de la troisiesme tandis que l'on touche le c de la chanterelle, afin que ces deux chordes fassent vn accord, car ces deux signes ont esté inuentez pour ce suiet, de sorte qu'il n'importe duquel on vse.

Il y a encore des dieses, ou des croix, comme l'on void dans la 2 et la 3 mesure, qui signifient qu'il faut faire des tremblemens de la main gauche sur f de la chanterelle; dont le nombre est determiné par les notes qui sont sur les lettres, car la crochuë signifie vn, ou deux tremblemens, et la noire deux, ou quatre selon la volonté du Compositeur, ou la disposition de la main, laquelle est d'autant plus habile, et plus sçauante qu'elle en fait vn plus grand nombre, et qu'elle les fait plus delicatement, pourueu que la mesure soit obseruée: l'on peut voir le reste au traité du Luth. Quant à la composition qui se fait de la Tablature pour la Mandore, il suffit de mettre icy l'exemple d'vne Alemande, qui fera paroistre l'esprit de Monsieur Chancy qui l'a composée, et vne partie de ce que la Mandore peut faire.

Alemande pour la Tablature de Mandore.

[Mersenne, Instruments à chordes, 94v; text: a, b, c, d, e, f, h] [MERHU3_2 16GF]

[-95-] Or encore que la Mandore n'ait que quatre chordes, neantmoins l'on fait quasi dessus tout ce que l'on fait sur les Luths, dont elle couure les concerts à raison de la viuacité et de l'aigu de ses sons, qui penetrent et preoccupent tellement l'oreille, que les Luths ont de la peine à se faire entendre. Ie laisse mille gentillesses qui dependent du beau toucher, et de l'imagination de celuy qui en iouë, parce qu'il est aussi difficile de l'exprimer par discours, comme il est agreable de l'ouyr, et que les raretez et les charmes de la Musique nont point de caracteres qui soient capables de les representer à celuy qui ne les a iamais entendus. Ceux qui ont le parfait vsage de la Mandore, passent la plume si viste sur les chordes, qu'elles semblent faire les mesmes accords qu'elles feroient, si elles estoient touchées en mesme temps. Mais il n'est pas necessaire d'estendre plus au long le discours de cet instrument, puis qu'il n'est autre chose que le Luth racourcy.

PROPOSITION XIV.

Expliquer les figures, l'accord, la tablature, et les bateries de la Guiterre.

LEs premieres Guiterres, dont l'inuention est ce semble venuë d'Espagne, n'auoient que quatre rangs de chordes, dont le premier est simple, qui s'appelle chanterelle comme la premiere des autres instrumens, parce qu'elle sert à la partie du Dessus, et qu'elle chante souuent le suiet: or cette premiere figure represente fort bien lesdites Guiterres, dont le manche est diuisé en 8 touches, afin que chaque chorde puisse monter iusques à l'Hexachorde mineur. Le costé gauche monstre son espaisseur, et les ornemens et figures que les Facteurs y adioustent pour l'enioliuer et l'enrichir; mais ils ont vn soin particulier que la rose en soit bien faite.

[Mersenne, Instruments à chordes, 95; text: b, c, d, e, f, g, h, i, 1, 2, 3, 4] [MERHU3_2 15GF]

Quant à l'autre figure qui suit, elle monstre tout ce qui appartient à la Guiterre à cinq rangs, dont on vse maintenant. Ces cinq rangs ont dix chordes, quoy que plusieurs ne mettent qu'vne chorde à la chanterelle; le col A B à dix cheuilles, et le manche à 8 touches comme le precedent. Mais il y a plusieurs choses dans cette figure qui manquent à l'autre; premierement l'accord par notes, dont la premiere respond à la 5, ou derniere chorde, la seconde à la 4, la troisiesme à la 3, la quatriesme à la 2. et la cinquiesme à la chanterelle: ce que signifient les nombres de dessus: ces notes se prononcent ainsi, RE, SOL, VT, MI, LA: par où l'on void que le son de la 5. chorde est plus [-95v-] haut d'vn ton que celuy de la 3: ce qui est particulier à l'accord de la Guiterre.

[Mersenne, Instruments à chordes, 95v; text: a, b, c, d, e, f, g, h, i, A, B, C, D, e, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, 1, 2, 3, 4, 5, henri le Roy fecit] [MERHU3_2 15GF]

Or outre cet accord par notes, il est encore marqué auec les lettres ordinaires de la tablature, dont le premier en descendant, lequel est vis à vis de la rose, commence à donner le ton tel que l'on veut à la 3. chorde, dont le son à vuide est marqué par les 2 premiers a a: or le c de la mesme chorde doit estre mis à l'vnisson de l'a de la 5. et puis il faut mettre le c de la 5. à l'vnisson de l'a de la 2; le d de cette 2 à l'vnisson de l'a de la 4, et le c de cette 4 à l'vnisson de l'a de la chanterelle. Il est aysé de iuger des autres par leurs lettres, par exemple le dernier donne aussi le mesme accord par vnissons; ce qui arriue semblablement à celuy du milieu, si l'on considere les six premiers rangs des lettres, car les deux derniers font l'Octaue.

Quant à la tablature, elle est icy en deux façons, à sçauoir à l'Italienne par les nombres: et à l'Espagnole par les characteres qui sont sur les lettres, qui seruent à la Tablature Françoise; or il est tres-aysé d'entendre ces deux sortes de tablature en les comparant l'vne à l'autre, puis que chaque rang de l'Espagnole est dessouz chaque rang de l'Italienne, et qu'elles vont toutes deux iusques au P. Si quelqu'vn veut se seruir de nombres harmoniques pour exprimer l'accord de la Guiterre, il n'en peut prendre de moindres que ceux-cy 27, 36, 24, 30, 40, dont le premier fait l'hexachorde maieur auec le dernier. Mais ie parleray encore de la tablature de cet instrument, apres auoir remarqué que la longueur de son corps est sesquialtere de [-96-] la longueur de son manche qui finit à C, c'est à dire que le manche est aussi long que depuis le milieu de la rose iusques au bas du corps E. F G monstre le lieu et la forme du cheualet, et D marque son espaisseur. Le fonds, ou le dos qui ne se void point est quelquefois droit comme la table, et d'autres fois vn peu conuexe: ce qui n'importe pas beaucoup, et quelque façon qu'on luy donne ses sons tiennent quelque chose du chaudron, et semblent tousjours gemir. Or ie donneray tantost sa tablature plus exactement qu'elle n'est sur la planche de cuiure, afin que nul ne puisse se mesprendre.

Quant à l'autre Tablature qui est à gauche, et dont les cinq lignes sont marquées par les nombres, elle signifie la mesme chose que celle de dessouz, dont les cinq lignes sont couuertes des lettres b, c, d, et cetera qui signifient les touches du manche de la Guiterre. Or chaque lettre capitale qui suit la [+] monstre chaque accord, de sorte que ceux qui sçauent toucher cet instrument n'ont pas besoin d'autre tablature que de ces lettres, ausquelles respondent les caracteres mis sur les cinq premieres lignes de la Tablature Espagnole qui se marque par lettres comme la nostre. Il faut donc remarquer que la [+] de la Tablature Italienne signifie qu'il faut mettre le premier doigt sur la seconde touche c de la derniere chorde, c'est à dire de la chanterelle, que les Italiens content la derniere, au lieu que nous la mettons la premiere: et le second 2 signifie qu'il faut mettre le 2 doigt sur le c de la 4. chorde, de sorte que cet accord n'a besoin que de deux doigts: quand il y a 3, 4, ou 5 caracteres, il faut vser de tous les doigts, ou coucher l'vn sur deux ou trois touches de 2 ou 3 chordes differentes, comme l'on void à l'accord H, qui se fait sur les cinq chordes, et qui respond iustement à l'accord marqué par 3 de la tablature: ce qui est si aysé à comprendre, qu'il n'est pas necessaire d'en parler plus au long. C'est pourquoy ie viens aux differentes bateries dont on vse en ioüant de cet instrument: lesquelles on pratique dans la mesure binaire, ou ternaire. La simple batterie de la binaire est composée de deux battemens, dont le premier monte, et l'autre descend, ou tout au contraire, suiuant la volonté de celuy qui touche la Guiterre.

Quand on veut doubler ou tripler cette batterie, on bat 4 ou 8 coups toutes les chordes d'vn, de 2, de 3, ou de 4 doigts selon qu'on veut: quant au pouce il ne bat que la chanterelle en montant, et toutes les chordes en descendant. La batterie ternaire simple est composée de trois battemens, qui commencent tousiours en descendant selon le mouuement de la piece: ce que l'on a coustume de marquer dans la tablature. Quand on redouble cette batterie, elle a cinq battemens, dont le cinquiesme coup se fait en descendant, soit du doigt seul, ou du pouce et du doigt: mais l'on entend le coup du doigt distinct et separé du coup du pouce. Or l'on a coustume de battre sur l'eclisse au defaut de la table, quand on veut rendre la batterie plus douce, et pres du cheualet, quand on la veut rendre plus forte, quoy que l'on puisse battre en tel autre lieu que l'on voudra depuis le cheualet iusques aux touches. Mais il faut que le pouce qui bat apres les doigts les suiue aussi tost: il faut encore remarquer que l'on ne redouble, ou que l'on ne triple pas ordinairement les batteries sur les pieces difficiles, mais seulement sur les plus aysées, comme sur les Passe-cailles: car quant aux autres on se contente de la batterie simple, ou du double des contre-temps, qui font les deux tiers de la mesure, qui commence ou finit par ledit contre-temps composé de trois coups esgaux.

[-96v-] PROPOSITION XIV.

Donner des exemples de la Tablature Françoise de la Guiterre, et expliquer celle des Espagnols, et des Italiens.

LA Tablature de la Guiterre depend en partie de son accord, lequel i'ay mis et expliqué auec la figure. Mais il faut corriger les caracteres de la tablature qui y est grauée suiuant celle-cy, dont vsent les Italiens, qui se seruent des lettres capitales A, B, E, et cetera iusques à O, pour signifier les accords marquez en tablature Françoise par les petites lettres qui sont dessouz.

[Mersenne, Instruments à chordes, 96v,1; text: a, b, c, d, e, Tablature Italienne expliquée par la Françoise. Espagnole, A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, P] [MERHU3_2 16GF]

De sorte que les Italiens n'ont besoin que des lettres capitales pour leur tablature, comme l'on void dans celle que Pierre Million feist imprimer à Rome l'an 1624, qui commence cette chanson à la page 61 auec les trois lettres qui sont dessus:

[Mersenne, Instruments à chordes, 96v,2; text: G, B, Vna Vecchia Sdentata, e bauosa] [MERHU3_2 17GF]

et lors qu'ils veulent marquer les batteries, ils mettent vne petite ligne semblable à vn I sur la regle quand on bat en montant, et dessouz lors qu'il faut battre en descendant, comme l'on void dans la Gaillarde du mesme Autheur page 20.

[Mersenne, Instruments à chordes, 96v,3; text: I C F P] [MERHU3_2 17GF]

Ambroise Colomna vse de la mesme Tablature dans le liure qu'il feist imprimer à Milan l'an 1627, quoy que son Alphabet Harmonique soit vn peu plus long, et qu'il soit different en quelques accords de celuy de Million, comme tous les deux sont fort differens de celuy du Seigneur Louys, qui a mis la tablature Françoise souz la sienne: quoy qu'il n'vse que de nombres pour exprimer ses chansons que l'on peut voir dans son liure imprimé chez Ballard l'an 1626. Or il vse de notes pour signifier le temps de chaque accord, comme fait aussi quelquefois Colomna: mais Monsieur Martin qui touche parfaitement la Guiterre, se sert de notes non seulement pour marquer les temps de chaque batterie, mais aussi pour signifier quand il faut battre en leuant, ou en baissant la main, car il bat tousiours en leuant quand les notes ont la iambe en haut, et si elles l'ont en bas, il bat en baissant. Il y adiouste encore plusieurs autres caracteres, par exemple les tenuës, afin d'imiter celle du [-97-] Luth, laquelle est l'original de toutes les autres, comme les notes de la Musique sont l'original de celle du Luth. Or les deux exemples de tablature qui suiuent font voir la maniere dont il vse, sans qu'il soit besoin d'vn plus long discours: il faut toutesfois remarquer que les points qui precedent les notes noires les doiuent suiure, ce que nous n'auons peu obseruer dans cette nouuelle tablature, parce que l'on n'a point encore de caracteres propres pour la marquer.

[Mersenne, Instruments à chordes, 97; text: a, b, c, d, e, f, ALLEMANDE. SARABANDE.] [MERHU3_2 17GF]

PROPOSITION XV.

Expliquer la figure, les parties, l'accord, l'estenduë et l'vsage du Cistre, et la maniere de diuiser son manche pour y marquer toutes les touches.

LE Cistre est plus vsité en Italie qu'en France, où le Luth est dans vne telle perfection que l'on mesprise la plus grande partie des autres instrumens à chorde; or la figure monstre tout ce qui appartient au Cistre, dont M C L est la table. L'espaisseur de son corps est marquée par Q M, et la touche du manche par A B C D, laquelle est diuisée en 18 touches ou interualles, que l'on marque par les lettres de nostre alphabet depuis le b iusques au t, car l'a signifie les chordes à vuide, comme sur les autres instrumens, quoy que l'on [-97v-] puisse marquer les touches par les nombres en commençant par 1, afin que le zero represente les chordes à vuide, comme font les Italiens, mais l'vn reuient à l'autre. A R monstre le lieu où le doigt touche pour accourcir les chordes, car le sillet A B determine la longueur des quatre rangs de chordes, dont il y en a trois qui ont chacun trois chordes, et vn qui n'en a que deux: mais celles de chaque rang sont toutes à l'vnisson, quoy que l'on en puisse mettre vne à l'Octaue. Elles sont ordinairement de leton, et se touchent d'vn petit bout de plume, comme celles de la Mandore.

[Mersenne, Instruments à chordes, 97v; text: b, c, d, e, f, g, h, i, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t, A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, P, Q, R, T] [MERHU3_2 18GF]

De l'autre costé elles sont bornées par le cheualet G H, qui est assez proche de la rose I K, de sorte que le reste de la chorde qui descend par E F iusques au bout de la table (que l'on appelle le peigne, à raison des petites pointes, ou des dents de bois, ou de fer, ausquelles on attache les chordes) ne sert de rien à l'harmonie. Quant aux cheuilles T V, et cetera elles sont si visibles qu'elles n'ont pas besoin d'explication: les lettres C D marquent le bout de la touche. L'accord du Cistre touché à vuide est marqué à costé auec les notes ordinaires, dont la plus haute signifie le son du premier rang F B, qui sert de chanterelle; les trois autres notes representent les trois sons des trois autres rangs qui suiuent; mais le 3. rang descend plus bas d'vn ton que le 4. Or l'on fait les touches de petites lames de leton fort deliées, que l'on ente tellement sur la touche du manche A D, qu'elles sont vn peu plus hautes qu'elle, afin de toucher les chordes, comme font les touches faites de chordes de Luth, qu'elles suppleent, d'autant qu'elles sont trop molles pour seruir de touches aux chordes de leton.

Quant à la distance des touches, les Facteurs la determinent par l'oreille, comme celle des autres instrumens à touches, car ils les haussent et les baissent iusques à ce que les accords leur satisfacent, quoy que l'on puisse les asseoir et les placer aysément sans se seruir de l'oreille et de l'experience, si l'on entend le traité du Luth. Or chaque chorde a l'estenduë d'vne Douziesme, ou d'vne Treziesme par le moyen de ses touches, dont m fait l'Octaue auec la chorde touchée à vuide.

Les Italiens adioustent deux autres rangs de chordes à leurs Cistres, et font tellement leurs touches qu'elles trauersent le manche, comme font les quatre premieres du nostre, de sorte qu'ils vsent de six rangs de chordes, qu'ils accordent à vuide en la maniere que l'on void dans cette seconde figure de Cistre qu'ils appellent Citara: quoy que l'on puisse vser d'autres manieres d'accord, [-98-] comme l'on fait sur les autres instrumens, suiuant les pieces que l'on veut ioüer: de sorte que chaque instrument est en quelque façon infiny, à raison de la grande multitude d'accords, dont il est capable, selon la phantaisie, et la volonté de ceux qui le touchent, et des diuers ornemens que la main sçauante y adiouste; mais il n'est pas possible de les expliquer, ou de les comprendre sans les ouyr.

[Mersenne, Instruments à chordes, 98,1; text: b, c, d, e, f, g, h, i, k, l, m, n, o, q, r, s, A, B, C, D, F, G, H, I, K, 1, 2, 3, 4, 5, 6] [MERHU3_2 18GF]

Or auant que de finir cette Proposition, ie veux donner la maniere de diuiser le manche du Cistre pour y mettre les touches, car encore que l'on y puisse appliquer tout ce que i'ay dit du Luth, neantmoins les Facteurs pourront vser de cette method, dont se seruent plusieurs Maistres, qui diuisent la longueur de l'vne des chordes, prise depuis le cheualet iusques au sillet, en neuf parties esgales, ce qu'ils trouuent en diuisant premierement ladite chorde, ou vne ligne de mesme longueur en trois parties, et puis chacune de ces parties en trois autres: de sorte que la neufiesme partie leur donne la seconde touche, c'est à dire c qui fait le ton auec la chorde entiere. Ie suppose donc premierement que la chorde entiere soit representée par la ligne V A, et que V C est moindre d'vne huictiesme partie. Secondement ils diuisent V C en neuf parties pour trouuer la 4. touche E; en troisiesme lieu ils diuisent V E en neuf parties pour auoir la 6. touche G; et s'ils veulent descendre iusques à T, ils trouuent en la mesme maniere I, L, N, P, R, T, qui sont toutes esloignées d'vn ton les vnes des autres, et puis ils diuisent A V en trois parties, afin d'auoir H au commencement de la 3. partie, qui est esloignée de G d'vn demy-ton.

[Mersenne, Instruments à chordes, 98,2; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V] [MERHU3_2 18GF]

En apres ils diuisent V A en quatre parties, afin que le quart pris d'A vers V donne F E, et F G, qui font deux demy-tons. Et pour auoir le demy-ton C D, ils diuisent la ligne V F en huict parties, dont ils en mettent vne de F vers A pour auoir la touche de D, qui fait les deux demy-tons D C et D E. Et pour auoir B, ils diuisent la ligne V D en huict parties, comme F V, dont la huictiesme estant mise de D vers A finit sur le B, et donne les deux demy-tons A B, et B C. Et si ces sept demy-tons ne suffisent pas, ils diuisent V H en neuf parties, dont ils en mettent vne de H à K; et diuisent V K en neuf autres parties pour auoir M, et ainsi des autres. Car ils diuisent V K en huict parties, dont la huictiesme appliquée de K vers A donne la touche I, qui fait le demy-ton auec H et K, et continuent de la mesme maniere iusques à ce qu'ils ayent toutes les touches du Cistre.

[-98v-] Or il est aysé de faire la table, et le corps du Cistre plus large, et d'y mettre autant de chordes que sur le Luth, ou sur l'Epinette, car toutes sortes d'instrumens sont capables de tant de chordes que l'on veut, pourueu qu'on les fasse assez larges et assez grands. Les Italiens y mettent iusques à neuf ou dix rangs de chordes, qu'ils accordent à l'ouuert en cette maniere.

[Mersenne, Instruments à chordes, 98v,1] [MERHU3_2 18GF]

Mais il suffit de parler icy de la maniere dont on vse en France, tant pour accorder le Cistre par notes et par lettres, que pour sa Tablature, que chacun peut apprendre par l'exemple de la Courante qui suit,

COVRANTE.

[Mersenne, Instruments à chordes, 98v,2; text: a, c, d, e, g] [MERHU3_2 19GF]

dans laquelle le 3 marqué sur la seconde ligne en montant signifie la mesure ternaire: les lettres monstrent les touches du manche qu'il faut toucher, tandis que l'on touche les chordes de la main droite auec la plume; et les notes de dessus signifient le temps ou la mesure de chaque accord, ce qui est si aysé à entendre par le discours que i'ay fait de la tablature du Luth, qu'il n'est pas necessaire d'en parler icy plus amplement.

[Mersenne, Instruments à chordes, 98v,3; text: b, c, d, e, f, g, h, i, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t] [MERHU3_2 19GF]

Ceux qui ne seront pas satisfaits de cette piece de tablature du Cistre, peuuent se seruir du liure qu'Adrian le Roy imprima il y a 64. ans, lequel ne contienne rien de notable, qui n'ait esté expliqué dans nostre traité du Luth. I'adiousteray seulement ce qu'il y peut auoir de particulier apres auoir donné la figure dans laquelle la plus grosse chorde du 3, et du 4. rang est tortillée, et [-99-] faites d'vne chorde redoublée et pliée en deux, afin de faire des sons plus remplis, et plus nourris.

Ses touches vont tout au trauers du col, ou du manche, comme celles de la seconde figure: mais il faut commencer par la troisiesme chorde pour accorder le Cistre, à raison qu'elle a le son plus graue d'vn ton que la quatriesme, et puis il faut monter ses deux compagnes à l'Octaue, en apres il faut monter les deux secondes vne Quinte plus haut que les Tierces, et les deux chanterelles vn ton plus haut que les secondes, comme l'on void en cet accord tant par Vnisson, que par Octaues, lequel est vn peu different de l'accord des autres figures.

[Mersenne, Instruments à chordes, 99,1; text: a, c, f, h, Accord par vnissons. Par Octaues.] [MERHU3_2 19GF]

Quant à la maniere de toucher le Cistre tant de la main droite que de la gauche, il faut faire de la droite auec la plume ce qui a esté dit en expliquant son office dans le traité du Luth, car il faut leuer autant de chordes qu'il y a de lettres auec des points dessouz, et abbaisser toutes celles dont les lettres se trouuent sans points. Quant à la gauche, l'exemple des seize accords qui suiuent enseignera de quels doigts l'on doit se seruir pour toucher chaque lettre, ou touche. Mais il faut remarquer que les seize notes de Musique qui sont dessouz signifient les lettres de la premiere, et de la seconde regle d'enhaut: par exemple, vt, re, mi, fa, signifient l'a de la premiere regle, et l'a, c, et d de la seconde, et puis on remonte au d, f, h, et cetera de la premiere regle pour chanter sol, la, et cetera.

Accords difficiles du Cistre.

[Mersenne, Instruments à chordes, 99,2; text: a, b, c, d, f, h, i, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16] [MERHU3_2 19GF]

Or il faut toucher le d de la premiere touche du second doigt, et le c du premier: car quant aux a ils se touchent à l'ouuert, comme i'ay desia dit. Le c de la seconde touche se touche du premier doigt. Le d et le c de la troisiesme touche des mesmes doigts de la premiere. Le premier d de la quatriesme touche du second doigt, le c du premier, et l'autre d du troisiesme. La cinq et sixiesme touche comme la quatriesme. Le f de la septiesme du premier doigt, et le h du troisiesme. Le h de la huietiesme du second doigt. Les deux ff du premier en le couchant sur toutes les chordes, et l'i du petit doigt. La neufiesme touche comme la sixiesme. L'h de la dixiesme du petit doigt: l'f du second, et l'autre f du premier. L'onziesme comme la quatriesme: la douziesme comme la dixiesme. Le b de la treziesme du premier doigt, et le c du second. Le premier c de la quatorziesme du second doigt, et l'autre du premier. la quinziesme comme la seconde, et la seiziesme comme la cinquiesme. Ce qui suffit pour comprendre tout ce qui appartient au Cistre.

[-99v-] PROPOSITION XVI.

Expliquer la figure, et l'accord du Colachon.

TOvs les instrumens qui n'ont qu'vne, deux, ou trois chordes peuuent estre rapportez à cettuy cy, ou au Monochorde: par exemple les differents bastons, dont vsent les pauures et les aueugles, sur lesquels ils estendent vne, deux, ou trois, chordes par dessus vne vessie de porc, ou quelqu'autre corps creux pour faire le Bourdon, que quelques-vns appellent Basse de Flandre, et qu'ils roignent au Violon, et aux Cymbales et Tambours pour accroistre l'Harmonie.

[Mersenne, Instruments à chordes, 99v; text: b, c, d, e, f, G, H, i, K, l, m, n, o, p, q, r, A, B, C, D, E, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16] [MERHU3_2 19GF]

Le Colachon n'a semblablement que deux ou trois chordes, et est vn instrument de quatre ou cinq pieds de long, dont on vse en Italie, et dont l'accord à vuide est d'Octaue en Quinte, comme l'on void aux notes qui sont à costé; encore que l'on puisse l'accorder en plusieurs autres manieres. Il a la forme d'vn Luth et n'a qu'vn manche qui est fort long pour donner de l'estenduë à les trois chordes: ceux qui n'y mettent que deux chordes, l'accordent à la Quinte: mais i'ay ioint l'Octaue à la Quinte dans cettuy-cy.

Le Rebec a semblablement trois chordes qui sont accordées de quinte en Quinte comme celles du Violon; c'est pourquoy ie n'en parle pas icy plus amplement, car outre que l'on n'en vse plus, le Violon dont nous traitons apres le contient, et est plus excellent. Or il faut remarquer que l'on donne telle forme que l'on veut à la table, et au corps de tous les autres instrumens sans changer ou alterer leurs especes, leurs natures, et leurs proprietez; c'est pourquoy il ne faut pas croire que i'aye obmis quelque instrument, lors que ie ne mets pas toutes les differentes figures des Luths, des Violes, des Lyres et des autres instrumens, puis que les differentes formes n'apportent pas plus de varieté, que les differentes figures de ronds, de quarrez, d'ellipses, d'exagones, et cetera que l'on donne à vn mesme horologe Solaire: autrement l'on pourroit dire qu'il y a cinq cens differentes especes de Violes et de Luths, et cetera ce qui est contre la verité et l'experience.

Quelques-vns font la table du Colachon moitié de bois, et moitié de parchemin, l'on pourroit [-100-] aussi la faire de verre, et de plusieurs autres matieres: mais il vaut mieux qu'elle soit toute de Sapin, comme celle des autres instrumens. Or il suffit d'auoir traité des instrumens qui sont en vsage dans la France, et chez nos voisins, sans qu'il soit necessaire d'en inuenter, ou d'en proposer de nouueaux, comme est la nouuelle Lyre de Monsieur Dony dont il m'a enuoyé le dessein, parce qu'il appartient aux inuenteurs d'expliquer ce qu'ils ont trouué, afin qu'ils en reçoiuent l'honneur entier. Ie diray seulement qu'il ne s'est point encore rencontré d'Ingenieur qui ayt suppleé par artifice et par machines le mouuement des doigts de la main droite, et de la gauche sur les instrumens à manches touchez ou non touchez, ny qui ayt demonstré la proportion que doit auoir le creux de l'instrument auec le manche et la table pour rendre vne parfaite harmonie; dont nous pourrons encore parler dans les autres Liures: car ie veux finir celuy-cy par la consideration des machines qui ont seruy aux anciens pour ietter des pierres et des flesches, afin de remarquer que la Musique et le son des chordes n'est pas inutile à la guerre, puis qu'ils ont vsé de l'Vnisson pour sçauoir si les chordes de leurs arcs, et de leurs arbalestes estoient bien bandées, comme Vitruue a remarqué dans le 18. chapitre de son 10. Liure; ce que l'on faisoit en tournant les maniuelles du moulinet ou du bandage, iusques à ce que les deux chordes des deux parties de l'arbaleste fissent l'Vnisson l'vne auec l'autre: mais ie ne croy pas qu'il ayt bien entendu la Musique, puis qu'il dit qu'on tendoit chaque chorde iusques à ce que sa resonance fust par tout esgale; d'autant qu'vne mesme chorde fait tousiours vn son esgal en toutes ses parties, soit qu'on la bande peu ou beaucoup, si l'on prend l'esgalité du son quant à l'aigu: et si l'on en iuge par la force et par la grandeur, le son est seulement esgal sur les parties de la chorde qui sont esgalement esloignées de son milieu, comme l'on experimente sur le Luth, et sur tous les autres instrumens dont les chordes sonnent plus fort quand elles sont touchées pres du cheualet, que quand on les touche au milieu, qui est le plus mol de toutes les parties.

Mais puis que les mousquets, et les autres armes à feu ont fait perdre l'vsage et la cognoissance des Catapultes, des Scorpions, et des Arbalestes des anciens, qui en faisoient les chordes de cheueux de femmes, ou de nerfs filez, comme dit Vitruue au mesme lieu, ie ne m'estendray pas dauantage sur cette antiquité, dont il suffit de conclure que l'on peut vser de chordes faites des mesmes cheueux, tant pour monter le Luth et la Viole, que les autres instrumens dont nous auons parlé: car puis que ces chordes estoient assez fortes pour decocher et enuoyer les traits des Arbalestes fort loin, et qu'elles supportoient la tension et l'effort des moulinets, des singes, et des polyspastes sans se rompre, il n'y a nul doute qu'elles ne rompront pas par la force des cheuilles, dont on vse pour monter le Luth et la Viole. Or ie veux acheuer ce Liure par le Cantique Te Deum laudamus, paraphrasé par vn excellent Poëte, afin que ceux qui ioignent leurs voix auec leurs Luths en puissent vser pour faire de tres-beaux airs, et qu'ils se rendent desormais agreables à Dieu en chantant.

GRand Dieu c'est aujourd'huy que ton peuple se range

Dans les deuos concers des chansons de loüange

Qu'il doit à ta bonté;

É l'esprit le plus fier tremblant sous ta puissance,

Confesse que l'on doit l'entiere obeissance

Au septre souuerain que tient ta majesté.

[-100v-] Ce pezant elemaut des trois autres le centre,

Voiant depuis son dos iusque au creus de son ventre

Tes ouurages diuers,

De ses superbes mons abaisse l'arogance,

Qui semblent à l'enui te porter reuerance

Comme au Pere eternel de ce grand uniuers.

Ces haus cercles voutés sous tes piés adorables;

Tous ces puissans Espris aus mortels secourables,

D'vne eternelle vois,

Ont ta diuinité trois fois sainte nomée,

É publient par tout qu'on ne voit point d'armée

Dont le chef ne s'incline au grand ioug de tes lois.

Depuis cette cariere où la Lune a sa course,

Iusques en cet endroit qui semble estre la source

Des celestes flambeaus,

Ta gloire ocupe tout, chaque ciel s'en décore,

É d'un éclat pareil elle remplit encore

Le globe de la terre, é la masse des eaus.

Le choeur tout glorieux des vois apostoliques:

Le nombre plain d'honneur des langues profetiques

Qui predirent notre heur;

É la troupe de ceus dont les ames constantes

Paroissant dans le sang en blancheur éclatantes,

Par un chant de loüange honorent ta grandeur.

Ton Eglize tres-saincte a pour toi des cantiques

Mesmes dans ces étas où les Rois heretiques

Lui font moins de pardon;

Dans les terres du Turc, du Barbare, du More,

É de ceus qui brutaus n'ont point de Dieu encore,

Cette Epouze t'adore, é confesse ton nom.

Cette sainte confesse en tous les coins du monde,

Toi Pere en majesté qui n'a point de seconde;

Confesse ton vray Fis,

Ce Christ ton Fis unique aus humains venerable:

Confesse l'Esprit saint dont l'ardeur secourable

Console par ses dons tous les autres espris.

Tu regnes, ô grand Christ, é toute chose admire

La gloire, é la splendeur de ton puissant empire;

Toi que la Deïté

Reconoist pour le Fis, d'une essence eternelle,

Tu n'as point aboré les flancs d'une Pucelle

Pour estre le Sauueur de notre humanité.

Par la diuine essence à l'humaine conjointe

Tu choizis les moiens de reboucher la pointe

Des fleches de la mort;

É par ce grand trofée emporté dessus elle

Les cieus furent ouuers a ton peuple fidelle,

Où malgré le naufrage il rencontra le port.

A prezant tu te siés tout brillant de victoire

A la dextre de Dieu, dans le sein de la gloire,

D'où tes puissantes mains,

Conduites par les lois d'une estroite justice

Dispenseront un iour le chastimant au vice,

Comme la recompense au merite des saints.

De grace ouure l'oreille à notre humble priere;

Donne à tes seruiteurs une assistance entiere,

Garde-les de broncher,

Eus de qui le rachat t'a couté tant de peines,

Que ton corps precieus n'a point porté de veines

Qui n'aient vu leur sang goute à goute épancher.

Fai que les actions que produira leur vie,

Plaizantes à tes ieus, te prouoquent l'enuie

De bien faire pour eus;

Tant qu'un iour afranchis des mizeres du monde,

Dans ton empire saint où le plaizir abonde,

Ils possedent la gloire auec les bien-heureus.

Seigneur fai que ton euple ait le ciel en partage;

Sauue ton cher troupeau; beni ton heritage;

Aide-lui puissamant;

Que tes commandemans lui seruent de conduite,

Puis l'éleue si haut que des siecles la suite,

Ne donne point de borne à son acroissemant.

Chaque fois que l'aurore apreste la cariere

A ces vistes cheuaus qui trainent la lumiere

Nous t'alons benissant;

É d'un soin diligeant nos paroles mortelles,

Forceant leur naturel, se rendent eternelles

Pour vanter les éfés de ton nom tout-puissant.

Plaize à ton bras diuin nous estre secourable,

É defandre aujourd'hui notre état deplorable

Des assaus ennemis;

Que le peché flateur ne nous puisse surprendre,

É si notre foiblesse à la fin s'i va rendre

Purge aussi-tost le mal que nous l'aurons comis.

Que ta mizericorde ainsi qu'une rozée

Degoute incessammant sur notre ame embrazée

Du vice criminel:

En toi seul, ô Seigneur, nous auons esperance;

É si j'espere en toi, je vis en asseurance

De me sauuer en fin de l'abîme eternel.


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