TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Fn and Ft: MERHU3_7 TEXT
Author: Mersenne, Marin
Title: Livre septiesme des Instrvmens de Percussion
Source: Harmonie Universelle, contenant la theorie et la pratique de la musique, 3 vols. (Paris: Sebastien Cramoisy, 1636; reprint ed. Paris: Centre national de la recherche scientifique, 1965), 3:1-79.
Graphics: MERHU3_7 01GF-MERHU3_7 13GF
[-1-] LIVRE SEPTIESME DES INSTRVMENS DE PERCVSSION.
PROPOSITION I.
Determiner le nombre des instrumens de Percussion, et quel est le plus excellent.
TOVS les corps qui font du bruit, et qui rendent vn son sensible lors qu'ils sont frappez, peuuent estre mis au rang des instrumens de Percussion, et consequemment les instrumens à chordes peuuent estre rapportez à ce liure, puis qu'on les frappe du doigt, d'vne plume, ou autrement; mais parce que ce battement est si leger qu'il doit plustost estre appellé vn simple attouchement, ou vne simple traction, qu'vn battement, ou vne percussion, l'on distingue ordinairement ceux que l'on frappe d'vn marteau, ou d'vn baston, d'auec ceux que l'on touche autrement, c'est pourquoy ie leur donne vn liure à part. Ce qui n'empesche nullement que l'on ne les puisse ranger dans vn autre ordre: car celuy que ie me suis proposé n'est pas si precis, ny si exact, que l'on ne puisse le changer: par exemple, l'on peut mettre le Psalterion, dont i'ay traité dans le liure des instrumens à chordes, auec ceux-cy, d'autant que l'on frappe ses chordes auec vn baston, comme l'on frappe les bastons des regales de bois.
Mais quoy qu'il en soit, ie traite seulement icy des instrumens de Percussion qui sont en vsage, et particulierement des cloches, et autres vaisseaux semblables, des Castaignettes, des Cymbales, des Tambours, et des Trompettes, que quelques-vns appellent Rebubes, dont ie pouuois aussi traiter dans les autres liures.
Or l'on peut rapporter tous les autres instrumens de Percussion à ceux-cy: car l'on trouue les tons des metaux, des pierres, et de toutes sortes de bois en la mesme maniere que ceux des Castagnettes, et des Regales. Mais parce qu'il semble que les cloches sont les plus excellentes de tous ces instrumens, tant à raison de leur matiere, et de leur fabrique, que de leurs sons, et de leur vtilité, elles occupent la plus grande partie de ce Traité que ie commence par elles, encore que i'aye commencé les autres par les instrumens les moins considerables, afin que la diuersité de l'ordre fasse le mesme effet dans l'esprit des Lecteurs, que la diuersité des sons dans l'oreille des Auditeurs: ce qui n'empesche pas que l'on ne puisse commencer à lire ce liure par les Propositions qui traictent des moindres instrumens de Percussion.
PROPOSITION II.
Expliquer l'inuention, l'antiquité, les noms, et la Benediction des cloches.
L'On a quasi tousiours de la peine, et de la difficulté à remarquer les premiers Inuenteurs des artifices, et des choses qui seruent pour le plaisir, ou pour l'vtilité des hommes, soit que nos deuanciers ayent esté si negligens qu'ils ne nous en ont laissé aucun vestige, ou qu'ils ayent ignoré les lettres, et qu'ils n'ayent sceu lire ny escrire, comme l'on experimente maintenant parmy les Canadois, et les autres Sauuages.
[-2-] De là vient que nous ne sçauons pas bien asseurément l'Inuenteur du Canon, et de l'Imprimerie, et que l'on est en doute de celuy des Horloges à rouës, et à Soleil, des lunettes d'approche, de l'vsage de l'aymant, du verre, et de plusieurs autres choses, au nombre desquelles on peut mettre les cloches: car l'on ne sçait pas si la premiere a este faite à Nole, d'où saint Paulin a esté Euesque, et d'où les cloches ont esté appellees Nolae; et Campanae, parce que Nole est dans la Campagne d'Italie; c'est pourquoy Polydore Virgile, et ceux qui l'ont suiuy se sont mescontez, lors qu'ils ont dit que le Pape Sabinian, qui succeda à saint Gregoire, fut l'Inuenteur des cloches, car saint Hierosme contemporain de saint Paulin, parle d'vne cloche au trente-cinquiesme chapitre de la regle des Moniales.
D'où il est aisé de conjecturer que ces saints ne sont pas les Inuenteurs des cloches, et qu'ils les ont seulement introduites dans les Temples: car Lucian Samosatene, qui viuoit dans le premier siecle, parle d'vn horloge qui sonnoit; et Suetone et Dion appellent les cloches tintinnabula dans la vie d'Auguste, et Ouide et Tibulle les nomment aera, pelues lebetes, et cetera dont Strabon, et Polybe qui viuoit deux cens ans deuant nostre Sauueur, ont encore parlé. Et puis Iosephe asseure que les Iuifs en ont vsé, dans le troisiesme de ses Antiquitez, chapitre huit et vnze, où il appelle la cloche [kodon]
Or elles ont plusieurs noms, dont i'en ay desia rapporté quelques-vns, et les autres sont, Petasus, Aeramentum, Crotalum, Signum, Cloca, et cetera. Le premier est pris de la forme d'vn chapeau, comme tintinnabulum du tin tin qu'elles font en sonnant: Le second est pris de leur matiere, qui est de cuiure: Le troisiesme est vsurpé par Dante et Ariste: Le quatriesme est pris du signal que l'on fait auec les cloches, dont parlent Iuo Burchard, et le Decret dans la premiere distinction de Consecratione, chapitre cinquante. Le cinquiesme est vn mot Allemand, ou vieil Gaulois, car on le trouue dans les Capitulaires de Charlemagne.
C'est de là d'où est venu nostre nom de Cloches; surquoy l'on peut lire le vingt-deuxiesme chapitre du premier liure que Duarenus a fait des Ceremonies de l'Eglise.
Quant au vocable Nola, Quintilian en vse dans le dernier chapitre de son huictiesme liure, quand il apporte le Prouerbe Nola in cubiculo, que Rhodigin explique de celuy qui parle trop dans la chambre, et en particulier, et qui deuient muet quand il faut parler en public. Mais ie quitte tous ces noms, afin de parler de leur Benediction, que le peuple appelle Baptesme, parce qu'on les laue.
Or cette Benediction est fort ancienne, car Alcuin Disciple de Bede, et Precepteur de Charlemagne, qui viuoit l'an 770, en parle comme d'vne chose qui estoit dés long-temps en vsage: ce que l'on peut prouuer par celle qui se trouue dans l'ordre Romain, lequel est fort ancien, et dont on ne sçait point l'Autheur. Voicy la forme dont on vse pour la benir.
Seigneur que cette Cloche soit sanctifiee, et consacree au nom du Pere, et du Fils, et du saint Esprit. A quoy l'on adiouste plusieurs Oraisons deuant et apres ces paroles, en la lauant dehors et dedans auec de l'eau beniste, et en faisant sept croix dessus auec l'huyle des malades, et quatre dedans auec le Cresme, comme l'on voit dans le Pontifical Romain.
Où il faut remarquer que ces Ceremonies ont esté instituees par l'authorité [-3-] des Prelats, pour les tirer de l'vsage commun, et pour les approprier aux Eglises, dont elles sont les trompettes, qui appellent ses soldats spirituels à la priere, et aux saints offices, comme remarque le Concile de Cologne, et l'ordre Romain.
Or quand on les benit, on a coustume de leur imposer vn nom en l'honneur de quelque saint, comme l'on voit aux cloches de Nostre-Dame de Paris, dont la plus grosse s'appelle Marie, et sa compagne Iacqueline, à la grosse de saint Iean de Latran, que Iean 13 nomma Iean Baptiste, au rapport de Baronius, en l'an 968, ou enuiron, lors que cette ceremonie fut instituee; à la grosse de Nostre-Dame de Roüen, que l'on appelle George, dont ie donneray la grandeur dans la troisiesme Proposition, et à celles qui sont penduës dans les tours et les clochers de toutes les Eglises.
Quant aux Payens, ils vsent de cloches pour signifier l'heure des bains, du marché, de la conduite des criminels que l'on mene au supplice, et la mort de quelqu'vn, afin que les ombres et les spectres s'esloignent, comme Ouide remarque dans le cinquiesme des Fastes.
Rursus aquam tangit, Temesaeáque concrepat aera,
Et rogat vt tectis exeat vmbra suis.
et de plusieurs autres choses selon leur volonté, car le tout depend de l'institution des hommes.
L'on tient que les Turcs ont deffendu les cloches aux Chrestiens de la Grece, qui se seruent d'vn ais (qu'ils appellent symandre, auquel ils attachent de petits maillets) ou d'vne lame de fer qu'ils appellent [agion sideron], c'est à dire le fer saint, lequel ils frappent à coups de marteau pour appeller le peuple à la priere.
PROPOSITION III.
Expliquer de quelle grandeur, et de quelle matiere l'on peut faire les cloches: quelle est la meilleure matiere de toutes, et pourquoy le son des grandes est plus graue que celuy des petites.
ENcore que l'esprit, qui se porte iusques à l'infiny, se puisse imaginer des cloches aussi grandes que le ciel, neantmoins l'art ne peut esgaler la pensee, car il est restreint par la matiere, et par l'imbecilité de l'artisan, et tout le monde ne contient pas assez de metaux, pour faire lesdites cloches; et mesmes quand les Fondeurs auroient assez de matiere, il leur seroit impossible de manier vne cloche de dix ou douze millions de liures: car toutes les machines se briseroient auant que de les pouuoir remuër.
Mais parce qu'il se rencontre des Artisans et des Ingenieurs qui ont l'esprit meilleur que les autres, il est mal aisé de determiner la plus grande cloche qui se puisse faire, car encore que la grosse de Nostre-Dame de Roüen pese trente-trois mille liures, suiuant ces vers Latins,
Ipsa ego sum quoties sonitu veneranda Tonanti,
Prima est authori gloria danda meo:
Námque ter et denis cum ternis millibus aeris
Obtulit haec vero dona dicata Deo.
ou trente-six, selon les vers François qui sont aussi dessus, auec l'annee 1501, du regne de Louis XII.
[-4-] Ie suis nommee George d'Amboise
Qui plus que trente six mil poise,
Et si qui bien me poisera
Quarante mil y trouuera.
Neantmoins l'on en peut faire, dont le diametre sera double, ou quadruple du diametre de celle-cy, lesquelles peseront trois cent vingt mille, ou 2560000 liures. Or le batant de celle de Roüen est de 710 liures, et sa circonferance prise au bord a trente pieds, c'est à dire qu'elle a dix pieds en diametre, si l'on croit à celuy qui a escrit les Antiquitez de Roüen: mais si l'on aime mieux suiure la verité de l'experience que i'en ay faite en presence du Saint Titelouze, Chanoine et Organiste de la mesme Eglise, son diametre n'a que huit pieds et 1/3 ou enuiron.
Ce qui monstre que l'on ne doit pas donner trop de creance à ceux qui escriuent de l'Antiquité des villes, d'autant qu'ils s'appuyent souuent sur le rapport d'autruy, comme font les autres historiens; de là vient que plusieurs mesprisent l'estude de l'Histoire, dont on n'a point pour l'ordinaire de plus grande asseurance, que l'authorité de ceux qui l'ont escrite en mesme temps qu'elle est arriuee: Or nous experimentons souuent que les Escriuains du temps, qui font l'Histoire qu'ils ont peu voir de leurs propres yeux, sont pleins de mensonges, soit qu'ils croyent trop legerement au bruit commun, ou qu'ils n'examinent pas les choses assez iudicieusement. Ie laisse plusieurs autres cloches, dont la grosseur est assez notable, comme la grosse de Rennes, dont on dit que le diametre a neuf pieds; celle d'Arras, qui pese plus de dix-sept mille liures, et qui se nomme Alba, ou Desiderata, au rapport de Ferolus dans sa Chronique de Flandre, page 530, laquelle fut refonduë l'an 1464: la grosse de saint Iean de Lion, qui pese 28000 liures: la grosse de Nostre-Dame de Paris, dont le diametre est de sept pieds et demy, et qui pese 24000 liures, à ce que l'on dit: la grosse de saint Martin de Tours, qui pese 25000 liures, et celle qui a autresfois esté à Mande, dont on tient que le batant pese 2200 liures: d'où il est aisé de conclure qu'elle pouuoit pese 88000 liures: ce qui n'est pas, ce me semble, croyable. Quoy qu'il en soit, si la main pouuoit suiure l'esprit, et que la nature creée eust assez de matiere, l'on pourroit faire des cloches de toutes sortes de grandeurs, dont la matiere peut estre d'or, d'argent, de cuiure, d'erain, d'estain, de fer, de plomb, et du meslange de deux ou plusieurs de ces metaux, de pierre, et cetera. Mais parce que l'on cherche ordinairement l'vtile, on les fait plustost de cuiure meslé auec l'estain fin, que des autres metaux, à raison que cette estoffe est de plus longue duree, et qu'elle sonne le mieux de toutes celles qui ne coustent pas dauantage, ou qu'elle se fond et se trauaille plus aisément.
Or l'on experimente que la meilleure matiere doit estre composee de trois, quatre, ou cinq parties de cuiure franc, ou de rosette, sur vne partie d'estain de Cornuaille, ou d'Angleterre, car les Fondeurs mettent vingt liures d'estain sur cent liures de cuiure: quoy que cette pratique reçoiue vne grande extension, car les Horlogers mettent le tiers d'estain dans leurs timbres, ce qui les rend fort resonans; et les autres Fondeurs mettent d'autant plus d'estain dans leurs cloches, qu'ils veulent qu'elles ayent le son plus excellent; encore qu'il faille proceder auec iugement en cette matiere, car si l'on y met trop d'estain, elles sont sujetes à se casser, et si l'on y en met trop peu, elles imitent le son des chaudrons. Quelques-vns y meslent vn peu d'estain de glace, par exemple, la 20 partie, afin de fondre le cuiure plus aisément, mais ie laisse cette industrie, et [-5-] mille autres petites particularitez dont ils peuuent vser, afin d'expliquer la derniere partie de cette Proposition, qui consiste à sçauoir pourquoy les grosses cloches ont des sons plus graues que les petites: ce qui est facile à resoudre par le moyen des Principes que i'ay establis dans les autres liures. Car il arriue aux cloches ce qui s'experimente aux chordes de Luth, qui battent l'air d'autant plus tardiuement, qu'elles sont plus longues, ou plus grosses, et moins tenduës, de sorte que toutes les parties de la cloche, ou les cloches entieres, ont d'autant plus ou moins de retours qu'elles sont moindres ou plus grandes.
Or i'expliqueray la proportion qu'elles doiuent auoir pour faire tel accord que l'on voudra dans la septiesme Proposition, dans laquelle ie parleray encore de ces tremblemens, dont le plus grand nombre peut estre rapporté à la plus grande tension de la cloche, car l'on peut dire qu'elle est d'autant plus tenduë, qu'elle a le son plus aigu, suiuant l'analogie quelle a auec les chordes.
Mais il faut remarquer deux sortes de tours, et de retours dans le mouuement des cloches, dont l'vn est visible, et se fait lors qu'elles sont esbranlees, et qu'elles vont d'vn costé et d'autre comme vn baston, ou vn poids que l'on pend à vn clou, et qui se meut librement de l'autre bout, dont i'ay parlé fort amplement dans le troisiesme liure des Mouuemens.
L'autre sorte de retours, ou de tremblemens, n'est autre chose que le fremissement de toutes les parties de la cloche, que l'on apperçoit en mettant la main ou le doigt dessus; or les premiers retours ne font pas sonner la cloche, mais seulement les seconds, par le moyen du batant, ou du marteau dont on la frappe, comme l'on experimente en estouffant le son, lors que l'on empesche ce fremissement en differentes manieres, par exemple, en touchant la cloche d'vn morceau de drap, ou en serrant son bord auec la main. Où l'on peut remarquer qu'il n'y a quasi rien plus aisé que d'exciter ce fremissement, car à peine peut-on toucher les plus grosses cloches du bout du doigt, ou auec la teste d'vne espingle, que l'on n'entende leur son: ce qui monstre la facilité du mouuement de toutes les parties d'vne cloche.
PROPOSITION IV.
Expliquer toutes les parties d'vne cloche, et la proportion qu'elles doiuent garder entr'elles pour faire des tons agreables.
IL est difficile que la figure represente toutes les proportions d'vne cloche, à raison des differentes espaisseurs qu'elle doit auoir en diuers endroits, c'est pourquoy i'vse de discours pour la faire comprendre. Ie dy donc premierement que les Fondeurs prennent la mesure de toutes les parties de la cloche sur l'espaisseur de son bord, qu'ils font d'autant plus espais à l'endroit où frappe le batant, que la cloche est plus grande: de sorte que leur diapason, ou leur brochette, dont ie parle apres, n'est autre chose que la cognoissance de l'espaisseur des bords.
Or ils donnent quinze bords à la largeur, ou au diametre de la cloche; par exemple, si le bord est d'vn pied, la cloche doit estre large de 15 pieds de bord en bord: mais la hauteur de la cloche, qui se prend depuis le bord iusques au lieu où elle commence à se voûter, n'a que douze bords. D'où il est aisé de conclure que la largeur de la cloche est sesquiquarte de sa hauteur, ce qui donne la raison de la Tierce majeure.
[-6-] [Mersenne, Percussion, 6; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K] [MERHU3_7 01GF]
Mais il faut expliquer ses parties, et leurs noms en les appliquant à cette figure A B G, qui monstre la forme ordinaire des cloches de France, afin que les Praticiens les comprennent plus aisément, et qu'ils ne puissent rien desirer dans cette Proposition.
Ils appellent donc A B C l'anse de la cloche, par laquelle on la pend et D B E s'appelle le cerueau.
Quant aux petites ceintures, DE et FG, on les peut nommer cordons, qui ne seruent que d'ornement. Les traits ou les courbeures EG et DE s'appellent les fausseures: I H sont les bords ou les pinces: et K monstre le gros du batant que l'on pend à vne courroye attachee à vne boucle, qui tient au haut de la clocle, et pour ce sujet on met cette boucle vis à vis de l'anse en fondant la cloche.
PROPOSITION V.
Expliquer la figure exterieure, et l'interieure d'vne cloche, et les proportions de toutes ses parties.
LEs Fondeurs se reglent sur l'espaisseur de chaque cloche pour en descrire les traits et la figure; et diuisent cette espaisseur en trois parties esgales, qu'ils appellent corps; puis ils tirent vne ligne droite, laquelle contient la hauteur de la cloche qu'ils veulent faire; ils la diuisent en douze parties esgales, qui signifient les douze bords, ou espaisseurs de la cloche, car sa hauteur est duodecuple de sa plus grande espaisseur.
Cette ligne, et ses douze parties leur seruent de conduite, et de regle pour donner les differentes espaisseurs aux differens endroits de la cloche, car l'endroit qui est vis à vis de la sixiesme partie de ladite ligne n'a qu'vn corps, et 1/3, ou 1/4 d'espaisseur; celuy qui est vis à vis de la troisiesme partie a deux corps, et le haut de la cloche n'en a qu'vn, excepté le cerueau, qui en a vn et 1/4.
Or toutes ces espaisseurs se rencontrent par le moyen des lignes que l'on descrit en cette maniere. La ligne AB diuisee en douze parties, represente la hauteur de la cloche, qui se prend depuis l'extremité de son bord A iusques à B, où elle commence à se courber pour se fermer; mais le premier trait, ou la premiere partie du cercle qui donne l'espaisseur de la cloche, est vne partie de [-7-] cercle, qu'il faut descrire à l'ouuerture du compas de trente parties, dont chacune est esgale à la 12 partie de la ligne AB, de sorte qu'il faut trouuer le centre du cercle pour d'escrire BD, et pour auoir la figure qu'a cette partie de la cloche, tant en dedans qu'en dehors. Ce centre est aisé à trouuer en marquant le centre par le moyen de deux petites parties de cercle que l'on descrit à main droite des points D et B comme de deux centres, à l'ouuerture du compas de trente parties, mais la page de ce liure n'est pas assez grande pour ces trente parties.
[Mersenne, Percussion, 7; text: A, B, D, E, F, G, H, I, L, N, R] [MERHU3_7 01GF]
Le second trait, ou la partie du second cercle DE, qui acheue la longueur de la cloche, a son centre esloigné de douze parties, c'est à dire de la ligne AB, lequel on trouue en ouurant le compas de la ligne AB, et en transportant l'vn de ses pieds sur D, et puis sur E, tandis qu'auec l'autre pied on marque les deux petites parties des cercles qui se croisent, afin de prendre le centre au point de leur intersection, et de descrire la ligne DE pour acheuer la figure interieure de la cloche.
Car quant à l'exterieure, elle se forme sur vn autre trait, lequel on descrit de l'ouuerture de sept parties que l'on donne au compas, que quelques-vns ouurent de neuf parties.
Mais puis que tous ces traits supposent que l'on a le point D, auquel commence la fausseure de la cloche, il faut remarquer qu'on le trouue en tirant vne ligne perpendiculaire qui en marque le milieu, encore que l'on puisse la descrire plus bas d'vn demi bord; cette ligne estant descrite, il faut prendre vn bord et demi, et l'on aura le point D.
Il est donc euident que l'espaisseur de la cloche s'augmente inesgalement depuis D iusques à E, et qu'elle ne change point depuis D iusques à B.
Quant au cerueau de la cloche, il a sept bords et demi de large, c'est à dire que sa largeur est sous-double de la plus grande largeur de la cloche qui se prend de bord en bord. Mais le centre de la ligne circulaire qui donne la forme au cerueau, se trouue à l'ouuerture du compas de huit parties, ou de huit bords, en mettant l'vn des pieds du compas au point A, que l'on appelle la pince de la cloche, et l'autre au point B.
L'espaisseur de ce cerueau doit estre d'vn corps, c'est à dire d'vn tiers de bord; et est enfermee de la ligne exterieure, et de l'interieure du cerueau, qui se descriuent en tenant le mesme pied de compas sur l'intersection des deux cercles precedens, mais il faut diminuer l'ouuerture, dont on descrit l'exterieure, d'vn tiers de bord pour descrire l'interieure.
L'onde RL, laquelle est sur le cerueau, est esloignee du point B d'vn bord et demi, et a son espaisseur d'vn corps, ou enuiron: or les anses sont sur cette onde.
Quant au bord, ou à la patte de la cloche EGA, il faut prendre son espaisseur au point E, (où finit la premiere partie de la ligne AB) sur lequel on tire la ligne perpendiculaire EG, esgale à EA, de sorte que EG donne la plus grande espaisseur de la cloche, et determine l'endroit sur lequel le batant doit frapper.
[-inter 7-8-] [Mersenne, Percussion, inter 7-8; text: A, B, c, D, d, E, e, F, f, G, g, H, h, I, K, L, l, M, m, N, n, O, P, Q, q, R, T, V, u, X, Y, Z, et] [MERHU3_7 01GF]
[-8-] PROPOSITION VI.
Expliquer comme les metaux se fondent et se dissoudent auec le feu, ou sans le feu, quels sont les plus aisez, et les plus difficiles à fondre, et comme ils s'engendrent dans la terre.
L'Eperience fait voir que le plomb se fond le plus aisément de tous, et puis l'estain, qui peut estre appellé vne espece de plomb: mais il est plus difficile de fondre les autres metaux, par exemple, le cuiure, et l'argent: quoy qu'il n'y ait nul doute que chaque metal se peut dissoudre sans vser de feu, comme l'on remarque dans les eaux regales, et les eaux fortes, qui dissoluent l'or, l'argent, le fer, et cetera.
Mais cette dissolution est grandement differente de la fusion, et ne peut seruir aux Fondeurs qui iettent en moule, c'est pourquoy ie n'en parle pas icy dauantage.
Quant à la fusion, celle du cuiure pur, ou de la rosette, est si difficile, qu'il est tres-mal aisé de le ietter en moule pour faire des cloches, si l'on n'y mesle quelque autre metal ou mineral pour aider sa fonte: par exemple, de l'estain fin, ou de celuy de glace, ou du borax, dont on vse aussi pour faire fondre l'or et le fer. Or si l'on en veut sçauoir dauantage, il faut consulter les Fondeurs, et faire plusieurs experiences sur ce sujet, tant auec le soufre, qui fait fondre le fer rougi par son seul attouchement, et qui a vne admirable puissance sur tous les metaux, qu'auec l'antimoine et les autres mineraux; d'où l'on peut tirer assez de cognoissance pour en establir vne science particuliere.
Quant à leur generation, elle se fait ordinairement sous terre, comme l'on experimente dans les mines; et si l'on croit Palissy, qui traite de ce sujet dans son liure de la nature des eaux, et des metaux, elle n'est autre chose qu'vne certaine eau congelatiue, laquelle est enfermee et contenuë par l'eau commune: ce qu'il prouue par le sel, le salpestre, et le crystal, qui se forment par la vertu de cette eau interieure, qui sert de matiere aux pierres precieuses, et à tout ce qui se fait par congelation, tant dans les animaux et dans les plantes, dont la semence n'est autre chose qu'vne eau congelee, ou vn sel, que dans les metaux, dans les mineraux, et dans les marcasites. Ie laisse mille choses fort considerables, que l'on peut voir dans cet Autheur: ioint que l'on a les liures d'Agricola, qui traitent fort amplement des metaux et des mines.
COROLLAIRE.
Les Chymistes composent plusieurs sortes d'eaux fortes, et regales, qui dissoluent, et reduisent en eau, en sable, le fer, l'argent, l'or, et les autres metaux: par exemple, ils tiennent que le nitre gras, ou le salpestre qui n'est pas degraissé, ou vne partie du sel de sa lessiue, qui reste apres que l'on en a tiré les aiguilles, ioint auec six parties du rafiné, auec de la brique pilee, fait vne eau tiree par la force du feu, laquelle dissout esgalement l'or et l'argent, et tous les autres metaux, excepté l'estain. I'ay experimenté qu'vne demie fiole d'eau regale ayant dissous l'or (qui ne paroist nullement, à raison qu'il est confondu auec ladite eau,) vne once d'huyle de tartre versee goute à goute le fait descendre [-9-] et precipiter en bas, en poudre, ou en sable, et que cette huyle estant separee, la poudre d'or lauee auec de l'eau, et seichee au feu, ou au Soleil, ou autrement; prend feu aussi-tost qu'elle sent vne chaleur assez grande, et fait vn grand bruit plus violent que celuy d'vn pistolet, et qui ressemble à celuy du foüet des marchands et des chartiers. Mais elle a son effet en bas, de sorte que si l'on en met la grosseur d'vn pois dans vne cueillier d'argent, d'estain, ou de fer, et cetera elle brise ladite cueillier, ou vn autre corps en plusieurs parties.
L'on peut aussi tirer vn esprit du sel commun, du miel, du vin, et quasi de toutes sortes de corps pour dissoudre les metaux: et l'experience enseigne que le sublimé creuse le fer, et l'acier, comme l'eau forte; de là vient que l'on graue tout ce que l'on veut sur les cousteaux auec ledit sublimé reduit en poudre, en le moüillant vn peu.
Or les Chymistes feroient vn grand chef-d'oeuure s'ils monstroient que l'esprit acide du sang, du fiel, ou des autres parties qui concurrent à la cholere et aux autres passions de l'appetit irascible, produit, fomente, ou aiguise ces passions, et produit quasi la mesme chose dans les animaux, que les esprits acides et corrosifs, ou l'eau forte produisent sur le fer et sur les autres corps en boüillonnant, et en iettant leurs fumees. Quoy qu'il en soit, ces fusions ou dissolutions sont inutiles pour la fusion des cloches, à raison que les metaux fondus ou dissous par les eaux, par les sels, et par les esprits, ou acides, ne peuuent se ietter en moûle, c'est pourquoy ie n'en parleray pas dauantage.
PROPOSITION VII.
Determiner la proportion que doiuent garder les espaisseurs des cloches pour faire toutes sortes d'accords, et de Musiques: et consequemment quel est le Diapason, la regle, ou la Brochette, dont vsent les Fondeurs.
IL faut supposer que l'on a desia vne cloche bien faite selon les proportions, dont i'ay parlé dans la quatriesme et cinquiesme Proposition, car il faut auoir vne connoissance particuliere pour fondre vne cloche qui fasse tel son que l'on voudra, et qui serue de fondement aux autres; comme il faut supposer le ton de l'vne des chordes de l'Epinette, ou des autres instrumens, pour accorder les autres.
Or les Fondeurs ont coustume de diminuer la largeur de toutes les cloches qui suiuent la plus grosse, (dont ils vsent comme du fondement de leurs accords) de bord et demi en bord et demi: de sorte que si la plus grosse a quinze bords en son diametre, la seconde en aura treize 1/2: la troisiesme douze, la quatriesme dix, 1/2: la cinquiesme neuf, et ainsi des autres.
Mais ie veux icy mettre la pratique d'vn accord entier, suiuant la methode de l'vn des plus excellens Fondeurs de ce temps, et puis ie monstreray la meilleure maniere de toutes les possibles.
La table qui suit contient ladite pratique: car la premiere colomne monstre les huit tons, ou les huit notes que font les huit cloches: la seconde fait voir leurs diametres, la troisiesme leurs espaisseurs, et la quatriesme leurs pesanteurs. Or la plus grosse cloche est au commencement de la colomne, parce qu'elle est le fondement de l'accord, encore qu'on le puisse commencer par la moindre, ou par telle autre cloche que l'on voudra, comme ie diray apres.
[-10-] [Mersenne, Percussion, 10,1; text: I, II, III, IV, Diametres. Pesanteurs. Epaisseurs, ou bords. C sol vt fa. D la re sol. E mi la. F vt fa. G re sol vt. A mi la re. B mi. C sol vt fa. pied, pieds, pouce, pouces, ligne. lignes. liures. somme, 1/6, 1/3, 1/2, 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 17, 200, 300, 400, 500, 550, 650, 800, 1000, 3500] [MERHU3_7 02GF]
Mais la Brochette, ou le Diapason dont ils vsent pour trouuer la grandeur, et le poids de leurs cloches fera mieux comprendre la proportion dont nous parlons icy, que nul exemple particulier.
[Mersenne, Percussion, 10,2; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, 25, 50, 100, 200, 300, 400, 500, 600, 700, 800, 900, 1000, 1100, 1200, 1300, 1400, 1500, 1600, 1800, 2000, 2200, 2500, 3000, 3500, 4000, 4500, 5000, 6000, 7000] [MERHU3_7 02GF]
Or ils marquent les differentes espaisseurs des cloches sur vn petit cylindre de bois, ou de laton, qu'ils appellent baston, brochette, ou diapason: ce qu'ils font en diuisant ledit cylindre en long par quatre lignes, sur lesquelles ils marquent les differentes espaisseurs auec des points, comme l'on voit en cette figure ACBH, qui monstre la circonference estenduë du cylindre.
Mais il faut remarquer que la premiere espaisseur, qui est d'A à I, sert de fondement aux autres, et qu'elle signifie que la cloche, dont le bord a cette espaisseur, pese vingt-cinq liures. La seconde espaisseur est sur la seconde ligne, et se prend depuis D iusques à cinquante. La troisiesme se prend sur la troisiesme de F à 100, et la quatriesme sur la quatriesme ligne de B à 200: de sorte que l'on va tousiours de la premiere à la quatriesme ligne en trauersant, et puis on reuient à la premiere ligne pour auoir l'espaisseur de la cinquiesme cloche, qui se prend d'A iusques au 5 nombre de 300, pour signifier la pesanteur de cette cinquiesme cloche. Par où l'on void que l'espaisseur donne le poids, et le poids l'espaisseur.
Or l'on pourroit marquer toutes ces espaisseurs et ces pesanteurs sur vne mesme ligne. Mais parce que ce diapason des Fondeurs n'est pas iuste, et qu'il n'est pas raisonnable que nous demeurions dans cette imperfection, puis que nous recherchons la perfection de tout ce qui appartient à la Musique et à tous ses instrumens, il faut icy descrire la maniere de faire des Brochettes, ou des Diapasons pour les cloches, qui forment leurs bords et leurs espaisseurs si iustes, que l'on n'y puisse rien adiouster, et que les Fondeurs ne manquent iamais à donner de parfaits accords à toutes les cloches qu'ils entreprendront: ce qui [-11-] arriuera s'ils pratiquent le Diapason qui suit, dans lequel ie me sers de leur mesme supposition, ou du mesme fondement, à sçauoir de la premiere espaisseur qu'a la cloche qui pese vingt-cinq liures; ce qui n'empesche nullement que l'on n'vse de telle autre hypothese que l'on voudra.
[Mersenne, Percussion, 11; text: A, B, C, D, E, F, G, H, K, 25, 30 46/135. 43 1/3. 59 7/27. 84 3/4. 102 10/25. 145 4/5. 200, 242 93/135. 345 3/5. 474 2/7. 680, 819 1/5. 1116 2/3. 1600, 1941 109/135. 2784 4/3. 3994 4/7. 5440, 6553 3/5. 8931 1/5. 1553 52/135. 12800, 22276 <.>/5] [MERHU3_7 02GF]
Or il faut remarquer que chaque ligne de ce Diapason est longue d'vn demi pied, et que chaque nombre monstre le poids de chaque cloche, dont l'espaisseur se prend tousiours depuis le commencement des lignes, c'est à dire depuis A, D, F et B iusques au nombre que l'on cherche: par exemple, la plus grande espaisseur qui est sur F a 15534 52/315, signifie que la cloche qui a cette espaisseur par le bord, doit peser quinze mille 534 liures, et 52/135, supposé que celle qui a l'espaisseur K A pese vingt-cinq liures, et que l'on donne la mesme proportion à la plus grande qu'à la moindre.
Or cette Brochette ou regle des cloches suit tellement les raisons harmoniques des tons que l'on aura les parfaits accords des cloches, si l'on suit les espaisseurs marquees sur chaque ligne. Mais ie veux icy expliquer la methode generale de faire tel Diapason que l'on voudra: car les Fondeurs ne vont qu'à tastons, quand ils ont des cloches à fondre, plus pesantes, plus espaisses, et plus grandes que celles qui sont marquees sur leurs Brochettes, qu'ils ne peuuent accroistre, parce qu'ils n'en sçauent pas la fabrique par vne science certaine et infaillible que i'explique icy.
Ie suppose donc premierement auec eux, que la ligne AK donne le bord d'vne cloche de vingt-cinq liures, et dis que le bord de celle qui suit apres pour faire le ton majeur en bas, doit estre plus espais d'vne huitiesme partie, et si elle fait le ton mineur, qu'il doit estre plus grand d'vne neufiesme partie, parce que la raison du premier ton est de neuf à huit, et celle du second est de dix à neuf, comme i'ay demonstré ailleurs.. Et si l'on veut faire la troisiesme cloche qui fasse la Tierce majeure en bas, il faut que son bord soit plus espais d'vn quart que celuy de la premiere. La quatriesme cloche, qui fera la Quarte en bas, aura le sien plus espais d'vn tiers. La cinquiesme, qui fera la Quinte, l'aura plus espais d'vne moitié, c'est à dire que si la premiere a deux lignes d'espaisseur, que la cinquiesme en aura trois, et ainsi des autres, suiuant les raisons de chaque ton, ou interualle que l'on donnera aux cloches. Mais il faut tripler la raison des bords, ou des espaisseurs pour sçauoir les pesanteurs; par exemple, pour [-12-] sçauoir le poids de la seconde cloche, dont i'ay parlé, lors qu'elle fait le ton majeur, auec la premiere, il faut tripler la raison de neuf à huit, c'est à dire qu'il faut cuber neuf, et huit, pour auoir leurs nombres cubes 729, et 512, car le poids de la seconde cloche est au poids de la premiere, comme 729 est à 512; c'est pourquoy il faut trouuer vn nombre lequel soit à vingt-cinq, c'est à dire au poids de la premiere cloche, comme 729 est à 512: ce que l'on trouue par la regle de trois, en disant si 512 donne 729, combien donne vingt-cinq? l'on aura 35 305/<..>2.
[Mersenne, Percussion, 12; text: A, B, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30] [MERHU3_7 02GF]
Ie veux donner vn autre exemple plus aisé à comprendre, en supposant que l'on vueille faire des cloches à l'octaue de la premiere, dont le bord sera double de celuy de cette premiere, puis que la raison de l'octaue est de deux à vn: mais le poids de la plus grande sera au poids de la moindre, comme huit à vn, et consequemment elle pesera deux cens liures, puis que la moindre en pese vingt-cinq, car la raison de vingt-cinq à cinquante, c'est à dire la raison de l'octaue triplee, donne deux cens pour le poids de ladite cloche, qui seroit la huitiesme dans l'accord des huit cloches.
Car le cube de cinquante, c'est à dire 125000, estant diuisé par 15625, qui est le cube de vingt-cinq, donne deux cens. L'on trouuera tousiours la mesme chose dans toutes les autres cloches, si l'on vse de cette methode, par le moyen de laquelle on trouuera l'espaisseur, et le poids de toutes sortes de cloches, pour grandes qu'elles puissent estre, iusques à l'infiny.
Par exemple, supposons que le bord de la cloche, qui pese 200 liures, soit espais de 2 pouces, et que les Fondeurs vueillent faire vne Brochette qui monte iusques aux bords de 4 pieds, ie dis que la cloche dont l'espaisseur est de 4 pieds sera à la premiere cloche qui pese 200 liures, comme 24 à vn, quant à l'espaisseur, d'autant que 4 pieds contiennent quarante-huit pouces; et par consequent elle pesera 2764800 liures, comme l'on voit par la raison triplee de 200 à 4800, qui sont en mesme raison que vingt-quatre et vn, car la raison triplee de vingt-quatre à vn donne la raison de 13824 à vn; de sorte qu'il faut trouuer vn nombre qui soit à deux cens, comme 13824 est à vn, c'est à dire 2764800, qui monstre le poids de la cloche, dont l'espaisseur ou le bord a quatre pieds.
Mais l'on peut reduire ce Diapason des cloches à vne seule ligne, afin de le rendre plus portatif, comme l'on voit dans la ligne AB, qui monstre l'espaisseur de trente-neuf cloches, dont la plus grande se prend depuis A iusques à 30, la seconde d'A à vingt-neuf, et ainsi des autres iusques à celle d'A à vn.
Voyons maintenant les differentes largeurs, ou les diametres des cloches, afin qu'il n'y ait aucune chose dans ce qui les concerne, que les Fondeurs n'entendent en perfection, et qu'ils reforment leurs escheles Campanaires, et les proportions qu'ils donnent aux diametres, ou aux largeurs des cloches, lesquelles sont cause qu'ils ne les mettent pas d'accord, et qu'ils sont souuent contrains de les refondre à leurs propres cousts et despens; ce qui leur porte vn tres-grand preiudice, et ce qui les ruine par fois de fond en comble.
COROLAIRE.
Il faut remarquer que l'espaisseur de la premiere, ou de la moindre cloche de ce Diapason a iustement sept lignes, et consequemment que celle qui pese deux cens liures, a son diametre de quatorze lignes: par où l'on voit que le [-13-] Diapason precedent des Fondeurs est grandement fautif, car ils donnent seize lignes au bord de la cloche de deux cens liures, c'est à dire qu'ils le font trop grand, ou trop espais d'vne septiesme partie, car quatorze est à seize, comme sept à huit: d'où il s'ensuit que la cloche qu'ils marquent de deux cens liures, doit peser 298 liures, 186/313. supposé que la premiere, dont le bord n'a que sept lignes, pese vingt-cinq liures, comme ils disent.
PROPOSITION VIII.
Expliquer le Diapason, ou l'eschele Campanaire dont vsent les Fondeurs pour la grandeur des cloches.
CEtte Proposition donnera plus de connoissance aux Fondeurs, qu'ils n'en peuuent acquerir par leur seule pratique dans l'espace de soixante ans, et les desabusera de la maniere dont ils se seruent pour trouuer les tons de toutes sortes de cloches, et pour faire les noyaux et les chappes, dont ils vsent pour les ietter.
Or ils commencent pour l'ordinaire par la plus grande cloche, lors qu'ils marquent leurs grandeurs, et prennent son diametre pour fondement, par exemple le diametre AB (qui a vn demi pied de Roy, lequel on peut redoubler autant de fois qu'il est necessaire pour representer la largeur des cloches que l'on veut fondre) qu'ils diuisent premierement en dix parties esgales, dont ils en donnent neuf à la seconde cloche BC; et puis ils diuisent le diametre BC en dix autres parties, dont ils en prennent encore neuf pour la troisiesme cloche BD, afin que ces trois cloches fassent VT, RE, MI.
Quant à la quatriesme cloche, qui doit faire le demi-ton auec la troisiesme pour acheuer la Quarte en sonnant le FA, ils trouuent son diametre, en diuisant la neufiesme partie de la seconde cloche, c'est à dire DC en cinq parties esgales, dont ils en portent trois depuis D iusques à E, afin que BE donne le diametre de la quatriesme cloche, ou bien ils diuisent AC en trois parties, dont ils en mettent deux de D à E.
Ils diuisent aussi le diametre de cette quatriesme BE en dix parties, et prennent AF, qui contient neuf parties, pour la cinquiesme cloche qui fait le sol, et la Quinte auec la premiere. Ils continuent de la mesme façon en diuisant BF en dix parties, dont les neuf donnent la sixiesme cloche BG; laquelle estant diuisee en dix parties, donne BG pour la septiesme; et finalement ils diuisent GH en cinq parties, dont ils en transportent trois de H iusques à I, afin de marquer le diametre BI de leur huitiesme ou derniere cloche, qui doit faire l'octaue auec la premiere.
Mais cette pratique n'est pas bonne, car les deux premiers tons ne font pas la Tierce majeure iuste, puis que deux tons mineurs sont trop petits d'vn comma, comme i'ay demonstré ailleurs, ce qui arriue semblablement à la quatriesme et cinquiesme cloche.
D'ailleurs le demi-ton de D à E n'est pas en sa iuste proportion, laquelle est de seize à quinze, mais il est de quarante à trente-sept, car si l'on diuise DC en cinq parties, CB est diuisé en quarante-cinq, duquel on oste trois vnitez, c'est à dire 3/5 de CD, que l'on transporte de D à E; et consequemment AE ne vaut plus que trente-sept: d'où il est aisé de conclure que la premiere cloche ne fait pas [-14-] la Quarte iuste auec la quatriesme, d'autant qu'il faudroit qu'elle fust à la troisiesme AD, comme octante-vn est à septante-cinq, parce que si BA vaut cent, BC vaut nonante, et BD octante-vn; or septante-cinq fait la Quarte iuste auec cent, puis que cent est en mesme raison à septante-cinq que quatre à trois.
Par où l'on voit que les Fondeurs introduisent vn demi-ton nouueau, qui n'est nullement harmonique, dont la raison est de quarante à trente-sept, au lieu qu'il deuroit estre maxime, c'est à dire de vingt-sept à vingt-cinq, pour acheuer la Quarte apres leurs deux tons mineurs. D'où il faut encore conclure qu'ils font la Quarte trop forte, car puis que BA vaut cinquante, et que cinquante est à trente-sept 1/2, comme quatre est à trois, il s'ensuit que DE ne deuroit auoir que deux parties et demie de CD diuisé en cinq, c'est à dire que 2/5 et 1/2 de CD pour faire la Quarte iuste contre BA: de sorte que la Quarte des Fondeurs est trop forte d'vne septante-cinquiesme partie, car elle est de cent à septante-quatre, et la Quarte iuste est de cent à septante-cinq, et consequemment elle est beaucoup plus imparfaite que celle du Luth ou des autres instrumens les plus imparfaits, car elle est trop grande de la raison de septante-cinq à septante-quatre, et cette raison est plus grande que le comma, dont les Quartes temperees du Luth ne surpassent pas le Quartes iustes, comme i'ay monstré dans les liures des instrumens à chordes.
S'ils faisoient le demi-ton majeur de D à E, la Quarte seroit trop foible d'vn comma, de sorte qu'ils ne peuuent vser de leurs proportions sans faire des fautes, et que ce n'est que par hazard lors qu'ils rencontrent bien, ce qui arriue quelquefois parce que la differente espaisseur des cloches supplee leurs erreurs, ou parce qu'ils n'ont pas bien obserué leurs mesures, ou pour d'autres raisons semblables.
Mais puis qu'il ne suffit pas de monstrer leurs fautes, si l'on ne les corrige, i'explique icy le vray Diapason des cloches, quoy qu'il soit impossible que l'on ne l'entende, si l'on comprend les liures precedens.
Or ie mets leur Diapason et le mien vis à vis l'vn de l'autre, afin qu'ils voyent clairement de combien ils manquent à la grandeur de chaque cloche, et qu'ils la corrigent comme il faut.
Soit donc la seconde ligne à main droite AB, afin qu'ils comprennent aisément ce discours: Et parce que leurs cloches sont ordinairement plus larges, i'explique la maniere de construire ce Diapason auec vne si grande facilité, qu'ils n'auront nul besoin d'en porter vn auec eux, et qu'ils en pourront faire de toutes sortes de grandeurs dans vn quart d'heure.
Car il faut diuiser la ligne precedente AB en dix parties esgales, comme ils font, et en ayant pris neuf pour la seconde cloche, il faut prendre les huit qui restent pour la troisiesme, qui fera la Tierce majeure iuste auec la premiere: mais il faut diuiser AB en quatre parties pour auoir la quatriesme cloche, dont le diametre aura trois parties, c'est à dire qu'il faut laisser 1/4 de cette ligne. Si l'on veut la cinquiesme cloche EF, l'on peut diuiser AB en trois parties, et en laisser le tiers Af: ou bien l'on peut diuiser BE en neuf parties, et laisser 1/9: mais la premiere maniere est plus aisee. L'on aura la sixiesme de F à G en diuisant BC en trois, dont 1/3 estant osté l'on aura ladite sixiesme cloche. Mais pour auoir la septiesme, il faut diuiser BF en cinq parties, dont 3/<.> estant osté l'on aura BH pour la septiesme cloche: Finalement l'on aura la huitiesme si l'on diuise BA en deux parties esgales au point I, car AB est double de BI. Or l'on peut [-15-] commencer par cette huitiesme, et puis continuer par la cinquiesme, la quatriesme, la troisiesme, la sixiesme, la seconde, et la septiesme, afin d'vser premierement des diuisions les plus simples et les plus aisees, et puis des autres en suite: mais toutes ces diuisions, et plusieurs autres, que l'on peut icy adiouster, sont expliquees si clairement dans le Traité des Instrumens à chorde et à vent, qu'il n'est pas à propos d'en parler icy.
Il faut seulement remarquer que la difference des interualles de ces deux lignes, qui paroist fort petite, deuient fort grande sur les grandes cloches, car si elles sont huit fois plus larges, c'est à dire si leur diametre est de quatre pieds, la difference est huit fois plus grande: et qu'il importe fort peu qu'elle ne soit pas marquee si exactement sur lesdites lignes, comme le discours le requiert, d'autant que la methode que i'ay expliquee suffit pour corriger tout ce qui y peut manquer.
Or i'ay mis les nombres harmoniques à costé du vray Diapason, pour signifier que si l'on suppose que le diametre de la plus grande cloche est diuisé en cent huit parties, il faut que les diametres de la deux, trois, et cetera ayent cent soixante-deux, cent quarante-quatre, et cetera de ces parties: car ces nombres sont les moindres de tous ceux qui continuent les sept raisons des sept interualles, ou des huit sons de l'octaue, qui commence par C sol vt fa, comme i'ay dit ailleurs.
[Mersenne, Percussion, 15; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, 90, 96, 108, 120, 135, 144, 162] [MERHU3_7 03GF]
PROPOSITION IX.
Determiner si les Fondeurs doiuent faire le ton mineur, ou le majeur entre les cloches, lors qu'il n'y en doit auoir que deux.
LES Fondeurs font tousiours l'accord d'VT, RE, ou de LA, SOL, lors qu'ils ne fondent que deux cloches, qui ne doiuent point estre accompagnees d'vne autre, ou de plusieurs: et parce que le ton peut estre majeur, ou mineur entre RE, VT, et LA SOL, il n'est pas inutile d'examiner quel il doit estre. Surquoy ie di qu'il n'importe nullement, et qu'il n'y a que la troisiesme cloche, ou les autres, qui assuietissent plustost à faire le ton majeur que le mineur, en de certains lieux, comme i'ay demonstré dans le liure des Dissonances et des Genres.
D'où il est aisé de conclure qu'il y a grande difference de considerer vne chose toute seule, et d'en faire comparaison auec d'autres, qui luy font souuent perdre sa bonté, et sa valeur, ou du moins qui luy ostent la grace, et l'agreement, comme l'on peut remarquer en plusieurs choses: d'où il arriue encore que ce qui semble mauuais, ou desagreable, estant ioint à d'autres choses, paroist excellent lors que l'on le regarde separé.
Neantmoins si l'on considere la naissance, et l'origine de ces deux tons, l'on [-16-] preferera le majeur au mineur, tant parce qu'il vient de la difference des deux premieres consonances, que tous les anciens ont reconnuës, à sçauoir de la Quinte et de la Quarte, que parce que sa raison est plus grande, et que ces sons s'vnissent plus souuent, comme l'on peut aisément conclure du liure des Consonances et de celuy des Dissonances.
A quoy l'on peut adiouster que Pythagore, Platon, et plusieurs autres anciens n'ont admis que le ton majeur, et qu'il est plus ferme et plus puissant que le mineur, à raison de son plus grand interualle. D'ailleurs le Genre Diatonic a pris son nom de cet interualle, que l'octaue contient cinq fois, car encore que l'on vse maintenant du ton mineur, neantmoins l'on n'en met que deux dans l'octaue, laquelle en a trois majeurs; de sorte que ce ton domine tousiours dans la Musique, et qu'il vaut mieux en vser que du mineur, lors que l'on n'est nullement astraint à d'autres interualles; c'est pourquoy l'on peut conclure que les Fondeurs doiuent diuiser le diametre de leur plus grande cloche en neuf parties, et en donner huit à la seconde, lors qu'ils n'ont que deux cloches à fondre, et à mettre à l'accord, qu'ils appellent VT[x] RE; encore que ce soit plustost vn discord, si l'on considere leurs deux sons en mesme temps, car ils ne se ioignent, ny ne s'vnissent point ensemble, qu'à chaque neufiesme tremblement, ou fremissement de la seconde cloche, ou à chaque huitiesme de la premiere; au lieu que le moindre des simples accords doit vnir ses mouuemens et ses tremblemens à chaque cinquiesme fremissement de la plus grosse cloche.
PROPOSITION X.
Le bord, ou l'espaisseur d'vne cloche estant donnez, trouuer sa grandeur, et son poids, et sa pesanteur, ou sa grandeur estant donnees, donner son espaisseur; semblablement l'vne des choses precedentes estant donnees, donner le ton de la cloche, et ce ton estant donné, trouuer son poids et sa grandeur.
CEtte Proposition est aussi agreable et vtile, comme elle semble difficile, mais si l'on entend ce que i'ay desia expliqué, on la trouuera fort aisee: Car puis que l'on sçait que le diametre de chaque cloche contient quinze de ses bords, et que sa hauteur en a douze, aussi-tost que l'on sçaura le bord de toutes sortes de cloches, l'on connoistra leurs diametres, et leurs hauteurs.
Semblablement, quand on aura remarqué le bord, ou le diametre d'vne cloche, et son poids, l'on sçaura le poids de toutes les autres: par exemple, si la cloche, dont le bord a sept lignes, pese vingt-cinq liures, celle qui aura le bord de quatorze lignes pesera deux cens liures, si elle est bien faite comme l'autre; et si cela ne se rencontre, les Fondeurs auront failly. L'on trouuera la mesme chose quand le bord de la cloche aura huit, neuf, dix, ou onze lignes, ou deux, trois, quatre cinq, et six pieds, car les raisons triplees des bords donneront tousiours la raison des pesanteurs.
Mais il est plus difficile de sçauoir le bord, ou l'espaisseur, et la grandeur d'vne cloche, lors que l'on ne sçait que sa pesanteur, car il faut diuiser la pesanteur donnee par la cloche, dont on ne sçait pas le bord, par la pesanteur de celle dont on sçait le bord, et puis il faut extraire la racine cubique du quotient, laquelle donnera le bord, ou l'espaisseur que l'on cherche: ce qui se doit entendre de la pesanteur qui est plus grande que celle que l'on connoist: par [-17-] exemple, si l'on veut sçauoir le bord, et la grandeur d'vne cloche, qui pese 40000 liures, comme celle de Nostre-Dame de Roüen, il faut diuiser 40000 par vingt-cinq, l'on aura 1600, pour le quotient, dont la racine cube est entre vnze et douze; et consequemment l'on sçait que le bord de la cloche de 40000 liures est du moins onze fois plus grand que celuy de la cloche qui pese vingt-cinq liures, et que ce bord estant de sept lignes, comme i'ay dit, celuy de l'autre sera de plus de septante-sept lignes, et moindre que octante-quatre lignes.
Mais il est aisé de sçauoir ce bord beaucoup plus precisément, parce que l'on peut approcher si prés de la racine cubique des nombres qui n'en ont point de precise, qu'il ne s'en faudra pas la cent milliesme partie d'vne ligne, que l'on n'ait le vray bord et l'espaisseur de la cloche dont on sçait la pesanteur: par exemple, on peut prendre onze 7/10, ou onze 69/100, et cetera qui signifient onze fois sept lignes, c'est à dire septante-sept lignes auec la fraction, qui sont vn peu plus grandes que demi-pied: car 7/10 de sept lignes valent quasi vn demi-pouce.
Or il est aisé de s'exercer en plusieurs autres exemples, dont on tirera de la lumiere; comme si l'on suppose que sept lignes de bord donnent vingt-cinq de pesanteur, l'on trouuera que le bord de huit lignes donne trente-sept 109/43.
Il faut encore vser de la mesme methode, quand on veut trouuer le bord d'vne moindre cloche par son poids, en supposant la connoissance du bord d'vne plus grande, par exemple, si l'on suppose que 1600 liures, donnent vn bord de vingt-huit lignes, l'on trouuera que vingt-cinq liures donnent vn bord de sept lignes, c'est à dire vn bord quatre fois moindre que l'autre.
Quant au ton de la cloche, dont la grandeur, ou le bord, ou la pesanteur sont donnees, il faut supposer que l'on sçache le ton de quelque cloche plus ou moins grande que celle dont on cherche le ton: car cecy estant supposé, il est aisé de sçauoir le ton de toutes les autres: par exemple, si le ton de celle de vingt-cinq liures a deux cens degrez d'aigu, celle de deux cens liures aura seulement cent degrez, car le ton de la cloche de vingt-cinq liures, a mesme raison au ton de celle de deux cens liures, que le bord de celle-là au bord de celle-cy: or le bord de celle-là est sous-double du bord de celle-cy, d'où il s'ensuit que le ton de la moindre est sous-double du ton de la plus grande.
Il faut conclure la mesme chose de toutes les autres cloches, puis que leurs tons sont en mesme raison que leurs bords, et leurs diametres: et parce que l'on trouue les bords, et les diametres par les pesanteurs, l'on connoistra lesdits tons, quand on sçaura les bords, ou les diametres.
Semblablement si l'on sçait le ton d'vne cloche, l'on sçaura son bord, son diametre, et sa pesanteur: car si l'on suppose que le ton d'vne autre cloche soit connu, et que l'on sçache le bord, ou la pesanteur de cette cloche, l'on trouuera la pesanteur ou la grandeur de l'autre; par exemple, si le ton ou le son de celle, dont on ignore la grandeur, et le poids, est double du ton de celle qui pese vingt-cinq liures, et qui a son bord de sept lignes, et consequemment son diametre de huit pouces 3/4, puis que le diametre contient quinze bords, l'autre cloche qui fait l'octaue en bas, c'est à dire qui a son ton double de l'autre, aura le bord de quatorze lignes, et le diametre de dix-sept pouces et 1/2, et pesera deux cens liures. Tous les autres exemples confirment cette speculation.
Mais afin qu'on l'entende mieux, il faut remarquer que l'on peut diuiser le ton, ou le son de chaque cloche en autant de parties, ou de degrez que l'on voudra, comme i'ay diuisé celuy des chordes, dont les tremblemens estant [-18-] connus peuuent seruir pour regler le ton des cloches, afin que l'on sçache de combien de tremblemens est composé le son de celle qui est proposee.
Or chacun peut prendre le ton le plus bas de sa voix pour la regle des autres, comme ie prends le ton de quarante pour le ton auquel ma voix peut descendre, parce que la chorde qui fait l'vnisson auec ma voix tremble quarante fois dans le temps d'vne seconde: Mais si l'on ne peut se souuenir d'vn certain ton de la voix, l'on peut vser d'vne clef percee, d'vn flajollet, d'vn tuyau d'orgue, ou de tel artifice que l'on voudra, pour aider la memoire.
Et puis l'on peut tousiours auoir recours à la chorde, dont le nombre des tremblemens, qui se font dans vn temps donné, representera tel ton que l'on voudra.
Ie veux icy donner vn exemple pris des cloches de nostre maison de Paris, dont la plus grosse des quatre, qui font les quatre sons de la Quarte, vt, re, mi, fa, a le ton, ou le son de cent soixante tremblemens, d'autant que la chorde qui fait l'vnisson auec l'vt de cette Quarte, c'est à dire auec le ton de la plus grosse cloche, tremble cent soixante fois dans l'espace d'vne seconde minute.
Or cette cloche pese 278 liures, et a son diametre d'vn pied dix pouces et 1/3; par consequent si l'on veut sçauoir combien pese celle qui descend plus bas d'vne Quinziesme, et qui a son ton quadruple de l'autre ton, c'est à dire quatre fois plus graue, il faut multiplier 278 par soixante-quatre, d'autant que la raison triplee de quatre à vn, est de soixante-quatre à vn, et l'on trouuera que la cloche, qui descend aussi bas que ma voix, doit peser 17792 liures, si elle est faite suiuant les proportions de la precedente.
Ce qu'il faut tousiours obseruer auant que de faire aucun iugement de la pesanteur d'vne cloche par la connoissance de son ton, car si elle est d'vne autre forme que la cloche, sur laquelle l'on a pris son fondement, par exemple, si elle n'a que quatorze bords de large, ou si elle en a quinze de hauteur, et que l'on ait pris son fondement sur celle qui a douze bords de hauteur, et quinze de largeur, ou si elle a esté faite sur d'autres traits de compas, que ceux dont i'ay parlé, l'on se trompera.
Mais si l'on a suiuy les mesmes regles, que les cloches soient de mesme matiere, et que la fonte ait esté esgalement bonne, l'on ne manquera nullement à trouuer le poids par le son, et le son par le poids.
COROLLAIRE.
Cette Proposition sert pour reconnoistre de combien les Fondeurs se sont trompez dans toutes sortes de cloches, c'est à dire de combien ils les ont fait trop pesantes, ou trop legeres, trop estroites, ou trop larges, et trop minces, ou trop espaisses. Par exemple, nos quatre cloches sont tellement fonduës, et disposees, que la moindre pese cent vingt liures, la seconde cent cinquante, la troisiesme deux cens, et la quatriesme deux cens septante-huit: d'où l'on peut conclure leurs bords, et leurs diametres: et de combien il s'en faut qu'elles ne fassent les trois interualles de la Quarte dans leur iustesse, et consequemment de combien les Fondeurs ont manqué à leur donner les iustes diametres, et de combien elles sont trop larges, ou trop estroites, car elles ont les diametres qui suiuent.
[-19-]
1 Vn pied, dix pouces, 1/3. 2 Vn pied, huit pouces, 1/4. 3 Vn pied, et 1/2. 4 Vn pied, quatre pouces, et cinq lignes.
Or si l'on suppose que la premiere, c'est à dire la plus grosse, ait son diametre d'vn pied, dix pouces, et 1/3, c'est à dire de deux cens soixante-huit lignes, le diametre de la quatriesme, auec laquelle elle doit faire la Quarte iuste, doit estre de deux cens vne ligne, et non de cent nonante-sept, comme il est: par consequent les Fondeurs ont fait cette quatriesme cloche trop estroite de quatre lignes, c'est pourquoy elle fait vne Quarte trop forte, ou superfluë auec la premiere cloche.
Il est aisé d'examiner les autres diametres, tant des cloches precedentes, que de toutes les autres que l'on peut proposer.
PROPOSITION XI.
Expliquer comme l'on peut trouuer la grandeur, ou la solidité, et la pesanteur d'vne cloche par le moyen de l'eau.
LORS que l'on parle de trouuer la grandeur d'vne cloche, l'on peut entendre cela de la grandeur de son diametre, ou de sa superficie, ou de sa solidité: or nous auons desia monstré le moyen de trouuer le diametre, et les autres dimensions, qui respondent aux simples lignes, et parce que les lignes, selon lesquelles on trace le moûle de la cloche, sont parties de trois ou quatre circonferences differentes, l'on ne sçait pas encore la maniere d'exprimer leur longueur par des lignes droites, ny consequemment comme l'on doit mesurer la surface d'vne cloche, puis qu'elle despend desdites parties des circonferences qui luy donnent la figure: c'est pourquoy ie ne m'arreste pas à la mesure de la surface: quoy que si l'on suppose la grandeur de la surface d'vne cloche, il soit tres-aisé de trouuer geometriquement la surface de toutes les autres, soit plus grandes, ou plus petites, car si elles sont plus grandes, elles seront en raison doublee du diametre de celle dont on connoist la surface, et du diametre des plus grandes; par exemple, si la surface de la cloche de cent vingt liures a vn pied, celle de la cloche dont le diametre est double, aura quatre pieds, parce que si l'on suppose que la moindre cloche ait vn pied en diametre, la plus grande en aura quatre: or la raison d'vn à deux estant doublee produit la raison d'vn à quatre; de sorte que si l'on prend la peine de mesurer la surface d'vne cloche, par exemple, de celle qui pese vingt-cinq liures, l'on sçaura la surface, tant exterieure qu'exterieure, de toutes les cloches possibles, pourueu qu'elles gardent vne mesme proportion entre leurs parties.
Mais l'on ne peut, ce semble, mesurer cette surface plus aisément qu'en la couurant de morceaux de papier, de parchemin, de plomb, ou d'autre matiere, qui ne s'estende point, car ces morceaux estant mesurez donneront la surface assez precisément; laquelle seruira de fondement pour trouuer toutes les autres, et pour sçauoir combien il faut de papier, ou de toile, et cetera pour les couurir, et consequemment pour connoistre la grandeur de la surface concaue de l'air, ou de l'eau qui les enuironne.
Quant à la solidité, elle est plus aisee à trouuer, tant par les balances, et par la Romaine, que quelques-vns appellent le Crochet, que par le moyen de l'eau, [-20-] dont ie parle icy particulierement; car si l'on submerge la cloche dans vn vaisseau plein d'eau, de vin, ou d'autre liqueur, l'eau qui sortira hors du vaisseau, sera esgale à la grandeur, ou solidité de la cloche: c'est à dire que si l'eau reduite en cube a son costé de quatre pieds, la cloche reduite dans vne masse cubique, donnera vn cube de soixante-quatre pieds, parce que le contenu, ou le solide du cube est en raison triplee de ses costez.
Et si l'on craint que l'eau se gonfle au bord, et qu'il n'en sorte pas aussi gros que la solidité de la cloche, l'on peut passer vne regle par dessus les bords, afin d'abbatre le comble, et le gonflement de l'eau.
L'on peut encore sçauoir la solidité, ou grandeur de la cloche sans remplir le vaisseau, pourueu que l'on y mette de l'eau de la hauteur de la cloche, car le robinet, que l'on fera vis à vis du sommet de ladite cloche, estant ouuert, et la cloche estant plongee, et enfoncee dans l'eau, celle qui sortira par le robinet sera esgale à la grandeur, ou solidité de la cloche.
Or ce robinet est plus aisé, et plus exact que l'autre maniere, parce qu'il empesche que l'eau ne se perde, et qu'il donne tel loisir que l'on veut pour auoir l'eau à commodité, et pour la mesurer à plusieurs fois, et en plusieurs manieres.
La raison de cette pratique Mechanique se prend de ce qu'il monte tousiours vne quantité d'eau, ou d'autre liqueur esgale à la quantité du corps qui descend dedans, car il ne se feroit nul mouuement, s'il ne descendoit autant de metal comme il monte d'eau, parce que la nature, qui ne perd rien d'vn costé qu'elle ne gaigne autant de l'autre, est semblable aux balances qui baissent autant l'vn de leurs bassins comme elles haussent l'autre, afin que toutes les choses gardent l'equilibre que Dieu leur a donné.
Mais il faut remarquer que l'on doit plonger la cloche, ou les autres vaisseaux creux, et concaues, en commençant à les enfoncer par les anses, afin que le dedans estant remply d'eau n'ait plus d'air: car s'il demeure encore quelque partie d'air dans le concaue de la cloche, l'eau qu'elle fera sortir sera esgale à la grandeur du solide composé du metal de la cloche, et de l'air qu'elle enferme.
Or la consideration de l'air requiert vn discours particulier, à raison de sa rarefaction, et condensation, et de sa pesanteur, et legereté: c'est pourquoy ie n'en parle pas icy, où il est seulement question de l'eau, qui peut encore seruir d'vne autre maniere pour trouuer la grandeur de la cloche, sans qu'il soit besoin de l'enfoncer dans l'eau.
Mais parce que la pratique en est plus subtile que la precedente, il faut expliquer son fondement, qui consiste à sçauoir que le corps, que l'on enfonce dans l'eau, peut estre consideré en deux façons: Premierement, entant qu'il est plus pesant que l'eau, dans laquelle il s'enfonce: Secondement, entant qu'il est plus leger, quoy qu'il descende vn peu dans l'eau: Or en quelque maniere que l'on le prenne, il pese tousiours moins dans l'eau que dans l'air: et il pese d'autant moins dans l'eau que dans l'air, qu'vn autre volume de ce corps, et de l'eau approche plus prés de l'equilibre; de là vient que les corps qui sont de mesme pesanteur que l'eau, ne pesent point de l'eau, et qu'ils se tiennent au mesme lieu où l'on les met entre deux eaux.
D'où il s'ensuit que le corps mis dans l'eau pese deux fois moins que dans l'air, lors qu'vne esgale masse d'eau est deux fois aussi pesante que le corps, et [-21-] que ledit corps ne pese moins dans l'eau que dans l'air que d'vne vingtiesme, ou d'vne centiesme partie, lors qu'vne esgale masse d'eau n'est plus pesante que ledit corps que d'vne vingtiesme, ou d'vne centiesme partie.
Cecy estant posé, ie dy que l'on sçaura la grandeur, ou la solidité de la cloche, lors que l'on connoistra sa pesanteur, si l'on prend vne piece de metal, dont la cloche a esté faite, et qu'on la pese dans l'eau, dont on connoist la pesanteur, car l'on sçaura de combien la masse d'eau esgale à celle de metal est plus grande que celle dudit metal, et consequemment de combien la cloche estant reduite dans vne masse cube, est moindre que le cube fait de l'eau, qui pese autant que la cloche.
Par exemple, si l'on veut sçauoir la grandeur de la cloche qui pese vingt-cinq liures, et que le metal dont elle est faite soit à l'eau comme neuf à vn, c'est à dire, qu'il faille neuf fois autant d'eau que de metal pour peser esgalement, il faut prendre neuf fois aussi gros d'eau que la piece de metal; et parce que l'on sçait le poids de la cloche, l'on sçaura combien de fois elle est plus pesante que le morceau de metal dont on a vsé; par exemple, si la piece de metal pese vne once, la cloche pesera quatre cens onces: or ces quatre cens onces tiennent neuf fois moins de place, qu'aussi pesant d'eau: de sorte qu'il faut seulement sçauoir la grandeur de trois mil six cens onces d'eau pour sçauoir celle de la cloche de vingt-cinq liures, laquelle est neuf fois moindre.
Or il est aisé de reduire ladite eau en forme quarree, par le moyen d'vn vaisseau fait exprez, afin d'en prendre la neufiesme partie pour le quarré semblable du metal, ou de trouuer le costé du cube qu'elle fait, si l'on suppose l'experience, qui monstre que le pied cube d'eau douce pese septante-deux liures; d'où l'on peut conclure que le cube d'eau qui pese vingt-cinq liures, comme la cloche, a son costé de huit pouces, cinq lignes, 26/125.
Et parce que le metal est neuf fois plus pesant que l'eau, les vingt-cinq liures, dont la cloche est composee, font vn cube, dont le costé est quarante-huit lignes, et 3441/5408.
Par où l'on peut conclure la grandeur de toutes les cloches, dont on connoist la pesanteur, par exemple, celle de la grosse cloche de Roüen, laquelle estant reduite en masse fait vn cube, dont le costé est de trois pieds, vnze pouces, cinq lignes, et 1/25, supposé qu'elle pese quarante mil liures; car le pied cube de cuiure pese six cens quarante-huit liures.
Mais ie parleray encore de la maniere de trouuer la grandeur d'vne cloche dont le poids est donné dans vn autre endroit, et de trouuer la difference des pesanteurs du cuiure, du laton, et des autres metaux dans la vingt-sixiesme Proposition.
PROPOSITION XII.
Determiner si l'on peut sçauoir combien il y a d'estain, de cuiure, ou d'autre metal dans toutes sortes de cloches, et si les Fondeurs, ou les autres artisans, qui se seruent des metaux, ont suiuy les loix qui leur sont prescrites.
CEtte Proposition est grandement vtile, d'autant qu'elle enseigne à connoistre les differentes tromperies, et les artifices, dont peuuent vser ceux qui trauaillent sur les metaux; or Archimede s'est seruy le premier de ce moyen [-22-] pour descouurir le larcin de l'Orfevre, qui auoit meslé de l'argent dans vne couronne qui deuoit estre de fin or.
Mais il faut supposer qu'il n'y ait que de deux sortes de metaux dans la cloche, car s'il y en auoit trois especes, l'on ne pourroit descouurir la quantité de chaque metal, d'autant que l'on peut composer deux ou plusieurs corps de trois metaux indifferemment meslez, qui seront esgaux en pesanteur, et en grandeur.
Et parce que l'on a coustume de composer le metal des cloches de cuiure, et d'estain, ie suppose maintenant que l'on vueille sçauoir combien il y a de l'vn et de l'autre, dans vne cloche proposee, sans qu'il soit permis de la refondre, ou de la rompre.
Or pour ce sujet il faut prendre trois corps de mesme pesanteur, dont le premier soit de cuiure, le second d'estain, et le troisiesme composé des deux, suiuant le meslange, et la composition dont la cloche est faite. Et puis il faut prendre trois corps d'eau esgaux en grandeur aux trois corps de metal, afin de trouuer combien il y a de cuiure, et d'estain dans la cloche proposee en cette maniere, en faueur de laquelle ie suppose qu'A represente le cuiure, B le metal composé de cuiure, et d'estain, et D l'estain, et que les trois corps d'eau esgaux aux trois precedens sont G F H, de sorte que G est esgal en grandeur à A, F à B, et H à D.
A B D
G F H
Cecy estant posé, Marin Gethalde demonstre dans le dixiesme Theoreme de son Promotus Archimedes, que quand de trois corps esgalement pesans, le premier et le troisiesme sont de differentes grandeurs, le second est composé de l'vn, et de l'autre, et que l'on a trois corps d'eau de mesme volume que les trois corps de metal, que comme la difference du poids des deux corps d'eau, qui sont esgaux au premier et au troisiesme corps de metal, est à la pesanteur du second corps de metal, ainsi la difference des pesanteurs du premier et du second corps d'eau est à la pesanteur de la partie du second corps de metal, qui est de mesme espece que le troisiesme corps de metal; et consequemment que la difference des pesanteurs du second et du troisiesme corps de l'eau a mesme raison auec la pesanteur de la partie qui est de mesme espece que le premier corps de metal.
Mais l'exemple qui suit fera comprendre cette difficulté plus aisément.
Et pour ce sujet, ie suppose que la cloche pese deux cens liures, et que son metal soit composé de 4/5 de cuiure, et d'vn cinquiesme d'estain, c'est à dire de quarante liures d'estain, et de cent soixante liures de cuiure; et dis qu'elle fera sortir vne plus grande quantité d'eau, que si elle estoit toute de cuiure, et qu'elle en fera d'autant plus sortir qu'elle contiendra dauantage d'estain, parce que le cuiure est à l'eau comme neuf à vn, et l'estain est à la mesme eau, comme huit à vn: c'est pourquoy la cloche qui seroit toute d'estain feroit seulement sortir ou monter huit fois aussi gros d'eau comme elle, et si elle estoit de cuiure, elle en feroit monter neuf fois autant.
D'où il faut conclure qu'elle fera sortir d'autant moins d'eau, lors qu'elle a 1/5 d'estain, que ce cinquiesme est vn plus grand volume qu'vn cinquiesme de cuiure; et consequemment qu'elle fera sortir vingt-deux liures 5/9 d'eau, lors qu'elle est meslee d'estain, et que si elle est toute de cuiure elle n'en fera sortir que vingt-deux liures 2/9, mais si la cloche ne pese que vingt-cinq liures, elle fera sortir deux liures 61/72 d'eau, lors qu'elle aura 1/5 d'estain; si elle est toute de [-23-] cuiure, elle en fera sortir deux liures 7/9; et finalement si elle est toute d'estain, elle en fera sortir trois liures 1/8 ou vingt-cinq liures, lors qu'elle pesera deux cens liures.
Il est facile de sçauoir combien chaque espece de metal fera sortir d'eau par le mesme raisonnement.
PROPOSITION XIII.
Determiner si l'on peut faire des cloches qui nagent sur l'eau, ou sur les autres liqueurs.
IL est certain que nul corps n'enfonce dans l'eau, s'il n'est plus pesant qu'elle; et que si on l'enfonce par force, il reuient dessus, aussi-tost que la violence a cessé. Il est encore certain que l'eau qui monte par la descente du poids ne peut estre plus pesante que luy, autrement le plus foible surmonteroit le plus fort. En troisiesme lieu, il est certain que le corps qui nage s'enfonce tousiours iusques à ce que l'eau qui est esgale en grandeur à la partie enfoncee, soit aussi pesante que le corps entier: par exemple, si le corps s'enfonce de moitié, et qu'il contienne deux pieds cubes, vn pied cube d'eau pesera autant que tout ledit corps.
Cecy posé, ie dis que si l'on fait vne cloche, dont vne partie estant enfoncee fasse monter aussi pesant d'eau que la cloche entiere, elle nagera sur l'eau: c'est à dire que si la partie enfoncee pese deux cens liures, et que la cloche entiere pese trois cens liures, l'eau esgale en grandeur à la partie enfoncee pesera quatre cens liures; dont la raison est que le plus leger ne peut occuper la place du plus pesant, et que la nature garde tousiours l'equilibre dans lequel elle subsiste.
Mais parce que les cloches, dont on vse ordinairement, sont tousiours beaucoup plus pesantes qu'autant d'eau, elles ne peuuent nager; quoy que si l'on veut changer leurs proportions, et particulierement leur espaisseur, il soit aisé d'en faire de toutes sortes de metaux qui nageront; ce qui arriuera toutes et quantes fois qu'elles seront plus legeres qu'aussi gros d'eau comme elles sont, en y comprenant leur vuide: par exemple, si la cloche pese quatre cens liures, et que l'eau qui la peut remplir, c'est à dire l'eau esgale à son vuide, pese quatre cens vne liure, la cloche mise sur l'eau nagera: ce qui arriuera tousiours, lors que l'eau esgale en grandeur à la partie enfoncee sera aussi pesante que la cloche entiere. D'où l'on peut aisément conclure en quelle maniere l'on doit accommoder les lames d'or, de plomb, et des autres metaux pour les faire nager sur l'eau, et comme l'on en peut faire des bateaux sans nul danger d'enfoncer.
Car si l'on fait vne cloche, ou des bateaux d'or, qui contiennent vingt fois plus d'espace que s'ils estoient reduits en cubes, ils nageront, et si ceux d'argent ont onze fois plus d'espace, ceux de plomb treize fois, ceux de cuiure neuf fois, et ceux d'estain huit fois, ils nageront semblablement. Mais il faut entendre ces espaces, tant du solide de ces vaisseaux, que du vuide qu'ils contiennent: car si l'on ne prenoit que le solide, il n'est iamais plus grand vne fois qu'vne autre, quelque figure que l'on luy puisse donner.
Or l'on peut appliquer tout ce que i'ay dit de l'eau aux autres liqueurs, soit [-24-] qu'elles pesent plus ou moins: Quant à la difference des eaux, il est certain que les corps solides s'enfoncent moins dans les plus pesantes, comme est celle de la mer, dont ie parle ailleurs: de là vient que les vaisseaux qui sont hors du peril en pleine mer, peuuent perir dans les ports, dont l'eau est douce, d'autant qu'elle est plus legere que l'eau de la mer.
COROLLAIRE.
Il faut premierement remarquer que l'air qui remplit les vaisseaux de metal, par exemple, les chaudrons qui ne vont pas à fond, et qui nagent sur l'eau, n'est pas cause qu'ils n'enfoncent pas, et qu'ils surnagent, parce que la mesme chose arriueroit s'il n'y auoit point d'air, et s'ils estoient vuides: et que la vraye cause de ce phenomene consiste dans l'equilibre, dont nous auons desia parlé.
En second lieu, que de deux corps de mesme pesanteur dans l'air, le plus grand seroit, ce semble, le plus pesant dans le vuide, d'autant qu'ils n'auroient tous deux aucun soustien dans ledit vuide, au lieu que le plus grand en a dauantage que le moidre dans l'air; comme il arriue que de deux corps d'esgale pesanteur dans l'eau, celuy qui est en plus grand volume pese dauantage dans l'air. Or il seroit aisé de trouuer la pesanteur de l'air esgale audit corps, si l'on pouuoit le peser dans le vuide.
PROPOSITION XIV.
Determiner la difference des sons que font les cloches de mesme grandeur, lors qu'elles sont de differens metaux.
IL faut premierement supposer que les cloches, ou les timbres, dont ie me suis seruy pour la preuue de cette Proposition, ont seize lignes de largeur prises en dedans, et vne ligne et 1/4 d'espaisseur, ou de bord, et consequemment que leur diametre est de dix-huit lignes et 1/2, ou enuiron, comme la figure du timbre ABC fait paroistre, auquel i ay laissé la petite queuë D, afin de le tenir aisément en l'air, tandis qu'on le fait sonner: ce que ie remarque à raison des pesanteurs de chaque timbre, dont ie parleray apres.
[Mersenne, Percussion, 24; text: A, C, D] [MERHU3_7 03GF]
Or ie donne seulement icy les experiences que i'ay faites des cloches d'or, d'argent, de cuiure, de laton, d'estain, de plomb, et de regale d'antimoine, ausquelles l'on peut adiouster celles d'acier, et de toutes les autres matieres qui sont propres à la fusion. La premiere table qui suit monstre tous les interualles que les timbres font les vns auec les autres, ausquels celuy de laton sert de fondement, encore qu'il ait le son le plus aigu de tous; quoy que l'on puisse commencer par telle autre cloche que l'on voudra.
Table des consonances et des dissonances des Timbres.
1 Le laton et le cuiure font le ton majeur.
2 Le laton et l'estain commun font la Tierce mineure.
[-25-] 3 Le laton et le metal de timbre font la Tierce mineure diminuee.
4 Le laton et l'estain fin font la Quarte.
5 Le laton et l'estain sonnant font la Quarte forte.
6 Le laton et l'agent meslé font le Triton.
7 Le laton et l'antimoine font la Quinte.
8 Le laton et l'argent fin font la Sexte mineure.
9 Le laton et le plomb font la Dixiesme mineure.
Il est aisé de comparer toutes les autres cloches ensemble, afin de sçauoir quels interualles elles font. Mais il faut remarquer que ie n'ay pas parlé de la cloche d'or, parce qu'elle est à l'vnisson de celle de laton, au lieu duquel l'on peut mettre l'or à vingt-deux carats, dont ie me suis seruy. Le second exemple qui suit fera voir ce que fait la cloche que i'appelle timbre, parce qu'elle est faite de la matiere dont les timbres des montres sont composez, c'est à dire d'vn tiers de fin estain, sur vn 2/3 de cuiure rouge.
Seconde table.
1 Le timbre fait le demiton mineur auec l'estain de glace.
2 Le demiton majeur fort auec le cuiure.
3 Le ton auec le plomb.
4 La Tierce majeure affoiblie auec le Regule.
5 La Tierce maieure auec l'estain sonnant.
6 La Quarte affoiblie auec l'argent meslé.
7 La Quarte auec l'estain fin.
8 Le Triton auec l'argent fin.
9 La Quinte auec l'estain commun.
Or i'ay expliqué les sons de toutes ces cloches auec les notes ordinaires de la Musique, dans la huitiesme Proposition du liure Latin des cloches, en deux manieres, suiuant les differentes imaginations d'vn mesme Musicien, mais il suffit de mettre icy celle qui suit.
Troisiesme table.
[Mersenne, Percussion, 25; text: Estain commun. Argent fin. Estain fin. Argent meslé. Estain sonnant. Regule. Plomb. Cuiure. Timbre. Estain de glace. Laton. Or de trauail. 149, 155, 160, 168, 179, 180, 200, 205, 210, 213, 226] [MERHU3_7 03GF]
[-26-] PROPOSITION XV.
Determiner de combien les cloches de toutes sortes de metaux doiuent estre plus ou moins grandes les vnes que les autres, pour faire l'vnisson, ou telle harmonie, et tel interualle que l'on voudra.
IL est facile de trouuer de combien les cloches, dont nous auons parlé dans la Proposition precedente, doiuent estre moindres ou plus grandes les vnes que les autres pour faire l'vnisson, ou toutes sortes d'interualles, tant consonans que dissonans, si l'on sçait les proportions qu'elles doiuent garder lors qu'elles sont de mesme matiere, pour monter ou descendre à toutes sortes de tons: et parce que i'ay desia monstré quelles elles doiuent estre, il faut seulement s'en souuenir icy en commençant par l'vnisson, que feront toutes les cloches precedentes, si l'on augmente les diametres de celles qui ont le son plus graue, ou plus aigu, en mesme raison que leurs sons sont plus graues ou plus aigus, pourueu que l'on obserue la mesme raison dans les autres dimensions des cloches, ou des timbres.
Par exemple, si l'on veut mettre l'estain de glace à l'vnisson de l'estain commun, suiuant les notes de la quatriesme table de la quatorziesme Proposition, il faut diminuer le diametre du timbre d'estain de glace, ou augmenter celuy de la cloche d'estain commun, iusques à ce que celuy de l'estain commun soit en raison sesquitierce de celuy de l'estain de glace, c'est à dire que l'vn ait quatre parties, et l'autre trois.
Il est aisé de mettre tous les autres timbres à l'vnisson, en augmentant les diametres des plus aigus, ou en diminuant ceux des plus graues en mesme raison que les nombres qui respondent aux plus graues sont plus ou moins grands que ceux qui respondent aux plus aigus.
Si l'on veut suiure la premiere table de la Proposition precedente, dans laquelle i'ay mis toutes les consonances et les dissonances que fait le timbre auec les autres metaux, les nombres radicaux des interualles qu'ils font en sonnant, seruiront pour les mettre à l'vnisson, comme l'on voit dans la table qui suit.
PREMIERE TABLE.
Des nombres radicaux tous les interualles que font les Timbres, suiuant le iugement des Musiciens.
Laton et cuiure, ton majeur, 8-9.
Laton et Timbre, ton trop grand d'vne diese, 125-144.
Laton, et estain sonnant, Quinte trop grande d'vne diese, 375-512.
Laton et argent meslé, Triton, 32-45.
Laton et Regule, Quinte, 2-3.
Laton, et argent fin, sexte mineure. 5-8.
Laton et plomb, dixiesme mineure. 5-12.
Cecy estant posé, si l'on fait que le diametre de la cloche de cuiure soit au diametre de la cloche de laton, comme huit à neuf, et ainsi des autres, en prenant tousiours le moindre terme pour le diametre de laton, et le plus grand pour le diametre des autres, tous les timbres seront à l'vnisson.
[-27-] Mais ie veux encore icy mettre vne autre table, qui respondra à la 3 et 4. de la Proposition precedente, et dont les moindres nombres representeront les sons plus aigus, et les plus grands les plus graues, afin qu'ils puissent seruir pour mettre toutes sortes de cloches et de timbres à l'vnisson, ou à tel autre accord ou discord que l'on voudra, et que l'on voye la longueur de la chorde qui a seruy à marquer les tons et les sons de ces timbres; car ie mets à costé de chaque cloche les nombres du monochorde diuisé en trois cens soixante parties, dont chacun estant assemblé auec celuy qui est vis à vis, refait tousiours la somme entiere de trois cens soixante: par exemple, cent soixante-six adiousté à cent nonante-quatre fait trois cens soixante, et ainsi des autres.
Seconde table. I II III Estain commun. 211 149 Argent fin. 205 155 Estain fin. 200 160 Argent meslé. 92 168 Estain sonnant. 1181 179 Regule d'antimoine. 180 180 Plomb. 160 200 Cuiure. 135 205 Timbre. 150 210 Estain de glace. 147 213 Laton, et or. 134 226
Cette table a trois colomnes, dont la premiere et la troisiesme representent la troisiesme table de la quatorziesme Proposition, et la seconde monstre ce qui reste de la chorde du monochorde; par exemple, lors que le cheualet est mis sous cent quarante-neuf, qui donne l'vnisson de l'estain commun, deux cens vnze parties de la corde se tiennent de l'autre costé.
Or les cloches estant à l'vnisson, il est aisé de les mettre à tel accord que l'on voudra, en vsant de la regle de trois, et en faisant que le diametre de la cloche plus graue, ou plus aigue soit augmenté ou diminué selon la raison de la Consonance que l'on desire: par exemple, si le diametre du timbre de laton a neuf parties, et celuy du timbre de cuiure huit pour faire l'vnisson, et que l'on vueille faire monter celuy de laton à la Quinte, il faut prendre son diametre, et faire qu'il soit au diametre que l'on cherche, comme trois est à deux, afin d'auoir six pour le diametre du timbre de laton, qui fait la Quinte en haut.
Mais si l'on veut qu'il la fasse en bas, l'on aura treize 1/2 pour son diametre, et si l'on fait monter le cuiure à la Quinte, (le diametre de laton demeurant neuf,) il faut que son diametre ait cinq 1/3: et si on le fait descendre vne Quinte plus bas, son diametre aura douze parties. Il faut vser de la mesme methode pour trouuer les autres interualles. On les peut encore faire monter ou descendre à tel accord que l'on voudra sans les mettre à l'vnisson, en adioustant ou en ostant de leurs diametres autant de parties comme en desirent les raisons harmoniques; par exemple, supposé que le plomb fasse la Quarte auec l'estain commun, si l'on veut faire monter l'estain à la Quinte, il faut diminuer son diametre en raison sesquioctaue: et pour ce sujet, ie suppose qu'il soit de douze parties, afin de trouuer vn nombre qui soit à douze, comme neuf est à huit, c'est à dire dix 2/3: et si on le fait descendre à la Quinte, son diametre aura treize 1/2.
Il est si aisé de trouuer tous les autres interualles entre les autres timbres, qu'il n'est nullement besoin de l'expliquer plus au long. Il faut seulement remarquer que les timbres, dont ie me suis seruy, ont esté iettez en sable dans vn mesme moûle: ce qui n'a peu empescher que leurs bords ne soient differens en leur espaisseur; d'où il s'ensuit qu'ils changeroient vn peu les tons que i'ay expliquez, si l'on rendoit tous leurs bords et leurs autres parties de mesme espaisseur, soit par le moyen du tour ou autrement.
[-28-] Or cette difference est arriuee à cause que les metaux qui sont simples, et sans mixtion, sont beaucoup plus difficiles à fondre que ceux qui sont meslez; par exemple, le cuiure franc, que l'on appelle rosette, est si difficile à fondre pour le ietter en moûle, que l'vn des plus habiles Fondeurs de Paris a perdu quelques timbres qui sont venus imparfaits, auant que d'en fondre vn bon: Il arriue la mesme chose à l'or et à l'argent fin, qui sont beaucoup plus difficiles à fondre, que lors qu'ils sont meslez et alliez auec d'autres metaux; c'est pourquoy l'on allie l'or auec l'argent, et l'argent auec le cuiure, afin de les employer, et d'en trauailler plus aisément. Or i'expliqueray la qualité des metaux, dont i'ay fait les douze timbres, dans la Proposition qui suit.
PROPOSITION XVI.
Determiner la pesanteur des douze cloches, ou timbres, dont le son et la grandeur ont esté determinez dans les Propositions precedentes; et expliquer vne methode tres-exacte et tres-facile pour trouuer la difference des pesanteurs de toutes sortes de corps par le moyen de l'eau, ou des autres liqueurs.
I'AY experimenté auec vn trebuchet tres-iuste, que les timbres qui ont seruy à la quatorze et quinziesme Proposition, ont les pesanteurs que l'on voit dans la table suiuante, dont la premiere colomne monstre leurs pesanteurs dans l'air, et la seconde dans l'eau.
Poids de douze cloches pesees dans l'air et dans l'eau. Dans l'eau. Onces. Grains. Onces et grains dans l'eau. Regule. 1 7/8 Plomb. 2 28 1/2. 1 7/8. 4 Estain de glace. 1 1/4. 34. 1 1/8. 31 Estain commun. 1 1/4. 25 1/2. 1 1/8. 6 Argent fin. 1 1/4. 31 1 1/8. 31 Estain fin. 1 1/8. 66 1 1/6. 6 Argent meslé. 1 1/2. 96 1 1/2. Estain sonnant. 1 1/4. 73 1 1/8. 40 Cuiure. 1 1/8. 45 1 41 Timbre. 1 1/4. 53 1 1/16. 4 Airain. 1 3/4. 45 1/3. 1 1/2. 70 Or. 2 71 1/2. 1 7/8. 50 3/4.
Or il est euident que cette table ne peut seruir pour sçauoir la proportion des pesanteurs qu'ont les metaux de mesme grandeur, puis qu'il est necessaire que les timbres soient de differentes grandeurs, quoy qu'ils ayent esté fondus dans vn mesme moûle, car celle de plomb, par exemple, pese plus que celle d'or; ce qui ne peut arriuer qu'elle ne soit plus grande, c'est à dire que sa solidité reduite en cube ne donne vn plus grand cube, dont la raison doit estre prise des fontes differentes, comme i'ay desia dit; et parce que la fonte de l'or est plus difficile que celle du plomb, qui coule beaucoup mieux, et qui remplit le moûle plus parfaitement, il arriue que la cloche d'or est moins espaisse dans toutes ses parties.
A quoy l'on peut adiouster les autres accidens de la fonte, qui sont cause qu'il se fait des petits vuides dans l'espaisseur de certains metaux, que l'on peut appeller des vents, qui les rendent moins pesans.
[-29-] Or l'on peut dire de combien le timbre de l'or est plus mince que le plomb, puis que l'on sçait la veritable proportion de leurs pesanteurs, comme ie diray apres: et s'il est d'vne esgale grandeur, quant à l'exterieur, l'on peut dire la grandeur et la multitude de ses souffleures.
Mais ces experiences ne pouuant seruir pour determiner la proportion des pesanteurs, elles seruiront du moins pour aduertir ceux qui les voudront faire, qu'il faut preuoir et preuenir tous les accidens qui peuuent empescher la verité, et qui rendent le plus souuent les experiences inutiles, ou moins exactes; ce que ie remarque afin que les miennes n'apportent nul preiudice à personne.
Quant à la maniere de connoistre la difference des pesanteurs de chaque metal par le moyen de l'eau, elle est assez aisee, quoy qu'elle soit fort subtile, car la pesanteur d'vn metal est d'autant plus grande que la pesanteur qu'il a dans l'air est moins differente de celle qu'il a dans l'eau: par exemple, si vn metal pese seulement moins dans l'eau que dans l'air d'vn tiers, et l'autre de moitié, celuy-là pesera plus que celuy-cy d'vn sixiesme, pourueu qu'ils soient tous deux de mesme grandeur, dont la raison se prend de ce que les corps plongez dans l'eau font monter aussi gros d'eau comme ils sont, d'où il arriue qu'ils sont moins pesans dans l'eau, de la pesanteur de celle qu'ils font monter, par exemple, l'or est moins pesant dans l'eau que dans l'air d'vne dix-neufiesme partie, d'autant qu'vne quantité d'eau esgale à l'or pese 19 fois moins que l'or: de sorte que la force qu'il a de descendre vers le centre de la terre estant de dix-neuf degrez dans l'air, il n'a plus que dix-huit degrez de force pour descendre dans l'eau, parce qu'il employe vn degré de sa force pour leuer et faire monter aussi gros d'eau comme il est: ce qu'on peut accommoder à toutes sortes d'autres corps plus pesans que l'eau, et à toutes sortes d'autres liqueurs, comme au vin, à l'huyle, et cetera dont on trouue iustement les pesanteurs par celles des corps que l'on plonge, et que l'on pese dedans, car la pesanteur qu'ils ont dans l'air diminuë d'autant plus ou moins dans les autres liqueurs qu'elle ne fait dans l'eau, qu'elles sont moins ou plus legeres que l'eau.
Or il n'est pas necessaire que les metaux, dont on veut sçauoir les pesanteurs par le moyen de l'eau, soient de mesme volume, car l'on peut faire l'experience auec des morceaux de metal de toutes sortes de grandeurs: par exemple, l'on peut vser de quarts d'escus, de iettons, de pistoles, et cetera. Mais il faut auoir des balances tres-iustes pour faire les experiences certaines, et les disposer tellement que les deux bassins soient en equilibre; et puis il faut attacher les pieces de metal à vn crin de cheual pendu à l'vn des bassins, et les faire plonger dans l'eau, apres qu'on les aura pesees dans l'air, afin de voir combien chacune pese moins dans l'eau que dans l'air, et de conclure quelle difference il y a entre les pesanteurs de toutes sortes de metaux, ou des autres corps qui sont plus ou moins pesans que l'eau.
Mais il faut remarquer le poids de l'eau, afin de la comparer auec le poids de toutes sortes de corps plus pesans qu'elle, et de faire des tables semblables à celle qui suit, dans laquelle on voit le poids de seize corps, dont il est aisé de remarquer les differences.
[-30-]
Table des pesanteurs de plusieurs metaux, et autres corps. L'eau. 1 L'or fin. 18 L'or ducat. 17 1/2. L'or de pistoles. 16 L'argent de quarts d'escu. 10 1/2. Le plomb. 11 Le mercure. 14 Le cuiure. 8 1/<.>. Le fer. 7 1/2. L'estain. 7 1/4. Le bismuth. 7 1/2. Le regule. 7 L'antimoine. 4 Le soufre. 2 L'ambre. 1 1/16. Le verre et le marbre. 2 1/2. Le verre verd. 6 2/3. Le iaune. 7
Or chacun peut faire des experiences particulieres pour contenter son esprit, et pour la confirmation de cette Proposition, et de plusieurs autres que l'on peut inuenter: mais il faut remarquer que nul metal ne va à fonds, s'il n'est assez ramassé pour la fendre, par exemple, les fueilles d'or, dont on vse ordinairement pour dorer, et pour enluminer, ne peuuent aller au fonds de l'eau, lors qu'elles sont estenduës, et si on les enfonce par force, elles reuiennent dessus, ce qui arriue semblablement à tous les autres metaux: d'où plusieurs difficultez peuuent naistre dans la maniere de les peser dans l'eau, ou dans les autres liqueurs.
COROLLAIRE I.
L'on peut voir la Preface du liure que le sieur Petit a faite sur son liure de l'vsage du compas de proportion, dans laquelle il traite fort amplement, et fort exactement de la maniere de peser toutes sortes de corps par le moyen de l'air et de l'eau: d'où il infere que l'eau est à l'estain comme 1843 grains à 12984, c'est à dire vn peu plus que d'vn à sept: à l'argent, comme 225 à 2304, ou vn peu plus que d'vn à dix. Or il a quasi trouué les mesmes proportions des pesanteurs que Gethalde. Il adiouste la maniere de peser les liqueurs differentes, par exemple, le vin et l'huyle par le moyen des corps plus pesans qui descendent dedans, de peser les corps plus legers que lesdites liqueurs, comme sont les bois de sapin et d'aune, par le moyen des mesmes liqueurs; et les corps coulans et liquides, comme sont le mercure, le miel, et cetera et les petits corps separez, comme le sable, les perles, et cetera. Mais il suffit de mettre icy la table qu'il a faite de la pesanteur de ces corps.
Or. 100 Aymant. 26 Mercure. 71 1/2. Marbre. 21 Plomb. 60 1/2. Pierre. 14 Argent. 54 1/2. Chrystal 12 1/5. Cuiure. 47 1/3. Eau. 5 1/3. Laton. 45 Vin. 5 1/4. Fer. 42 Cire. 5 Estain commun. 39 Huyle. 4 3/4. Estain fin. 38 3/4.
COROLLAIRE II.
Il faut remarquer que la liure dont ie me suis seruy est celle du poids du marc de Paris, laquelle contient seize onces, et l'once huit gros, le gros trois deniers, et le denier vingt-quatre grains, de sorte que le gros pese 72 grains, l'once 576, et la liure 9216. Et si l'on veut comparer la liure de Rome composee de 6912 grains, diuisee en douze onces, à la nostre, elle fait seulement onze onces des nostres, telles que cent en font 145 de Rome: d'où il est aisé de conclure que les grains dont on vse à Rome ne sont pas de mesme pesanteur que les nostres. Or le sieur Petit s'est seruy de balances si iustes que la seiziesme partie d'vn grain les fait tresbucher.
[-31-] COROLLAIRE III.
Si l'on veut commencer les experiences par l'or fin, pour sçauoir les pesanteurs des autres metaux, et de tous les autres corps, i'ay trouué que la boule d'or, dont l'axe ou le diametre a cinq lignes et 1/3, pese 321 2/5 grains, et que celle de plomb de mesme grosseur pese 193 grains. Mais il faut remarquer qu'il est à propos d'vser de petits morceaux de papier pour marquer les parties d'vn grain, particulierement lors qu'on le diuise en douze, seize, trente-deux, ou soixante-quatre parties, d'autant que la seize et trente-deuxiesme partie faite de laton sont trop difficiles à manier, et ne sont pas assez sensibles; de là vient qu'on les cherche souuent, encore qu'on les aye entre les doigts, sans les pouuoir sentir, ou quitter. Le pied cube d'or, suiuant la boule precedente, pese trois cens trente-sept liures et 1/5.
COROLLAIRE IV.
Ayant pesé la boule precedente d'or fin dans l'eau, auec les balances tres-iustes de Monsieur de Roberual, i'ay trouué que la pesanteur de cet or est à celle de l'eau esgale en volume comme 18 1/2 à vn; d'où ie conclus que Gethalde et les autres qui ont trouué la raison de 19 à vn, se sont seruis d'vne eau plus legere que la nostre de la fontaine de Rongis, et que l'on peut suiure les experiences dudit Gethalde sans se mettre dauantage en peine. Or i'ay donné les tables qu'il a faites de la pesanteur de tous les corps qu'il a pesé dans l'air et dans l'eau, dans le quatre et cinquiesme article de la vingt-troisiesme question de nos Commentaires sur la Genese.
Quant au plomb, i'ay trouué qu'il est à l'eau comme 11 3/5 à vn: de sorte qu on peut regler la pesanteur de tous les autres corps sur l'or et le plomb.
COROLLAIRE. V.
Ceux qui voudront faire l'essay des pesanteurs, doiuent auoir des balances si iustes qu'vne huit ou seiziesme partie de grain les fasse tresbucher, comme celles dont nous auons vsé; et quant aux poids differens, il faut vser d'vne Pile, d'vne liure, ou de demie liure poids de marc, et auoir quantité de grains et de demis, de quarts, et d'huitiesmes de grains, car bien qu'en necessité l'on puisse se seruir de quatre poids se suiuant en progression triple, à sçauoir d'vn, trois, neuf, et vingt-sept, pour peser depuis vn iusques à quarante, et iusques à cent vingt-vn, en mettant les termes suiuans de la mesme progression, à sçauoir octante-vn, et, en mettant deux cens quarante-trois, iusques à trois cens soixante-quatre, à raison que le dernier nombre de la progression, qui garde la raison triple, commençant par l'vnité contient deux fois les nombres precedens, et l'vnité par dessus, neantmoins la maniere et la suite ordinaire des poids qui commencent par le demi-gros, par le gros, le quart d'once, et cetera sont beaucoup plus commodes, et seuls propres pour l'vsage.
[-32-] PROPOSITION XVII.
Expliquer la maniere de faire des sons differens auec vne mesme cloche, ou vn mesme verre, et si l'on peut connoistre la quantité de l'eau, du vin, ou des autres liqueurs qu'ils contiennent par le son qu'ils font.
IL est certain que ceux qui ont coustume de manier les verres, peuuent faire toutes sortes de consonances et de dissonances, soit auec vn mesme verre, ou auec plusieurs, comme l'on experimente lors que l'on fait descendre vn verre à l'octaue en l'emplissant d'eau, ou de vin. Mais Aristote dit dans le 50 Probleme de la 19 Section, que deux tonneaux, dont l'vn est vuide, et l'autre à demy plein, font l'octaue, ce que nous examinerons plus bas.
Certes si les sons du verre, des cloches, et de tous les autres vaisseaux suiuent la raison des differentes quantitez d'eau, ou de vin que l'on met dedans, l'on peut sçauoir combien il y a d'eau ou de vin en toutes sortes de verres, ou combien il en faut pour les remplir, sans voir le verre, pourueu que l'on en entende le son; et consequemment l'on y peut mettre de l'eau, ou en oster, laquelle aura telle raison que l'on voudra auec l'eau necessaire pour le remplir.
L'on peut semblablement mettre autant d'eau dans vn verre comme il y en auoit auparauant, encore que l'on ne l'ait pas mesuree, ny pesee, ny veuë, car l'oreille iugera aisément de la mesme quantité par le mesme son, ou de combien il y en aura plus ou moins que deuant par la difference des sons.
Ie laisse plusieurs autres choses que l'on peut trouuer par le moyen des sons de toutes sortes de vaisseaux, lesquelles meritent que nous examinions cette Proposition, afin de determiner la proportion que les differens vuides d'vn verre doiuent auoir pour faire telle difference de sons que l'on voudra, et pour en deduire vne grande multitude d'vtilitez selon la volonté d'vn chacun.
Or auant que de determiner ce que l'on peut dire sur ce sujet, ie veux expliquer les experiences que i'ay faites, d'autant qu'elles doiuent seruir de fondement à tout ce discours.
Ie dy donc premierement que les verres n'ont iamais le son plus aigu que lors qu'ils sont vuides, ce qui semble deuoir arriuer à cause que leurs parties fremissent, et se meuuent plus viste: et que leurs sons deuiennent plus graues, à proportion qu'on les remplit d'eau, ou d'autres liqueurs, iusques à ce qu'estant remplis ils descendent à l'octaue de leurs sons à vuide. Ce qui monstre qu'il ne faut pas croire trop legerement à ce qu'on list dans plusieurs Autheurs, par exemple, à ce que dit Aristote dans le Probleme precedent, à sçauoir que le tonneau qui est demy plein monte à l'octaue du vuide qui luy est esgal, car puis que cela n'arriue pas aux verres, il semble qu'il ne doiue pas arriuer aux tonneaux, dont ie parleray apres.
L'experience fait donc voir que l'eau les fait baisser de ton, mais cet abbaissement ne suit pas exactement la proportion des parties de l'eau que l'on met dans les verres, car i'ay experimenté qu'en diuisant l'eau, qui doit remplir le verre de trois pouces et demy de hauteur et de largeur, en six parties esgales, la 1. partie estant mise dans le verre le fait seulement descendre d'vne diese Enharmonique ou Chromatique; que la seconde partie le fait descendre d'vn ton: la troisiesme d'vne Tierce mineure: la quatriesme d'vn ton: la cinquiesme d'vn [-33-] ton: et la sixiesme d'vne Tierce mineure; et que ces six parties d'eau remplissent quasi le verre, son ton est plus bas d'vne Octaue que le ton qu'il fait à vuide: et s'il est plein iusques au bord, qu'il descend d'vne Neufiesme majeure.
Mais il faut remarquer que ie me suis seruy du doigt en le faisant couler sur le bord du verre, pour remarquer ses tons, car lors qu'on frappe la couppe du verre auec le doigt, ou auec quelqu'autre corps, il n'a pas le son si distinct, et il est difficile d'en marquer le ton, parce qu'il est composé d'vne quantité de sons, qui s'empeschent les vns les autres.
Il faut encore remarquer que le bord du verre estant pressé, comme i'ay dit, fait souuent deux sons en mesme temps, dont l'vn est à la Tierce majeure, ou à la Quarte, ou à la Douziesme de l'autre, et qu'il faut prendre le plus graue pour le naturel: il en fait aussi quelquefois trois, dont le plus aigu est à l'Octaue ou à la Quinziesme du plus graue: quoy que cela ne soit pas si bien reglé que l'on en puisse establir vne science, car il fait quelquefois d'autres sons, par exemple, la Quarte et la Sexte, qu'il est difficile de remarquer, parce qu'ils sont trop aigus, et trop inconstans, et qu'ils ne tiennent pas assez ferme.
Ce qui arriue semblablement aux sons que l'on fait en frappant le corps, ou la couppe du verre, laquelle fait quasi tousiours plusieurs sons differens, selon le lieu par lequel on le frappe. Or l'vn des meilleurs signes dont on puisse vser pour reconnoistre le son qu'il faut prendre, lors que l'on presse le bord, se remarque dans l'eau qui fremist, et qui fait de petits boüillons dans le verre: ce qui n'arriue pas ordinairement qu'apres auoir moüillé le doigt, et apres auoir nettoyé le bord du verre, car elle n'a pas coustume de fremir si sensiblement, lors que le verre fait d'autres sons, quoy que l'on presse le doigt beaucoup plus fort.
Quand le verre est vuide ou plein, le plus gros son qu'il fait auec le doigt sur le bord, est vne Douziesme, vne Onziesme, vne Sexte, vne Quinte, vne Quarte, ou vne Tierce plus bas que le son qu'il fait en fremissant, c'est à dire que le son plus aigu: ce qui arriue semblablement lors que l'on y met de l'eau.
Le verre de chrystal de huit pouces de haut et de trois de large, estant plein d'eau descend iusques à la Neufiesme du son qu'il fait à vuide. Et si l'on diuise l'eau qui le remplit en trois parties esgales, la premiere partie ne le fait descendre que d'vn ton, mais la seconde le fait descendre de la Quinte, et la troisiesme partie de la Quarte.
D'où il est aisé de conclure qu'il n'est pas possible de iuger de la quantité de la liqueur contenuë dans les verres par la difference de leurs sons, puis qu'ils ne sont pas tous vniformes, et que l'on peut seulement dire qu'ils font des sons plus graues lors qu'ils sont plus remplis, sans que l'on puisse determiner le genre ou l'espece de leur proportion.
L'eau qui remplit le mesme verre estant diuisee en six parties esgales, la premiere le fait seulement descendre d'vne Diese, la seconde d'vne Tierce mineure, la troisiesme d'vne Tierce majeure.
Cecy estant posé, il suffit de conclure que l'on ne peut faire de regle generale pour la proportion des liqueurs et des sons, et que chacun se doit contenter des experiences particulieres; quoy que l'on puisse establir quelque chose de general pour les verres de mesme matiere, et de mesme forme.
I'ay remarqué que l'eau, le vin, et l'huyle font vn mesme effet dans les verres, qui font l'vnisson lors que l'on y met vne esgale quantité de l'vne de ces liqueurs: [-34-] et que le verre de chrystal dont ie me suis seruy, quitte quelquefois son ton naturel auec certaines quantitez d'eau pour en prendre vn autre à la Douziesme en haut.
Quant aux autres vaisseaux, comme sont les cloches, et les mortiers de metal, ils ne gardent pas la mesme proportion que les verres, car les mortiers estant pleins d'eau ne descendent que d'vn ton, et les cloches que d'vne Tierce majeure. Il est aisé de faire les experiences de toutes autres sortes de corps, c'est pourquoy i'adiouste seulement que leurs sons gardent vne autre proportion quand on les plonge dans l'eau, que quand on les remplit seulement d'eau, lors qu'ils sont dans l'air, car la cloche qui ne descend que d'vne Tierce majeure estant remplie d'eau dans l'air, quand elle est tellement plongee dans l'eau qu'elle demeure vuide, fait la Tierce majeure, et que quand elle est pleine d'eau, elle fait le Triton, c'est à dire qu'estant pleine d'eau et enfoncee dans l'eau, elle descend plus bas d'vn ton que lors qu'elle est seulement pleine d'air dans l'eau. Mais toutes ces experiences ont besoin d'estre rectifiees auec des cloches differentes, et i'ay souuent remarqué que les cloches plongees dans l'eau descendent d'vne Dixiesme majeure, si ce n'est que le sens se trompe, en prenant cette replique pour la Tierce majeure; ce que i'ay voulu remarquer, afin que l'on ne croye pas que ie contredise aux autres experiences de cette Dixiesme, et que l'on considere la difficulté des obseruations, et par consequent que l'on sçache gré à ceux qui nous en donnent d'exactes.
Or encore qu'il soit aisé d'expliquer pourquoy les verres baissent de ton à proportion qu'on les remplit d'eau, parce qu'il est certain que le verre ou l'air frappé par le verre ne tremble pas si viste quand il est plein d'eau que quand il est vuide, et que cette diminution de tremblemens vienne de l'empeschement qu'il reçoit de l'eau qui touche à la surface interieure de sa couppe, neantmoins il est difficile de monster le rapport du verre vuide et plein à la chorde courte et longue, ou deliee et grosse, car en quelle maniere peut-on dire que la chorde plus courte de moitié, qui fait l'octaue en haut, soit representee par le verre vuide, et que le plein represente la chorde double en longueur. Et si l'on dit que le verre vuide represente vne chorde, dont la longueur est le tour entier du bord, et l'espaisseur ou le diametre la hauteur du verre, et que la mesme longueur de la chorde demeure tousiours tandis que sa grosseur ou son diametre se diminuë à cause de l'eau que l'on met dedans, il s'ensuit que l'eau le doit faire monter, au lieu qu'elle le fait descendre; et si l'on dit au contraire, à sçauoir que la hauteur de l'eau fait la grosseur de la chorde, le verre deuroit baisser plus de deux ou trois octaues, puis que la hauteur du verre estant de demi-pied, fait vne chorde dont le diametre est de demi-pied; or ce diametre estant diminué de moitié fait descendre les chordes à l'octaue, et quand il n'est plus que comme vn à quatre, à huit, ou à seize, il les fait descendre de deux, trois, ou quatre octaues, comme i'ay demonstré ailleurs; ce qui n'arriue pas au verre, qui ne descend iamais que d'vne Octaue, ou d'vne Neufiesme ou enuiron, encore qu'il soit tout plein.
Kepler tient que le bord du verre est semblable à vne chorde, qui deuient d'autant plus longue que le vuide du verre se diminuë dauantage, parce que la chorde qui perd de son espaisseur semble deuenir plus longue, mais i'ay monstré que la chorde monte plus haut à proportion que son diametre se diminuë, et qu'elle ne descend iamais plus bas par cette diminution.
[-35-] Mais la raison immediate de ce phenomene se prend de ce que le verre vuide fremit deux fois plus viste, que lors qu'il est plein: de sorte que l'eau empesche la moitié de la liberté de son fremissement; ce qui n'arriue pas aux Cloches, dont le fremissement n'est empesché que d'vne quatriesme partie, lors qu'elles descendent seulement d'vne Tierce maieure par le moyen de l'eau qui les remplit.
Quant aux tonneaux d'Aristote, dont il a fondé l'Octaue sur ce qui arriue aux flustes, il faut examiner ce qui en est: et pour ce sujet ie mets icy ce que font les flustes vuides comparées à celles qui sont demi pleines d'eau.
Lors que l'on plonge vn tuyau d'orgue dans l'eau, si tost qu'il la touche, il descend à la Septiesme ou à l'Octaue du son qu'il fait auant que de la toucher, et hausse ses tons à proportion qu'il s'enfonce plus auant dans l'eau, et lors qu'il est enfoncé iusqu'au milieu, et consequemment qu'il est à demi plein d'eau, il descend encore plus bas d'vn ton que le tuyau à vuide, auec lequel il fait l'Vnisson, lors qu'il est enfoncé d'enuiron vne huictiesme partie par dessus le milieu: et consequemment il n'est pas veritable que le tuyau vuide descende à l'Octaue du mesme tuyau demi plein.
Or le tuyau dont ie me suis seruy a cinq pouces, et cinq lignes de long, et sept lignes en diametre; quoy qu'il ne soit pas necessaire de remarquer cette grandeur, parce que la mesme chose arriue à tous les autres, aussi bien qu'aux flageollets, et aux flustes à neuf trous; de sorte qu'il n'y a nul instrument à vent qui fauorise la raison d'Aristote, puis que toutes les experiences preuuent le contraire de ce qu'il dit: dont il est aysé de rendre la raison, puis que le vent que l'on pousse dans la fluste à demi pleine d'eau, a autant de chemin à faire que celuy qui est poussé dans la fluste vuide; de là vient qu'elles font l Vnisson.
Mais il ne faut pas tellement s'arrester au fondement qu'il a pris, que nous ne considerions l'experience qui peut estre veritable, quoy qu'il n'en ayt pas dit la vraye raison, car il semble que le tonneau vuide doiue faire le son plus gros, et plus graue, que quand il est à demi plein, et que l'eau le doiue faire monter à l'Octaue, puis que l'air du vuide est double du demi plein; ce qui arriue semblablement lors que l'on remplit à demi vne fluste bouchée par la pate: car l'eau la fait monter à l'Octaue, ou peu s'en faut, d'autant qu'elle accourcit de moitié son vuide: ce qui n'arriue pas à celles qui sont ouuertes, dont i'ay parlé, et dont i'ay fait les experiences precedentes, d'autant que leur vuide estant accourcy de moitié, comme celuy des flustes bouchées, le vent a encore autant de chemin à faire que dans les flustes vuides, comme i'ay desia dit: de sorte que l'Aristote a bien pris sa raison, s'il a entendu parler des tuyaux bouchez.
Or il faut remarquer qu'il y a grande difference entre les sons plus graues, et plus sourds, car les plus sourds peuuent estre beaucoup plus aigus que les plus clairs, c'est pourquoy il ne s'ensuit pas que le son d'vn tonneau soit plus graue que celuy de l'autre, encore qu'il soit plus sourd et plus foible. Il faut aussi remarquer qu'il est difficile de porter vn iugement asseuré du graue, ou de l'aigu des sons que font les tonneaux, à raison qu'ils ne sont pas assez bien articulez, et qu'ils ne sont pas propres à l'harmonie, dont nous vsons: quoy qu'vne partie de cette difficulté se puisse leuer par plusieurs tonneaux de differentes grandeurs, dont les sons comparez ensemble font discerner le graue, et l'aigu d'vn chacun, comme il arriue aux instrumens qui sont faits de bastons, et aux tables des Luths et des Violes, que l'on compare ensemble.
[-36-] Mais il faut remarquer que l'on peut entendre l'experience de ces tonneaux en deux manieres, car on les peut faire sonner quand ils sont ouuerts, ou quand ils sont fermez, comme il arriue aux tonneaux qui sont pleins, ou demi pleins de vin: quant à ceux qui sont ouuerts, il est difficile d'en prendre le ton, d'autant qu'ils resonnent fort peu, quoy que quelques-vns mettent la teste dedans pour les faire resonner en parlant, d'autant que l'air estant libre ne resiste pas tant que celuy qui est enfermé, comme l'on experimente aux tambours.
Quoy qu'il en soit, si les tonneaux se rapportent aux tuyaux de l'Orgue, l'eau qui les remplit à moitié les doit faire monter à l'Octaue, parce qu'ils sont semblables à vn tuyau accourci de moitié: mais si leurs tons se font comme ceux des verres, ils descendent plus bas pleins, ou à demi pleins que vuides d'eau; il faut seulement verifier l'experience, et l'on sçaura le nombre des tremblemens du tonneau tant plein, ou demi plein, que vuide: ce qu'il faut semblablement conclure de tous les autres corps, dont la percussion fait du son, et dont on cognoist le nombre des tremblemens, ou ceux de l'air par le moyen dudit son.
PROPOSITION XVIII.
Expliquer pourquoy vne mesme Cloche fait plusieurs sons differents en mesme temps.
IL arriue la mesme chose aux grandes Cloches qu'aux grosses chordes des instrumens, à sçauoir qu'elles font trois ou quatre sons en mesme temps, car outre leur propre ton, qui est le plus fort, elles font l'Octaue, la Dixiesme majeure, et la Douziesme; de sorte que si le premier son qui leur est naturel vaut deux, le second vaut quatre, le troisiesme cinq, et le quatriesme six.
Mais la Dixiesme maieure s'entend plus ordinairement que la Douziesme, et ces interualles ne sont pas tellement reglez dans toutes sortes de Cloches que l'on n'entende l'Onziesme, c'est à dire la Quarte repetée, au lieu de la Dixiesme, dans les sons de quelques Cloches: dont la raison est difficile à trouuer, si ce n'est que l'on die que les differentes parties de la Cloche tremblent differemment, et que les fremissemens de ceux qui se meuuent plus viste sont aux fremissemens de ceux qui se meuuent plus lentement, comme quatre, cinq, ou six est à deux: ou que ces differens tons viennent des differentes parties, ou portions des spheres, qui composent la Cloche, car l'vne de ses parties est descrite par l'ouuerture du compas de trente parties, et l'autre par celle de douze; or douze est à trente, comme deux à cinq: d'où il s'ensuit que la Cloche doit faire la Dixiesme maieure, lors qu'elle est faite selon ces ouuertures, et que quand elle ne la fait pas, elle suit d'autres proportions.
Quant à l'Octaue, elle pourroit estre rapportée à la moindre ouuerture du compas qui a sept parties pour descrire les deux portions de la Cloche, dont nous auons parlé: mais il faudroit qu'il fust seulement ouuert de six parties pour faire l'Octaue auec son ouuerture de douze parties, ou qu'il fust ouuert de quinze parties pour respondre à l'ouuerture de trente parties.
Certes il est tres-mal aysé de donner vne raison de ce Phenomene laquelle ne soit sujette à nulle repartie, car si l'on dit que le ton naturel de la Cloche, qui est le plus graue de tous, se diuise en deux parties esgales, et puis que l'vne de ces parties se diuise encore en deux autres moitiez, pour faire les trois ou quatre sons dont i'ay parlé, il semble que l'on ne doit pas admettre cette raison, [-37-] d'autant que la mesme chose n'arriue pas aux sons des tuyaux d'Orgue, n'y à la voix, dont on n'entend pas l'Octaue, ny la Dixiesme maieure, mais seulement quelquefois la Douziesme: quoy que la mesme chose arriue aux instrumens à chordes, comme i'ay remarqué dans vn autre lieu, où i'ay discouru des Mouuemens particuliers que fait l'air, quand il est agité par les chordes. Mais on peut icy considerer l'air interieur qui est dans les pores des Cloches, et l'exterieur qui est esbranlé par le fremissement de leurs parties exterieures, afin d'examiner si l'vn et l'autre fait des sons differens, ou s'il n'y a que l'exterieur qui soit affecté des differens mouuemens, dont i'ay parlé dans le discours de la Lyre, et ailleurs.
PROPOSITION XIX.
Expliquer comme se fait le son des Cloches, et de tous les autres instrumens de percussion.
CETTE Proposition est fort vniuerselle, d'autant que la plus grande partie des corps ne produisent nul son s'ils ne sont frappez; or quand ils sont frappez ils tremblent, comme l'on experimente en mettant la main sur le bord des Cloches qui sonnent, et qui fremissent apres auoir esté frappées du battant, ou de la main. Ie laisse maintenant les autres corps, par exemple les pierres, les rochers, les bois, et cetera dont il sera aysé d'expliquer les tremblemens, lors que l'on aura compris ceux des Cloches, et des autres corps semblables. Ce fremissement des Cloches se fait par l'emotion de leurs parties, qui impriment vn semblable mouuement à l'air dont elles sont enuironnées, et aux esprits de l'ouye, qui portent l'impression des sons, ou des tremblemens au sens commun, et à l'entendement.
Mais il est difficile d'expliquer comme se fait ledit fremissement sans que les Cloches se rompent, car si toutes leurs parties se meuuent, lors qu'elles tremblent, il faut que les vnes cedent aux autres, par exemple que celles qui touchent la surface exterieure, ou l'interieure, quittent leur place, afin que celles qui leur sont voisines succedent, et qu'elles trouuent des espaces pour se mouuoir et pour trembler, et consequemment que toutes les parties changent aussi souuent de lieu que la Cloche tremble de fois en sonnant.
A quoy les pores remplis d'air, que l'on croit estre dans les corps, peuuent seruir, car chaque partie de la Cloche peut se mouuoir en remplissant le pore qui luy touche; mais il est difficile de sçauoir ce qui la contraint de retourner plusieurs fois dans sa place, et de flotter deçà et delà aussi long-temps que dure le son. Et puis il s'ensuiuroit de cette hypothese que les Cloches feroient des sons fort differens, lors que leurs matieres seroient plus ou moins poreuses les vnes que les autres: par exemple, celle qui auroit deux fois plus de pores, ou des pores deux fois plus grands, auroit le son deux fois plus fort, ou plus foible, et deux fois plus graue, ou plus aigu: car il faut deux fois autant de temps pour se mouuoir dans vn pore de quatre parties, que dans celuy qui n'a que deux parties, ou dans l'espace de quatre pores que dans l'espace de 2. pores.
Il faut dire la mesme chose du mouuement des particules de l'air qui remplissent lesdits pores, et qui ne peuuent trembler ou fremir, si elles ne changent de place, soit en se rarefiant et condensant, ou autrement. Mais auant que d'entrer plus auant dans cette difficulté, il faut remarquer que le fremissement n'est [-38-] pas distinct du tremblement, et que le tremblement n'est pas different des allées, et des venuës que font les chordes des instrumens, dont i'ay parlé ailleurs, encore que l'on ne les appelle pas tremblemens, si elles ne sont fort vistes et frequentes: par exemple, si la chorde se meut aussi lentement que le poux, et qu'elle ne fasse que 4000. tours, et retours dans vne heure, comme il arriue aux chordes de cent pieds de long, l'on ne dit pas qu'elle tremble; ce que l'on diroit neantmoins des membres de l'homme, par exemple de la teste, ou de la main, qui se mouueroient aussi viste que le poux, et qui iroient deçà et delà par vn mouuement reciproque, que l'on experimente en ceux qui sont affligez du tremblement des nerfs et des muscles.
D'où il est aysé de conclure que tous les mouuemens des corps solides et durs, qui se font par des tours et retours, qui tiennent du ressort, sont especes de tremblemens et de fremissemens, encore que l'on donne seulement ce nom à ceux qui se font fort viste, par exemple, à ceux qui se font vingt, ou trente fois dans l'espace d'vne seconde, ou tandis que le poux et le coeur battent vne fois, et generalement parlant à tous ceux qui sont si vistes que l'on ne peut les nombrer.
Ce que l'on remarque aussi dans les tremblemens, ou changemens de lieu que fait l'eau d'vn pot, qui commence à s'eschauffer, car l'on ne dit pas ordinairement qu'elle fremisse, ou qu'elle tremble, iusques à ce qu'elle aille si viste, et que ses parties petillent si menu, que l'on ne puisse plus remarquer le nombre, et la figure de leurs mouuemens: ce qui arriue vn peu deuant que l'eau commence à boüillir, et ce que i'ay rapporté, afin que l'on conçoiue plus aysément la maniere dont les Cloches fremissent en sonnant.
L'on voit encore la mesme chose aux verres, dont on frotte le bord en coulant et pressant le doigt dessus, car l'eau qui est dedans, tesmoigne par ses tremblemens et ses saillies, que l'air qui l'enuironne, et les parties du verre qui luy touchent, fremissent, et ont de semblables mouuemens, puis que nul corps ne se meut s'il n'est meu d'ailleurs, et qu'il n'a point d'autre espece de mouuement, que celuy qui a precedé dans les autres corps, dont il depend, lors qu'ils en sont capables.
Ceux qui croyent que tous les corps ont vne grande multitude de petits espaces vuides, comme Heron, et les disciples de Democrite, et que toutes choses sont composées d'atomes de differentes figures, peuuent aysément expliquer le fremissement des Cloches: car lors qu'on les frappe, leurs atomes s'esmeuuent et tressaillent en changeant de place, et en occupant les espaces des petits vuides, et puis ils reuiennent plusieurs fois dans leur assiete ordinaire, et retournent dans lesdits vuides iusques à ce qu'ils se reposent. Mais la principale difficulté demeure tousiours, à sçauoir pourquoy ils reuiennent dans leur assiete, car il ne suffit pas de dire qu'elle leur est naturelle, et que chaque chose a la puissance et la faculté de retourner dans son propre lieu, lors qu'elle en est ostée par violence, comme l'on experimente aux corps pesans qui tendent tousiours en bas, et qui reuiennent à leur centre, si tost que la violence cesse: puis que l'on respond à cela que les atomes sont indifferents à toutes sortes de lieux, et que le mouuement leur est aussi naturel que le repos leur est contraire.
D'ailleurs il faut trouuer la cause qui les contraint de retourner à leur assiete, car puis que le mouuement leur est naturel, et qu'ils se peuuent aussi bien mouuoir d'vn costé que d'autre, il faut qu'ils soient contraints par quelque agent [-39-] exterieur à retourner d'où ils sont partis. Or l'on ne peut, ce semble, rencontrer d'autres agens que l'air qui les repousse, ou les petits hameçons et crochets des autres atomes de la Cloche, qui les retirent dans leur assiete ordinaire, comme il arriue qu'vn chainon retire vn autre chainon, et que les fibres et les filamens d'vn intestin, ou d'vne chorde retirent les autres fibres.
L'on peut encore s'imaginer que tout le monde estant rempli de corps solides, ou d'atomes, il arriue que les parties de la Cloche estant violentées dans leur fremissement, sont tout aussi tost repoussées par les atomes de l'air qui enuironnent la Cloche, et qui ne peuuent ceder à leur tremblement, que toute la nature ne patisse, et n'endure quelque sorte de trop grande pression: mais puis qu'elle est capable d'estre pressée durant le fremissement, il est mal aysé de sçauoir pourquoy il ne dure pas tousiours, et pourquoy toute la nature ne s'accoustume pas à cette pression, comme il arriue que les ressorts s'accoustument à demeurer dans le lieu où ils ont esté mis par force, lors qu'ils y demeurent long-temps; par exemple, si l'on tient vn arc bandé, ou qu'on laisse la chorde d'vn Luth tenduë assez long temps, ils contractent vne habitude qui les fait demeurer dans le mesme estat, où la violence les a conduits, encore que cette violence n'y soit plus, et qu'elle cesse entierement.
Or cette habitude n'est autre chose que le relaschement des fibres, des crochets, ou des autres liens et attaches du ressort, ou la ruption et la perte de quelque corps qui faisoit ioüer le ressort.
Si le metal de la Cloche estoit seulement composé d'atomes, qui remplissent le lieu, à sçauoir des triangulaires équilateraux, quarrez et hexagones, ou d'vne infinité de figures irregulieres, qui peuuent faire la mesme chose, ils ne pourroient trembler ny fremir, et consequemment ils ne feroient nul son: c'est pourquoy il est necessaire qu'ils ayent d'autres figures, par exemple la circulaire, l'octaëdre, la romboide, l'elliptique, et cetera afin que les petits vuides seruent d'espace pour le mouuement desdits atomes. Il faut dire la mesme chose des atomes tetraëdres, et des cubes ioints aux octaëdres, et d'vne infinité de corps irreguliers, puis qu'ils remplissent les espaces solides, comme le triangle equilateral, le quarré, et l'exagone remplissent les surfaces, ou les plans.
L'on peut encore considerer si les parties qui fremissent ont vn certain centre de grauité commun à tout le corps qu'elles composent, qui les contraigne de retourner en leur place, et plusieurs autres choses, qui peuuent donner entrée à cette difficulté: en effet la continuité des parties peut estre comparée à la force du centre, ou à la vertu magnetique, car elle retire tousiours toutes lesdites parties iusques à ce qu'elle soit rompuë.
Quoy qu'il en soit, il est certain que les parties de la Cloche tremblent autant de fois, que les chordes auec lesquelles elles font l'Vnisson, et que les parties des corps, qui ont le son plus aigu, tremblent plus viste que celles des corps qui l'ont plus graue: d'où l'on peut inferer de combien les parties de chaque metal tremblent plus, ou moins viste les vnes que les autres. Mais il est difficile de sçauoir pourquoy les parties d'vne grande Cloche tremblent plus lentement que celles d'vne moindre, lors que le son de la plus grande est plus gros, ou plus graue; attendu que les parties de la plus grande tremblent plus viste, quand son ton est plus aigu: ce qui arriue lors que la Cloche qui est plus grande, est aussi plus espaisse, car l'espaisseur estant plus grande, le ton monte plus haut, comme i'ay dit ailleurs.
[-40-] PROPOSITION XX.
Determiner de quelle distance le son des Cloches peut estre entendu, et s'il peut estre aussi fort que le bruit du tonnerre.
CETTE Proposition est tres-difficile, à raison de la difficulté des experiences qu'il faut faire pour sçauoir de quelle distance chaque Cloche peut estre entenduë; l'on tient que la grosse Cloche de sainct Iean de Lyon, qui pese 28000. liures, et qui a son batant de 700. lliures, s'entend de trois lieuës; et que la grosse Cloche de nostre Dame de Roüen, dont i'ay donné la grandeur et le poids dans la troisiesme Proposition, s'entend d'vn lieu qui s'appelle la Bouille, c'est à dire de cinq lieuës.
Mais la principale difficulté consiste à sçauoir de combien il faut qu'vne Cloche soit plus grande qu'vne autre pour estre entenduë de deux, trois, ou quatre fois plus loin, et de quelle grandeur il la faut faire pour estre ouye d'vne distance donnée. Si les distances suiuoient la raison des grandeurs, il seroit bien aysé de sçauoir tout ce qui se peut dire de la force, et de l'estenduë des sons, car la Cloche qui a son diametre double, triple, ou quadruple, s'entendroit de deux, trois, ou quatre fois aussi loin que celle qui la souz-double, souz-triple, ou souz-quadruple; et la Cloche qui s'entendroit de deux fois aussi loin seroit octuple en grandeur, et en pesanteur de celle qui s'entend de deux fois moins loin, comme la sphere de l'air, qui est affectée du son de celle-cy, seroit souz-octuple de celuy qui est affecté par celle-là.
Mais il se rencontre tant de difficultez dans l'air, qu'il n'est pas possible de satisfaire entierement à cette Proposition, dans laquelle il faut remarquer que i'entends que l'on frappe deux, ou plusieurs Cloches de differenres grandeurs proportionnellement, c'est à dire que celle qui est deux fois plus grande doit estre frappée deux fois plus fort, lors que l'on veut sçauoir si elle s'entend de deux fois plus loin, autrement il est certain que la moindre peut estre frappée si fort, et la plus grande si foiblement, que celle-là s'entendra de beaucoup plus loin que celle-cy. Quoy qu'il falle considerer si la double en diametre doit plustost estre frappée quatre, ou huict fois plus fort, à raison de sa surface quadruple, ou de sa solidité octuple, que deux fois plus fort seulement, à raison de son diametre qui est double.
L'experience, qui n'est pas trop difficile, peut seruir à la solution de ce doute, car l'on a souuent des Cloches dans vne mesme tour, dont les vnes sont doubles, ou sesquialteres des autres, de sorte que l'on peut s'esloigner differemment, et remarquer l'extremité, ou l'estenduë de la sphere d'actiuité des moindres et des plus grandes Cloches: par exemple, si celle qui n'a que deux pieds en diametre s'entend d'vne lieuë, et celle qui en a quatre de deux lieuës, et puis celle qui en a huict de 4. lieuës, il n'y a nul doute que les distances auront mesme raison que leurs diametres, et que la solidité des spheres d'actiuité auront mesme raison que la grandeur, et la pesanteur des Cloches. Car lesdites Cloches sonnant en mesme temps et les Auditeurs estant de mesme costé, et en mesme plaine, l'on peut dire que l'air est assez esgalement disposé pour la verité de l'experience, d'autant qu'il n'est pas icy necessaire d'vser de la precision Mathematique, ny de considerer la proportion des lignes tangentes du son, [-41-] auec les differentes parties de la circonference de la terre qui sont touchées par lesdites lignes, que l'on peut s'imaginer depuis la Cloche, ou le haut des tours iusques à l'oreille de ceux qui escoutent.
Or l'vne des plus grandes difficultez de l'experience consiste dans la proportion des battemens, ou des percussions de deux, ou de plusieurs Cloches, d'autant qu'il est difficile de cognoistre si l'on frappe vne grosse Cloche aussi fort qu'vne petite à proportion de sa grandeur, à raison que l'on n'a pas encore determiné de quelle grosseur doit estre le battant d'vne Cloche pour la frapper iustement comme il faut pour la faire sonner parfaitement. Car encore que l'on donne vne liure et demie de batant à vne Cloche de dix liures, il ne s'ensuit pas que le batant d'vne Cloche de vingt liures doiue peser trois liures; et en effet les Fondeurs le font seulement de deux liures, et celuy de la Cloche double en diametre, de six liures et demie.
Il faudroit donc sçauoir de quel poids doit estre le battant de chaque Cloche, afin qu'on les frappast toutes proportionnellement, encore que l'on puisse vser d'vn mesme marteau pour ce sujet en frappant l'vne des Cloches plus fort, et l'autre plus foiblement. Mais il n'est gueres moins difficile de sçauoir tellement proportionner les deux coups, ou les deux battemens, que l'vn soit double, ou en telle raison que l'on voudra de l'autre, que de determiner de combien l'vn des marteaux doit estre plus gros que l'autre pour auoir deux battemens semblables, car encore que l'on laisse tomber le marteau d'vn pied de haut, et puis de deux pieds sur vne mesme, ou sur differentes Cloches, il ne s'ensuit pas que le coup soit deux fois aussi fort, car puis que i'ay demonstré ailleurs que le marteau qui tombe de deux pieds de haut, va plus viste au second pied qu'au premier, et qu'il le fait trois fois plus viste que le premier, il semble que l'on doit conclure que le marteau tombant de deux pieds de haut frappe trois ou quatre fois plus fort que lors qu'il tombe seulement d'vn pied.
PROPOSITION XXI.
Expliquer la Musique des Cloches, ou des Carillons, et tout ce qui est necessaire pour ce sujet; et la maniere dont on peut faire toutes sortes de discours, et faire sçauoir toutes sortes de nouuelles fort promptement par leur moyen.
LEs Carillons sont si communs dans les Pays-bas, qu'il n'y a quasi point de Villes, où il n'y en ayt vn ou plusieurs dans les tours des Eglises, comme l'on peut voir à Mont en Hainaut, à Anuers, à Liege, et en plusieurs autres endroits, où ils ont trente ou quarante Cloches qui font les mesmes degrez, et interualles de Musique, que les clauiers des Orgues, et des Epinettes: c'est pourquoy ils vsent de clauiers de bois pour sonner tout ce qu'ils veulent sur lesdits Carillons, dont ie veux icy exprimer la figure, afin qu'elle fasse mieux comprendre la fabrique, l'vsage, et la pratique de cette espece de sonnerie qu'vn plus long discours.
Car il n'est pas necessaire de repeter ce que i'ay desia expliqué de la proportion, et des autres particularitez des Cloches, dont il est aysé de tirer la maniere d'en faire de toutes sortes pour ioüer toutes les pieces de Musique, qui se peuuent imaginer: c'est pourquoy il suffit de proposer, et d'expliquer cette figure, laquelle represente le Carillon de la tour de l'Eglise de Nostre Dame [-42-] d'Anuers; A B C monstrent les plus grosses Cloches qui font les sons plus graues, suiuant leur grandeur; E E monstrent le lieu par ou passent les chordes qui tirent les cordons attachez à chaque batant des Cloches, afin que le Carillonneur frappant, ou pressant les marches du clauier F G tant auec les mains qu'auec les pieds, il fasse sonner les Cloches pour faire tel chant, et telle Musique qu'il luy plaira.
[Mersenne, Percussion, 42; text: A, B, C, D, E, F, G] [MERHU3_7 04GF]
Or il est aysé de faire des Epinettes dont les marches, et les sautereaux feront sonner autant de Clochettes que de chordes, comme ont desia fait quelques-vns, qui vsent de petits marteaux, ou batans de bois, au lieu de fer, afin que l'harmonie en soit plus douce: mais il faut accommoder de petits morceaux de drap à chaque batant, afin d'estouffer le son des Cloches qui nuiroit à l'harmonie, comme l'on estouffe celuy des chordes du Clauecin, que l'on peut tellement [-43-] construire, qu'il fera entendre l'Orgue, la Viole, l'Epinette, et les Cloches par le moyen des mesmes marches, afin d'auoir tous les instrumens rassemblez en vn seul. Mais pour faire toutes les Cloches dans leur iustesse, il faut en faire tourner les modelles de bois, afin de ietter leurs timbres en sable, et parce qu'il est difficile de les fondre si iustes qu'ils ne manquent de quelque quart de ton, il est aysé d'y remedier par le moyen des meules dont on aiguise les cousteaux, ou par d'autres pierres affiloüeres, et mesme par le tour qui en ostera ce qu'on voudra en les polissant. Et si l'on veut deux ou trois jeux differents de timbres, dont les vns resonnent plus fort, et les autres plus doucement, afin qu'ils fassent autant de diuersitez que les plus grands Clauecins, il faut faire les vns d'argent, les autres de cuiure, et les autres de la matiere dont on fait les timbres des horologes.
PROPOSITION XXII.
Expliquer comme il faut pendre, et attacher les Cloches pour les rendre aysees à sonner, et de quelles machines l'on peut vser pour les monter dans les tours, ou pour les descendre.
PVIS que les Cloches sont faites pour la commodité du peuple, et de tous ceux qu'elles appellent, il est raisonnable d'expliquer la maniere dont il faut les attacher, et les pendre pour les sonner aysément, afin que les sonneurs ne soient pas sujets aux ruptures qui leur arriuent assez souuent, à raison du trop grand effort qu'ils font en tirant les chordes desdites Cloches: quoy qu'il soit tres-difficile, et peut-estre impossible de suspendre les grandes Cloches si industrieusement qu'on les puisse faire sonner sans difficulté; car l'on experimente qu'il faut du moins douze hommes pour sonner celles de trente, ou quarante mille liures, dont il faut icy expliquer les raisons.
Et pour ce sujet ie repete la figure de la 20. Proposition du troisiesme liure des Mouuemens, à sçauoir K L B, afin d'expliquer les differents mouuemens de la Cloche, et les differentes pesanteurs qu'elle a dans les differens points du quart de cercle qu'elle fait en sonnant.
[Mersenne, Percussion, 43; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, X, [alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], [eta]] [MERHU3_7 03GF]
Ie dis donc que la Cloche estant penduë et attachée au point A, et representée par la ligne AB, qui signifie sa ligne de direction, il est plus aysé de la conduire, et de la pousser depuis B iusques à D, que depuis D iusques à O, et qu'elle ne fait pas vne si grande resistance depuis D iusques à O, que depuis O iusques à L, d'autant qu'elle pese dauantage au point O, qu'au point D, car elle pese seulement en D comme si elle estoit attachée à P, et lors qu'elle est en O, elle pese comme si elle estoit suspenduë du point N; et finalement quand elle [-44-] est menée iusques au point L, elle pese de tout son poids, d'autant que le point A ne la supporte nullement, au lieu qu'il la supporte entierement au point B; de sorte qu'il faut conclure qu'il est d'autant plus difficile de la tenir, et de l'arrester en chaque point du quart de cercle BL, qu'elle est moins supportée par le point A.
C'est pourquoy lors qu'on l'ebranle, et qu'on la meut par le moyen d'vne, ou de plusieurs chordes, que l'on attache à des roües, ou à d'autres pieces de bois qui tiennent la Cloche attachée par ses anses, l'on a d'autant plus de peine à la mouuoir depuis D iusques à O, que depuis B iusques à D, que la ligne AN est plus longue que AP. Ce que l'on peut comprendre en se figurant que KL est vn leuier, ou le fleau d'vne Romaine, car si l'on met la force au point K, elle soustiendra d'autant plus aysément le poids de la Cloche au point T, qu'au point N, que la raison de KP à PA est plus grande que celle de KN à NA.
Ie laisse la consideration des differentes inclinations du plan, dont i'ay parlé dans le second et le troisiesme liure des Mouuemens et ailleurs, et dont les raisons suiuent celles du leuier, lors qu'elles sont bien entenduës, afin de parler de l'impression qui donne le branle à la Cloche: car puis qu'elle pese d'autant plus qu'elle approche dauantage du point L, suiuant les differents points dont l'on s'imagine qu'elle es soustenuë dans la ligne AL, il faut conclure qu'elle a besoin d'vne plus grande impression pour se mouuoir depuis O iusques à L, que dans quelqu'autre endroit du quart de cercle que ce soit; quoy qu'il faille remarquer que le poids s'augmente dauantage depuis B iusques à D, que depuis D iusques à O, et depuis D iusques à O, que depuis O iusques à L, et consequemment qu'il ne faille pas adjouster tant de force, ou d'impression pour la mener d'O à L, que pour la conduire de D à O, comme il est aysé de demonstrer par les raisons que l'on tire des points P, N et L.
Car l'impression qui la fait aller iusques à O, diminuë la peine de la faire monter iusques à L, parce qu'il faut seulement adiouster autant de nouuelle impression, comme la ligne NL adiouste de pesanteur à la ligne AN. Mais lors que l'on commence à esbranler la Cloche pour la mouuoir iusques à D, l'on a tout le poids AP à surmonter; auquel on adiouste le poids PN, quand on la meut iusques à O. D'où il est aysé de conclure les differents degrez de difficulté que l'on a en sonnant, particulierement si l'on joint la consideration des impressions à celle des pesanteurs.
Quant à la maniere de pendre les Cloches pour les rendre aysées à sonner, l'on se sert de plusieurs façons, et particulierement d'vn gros morceau de bois, que l'on appelle le Mouton, dans lequel on fait entrer les anses de la cloche. Ie laisse les machines propres pour monter les cloches au haut des Tours et des Clochers, parce qu'elles meritent des Traitez particuliers: il suffit de dire que les mouffles à plusieurs poulies iointes au tour, ou à la viz sans fin double, ou triple sont capables de leuer aysément les plus grandes cloches qui se puissent faire. Surquoy l'on peut remarquer la maniere dont on m'a dit que l'on a vsé en Allemagne, en mettant des petards sous la branche du leuier qui faisoit tourner l'arbre du tour, et sa rouë: de sorte que chaque petard faisoit hausser le manche du leuier d'vne certaine hauteur, iusques à ce que la cloche fust montée: mais il est necessaire que le leuier soit d'vne matiere si forte qu'il ne puisse rompre. L'on pourroit aussi vser d'vne ou plusieurs viz semblables à la viz des pressoirs, dont la force depend de l'inclination des plans, desquels l'on [-45-] aura la science, si on list le Traité des Mechaniques que i'ay mis à la fin du troisiesme liure des Mouuemens, dont le sixiesme Corollaire de la premiere Proposition aduertit.
COROLLAIRE I.
L'on trouuera la demonstration des differentes forces necessaires pour retenir la cloche proposee au point D et O, ou à tel autre point du quart de cercle que l'on voudra, dans le second Corollaire de la premiere Proposition dudit Traité de Mechanique, qui donne de grandes lumieres à plusieurs choses que nous auons proposées dans cet oeuure, et mesmes pour faire vne machine capable d'arracher, ou de leuer les plus grandes resistences, forces, ou poids, dont on puisse auoir besoin. Quant à la maniere de pendre tellement les cloches qu'elles soient fort aysées à sonner, cela depend de la charpenterie, qui doit estre bien droite, afin que la cloche soit en equilibre.
COROLLAIRE II.
L'on peut vser de differentes sortes de balances pour peser les grandes Cloches de trente, ou quarante mille liures: quoy qu'il ne faille pas s'imaginer qu'elles puissent estre si iustes qu'vn grain les fasse tresbucher, comme il arriue aux petites, dont on vse pour peser les diamans, et pour esprouuer les carats de l'or: car le fleau des balances presse d'autant plus son appuy, qu'il est plus pesant, et que les poids attachez à ses deux extremitez sont plus grands; de sorte que s'il faut vn grain pour faire perdre l'equilibre des petits trebuchets qui ne sont capables de porter qu'vne ou deux liures, il faudra plusieurs grains pour le faire perdre aux balances qui soustiennent trois ou quatre mille liures; quoy qu'il n'y ayt pas d'apparence qu'il faille multiplier lesdits grains en mesme raison que l'on augmente la grandeur des balances, ou que l'on pese de plus grands poids, autrement il faudroit 3000 grains, c'est à dire plus de cinq liures pour faire trebucher les balances qui portent trois mille liures: mais il faut consulter l'experience sur ce sujet; et cependant voir le Traité de la Balance qu'a fait Buteo, daus lequel il monstre la maniere de construire les Romaines, de peser les grands fardeaux, et de faire les Piles, qui contiennent toutes sortes de poids, par exemple la liure, la demie liure, l'once, la demie once, et cetera qui se suiuent en raison double. Surquoy il faut remarquer que ceux qui vendent les balances ne les ajustent pas bien, et que ceux qui desirent estre exacts en leurs obseruations, doiuent prendre la patience de les ajuster tellement que 576 grains pesent iustement vne once, et que chaque grain contrepese à l'autre. Or encore qu'il y ait pour l'ordinaire moins d'erreur dans les experiences faites en grand volume lors que l'on y apporte toute sorte de diligence, neantmoins les autres faites en petit volume peuuent souuent estre plus exactes, à raison du grand soin que l'on y apporte, de la grande iustesse des petits trebuchets que l'on fait exprez, et de la facilité de l'operation.
[-46-] PROPOSITION XXIII.
Expliquer les proprietez naturelles et miraculeuses des Cloches.
IL est certain que les Cloches n'ont point d'autres proprietez naturelles que celles qui viennent des differens mouuemens qu'elles impriment dans l'air, dont l'emotion fait conceuoir tout ce que l'on veut signifier par le son des Cloches. Or l'on tient que ce son peut estre si violent et si puissant, qu'il fera pousser le vin dans les caues, et qu'il fera perir les enfans dans le ventre des meres, ce que l'on dit semblablement du tonnerre. A quoy l'on adjouste que les sons dissipent les nuées et le tonnerre: de là vient que l'on sonne les Cloches lors qu'il tonne: car encore que plusieurs tiennent que cet effet depend de la benediction des Cloches, dont on vse pour les dedier au seruice des Eglises, et pour les desgager de l'vsage prophane, et consequemment qu'il soit surnaturel, neantmoins les autres croyent qu'il est naturel, à raison de l'esbranlement de l'air, qui chasse le foudre, en l'enuoyant d'vn autre costé, ou en le dissipant, car puis que le son consiste dans le battement de l'air, on peut luy attribuer autant d'effets comme au mouuement de l'air.
Iean Quignones Hespagnol a fait le discours de la Cloche de Vililla en Saragoce, laquelle sonne souuent toute seule sans que l'on la puisse empescher, où il cite plusieurs Autheurs pour confirmer ce qu'il en dit, à sçauoir Vairus au liure second des Charmes chapitre 14. Torreblanca, et plusieurs autres, comme Zurita au liure 14. chapitre 27. de ses Annales; Guadalaxara dans la premiere partie de l'expulsion des Morisques; Martin Carillo au cinquiesme liure de ses Annales; Lanuza au troisiesme liure de l'histoire d'Arragon, et cetera.
Il dit que cette Cloche a deux Crucifix releuez en bosse, dont l'vn est à l'Orient, et l'autre à l'Occident, et qu'elle sonne toute seule lors que l'Estat Ecclesiastique, ou le Politique sont menacez de quelque notable accident; ce qui se fait de telle sorte que son batant la frappe du costé d'où doit venir le mal, c'est à dire du costé de l'Orient, du Midy, de l'Occident, ou du Septentrion. L'Eglise s'appelle sainct Nicolas, parce qu'il en est le Patron. Quant au temps qu'elle a sonné, il remarque les années 1435. 1485. 1527. 1558. lors que Charles Quint mourut: 1568, 1578, à la mort de Sebastien Roy de Portugal, dans la bataille d'Alcazar; et finalement l'an 601, depuis le treiziesme iusques au trentiesme de Iuin. Roccha parle de plusieurs autres Cloches qui sonnent souuent toutes seules, lors que quelqu'vn doit mourir, ou qu'il arriue quelque chose d'extraordinaire, dans le 7. chapitre de son traité des Cloches, dans lequel il explique les heures, ausquelles on a coustume de sonner les cloches, et les taisons pour lesquelles on les sonne, comme l'on peut voir depuis le quatorziesme iusques au vingt-cinquiesme chapitre de son Commentaire, dans lesquels il monstre que les Cloches ont succedé aux Trompettes des Iuifs, car l'on en vse pour aduertir le peuple des heures qu'il faut prier Dieu, soit en particulier, comme il arriue trois fois le iour, lors que l'on sonne l'Aue Maria au matin, à midy, et au soir, afin de se souuenir que le fils de Dieu fut sur la Croix vers le soir, qu'il resuscita le matin, et qu'il monta au Ciel vers le midy, comme remarquent sainct Augustin et sainct Hierosme dans l'explication du 54. Psalme: ou parce que l'Ange salüa la Vierge au matin, comme dit sainct Athanase dans le discours [-47-] qu'il a fait de la Mere de Dieu, quoy que les autres disent que la salutation se fit à minuit, comme l'on peut voir dans Azor, partie seconde, liure premier, chapitre 17. question quatriesme.
Mais il n'est pas necessaire d'expliquer cecy plus amplement, puis que les Catholiques sçauent assez que les prieres que l'on fait trois fois le iour au son de la Cloche, comprennent le salut de l'Ange, le consentement de la Vierge, et le mystere de l'Incarnation, quoy que plusieurs recitent le Regina coeli au temps de Pasques, au lieu de l'Angelus Domini, dont on rapporte l'institution à Calixte troisiesme, ou à Gregoire neufiesme, particulierement celuy du midy, comme celuy du matin et du soir à Vrbain second.
Or ce seroit vne chose qui auroit mauuaise grace de rechercher si les cloches peuuent sonner d'elles mesmes, et si ce qu'on rapporte de celle de Vililla peut venir de l'influence des Astres, souz pretexte qu'il y a de la correspondance, et de la sympathie entre les corps superieurs et les inferieurs, car les honnestes hommes sçauent que tout ce que les ignorans, les superstitieux, et les credules racontent de la force des characteres, et des lames de differents metaux grauées souz differentes Planettes et constellations doit estre mis au rang des fables et des Romans, sans qu'il soit besoin de lire ce qu'escriuent de la Torre, de Moura, et plusieurs autres Theologiens, et Philosophes contre ces resueries, et ces songes des Arabes et des Chaldeens.
Neantmoins l'on peut voir ce que le Docteur Quignones dit contre cette opinion, et la recherche qu'il fait des raisons que l'on s'est imaginé pour expliquer le son de cette Cloche: par exemple, que cela se fait à cause de l'vne des pieces de monnoye dont Iudas vendit nostre Seigneur, que l'on ietta dans le metal de la Cloche, lors qu'elle fut fonduë, ou parce que le verset de la Sibile Cumée, Christus Rex venit in pace, et Deus homo factus est, est escrit à l'entour des Croix qui sont grauées sur ladite cloche, afin qu'elle predise les choses futures, comme la Sibile. Ie laisse plusieurs autres choses que l'on dit de la Cloche de certains Monasteres de Benedictins, laquelle a coustume de sonner toute seule lors que quelqu'vn d'entr'eux doit mourir, parce que ie n'en ay point de relation certaine, et plusieurs autres choses qui se peuuent adjouster à ce traité des Cloches, afin d'acheuer le discours des autres instrumens de Percussion.
PROPOSITION XXIV.
Expliquer la matiere, la figure, le ton et l'vsage des Castagnettes et des Cymbales.
ENCORE que les Castagnettes, dont on verra cy-dessous la figure, n'ayent qu'vn seul ton, l'on en peut neantmoins faire des concerts si l'on en prend de differentes grandeurs, qui gardent la proportion harmonique: ce qui seroit fort agreable dans des danses, où quatre ou cinq personnes feissent les quatre ou cinq parties de la Musique, dont ie laisse l'inuention aux Maistres des Balets, qui sçauent la proportion qu'ils doiuent garder entre ces instruments pour en faire des concerts, s'ils entendent ce que i'ay enseigné cy-deuant.
Or ces Castagnettes sont fort vsitées dans l'Espagne, où l'on danse les Sarabandes au son de cet instrument fait en forme de petites cueillers sans manche, marquées par A B C D, qui en monstrent la concauité, et par E H I K, qui en font voir la conuexité. Les chordes L et M, qui passent par les trous H et K seruent [-48-] à les lier au poulce de la main droite, ou de la gauche, et à les ioindre tellement que leurs concauitez se mettent l'vne sur l'autre comme deux plats: quoy qu'elles doiuent estre vn peu ouuertes vers leurs bords C D E F, afin qu'on les fasse frapper l'vne contre l'autre auec le doigt du milieu, ou auec l'annulaire, dont on se sert ordinairement.
[Mersenne, Percussion, 48; text: A, B, C, D, E, H, I, K, L, M] [MERHU3_7 05GF]
Elles peuuent se faire de bois de prunier, de hestre, et de toute autre sorte de bois resonnant, comme les Regales dont i'ay parlé dans la 26. Proposition du troisiesme liure, et s'accordent auec toutes sortes d'instrumens, quoy qu'on les ioigne le plus souuent auec la Guiterre: car encore qu'elles fassent plusieurs Dissonances, on ne les apperçoit pas, à raison de la grande difference qui est entre la qualité de leur son, et celle du son des instrumens à chordes. La gentillesse des Castagnettes depend de la main de celuy qui les touche, et particulierement du mouuement, des cadences, des passages, et des diminutions ou tremblemens, que l'on fait si viste, qu'il est impossible d'en nombrer les battemens, si l'on n'vse d'vne precaution, qui consiste à obseruer la mesure et la Cadence, qui font iuger que les plus habiles battent huit ou neuf fois les Castagnettes dans le temps d'vne mesure, ou d'vn battement de poux, qui dure vne seconde minute; de sorte que l'on fait quasi d'aussi grandes diminutions sur cet instrument que sur l'Epinette, et sur les autres, dont la vistesse surpasse l'imagination.
Tous les osselets et les petits bastons de bois, ou d'autre matiere que l'on tient entre les doigts, ou autrement, et que l'on manie si dextrement et si viste, et auec des cadences si bien reglées, qu'il n'est pas quasi possible de les expliquer, se peuuent rapporter aux Castagnettes et aux Regales: mais l'on ne peut tellement les exprimer par des figures, que l'on en comprenne l'industrie et les mouuemens; c'est pourquoy ie viens aux Cymbales, car quant aux chansons, ou aux mouuemens des Castagnettes, on les entendra par le discours que ie feray des battemens du Tambour.
Si les Rabins nous auoient donné la figure des Cymbales dont il est si souuent parlé dans l'Escriture Saincte, ie la comparerois auec celle qui est maintenant en vsage parmy nous, afin de determiner si elles estoient plus propres pour donner du plaisir et de la iubilation, dont il est parlé dans le dernier Psalme, que ne sont les nostres, dont ABC represente la forme, qui fait vn triangle equilateral. Or l'on sonne de cet instrument en pourmenant les cinq anneaux auec le baston DE, que l'on tient de la main droite par la boucle D, tandis que l'on tient le triangle auec la main gauche, en le suspendant par l'anneau A, afin qu'il se meuue librement, et qu'il en resonne mieux.
Il peut se faire d'argent, de leton, et de tous les autres metaux, mais on le fait [-49-] ordinairement d'acier, afin qu'il ayt le ton plus aigu, plus gay, et plus esclattant. La verge DE est de mesme matiere, ou de telle autre que l'on veut. Aquoy l'on peut rapporter les sonnettes et les clochettes que l'on met aux pieds, aux iambes, aux bras, et aux mains pour dancer à la Cadence de leurs sons, et celles des Tambours de Bisquaye, dont nous parlerons apres. Les angles de ce triangle se terminent en s'arrondissant aux Cymbales ordinaires, quoy qu'on les puisse faire aigus comme ceux de cette figure, dont les anneaux sont ronds, encore qu'ils paroissent icy en forme d'oualles, à raison de la perspectiue.
[Mersenne, Percussion, 49,1; text: A, B, C, D, E, 1, 2, 3, 4] [MERHU3_7 05GF]
Les gueux qui ioüent de la Vielle, accompagnent ordinairement son harmonie du son de ces cymbales, et de celuy du Violon et du Tambour.
[Mersenne, Percussion, 49,2; text: A, B, C, D, E, F, G] [MERHU3_7 05GF]
[Mersenne, Percussion, 49,3; text: H, I, K] [MERHU3_7 05GF]
Ie mets encore la figure des cymbales antiques E, F, que l'on battoit ensemble en les tenant des deux mains par les anses, comme l'on void à la main et à l'anse G. A quoy l'on peut adjouster le Tambour d'airain HI, que l'on frape du baston K; pour ioindre son bruit aux sons des Cymbales. La peau de ce Tambour se bande auec les cheuilles H: mais ie donneray encore vne autre sorte de Cymbales dans le discours du Tambour.
PROPOSITION XXV.
Expliquer la matiere, la figure, et l'vsage de la Trompe, que quelques-vns nomment Gronde, ou Rebube.
CET instrument sert aux laquais, et aux gens de basse condition: mais cela n'empesche pas qu'il ne soit digne de la consideration des meilleurs esprits, comme l'on verra à la suite de ce discours. La figure AFGEB monstre sa forme, dont B E est la branche gauche, et AF la droite, qui sont iointes par [-50-] le demi cercle FE, par lequel on tient la Trompe, lors que l'on met l'extremité AB entre les dents pour en ioüer, et pour la faire sonner.
Or l'on peut frapper la languette DC auec le second doigt, que l'on appelle l'index, en deux manieres, à sçauoir en leuant, ou en baissant: mais il est plus aysé de la frapper en leuant, c'est pourquoy l'on en releue, ou l'on en recourbe vn peu l'extremité C, afin que le doigt ne se blesse pas.
[Mersenne, Percussion, 50; text: A, B, C, D, E, F, G] [MERHU3_7 05GF]
Cette languette est ordinairement d'acier, encore que son corps ne soit que de fer, ou de leton, afin qu'elle reuienne plus aysément, et qu'elle ne se fausse pas, quoy qu'elle puisse estre de leton, comme son corps: mais puis qu'elle fait la fonction d'vn ressort, l'acier surpasse toutes les autres matieres. Or si l'on considere tous les accidens de cette Trompe, l'on y trouuera beaucoup de difficultez, dont i'en remarque icy quelques-vnes, qui se peuuent comprendre sans la mettre dans la bouche, dont la premiere est qu'en la prenant par les branches AB auec le pouce et l'index, si on la presse en telle sorte que la languette ayt son passage libre, l'on entend distinctement son ton naturel et articulé; si on presse lesdites branches auec du papier, ou du drap, le ton en est plus obscur, et si on la tient par FE, elle fait vn ton plus foible et plus aigre, c'est pourquoy l'on peut dire que ses deux branches font en quelque maniere la fonction du corps des Luths, et des autres instrumens à chordes, quoy qu'elles ne soient pas creuses: ce qui n'arriue pas, à mon aduis, à cause de leurs tremblemens qu'elles meslent auec le mouuement de la languette, parce qu'en les pressant elles laissent vn passage plus estroit à l'air, que l'on pourroit s'imaginer estre battu plus fort par la languette, que lors que le passage est plus grand: ny parce qu'estant pressées tout le corps retient mieux l'air, et empesche plus aysément qu'il ne se dissipe: mais peut-estre parce que les branches AB estant plus pressées, la languette est plus bandée, ce qui luy fait faire des retours fort sensibles, que l'on n'apperçoit pas quand on la tient par FE.
Or elle resonne d'autant mieux que l'on retire dauantage les doigts de FE vers AB: i'ay dit, peut-estre, parce que cela n'est pas certain, car il s'ensuiuroit que ses retours deuroient estre plus vistes, si elle estoit plus bandée, et neantmoins son ton semble plustost descendre que monter, lors qu'on la tient par AB. Où il faut remarquer qu'il se rencontre des Trompes, dont la languette a ses retours sensibles, encore qu'on les tienne par le corps FE, comme i'ay experimenté auec vne Trompe, dont le corps est de leton; de sorte que les differentes matieres du corps apportent de la diuersité aux tremblemens des languettes. L'autre difficulté consiste à sçauoir si de deux languettes, dont l'vne est double de l'autre, la double a ses retours deux fois plus tardifs que la souzdouble, ou s'il est necessaire que la languette soit quadruple suiuant la proportion des chordes, qui sont attachées par vn bout, et libres de l'autre, auquel on attache vn poids, mais il est certain qu'elle les a deux fois plus tardifs.
Il y a encore plusieurs autres difficultez qui meritent d'estre traitées, par exemple, combien il faut augmenter, ou diminuer la grosseur ou le poids de la languette pour luy faire augmenter, ou diminuer la vistesse de ses retours selon la raison donnée: quelle proportion elles doiuent garder pour faire tels accords que l'on voudra, ce qui depend de la seconde difficulté, et comme l'on [-51-] peut sçauoir le nombre de leurs battemens, ou de leurs retours, et consequemment la grauité de leurs sons. Or si l'on entend la proportion que doiuent garder les chordes tant en leurs differentes longueurs, qu'en leurs grosseurs pour faire le nombre de leurs battemens en toutes sortes de raisons, l'on sçaura semblablement la solution de toutes ces difficultez.
PROPOSITION XXVI.
Expliquer la matiere dont on fait les Tambours, et les termes dont on exprime toutes leurs parties.
[Mersenne, Percussion, 51; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L] [MERHU3_7 06GF]
LE Tambour a plusieurs parties considerables, dont le corps AGIK, ou LAEK s'appelle la quaisse, et se peut faire de leton, ou de bois; on la fait ordinairement de chesne, encore que l'on puisse se seruir de toutes les autres especes de bois qui se peuuent ployer en forme de cylindre. Or la hauteur de cette quaisse AI, ou EK est quasi esgale à sa largeur LK, ou AC, qui monstre quant et quant la largeur de la peau, dont on couure la quaisse, et que l'on bande dessus par le moyen des cercles AC, et IK, ausquels sont attachez KG, LG, et IG, qui seruent à tendre ou à detendre, et débander la peau; car lors que l'on hausse les noeuds marquez par la lettre G, iusques au cercle ADC, l'on débande la peau ABCD; et lors qu'on les abbaisse iusques au trou H, on la bande: c'est pour ce sujet que chaque noeud embrasse deux chordes, et qu'on les fait coulants afin de faire hausser, ou baisser le ton des Tambours. On les fait ordinairement de peau de mouton, comme les parchemins ABED, et ABCD, ou de la mesme matiere que les chordons K G, que l'on peut faire de chanvre, [-52-] ou de soye; les Facteurs les appellent tirans. Mais il faut remarquer que tous ceux qui croyent que l'on fait les parchemins des Tambours de peaux d'Asnes se trompent lourdement, car on les fait seulement de peaux de mouton, quoy qu'on les prenne vn peu plus fortes, et plus espaisses pour seruir aux grands Tambours, afin qu'elles durent plus long-temps.
I'ay icy mis le Tambour en deux façons, afin que l'on voye le parchemin, ou la peau ABCD, sur laquelle on frappe, ou laquelle on bat auec les bastons ACB, et celle de dessouz qui est soustenuë de la chorde AB, qui trauerse par le diametre, et que l'on appelle le timbre du Tambour, lequel on fait de deux chordes, ou d'vne seule chorde mise en double, et quand elle a trauersé la peau, on la fait passer par vn trou, afin de l'arrester auec vne cheuille qui paroist proche de la lettre E, et qui se diminuë comme vn faucet, afin que le timbre se bande à proportion que l'on pousse ladite cheuille, qui fait encore hausser ou baisser le ton du Tambour, selon que l'on la tire ou que l'on la pousse. Or il faut remarquer que l'on fait quelquefois la quaisse des Tambours quarrée, et qu'on la peut faire triangulaire, et de toutes sortes d'autres figures.
Les cercles qui tiennent la peau sur la quaisse, à sçauoir ABC, et LIK s'appellent vergettes, que l'on peut faire de bois, ou de tel metal que l'on voudra, car il n'importe, pourueu qu'elles estreignent, et serrent les extremitez des peaux comme il faut.
Quant à la grosseur, et à la grandeur des bastons, ils doiuent estre proportionnez à la grandeur du Tambour, comme les battans des Cloches, car s'ils sont trop gros, ou trop petits les peaux n'ont pas vn bon son.
[Mersenne, Percussion, 52; text: A, B, C, D, E] [MERHU3_7 06GF]
L'on vse aussi d'vne autre espece de Tambours dont le corps est fait de leton en forme de chaudron, ou de demie sphere concaue, qui a deux pieds de diametre ou enuiron, et que l'on couure encore d'vne peau comme les autres; on les porte à l'arçon de la selle, et font vn grand bruit qui imite celuy du tonnerre, dont on void icy les figures ABE et DE, auec le baston, qui monstre le costé de la peau par lequel on les bat. Ie laisse mille autres sortes de figures que l'on peut donner aux Tambours, auec lesquels on peut esprouuer plusieurs choses fort remarquables, et particulierement ce que l'on dit qu'vne bale de mousquet tirée dans l'vne des peaux ne peut percer le parchemin de l'autre bout, et qu'elle sort par l'vn des costez; ce qui ne peut arriuer que par la trop grande resistence [-53-] de l'air interieur, qui ne peut souffrir vne si grande compression: mais cecy merite des experiences bien exactes, et de longs discours.
[Mersenne, Percussion, 53,1; text: C, D] [MERHU3_7 07GF]
I'adjouste la figure d'vn autre Tambour CD auec les Cymbales dont on vse en Prouence, qui m ont esté enuoyées par Monsieur de Peiresc, dont le plus grand plaisir consiste à ayder tous ceux qui trauaillent aux Arts et aux sciences.
[Mersenne, Percussion, 53,2; text: A, B, C, D, E, F] [MERHU3_7 07GF]
Finalement l'on se sert de petits Tambours de Bisquaye, faits en forme de Sas, ou de Crible, comme l'on void aux figures ABC, et DEF, qui monstrent ces Tambours en deux sortes de perspectiues: DEF signifie la peau, qui est de parchemin, comme celles des autres Tambours: et la lettre G fait voir les petites lames, ou plaques de fer blanc, ou de leton qui sont tellement inserées par les fentes du corps de ces Tambours, qu'elles font vn bruit agreable à la cadence des mouuemens que l'on leur donne, et des battemens que l'on fait dessus la peau auec les doigts, car il y a deux lames en chaque fente, qui se battent l'vne l'autre: quoy que quelques-vns ayment mieux attacher plusieurs sonnettes aux bords de ces Tambours, afin de faire plus de bruit, que d'y mettre lesdites lames.
Or l'on croid que Marie soeur de Moyse et d'Aaron, battoit cette espece de Tambour, lors qu'elle chantoit le Cantique de ioye du quinziesme de l'Exode, apres le passage de la mer rouge: ce qui est grandement probable, car ils sont aysez à porter, et les autres qui seruent à la guerre sont trop grands: quoy qu'il en soit, il seroit à desirer que ceux qui en vsent, chantassent quant et quant les [-54-] loüanges de Dieu en recitant l'air de Marie que le Sieur Godeau nous a donné en de tres-bons vers, qui commencent en cette maniere:
Il est temps que l'ennuy fasse place à la ioye,
Ces cruels ennemis dont nous fusmes la proye,
Dans les flots irritez rencontrent leurs tombeaux:
Nos tourmens sont finis, nos iours vont estre calmes,
Et Dieu qui fait pour nous des prodiges nouueaux
Dans le sein de la mer nous fait cueillir des palmes.
dont i'ay seulement voulu mettre le premier couplet, ou sizain, afin que l'on aille voir le reste dans ses Poësies sacrées, qu'il est difficile de lire sans ressentir vne particuliere consolation.
PROPOSITION XXVII.
Expliquer de quelle grandeur doiuent estre les Tambours, et quelle proportion ils doiuent garder pour faire tel accord que l'on voudra.
IE n'ay point veu de Tambours qui feissent les accords de Musique que ceux que i'ay fait faire exprez, qui monstrent que leurs hauteurs et leurs largeurs doiuent garder la mesme raison que les cloches pour faire les mesmes interualles: par exemple si l'on veut que quatre Tambours fassent ces quatre notes,
[Mersenne, Percussion, 54] [MERHU3_7 07GF]
leurs hauteurs doiuent garder la raison de ces nombres 4, 5, 6, 8, c'est à dire que si le Tambour qui fait l'vt a trente pouces de hauteur, celuy qui fait la seconde note, doit auoir vingt-quatre pouces, ou deux pieds de Roy, le 3. qui fait la 3. note, doit auoir vingt pouces, et le 4. qui monte à l'Octaue doit auoir quinze pouces de hauteur. Il est aysé de suiure la mesme methode pour faire les autres degrez, comme l'on void dans le Systeme qui suit, et qui sert de Diapason pour toutes sortes de Tambours: et pour ce sujet ie suppose que le plus grand Tambour a deux pieds de large, car on ne les fait pas plus grands: Secondement que le dernier, ou le huictiesme n'a qu'vn pied en largeur, et en hauteur, et qu'il monte à l'Octaue du premier, comme l'experience enseigne.
Or cecy estant posé, ie dis que les nombres qui suiuent marquent exactement la largeur, et la hauteur des huict Tambours qui font les degrez de l'Octaue.
I II III 8 FA 1 90 7 MI 1 1/15 46 6 RE 1 1/5 108 5 SOL 1 1/3 120 4 FA 1 1/2 135 3 MI 1 3/5 144 2 RE 1 4/5 162 1 VT 2 180
Mais il faut remarquer que la premiere colomne contient la deduction, ou l'ordre des voix; la seconde les mesures reduites en parties de pieds; et la troisiesme les nombres harmoniques, lesquels on peut appliquer à telle mesure que l'on voudra. Ce qui sert pour ceux qui ne veulent pas vser de fractions, ou de nombres rompus, qui font remarquer qu'il y a vne distance infinie entre vn et deux, comme entre Dieu et les creatures, puis qu'il y a vne infinité de nombres entre-deux, comme il y a vne infinité de creatures possibles entre Dieu et le neant.
Il faut encore remarquer que les plus grandes peaux que l'on puisse trouuer pour mettre sur les quaisses, n'ont que deux pieds et demi de large, et consequemment que l'on est contraint de se reduire à cette grandeur, quand on veut faire plusieurs parties de Musique auec les Tambours, que [-55-] l'on met aysément d'accord par le moyen des noeuds coulans, qui les font monter ou descendre de ton, comme i'ay dit. Mais il faut auoir vne bonne oreille, et vser d'industrie et de iugement pour remarquer leurs tons, et de combien ils sont plus graues, ou plus aigus les vns que les autres: car il seroit difficile de prendre le ton d'vn seul Tambour; c'est pourquoy il en faut auoir trois, quatre, ou cinq de differentes grandeurs, afin qu'ils se seruent mutuellement, et que par le rapport, ou la relation qu'ils ont ensemble, l'on iuge de l'aigu et du graue de tous.
Or il est à propos d'aduertir le Lecteur de la Fable de la peau de Loup, que plusieurs croyent auoir la vertu d'assourdir la peau de mouton, ou de brebis, lors qu'on les bat sur vne quaisse en mesme temps, car on ne fait iamais les peaux du Tambour de la peau de loup, qui est tout à fait inepte, et inutile pour ce sujet, comme les Facteurs et les plus experts tesmoignent, qui maintiennent qu'il n'est pas possible d'accommoder cette espece de peau, comme il faut, sur les Tambours: de sorte que l'on peut asseurer que les Autheurs qui prennent cette fable pour vne histoire veritable, ne se soucient gueres de la verité, que l'on n'a pas sujet de receuoir de leur part, auant que de l'auoir examinée.
PROPOSITION XXVIII.
Expliquer la Tablature des Tambours, et leurs differentes batteries.
IL est certain que l'on peut faire autant de sortes de mouuemens sur le Tambour que sur les autres instrumens, et que l'on peut aussi aysément le battre 16, 24, ou 32 fois dans l'espace d'vne mesure de Musique, comme l'on chante vn semblable nombre de notes: d'où il est aysé de conclure que l'on fait tel mouuement que l'on veut en battant le Tambour, comme l'on experimente dans les differentes batteries, de tous ceux qui en ioüent en paix ou en guerre, dont les vns vsent du spondée, les autres de l'ïumbe, de l'anapeste, et de la quatriesme espece des Paeons, et cetera de sorte que l'on peut se seruir de la consideration des differens mouuemens pour voir s'ils monstrent le genie, l'inclination, et le temperament des differentes nations.
Mais parce que tous ne comprennent pas la Rythmique, ny la Metrique, il faut vser d'vne tablature que l'on puisse entendre tres-aysément, et descrire tous les mouuemens, ou toutes les batteries dont on peut vser sur les Tambours. Ceux qui font des chansons pour les fifres ont coustume d'vser des notes de Musique pour signifier les battemens du Tambour, qui les accompagne, comme a fait Thoinet Arbeau dans son Orchesographie, où il vse de trois sortes de notes pour ce sujet, à sçauoir des blanches à queuë, qui seruent ordinairement pour les demies mesures binaires, des noires, et des crochuës; or il se sert de la syllabe Tan souz la blanche, ou minime; et souz les deux noires qui ont la mesme valeur que la blanche, il met la diction tere: mais il vse de la syllabe fre souz les quatre crochuës, qui valent autant que les deux noires, parce que le battement qui suit la vistesse des crochuës ne peut s'expliquer auec la voix si elle ne tient ferme en prononçant fre, ou re, qui font seulement entendre la consone R.
L'on peut vser de telles autres syllabes que l'on voudra pour exprimer les sons du Tambour, par exemple de ton, ton, ou de plan plan, au lieu de tan; de [-56-] trelan au lieu de tere, et de tirelirelirelirelan, au lieu de fre, car on fait dire tout ce que l'on veut aux sons des Tambours, et des Cloches. Il est aysé de marquer par les notes ordinaires de la Musique toutes les sortes de batteries, par exemple la Marche Françoise, la Diane, la Chamade, l'Assemblée, et cetera et semblablement toutes les batteries des autres nations; ce que l'on peut encore faire sans ces notes, par les caracteres dont on vse pour marquer les syllabes longues et briefues, car le charactere de la longue syllabe [longa] signifiera le tan, ou le tou precedent, et ce signe de la briefue [brevis] seruira pour les tere, ou pour les trelan; et si l'on veut marquer les crochuës, l'on pourra vser du signe de l'accent aigu ´, ou de tel autre signe que l'on voudra: par exemple la marche des Suisses se peut exprimer en cette maniere, et en mille autres semblables: [brevis brevis longa longa, brevis brevis longa longa], et cetera puis qu'ils font le pied que l'on appelle Ionique mineur, et qu'ils appellent Colintampon.
Ceux qui sont curieux de sçauoir les batteries Angloises, Hollandoises, Hespagnoles, Allemandes, et cetera les peuuent marquer auec ces mesmes caracteres, et plusieurs autres nouuelles que l'on peut inuenter selon les differens changemens que peuuent souffrir les temps differens meslez les vns auec les autres: par exemple les temps de cet Ionique, peuuent estre changez en cinq façons, comme l'on void icy: [longa brevis brevis longa, longa brevis longa brevis, brevis longa brevis longa, longa longa brevis brevis, brevis longa longa brevis]. Mais il suffit d'auoir monstré le grand nombre des mouuemens, qui vient du meslange des notes de differente valeur, dont i'ay parlé dans le liure des Chants, sans qu'il soit besoin de le repeter icy.
Or auant que de quitter cette Proposition, il faut premierement remarquer que quelques-vns battent le Tambour si viste, que l'esprit, ou l'imagination ne peut comprendre la multitude des coups qui tombent sur la peau comme vne gresle tres-impestueuse, parmy laquelle les Tambours qui battent la quaisse en perfection frappent quelque-fois auec tant de violence, que son bruit imite celuy des mousquets, ou des canons, et que l'on admire comment vn simple parchemin peut endurer de si grands coups sans se creuer. En second lieu que ces grands coups, qui excedent de beaucoup la force des autres, seruent pour marquer, et pour distinguer les mesures, et pour finir les cadences. L'on frappe aussi quelque-fois la peau proche des bords, mais le plus souuent au milieu, ce qui distingue vn peu les sons en les rendant plus clairs, ou plus plains.
Et quant on bat la peau auec violence, si l'on met la main sur la peau de dessouz, l'on sent autant de coups comme l'on frappe de fois, et l'on n'y peut tenir la main: ce qui monstre l'agitation et le mouuement de l'air, qui suit le mouuement des bastons.
Mais outre ce mouuement, il y en doit auoir vn autre qui forme le ton du Tambour par la frequence de ses tours et retours, comme i'ay dit du ton, ou du son des autres instrumens; de sorte que l'on peut sçauoir ledit nombre quand on cognoist la grauité, ou l'aigu du ton, lequel est tousiours esgal quant à la qualité d'aigu, soit que l'on batte la peau doucement, ou auec violence, pourueu qu'elle ayt tousiours vne mesme tension; si ce n'est que l'on die que l'air est plus tendu lors que l'on frappe plus fort, d'autant qu'il est plus pressé, quoy que la chorde ne fasse pas sensiblement vn ton plus aigu, quand elle est plus bandée en la frappant plus fort, qu'en la touchant foiblement.
[-57-] COROLLAIRE I.
PVIS que l'on experimente que le tambour, le tonnerre, et la trompette font plus d'effet sur l'esprit, ou sur les sens que le son des autres instrumens, il est aisé de conclure que les grands effets de la Musique, ou des autres sons, ne peuuent arriuer que par le moyen des grands mouuemens, qui se font de beaucoup d'air, ou qu'il faut que la violence supplee la grandeur de l'air, lors qu'il y a peu d'air qui sert au bruit.
Ie laisse plusieurs vsages que l'on peut tirer des tambours, par exemple, que les soldats peuuent s'en seruir pour mesurer la hauteur des tours et des murailles, la largeur des fossez, et cetera pour connoistre par le mouuement des dez que l'on met dessus si l'on fait des mines, et les bruits qui se font à deux ou trois lieuës à la ronde, plus ou moins. L'on peut encore rapporter à cette sorte d'instrument tout ce qui fait des bruits semblables, comme ceux du mousquet, du canon, et ceux que font les portes des Eglises, et des autres lieux, dont le retentissement imite de si prés le bruit des arquebuses, qu'il n'est pas quasi possible de les discerner.
COROLLAIRE II.
Si i'eusse eu des characteres de Musique à commandement, i'eusse icy mis toutes les bateries du tambour François, à sçauoir l'entree, tant simple que double, la marche, l'assemblee, la double marche, le ban, la diane, la chamade, l'alarme, et eusse expliqué ce que c'est que le baton rond, baton rompu, et baston meslé; ie diray seulement que le batement du baston rond se fait lors que les deux bastons frappent chaque coup l'vn apres l'autre; celuy du baston rompu, lors que chaque main frappe deux coups de suite, et le batement du baston meslé se fait lors que chacun bat tantost vne fois de chaque main, et tantost deux fois. Quant à la retraite, les deux bastons frappent tous deux ensemble. Si quelqu'vn desire voir toutes ces bateries exprimées en notes de Musique, ie les luy monstreray.
PROPOSITION XXIX.
Expliquer la construction des Instrumens composez.
APRES auoir expliqué les simples instrumens harmoniques, il faut dire quelque chose des composez, qui meriteroient vn liure particulier, s'il n'estoit assez aisé de s'en imaginer la fabrique par la comparaison de tous ceux dont nous auons parlé. Or ils se peuuent premierement composer de ceux à chordes de boyau, et de laton, comme il arriueroit si l'on montoit vn Luth de ces deux sortes de chordes.
En second lieu, l'on peut mettre des chordes d'Espinette sous la table du Luth, lesquelles on touchera auec des touches semblables à celles de l'Espinette, qui seront entre les touches ordinaires des Luths, de sorte que les mesmes doigts toucheront les vnes et les autres quand on voudra.
En troisiesme lieu, les mesmes touches de l'Epinette mises sur le manche du Luth, peuuent toucher vn Orgue composé de trois sortes de jeux, dont les [-58-] tuyaux seront de plumes, ou de bois, de sorte que le Luth contiendra tout ce qu'on peut imaginer d'excellent dans l'harmonie; particulierement si l'on y met encore vn jeu de timbres, que les mesmes, ou d'autres touches pourront faire sonner; et si l'on desire des tuyaux qui prononcent les cinq voyelles, et plusieurs autres, et mesme les consonantes, et par consequent les syllabes et les dictions, outre ce que nous en auons desia parlé dans le Traité de l'Orgue, nous en donnerons peut-estre la pratique entiere dans vn autre lieu.
L'on peut appliquer à la Viole et aux autres simples instrumens tout ce que i'ay dit du Luth. I'adiouste seulement qu'il est maintenant si aisé d'accommoder les jeux de Viole à l'Espinette, par le moyen d'vn archet sans fin, fait de velin, ou d'autre matiere, et de leur faire representer les jeux des Orgues, qu'il n'est pas besoin d'en expliquer la construction.
Surquoy ie veux aduertir les facteurs, qu'il n'est pas à propos qu'ils perdent le temps à faire des rouës semblables à celles des Vielles, pour mettre le jeu des Violes dans l'Espinette, d'autant que l'archet sans fin est plus aisé, et qu'il reussit beaucoup mieux.
Ie laisse les batemens, les tremblemens, et les martelemens, et les autres gentillesses dont i'ay parlé dans le Traité du Luth, lesquelles on peut accommoder audit ieu des Violes, et mille autres choses, que l'on peut adiouster à ces Traitez; par exemple, qu'il y a moyen de mettre le Luth à vn tel ton, et accord, qu'il aura autant ou plus d'estenduë que l'Espinette, encore qu'il n'ait que dix rangs de chordes; que l'on peut tellement le monter qu'il ne sera pas necessaire de se seruir de la main gauche, et qui se touchera tout à vuide comme la Harpe, et que l'on peut enfin, contre ce que ie m'estois autresfois imaginé, faire des instrumens qui suppleent le chant des l'Eglises, et qui prononcent toutes sortes de dictions, quoy que la difficulté soit trop grande, à raison des grandes despences, et du temps, qui seroient necessaires pour faire ces machines parlantes.
PROPOSITION XXX.
Expliquer le contenu de l'excellent Traité des Genres et des Modes, qu'a fait Monsieur Doni Secretaire du sacré Consistoire.
PVIS que ie ne veux rien obmettre de tout ce qui peut seruir à la Musique, il est raisonnable que ie monstre l'excellence du liure que le sieur Iean Baptiste Doni nous a depuis peu donné en Italien, dans lequel il nous fait esperer de grandes choses, pour la restitution de tout ce qui appartient à l'ancienne Musique des Grecs. Or ie remarque seulement icy ce qui fait dauantage à mon suiet, afin que chacun aille lire le reste dans sa source, et qu'on le prie de gratifier le public de tout ce qu'il a preparé en faueur de l'harmonie, par exemple, son Amphicorde, qu'il a voulu nommer Lire Barberine, à raison qu'il en dedie le Traité au grand Cardinal Barberin, tres-digne nepueu de sa Saincteté, et auquel chaque science, et particulierement l'harmonie sera aussi long-temps obligee, comme durera l'excellent recit qu'il a fait faire et imprimer à Rome des actions heroïques de Sainct Alexis, dont la vie est exprimee par d'excellentes voix.
Il nous promet encore vn liure de la Musique Scenique, ou Recitatiue, la maniere de chanter les vers Latins, la vraye prononciation de cette langue, et plusieurs autres Traitez dont on voit les noms dans le 15 chapitre de son liure. [-59-] Or il remarque dans le 10 chapitre que la Musique Hesychastique, laquelle est graue et moderee, est propre pour le Mode Dorien, la Diastaltique pour le Phrygien, parce qu'elle est plus viue et plus vigoureuse, et la Systaltique remplie de tristesse pour le Lidien. Surquoy il faut remarquer qu'il appelle Mode Dorien le cinquiesme de nos Modes ordinaires, que i'appelle Lidien dans la 182 page du 3 liure des Genres, comme l'on peut voir dans son 7 chapitre, où il met ledit Mode en Emila, comme le Phrygien en Dresol, et où l'on peut voir ses raisons, car ie ne veux rien adiouster à ce que i'en ay dit dans la 17 Proposition, où ie crois auoir demonstré assez clairement l'opinion de Ptolomee touchant les Modes.
Il adiouste que l'Orgue peut seruir à exprimer chaque mode, à raison du grand nombre de ses jeux, dont celuy d'estain est propre pour le Dorien, et que les autres composez de tuyaux plus ou moins larges en haut qu'en bas, fermez et ouuerts, par exemple, les plus estroits sont propres pour le Phrygien, et les plus larges pour le Lidien; et puis il dit que les tuyaux qui imitent les fleutes douces sont bons pour exprimer le Dorien, ceux qui imitent le fifre et le flageolet, pour le Phrygien; et le cornet, et les tuyaux qui font la flute d'Allemand pour le Lidien. Le bois de buis est propre pour faire les tuyaux du Dorien; les regales sont bonnes pour le Lidien, et les tuyaux de leton pour le Phrygien. Et si l'on vse d'vn Clauecin pour exprimer chaque mode, outre que les chordes peuuent estre plus longues, ou plus courtes, et plus ou moins bandees, et touchees plus prés ou plus loin des cheualets, elles peuuent aussi estre de differente matiere, comme d'or, d'argent, de leton, d'acier, et de boyau, afin que celles qui ont le son de la Harpe seruent au Dorien, celles qui ont le son du Cistre, au Phrygien, et celles de l'Espinette ordinaire ou du Luth au Lidien, et cetera. Mais i'ay traité si amplement de tous les jeux differens de l'Orgue, et de toutes les especes de chordes dans les liures precedens des instrumens, que l'on n'y peut pas, ce semble, adiouster beaucoup de choses. C'est pourquoy ie viens à ce qu'il dit de sa diuision Harmonique propre pour la restitution des Tons, et des modes des anciens dans le six, neuf, onze, et douziesme chapitre, et de l'accord de l'Orgue parfait dans le treiziesme, et dis premierement que la diuision que i'ay expliquee dans la quatre, cinq, six, et septiesme Proposition du troisiesme liure des Genres comprend la sienne, et sert pour l'entendre parfaitement, comme les Clauiers de la vingt-deux et vingt-troisiesme Proposition du liure des Orgues, contiennent et font entendre celuy qu'il descrit dans l'onziesme chapitre, où il desire que les rangs des touches soient distinguez par des bois de differentes couleurs pour esuiter la confusion, par exemple, que les vnes soient blanches, les autres noires, rouges, iaunes, et cetera.
Ie dis en second lieu, que tout son liure merite d'estre leu tout entier, tant pour connoistre en quoy consiste la difference des tons et des modes des Grecs, et ce qui manque à la Musique moderne, que pour apprendre la signification de plusieurs vocables Grecs, qui appartiennent à cet Art, comme l'on voit dans son discours de la perfection de la Melodie. Or ie veux acheuer ce liure par les Eloges des hommes qui ont esté illustres dans la Musique, entre lesquels l'Autheur de cet excellent Traité des Tons et des Modes a l'vn des premiers rangs, que ie luy ferois tenir si sa grande modestie ne m'en empeschoit, et si son Eloge ne meritoit vne meilleure plume que la mienne.
[-60-] ADVERTISSEMENT.
Encore que l'estenduë de la Musique soit extrémement esloignee de celle de la Geometrie, et des autres sciences les plus sublimes, elle est neantmoins capable de plusieurs inuentions assez subtiles, comme il est aisé de conclure par toutes les considerations que i'ay touchees dans les liures precedens. Or si l'on compare le son des chordes à celuy des tuyaux, et des fleutes, et que l'on rencontre vn instrument à chordes, qui desguise tellement les sons, qu'il ne soit pas quasi possible de les distinguer d'auec ceux des instrumens à vent, l'on aura peut estre l'vn des plus signalez effets de la nature, et de l'Art. Ce qui arriue au Clauecin, qui fait tellement ioüer vn Concert de Violes, qu'on ne peut le distinguer d'auec vn jeu d'Orgues, quoy que les differentes manieres de la toucher luy fassent imiter les Violes, et l'Orgue.
Plusieurs ont trauaillé à l'inuention de cet instrument, tant en Allemagne, et en Italie, qu'en France, et i'en ay veu dans les pays estrangers auec des roües, sur lesquelles les chordes sonnoient. Mais quant à l'archet, que plusieurs se sont imaginé, sans qu'ils l'ayent peu mettre en pratique, à raison des grandes difficultez qui s'y rencontroient, ie n'ay point connu que l'on en ait vsé, du moins en France, iusques à maintenant, que Pierre Hubaut en a inuenté l'vsage si facile, qu'il est peut estre impossible de le rendre plus aisé, tant à cause du simple mouuement qui fait mouuoir l'archet sans fin, qu'à raison de l'indifference qu'il laisse dans l'instrument, soit pour l'allonger, et l'accourcir, et pour d'autres circonstances fort considerables, que pour y adiouster tant de douceurs, de tremblemens, de martelemens, de tenuës, d'appuis, et d'autres ornemens, et enrichissemens que l'on voudra. Il a semblablement inuenté les tuyaux, qui prononcent les cinq voyelles, et est capable d'y adiouster la prononciation des consones, et des syllabes. Or si l'on y met les syllabes, ils pourront prononcer tout ce que l'on voudra, sans qu'il soit besoin de les toucher, puis qu'vn ou plusieurs barillets peuuent suppleer la main de l'homme. Mais parce que ces deux instrumens sont mal-aisez à porter, il est facile de mettre les trois Genres de Musique sur le manche du Luth, car les degrez Enarmoniques auront aussi bien leurs touches que les Chromatiques, puis que les moyennes proportionnelles donnent tout ce qui est necessaire pour ce sujet. Surquoy il faut remarquer que les touches Enarmoniques se peuuent toucher par le moyen du pouce de la main gauche, en poussant de petits ressorts, comme ie feray voir à ceux qui en voudront vser: et si quelques-vns desirent sçauoir la maniere de toucher vn Concert entier de Violes à quatre, cinq, et six parties sur l'Espinette, ie leur en donneray le modelle, aussi bien que des Orgues qui parlent. Or apres auoir parlé de toutes sortes d'instrumens, il est raisonnable d'en offrir tous les sons à celuy qui en est l'Autheur, afin que l'harmonie ne soit pas ingrate, et qu'elle en rende l'honneur à celuy dont elle a receu tout ce qu'elle a, luy offrant la conclusion des 150 Psalmes, comme le sacrifice d'vne eternelle loüange, à sçauoir,
OMNIS SPIRITVS LAVDET DOMINVM.
[-61-] PROPOSITION XXXI.
Donner les Eloges des hommes illustres dans la Theorie, et la Pratique de la Musique.
CETTE Proposition seruira de commencement à vn iuste volume de la vie et des Eloges de ceux qui ont excellé dans la Theorie, et dans la Pratique de la Musique, car chacun pourra donner le portrait, et les actions les plus remarquables de ceux qu'il aura connu: par exemple, les Italiens qui sçauent la vie de Ioseph Zarlin, et les Hespagnols, qui sçauent celle de Salinas, pourront escrire leur vie, et ainsi des autres; et si l'on auoit les portraits de Iubal, en faueur duquel i'ay fait la grande question de la Musique sur le 21 verset du 5 chapitre de la Genese, et ceux d'Orphee, de Timothee, et des autres que celebre l'antiquité, l'on pourroit les ioindre auec ceux qui semblent auoir restitué la Musique depuis cent, ou deux cens ans, par exemple, auec ceux d'Adrian le Vieillard, dont l'ouurage a seruy d'idee aux plus grands Maistres pour la composition: car l'on tient qu'Eustache du Caurroy en a puisé vne bonne partie de l'Art de son contrepoint. Mais Orlande a esté l'vn des premiers qui a donné la plus grande quantité de toutes sortes de compositions, que l'on trouue chez le sieur Ballard Imprimeur de la Musique du Roy, à sçauoir cinq liures de Motets à 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10, et 12 parties; trois liures de meslanges de chansons à plusieurs parties; douze motets et autant de fantasies à deux parties: 22 Messes à 4, 5, 6, et 8 parties, que l'on chante encore souuent dans les Eglises Cathedrales, et dans les autres: deux liures des huit tons de Magnificat à quatre parties, et vn à cinq. Les leçons de Iob, et les Lamentations de Ieremie à quatre et cinq parties; les 7 Psalmes penitentiels à 3, 4, et 5 parties, et plusieurs autres pieces de Musique imprimees en d'autres pays.
Claudin le Ieune qui a vescu en mesme temps que du Caurroy, a particulierement reussi à donner de beaux chants à la lettre dont il s'est seruy, et a vsé de quantité de mouuemens, qui rendent sa Musique gaye, c'est pourquoy elle est en grand vsage dans les Concerts ordinaires des Violes, et des voix.
Il a laissé deux liures de meslanges de chansons, les douze modes sur les Psalmes, les douze modes sur les Octonaires, les Psalmes en vers mesurez sur les paroles de Baïf, les 150 Psalmes en simple contrepoint, les 150 Psalmes à trois parties, et vne Messe. Mais entre tous les François qui se sont employez à cet Art, il semble que du Caurroy emporte le prix pour la grande harmonie de sa composition et de son riche contrepoint, comme l'on peut voir dans ses deux liures de Motets, dans le meslange des Chansons, et des Noels, dans ses fantasies, et dans ses trois Messes à quatre, et celle qui est à cinq; c'est pourquoy ie me suis seruy de ses compositions à simple contrepoint dans le 4 liure de la composition, comme d'autant de leçons pour enseigner à composer.
Or puis que tous les Compositeurs de France le tiennent pour leur Maistre, ie croy qu'ils prendront plaisir à chanter le Canon qui suit à six parties à son intention, puis qu'il l'a fait pour les deffuncts, et qu'il n'a point encore esté imprimé.
[-62-] Canon d'Eustache du Caurroy in Diapente, Diatessaron, et Diapason à six parties.
[Mersenne, Percussion, 62; text: SVPERIVS. CONTRA. TENOR. BASSVS. QVINTA-PARS. SEXTA-PARS. PIe Iesu Domine: dona eis requiem.] [MERHU3_7 08GF]
Or ie mets icy le seul Eloge de Iacques Mauduit, parce que ie l'ay connu plus particulierement qu'aucun autre, et que i'ay remarqué des vertus tres-singulieres en sa vie, tant afin qu'on l'imite, que pour prouoquer ceux qui sont tesmoins des vertus de quelques autres excellens Musiciens, à donner leurs vies, leurs Eloges, leurs portraits, et leurs ouurages, et pour rendre à la vertu ce qu'elle merite, suiuant l'exhortation que nous en fait l'Ecclesiastique dans le 44. chapitre, par ces paroles, Laudemus viros gloriosos, apres lesquelles on peut mettre, In peritia sua requirentes modos musicos, et narrantes carmina scripturarum.
Quant aux autres Musiciens, ceux qui sont heritiers de leur science, et de leurs moyens, pourront faire leurs Eloges, si bon leur semble, par exemple, celuy de Guedron, qui a donné le commencement aux Airs sçauans, en ioignant les beaux mouuemens à la melodie.
[-63-] Eloge de Iacques Mauduit excellent Musicien.
[Mersenne, Percussion, 63; text: IACOBVS MAVDVIT PARI MVSICAE PATER, Hic nouus Amphion Gallis nouus audit Apollo Cantus et fidium restituisse melos. Vix oculos pictor vix frontis adumbrat honorem: Quis cultum Aonijs artibus ingenium? De la Rochemaillet, 1633. Matheus fecit. Eygrick Hisckena pinxit.] [MERHU3_7 09GF]
IACQVES Mauduit, issu de noble famille, nasquit à Paris le 16 Septembre 1557, et fut baptisé sur les fonds de Saint Landry. Son enfance fut instruite dans la foy Catholique de ses ancestres, et sa ieunesse heureusement employee à l'estude des lettres humaines, et de la Philosophie. Il fit en suite plusieurs voyages, et notamment en Italie, d'où il reuint sçauant en la langue, à laquelle il ioignit l'Hespagnole, et quelques autres du Septentrion, dont, auec celles qu'il auoit apris au College, il se seruit à l'intelligence des bons Autheurs. Son esprit subtil et curieux ne laissa point de science dont il ne peust discourir pertinemment, sans en exclure les Mechaniques. Il s'adonna particulierement, et d'vn si grand soin à la Musique, sans autre secours que des liures, et se perfectionna tellement en tous ses Genres, que la France dés son viuant l'honora du surnom de PERE DE LA MVSIQVE, et auec raison, parce que luy seul a comme engendré la belle Musique en France par l'excellence de plusieurs ouurages, et des Concerts composez de voix, et de toutes sortes d'instrumens harmoniques, ce qui n'y auoit point esté pratiqué auant luy, du moins si parfaitement. C'est là que l'on a veu des gens de toutes qualitez qui s'exerçoient tres-volontiers sous la iustesse de sa mesure. Son merite luy donna place dans l'illustre Academie du docte Baïf, que Charles IX protecteur de Parnasse honoroit ordinairement de sa royale presence, et dont i'ay descrit les loix dans la page 1683 de mes Commentaires sur la Genese. Or tant de Poëtes qui florissoient alors ne sembloient produire leur gentillesses que pour les faire viure sous les Airs de Mauduit.
La premiere piece qui fit paroistre la profonde science de ses accords, fut la Messe de Requiem, qu'il mit en Musique, et qu'il fit chanter au seruice de son amy Ronsard, en la celebre assemblee de la Chappelle du College de Boncourt, où le grand du Peron se fit admirer par l'Oraison funebre de ce prodigieux Genie de la Poësie.
Cette Messe fut du depuis celebree sous sa conduite dans le Petit Saint Antoine, au bout de l'an de l'inuincible Henry le Grand; et pour la troisiesme et derniere fois son fils aisné Louis Mauduit la fit dire au bout de l'an de l'Autheur mesme [-64-] son pere, dans nostre Eglise de la Place Royale, où i'eus l'honneur d'offrir a Dieu le saint Sacrifice à l'intention de cet excellent personnage, le tout auec l'applaudissement d'vne grandissime affluence de peuple.
Apres la composition de cette Messe, ce grand Musicien composa cet inimitable ouurage pour les trois iours des Tenebres de la Semaine sainte, qu'il a iusques à la fin de sa vie fait chanter dans le mesme saint Antoine, auec vne satisfaction generale de tous les Auditeurs. Il auoit vne telle creance parmy les gens de Musique, que rien ne s'opposoit à l'ordre qu'il y establissoit, auec vne telle symmetrie des places, qu'il faisoit prendre à tout son monde, qu'elle le faisoit merueilleusement reussir. Il auoit l'oreille si iuste, et si delicate, qu'ordinairement il remarquoit entre quantité d'instrumens sonnans ensemble vne chorde mal accordee, laquelle sans se mesprendre il alloit aiuster, auant mesme que celuy qui la touchoit s'en fust apperceu.
Nous auons encore de luy grand nombre de Messes, de Vespres, d'Hymnes, de Motets, de Fantaisies, de Chansons, et autres pieces, que les orages du siecle priueront pour vn temps de la lumiere. Il n'a iamais voulu s'engager dans les intrigues de la Cour, quoy que plusieurs fois sollicité de ce faire par les plus grandes puissances, afin de couler sa vie paisiblement, et honorablement dans la charge paternelle de Garde du depost des Requestes du Palais, qu'il ne sembloit exercer que pour obliger tout le monde. Il estoit alaigre, et riche de taille, de beau visage, de douce humeur, d'agreable conuersation, de poil chastain, et vn peu chauue. Il auoit la veuë courte, quoy qu'il n'y parust point, parce qu'il lisoit sans lunettes, et de distance ordinaire; mais il ne recognoissoit pas vn visage d'vn costé de ruë à l'autre. Il auoit vne heureuse memoire, et telle qu'il se ressouuenoit du port, du geste, et de la demarche de ceux qu'il auoit veus, ce qui faisoit qu'il ne se trompoit point à leur rencontre, et qu'il les abordoit ou les salüoit d'assez loin, sa reminiscence suppleant au defaut de ses yeux. Il n'a iamais beu de vin, iamais iuré, iamais faiché personne, et tous ceux qui l'ont connu, l'ont chery, et aimé.
Il estoit deuot à Dieu, fidele au Roy, humble aux Grands, courtois aux esgaux, aimable aux inferieurs, secourable aux pauures, prest et prompt à ceux qui auoient besoin de son aide.
Il accueilloit les necessiteux qui sçauoient quelque chose, auec vne franchise, et vne assistance qui les esgaloit à ses propres enfans. Enfin vne longue suite de vertus l'a recommandé dans sa Patrie, et a porté sa reputation au delà mesme de l'Europe. Il faudroit passer les bornes de l'Eloge, si ie voulois particulariser ses merites, mais i'en laisse l'employ à ceux qui seront plus capables d'estaller sa vie, et me contentant de traiter de la partie qui fait à nostre suiet; ie conclus par deux de ses actions aussi pieuses que genereuses, dont la premiere fut quand à la prise des fauxbourgs de Paris, il sortit hazardeusement la ville, courut au logis de Baïf son intime amy auparauant decedé, et à trauers les soldats victorieux emporta les oeuures non imprimees de ce docte personnage, et les sauua miraculeusement d'vn desordre, et d'vn sacagement tel que l'on peut se l'imaginer.
La seconde ne fut pas moins signalee, lors que durant le siege de Paris il sauua les douze Modes de Claudin le Ieune, qui s'enfuyoit par la porte de saint Denis, et les autres oeuures qui n'estoient pas encore imprimees, de sorte que tous ceux qui s'en seruent maintenant dans leurs Concerts, en sont entierement [-65-] redeuables à nostre Mauduit, qui arresta le bras du Sergent, qui les iettoit au feu du corps de garde, car comme il estoit de la Iustice, et reconnu sçauant en Musique, il persuada aisément à la soldatesque de luy remettre le tout entre les mains, laissant immoler à leur zele la confession de foy huguenotte et seditieuse de Claudin, signee de sa main, et fulminante contre la Ligue, qui n'estoit rien moins en ce rencontre, que l'arrest de sa mort, et sans doute prochaine, si Iacques Mauduit ne s'y fut rencontré, qui leur fist entendre qu'il dechiffreroit cette Musique, et connoistroit dans peu d'heure s'il y auoit rien contre le seruice de la ville, et pour ce sujet il demanda le prisonnier pour y estre confronté, ce qu'on luy accorda sur sa preu d'hommie, et à la faueur du Capitaine son amy, auec quelques gardes, qui l'escorterent iusques au lieu de seureté, où il termina cet affaire fort adroitement. Ce fut ainsi que le trauail de ces deux personnages fut sauué par vn troisiesme, que l'on peut dire y auoir donné la derniere main, et en estre le second pere.
Le 21 d'Aoust 1627, au 70 de son aage, il deceda d'vn flux hepatique en sa maison de Paris, ruë des Iuifs, parroisse Saint Geruais, où il est inhumé dans la chappelle de Saint Eutrope, laissant à sa chere compagne quatre garçons, et quatre filles, ausquels, moy present, il donna sa benediction, auec vne exhortation aussi digne de luy que de sa famille, et de l'assistance qui le vit passer Chrestiennement dans les eslans de son ame, constamment dans les douleurs de son corps, et paisiblement dans vn entier repos de sa conscience, apres auoir receu auec toute sorte de reuerence le precieux Viatique, et le dernier Sacrement de l'Eglise, dans laquelle il est nay, il a vescu, il est mort.
Or bien que i'aye donné quelques pieces de Musique de sa façon dans le treiziesme article de la 57 question sur la Genese, à sçauoir En son temple sacré, et cetera qui rauit les Auditeurs, lors qu'il est bien chanté auec les voix et les instrumens; et Iuge le droit, et quelques autres, ie veux icy adiouster la derniere partie de la Messe, dont i'ay parlé cy-deuant, afin que l'on experimente la douceur de sa maniere de composer, et la force d'vne Musique tres-simple, chantee auec deuotion, et que ceux qui l'ont chery durant sa vie, la puissent chanter à son intention, car l'Eglise en a particulierement ordonné la lettre, et le sujet pour inuoquer la misericorde diuine en faueur des deffunts.
Nous esperons que la Messe entiere, l'Office des trois iours de la Semaine Saincte, et plusieurs autres compositions qu'il a fait verront bien-tost le iour, auec les Traitez de la Rythmique, et de la maniere de faire des vers mesurez de toutes sortes d'especes en nostre langue, pour donner vne particuliere vertu et energie à la melodie, que son fils aisné a preparez. Quant aux Eloges d'Adrian le Vieillard, dont les oeuures ont en partie seruy d'idee à du Caurroy, et à ceux des autres excellens Compositeurs, tant d'Allemagne, et des Païs-bas, comme de l'Italie, entre lesquels on met Lucas Marenzio, Fresco Baldi, Claude Montenerde, et plusieurs autres, i'en laisse le soin à ceux qui les ont connus. Et si l'on vouloit parler des nostres, qui viuent maintenant, Monsieur Boisset Surintendant de la Musique du Roy, Monsieur Fremart Maistre de celle de Nostre-Dame de Paris, le sieur Bousignac, et plusieurs autres meriteroient des Eloges particuliers pour l'exellence de leur Art.
[-66-] Requiem à cinq parties
[Mersenne, Percussion, 66; text: SVPERIVS. TENOR. QVINTA-PARS. REquiem aeternam dona eis Domine, et lux perpetua luceat eis. Requiescant in pace. Amen. Domine exaudi orationem meam. Et clamor meus ad te veniat. Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo. Oremus. Fidelium, Deus, omnium conditor et redemptor, animabus famulorum, famularumque tuarum] [MERHU3_7 10GF]
[-67-] composé par Iacques Mauduit.
[Mersenne, Percussion, 67; text: CONTRA. BASSVS. QVINTA-PARS. REquiem aeternam dona eis Domine. Et lux perpetua luceat eis. Requiescant in pace. Amen. Domine exaudi orationem meam. Et clamor meus ad te veniat. Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo. Oremus. Fidelium, Deus, omnium conditor et redemptor, animabus famulorum, famularumque tuarum] [MERHU3_7 11GF]
[-68-] Requiem à cinq parties
[Mersenne, Percussion, 68; text: SVPERIVS. TENOR. QVINTA-PARS. remissionem cunctorum tribue peccatorum: vt indulgentiam, quam semper optauerunt, piis supplicationibus consequantur. Qui viuis, et regnas Deus, per omnia saecula saeculorum. Amen. Requiescant in pace. Amen.] [MERHU3_7 12GF]
ADVERTISSEMENT.
Le sieur Louis Mauduit Prieur de Saint Martin de Bretheucourt, qui a fait grauer le portrait, que l'on voit au commencement de l'Eloge de son pere, au plus pres du naturel qu'il a peu, meriteroit luy mesme vn Eloge particulier, tant pour ses vertus, et les perfections de son excellent esprit, que pour plusieurs autres raisons, que sa modestie m'empesche de mettre icy, mais ie me contenteray pour le present d'adiouster la Paraphrase qu'il a faite du docte Symbole de Saint Athanase, par où l'on iugera aisément de sa capacité, et ce que l'on peut esperer de luy à l'aduenir: afin que les Musiciens, et les autres qui n'entendent pas le Latin, apprennent dans ces vers ce qu'ils doiuent croire des mysteres de nostre foy pour estre sauuez.
[-69-] composé par Iacques Mauduit.
[Mersenne, Percussion, 69; text: CONTRA. BASSVS. QVINTA-PARS. remissionem cunctorum tribue peccatorum: vt indulgentiam, quam semper optauerunt, piis supplicationibus consequantur. Qui viuis et regnas Deus, per omnia saecula saeculorum. Amen. Requiescant in pace. Amen.] [MERHU3_7 13GF]
SYMBOLE DE SAINT ATHANASE.
QViconque des mortels est poussé de l'enuie
D'assoir les fondemens d'vne eternelle vie;
Et sauuer en flotant sur la mondaine mer
Son fragile vaisseau du gouffre de l'enfer;
Il faut premierement que son soin il applique
A suiure le fanal de la foy catholique:
La route où seurement nous conduit sa clarté,
Que chacun garde bien de s'en voir escarté;
Il s'y faut maintenir d'vn train inuiolable;
Y broncher seulement est vn crime damnable,
[-70-] Et celuy qui voudroit renoncer à son cours
Perira pour iamais sans espoir de secours.
La catholique foy qu'icy ie vous propose,
Et qu'on doit constamment tenir sur toute chose,
C'est que nous adorions dedans la Trinité
Vn Dieu, mais de ce Dieu la tres-simple Vnité,
Et que d'vn mesme coeur nous portions reuerance
A cette Trinité sous vne seule essence;
Sans confondre pourtant d'vn trouble iugement
Les personnes qu'on doit distinguer nettement
Sans prendre vne pour l'autre, ou separer encore
La substance des trois qu'vnique l'on adore:
La personne du Pere au seul Pere conuient;
La personne du Fils au Fils seul appartient;
L'esprit saint a la sienne, ainsi tres-apparentes
On les peut remarquer toutes trois differentes;
Mais qui n'ont toutes trois qu'vne Diuinité;
Possedant mesme gloire, et mesme majesté:
Tel qu'est le Pere en tout, le Fils l'est de la sorte;
L'esprit saint à tous deux de tout point se rapporte,
Et tous trois s'accordant par semblables effets,
La iuste esgalité ne les quitte iamais.
Le Pere est increé; le Fils suit sa nature;
Le saint Esprit n'est point non plus qu'eux creature.
Le Pere est infiny; le Fils l'est tout ainsi;
Et comme tous les deux l'esprit saint l'est aussi,
Et le Pere, et le Fils ont vne essence telle
Que celle de l'esprit, sçauoir-est eternelle;
Chacun est eternel, et ne faut toutefois
Croire qu'vn eternel, c'est mal d'en dire trois;
Comme trois incrées ne sont dis, tout de mesme
Trois infinis encor ne le sont sans blasphême.
Le Pere est tout puissant; le Fils l'est tout autant;
Tout-puissant est aussi l'esprit saint, et pourtant
Ce n'est qu'vn tout-puissant, car la toute-puissance
Ne se diuise point en vne triple essence.
Ainsi le Pere est Dieu; Dieu le Fils, et comme eux
[-71-] Est Dieu le saint Esprit, et ne sont point trois Dieux.
Mais vn vnique Dieu; comme il faut reconnoistre
Le Pere estre Seigneur, le Fils encores l'estre;
Le saint Esprit de mesme, et croire absolument
Que ces personnes font vn Seigneur seulement:
Comme la foy chrestienne estroitement ordonne
De croire en verîté que chacune personne
Est parfaitement Dieu, parfaitement Seigneur;
De mesme elle deffaut de porter dans le coeur
La fausse opinion qui veut donner à croire
Trois Dieux, ou trois Seigneurs dans ce nombre ternaire.
Le Pere independant au suprême degré
N'est n'y fait ny creé, ny d'aucun engendré:
Le Fils du Pere seul engendré se peut dire,
Non pas fait; ny creé: Le saint Esprit qui tire
Et du Pere, et du Fils sons estre glorieux
N'est engendré, ny fait, ny creé, mais trop mieux
Des deux esgalement sa personne procede.
Donques la Trinité trois Peres ne possede;
Trois Fils non plus que luy n'y seront point compris;
Et n'y faut point chercher encores trois Esprits:
Vn seul Pere, vn seul Fils, vn seul Esprit y regne:
S'il en faut disputer, que iamais on n'enseigne
Que rien y soit premier, que rien y soit dernier:
Quand à l'esgalité, le Chrestien doit nier
Que rien y soit plus grand, ou que rien y soit moindre,
Mais il faut hardiment ces personnes conjoindre
Sous vne eternité, sous semblable sçauoir:
Sous pareille grandeur, et sous mesme pouuoir:
Si bien qu'il faut en tout soigneusement apprendre,
Comme par cy deuant nous auons fait entendre,
A seruir l'Vnité dedans la Trinité,
Et cette Trinité dans la mesme Vnité.
Qui veut donc du salut suiure l'heureuse voye,
C'est de la Trinité ce qu'il faut qu'il en croye.
Plus, on doit confesser vn Iesus incarné,
Fils de Dieu, l'homme-Dieu, l'homme sur terre nay
[-72-] Du sang, et de la chair de la Vierge sa mere,
Et Dieu deuant les temps engendré de son Pere:
Il est vn Dieu parfait: il est homme parfait
Subsistant de la chair, et de l'ame en effet;
Tres-esgal à son Pere en la diuine essence;
Et bien moindre que luy dans l'humaine naissance:
Bien qu'il soit homme, et Dieu, si fait-il dangereux
De vouloir separer cette vnion en deux:
C'est vn seul Iesus-Christ, non pas que la partie
De la Diuinité soit en chair conuertie,
Mais par l'assomption de cette humanité
Dans le sacré giron de la Diuinité:
Tres-vn, non toutesfois par substance confuse,
Mais par vne vnité diuinement infuse:
Comme l'homme est formé du corps et de l'esprit,
De mesme l'homme et Dieu font vn seul Iesus-Christ,
Qui pour nous racheter a souffert que sa vie
Luy fust sur vn gibet par nous mesmes rauie,
Et qui depuis auoir tout l'enfer visité
S'est le troisiesme iour de mort ressuscité,
Qui monta dans les cieux, s'assit à la main droite
Du Pere tout-puissant, d'où sa iustice estroite
Viendra iuger les vifs aussi bien que les morts;
A son auenement les hommes en leurs corps
Seront ressuscitez, et rendront tesmoignage
Chacun contre soy-mesme, et de son propre ouurage:
Tous ceux qui produiront des actes approuuez
Se verront pour iamais heureusement sauuez:
Et ceux de qui seront les oeuures criminelles
Seruiront de pasture aux flammes eternelles.
Qui n'aura fermemement cette foy pour son but
Ne doit point au grand iour esperer de salut.
FIN.
[-73-] Fautes de l'impression, et quelques aduis.
ENCORE que i'aye remarqué plusieurs choses dans les Prefaces particulieres, qu'il faut lire auant chaque Traité, et particulierement la correction des fautes de l'impression, il est necessaire d'adiouster celles qui suiuent, afin que chacun les puisse corriger dans son exemplaire, auant que de le lire: Or ie prie le Lecteur de corriger toutes les autres qu'il y pourra rencontrer, outre celles que ie mets icy, en commençant par les Epistres liminaires, et les Prefaces:
il faut donc lire ta pour sa dans le second vers de l'Epistre du Traité des Sons:
Dans celle du Traité de la Composition lisez contraigniez:
Dans celle des Instrumens à chordes, au 5 vers lisez, Que ta magnificence estonne:
et dans la seconde page de la Preface, il faut remarquer que le petit Parangon, le gros Cicero, et la Sedanoise y manquent.
Page 10 ligne 38. partie.
page 15 ligne 14 Tadon, et puis il faut accommoder tout ce qui appartient à la vitesse du son, et aux longueurs des lignes vocales de l'Echo dans tout le premier liure des Sons, suiuant la 21 Proposition du 3 liure des Mouuemens.
page 63. lignes 3, 7, 10, 12, 13 et 16 lisez B pour E.
Dans le second liure des Mouuemens, il faut lire 143 dans la seconde ligne des fautes mises à la fin de la Preface, au lieu de 243.
page 89 ligne 8 E pour le premier C.
page 90 ligne 15 s'est fait deuant, pour ce fait,
page 92 ligne 6 vne,
ligne 35 ou pour uo,
page 93 ligne 16 marque pour manque,
ligne 28 effacez qu'elle va,
page 94. ligne 17, 4 pour 3,
ligne 18, 6 pour 5,
ligne 24 demi-cercle pour demi-diametre,
ligne derniere prenne pour prouue,
page 95 effacez de la penultiesme ligne, à sçauoir mesure que l'arc approche de la ligne horizontale 90,
page 96 ligne 19 apres heures, adioustez de la surface de la terre iusques,
page 98 ligne 14 apres A lisez C,
ligne 30 apres proportion lisez des vitesses,
page 99 ligne 10 mettez 3 pour 1,
ligne 12 lisez 3" et non 3'",
page 101, ligne 32 apres souuent lisez par exemple si l'on veut sçauoir le 120 nombre impair, et effacez dont,
ligne 33 apres 239 lisez par le 120 nombre impair,
ligne 34 apres 3 lisez, pour auoir 717 pieds que fera le poids dans la 120 demie seconde,
page 106 ligne 23 il pour qu'il, et tout de mesme, page 108 ligne 34,
page 109 ligne 11 apres est lisez au temps de,
page 112 ligne 19 qu'il pour qui,
page 127, 5 lignes prés de la fin, 8 pour 7,
pages 129 et 130, par tout où il est dit que la boule de sureau de mesme grosseur que celle de plomb pese 360 moins, il faut lire 193, et par consequent il faut effacer de la 26 ligne de la page 130 ou qu'il en faille 360 fois aussi gros pour peser autant que ladite bale de plomb, car l'experience faite auec des balances tres-iustes, monstrent qu'il n'en faut que 193 fois aussi gros: quant à la bale d'or, elle est à celle de sureau comme 321 à vn, et au plomb comme à 193, et à l'eau de Seine comme à 19,
page 131 dans la Proposition, Phenomenes,
page 132 ligne 23 apres courbe, lisez qu'en B prolongé,
ligne 26 effacez est,
ligne 34 apres D lisez ou ID,
page 133 ligne 28 H pour B,
ligne 45 G pour B,
page 134 ligne 32 apres dans lisez le,
page 135 ligne 27 pour auec le lisez ou,
page 143 ligne 40 merueilleusement.
Page 147 ligne 4 poids pour points,
ligne 20 moindre pour moyenne,
ligne 39 apres l'autre lisez par,
ligne 41 effacez elles,
page 148 ligne 18 apres B adiuostez celuy,
ligne 19 C pour E,
ligne 20 apres que adioustez la tangente,
page 149 ligne 14 effacez ne,
ligne 24 K pour H.
Page 156 ligne 4. parallele pour perpendiculaire,
ligne 13 B pour E,
ligne 14 E pour B, ligne derniere, apres dans adioustez le.
[-74-] Au 3 liure des Mouuemens,
page 227, ligne 35 instrumens,
page 208 lignes 20 et 24 pour 128 lisez 193.
Au Traité des Mechaniques qui suit,
page 29 ligne 37 apres est lisez plus,
page 35 ligne derniere qu'il pour il,
page 36 à sept lignes prés de la fin à pour et,
à cinq lignes pour et lisez est.
Au liure de la Voix, en la Preface
page 17 ligne 28 ne change pas de ton, au lieu, n'en change pas que le ton,
page 18 lisez sans virgule, aiguë de mesme maniere, et puis mettez la virgule,
page 25 ligne 13 au lieu de [kappa] escriuez [chi],
page <3>0 ligne 30 peut au lieu de pour,
page 35 ligne 33 science,
page 41 ligne 3 soient pour doiuent estre,
page 78 ligne 14 neantmoins, pour et,
page 83 ligne 24 esloignemens,
page 86 ligne 1 toute pour mon,
page 100 ligne 9 apres si mettez ce,
page 158 lignes 32 et 33 interualle pour inle,
page 179 ligne 23 proceleumatique,
Quant aux fautes des liures de la Composition, il faut corriger bien exactement toutes celles qui suiuent, outre les autres que i'ay marquees à la fin de la Preface du Traité des Genres.
page 56 ligne 29 effacez le second que.
Et si l'on doubloit seulement l'vn de ces termes, par exemple trois, l'on auroit six, qui feroit la Douziesme auec deux.
page 77 ligne 2 apres veux, adioustez pas,
page 79 ligne 21 apres estre adioustez esgalement.
page 126 ligne 22 pour Quarte lisez Tierce majeure,
Page 133 ligne 29 majeur au lieu de mineur.
[Mersenne, Percussion, 75] [MERHU3_7 09GF]
Page 162 ligne antepenultiesme Sexte pour Septiesme,
Page 180 ligne 6 dessous pour dessus,
ligne 24 pour Quarte en haut lisez Quinte,
Or pour ioindre la troisiesme espece de Quarte à la premiere espece de Quinte, il faut adiouster vn B mol deuant la penultiesme note d'en haut.
La seconde et quatriesme espece ne sont pas prises par quelques-vns pour especes particulieres, à raison de leurs accidens: et la trois, cinq, six, sept et huictiesme ne sont pas en pratique, ioint que l'on n'a pas coustume de mettre le B mol sur G, D, ou A. Quoy qu'il en soit, ceux qui n'aiment pas la nouueauté peuuent laisser cette 15 Proposition et passer aux autres, car ie n'ay pas intention d'obliger aucun à suiure mes sentimens, comme i'ay desia dit plusieurs fois.
Page 185 ligne 12 il faut adiouster dans le premier, deux, trois deuant 7.
Page 220 ligne 43 lisez dixiesme.
Page 221, comme il faut lire, au lieu de 231,
Page 263 ligne 35 majeur
ligne 38 lisez d'vne Tierce mineure pour d'vn ton majeur, ligne 41 lisez huit pour neufiesme,
page 265 ligne 9 lisez quatriesme pour neufiesme,
Page 273 ligne 24 apres milieu, adioustez ce qui conuient aussi au 10 mode son plagal.
Page 280 ligne 15 prés de la fin, lisez vnziesme,
Page 281 au commencement lisez second pour mesme.
Page 282 ligne 20 apres le escriuez simple, et effacez figuré.
Quant aux liures des Instrumens, l'on a souuent manqué à y mettre les vrais nombres au haut des pages, par exemple les mesmes nombres du cayer H, qui n'a que deux fueilles, sont encore repetez au cayer suiuant auec la mesme lettre H. Ils manquent aussi au cayer P, qui n'a que deux fueilles, car il saute de 164 à 169, quoy qu'il n'y ait point de fauet au discours.
Page 80 ligne six mettez le charactete ainsi <>.
Page 87 reglet cinq, mesure quatre, et lettre six, ostez le point de dessous.
L'on peut voir d'autres instrumens des Indes dans l'Histoire Orientale, et Occidentale, car ceux de laua disposent leurs cannes et leurs bassins comme nos tuyaux d'Orgues, ou nos Cloches, pour faire leur Musique, dans la troisiesme partie de l'Inde Orientale: d'où l'on peut conclure que l'Harmonie est receuë et vsitee dans tous les endroits de la terre.
S'il y a quelques fautes dans le liure des instrumens de percussion, outre la troisiesme ligne GF, qui doit estre mise où est la seconde ED, et la seconde ED où est la troisiesme G, F, et dans les autres liures, outre celles que i'ay marquees, comme il est difficile qu'il n'y en ait, i'espere que le Lecteur les corrigera aisément et charitablement. Or il n'est pas hors de propos d'aduertir que ie n'estimeray pas auoir trauaillé en vain, si l'on prend sujet de nos discours de s'esleuer à Dieu, tant pour le connoistre, que pour l'aymer de plus en plus.
C'est ce que i'espere de ceux que l'amour de Dieu enflamme aisément à la premiere rencontre qu'ils font de ce qui parle de sa bonté, et de ses autres attributs, ou de ce qui porte son charactere en quelque maniere que ce soit.
Or ie desire grandement que l'on n'obmette nulle chose de toutes celles dont on peut prendre l'occasion de s'vnir à nostre Autheur, afin de cooperer auec sa volonté, laquelle est reciproque auec nostre sanctification, voluntas Dei sanctificatio nostra; ce qui merite des meditations tres-profondes.
Or encore que i'aye donné plusieurs manieres de s'esleuer aux choses diuines dans le liure de l'Vtilité de l'Harmonie, ie veux icy adiouster qu'il n'est pas, ce me semble, impossible de puiser des moralitez pour le profit de l'ame, de toutes les parties des Mathematiques, quoy que pures et abstractes, et qu'elles peuuent estre plus vtiles que celles qu'on tire des Histoires naturelles de Pline, de Plutarque, et des autres semblables Autheurs, à raison qu'elles ont leur fondement plus inebranlable, et que nul, quoy qu'opiniastre, ignorant, ou sçauant, ne peut rien reprendre auec raison dans le sujet de telles moralitez, [-78-] dont plusieurs n'auront pas desagreable d'en voir icy des exemples pris de l'Euclide.
Essay des Moralitez tirees de la pure Mathematique.
Si l'on vouloit faire vn Euclide Chrestien, on pourroit commencer par sa premiere definition, qui pose que le point est ce qui n'a nulle partie, et dire qu'elle conuient mieux à Dieu qu'à nulle autre chose, d'autant qu'il n'y a rien que luy, qui n'ait des parties, puis que les Anges mesme en ont de Metaphysiques, car ils sont composez d'actes, et de puissances, d'essence, et d'existence, et subsistance; et de substance et d'accidens. Mais Dieu est le seul et le vray point Methaphysique, qui n'a nulles parties, dont les trois degrez d'estre celuy qui vegete simplement, celuy qui sent, et celuy qui raisonne et qui entend, ne dependent pas moins que les trois especes de quantité du point; et comme le solide est la perfection, et la fin de la surface, et de la ligne, de mesme le degré de raison est le fruict, et la fin de l'estre vegetatif, et sensitif.
Et bien que le point n'ait nulle partie, il n'y a que luy seul considerable dans toute sorte de quantité, laquelle n'est qu'vn pur neant sans luy, car si l'on oste tous les points de la quantité, il est necessaire qu'elle perisse: ce qui a fait conclure à plusieurs, qu'elle en est composee; et que chaque quantité en a vn nombre infiny: d'où il s'ensuit que les infinis sont plus grands les vns que les autres, en raison donnee, de sorte qu'ils sont comparables en autant de sortes que les finis, c'est pourquoy les propositions fondees sur l'incommensurabilité demeurent en leur entier.
Or si l'on considere les creatures dans leur origine, il est difficile de se les imaginer auec quelque perfection, ou subsistence, et realité distincte de Dieu; d'où il peut arriuer que l'on s'imagine qu'il n'y a point d'autre perfection és creatures, que celle de Dieu, comme l'on s'imagine qu'il n'y a rien autre chose dans la quantité que les points: et si l'on ne peut comprendre cecy, l'autre est encore plus difficile, de maniere qu'on peut dire en ce sujet auec le Psalmiste, abyssus abyssum inuocat.
Quoy qu'il en soit, le monde intelligible, ou archetype, tel qu'il est dans les idees diuines, n'est pas différent de l'estre diuin; mais la grande difficulté consiste à sçauoir comme il l'a rendu visible, et assujetty au temps, et au lieu: surquoy l'on peut remarquer la definition qu'Aesculape enuoya au Roy Ammon, [kai panta onta ton hena, kai hena onta ta panta], que toutes choses ne sont qu'vne, à sçauoir dans l'idee de Dieu.
La seconde definition enseigne que la ligne est le flus, ou le mouuement du point: Or si les Contemplatifs consideroient attentiuement comme elle depend du point, dans lequel elle peut rentrer par vn mouuement esgal et contraire au precedent, ils ne verroient quasi rien en eux que Dieu seul, dans lequel ils rentreroient volontairement, en s'aneantissant eux-mesmes comme la ligne qui quitte son exterieur pour s'abysmer dans l'interieur du point, lequel est sa source et son origine.
L'on peut encore s'imaginer que Dieu, comme vn point infiniment lumineux, enuoya toutes les creatures, comme autant de rayons, par des lignes droites; et qu'il n'y a que la seule imperfection, et la malice qui les courbe, et leur fasse suiure mille chemins esloignez de la rectitude: ou si l'on suppose qu'elles soient [-79-] semblables à des circonferences de cercle lors qu'elles sortent de sa puissance, en qualité d'effets, afin qu'il leur imprime le charactere de la sphere, à laquelle on le compare, quand on dit qu'il est vne sphere, dont le centre est par tout, et la circonference en nul lieu, l'on peut dire qu'elles quittent leurs encyclies, et leurs cercles, lors qu'elles ne reconnoissent pas leur Autheur, et qu'elles suiuent la ligne droite, qui s'esloigne tousiours de son principe sans iamais y pouuoir retourner: d'où l'on conclud que le mouuement droit est quasi inutile au monde en comparaison du circulaire: quoy que quelques-vns croyent que la ligne droite infinie, et son mouuement droit conuient auec le mouuement circulaire infiny.
Ie laisse les autres definitions qui sont tres-aisees à moraliser, comme les deux precedentes, afin d'adiouster quelques autres exemples pris des communes notions, et des Propositions.
La premiere commune pensee monstre que les choses qui sont esgales à vne mesme sont esgales entr'elles; ce qui sert aux Theologiens pour prouuer l'esgalité des trois personnes diuines, dont chacune est esgale, ou plustost mesme chose auec Dieu: et l'on peut dire que la force de toutes sortes de syllogismes, et de raisonnemens en depend, quoy qu'ils soient composez de trois termes differens, parce que la distinction se rapporte, et se resout en dernier ressort à l'vnité, à l'identité, ou à l'esgalité: c'est pourquoy les premieres Propositions d'Euclide commencent par la consideration de l'esgalité, sur laquelle est fondee toute sorte d'analysie. Certes si l'on veut comparer chaque creature auec chaque figure, l'on trouuera qu'il n'y en peut auoir vn plus grand nombre des vnes que des autres, comme il est aisé de prouuer par les inscrites, ou circonscrites dans le cercle, lesquelles sont infinies en puissance, quoy qu'il les contienne toutes euidemment, et peut estre actuellement, comme Dieu contient toutes les creatures; de sorte qu'on peut dire que comme le point demeure tousiours, quoy que les figures se passent, que Dieu ne se change nullement, quoy que les creatures, comme autant de figures, s'alterent, et se changent, suiuant ce verset, praeterit figura mundi huius, tandis que nous protestons le contraire en parlant de Dieu, lequel est le vray nunc permanent, et le point metaphysique, tu autem idem ipse es, et anni tui non deficient: c'est donc ce point, dans lequel nous deuons nous efforcer de rentrer le plus souuent qu'il nous est possible, auec vne perpetuelle attention aux inspirations, par lesquelles il nous attire à soy, comme auec autant de consonances, pour nous faire gouster la douceur de son concert, suiuant ce verset, gustate, et videte, quoniam suauis est Dominus; c'est ce vray Orphee qui nous attire si puissamment par les sons qui ne s'entendent qu'à l'interieur, et dans l'esprit, qu'il ne reste plus qu'à dire, psallam et intelligam in via immaculata, quando venies ad me.