TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: MERHU3_5 TEXT
Author: Mersenne, Marin
Title: Livre cinqviesme des Instrvmens a vent
Source: Harmonie Universelle, contenant la theorie et la pratique de la musique, 3 vols. (Paris: Sebastien Cramoisy, 1636; reprint ed. Paris: Centre national de la recherche scientifique, 1965), 3:225-308.
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[-225-] LIVRE CINQVIESME

DES INSTRVMENS A VENT.

ENcore que tous les instrumens de Musique puissent estre appellez à vent, puis qu'il n'est pas possible de faire des sons sans le mouuement de l'air, qui est vne espece de vent, neantmoins l'on a coustume de donner ce nom à ceux que l'on embouche, ou que l'on fait sonner auec des soufflets, afin de les distinguer d'auec ceux qui vsent de chordes, ou que l'on bat comme le Tambour. Or i'ay voulu faire vn liure particulier de ces instrumens, à raison de leur grande multitude, et des difficultez particulieres qui se rencontrent dans leurs proportions, et dans la maniere dont il en faut vser pour faire toutes sortes de sons, afin que ceux qui les preferent aux instrumens à chorde, y trouuent dequoy se contenter, et que la confusion ne s'introduise pas dans nos traitez. Mais auant que d'expliquer les instrumens à vent, il faut dire ce que c'est que le vent dont on vse pour en sonner, ce que ie fais dans la premiere Proposition.

PREMIERE PROPOSITION.

Expliquer la nature du vent, qui sert pour faire sonner les instruments à vent, et si l'on peut vser d'eau au lieu de vent pour ce suiet.

IL est certain que les instrumens (dont nous parlons) peuuent sonner auec toute sorte de vent, soit qu'il ne vienne d'ailleurs que de la simple émotion de l'air, comme celuy des soufflets qui seruent aux Orgues, et aux Musettes, ou qu'il soit meslé de vapeurs et de l'eau, comme celuy de la bouche, lequel est si plein d'eau, que les anches et les canaux des instrumens en deuiennent tous moites et moüillez. Or encore que les vents viennent d'en-haut, ou d'en-bas, ou de tel autre costé que l'on voudra, et qu'on les excite auec les Aeolopiles, auec la poudre à canon, le salpestre, ou de telle autre maniere que l'on voudra, ils ne sont pas differens du mouuement de l'air, qui peut estre consideré en deux manieres, à sçauoir en sa pureté et auec le meslange des vapeurs et des exalaisons qu'il contient ordinairement dans l'atmosphere, ou l'estenduë qui reçoit les vapeurs, soit qu'elle aille aussi haut que les plus grandes montagnes, (comme est celle de Tenerif, dont le pied commence à la ville de Garachico, d'où il faut cheminer deux iournées et demie pour arriuer au haut) ou qu'elle soit plus ou moins grande.

Quant à la pureté de l'air, l'on peut dire qu'elle commence où finit l'estenduë desdites vapeurs, et qu'elle finit à l'atmosphere des Planettes, quoy que nous ne sçachions pas si ledit air est trop rare et trop delié pour produire des sons, si ce n'est que l'on en iuge à proportion de celuy qui est eschauffé par le feu, et qui est rarefié par les rayons du Soleil, qui s'amassent dans le foyer des [-226-] miroirs paraboliques et des spheriques: car si les rarefactions sont semblables, il n'y a nul doute que l'on peut sonner des instrumens dans tous les endroits de l'air, où ils peuuent subsister sans estre consommez par l'ardeur de la flamme. Mais on ne sçait pas encore si la nature de l'air est differente de celle de l'eau, et s'il n'est autre chose qu'vne eau rarefiée, ou s'il est composé de tous les petits corps qui exhalent, et qui s'esleuent de tous les grands corps du monde, et particulierement de l'eau et de la terre: de mesme que l'on peut dire que le corps de chaque animal exhale vne certaine quantité de vapeurs tout autour de soy, qui font son atmosphere, semblable à celle de l'aymant, qui remplit sa sphere d'actiuité d'vne quantité de rayons magnetiques: d'où l'on peut tirer la raison de plusieurs vertus particulieres des plantes, et des animaux qui seruent, ou nuisent à la santé, comme il arriue que le raisin pourry gaste les autres, suiuant ce vers,

Vuâ conspectâ liuorem ducit ab vuâ.

Ceux qui croyent que l'air est composé d'atomes, peuuent dire que les instrumens à vent sonnent lors qu'ils sont frappez par vne assez grande multitude de ces petits corps, qui se meuuent iusques à l'oreille des auditeurs, et que si la terre ne les pousse pas plus loin que chaque animal pousse les siens, que la sphere de l'air est fort petite: à laquelle succede le vuide ou l'ether, dans lequel les instrumens ne peuuent sonner. Mais il est plus vray semblable que l'air est continu depuis la terre iusques au firmament, et peut-estre par de là iusques à l'infiny, où iusques où il a pleu à Dieu de l'estendre, et que celuy que nous respirons n'est different de l'autre qu'en ce qu'il est meslé de plusieurs corps heterogenes, que l'on appelle vapeurs et exhalaisons, lesquelles sont peut-estre autour de la Lune, du Soleil et des Estoilles, comme autour de nostre terre, laquelle nous metterions entre les Planettes, si nous estions dans le Soleil, ou dans Mars.

Reste maintenant à considerer si l'eau peut seruir pour faire sonner ces instrumens; ce qui est tres-aysé à resoudre par l'experience, qui monstre qu'il n'est pas possible de les faire parler, de quelque maniere qu'on les embouche entre deux eaux, car ils ne font nul son lors que leur lumiere, ou leur emboucheure est enfoncée dans l'eau, qui peut seulement seruir pour les faire gazoüiller et fredonner, quand la lumiere est hors de l'eau; comme il arriue aux petits instrumens dont on vse pour imiter le chant du Rossignol, ou des autres oyseaux, parce que le vent que l'on pousse s'insinuë dans l'eau, et la fait sousleuer en quantité de petites particules, qui sont cause de la diminution, et des tremblemens et martelemens du son.

PROPOSITION II.

Expliquer de combien il y a d'especes d'instrumens à vent, et quel est le plus simple de tous.

L'On peut diuiser ces instrumens en plusieurs manieres, dont i'en expliqueray icy les principales, par exemple, on peut leur donner le mesme ordre qu'ils tiennent dans l'vsage ordinaire, en ioignant ensemble ceux qui seruent à vn mesme concert, ou celuy des temps esquels on les a inuentez, ou celuy du nombre de leurs trous, et cetera de sorte qu'il importe fort peu quel ordre l'on suiue, pourueu que l'on en entende la fabrique, la proportion et [-227-] l'vsage. Or i'explique premierement ceux qui n'ont qu'vn trou, et puis ceux qui en ont deux, trois, ou plusieurs; et parce qu'entre ceux qui n'ont que deux, trois, ou plusieurs trous, les vns ont des bocals, ou bouquins, que l'on peut appeller emboucheures, et les autres des tampons, des lumieres, ou des anches, ie parleray premierement de ceux-cy, et puis des instrumens à bocal: mais ie ioindray ceux que l'on embouche à costé par vn simple trou, auec ceux qui vsent de lumiere, laissant neantmoins à chacun l'entiere liberté de les disposer autrement.

Quant au plus simple instrument, il est mal aysé de le determiner, car il semble d'vn costé que la Fluste, que l'on appelle Eunuque, et les autres qui rendent seulement la voix qu'ils ont receuë, par exemple les pots cassez, les coquilles, et les autres corps concaues, dans lesquels on parle pour renforcer la voix, sont les plus simples de tous, et d'ailleurs que l'on doiue attribuer cette simplicité à ceux qui n'ont qu'vn seul trou, comme il arriue aux flustes de Pan, dont vsent les Chaudronniers, aux petits sifflets, aux clefs percées, à l'vne des mains iointes, ou à toutes les deux qui seruent de sifflet, et à plusieurs apeaux, ou pipets dont on vse pour appeller et pour prendre les oyseaux. A quoy l'on peut adiouster que les chalumeaux de paille sont tres-simples, et qu'il n'y a nul instrument plus rural ou champestre, ny qui soit plus aysé à faire, si ce n'est qu'on leur prefere les cornes de boeuf et de belier, ou des autres animaux, dont ie parleray dans le discours des Cors de chasse.

Ie laisse plusieurs sons que produisent les vents à la rencontre des rochers, et des autres corps, parce qu'ils ne sont pas dans nostre disposition, et qu'ils ne peuuent seruir à la Musique, encore qu'il puisse arriuer qu'ils fassent toutes les parties d'vn concert par le moyen de plusieurs trous, qui se rencontrent quelquefois dans les rochers, et dans les montagnes: de sorte que l'on peut se tromper en s'imaginant que la douce confusion des sons que l'on oyt pres des bois, des forests, des rochers, des cauernes, et cetera vienne de quelque Musique esloignée.

Ce qu'il faut remarquer afin de ne faire pas passer pour miracle, ou pour prodige ce qui n'est que naturel, et que nostre religion, dont l'essence est si saincte et si veritable, qu'elle est digne de Dieu, ne soit pas mesprisée, lors que l'on veut l'appuyer, ou la confirmer par des actions que les ignorans publient quelquefois pour extraordinaires et miraculeuses, quoy qu'elles n'ayent rien de surnaturel, comme ie fais voir en plusieurs endroits de cet oeuure, qui peut seruir pour destruire la superstition, et pour affermir la vraye deuotion qui consiste particulierement à aymer Dieu de toute nostre affection et nostre prochain, c'est à dire tous les autres hommes, autant que nous mesmes, et à pratiquer toutes les actions que prescrit la vraye Religion, soit du corps, ou de l'esprit, auec la sincerité et la pureté que Dieu desire de la creature raisonnable.

PROPOSITION III.

Expliquer la figure, la matiere, et la proportion de l'instrument que l'on attribuë à Pan, et son vsage.

IL n'est pas necessaire d'auertir les Musiciens, et les Poëtes qu'il n'y a qu'vn seul Dieu, que nous adorons dans l'Vnité de son essence, et dans la Trinité [-228-] des personnes, pour leur faire mespriser les fables qui introduisent le Dieu Pan auec le reste de la Theogonie Payenne, puis qu'ils le sçauent aussi bien que moy, et qu'ils n'ont point d'autre Dieu que le veritable; c'est pourquoy ie ne m'arreste pas icy à descrire les courses, et les progrez de ce Dieu fabuleux: et il n'y a nulle apparence que les Sages de l'antiquité ayent entendu autre chose par ce nom que la nature vniuerselle, ou celuy qui le premier a monstré l'vsage que les roseaux, et les chalumeaux peuuent auoir dans la Musique. Ie laisse les differentes explications que l'on donne à la fable de Pan, et que l'on peut voir chez Noël le Conte, Bacon et les autres, parce qu'il suffit de sçauoir que l'instrument dont nous parlons peut auoir tant de differents tuyaux que l'on voudra, comme l'Orgue, et que si l'on n'en met que quatre, qu'ils representent les quatre elements, comme les sept, ou les huict signifient les sept Planettes auec le 8. ciel; quoy que ie l'aye composé de douze tuyaux, afin de luy donner l'estenduë d'vne Douziesme, comme l'on void aux notes de Musique: de sorte que l'on peut choisir les huict premiers pour l'Octaue, ou les neuf pour les neuf Muses, et cetera.

Vigenere traite fort amplement de Pan dans ses tableaux de Philostrate, où il dit qu'il a inuenté la Fluste à neuf trous, comme Minerue celle d'Allemand, et que les differentes parties de son corps signifient celles de toute la nature, ou de la chymie. Mais si l'on croid Polyaenus, Pan a esté l'vn des Capitaines de Bacchus, et est depeint auec deux cornes en la teste, parce qu'il inuenta les deux cornes dans les armées, c'est à dire la droite et la gauche. A quoy il adiouste, au commencement du premier liure des Stratagemes, qu'il mist les ennemis de Bacchus en desroute auec le grand bruit qu'il feist faire à ses soldats, par le moyen des Echo de la valée où ils estoient, qui multiplierent tellement les cris desdits soldats, que l'armée ennemie en fut espouuantée: c'est pourquoy l'on a dit que l'Echo est aymé de Pan, et que les vaines craintes ont esté appellées terreurs Paniques.

Or l'on peut s'imaginer ces tuyaux auec des lumieres semblables à celles des Flageollets, soit que Pan n'ayt vsé que d'vn simple trou dans chaque chalumeau, ou qu'il y ayt mis des tampons, dont ie parleray apres.

[Mersenne, Instrumens à vent, 228; text: A, B, C, D, E, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12] [MERHU3_5 01GF]

Quant à la matiere de cet instrument, elle peut estre de cuiure et de fer blanc, comme elle est maintenant; ou d'or, d'argent, de bois et de toutes autres choses qui peuuent estre percées et creusées, par exemple, il se peut faire de l'aisle d'vne Oye, en couppant chacun de ses tuyaux par le milieu; ou de verre, de terre cuite, et cetera on l'appelle ordinairement sifflet de chaudronnier, par ce que ceux qui sont de ce mestier en vsent et en sonnent par les ruës. Or l'on peut rapporter [-229-] les tuyaux bouchez des Orgues à cet instrument, qui peut encore estre comparé à plusieurs clefs percées. Le plus grand tuyau A B fait la Douziesme de trois à vn auec le moindre D C, et B D monstre la lame qui est soudée souz les douze tuyaux pour les boucher. E est l'anse par laquelle on le pend. Les douze nombres monstrent les douze trous d'enhaut, et A C signifie la lame, ou la barre qui entoure les trous d'vn costé et d'autre, et qui renforce les tuyaux qui sont tous soudez ensemble souz cette lame.

Quant aux douze notes qui sont sur les six regles, elles monstrent le ton, ou le son de chaque tuyau; et les trois clefs de la Musique, dont la premiere s'appelle de Nature, la seconde de [sqb] quarre, et l'autre de b mol, enseignent qu'il les faut entonner auec ces notes vt, re, mi, fa, sol, re, mi, fa, re, mi, fa, sol, qui respondent a ces nombres harmoniques,

180, 162, 144, 135, 120, 108, 96,   90, 81, 72, 67 1/2, 
60.
 C,   D,   E,   F,   G,   A, [sqb], c,  d,  e,  f,      g.

PROPOSITION IV.

Expliquer les Chalumeaux à vn, ou plusieurs trous, et leur vsage.

[Mersenne, Instrumens à vent, 229; text: A, B, C, 1, 2, 3] [MERHU3_5 01GF]

LEs cinq Chalumeaux ou Flustes qui suiuent sont les plus simples de toutes, d'autant qu'elles n'ont qu'vn, deux, ou trois trous, dont la premiere à main gauche est faite de l'escorce de saule, ou de quelqu'autre arbre, laquelle on leue quand il est en seve: de sorte que l'on en fait vn chalumeau qui est ouuert tant en haut qu'en bas, comme l'on void en A B. La seconde fluste n'a point d'autres trous que celuy d'en haut par où on l'embouche marqué d'A, celuy d'en bas marqué par B, et celuy de la lumiere marqué par C: or ces deux flustes ne peuuent faire de sons differens, si ce n'est par la differente force du vent qu'on leur donne.

Quant au 3. et 5. Chalumeau, qui est fait de bled, il est aysé de comprendre comme l'on en sonne, car l'A et le 1 du 3 monstre les deux trous que l'on fait aux deux bouts, et B fait voir la maniere dont il faut coupper le chalumeau, afin que la partie qui s'esleue, serue d'emboucheure pour pousser le vent, ou de languette pour le battre, tandis que l'on tient les deux doigts sur les deux trous A, 1, dont on fredonne en les bouchant, et en [-230-] les ouurant le plus viste que l'on peut. Le cinquiesme chalumeau a sa languette en haut, comme monstre A: mais il faut remarquer que le haut de ce chalumeau se termine par vn noeud qui sert de tampon, afin que le vent n'eschappe pas, et qu'il descende aux trois trous d'en bas, qui seruent pour faire trois tons differens; quoy que l'on puisse faire dix ou douze tons differens par le moyen de ces trois trous, comme ie monstreray en parlant de la fluste à trois trous, que l'on accompagne du Tambour.

Le quatriesme Chalumeau est appellé Eunuque par quelques-vns, mais la difference de ses sons ne vient pas de celle de ses trous, ny de sa longueur, comme il arriue aux autres: car elle ne fait point d'autre son que celuy de la bouche, ou de la langue qui parle, dont elle augmente la force et la resonance par le moyen de sa longueur et de sa capacité, et par vne petite peau de cuir mince, et deliée comme la peau d'vn oignon, dont on affuble le haut, où l'on void A, afin que le vent et la voix que l'on pousse par le trou B, qui fait l'emboucheure, aille frapper cette peau comme vn petit tambour, qui donne vn nouuel agreement à la voix par ses petits tremblemens qui la reflechissent. La boëtte ou le pauillon A B, sert à couurir ladite peau, et ses trous donnent l'issuë à la voix, quoy qu'ils ne soient pas nccessaires. Or l'on fait quatre ou cinq parties differentes de ces Flustes pour vn concert entier, qui a cela par dessus toutes les autres Flustes, qu'il imite dauantage le concert des voix, car il ne luy manque que la seule prononciation, dont on approche de bien pres auec ces Flustes.

Ce que les Organistes et les Facteurs doiuent soigneusement remarquer, afin d'inuenter des ieux nouueaux, qui imitent beaucoup mieux les voix humaines que leurs Regales, et de tromper tellement leurs Auditeurs, qu'ils croyent entendre vn meilleur concert que celuy des voix, qui sont priuées de la douceur de l'harmonie, et des charmes qui viennent des petites peaux que l'on peut adiouster en diuers endroits des tuyaux et des Flustes.

PROPOSITION V.

Expliquer la figure, l'estendüe, la tablature, et l'vsage de la Fluste à trois trous.

ENcore que l'on puisse ioindre cet instrument auec les precedens, parce qu'il n'a que trois trous, à sçauoir deux deuant marquez par deux et trois, et l'autre derriere marqué par vn, (si ce n'est que l'on vueille conter le premier trou du tampon A, par où on l'embouche, le second B qui sert de lumiere, et le dernier de la pate C, afin de trouuer six trous) neantmoins ie l'ay voulu separer, tant à raison de sa grande estenduë, que de sa tablature que ie mets icy en deux manieres, à sçauoir par les notes ordinaires de la Musique, et par les marques dont vsent ceux qui ne cognoissent pas la valeur, et l'vsage des notes ordinaires.

Or il est si aysé d'entendre cette tablature, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer, si ce n'est pour l'instruction de ceux qui n'en ont iamais veu, ou qu'ils ne sçauent nullement sonner des Flustes, et du Flageollet: c'est donc en leur faueur que ie dis premierement que les notes contiennent l'estenduë d'vne Dix-septiesme, et que i'ay changé de clef, à raison que l'on ne peut monter que d'vne Dixiesme auec la premiere clef de F vt fa, en n'vsant que de cinq [-231-] regles, où il faut remarquer que plusieurs ne mettent pas les quatre premieres notes dans l'estenduë de cette tablature, parce qu'elles n'ont pas de suite par tous les degrez de l'Octaue, car apres la Quarte, ou les quatre sons vt, re, mi, fa, que font les quatre notes les plus basses de cet instrument, l'on ne peut faire les quatre autres notes pour arriuer à la Quinte d'en haut, qui acheue l'Octaue. C'est pourquoy l'on peut commencer cette tablature par la cinquiesme note, qui est à l'Octaue de la premiere, et qui se rencontre en G re sol, afin qu'elle ayt seulement l'estenduë de l'Onziesme, qui contient tout ce que l'on peut faire ordinairement auec cette Fluste.

Tablature de la Fluste à trois trous.

[Mersenne, Instrumens à vent, 231; text: A, B, C, 1, 2, 3] [MERHU3_5 01GF]

Les notes qui sont precedées de b mols signifient les feintes, les accidents, ou les demy-tons, que l'on fait en moderant le vent, ou par l'industrie des doigts, dont on bouche plus ou moins les trous, afin de sonner les chansons qui sont par b mol. Or la note qui est sur la clef de C sol vt fa, et qui recommence en bas sur la premiere ligne, continuë les tons que nous auons commencez sur l'autre clef, et sert comme de racine pour acheuer le reste de l'estenduë, comme monstrent les notes qui suiuent. Quant aux autres caracteres il faut les expliquer si clairement, qu'il ne soit plus besoin d'en parler dans les discours des autres Flustes qui s'en seruent: ie dis donc en second lieu que les lignes noires, qui tombent perpendiculairement sur les trois regles de la tablature, signifient le nombre des trous, qu'il faut boucher pour faire les sons marquez par les notes de dessouz: par exemple, les trois premieres, qui sont sur les trois regles, signifient que l'on fait la premiere note en bouchant les trois trous, et en poussant le vent le plus foiblement que l'on peut: les deux autres lignes qui suiuent monstrent qu'il faut boucher les deux trous marquez vn et deux, et deboucher le dernier trou marqué par trois pour faire le re, ou la seconde note; la petite ligne qui suit encore, signifie qu'il faut seulement boucher le premier trou pour faire le mi, ou la troisiesme note: et les trois zero, ou les trois cercles enseignent qu'il faut deboucher tous les trous pour faire la quatriesme note, ou le fa. Mais l'on ne peut continuer le sol iusques à l'Octaue, et l'on est contraint de passer tout d'vn saut à la Quinte en haut, afin de prendre l'Octaue de la premiere note, qui a son Octaue en haut, lors que l'on recommence à boucher les trous, et que l'on renforce le vent: ce qu'il faut remarquer d'autant plus soigneusement que la mesme chose arriue à plusieurs autres instrumens à vent, comme au Flageollet et aux Flustes, qui montent à l'Octaue, et quelquefois à la Quinziesme, et à la Vingt-deuxiesme, selon que l'on augmente le vent; de sorte qu'il se rencontre des hommes qui font l'estenduë d'vne Vingt-deuxiesme sur la [-232-] Fluste à trois trous, dont i'ay veu l'experience en Iean Price Anglois. Or c'est chose asseurée que l'on peut faire toutes les parties de Musique auec plusieurs Flustes à trois trous, comme auec les autres, quoy que ces concerts ne soient pas en vsage, c'est pourquoy ie n'en donne point d'exemples.

PROPOSITION VI.

Expliquer la figure, la fabrique, l'accord, l'estenduë, et la tablature du Flageollet, et de la Fluste à six trous.

CEt instrument est l'vn des plus gentils, et des plus aysez de tous ceux qui sont en vsage, car encore que les chalumeaux, qui se font de tuyaux de bled, ou de plume, ou les cornes de boeuf, ou de belier, que les Bergers mettent au bout d'vn baston de sureau creusé, soient aussi aysez à preparer, ils sont neantmoins fort esloignez de sa perfection.

[Mersenne, Instrumens à vent, 232; text: A, B, C, 1, 2, 3, 4, 5, 6] [MERHU3_5 01GF]

Or cet instrument a six trous, comme l'on void dans cette figure, dont le sixiesme est le plus pres de la pate C; le cinquiesme et le premier sont derriere, et le quatre, trois et deux sont deuant, comme est le sixiesme. Où il faut remarquer que le premier peut estre pris pour le dernier, comme il arriue lors qu'on descend de l'aigu au graue, et que le dernier peut estre pris pour le premier, quand on monte du graue à l'aigu.

Quant à la disposition des mains et des doigts dont on bouche ces six trous, il faut remarquer que la main gauche bouche le premier, le second et le troisiesme trou, car son pouce bouche le premier qui est derriere, l'index bouche le second qui est deuant, et le doigt du milieu bouche le troisiesme trou; de sorte que chaque main gouuerne trois trous, puis que la gauche bouche les trois trous, qui sont plus proches de la lumiere, et que la main droite gouuerne les trois autres, dont le pouce bouche le cinquiesme, l'index le quatriesme, et celuy du milieu le sixiesme, ou le plus proche de la pate C.

Il y en a d'autres qui font seruir les quatre doigts de la main gauche au Flageollet, à sçauoir le pouce, l'index, celuy du milieu et le medicus, et les trois de la main droite, à sçauoir le pouce, et l'index: mais celuy du milieu sert pour boucher la pate. La lumiere du Flageollet est marquée par B, et son emboucheure par A. On le peut faire de toutes sortes de matieres, mais particulierement de buis, d'yuoire, de prunier, d'ébene et de toutes sortes de bois durs. Mais il n'est pas necessaire de remarquer la proportion que doiuent auoir ses trous, parce que sa figure monstre leurs distances et leurs grandeurs. Il faut seulement remarquer que le Diapason des Flageollets ne suit pas celuy des chordes, ny celuy des tuyaux d'Orgues, comme ie monstreray apres, car il suffit d'expliquer icy son estenduë et sa tablature, que le Vacher, qui est le plus excellent Facteur de Flageollets que nous ayons, marque en cette maniere.

Par où l'on void que l'on peut vser des notes de la Musique pour marquer les tons, l'estenduë, et les chansons du Flageollet, d'autant qu'elles seruent de tablature vniuerselle pour toutes sortes d'instrumens, comme i'ay monstré dans le liure precedent.

[-inter 232-233-] [Mersenne, Instrumens à vent, inter 232-233; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 4 1/2, 6 3/4, 12 1/3, 15 3/4, 16 3/4, 16 1/2, flageolet, flute douce, phifre ou flute <...>, Embouchure, Cornet <...>] [MERHU3_5 02GF]

[-blank-]

[-233-] Tablature et estenduë du Flageollet.

[Mersenne, Instrumens à vent, 233; text: A, B, C, 1, 2, 3, 4, 5, 6] [MERHU3_5 03GF]

Or les deux premieres lignes contiennent la tablature du Flageollet par [sqb] quarre, et les deux dernieres par b mol: mais les quinze dernieres notes, et les quinze rangs des autres caracteres qui leur respondent, suffisent pour expliquer ladite tablature, et l'estenduë de cet instrument, qui consiste dans vne Quinziesme, qui est contenuë par les quinze notes, encore que i'aye mis les dix precedentes, afin d'obseruer la pratique de ceux qui enseignent à ioüer du Flageollet, qui commencent par le G re sol en touchant seulement les trois derniers trous six, cinq et quatre, et en laissant les trois autres ouuerts trois, deux et vn; et qui mettent les deux dieses que l'on void à la premiere ligne des notes, pour signifier qu'elles se chantent par [sqb] quarre, encore qu'elles soient superfluës pour ceux qui entendent la pratique des notes, dans laquelle la seule absence du b mol signifie le [sqb] quarre.

Mais cette tablature est si aysée, à raison que toutes les regles qui ont des zero, ou qui n'ont point de petites lignes perpendiculaires, signifient que l'on doit ouurir les trous qui respondent à ces lignes, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer. Ie donneray seulement vn exemple pour en monstrer la pratique. Si l'on veut faire le ton plus graue, ou le plus bas du Flageollet, qui est marqué par la derniere note, et par le dernier rang des petites lignes, ce rang enseigne qu'il faut boucher les six trous, qui sont representez par les six regles, et qu'il faut boucher le trou de la pate à demy: ce qui est signifié par la ligne qui trauerse le dernier zero: ce que l'on entendra encore mieux par le discours qui suit, d'autant qu'il enseigne la maniere de sonner du Flageollet.

[-234-] PROPOSITION VII.

Expliquer le Diapason des Flageollets, et la maniere d'en sonner en perfection à vne ou plusieurs parties, auec vn exemple de Musique.

C'Est chose asseurée que le Diapason de cet instrument ne suit pas la proportion des consonances des interualles et des autres Diapasons, comme l'on peut voir dans la figure precedente, dans laquelle les distances des trous n'ont pas mesme raison entr'eux que les tons qu'ils font: ce qui est aysé à prouuer par l'experience, car si les Facteurs gardoient cette proportion, le Flageollet monteroit du moins à l'Octaue du son qu'il fait, quand ses six trous sont bouchez, lors que l'on ne bouche plus que le cinq et le 6: d'autant que le corps du Flageollet, qui se prend depuis le haut de la lumiere C iusques au B de la pate, est double de C 4; et neantmoins cette partie de corps ne monte que d'vne Quinte: d'où il est euident que le reste du corps contribüe à la grauité du ton, et consequemment que le vent qui sort par le quatriesme trou, quand on bouche seulement le 5 et le 6, ne sort pas tout par ledit trou, et que quelques parties s'en vont par les autres trous qui suiuent, à sçauoir par le 3, 2, et cetera et par l'ouuerture de la pate, comme l'on experimente en mettant la main vis à vis desdits trous.

Et l'on peut dire que ce qui sort d'air par ces trous, et que ce qui reste du corps du Flageollet depuis le quatriesme trou iusques à B, fait baisser le ton d'vne Quarte. D'ailleurs, si la distance des trous suiuoient la proportion de leurs tons, il faudroit que le quatriesme trou fust seulement plus esloigné d'vne huictiesme partie de la lumiere que le 5, et neantmoins il est esloigné d'vne quatriesme partie dauantage, quoy qu'il ne fasse descendre le Flageollet que d'vn ton. Il faut dire la mesme chose du troisiesme trou au regard du quatriesme. Quant au 3, 2 et 1, ils sont vn peu mieux reglez. Or il faut aduoüer que la seule experience peut donner le Diapason des Flageollets, puis que l'on ne void nulle raison pour laquelle le cinquiesme trou doiue estre plus esloigné du 4, et le 4 du 5 pour faire leurs 2 tons, que le 3 trou du 2, et le second du premier: quoy que ie ne doute nullement qu'il n'y ayt quelque raison de cette differente distance de trous, soit qu'on la prenne de la part du vent, qui est differemment inspiré, ou de la fabrique du Flageollet et des autres instrumens, ausquels il arriue la mesme chose: mais ie laisse cette recherche à ceux qui voudront et qui pourront passer plus auant, d'autant qu'il suffit d'auoir remarqué la iuste distance, et la vraye disposition des trous dans les deux figures precedentes, pour seruir de modelle à ceux qui voudront faire des Flageollets de toutes sortes de grandeurs, esquels il faut à peu pres obseruer la mesme proportion. C'est pourquoy ie viens à la maniere d'en sonner, qui consiste particulierement à pousser le vent comme il faut, et à boucher et ouurir les trous suiuant la tablature. Ie dis donc premierement qu'il faut tellement boucher les trous, que le vent n'en puisse sortir, afin de faire les tons iustes, et qu'il les faut seulement boucher à demy, lors que l'on veut faire les feintes, ou les demy-tons qui appartiennent à la Chromatique, car l'on peut faire vingt-huict demy-tons tout de suitte sur le Flageollet pour sonner toutes sortes de pieces chromatiques; et s'ils se rencontre des hommes [-235-] qui puissent tellement boucher les trous qui fassent des quarts de ton pour les dieses Enharmoniques, ils pourront vser de ce genre sur cet instrument. Mais apres que l'on sçait faire tous les tons, il faut s'accoustumer à la vistesse et à la mesure, afin de faire toutes sortes de passages et de diminutions, et d'vser de toutes les douceurs et les mignardises, dont le Flageollet est capable; ce qui ne se peut faire sans la vistesse des doigts, qui doiuent boucher et deboucher six ou huict fois les mesmes trous dans le temps d'vne mesure pour imiter les diminutions de la gorge, de la Viole, des Luths et des autres instrumens.

Secondement, il faut remarquer qu'il y a deux manieres de sonner de cet instrument, et des autres qui ont des lumieres, dont l'vne vient du seul souffle, ou du vent que l'on pousse, et l'autre de l'articulation et du mouuement de la langue: celle-là imite l'Orgue, et celle-cy represente la voix: celle-là est pratiquée par les villageois et par les apprentifs, et celle-cy par les Maistres; et finalement celle-là ressemble aux choses mortes, ou muettes, et celle-cy aux viuantes, parce qu'elle suppose le mouuement des organes, et particulierement celuy du bout de la langue, et l'autre peut se pratiquer auec vn soufflet au lieu de la bouche.

Or encore que chaque trou ne fasse qu'vn ton, et que le Flageollet n'ayt aussi qu'vn ton quand tous ses trous sont bouchez, et qu'il monte à l'Octaue, quand on pousse le vent plus fort, sans qu'il passe par les interualles du milieu, neantmoins ie fais tous les sons de l'Hexachorde, à sçauoir vt, re, mi, fa, sol, la, sans deboucher aucun trou, soit que la pate soit ouuerte ou bouchée, comme l'on experimentera, pourueu que l'on pousse premierement le vent tres-foiblement, et qu'il s'augmente tousiours peu à peu iusques à ce que le Flageollet fasse son ton naturel et ordinaire, c'est à dire ledit la: quoy que ces sons ne puissent seruir à la Musique, à raison de leur foiblesse et de leur inconstance, car ils ressemblent aux bruits que l'on oyt au dedans de l'oreille.

Ie fais aussi l'estenduë de la Tierce maieure en bouchant peu à peu la pate, encore que l'on s'en serue seulement pour descendre plus bas d'vn demy-ton ou d'vn ton: ce que i'ay voulu remarquer, afin que l'on considere que ce que disent les excellens Maistres, qui sonnent de quelque instrument en perfection, n'est pas esloigné de la raison, à sçauoir que l'vsage et la perfection de chaque instrument s'estend à l'infiny, d'autant que l'on y remarque tousiours quelque chose de nouueau selon les differens biais dont on en vse. Mais i'ay essayé de faire le mesme Hexachorde auec d'autres Flageollets, sans me seruir des trous, ce qui ne m'a pas reussi: c'est pourquoy l'on n'en doit pas faire vne regle generale; i'adiouste seulement que celuy auec lequel i'ay fait cette experience est de buis, et a quatre pouces et cinq lignes de longueur, comme l'on void dans les deux figures precedentes qui ont esté faites dessus ledit Flageollet.

En troisiesme lieu, l'on experimente qu'il est difficile d'empescher que le Flageollet ne quitte son ton naturel pour monter à l'Octaue, car l'on ne peut souuent luy faire prendre son ton ordinaire, quoy que le vent que l'on luy donne soit tres-foible, particulierement quand il n'a que trois ou quatre pouces de long, comme est celuy done i'ay donné la figure.

Et quand il octauie les trous estant bouchez, il reprend souuent son ton naturel en ouurant les trous, au lieu de continuer ses tons à l'Octaue en haut, [-236-] de sorte qu'il octauie beaucoup plus aysément quand les trous sont bouchez que lors qu'ils sont debouchez, parce que le vent doit estre plus fort: de là vient qu'il est plus aysé de luy faire prendre son ton naturel en ouurant le dernier trou qu'en le fermant, dont il n'est pas aysé de trouuer la raison.

Il faut pourtant remarquer que le trou qui se bouche auec le pouce de la main gauche, c'est à dire le sixiesme, doit estre à demy ouuert, et non pas tout debouché, comme il est dans la tablature, pour faire les tons qui passent l'Octaue, parce que les tons en sont meilleurs et plus naturels. Quant au ton qui octauie, au lieu de demeurer en son lieu naturel, cela arriue seulement par la faute de celuy qui iouë du Flageollet, et qui distribuë plus de vent qu'il n'en faut; car le ton sera tres-naturel si les trous sont bien bouchez, et que l'on donne le vent auec discretion. Ceux qui sont gauchers mettent le pouce de la main droite au sixiesme trou, ce que l'on doit remarquer pour tous les instrumens à vent. I'adiouste icy la tablature de la Fluste à six trous, encore que ie n'en donne pas la figure, d'autant que celle du Flageollet la fait assez comprendre, dont elle est seulement differente en ce que tous ses six trous sont deuant, au lieu que le Flageollet en a deux derriere, comme i'ay dit.

Tablature de la Fluste à six trous.

[Mersenne, Instrumens à vent, 236] [MERHU3_5 03GF]

Or il est si aysé de comparer la tablature precedente auec celle-cy, qu'il n'est pas besoin d'en parler, c'est pourquoy ie poursuis l'explication des autres Flustes, et premierement de celles d'Angleterre que l'on appelle ordinairement douces, à raison de la douceur de leurs tons et de leurs accords, apres auoir donné vn exemple à quatre parties, qui monstre la maniere de faire des Concerts, et telles parties que l'on voudra, auec quatre ou cinq sortes de Flageollets.

Or l'exemple qui suit est vn Vaudeuille du troisiesme mode transposé d'vne Quarte: le Dessus se iouë auec D la re sol tout fermé, et tout ouuert à l'Octaue: et pour les autres parties l'on ferme, et l'on ouure le C sol vt, et le G resol: ce qui est si aysé à comprendre qu'il n'est pas necessaire d'en parler plus au long. Cet exemple et les autres qui seruent aux instrumens qui suiuent, ont esté composez par le sieur Henry le Ieune, qui entend fort bien leur portée, et leur estenduë. Ceux qui desirent d'autres exemples peuuent consulter les Maistres de l'art, car il suffit que celuy-cy fasse voir la proprieté du Flageollet, et l'estenduë de toutes ses parties, afin que l'on en puisse vser dans toutes sortes de concerts: ce qu'il faut semblablement remarquer pour les autres instrumens à vent, qui ont vn exemple particulier qui sert pour comprendre leur nature.

[-237-] Vaudeuille pour les Flageollets.

[Mersenne, Instrumens à vent, 237] [MERHU3_5 04GF]

PROPOSITION VIII.

Expliquer la figure, l'estenduë, la tablature, et l'vsage des Flustes d'Angleterre, que l'on appelle douces, et à neuf trous, auec vn exemple à quatre parties.

CEs Flustes sont appellées douces, à raison de la douceur de leurs sons, qui representent le charme et la douceur des voix: on les appelle à neuf trous, parce que le huictiesme, qui est proche de la pate, est double, afin que cet instrument puisse seruir aux gauchers et aux droictiers. Or l'on embouche cette Fluste comme les precedentes, et le premier trou est marqué d'vn zero blanc, afin de signifier qu'il est derriere, et qu'il doit se boucher du pouce de la main gauche, dont les trois doigts suiuans seruent pour boucher le deuxiesme, le troisiesme, et le quatriesme trou, comme les trois de la droite bouchent le cinq, six et septiesme, car le huictiesme est destiné pour le petit doigt, que l'on appelle auriculaire, ce qui est representé si clairement par cette figure, qu'il n'est pas besoin d'vn plus long discours, car les huict nombres monstrent l'ordre des huict trous; A signifie l'emboucheure, dont la fente est representée par le bout D. B C signifie la longueur de son corps, et le bout E F monstre encore vne autre sorte d'emboucheure, qui sert aux Tailles et aux Basses, qui ont deux pieds et 3/4 de longueur; la Taille a vn pied cinq pouces, et le Dessus n'a qu'onze lignes. Mais pour entendre l'accord de toutes les parties, il faut remarquer que leur huictiesme trou estant ouuert, le Dessus est à la Neufiesme, et la Taille auec la Haute-contre est à la Quinte [-238-] de la Basse: car la Haute-contre n'est pas differente de la Taille, d'autant que l'estenduë de l'vne suffit pour faire les deux parties, comme il arriue à plusieurs autres instrumens à vent et à chordes.

[Mersenne, Instrumens à vent, 238,1; text: A, B, C, D, E, F, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8] [MERHU3_5 05GF]

Or ces Flustes font le petit ieu, comme celles qui suiuront apres font le grand ieu, mais elles se peuuent toutes accorder ensemble, comme font les grands et les petits ieux des Orgues.

Quant à leur estenduë et leur tablature qui suit tant par b mol que par [sqb] quarre, elle n'est pas plus difficile que celle du Flageollet, car chaque petite ligne perpendiculaire, qui tombe sur les lignes de Musique, monstre les trous qu'il faut boucher pour faire les sons representez par les notes qui sont vis à vis: et les zero ou les lettres o signifient les trous debouchez, et quand ils sont pochez ou noirs, il les faut boucher. Ie donneray seulement vn ou deux exemples pour faire entendre cette pratique, dont le premier sert pour l'VT, ou pour le RE de G re sol vt, que l'on fait en bouchant les quatre premiers trous et le septiesme, et en ouurant les autres. Et pour faire le FA qui est plus haut d'vne Quarte, l'on bouche seulement le premier, le troisiesme et le septiesme: comme pour faire le SOL qui suit, l'on bouche seulement le troisiesme et le septiesme trou.

Tablature de la Fluste à neuf trous.

[Mersenne, Instrumens à vent, 238,2] [MERHU3_5 05GF]

[-239-] [Mersenne, Instrumens à vent, 239; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, X, Z, a, b, c, d, f, g, h] [MERHU3_5 06GF]

La tablature monstre clairement combien il faut boucher ou deboucher de trous pour faire tous les autres tons, et l'estenduë de cet instrument, qui est d'vne Quinziesme, comme celle du Flageollet, encore que quelques-vns ne luy donnent qu'vne Treziesme d'estenduë. Mais il faut remarquer que l'on peut sonner vn air, ou vne chanson sur la Fluste douce, et en mesme temps chanter le chant de la Basse, sans toutesfois articuler les voix, car le vent qui sort de la bouche en chantant est capable de faire sonner la Fluste, de sorte qu'vn seul homme peut faire vn Duo.

Les grandes Flustes qui suiuent ont esté enuoyées d'Angleterre à l'vn de nos Rois. Mais i'ay fait grauer deux ieux differents dans cette planche, à sçauoir le petit ieu composé des trois Flustes A B, et C D, dont les tampons et le lieu par où entre le vent se voyent aux figures K et G, et sont cachez souz les boëttes A et C. La Basse de ce petit ieu A B sert de Dessus au grand ieu, qui commence où l'autre finit. Il n'est pas necessaire de marquer ou d'expliquer les trous, parce qu'ils sont icy representez au naturel, dont les blancs sont derriere.

Or les plus grandes ont des boëttes, afin d'enfermer les clefs, sans lesquelles on ne peut fermer les trous, à raison que les doigts de la main ne peuuent auoir vne si grande estenduë: c'est pourquoy la Basse A B a la clef f, laquelle on presse auec le petit doigt pour ouurir le trou qui est souz la boëtte vis à vis de g. Mais la Basse du grand ieu L N a trois boëttes, à sçauoir la plus grande Y Z, et les deux autres b, c.

Quant à la grande, ie l'oste et la transporte en O Q, afin que l'on considere tous ses ressorts à descouuert, et que nos Facteurs en puissent faire de semblables. P Q monstrent la disposition des deux clefs qui paroissent au haut de la boëtte Y Z, et selon que le petit doigt presse la premiere ou la seconde, le trou S ou T s'ouurent pour faire leurs sons. V et X [-240-] font voir les ressorts cachez souz les petites boëttes b et c, qui se touchent auec le pied, lequel presse de petits quarrez de cuiure qui se voyent sur ces boëttes vis à vis de b et de c, pour faire hausser les ressorts, comme ie monstre à la queuë du ressort b, que l'on pousse perpendiculairement sur la lame K, afin de la faire hausser, et d'ouurir le trou qui est aussi grand qu'vne fenestre: ce qui se peut iuger par les ouuertures qui sont proportionnées à ses figures. Il faut dire la mesme chose de la Taille et a, qui a autant de trous et de clefs, et qui sert aussi de Haute-contre.

Quant au canal ou à l'emboucheure e d, qui entre dans la Fluste par le trou I, lequel est caché et couuert par la boëtte L M, l'on s'en sert pour pousser le vent dans la Fluste par l'ouuerture d, à raison que ces Flustes sont si hautes que la bouche ne peut atteindre iusques à la lumiere M, ou à l'emboucheure L ou I de la Basse, ny à celle de la Taille marquée par K, car la Basse a de 7 à 8 pieds de haut depuis le haut de la boëtte L, iusques à la pate N. D'où l'on doit iuger la grandeur et la distance de ses onze trous, et de ceux de la Taille, qui garde icy sa iuste grandeur en petit volume. Le canal e d s'accroche à vne boucle de fer vis à vis du second trou d'enhaut, comme l'on void vis à vis de d et de l.

Il n'est pas necessaire de parler de leur tablature, parce qu'elle se regle selon la precedente, c'est pourquoy ie remarque seulement que le son de ces Flustes est iugé si doux par quelques-vns, qu'il merite le nom de charmant et de rauissant, quoy que ie n'estime pas que cette maniere de parler appartienne à d'autres plaisirs qu'à ceux du Ciel, qui descouurent l'obiet rauissant des bien-heureux, qui ne lassent et qui ne cessent iamais, au lieu que tous les autres ennuyent incontinent, et se tournent en des desplaisirs et des douleurs insuportables, comme sçauent tres-bien les plus solides esprits.

Cette planche contient encore la figure du Fifre E F, dont ie parle dans la Proposition qui suit, mais auant que de quitter celle-cy, ie donne vn exemple à quatre parties pour les Fleutes douces.

Gauote pour les Flustes douces.

[Mersenne, Instrumens à vent, 240] [MERHU3_5 04GF]

[-241-] PROPOSITION IX.

Expliquer la figure, l'estenduë, et la tablature de la Fluste d'Allemand, et du Fifre.

[Mersenne, Instrumens à vent, 241; text: A, B, C, E, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7] [MERHU3_5 05GF]

ENcore que i'eusse (ce semble) deu ioindre cette espece de Fluste auec le Flageollet, parce qu'elle a six trous à boucher comme luy, i'ay neantmoins voulu la mettre à part, à raison qu'elle ne s'embouche pas par le haut A B, comme les autres, mais par le trou 1: de sorte que la partie A B C ne sert que d'ornement. C represente le lieu où se termine le tampon, dont on bouche le haut de cet instrument, de peur que le vent sorte par A B, et afin qu'il soit contraint de descendre vers E D par où il sort, lors que les six trous sont bouchez: d'où il s'ensuit que la longueur de cette Fluste se prend seulement depuis C iusques à E. Or i'ay laissé la courbeure dans cette figure, parce qu'elle a esté prise sur l'vne des meilleures Flustes du monde qui estoit courbée: c'est pourquoy i'en marque icy la grandeur, qui est d'vn pied et 5/6. Elle a trois pouces depuis B iusques à son emboucheure. Or on l'embouche en mettant la levre inferieure sur le bord du premier trou, et en poussant le vent fort doucement. Du tampon C iusques à la lumiere 1 il n'y a que 8 lignes. Elle est percée d'vne esgale grosseur tout au long, ce qui n'arriue pas à toutes sortes de Chalumeaux, comme ie diray ailleurs, et cette grosseur est de huict lignes.

La distance du second trou au 3 est de 13 1/2 lignes, celle du 3 au 4, et du 6 au 7 de douze lignes ou enuiron, mais il y en a 17 du 4 au 5. Quant à leur ouuerture, celle du premier est la plus grande, celle du 2 et du 7 sont quasi esgales, à sçauoir de trois lignes, mais celle du 3 et du 4 sont vn peu plus larges, et finalement celle du 5 à 4 lignes en diametre. Cette Fluste sert de Dessus dans les parties, et consequemment les autres doiuent estre d'autant plus longues et plus grosses qu'elles descendent plus bas: par exemple, celle qui descend d'vne Octaue, ou d'vne Quinziesme doit estre double ou quadruple de celle-cy. Leur matiere peut estre de prunier, de cerisier et des autres bois qui se percent aysément, mais on choisit ordinairement du bois d'vne belle couleur, et qui reçoit vn beau poly, afin que la beauté accompagne la bonté de l'instrument, et que les yeux soient en quelque façon participans du plaisir de l'oreille: on les fait ordinairement de buis; elles sont aussi fort bonnes de chrystal, ou de verre et d'ebene.

Quant à l'estenduë et à la tablature de cette Fluste, qui peut seruir pour le Fifre, qui luy est entierement semblable, ie l'ay mise par des cercles blancs et noirs, afin de retenir celle qui est en vsage, ce qui n'empesche nullement que l'on ne la puisse marquer auec les petites lignes de la tablature de la Fluste à neuf trous, ou de telle autre maniere que l'on voudra. Or i'ay mis chaque rond vis à vis de chaque trou, afin que l'on sçache les trous qu'il faut boucher ou deboucher pour faire les sons marquez par les notes qui sont dessus, dont chacune respond à chaque rang de cercles, qui monstrent que tous les trous estant bouchez elle fait la plus basse note, à sçauoir l'VT de G re sol vt, et le [-242-] RE qui suit en debouchant le sixiesme trou, et ainsi des autres iusques au 19. son, qui se fait en ouurant seulement le troisiesme trou, car elle a vne Dix-neufiesme d'estenduë, comme l'on void par les notes de la Musique.

Tablature et Estenduë de la Fluste d'Allemand.

[Mersenne, Instrumens à vent, 242,1; text: 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19.] [MERHU3_5 07GF]

Si cette Fluste suiuoit la precedente dans ses mouuemens, il ne seroit pas necessaire de fermer tous ses trous excepté le premier, pour faire l'Octaue, car tous ses trous estant ouuerts monteroient à ladite Octaue, quoy qu'il soit difficile de donner la vraye raison de cette difference, et des autres qui se rencontrent entre cette tablature et les precedentes.

Seconde Tablature de la Fluste d'Allemand.

[Mersenne, Instrumens à vent, 242,2] [MERHU3_5 07GF]

Neantmoins les Philosophes qui en voudront rechercher les causes, doiuent les tirer de la fabrique de cet instrument, et de la maniere dont on l'embouche pour pousser le vent, et de toutes les autres circonstances. Ie laisse aussi quelques autres remarques que l'on peut faire sur cette tablature, par exemple, que quelques-vns font de certains tons en bouchant ou en debouchant d'autres trous que ceux qui sont marquez, comme l'on void dans cette autre tablature qui suit: et qu'il est beaucoup plus difficile de faire parler cette Fluste que les autres qui s'embouchent en haut, car tous peuuent vser de celle-cy, et peu sçauent sonner de celle-là, à cause de la difficulté que l'on trouue à disposer les levres comme il faut sur le premier trou, qui sert de lumiere: [-243-] ce qui arriue semblablement au Fifre, qui ne differe d'auec la Fluste d'Allemand qu'en ce qu'il parle plus fort, que ses sons sont beaucoup plus vifs et plus esclatans, et qu'il est plus court et plus estroit.

[Mersenne, Instrumens à vent, 243; text: A, B, C, D, 1, 2, 3, 4, 5, 6] [MERHU3_5 06GF]

C'est le propre instrument des Suisses, et des autres qui battent le Tambour, quoy que les vns le sonnent d'vne façon et les autres d'vne autre, suiuant les differentes coustumes et les differentes tablatures que l'oreille et l'vsage peuuent suppleer. Mais l'on ne fait pas ordinairement toutes les parties de Musique auec les Fifres, comme auec les Flustes d'Allemand, que l'on met au ton de chapelle pour faire des concerts: et parce que l'on ne peut faire de Basse assez longue pour descendre assez bas, l'on vse de la Sacquebute, ou du Serpent, ou de quelqu'autre Basse pour suppleer, car si la Fluste d'Allemand estoit assez longue pour faire cette partie, les mains ne pourroient pas aysément s'estendre iusques aux derniers trous, tandis qu'on l'emboucheroit; quoy que l'on puisse suppleer ce defaut dans les Basses de ladite Fluste par plusieurs clefs, en les rompant ou redoublant, comme l'on fait aux Bassons, dont nous parlerons apres.

Or il est certain que l'on peut adiouster le ieu des Fifres à l'Orgue, afin de l'enrichir d'vne nouuelle grace, mais il n'est pas possible de suppleer les gentillesses de la bouche, de la langue, et des levres auec les soufflets ordinaires de l'Orgue: i'ay dit Ordinaires, parce que l'on y peut adiouster des ressorts qui seruiront pour donner quelque nouuelle vigueur, ou douceur aux sons. Mais ie parleray plus amplement des Orgues dans vn liure particulier; cependant les ioüeurs de Fifre et de Fleutes pourront inuenter des moyens pour faire qu'vn seul homme puisse ioüer tout seul de plusieurs instrumens tout à la fois, comme l'on pratique dans la Sicile et ailleurs, où l'on embouche deux ou trois Flustes en mesme temps, qui sont faites de cannes, et dont les sons ont de certains charmes particuliers qui imitent ceux de la voix. Si l'on auoit trauaillé aussi curieusement à perfectionner cet espece d'instrumens comme l'on a fait aux Orgues, l'on auroit peut-estre rencontré la maniere de ioüer quatre ou cinq parties d'vn mesme vent de la bouche: et si l'on vouloit prendre la peine de les percer tellement, que le genre Diatonic estant d'vn costé, comme il est en effet, le Chromatic et l'Enharmonic fussent des deux autres costez, l'on executeroit aysément tout ce que les Grecs ont sceu, auec vn petit morceau de bois: mais ie laisse cette recherche aux Facteurs, aussi bien que la recherche du Diapason necessaire pour les percer iustement, quoy que les precedens monstrent les endroits des trous Diatoniques assez exactement pour en faire d'autres à l'imitation.

Quant à la tablature du Fifre, qui monstre tous ses tons, et la maniere de boucher ses trous pour chanter toutes sortes d'airs et de chansons, elle n'a pas vne si grande Estenduë que celle de la Fluste precedente, car est n'est que d'vne Quinziesme, comme l'on void dans la tablature qui suit.

[-244-] Tablature du Fifre.

[Mersenne, Instrumens à vent, 244,1] [MERHU3_5 07GF]

Mais il faut remarquer que la levre et la langue doiuent trauailler en mesme temps pour faire parler la Fluste en perfection, et qu'il faut donner vn coup de langue, et vn peu de la levre à chaque ton, afin que toutes les notes soient articulées; ce qui suffit iusques à ce que nous parlions du Tambour, dont on accompagne cet instrument. Or l'on peut rapporter tous les autres instrumens à trous à ceux que i'ay expliquez iusques icy. Voyons maintenant ceux qui n'ont point de trous, apres auoir icy mis l'exemple qui suit à quatre parties pour les Fleutes d'Allemand.

Air de Cour pour les Flustes d'Allemand.

[Mersenne, Instrumens à vent, 244,2] [MERHU3_5 08GF]

PROPOSITION X.

Expliquer toutes sortes de Trompes et de Cors, et particulierement ceux qui seruent à la Chasse.

I'Explique les instrumens à Bocal apres les Flustes, parce qu'ils me semblent les plus simples, car ils n'ont que deux trous: à sçauoir celuy par où l'on pousse le vent, et celuy par où il sort. Les Bergers vsent de ces Trompes et de ces Cors en prenant des cornes de belier, ou de boeuf, qu'ils coupent par le petit bout, afin de faire le trou de l'emboucheure, dans lequel ils mettent vn baston de sureau percé et creusé, qui leur sert de porte-vent et de bocal; ce qui est si facile à comprendre qu'il n'est pas besoin d'en donner la figure. Quelques-vns vsent de morceaux de bois, ou de pieces de poterie faite en façon de cornes pour le mesme suiet: car il suffit que l'on imite les sons des cors de chasse ou de la Trompette. A quoy l'on peut rapporter les differentes [-245-] industries des enfans, qui imitent ces instrumens auec des tuyaux, ou des tiges d'oignons, et auec plusieurs autres choses qu'ils trouuent creusées, et propres pour ce suiet. Quant aux cornes de Belier, les Hebrieux en vsoient pour annoncer leurs Iubilez de cinquante en cinquante ans: ce qu'ils faisoient, à ce que l'on dit, en souuenance du belier qui parut à Abraham dans le buisson en eschange du sacrifice qu'il vouloit faire de son fils Isaac, dont on aura plus de lumiere en lisant ce que l'Escriture dit du Iubilé et de son origine, qui vient de la diction [Hebrew: yobl] Iobel, laquelle signifie vn belier. Mais il est difficile de sçauoir si ceux qui auertissoient du Iubilé sonnoient de cette corne en la tenant dans la main, ou s'ils l'entoient sur quelque canal ou porte-vent:

[Mersenne, Instrumens à vent, 245; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, 1, 2, 3] [MERHU3_5 08GF]

quoy qu'il en soit, nous sçauons que l'on vsoit de sept Trompettes, ou de sept Cors [-246-] pour annoncer le Iubilé, comme on list au 6. chapitre de Iosué, où Dieu commande que les Prestres sonnent desdites Trompettes autour de Iericho pour en faire tomber les murailles.

Or il suffit icy d'expliquer tous les Cors de chasse, dont on a coustume d'vser, d'autant que ie parleray apres des Trompettes. Les quatre figures precedentes les representent tous, car A B monstre la figure du grand Cor, et C D celle du Cor à plusieurs tours, mais il n'est pas si vsité que l'autre. La Trompe E F, qui n'a qu'vn tour, est la plus vsitée, c'est pourquoy ie l'ay mise auec son Enguicheure L, M, G, H 1, 2, 3,. Les cordons qui ont des houppes pendantes attachées aux points L et M, et ceux qui sont marquez par K et I seruent pour eslargir, et pour estressir l'enguicheure à proportion du corps de celuy qui porte le Cor et qui en sonne. Les autres cordons G 3, et H 2 tiennent la Trompe en estat par le moyen des trois anneaux 1, 2, 3.

N O represente le troisiesme Cor, que l'on appelle ordinairement le Huchet: et la cinquiesme figure P O fait voir le Cornet de Poste, que l'on ioint sur le corps auec le cordon R. Où il faut remarquer que ces Cors n'ont que deux parties considerables, à sçauoir leurs emboucheures A, C, E, N, que l'on fait d'argent, de cuiure, de corne, de bois, ou de telle autre matiere que l'on veut: et leurs pauillons B, D, F, O. Les emboucheures s'appellent bocals, ou bouquins, comme ie diray encore an traité des Cornets à bouquin, et des Serpents, et s'entent tellement dans le corps des trompes, qu'on les oste aysément quand on veut.

Quant à l'estenduë de leurs tons, elle est differente selon l'adresse et l'habileté de celuy qui en sonne, car il se rencontre des Chasseurs qui leur donnent autant d'estenduë comme à la Trompette, dont ie parleray apres. Les tons qui seruent à la chasse sont descrits par le Fouilloux dans le liure de la Venerie chapitre 43. c'est pourquoy ie n'en veux pas parler: quoy que l'on puisse y remarquer plusieurs choses, dont il ne s'est pas auisé: par exemple, à sçauoir si les tons (dont il vse pour appeller et aduertir les Chiens) sont plus propres que les autres, dont la trompe est capable. Si la diction Tran, dont il se sert pour exprimer les sons du Cor, est la meilleure de toutes celles qui se peuuent imaginer pour ce suiet: si cet instrument est plus propre pour la chasse que ceux qui ont des anches, comme les Haut-bois, ou que ceux de percussion, comme les Cloches ou les Tambours. Si les sons du Cor ont plus de rapport et de sympathie auec l'ouye, et l'imagination des chiens, que le son des autres instrumens: Si l'on peut inuenter des instrumens, dont les sons fassent venir et appriuoiser toutes sortes d'animaux farouches, comme quelquesvns estiment, particulierement si on les appelloit par les noms qu'Adam leur imposa: quoy qu'il n'y ayt à mon aduis nul son qui soit plus propre pour les faire venir où l'on veut, ou pour les arrester, que celuy qui imite leurs cris et leurs voix, comme l'on experimente aux apeaux des Cerfs, des Sangliers, des Cailles et de plusieurs autres animaux terrestres et volatiles.

Mais ie laisse toutes ces difficultez pour parler de la maniere dont on vse pour sonner du Cor; ce qui se fait en embouchant son Bocal, que l'on presse contre les levres, soit en le mettant à l'vn des costez de la bouche, ou au milieu: or il faut que le bout de la langue entre dans le Bocal, afin d'y conduire le vent, qui se perd si l'on ne ferme bien fort tous les endroits des levres où le Bocal ne touche pas; de là vient qu'il est difficile de sonner de cet instrument [-247-] quand on à perdu les dents aux lieux où l'on applique le bocal, parce que le vent se perd aysément par le lieu de la breche qui manque de dent, et ne peut estre assez bien retenu par la seule force des levres.

Apres que l'on a embouché le Cor, on peut en sonner en trois ou quatre manieres, à sçauoir en imitant simplement le vent d'vn soufflet, comme il arriue aux sons qui coulent sans estre animez: et puis en remuant la levre qui est dans le Bocal, ce que l'on fait en deux manieres, dont la premiere consiste à faire deux sons d'vn seul coup, ou mouuement de levre, et l'autre depend d'autant de coups ou de mouuemens de levre, comme l'on fait de sons differens, ce qui anime dauantage les sons: encore que l'on n'vse pas du mouuement de la langue, dans lequel consiste la plus excellente maniere de sonner de la trompe, et de tous les autres instrumens à vent, car lors que la langue martele chaque son, l'instrument imite la voix humaine et la parole, d'autant qu'il articule ses sons: ce qu'il faut remarquer pour toutes sortes d'instrumens à Bocal, et mesme pour les autres qui sont plus ou moins susceptibles de toutes ces emboucheures et de ces mouuemens, que l'on peut transporter sur les tuyaux des Orgues par le moyen de plusieurs industries, qui peuuent rendre leurs sons beaucoup plus agreables. Mais l'on entendra encore mieux tout ce qui appartient aux Cors, par ce que ie diray de la Trompette dans les discours qui suiuent.

COROLLAIRE.

Si les Chasseurs veulent auoir le plaisir de faire des Concerts à quatre ou plusieurs parties auec leurs Cors, il est assez aysé, pourueu qu'ils sçachent faire les tons iustes, et qu'ils proportionnent tellement la longueur et la largeur de leurs Trompes, qu'elles gardent les mesmes raisons que les tuyaux d'Orgues: par exemple, si le plus grand Cor à six pieds de long, il fera le Diapente en bas contre celuy qui aura 4 pieds de longueur: ie diray ailleurs si leurs largeurs doiuent estre en raison Sesquialtere. Et si l'on adiouste vn troisiesme Cor long de trois pieds, il fera la Quarte contre le second, de sorte que les trois feront vn Trio parfait, et toucheront les trois principales chordes du premier mode: ausquels il sera aysé d'en adiouster trois ou quatre autres pour faire les autres accords. Il y a plusieurs autres choses qui concernent les Cors, dont nous parlerons apres; i'adiouste seulement qu'on les peut faire de chrystal, de verre, de terre, de pierre, et cetera et que les Facteurs y peuuent ioindre vne grande quantité d'industries qui les feront autant admirer que les autres instrumens.

PROPOSITION XI.

Expliquer la matiere, la figure, les parties, la fabrique et l'estenduë de la Trompette.

LA Trompette est l'vn des plus anciens instrumens de Musique, comme il est aysé de conclure par celles qui seruoient aux Prestres des Iuifs, car Moyse en feit deux d'argent par le commandement de Dieu, lequel nous lisons au 10. chapitre des nombres: et l'experience fait voir qu'elles sont fort bonnes d'argent de trauail, dont i'ay expliqué la Loy dans vn autre lieu. Mais on les fait ordinairement de laton, c'est à dire de cuiure meslé auec de la calamine, [-248-] dont ie parleray dans le liure des Cloches; quoy que l'on puisse les faire de fer, d'estain, de bois, et cetera. Or le laton est tres-propre pour cela, tant à raison de sa dureté et de sa fermeté, que de la facilité qu'il y a de le battre et de l'estendre à coups de marteau, et de ce qu'il dure tres-long temps, et qu'il couste fort peu à l'esgard de l'or et de l'argent, dont ceux-là peuuent se seruir pour faire des Trompettes, qui font faire des Luths de cette mesme matiere.

[Mersenne, Instrumens à vent, 248; text: A, B, C, D, E, F, H, I] [MERHU3_5 09GF]

La figure qui suit fait voir leur forme ordinaire, dont la partie A B s'appelle le Bocal ou l'emboucheure, d'autant que l'on enfonce les levres dans le concaue A, lequel est large de dix lignes, quoy que le diametre du canal, ou de la branche B C, dans laquelle on ente et on emboëtte le bocal A B, ne soit que de cinq lignes, et que le fonds du bocal n'ayt que trois lignes de largeur, afin que le vent ayt plus de force. Or l'on appelle les canaux B C, et E D les branches, et F E, et C D les potences de la Trompette: le reste depuis F iusques à H I se nomme le pauillon, dont G en est le noeud. Les branches se peuuent briser et separer comme le bocal A B, ce qui rend la Trompette plus aysée à porter. Et les ouuriers les font de plusieurs pieces, parce qu'il est trop difficile de rencontrer des morceaux de laton assez grands pour les faire d'vne seule piece, car elles ont ordinairement sept pieds de long ou enuiron: et quand il s'en rencontreroit, il est beaucoup plus difficile de les battre comme il faut, que de les diuiser en plusieurs pieces, qu'ils couurent des noeuds B, C, D, E, F, afin d'en cacher la soudure ou les iointures: et puis ils ne pourroient pas courber les branches, si elles estoient d'vne seule piece. Ie parleray de la soudure dont on vse pour souder lesdites branches, apres qu'on les a faites de lames battuës en forme de parallelogrammes que l'on ploye en cylindres, lors que ie traiteray des Orgues.

Quant à l'estenduë de la Trompette, elle est merueilleusement grande, lors que l'on en sonne en perfection, et que l'on prend tous ses tons depuis le plus graue iusques au plus aigu, car elle fait vne Trente-deuxiesme: de sorte qu'elle surpasse tous les clauiers des Epinettes et des Orgues. Mais parce qu'il se rencontre peu de personnes qui la fassent descendre des deux derniers [-249-] tons, qui sont marquez souz le C sol vt fa dans la figure de l'autre Trompette en taille douce que ie donneray apres, il suffit de luy donner l'estenduë d'vne Vingt-neufiesme, c'est à dire des quatre Octaues, qui font l'estenduë des clauiers: et parce que ie veux examiner pourquoy la Trompette fait les interualles des consonances deuant ceux des dissonances, et les plus grandes consonances deuant les moindres, il faut icy considerer les raisons desdits interualles, afin de rechercher pourquoy elle les choisit tellement que l'on n'en peut faire d'autres en leur place.

Or ie commence ces interualles par son ton plus graue, qui est en C sol vt fa, dans lequel ie les termine aussi, apres qu'il a esté trois fois repeté: mais il faut remarquer que les premiers nombres à main gauche ne vont que iusques à la Vingt-quatriesme, d'autant que l'on ne peut continuer les raisons des autres interualles sans vser de fraction, lors que l'on retient les termes radicaux: les seconds nombres qui sont à main droite, commencent par le 9, parce qu'il faut multiplier tous les precedens par 9, afin de continuer tous les interualles de l'estenduë d'vne Vingt-neufiesme sans aucune fraction.

Estenduë de la Trompette.
16  C sol vt fa      144
    demiton maieur
15  [sqb] mi         135
    ton maieur 
    A mi la re       120
    ton mineur 
12  G re sol vt      108
    ton maieur 
    F vt fa          96
    demiton maieur
10  E mi la          90
    ton mineur 
9   D la re sol      81
    ton maieur 
8   C sol vt         72
    Quarte
6   G re sol vt      54
    Tierce mineure 
5   E mi la          45
    Tierce maieure 
4   C sol vt         36
    Quarte
3   G re sol vt      27
    Quinte
2   C sol vt fa      18
    Octaue
1   C sol vt fa      9

Or il est si aysé d'en comprendre l'estenduë par cette table, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer puis qu'outre les nombres qui sont d'vn costé et d'autre, i'ay marqué chaque interualle par son propre nom: de sorte qu'il ne reste plus qu'à expliquer pourquoy la Trompette passe tout d'vn coup à l'Octaue, et puis à la Quinte sans pouuoir passer par les degrez du milieu: ce qui semble estre contraire à la maxime, qui asseure que l'on ne peut passer d'vne extremité à l'autre sans passer par le milieu: quoy que l'on puisse respondre que cet instrument, et quant et quant la voix, et le vent ont vn mesme priuilege que l'esprit, qui passe souuent d'vne raison à l'autre sans considerer celles qui sont entre-deux: mais cette difficulté merite vne Proposition particuliere.

PROPOSITION XII.

Expliquer pourquoy la Trompette ne peut faire les degrez en bas, comme en haut: et pourquoy elle fait l'Octaue dans son premier interualle, la Quinte dans le second, et ainsi des autres.

IL faut icy supposer l'experience qui est vniforme par tout le monde, à sçauoir que l'on ne peut faire vt, re, mi, fa, et cetera depuis le premier ton de la Trompette, car ceux qui en sonnent font tousiours vt, sol, fa, c'est à dire la Quinte et puis la Quarte en haut: ce qui arriue semblablement aux Cors et aux Trompes. Il faut aussi remarquer que le ton, que l'on appelle ordinairement le premier, ou le plus bas de la Trompette, n'est pas celuy dont [-250-] on vse ordinairement, et que i'ay nommé VT, car elle descend encore d'vne Octaue entiere, quoy que plusieurs Trompettes ne le croyent pas, parce qu'ils ne le peuuent faire, ou qu'ils ne l'ont iamais essayé.

Or il n'y a nul doute que le vent est autrement poussé et modifié pour faire le second ton, que pour faire le premier, et ainsi des autres, et que celuy qui fait le second a ses reflexions, ou ses retours deux fois aussi vistes que celuy qui fait le premier, comme i'ay demonstré dans les liures precedens. Ce qui arriue à raison du vent qui est poussé auec plus ou moins de violence ou de vistesse, et qui consequemment a ses retours plus ou moins frequens; de sorte qu'il faut seulement donner la raison pourquoy cette plus grande vistesse fait plustost l'Octaue, et la Quinte et cetera pour son premier, et son 2 interualle, qu'vn autre consonance ou qu'vne dissonance, et pourquoy le vent est determiné et contraint à faire deux fois autant de retours au second ton de la Trompette, et trois fois autant au troisiesme, et cetera qu'au premier, comme l'on void dans l'estenduë de ses sons.

Or ie dis que cela arriue à cause que tous les agens naturels vont tousiours par le chemin le plus court, et le plus aysé quand ils ne sont pas empeschez, comme l'on experimente aux corps pesans qui descendent vers leur centre par vne ligne droite, parce qu'elle est la plus courte de toutes, car chaque chose naturelle se haste tant qu'elle peut d'arriuer à sa perfection, et nous sert d'exemple pour nous faire embrasser le chemin le plus court, le plus seur, et le plus aysé pour arriuer à nostre derniere fin: c'est à dire la charité et l'amour de Dieu, hors duquel l'on ne trouue que des lignes obliques. Et si la nature ne suiuoit le chemin le plus court, elle feroit des mouuemens inutiles, et trauailleroit en vain; or le chemin le plus aysé, et le plus court qu'elle puisse suiure, consiste à faire l'Octaue pour son premier interualle, et puis la Quinte et les autres qui suiuent dans son estenduë, comme ie demonstre.

Il est certain qu'il n'y a nulle addition plus courte, et plus aysée que celle qui se fait d'vn à vn, d'vn à deux, d'vn à trois, et cetera or quand la Trompette passe par les interualles que i'ay expliquez, elle ne fait autre chose que d'aiouster vn à vn, vn à deux, et cetera il est donc necessaire qu'elle passe par ces interualles, si l'on ne l'en empesche en la forçant contre son naturel.

La maieure est si euidente qu'elle n'a pas besoin d'estre prouuée, si l'on ne veut esclairer le Soleil en plein midy: quant à la mineure elle est tres-aysée à prouuer, car supposé que le son le plus graue, c'est à dire le premier ton de la Trompette se fasse par vn seul retour, ou battement d'air, si l'on adiouste vn autre battement, on fera l'Octaue, et si l'on adiouste encore vn battement aux deux precedens, l'on fait le troisiesme ton de la Trompette, qui est à la Douziesme du premier, et à la Quinte du second. Et puis si l'on adiouste vn battement aux trois precedens, l'on fait le quatriesme ton, qui fait la Quinziesme, ou la double Octaue auec le premier, l'Octaue auec le second, et la Quarte auec le troisiesme. Si l'on adiouste encore vn autre mouuement pour auoir le cinquiesme ton de la Trompette, lequel est composé de cinq battemens d'air, qui se font en mesme temps que le seul battement du premier ton, ou que les deux du deuxiesme ton, et cetera il fait la Dix-septiesme maieure auec le premier ton, et la Tierce maieure auec le quatriesme. Et si l'on adiouste vn autre battement aux cinq precedens, l'on fait la Tierce mineure. Par où l'on void que le progrez de la nature est amy de l'harmonie, qu'elle [-251-] gouuerne ou dont elle depend: de sorte qu'il semble que la nature ou ses mouuemens ne soient autre chose qu'vne rauissante harmonie, qui nous inuite à considerer la premiere source, dont elle prend sa naissance, c'est à dire à contempler Dieu, qui en est l'Autheur, et à l'aymer sur toutes choses. D'où il est aysé de conclure que l'ordre des Consonances est naturel, et que la maniere dont nous contons en commençant par l'vnité iusques au nombre de six, et au delà, est fondée dans la nature.

L'on peut encore donner la raison de ces interualles par la diuision, d'autant que l'Octaue est engendrée par la diuision d'vne chorde en deux parties esgales, comme i'ay monstré dans le liure des Consonances; et toutes les autres consonances sont produites par la seconde ou troisiesme bissection: mais l'adition est ce semble plus naturelle que la diuision, parce que la nature s'augmente et se multiplie par celle-là, et se diminuë et s'affoiblit par celle-cy. Quoy que si on considere le suiet ou la matiere des sons, l'on puisse dire qu'il est plus aysé de diuiser vne chorde en deux parties esgales, que de luy adiouster vne autre partie esgale, dont i'ay expliqué la raison dans le liure de la Voix.

Mais il y a encore plusieurs autres difficultez dans les autres interualles, et dans les autres tons de la Trompette, dont l'vne est pourquoy elle ne diuise pas la Quarte ou son cinquiesme interualle, lors qu'elle fait le septiesme et le huictiesme ton, comme elle diuise la Quinte en faisant le 5 et le 6; c'est à dire pourquoy elle n'adiouste pas vn retour aux 6 precedens du 6 ton pour faire la Sesquisexte, et puis la Sesquiseptiesme, au lieu desquelles elle fait encore la Quarte apres le sixiesme ton, ou apres le cinquiesme interualle de la Tierce mineure, par l'adition de deux battemens qu'elle adiouste aux six precedens.

L'autre difficulté consiste à sçauoir pourquoy elle ne fait pas tousiours l'Octaue à chaque saut, ou interualle qu'elle fait, attendu que chacun de ses sons ou de ses tons peut estre supposé pour l'vnité, et pour vn seul battement, aussi bien que le premier. La troisiesme est, pourquoy elle fait quelquefois vn ton plus bas, ou plus haut que le premier ton, dont nous auons parlé, au lieu de faire l'Octaue. Ie laisse plusieurs autres difficultez qui se rencontrent aussi dans les autres instrumens à vent, dont on pourra trouuer la solution dans les discours qui suiuent.

PROPOSITION XIII.

Expliquer pourquoy la Trompette ne fait pas la Sesquisexte dans son cinquiesme interualle, et qu'elle quitte le progrez qn'elle auoit suiuy iusques au sixiesme ton pour faire la Quarte qu'elle auoit desia faite au troisiesme interualle.

LA Sesquisexte deuroit ce semble suiure la Sesquiquinte, puis qu'elle est le moindre interualle, ou la moindre raison qui suit la Tierce mineure, car elle est entre elle et le ton maieur, et est vn peu plus grande que le ton, que i'appelle maxime, de sorte qu'elle peut estre nommée le ton surmaxime. Mais parce qu'elle n'est ny consonance, ny difference des consonances, la nature qui est harmonique, la reiette et ayme mieux rompre la suite de ses interualles et de ses chansons, que de passer par vn interualle qui ne vaut rien, que pour blesser l'oreille et l'esprit, et nous enseigne quant et quant que nous deuons [-252-] plustost faire ou endurer toute autre chose, que d'embrasser le vice, lequel est pire que toutes les dissonances, puis qu'il interrompt les mouuemens et les exercices de la vertu.

Or elle ayme mieux prendre la peine d'adiouster deux mouuemens, ou battemens d'air tout d'vn coup pour faire la Quarte, que de n'en adiouster qu'vn pour faire la Sesquisexte; ce qui monstre que la Quarte ne reçoit point de diuision harmonique, puis que la nature ne la diuise point, comme elle diuise la seconde Octaue, et la seconde Quinte en trois tons pour marquer leur commencement, leur milieu et leur fin, et consequemment les principales cadences des modes, qui ont plus de puissance sur l'esprit que les autres chordes, ou les autres sons. L'on peut encore dire que la nature ayant donné les six tons, comme ses six iournées ausquelles elle se repose, qu'elle imite son Autheur qui se reposa à la fin des six iours, et qu'elle ne s'occupe plus qu'à faire paroistre la difference de ses six premiers tons par la diuision de la Quarte en ton maieur, ton mineur, et demi-ton maieur, apres auoir proposé la Quarte entiere, comme l'image de l'Octaue, afin que l'on sçache qu'elle la veut diuiser en trois interualles, comme elle a desia diuisé la seconde Octaue en trois autres interualles; de sorte qu'elle imite encore son Autheur, qui se contente de faire paroistre la distinction et la diuersité des creatures, (dont il a ietté les premieres semences durant les six iours de la Creation) par les differentes conionctions qu'il en fait à chaque moment: ce qu'il fait par soy-mesme immediatement, ou par l'entremise des autres creatures, afin que l'on ne s'ennuye pas de considerer les principes des choses, qui sont trop simples pour contenter l'imperfection de nos sens, qui preferent les accidens à la substance. C'est peut-estre pour cette mesme raison que les Musiciens meslent des tons et des demitons parmy les consonances, de peur que leur trop grande douceur ne nous apporte du degoust et de l'ennuy, et que la Trompette fait les dissonances apres les consonances.

D'ailleurs si elle faisoit la Sesquisexte apres la Sesquiquinte, ses battemens seruiroient au nombre Septenaire, qui ne peut estre diuisé que par l'vnité, à laquelle elle ne peut retourner, c'est pourquoy elle quitte ce nombre impair, comme inutile à l'harmonie, pour passer au nombre de huict, qui est le premier cube apres l'vnité, et qui acheue la troisiesme Octaue, comme le 2 et le 4. son, dont il fait la repetition ou le redoublement: par où la nature fait voir combien elle ayme l'Octaue, à laquelle elle est arriuée par l'addition du second battement, au lieu de s'arrester à la Sequisexte par vn seul battement. Finalement quand elle bat l'air huict fois apres l'auoir battu six fois, elle fait la mesme chose que lors qu'elle le bat quatre fois apres l'auoir battu trois fois, d'autant qu'il faut iuger du progrez des consonances par la suite de leurs termes radicaux.

Or elle fait le ton maieur apres cette Quarte par l'addition d'vn seul battement, comme elle fait le mineur: car son ton estant composé de huict battemens, fait le ton maieur contre les neuf battemens du huictiesme ton, et cet 8 ton composé de 9 battemens fait le ton maieur contre les 10 battemens de son neufiesme son. Où il faut remarquer que tous les sons qu'elle choisit font des consonances auec ceux qui precedent, par exemple le neufiesme son composé de dix battemens fait l'Octaue auec le cinquiesme son: mais si elle faisoit la Sesquisexte auec son sixiesme son, le septiesme son ne feroit nulle [-253-] consonance auec les sons precedens, et seroit semblable à l'Orateur qui agence si mal ses periodes et ses raisons, qu'elles n'ont nul bon rapport ensemble, et qu'elles blessent les oreilles.

L'on peut donc conclure par l'experience, que la nature cherche l'Octaue, et qu'elle ne veut pas donner les differences des consonances iusques à ce qu'elle ayt fait la Vingt-deuxiesme, en arriuant à l'octonaire, qui luy sert de borne, parce qu'elle considere seulement les solides, sans se soucier des sursolides, et des autres nombres ou quantitez que l'on appelle dignitez dans l'Algebre, et qui sont plustost dans l'imagination des hommes, que dans la realité des choses: de là vient que tous les instrumens bornent leur estenduë par le nombre de huit, et prennent pour leur deuise auec toute la nature, Non plus vltrà. Mais il y a encore plusieurs choses à considerer dans les interualles de la Trompette: par exemple, pourquoy elle fait le demiton maieur par son dixiesme ton, et comme elle peut passer des dix battemens du neufiesme son aux 10 2/3 battemens du 10, au lieu de faire vnze battemens par l'adition de l'vnité; car il faut qu'elle suppose que dix vaut quinze, afin que 10 2/3 vaillent seize. Ce qu'elle fait afin de donner la troisiesme difference des consonances, car le demiton maieur est la difference de la Tierce maieure, et de la Quarte, comme le ton maieure est la difference de la Quarte et de la Quinte, et le ton mineur celle de la Quinte et de la Sexte maieure.

En effet il est raisonnable que la Trompette diuise tellement la Quarte, qu'elle auoit fait paroistre dans son Sixiesme interualle, que la derniere diuision restitue la mesme Quarte; ce qui ne peut arriuer apres le ton maieur et le mineur, qu'elle a faits en suiuant son progrez naturel, si elle ne fait le demiton maieur: or la Proposition qui suit contient encore d'autres difficultez qui peuuent seruir pour entendre celle-cy.

PROPOSITION XIV.

Expliquer pourquoy la Trompette ne suppose pas chacun de ces tons pour l'vnité, et par consequent pourquoy elle ne fait pas tousiours l'Octaue à chaque interualle.

PVis que l'on peut supposer 2, 4, 8, et cetera aussi bien qu'vn pour le premier son de la Trompette, il est ce semble difficile de sçauoir pourquoy elle ne fait pas aussi aysément l'Octaue, ou la Quinte, ou tel autre interualle que l'on veut, au 3 et 4 interualle, et cetera comme au 1 et au 2, puis que son 3 et 4 son, et cetera peuuent aussi bien estre supposez pour l'vnité, comme le premier. Neantmoins il est aysé d'expliquer cette difficulté, si l'on veut vser de suppositions veritables, et de celles que donne la nature, sans s'amuser aux imaginaires, qui n'ont pas leur fondement dans la realité des choses, d'autant qu'il est certain que le premier son de la Trompette est au second comme vn à deux, car les battemens de l'air, qui font le premier son, durent deux fois autant que ceux qui font le second, c'est à dire que l'air bat deux fois dans le second son, tandis qu'il bat vne seule fois dans le premier son, comme i'ay prouué ailleurs; de sorte que si l'on prend toute l'estenduë de la Trompette pour son corps entier, l'on trouuera qu'il est impossible que le premier son puisse estre supposé pour autre chose que pour l'vnité, le second pour le binaire, le troisiesme pour le ternaire, et cetera. Ce que l'on peut entendre par la comparaison d'vn [-254-] corps, car si l'on suppose que l'vn de ses costez soit de deux pieds, et qu'il soit cube, c'est chose asseurée que la surface de l'vn de ses costez aura quatre pieds, et que sa solidité en aura huit: mais si apres auoir trouué quatre pour la surface, l'on vouloit encore supposer que cette surface n'a que deux pieds, l'on ne pourroit trouuer son conte, ny la solidité que l'on cherche, ny par consequent la verité. C'est pourquoy il faut tousiours suiure le premier fondement que l'on a pris dés le commencement, si l'on ne veut que tout ce qu'on bastit se ruine de soy-mesme: et consequemment si l'on prend l'vnité pour le premier son de la Trompette, il n'est plus permis de la supposer pour ses autres sons. La mesme chose arriuera, si l'on suppose 2, 3, 4, 5, et cetera pour le premier son, car l'on rencontrera tousiours le mesme raisonnement, et les mesmes interualles que i'ay expliquez.

Et si l'on obiecte qu'en supposant le premier son pour l'vnité, l'on peut s'en imaginer vn plus graue, qui se fasse par la moitié de l'vnité, et puis vn autre qui se fasse par le quart, et ainsi des autres, suiuant ces nombres 1/2, 1/4, 1/8, 1/16, et cetera il faut respondre qu'il ne se peut faire de son d'vn demy, ou d'vn quart de battement ou de retour, car il faut pour le moins battre vne fois l'air pour faire vn son, or l'on ne peut le battre plus d'vne fois, qu'on ne le batte pour le moins deux fois, et puis trois fois, et cetera. Mais il se rencontre encore icy quelques difficultez dans l'ordre desdits sons, comparez à leur force et à leur foiblesse, car si la nature suit l'ordre des nombres, il semble que la Trompette ne doit iamais passer à la Quinte, qu'elle n'ayt premierement fait l'Octaue, et qu'elle ne doit iamais aller à la Quarte simple ou repetée, qu'elle n'ayt passé par l'Octaue et par la Douziesme: or l'experience enseigne que la Trompette monte, quand on veut, depuis son premier ton iusques au dernier sans passer par les interualles du milieu: par exemple, l'on peut faire la triple Octaue d'vn à huict dés le premier saut, et consequemment la Trompette ne suit pas necessairement l'ordre des nombres dont nous auons parlé. A quoy ie responds que cette consideration ne destruit nullement ce que i'ay dit de l'ordre des interualles, lors que l'on pousse le vent fort doucement, et peu à peu, ce qui n'empesche pas que l'on ne fasse de plus grands interualles, quand on le pousse d'vne grande violence, car si l'on donne autant de vent à la Trompette dés la premiere fois, comme à la troisiesme, c'est chose asseurée qu'elle montera plus haut d'vne Douziesme que son premier ton: et si on luy en donne autant comme elle en reçoit au quatriesme ton, elle montera d'vne Dix-septiesme, et cetera d'autant que les derniers interualles contiennent les premiers, car la Quinziesme contient l'Octaue, comme la surface contient la ligne, et le Vingt-deuxiesme contient l'Octaue et la Quinziesme, comme le solide contient le plan et la ligne.

C'est pourquoy quand le vent est poussé si viste, qu'il bat 2, 3, 4, 5, ou 6 fois l'entrée du bocal, il monte aux tons precedens. Il faut dire la mesme chose de la descente des sons, qui est d'autant plus grande que l'on diminuë dauantage la vistesse ou le nombre des battemens. Or la raison que i'ay donnée, n'est pas fondée sur ce que la Trompette ne peut passer de son premier ton au dernier sans passer par ceux du milieu, mais sur ce qu'elle ne peut faire de moindres interualles que ceux dont i'ay parlé.

Neantmoins il y a encore vne grande difficulté qui merite vne Proposition particuliere, à sçauoir comme l'on peut augmenter le son de la Trompette [-255-] tant que l'on veut, sans le faire plus aigu, quoy que l'on pousse le vent plus fort qu'à l'ordinaire, et comme l'on peut l'affoiblir sans l'abaisser.

PROPOSITION XV.

Expliquer en quelle maniere l'on peut augmenter ou affoiblir la force de chaque son de la Trompette sans en changer le ton, c'est à dire l'aigu ou le graue.

CEtte difficulté peut estre expliquée par ce que i'ay dit de la voix forte, et de l'aiguë dans le liure de la Voix, et de la difference de l'aigu et de la force des sons dans le liure des Instrumens à chorde, car l'air agité ne fait iamais le son plus aigu que ses agitations, ou ses battemens ne soient plus vistes. D'où il faut conclure que le mesme ton de la Trompette se fait tousiours d'vn mesme nombre de battemens d'air, quoy qu'il soit si foible ou si fort que l'on voudra: c'est pourquoy il faut dire que l'on pousse seulement vne plus grande quantité d'air, ou de vent en mesme temps, lors que l'on augmente la force du ton, et que les mouuemens et les battemens, ou les flux et reflux de l'air sont plus grands, mais qu'ils ne sont pas en vn plus grand nombre: quoy qu'il soit difficile d'expliquer la maniere dont il faut pousser le vent pour faire la distinction des sons forts, et des aigus auec la Trompette, si nous ne luy appliquons ce qui a esté dit de la force, et de la foiblesse du son que fait vne mesme chorde, et de la difference des voix fortes et des aiguës.

Or i'ay demonstré que le son se renforce sans changer de ton, c'est à dire sans se hausser quand on touche la chorde plus fort, d'autant qu'elle bat vne plus grande quantité d'air en aussi peu de temps qu'elle en battoit vne moindre quantité en faisant vn son plus foible: de sorte que le ton de la chorde, ou de la Trompette ne peut changer, quoy qu'il s'augmentast iusques à l'infini, si le nombre des battemens, dont il est composé, ne s'augmente: or ce nombre ne s'augmente point tandis que l'on pousse le vent d'vne mesme ouuerture de bouche, ou d'vn mesme mouuement de gorge. Car il faut remarquer que le larynx et la glotte s'abaissent, et s'ouurent dauantage en faisant les premiers tons, et qu'il faut restressir ces ouuertures pour faire les tons plus aigus, encore que ceux qui sonnent des instrumens n'apperçoiuent pas ces changemens, parce qu'ils ne font pas vne assez forte reflexion sur la maniere dont ils pressent les levres, et poussent le vent.

Mais l'on peut obiecter qu'il s'ensuit que l'on pourroit faire toutes sortes de degrez auec la Trompette tant en haut qu'en bas, comme l'on fait auec la gorge, si les tons dependoient des differentes ouuertures de la bouche et de la glotte, puis que nous faisons toutes sortes de degrez en chantant: et qu'vn soufflet peut suppleer la bouche, et faire tous les tons de la Trompette, dont nous auons parlé, encore qu'il ayt tousiours vne mesme ouuerture, comme l'on experimente aux tuyaux d'Orgues, dont les vns montent à l'Octaue, et les autres à la Douziesme, lors qu'on les charge dauantage. A quoy l'on peut adiouster que la mesme ouuerture de la bouche et de la gorge fait des tons differents auec le Flageollet, et les autres Flustes à trous: d'où il faut, ce semble, conclure que la diuersité des tons de la Trompette, et des autres instrumens ne vient seulement pas des differentes ouuertures de la gorge, ou de la [-256-] bouche. Certes ces trois difficultez sont fort considerables, car bien que quelques-vns maintiennent que l'on peut faire monter la Trompette par toutes sortes de degrez, tant en haut qu'en bas, comme la voix, neantmoins toutes les experiences que i'ay peu faire monstrent le contraire: quoy que i'aye rencontré quelqu'vn qui descend d'vne Tierce maieure plus bas que le second son, au lieu de descendre d'vne Octaue entiere, comme ie diray dans l'estenduë de la Trompette, dans laquelle on void encore deux tons sous le premier, sous lequel il y en a qui descendent premierement d'vne Tierce mineure, et puis d'vn ton; mais outre que cela n'est pas ordinaire, et que ces tons se font auec vne grande difficulté, ils ne valent rien, c'est pourquoy il n'en faut faire nul estat; et mesme nous pourrions laisser le premier ton, et consequemment le premier interualle de l'Octaue, et prendre le second ton pour le premier, parce que l'on n'en vse point sur la Trompette, et qu'il ne vaut rien, comme ie diray en parlant de son vsage.

L'on peut encore respondre que les raisons precedentes ne perdroient pas leur force, encore qu'il se rencontrast des hommes si habiles qu'ils peussent faire tous les degrez d'vt, re, mi, fa, et cetera depuis le premier ton de la Trompette, d'autant que l'industrie des hommes peut troubler les mouuemens de la nature, pour seruir à leurs desseins particuliers, comme l'on experimente dans les ouurages de la Mechanique.

C'est pourquoy l'on peut dire que l'on ne fait point ordinairement les degrez en bas par les seules differentes ouuertures des levres ou de la gorge: et qu'apres l'ouuerture, dont on fait le 1 ton, l'on ne peut tellement les ouurir qu'on ne fasse monter la Trompette à la Quarte, ou à quelque moindre interualle, d'autant que quelque peu qu'on les ouure dauantage, elles ne peuuent adiouster moins d'vn retour ou d'vn battement d'air, aux battemens qui determinent le son precedent: de sorte qu'il est necessaire de faire la Quinte apres l'Octaue, et en suite tous les autres interualles dont i ay parlé si ce n'est que l'on vse de la mesme ouuerture des levres en poussant vne differente quantité d'air d'vne force differente, laquelle on peut diuiser en tant de degrez que l'on voudra en affoiblissant, ou en augmentant le ton.

Il faut donc respondre à la premiere difficulté que les levres ne feroient pas toutes sortes de sons, comme elles font, si elles ne se serroient et se fermoient diuersement, car le poulmon ne seruant d'autre chose que de soufflet, dont l'artere vocale est le porte-vent, il faut que les levres qui touchent immediatement au bocal, modifient la voix ou le vent, pour faire les sons graues et aigus. Quant aux soufflets, lors que l'on aura fait voir qu'ils font tous les tons de la Trompette, nous expliquerons aysément comme cela se fait, ce qu'il ne faut nullement croire sans en voir l'experience, que l'on ne fera iamais à mon aduis: et quand on la feroit, il faudroit dire que la violence du vent fait vn plus grand nombre de battemens que deuant, car la vistesse dont on le pousse, peut suppleer à l'estrecissement du canal par où passe le vent: parce qu'il suffit que l'air batte, ou qu'il soit battu autant de fois qu'il est necessaire pour faire le ton que l'on desire: car il n'importe qu'il soit battu, ou qu'il batte, comme il n'importe nullement que la terre, ou le Soleil se meuuent pour faire le iour.

Il est vray que les soufflets font monter les tuyaux d'Orgue à l'Octaue et à la Douziesme, mais ie reserue cette difficulté pour le liure des Orgues. Il n'est [-257-] pas besoin de parler de la gorge, dont on fait toutes sortes de sons, parce que l'on experimente qu'elle s'estressit d'autant plus que l'on fait des sons plus aigus, ce qui confirme encore les raisons precedentes: de sorte qu'il ne reste plus que les Flageollets, qui montent à l'Octaue et à la Quinziesme par la seule force du vent, sans qu'il soit besoin d'estressir la gorge ou les levres, comme l'on experimente en tenant tous ses trous bouchez, car on a souuent de la peine à l'empescher de monter à l'Octaue: ce qui arriue semblablement aux Flustes douces, et à plusieurs autres instrumens. Mais il suffit que le vent fasse la mesme chose dans le Flageollet, que la diuersité des pressions de levres dans la Trompette, c'est à dire qu'il fasse deux fois autant de retours, ou qu'il batte deux fois autant la lumiere, quand il monte à l'Octaue, comme il faisoit auant que d'y monter. A quoy l'on peut adiouster le discours de la Proposition qui suit, car il sert pour expliquer cette difficulté et les precedentes.

PROPOSITION XVI.

Expliquer pourquoy la Trompette et les autres instrumens à vent ne font pas tousiours les interualles dont nous auons parlé: et pourquoy ils font souuent le demi-ton ou le ton, au lieu de l'Octaue, de la Quinte, ou de la Douziesme, et cetera.

L'Experience fait quelquefois voir que la Trompette monte, ou descend d'vn ton depuis son second son: ce qui arriue semblablement à plusieurs tuyaux d'Orgues, dont les vns montent seulement d'vn demiton, ou d'vn ton, outre lequel nul vent ne les peut faire passer; et les autres montent iusques à l'Octaue ou au delà, quand on force le vent: ce qui arriue aussi à quelques Flustes, et aux Flageollets, qui montent auec vn vent tres-doux de ton en ton iusques à la Quinte auant que de prendre leur ton naturel, comme i'ay experimenté: mais ces sons sont si foibles et si peu marquez, qu'il est difficile d'en iuger.

Or la principale difficulté consiste à sçauoir comment la Trompette, et les autres instrumens changent le nombre des battemens de leur premier, ou de leur second son, et cetera c'est à dire 1, 2, ou 3 battemens en 16 battemens, lors qu'ils font le demy-ton maieur, ou en neuf battemens, quand ils montent d'vn ton maieur, car il faut (ce semble) qu'ils supposent que le premier et le second son soient composez de quinze, ou de huict battemens, afin que l'addition d'vn seul battement fasse l'interualle d'vn demy-ton, ou d'vn ton: ce qui n'est pas possible, puis qu'vn ou deux battemens ne peuuent se changer en quinze ou huict battemens. Mais si l'on se souuient de ce que i'ay demonstré dans les autres liures, à sçauoir que le second son de la Trompette, et tous les autres de mesme ton se font par des battemens fort vistes, et que le vent bat du moins quarante fois le trou du bocal dans le temps d'vne seconde minute, quand elle fait le second son, il est aysé d'entendre comment le mesme son peut estre supposé pour huict, neuf, dix, quinze et dauantage de battemens, lors qu'on le compare aux battemens d'vn autre son, puis que quarante contient huict, neuf, dix, quinze fois, et cetera car si le troisiesme son, par exemple, se fait de quarante cinq battemens en vn temps esgal à celuy auquel se font les quarante precedens, il n'y a nul doute qu'il fera le ton maieur auec le second son: de sorte qu'il faut seulement expliquer de quelle maniere le vent [-258-] doit estre poussé dans la Trompette depuis le premier son iusques au second pour faire 1 1/8 battement, au lieu d'en faire deux dans vn temps esgal à la durée du premier son, ou plustost pour faire neuf battemens au lieu des huict du premier son. Car i'ay desia dit qu'il faut que chaque battement soit entier pour varier le ton.

Or pour entendre cette solution, il faut prendre la raison des battemens dans leurs termes radicaux, afin de voir si le premier son estant composé d'vn seul battement, l'on peut trouuer vn autre nombre qui fasse le ton auec luy, ou s'il est tout à fait necessaire que le premier son soit composé de huict battemens pour faire ledit ton auec le second son. Surquoy ie responds que le premier son ne peut faire le ton maieur auec le second, iusques à ce que le vent ayt battu huict fois le bocal dans le premier son, et neuf fois dans le second; et par consequent qu'il se peut faire que l'on entende l'Octaue deuant le ton, car si l'on prend trois Trompettes, ou trois chordes de differente longueur, par exemple, que la premiere soit d'vn pied, la seconde de deux, la troisiesme de huict, et la quatriesme de neuf pieds, si on les sonne toutes en mesme temps, l'on entendra l'Octaue deuant le ton, d'autant que la Trompette ou la chorde d'vn pied de long aura battu deux fois l'air, et que celle de deux pieds l'aura battu vne fois beaucoup plus tost que celle de huict pieds ne l'aura battu neuf fois, et celle de neuf pieds huict fois, car celle d'vn pied le bat huict fois en mesme temps que celle de huict pieds ne le bat qu'vne fois, et celle de neuf pieds n'aura pas encore acheué son premier battement; et consequemment les deux premieres chordes auront desia fait quatre fois l'Octaue, quand les deux dernieres auront fait vne seule fois le ton, puis que la seconde chorde de deux pieds aura quatre fois vny ses quatre battemens auec les huict de celle d'vn pied en mesme temps, que celle de neuf pieds commencera d'vnir ses huict battemens auec les neuf de celle de huict pieds.

D'où l'on peut encore tirer des raisons pour expliquer pourquoy la Trompette, et les autres instrumens font l'Octaue pour leur premier interualle, et qu'ils ont ce semble plus de peine, ou moins d'inclination à faire le ton, ou le demi-ton, qu'ils ne font pas si nettement, ny si constamment comme l'Octaue. Or ils font ces degrez au lieu de ladite Octaue, lors que l'on ne pousse pas le vent assez fort, quoy qu'il soit difficile de sçauoir pourquoy ils ne font pas aussi bien les Tierces, la Quarte et la Quinte, comme le ton et le demiton, auant que de passer à l'Octaue; dont ceux qui auront plus de loisir, ou d'esprit que moy peuuent trouuer la raison dans les mouuemens du vent que l'on pousse, et dans la figure interieure, et la construction de l'instrument, qui sont causes de plusieurs sons particuliers, et de plusieurs interualles que l'on apperçoit ez vns, quoy qu'ils ne soient pas dans les autres.

Ce qu'il suffit d'auoir remarqué sans qu'il soit necessaire de particulariser mille petites circonstances qui se rencontrent aux sons, et aux interualles de chaque instrument, et dont on ne sçauroit expliquer les raisons à moins que d'en faire vn liure entier. Ce que l'on doit reseruer à ceux qui ont consommé toute leur vie à considerer, et à pratiquer les instrumens: car ie ne veux pas demeurer si long temps à parler de la Trompette, que i'oublie les autres, c'est pourquoy ie viens à l'explication de son Diapason et de son vsage.

[-259-] PROPOSITION XVII.

Expliquer le Diapason des Trompettes, c'est à dire les differentes grandeurs qu'elles doiuent auoir pour faire les quatre parties de Musique, et toutes sortes de Concerts: et la figure et l'vsage de la Sourdine.

IL n'y a nul doute que les Trompettes descendent d'autant plus bas qu'elles sont plus longues, ou plus larges, et que la raison de leurs sons doit suiure celle de leurs longueurs, pourueu qu'il n'y arriue point d'accident, qui empesche cette proportion mutuelle, qui se rencontre dans toutes sortes d'instrumens: par exemple, le second son de la Trompette de quatre pieds montera plus haut d'vne Octaue, que le second de celle de huict pieds, et tous les autres sons hausseront ou baisseront en mesme proportion, que les Trompettes seront plus ou moins courtes, pourueu que le vent soit poussé et dispensé auec proportion.

D'où ie conclus qu'il faut sept differentes Trompettes pour faire les sept sons qui remplissent le premier interualle de l'Octaue, d'autant que chaque Trompette embouchée de mesme maniere ne fera qu'vn son: et parce que la seconde sera plus courte d'vne huictiesme partie que la premiere, la troisiesme plus courte d'vne neufiesme partie que la seconde, la quatriesme plus courte d'vne quinziesme partie que la troisiesme, et ainsi des autres iusques à la septiesme, l'on fera tous les degrez de l'Octaue, vt, re, mi, fa, et cetera d'autant qu'elles monteront de ton en ton par degrez conioints, de sorte que l'on pourra chanter toutes sortes de pieces de Musique à quatre parties tant en bas qu'en haut. Mais parce qu'il est difficile que plusieurs s'accordent si parfaitement qu'ils puissent faire sonner leurs Trompettes en gardant la mesure, et de mesme force, il seroit plus expedient de faire des trous à leurs branches comme l'on en fait au Serpent, dont nous parlerons apres; ou de les accommoder à vn clauier pour en faire sonner plusieurs ensemble, comme l'on fait sur les Orgues: quoy qu'il semble que le vent des soufflets n'est pas capable de faire sonner les Trompettes, parce qu'il ne peut pas suppleer les differentes pressions, et mouuemens que font les levres dans le bocal, ny les differens coups de langue dont on vse pour l'animer. L'on peut aussi donner la forme de la Saquebutte à la Trompette, mais i'en laisse les experiences à ceux qui sont entretenus pour plaire aux Princes dans cet exercice, qu'ils peuuent perfectionner, afin d'expliquer la figure et la proprieté de la Sourdine, qui est ordinairement faite d'vn morceau de bois, que l'on met dans le pauillon de la Trompette, afin qu'elle la boûche tellement qu'elle en diminuë et en assourdisse les sons.

[alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon] monstrent le costé que l'on pousse dedans, et [zeta][eta signifient l'autre bout, par lequel on la tient en la poussant dedans ledit pauillon: quoy que l'on puisse vser d'autres inuentions pour diminuer, et pour empescher la violence et l'esclat de la Trompette en boûchant vne partie de son ouuerture. Or l'on vse de cette Sourdine, quand on ne veut pas que la Trompette s'entende du lieu où sont les ennemis, comme il arriue aux sieges des villes, et lors que l'on veut desloger. Mais il est difficile de sçauoir de combien la Sourdine diminuë le son, car l'on peut seulement dire qu'il est d'autant plus foible [-260-] qu'il s'entend de moins loin, puis que l'on mesure la grandeur de la cause par celle des effets, particulierement quand ils sont vniuoques à leur cause.

[Mersenne, Instrumens à vent, 260; text: [alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], [eta]] [MERHU3_5 09GF]

Or il faut remarquer que cette Sourdine est percée tout au long depuis sa bouche [alpha], iusques à sa pate [zeta], [eta]; et que les bords [beta], [gamma] iusques à [delta], [epsilon] sont fort minces et deliez, afin qu'ils obeïssent vn peu quand on les pousse dans la pate du pauillon: car si elle n'estoit creuse et percée, et si elle ne bouchoit entierement le pauillon, la Trompette ne pourroit sonner, parce que le vent ne pourroit sortir; de sorte qu'elle sert seulement pour estressir l'ouuerture du pauillon, et pour estouffer le son par l'entremise du manche [delta], [epsilon], [zeta], [eta]; car l'on experimente en toutes sortes d'instrumens, qu'ils esclattent dauantage à proportion que leurs pates sont plus ouuertes, particulierement quand cette ouuerture commence beaucoup plus haut que la pate de l'instrument, comme il arriue aux Trompettes, dont l'ouuerture s'augmente depuis le dernier noeud iusques à la fin: et qu'ils font des sons d'autant plus doux, et plus foibles qu'ils se restressissent dauantage, comme l'on experimente dans les differens ieux des Orgues, dont les bouchez sont les plus doux. D'où l'on peut conclure qu'il est aysé d'adoucir les sons de la Trompette sans vser de la Sourdine; quoy qu'il ne soit pas besoin de changer leurs ouuertures, puis que ceux qui en sçauent sonner en perfection, affoiblissent le son tant qu'ils veulent par la seule moderation du vent, qu'ils dispensent auec tant de varietez, qu'ils imitent les plus doux Echo, et ostent l'enuie et le desir d'entendre la douceur du Luth et des autres instrumens à ceux qui ayment l'harmonie.

PROPOSITION XVIII.

Expliquer la maniere de sonner de la Trompette, et l'vsage qu'elle a dans la Guerre, et autre part.

LOrs que l'on veut apprendre à sonner de la Trompette, il suffit d'en prendre le bocal pour s'accoustumer à faire les tons, et à l'emboucher d'autant qu'il fait les mesmes interualles que la Trompette, qui sert seulement à changer les qualitez des tons que fait ledit bocal, et à les renforcer et les rendre plus agreables et plus esclatans: de sorte que le tout depend de l'emboucheure du bocal: ce qui arriue semblablement aux bouquins des Cornets et des Serpents. Mais il n'y a point d'autres preceptes pour apprendre à en sonner, que l'imitation de ceux qui en sçauent desia l'art, car il faut seulement emboucher le bocal en toutes sortes de façons, tantost à costé, et puis au milieu de la bouche, et presser les levres en poussant le vent iusques à ce que l'on ayt fait le ton que l'on desire.

Or cet instrument est incommode en ce que l'on est contraint de mettre le bout des levres dans le bocal, ce qui est cause qu'elles s'enflent, et qu'elles font de la douleur: il faut aussi pousser le bout de la langue sur le bord des levres, afin de marteler les sons et de les animer par le mouuement de ladite langue, dont les differens coups font de grands effets sur l'esprit des auditeurs.

Quant à l'vsage des Trompettes, elles seruent en temps de paix et de guerre pour toutes sortes de resioüissances et de solemnitez publiques, comme [-261-] l'on void aux mariages, aux banquets, aux tragedies et aux carrousels: mais il semble que son principal vsage soit destiné à la guerre, dont la plus grande partie des actions est signifiée par ses tons differens, que i'expliqueray apres auoir remarqué qu'il n'y a nul doute que les Trompettes de Moyse faisoient les mesmes interualles que les nostres: d'où il est aysé de conclure en quelle maniere les Prestres conuoquoient le peuple, comme ils appelloient les Princes, comme ils celebroient leurs solemnitez, et comme ils preparoient le coeur et les esprits des soldats pour aller à la guerre, pour aller à l'assaut, et pour donner les combats.

Car puis que l'on experimente que le quatriesme ton est le lieu, ou l'homme a plus de force, et qu'il est plus propre à animer, ie ne doute nullement qu'ils n'en ayent vsé comme l'on fait maintenant. Or les Prestres de l'ancienne Loy auoient charge de sonner à chaque fois qu'il falloit leuer le camp, que l'on disposoit tellement, que l'Arche estoit au milieu, et puis les Leuites se tenoient autour de ladite Arche: en apres la Tribu de Iuda estoit campée à l'Orient, et auoit souz soy la Tribu d'Issachar, et celle de Zabulon: Ruben auec la Tribu de Simeon et de Gad estoient au Midy, Ephraim à l'Occident, et Dan au Septentrion; de sorte que le premier son de la Trompette, qui estoit semblable à nostre Boute-selle, et à sa leuée, faisoit partir la Tribu de Iuda. Ceux qui estoient au Midy partoient au second son, et ceux de l'Occident et du Septentrion partoient au trois et au quatriesme son, qui sans doute duroit assez long-temps pour se faire ouyr de toute l'armée, comme il arriue maintenant que l'on sonne le Boute-selle l'espace d'vn quart d'heure, ou enuiron, afin d'auertir tous les gens-d'armes.

Ie laisse les autres vsages, ausquels Dieu destina les Trompettes, d'autant qu'ils sont expliquez assez clairement dans le 10. Chapitre des Nombres, dans lequel il faut remarquer que le simple son, et celuy qui est coupé, ou diminué, dont parle le septiesme Verset, se peut entendre en plusieurs manieres, car le simple son consiste à frapper plusieurs fois vn mesme ton, comme quand on chante plusieurs notes blanches sur vne mesme ligne, par exemple le fa de F vt fa: la seconde maniere se pratique comme nostre premier, et second à cheual, car encore que les deux premieres notes soient diminuées, l'on ne fait qu'vn mesme ton, c'est pourquoy l'on peut appeller ce son simple, diminué ou coupé. Mais lors qu'en faisant cette diminution l'on change de ton, comme il arriue aux Boute-selles, et à la Charge, le son est coupé, ou diuisé en deux manieres. Finalement lors que l'on fait vne pause, ou vn repos entre deux sons, comme il arriue à la quatriesme leuée du Boute-selle, l'on peut dire que le son est diuisé: ce qui suffit pour expliquer ledit Verset conformément à la pratique de la guerre.

Quant à la tablature de la Trompette, elle n'est pas distincte de celle de la Musique, qui se fait par les notes, encore que l'on en puisse faire vne particuliere, comme celle de la Musette, dont on peut vser sans notes. Mais il faut premierement remarquer que les sons tant de la Trompette, que des autres instrumens ont deux choses fort considerables, à sçauoir leurs differens degrez de graue et d'aigu, et ceux de leur force et de leur vigueur. Quant aux premiers, ils sont tous marquez au dessus de la Trompette qui suit, et sur sa banderolle. Les autres n'ont point encore esté marquez, quoy que l'on puisse vser des huict premiers nombres pour les diuiser en huict differens degrez [-262-] de force, comme i'ay dit en parlant des airs. L'on doit aussi considerer le temps de chaque son, afin d'vser de toutes sortes de mouuemens auec la Trompette, comme sur le Tambour, et sur les autres instrumens. Or les principaux mouuemens, qui semblent auoir plus de force sur l'esprit des soldats, consistent en ces pieds metriques [brevis longa longa longa brevis, brevis brevis brevis longa brevis, brevis brevis brevis brevis brevis brevis longa brevis], et en quelques autres semblables, dont chacun dure vne seconde minute, c'est à dire vn battement du coeur, ou enuiron. Ils se distinguent sur vn mesme ton par leurs differentes forces ou vistesses; et quand ils font des tons differens, ils se rencontrent quasi tousiours sur le trois et le quatriesme ton, qui font l'interualle de la Quarte, à sçauoir FA, VT.

Mais auant que d'expliquer les fondemens de cette tablature, il faut remarquer que l'on vse seulement de six, ou sept manieres de tons à la guerre: la premiere s'appelle le Caualquet, dont on se sert quand l'armée, ou l'vn des regimens approche des villes, par où l'on passe en allant aux sieges, ou aux lieux des combats, afin d'auertir les habitans, et de les faire participans de l'allegresse, et de l'esperance que l'on a de remporter la victoire. La seconde se nomme le Boute-selle, dont on vse quand on veut desloger: et puis on fait suiure la leuée du Boute-selle. En troisiesme lieu on sonne A cheual, et puis à l'estendart, et la charge. On sonne encore le Guet; mais toutes ces manieres de sonner ne sont le plus souuent distinctes que par la mesure du temps, car on fait quasi tousiours la Quarte, comme l'on void dans la Proposition qui suit.

Or il seroit inutile de mettre icy toutes les sortes des differentes mesures, et des mouuemens dont on peut vser en sonnant de la Trompette, puis que i'en ay donné la science dans le discours des temps, et des mesures de la Musique, et qu'elle est capable d'autant de differens mouuemens que la voix, puis que c'est par son moyen que l'on en sonne; car la bouche vse du mesme vent pour en sonner, dont elle forme les paroles: de sorte que l'on fait dire tout ce que l'on veut à la Trompette, sans qu'il luy manque autre chose que l'articulation, et la prononciation des syllabes et des dictions: de là vient que deux ou plusieurs Trompettes s'entendent aysément d'vn quart de lieuë, et font plusieurs discours qui peuuent suppleer la parole: quoy qu'elles n'ayent rien de particulier en cela, sinon qu'elles sont entenduës de plus loin que les autres instrumens, dont on peut semblablement vser pour tenir tels discours que l'on voudra, comme i'ay dit ailleurs.

PROPOSITION XIX.

Expliquer la tablature, et les chansons de la Trompette, dont on vse dans la milice.

ENcore que les notes de Musique seruent de tablature vniuerselle pour toutes sortes d'instrumens, et qu'elles soient ce semble plus propres pour ce suiet que nuls autres caracteres, neantmoins i'en veux icy expliquer vne autre sorte, afin de m'en seruir pour marquer toutes les manieres de sonner de la Trompette. Ie suppose donc premierement que l'on n'vse que de six tons de la Trompette dans l'art militaire, et consequemment que l'on n'a besoin que de six caracteres pour sa tablature, encore que l'on en puisse adiouster six ou sept autres pour marquer les autres tons plus aigus, dont on compose les chansons.

[-263-] Or de tous les caracteres que l'on se peut imaginer, ie n'en trouue point de plus propres que ceux de l'Arithmetique, c'est à dire que les nombres, dont le premier signifiera le premier ton, à sçauoir l'vt de C sol vt fa, qui est esloigné du second ton d'vne Quinte, car le second ton fait le sol de G re sol: le troisiesme ton fait le fa de C sol vt fa, et est à l'Octaue du premier, et consequemment à la Quarte du second. Le quatriesme ton est le mi d'E mi la, et fait la Tierce maieure auec le troisiesme, la Sexte maieure auec le second, et la Dixiesme maieure auec le premier. Le cinquiesme ton fait la Tierce mineure auec le quatriesme, la Quinte auec le troisiesme, l'Octaue auec le second, et la Douziesme auec le premier; et finalement le sixiesme ton fait la Quarte auec le cinquiesme, la Sexte mineure auec le quatriesme, l'Octaue auec le troisiesme, la Douziesme auec le second, et la Quinziesme auec le premier: de sorte que l'estenduë militaire de la Trompette contient le grand Systeme des Grecs, et l'estenduë des plus excellentes voix, comme l'on void dans la table qui suit, dont les premiers nombres signifient le nombre des tons, et les seconds monstrent les cinq raisons de leurs cinq interualles, dont i'ay escrit les noms entre les dictions de la main harmonique, afin que tous puissent entendre combien il y a d'vn ton à l'autre de la Trompette.

Estenduë militaire de la Trompette.
6  8  C sol vt fa 
      Quarte
5  6  G re sol vt 
      Tierce mineure
4  5  E mi la
      Tierce maieure
3  4  C sol vt fa
      Quarte
2  3  G re sol vt
      Quinte
1  2  C sol vt fa

Cecy estant posé, il est tres-aisé d'entendre qu'il faut autant de fois repeter chaque ton, comme son nombre se repetera de fois dans la tablature; par exemple, si l'on repete vingt-huit fois le troisiesme ton, comme l'on fait en sonnant à cheual, il faut mettre 28 fois le nombre trois, qui sert aussi pour le Caualquet; et si l'on monte au quatriesme ton, il faut mettre autant de fois quatre comme l'on touchera le quatriesme ton, et ainsi des autres.

Mais parce que la plus grande partie de la grace, et du plaisir de ces sons de la Trompette vient des temps, et des mouuemens differens qu'elle fait, il faut encore supposer trois sortes de valeurs, ou de temps, et de mesures dans lesdits nombres, qui signifient les tons, dont les nombres tous seuls marqueront le temps le plus court, à sçauoir la crochuë, parce qu'on en vse plus souuent que des autres: le second temps double du precedent qui respond à la note noire sera marqué par vne petite pointe semblable à l'accent aigu: par exemple, s'il faut que le quatriesme ton vaille vne note noire, on l'escrira ainsi, 4', ou auec le caractere, dont on vse pour signifier les syllabes briefues en cette façon, [brevis/4]; et le troisiesme temps sera marqué auec deux accents aigus posez sur le nombre du ton, par exemple sur le troisiesme ton, comme l'on void icy 3", ou bien auec la ligne droite, dont on marque les syllabes qui sont longues en cette maniere [longa/3], et cetera. Ce qu'il à fallu remarquer, afin que l'on entende les intonations et les mouuemens, ou les temps de la Trompette, et que l'on puisse imiter ses sons auec la voix.

Or puis que cette tablature est si aysée, et que l'on adiouste quelquefois des chants d'allegresse aux cris ordinaires de la Trompette, qui montent plus haut que les six tons precedens: par exemple, plus haut d'vn ton, d'vne Tierce, et cetera. L'on peut encore adiouster 7, 8, 9, 10, 11 et 12 pour les six tons d'enhaut,

[-264-] [Mersenne, Instrumens à vent, 264; text: L'Entrée. Boute-selle. Autre Boute-selle. A Cheual. A l'estendart. Le Caualquet. Le double Caualquet. La Charge. Autre Charge ou Chamade. La Retraite.] [MERHU3_5 10GF]

[-265-] [Mersenne, Instrumens à vent, 265; text: Le Guet.] [MERHU3_5 11GF]

Table des sons Militaires.

L'entrée.

3433333', 33'32', 232343'2'23".

Le Boute-selle.

2122'12, 2'112", 12122', 122'122', 332'122', 332'2334332".

Autre Boute-selle.

3332, 3332, 3332, 333', 3434543', 5'676767676767876", 5'54'43'34'44".

A Cheual.

33333", 33333', 33333', 33333', 333333333", 33333'43333', 33333'43333", 3'333'. 33", 3'333'2'3'. 33'. 44'. 55'. 65'. 43".

A l'estendart.

2222', 2222', 2222', 2222'3222'2, 2'2'2'2'2'2'2'2'.

Le Caualquet.

333', 333', 333', 333333', 333', 333, 433332'. 33". 333'34345'6'5'4'3'.

Le double Caualquet.

33333', 33333', 333333333", 33333'4333333'2'. 33", 33'34'. 45'. 56'. 65'4'3, 3434543".

La charge.

33'233, 243333', 2'3333'2'. Autre Charge. 3"2'. 33"2'. 33"2'. 3333"2. 3333"2. 33", 2. 3333"2. 33333333"2"'3',7', 8, 9, 10, 11, 9, 10, 11, 10, 9, 8, 10, 9, 8, 7.

La Retraite.

2222'2, 2222'2, 2222'23, 2222'2.

Le Guet.

433333, 3'. 33'. 3, 3'. 32'. 2, 32343'2'3'2', 2'2'2'2'2'222'2'2'222', 2'2'322', 2'2'32322'2', 2222', 2'222', 2'222'2'. 22'. 22'. 23222'.

dont i'ay expliqué les interualles et les raisons dans l'onziesme Proposition: et parce que l'on vse quelquefois des doubles crochuës dans lesdites chansons, l'on peut encore adiouster vn troisiesme accent, pour faire valoir les simples nombres autant que les doubles crochuës, afin que cette tablature [-266-] soit parfaite, et qu'elle puisse seruir pour les autres instrumens à vent, car ce n'est pas icy le lieu de faire voir comme l'on en peut vser sur les instrumens à chordes, et pour les concerts des voix; quoy qu'il soit tres-aysé de la luy accommoder, et d'euiter l'embarras des notes ordinaires, que ie mets icy vis à vis de cette nouuelle tablature, afin que l'vne serue pour l'intelligence de l'autre.

L'on n'aura pas plustost chanté, ou recité l'vn des chants de la Trompette, que l'on sçaura tous les autres: il faut seulement remarquer que les virgules que i'ay mises apres vne certaine quantité de nombres, distinguent les pieds, ou les mouuemens de cet instrument, et que les points qui sont apres les notes noires dans le double Caualquet, dans le Guet, dans la seconde Charge, et à la fin de l'A cheual, valent la moitié de la note qui precede, c'est à dire la moitié d'vne noire, ou vne crochuë. Ie laisse plusieurs autres choses que l'on peut remarquer sur la maniere de faire des chansons sur la Trompette, parce qu'il suffit de sçauoir que l'on peut faire toutes celles qui sont comprises dans l'Exachorde, c'est à dire dans les six notes de la Musique, puis qu'elle fait tous ces degrez auec toutes sortes de martelements et de diminutions, sans y comprendre les six tons precedens, qui se peuuent encore varier en 720 differentes manieres, comme l'on peut conclure de ce que nous auons demonstré dans le liure des Chants.

Il faut encore remarquer auant que de finir ce traité de la Trompette, que l'on a coustume d'expliquer ses sons par cctte diction Tarare, Tararararare, et cetera à raison qu'ils ont quelque chose de rude, qui est ce semble mieux representé par la lettre canine r, que par aucune autre, c'est pourquoy l'on imite chacun de ses sons par l'vne des syllabes de cette diction, en repetant autant de fois ra, comme le mouuement, ou le pied rythmique a de sons, en commençant tousiours la premiere syllabe ta sur le premier son de chaque pied, et en finissant la derniere syllabe re sur le dernier son.

Or il est aussi aysé d'vser des simples nombres pour les plus longues notes, c'est à dire pour les blanches sans queuë, ou à queuë, que pour les crochuës, ou doubles crochües, et des nombres marquez d'vn, de deux, de trois ou de plusieurs accents pour les temps briefs, c'est à dire pour les notes noires, crochues, ou doubles crochues, et cetera que des nombres simples, puis que le tout depend de la seule volonté. Il reste maintenant à faire voir la seconde figure de la Trompette que i'ay promise, dans laquelle est la plus grande estendüe de sons que i'ay peu experimenter, sans toutesfois que ie vueille determiner s'il est hors de la puissance des hommes de la faire monter plus haut, ou de la faire descendre plus bas; car il s'en rencontre qui sont si fort au delà de la portée des autres, que l'on ne peut croire ce qu'ils font, ou ce que l'on dit de leur industrie, si on ne l'experimente, comme il arriue souuent en ce qui est des instrumens de Musique, soit que la matiere, la construction et la figure y contribuent quelque chose d'extraordinaire, comme l'on experimente en quelques instrumens qui montent beaucoup plus haut que les autres, quoy qu'ils soient de mesme grandeur, et de mesme figure, ou qu'ils rendent vne meilleure harmonie, ou qui font d'autres interualles, encore que nul sens n'y puisse remarquer de difference d'auec les autres instrumens de mesme espece; soit que cela vienne de l'industrie particuliere de ceux qui en sonnent, dont ie parle dans les discours particuliers de chaque instrument; de sorte [-267-] qu'il arriue la mesme chose à la Musique, qu'à chaque autre science, qui est cultiuée par vn esprit excellent et laborieux, lequel trouue toutes les autres sciences dans celle qu'il embrasse, car lors qu'vn homme d'esprit s'est proposé d'arriuer à la perfection de quelque instrument, et qu'il le pratique toute sa vie, il y transporte toutes les gentillesses des autres, et le rend aussi vniuersel qu'il se le peut imaginer, comme Iean Price a fait voir auec sa Fluste à trois trous, et le sieur Bocan auec son Violon.

PROPOSITION XX.

Expliquer toutes les circonstances de la Trompette, son estenduë en toutes sortes de manieres, et ses chants militaires par les notes de la Musique.

CEtte Proposition seruira pour expliquer tout ce qui n'est pas contenu dans l'autre figure, et ce que cette planche represente beaucoup mieux auec tous ses ornemens.

[Mersenne, Instrumens à vent, 267; text: [alpha], [beta], [delta], [epsilon], [zeta], [eta], CHAS, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, P, Q, R, S, T, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 18, 20, 22, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32] [MERHU3_5 11GF]

Or le corps de la Trompette est marqué par A B C [-268-] D E F G. Le cordon dont on la lie auec le bandereau, ou l'enseigne est H I K: ses houppes sont O R, et les cinq autres qui sont entre-deux, et qui sont attachées au cordon L M N. La banderolle est attachée à la branche de la Trompette E B par la boucle M, et par ses deux bouts en O et en R. Sa frange est marquée de O P Q R. La Trompette se demonte aux noeuds F, E, B, C, D; son pauillon est depuis F iusques à G, et parce que l'on graue ce que l'on veut autour de la pate G, i'y ay mis C H A S pour faire souuenir le Lecteur que c'est pour la charité, et pour l'amour diuin, dont Dieu nous a aymez dez l'eternité, qu'il faut viure et mourir.

S T represente le bocal, et [delta], [alpha], [beta], [epsilon], monstrent le corps de la Sourdine, et [zeta][eta] son manche et sa pate. Mais son estenduë marquée par les treize notes qui sont entr'elle et son cordon, et par les dix-sept qui sont au bas de la banderolle, doiuent principalement estre considerées, c'est pourquoy ie les explique en commençant par les treize d'en haut, lesquelles i'ay marqué par la seule clef de nature, ou de C sol auec douze regles, afin que cette estenduë n'enferme nulle difficulté. Or la premiere note V T marquée par 1 signifie le premier ton, ou le plus creux et le plus profond de tous ceux qui seruent à la guerre, ou aux chansons: lequel est aussi signifié par la cinquiesme note d'en bas, qui a sur soy 11, de sorte que l'on a icy la mesme estenduë de la Trompette sous la clef de [rob] mol, ou de F vt, pour monstrer que ses chants peuuent estre rapportez an premier Mode qui commence en C vt, ou au septiesme qui commence en F vt.

Le second ton de la Trompette est marqué par la seconde note, et les autres par celles qui suiuent iusques à la 13, qui est le treziesme ton, ou le plus aigu auquel elle puisse monter. Mais les nombres qui sont vis à vis des notes d'en bas signifient les interualles harmoniques par lesquels elle passe; par exemple, le nombre 11 monstre qu'elle descend plus bas que ce ton d'vne Vnziesme, c'est à dire de la replique de la Quarte: quoy que l'on prenne cette note pour le premier ton, parce que les quatre notes plus basses marquées par 9, 4, 2, 1, ne font pas de bons tons, et ne valent rien pour chanter. Il faut neantmoins remarquer que tous ceux qui sçauent sonner de cet instrument, descendent ordinairement tout d'vn coup depuis cette note marquée 11, iusques à la note marquée de 4, qui fait l'Octaue en bas, et que ie n'en ay rencontré qu'vn, qui aye fait les trois autres notes marquées par 9, 2 et 1. Quoy qu'il en soit, elle a l'estenduë d'vne Trente-deuxiesme, marquée sur la 17, ou la derniere note, c'est à dire qu'elle monte iusques à vne Quarte par dessus quatre Octaues. Mais quand on commence à son premier ton militaire de l'estenduë d'en haut, elle monte seulement iusques à la Vingt-deuxiesme, c'est à dire iusques à trois Octaues.

COROLLAIRE I.

Puis que la Trompette est capable de faire vn ton en son premier interualle d'en bas, vne Tierce mineure dans son second, vne Sexte maieure pour son troisiesme, et vne autre Tierce mineure pour son quatriesme, auant qu'elle arriue à son premier ton militaire, ceux qui sonnent de cet instrument en perfection, et qui sçauent la Musique peuuent essayer en toutes sortes de façons, s'ils pourront faire quelques autres interualles que ceux de l'estendüe [-269-] d'en haut, par exemple, si au lieu du premier interualle de la Quinte, VT SOL, l'on peut faire l'interualle du ton VT RE, et cetera car si cela se rencontre, les raisons que i'ay donné de ces interualles ne sont pas necessaires. Mais i'expliqueray encore d'autres raisons dans le traité Latin de sa Trompette, qui agreeront peut estre dauantage que les precedentes: et puis il suffit d'auoir expliqué les Phenomenes de l'art, et de la nature pour exciter les meilleurs esprits à la recherche des vrayes raisons de tous ces interualles.

COROLLAIRE II.

Encore qu'il soit aysé de conclure que l'on peut faire des Concerts, et chanter des chansons à plusieurs parties auec les Trompettes, et que les exemples des autres instrumens precedens, ou de ceux qui suiuent puissent seruir pour ce suiet, ie veux neantmoins mettre la Chanson qui suit à trois parties, dont la premiere partie est vn premier Dessus, et la seconde vn second Dessus: quant à la troisiesme, elle s'appelle le Bourdon, et se fait auec la plus grande Trompette, ou si elles sont toutes de mesme grandeur, auec les gros sons, qui font des accords auec les gresles ou aigus, et qui monstrent par leurs interualles et degrez à quelle Octaue ils appartiennent.

Chanson à trois parties pour les Trompettes.

[Mersenne, Instrumens à vent, 269; text: Premier Dessus. Second Dessus. Bourdon.] [MERHU3_5 12GF]

COROLLAIRE III.

Où les tons des Cors de Chasse sont expliquez.

Ie n'ay pas mis les tons de la Trompe, ou du Cor de chasse dans le discours de cet instrument, parce que ie supposois que le liure du Fouilloux estoit assez familier à ceux qui considerent toutes sortes de sons, mais ayant recogneu le contraire, ie mets icy les tons, dont on vse ordinairement à la chasse, quoy que l'on puisse se seruir de tels autres que l'on voudra. Or la tablature des Cors qui suit, est diuisée en dix parties, dont la premiere signifie qu'vn chasseur doit appeller son compagnon par vn son qui dure le temps de cette premiere note, et puis l'autre respond par la mesme note: mais le premier doit vser de la seconde partie pour respondre à son tour; où il faut remarquer [-270-] qu'ils expliquent ces sons par la syllabe Tran, comme le son de la bouche dont ils s'appellent l'vn l'autre, par la syllabe Houp.

[Mersenne, Instrumens à vent, 270; text: Tran, I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X] [MERHU3_5 12GF]

La troisiesme partie sert quand les chiens sont bien amutez, la 4 pour forhuer et sonner quand ils voyent le cerf: la 5 pour faire retorner les chiens à quelque ruse ou houruary: et pour les rassembler ils doiuent sonner deux fois la seconde partie, quand le cerf se forpaist: la 6, quand il est pris: la 8, quand il est aux abois: la 7, quand la chasse est finie: la 9, pour appeller les chiens à la curée: la 8, comme aux abois, en renuersant le cuir du cerf sur les chiens, et en leur monstrant la teste du cerf: et la 10 enfin, quand on veut ramener les chiens. Ceux des autres Royaumes verront si les syllabes dont ils se seruent pour exprimer les sons des Cors, sont plus propres que nostre tran, tran; car ie passe aux autres instrumens sans m'arrester dauantage à cettuy-cy.

PROPOSITION XXI.

Expliquer la figure, la matiere, l'estenduë et l'vsage de la Sacquebute, ou de la Trompette Harmonique.

CEtte Trompette, que l'on appelle ordinairement Sacquebute, est vn peu differente de la Trompette militaire, tant en sa figure qu'en sa grandeur, et en ses autres circonstances. Or elle a premierement son emboucheure, ou son bocal A, aussi bien que l'ouuerture de son pauillon N, semblable à celuy de l'autre Trompette: mais toutes ses branches se demontent, car la premiere branche B F, la seconde F D, et le Tortil G H se brisent par leurs noeuds F G et H, aussi bien que le bocal A, qui s'emboëtte dans la branche au point B. Semblablement les trois bandes C, E et M se demontent aysément, afin que les ouuriers les fassent plus facilement, et qu'elles soient plus portatiues. Mais il faut principalement remarquer deux choses dans cet instrument, à sçauoir que l'on se sert rarement du Tortil, qui commence au noeud L, et finit au noeud G; de sorte que la partie de la branche N C, c'est à dire le pauillon, a coustume de s'emboëtter au noeud G, afin de remettre la Sacquebutte à son ton naturel. Or l'experience enseigne que le Tortil estant adiousté fait descendre la Sacquebutte d'vne Quarte plus bas que son ton naturel, afin de faire la Basse des concerts qui se font auec les Haut-bois.

L'autre chose qu'il faut remarquer appartient aux deux branches D F, lesquelles en contiennent deux autres interieures qui ne paroissent point que quand on les tire par le moyen de la barre E, laquelle on pousse en bas auec la main pour faire toutes sortes de tons, parce qu'elles se tirent iusques à ce que [-271-] les deux bouts marquez de 2 D, arriuent aussi bas que les 2 F de la potence F F, car les deux branches cachées descendent dans les branches exterieures D F iusques aux points F F, de sorte que ces deux branches visibles leur seruent d'estuy.

[Mersenne, Instrumens à vent, 271; text: A, B, C, D, E, F, G, H, M, N] [MERHU3_5 13GF]

Quant à la longueur de la Sacquebute representée par cette figure, elle a quasi quinze pieds, quand elle est tirée de toute sa longueur, car le Tortil est long de deux pieds neuf pouces: et depuis N iusques à D, il y a pres de quatre pieds, encore que l'on oste le Tortil. Les deux branches mobiles D F D ont quatre pieds et demy, et les deux interieures, sur lesquelles elles se meuuent, ont trois pieds et dix pouces. Lors que toutes les branches sont entierement emboëttées les vnes dans les autres: la Sacquebute a seulement huict pieds vn pouce de long, sans y comprendre le Tortil, et quand elles sont tirées, elle a quasi douze pieds, en y comprenant la longueur du bocal, qui a deux pouces de long.

Or on la nomme Trompette harmonique, parce qu'elle sert de Basse dans toutes sortes de Concerts, comme fait le Serpent et le Fagot. Mais la plus grande difficulté consiste à sçauoir faire les tons en tirant les branches cachées, et en abaissant les branches visibles, car elle est encore au mesme ton, quand on les a tirées d'vn, ou deux pieds, ce qui semble estre contraire aux proportions des autres instrumens, qui descendent d'autant plus bas qu'ils sont plus grands: quoy qu'il [-272-] soit bien aysé d'expliquer comme se font les tons par le moyen des differens allongemens de cette Sacquebute, si l'on entend ce que i'ay dit des interualles que fait la Trompette par le vent different qu'on luy donne.

L'on fait donc aysément l'Octaue, la Douziesme et la Quinziesme auec cet instrument sans vser des branches; ce qui est aysé à entendre par les sons de la Trompette, qu'elle imite en cela. Mais on fait les huict sons de l'Octaue en commençant par sol, que l'on entonne en mettant les deux mains l'vne contre l'autre, à sçauoir la gauche sur la barre C D, et la droite sur E. Et pour dire fa, l'on baisse les branches D E, et consequemment la main droite de quatre doigts: ce que l'on fait semblablement pour sonner les autres degrez de l'Octaue, dont le dernier ou le plus bas ton se fait en retirant les branches iusques à ce que les deux mains se touchent, comme elles faisoient au commencement de l'Octaue, parce que les commencemens et les fins de toutes les Octaues se font sans l'ayde des branches par la seule varieté du vent. Mais on doit remarquer qu'il ne faut pas quasi toucher le bocal, lors que l'on veut descendre fort bas, et qu'il faut le presser le plus fort que l'on peut contre les levres pour augmenter le vent, quand on veut monter aux tons les plus aigus: ce qu'il faut remarquer pour toutes sortes d'instrumens à bocal.

Or pour faire la seconde Octaue en montant, et pour aller iusques à la Quinziesme, il faut tenir la Sacquebutte toute iointe, ou fermée pour faire le premier ton, qui sera VT, et pour faire le RE, il faut baisser les branches de la longueur du bras, ou enuiron; mais il les faut vn peu retirer pour faire le MI, et encore vn peu pour faire le FA. Mais pour faire le SOL, il faut retirer les branches comme au premier ton, et puis il faut les rallonger d'vn demy bras pour faire le RE, et pour faire le MI, qui est le penultiesme ton de la Quinziesme, il faut retirer les branches fort pres de la main gauche; et finalement pour acheuer la Quinziesme, il faut fermer la Sacquebute, auec laquelle on descend, tout de mesme que l'on monte, par toute l'estenduë de ladite Quinziesme.

Ceux qui vsent de cet instrument, peuuent aysément experimenter s'il monte aussi haut que la Trompette, c'est pourquoy ie n'en determine rien, i'adiouste seulement que ceux qui s'en seruent bien, font des diminutions de seize notes à la mesure; ce qui arriue semblablement à la Trompette, et à tous les autres instrumens à vent. Mais si l'on n'vse d'vne autre maniere pour emboucher la Sacquebute que pour emboucher la Trompette, elle imite les sons de ladite Trompette, ce que l'on estime vitieux et inepte pour les Concerts. Quant à la maniere de l'emboucher, il faut l'apprendre de l'experience, d'autant qu'il est quasi impossible de le faire conceuoir si parfaitement par le seul discours, que l'on ne trouue beaucoup de difficulté dans l'exercice: ce qui arriue tousiours dans les arts qui consistent dans l'action, et dans le mouuement, et qui semblent auoir la pratique pour leur fin, et pour leur perfection. Neantmoins i'expliqueray les differentes manieres d'emboucher dans le discours du Cornet à bouquin, afin que l'on ne puisse rien desirer dans ce traité.

[-273-] PROPOSITION XXII.

Expliquer la figure du Cornet à bouquin, sa matiere, sa construction, son estenduë et son vsage.

I'Ay desia dit en d'autres lieux que ie ne m'amuse pas à rechercher l'origine des dictions, laquelle est le plus souuent incogneuë, ou inutile, d'autant que l'intelligence des instrumens ne depend pas de leurs noms, et qu'il est indifferent de les nommer par le nom des caracteres de nostre alphabet, ou de leur imposer tel autre nom que l'on voudra.

[Mersenne, Instrumens à vent, 273; text: [alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], A, B, C, D, E, F, G, H, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7] [MERHU3_5 13GF]

Or ie commence cette Proposition par le Dessus des Cornets, qui est representé par A C auec ses sept trous, encore que plusieurs ne se seruent pas du septiesme, qu'ils iugent superflu et inutile, à raison qu'ils donnent la mesme estenduë au Cornet auec six trous, que les autres auec sept. La lettre A et E monstre le bouquin, qui se demonte, comme l'on void à la figure A B, qui le represente separé, et duquel on se sert pour apprendre à emboucher, comme i'ay dit dans le discours de la Trompette.

Quant à la Taille des Cornets, elle est entierement semblable au Dessus, car elle n'a rien d'adiousté qu'vn trou, qui descend plus bas, et qui s'ouure par le moyen de la clef [alpha], laquelle est couuerte de la boëtte [beta][gamma], c'est pourquoy i'ay seulement mis le bout d'en bas de cette Taille, afin que l'on voye ce qu'elle a dauantage que le Dessus. La derniere partie que l'on peut nommer la Basse, est representée par E H, et se brise aux points F et G, pour pouuoir estre portée plus aysément. Elle a sept trous, comme les autres [-274-] parties, dont le septiesme s'ouure auec la clef [delta], laquelle est couuerte de sa boette [epsilon][zeta]. Mais cette figure n'est pas proportionnée aux autres, car elle represente vne Basse de quatre pieds de long, et à l'estendüe d'vne Octaue, ou d'vne Neufiesme, au lieu que le Dessus n'a qu'vn pied 3/4 de longueur, dont ie mets icy les mesures tres-exactes, parce qu'il est bien fait, et qu'il est plus en vsage que les autres parties, à raison que l'on en vse dans les Concerts des voix, et auec l'Orgue pour faire le Dessus, lequel est rauissant, quand on en sçait sonner en perfection, comme le sieur Quiclet.

Ie dis donc premierement que son estendue est d'vne Seiziesme, comme l'on void par les notes de dessouz, d'où il est aysé de conclure tout ce que l'on peut faire de cet instrument. En second lieu qu'il n'y a que trois pouces 3 de C iusques au milieu du sixiesme trou, et dix pouces depuis A iusques au milieu du premier. En troisiesme lieu que les distances des trous sont de treize lignes, excepté celle du 3 au 4, laquelle est de dix-sept lignes. Le diametre de chaque trou est de quatre lignes, et celuy du fond du bouquin n'est que d'vne ligne, ce qui est cause en partie que le son du Cornet est fort esclatant, car son creux va tousiours s'eslargissant peu à peu iusques à la pate C, dont le diametre est d'vn pouce, quoy qu'il s'eslargisse plus sensiblement depuis le bouquin iusques au premier trou, que de là iusques à la pate. Mais il faut remarquer que les Espagnols mettent encore vn trou derriere plus haut de treze lignes que le premier trou; et qu'il y a des Cornets tous droits, qui sont d'vne seule piece de bois, au lieu que ceux qui sont courbez, sont faits de deux pieces de cormier, de prunier, ou d'autre bois bien sec: ce que i'ay voulu remarquer, afin que ceux qui feront cet instrument obseruent la proportion dont i'ay parlé, comme la meilleure de toutes.

Or l'on a coustume de couurir les Cornets de cuir, afin de les conseruer plus long-temps, autrement ils se gasteroient trop aysément, à raison de leur delicatesse; quoy que cette couuerture ne les rende pas meilleurs. Quant à la proprieté du son qu'il rend, il est semblable à l'esclat d'vn rayon de Soleil, qui paroist dans l'ombre ou dans les tenebres, lors qu'on l'entend parmy les voix dans les Eglises Cathedrales, ou dans les Chapelles.

PROPOSITION XXIII.

Expliquer d'autres figures des Cornets, et la maniere d'en sonner en perfection, auec vn exemple à cinq parties.

LE Cornet à bouquin se peut emboucher en trois ou quatre façons, dont la premiere et la plus facile, que l'on appelle coulante ou muette, se fait simplement auec le vent, comme il arriue aux tuyaux d'Orgues.

La seconde se fait auec la langue et la levre, et prononce Ta ta ra ra ra ra ra ra pour descendre, ou pour monter vne Octaue entiere en diminution, comme l'on void dans ces exemples.

[Mersenne, Instrumens à vent, 274; text: Tatarara, Tatararara, Tata rata ratara.] [MERHU3_5 12GF]

La troisiesme maniere se fait simplement auec la langue, et sert à toutes sortes [-275-] de notes, excepté aux demies crochues, pour lesquelles on vse de la seconde façon precedente.

La quatriesme se fait auec la levre, mais il ne faut donner qu'vn coup de levre pour deux notes, comme l'on void dans cet exemple, qui se fait auec toute sorte d'emboucheure, et qui sert pour faire voir en combien des façons l'on peut varier le ieu du Cornet. Mais il faut remarquer qu'il s'embouche du costé droit par ceux qui sont droitiers, et du costé gauche par les gauchers, encore qu'il s'en rencontre qui en ioüent à droit, à gauche, et par le milieu de la bouche assez aysément.

[Mersenne, Instrumens à vent, 275,1; text: Ta taa] [MERHU3_5 12GF]

Or on fait des diminutions sur le Cornet iusques à passer trente-deux notes à la mesure, lors que l'on en sonne en perfection. L'on faisoit autrefois la Cadence auec des martelemens, qui s'expriment par Tara tara, tara, ta, comme l'on void en ces deux exemples.

[Mersenne, Instrumens à vent, 275,2; text: 1, 2, Taratara tarata.] [MERHU3_5 12GF]

La seconde Cadence se fait par vn tremblement de doigts aux crochuës, et aux doubles crochuës par vn redoublement: mais ce tremblement se fait auec le simple vent, afin que la cadence en soit plus douce et plus amiable, et qu'elle imite la voix et la plus excellente methode de bien chanter. C'est pour ce suiet que ceux qui ioüent parfaitement du Cornet, en addoucissent le son tant qu'ils peuuent, d'autant qu'il est vn peu rude naturellement. Et parce que cet instrument doit sonner la Musique presque toute en diminution, il est necessaire que celuy qui veut apprendre à en ioüer, sçache composer, et qu'il soit bon Musicien, afin qu'il fasse les fredons et les diminutions bien à propos. Or celuy qui a l'emboucheure du Cornet à son commandement, monte deux tons plus haut que la tablature que i'ay donnée, comme l'on experimente quand il est entre les mains du sieur Quiclet, qui m'a donné les exemples precedens.

L'on peut tellement adoucir le son du Cornet, qu'il ne s'entendra pas dauantage que celuy d'vne Fluste: l'on en iouë à toutes sortes de tons et de demitons, pourueu que l'on ayt l'oreille assez bonne; et l'on peut commencer vt, re, mi, fa, sol, la à chaque trou; de sorte que la tablature ne sert que pour l'estenduë de l'instrument, et n'oblige nullement à dire tousiours VT, quand tous les trous sont bouchez: ce qui est aysé à comprendre, puis que toute sorte de son est indifferent a estre signifié par l'vne des six notes.

Les Cornets se peuuent faire d'yuoire, et d'vn bois appellé sandal cytrin, qui est odoriferant, et de toutes autres sortes de bois, comme les autres instrumens à vent: mais il faut maintenant discourir de ce qui appartient au Serpent, puis qu'il est la vraye Basse des Cornets.

L'on peut encore faire plusieurs remarques sur cet instrument, qui ne sont pas communes aux autres, dont l'vne est que quelques-vns en possedent tellement [-276-] l'vsage et la pratique, qu'ils font toutes sortes de tons en l'embouchant par la pate C, auec laquelle ils imitent la Fluste douce; et l'autre consiste en la dispensation du vent, qu'ils poussent si doucement, et qu'ils mesnagent si dextrement qu'ils sonnent vne chanson de 80 mesures sans reprendre leur vent ou leur haleine, dont le sieur Quiclet Musicien du Roy a fait voir l'experience à plusieurs: quoy que cela semble surpasser toute sorte de creance, puis que l'on ne peut viure si l'on ne reprend plus souuent haleine, encore que l'on ne dispense nulle partie du vent pour chanter, ou pour faire sonner aucun instrument; l'on a encore experimenté que le sieur Sourin d'Auignon faisoit cent mesures sans respirer, ou reprendre vent.

D'où l'on peut conclure que le Cornet ayde à conseruer le vent, et à en dispenser moins à la fois que l'on ne fait auec la bouche par la respiration ordinaire; à quoy la petite ouuerture du fond du bocal (dont le diametre n'est que d'vne ligne) sert beaucoup, car au lieu que le diametre de la bouche, qui est ordinairement de deux pouces ou dauantage, laisse perdre vne grande quantité de vent, qui passe par toute son estenduë au long des levres, il ne s'en perd que fort peu par le trou qui n'a que la largeur d'vne ligne.

[Mersenne, Instrumens à vent, 276; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7] [MERHU3_5 14GF]

Il faut maintenant expliquer la maniere de luy donner son estenduë, ce qui est tres-aysé, parce que l'on fait premierement le son le plus graue, c'est à dire l'vt de C sol vt fa en bouchant tous les trous, et puis on fait le re, le mi, et cetera en debouchant chaque trou l'vn apres l'autre, iusques à ce que l'on ayt fait les 8 sons de la premiere Octaue; et puis on referme encore vne fois tous les trous, qui font les huit autres sons de la seconde Octaue en redoublant le vent, comme il arriue au Flageollet, et aux Flustes: de sorte qu'il n'est pas besoin d'vser icy d'vne nouuelle tablature pour [-277-] comprendre cecy, puis que celle du Flageollet suffit. Voyons maintenant la Musique qui est propre pour les Cornets, afin que les exemples confirment le discours, et que nous ioignions la Pratique à la Theorie: or la Phantasie qui suit est du neufiesme Mode transposé.

Phantasie à cinq parties composée par le sieur Henry le Ieune, pour les Cornets.

[Mersenne, Instrumens à vent, 277; text: PREMIER DESSVS. A la mi re tout fermé, G re sol tout ouuert. SECOND DESSVS. HAVTE-CONTRE. G re sol tout fermé, F vt fa tout ouuert. TAILLE. D la re sol tout fermé, C sol vt tout ouuert. BASSE.] [MERHU3_5 15GF]

Or puis que i'ay donné les proportions de la partie du Dessus, ie veux adiouster celles de la Basse, (dont on void icy la vraye figure en sa proportion, parce que l'autre ne la garde pas) dont les trous sont esloignez d'vn pouce 2/3: excepté le 3 et le 4, qui sont esloignez d'vn demy pied, le 6 et le 7 de six pouces 2/3, et du septiesme trou à l'extremité de la pate D il y a dix pouces 1/6. Du bouquin [-278-] A au premier trou, il y a vn pied et sept pouces: la largeur de la pate a deux pouces. Le diametre du bouquin a cinq lignes en haut et vne ligne au commencement de son trou: à quoy il faut adiouster les differens diametres du bas de ses trois tronçons, ou des trois parties de son corps; or celuy de la premiere partie C D a vn pouce 1/4 vis à vis de C, et celuy de la seconde partie C B vis à vis de B a huit lignes: d'où il est aysé de conclure que le canal, ou l'ouuerture du Cornet va tousiours se diminuant depuis la bouche de la pate D iusques au commencement du Cornet A. Cc qu'il faut semblablement dire des autres parties.

Mais la vraye Basse du Cornet se fait auec le Serpent, de sorte que l'on peut dire que l'vn sans l'autre est vn corps sans ame, c'est pourquoy ie traiteray du Serpent apres auoir expliqué la maniere d'emboucher le Cornet, et d'en sonner en perfection. Quant à la clef E, elle est couuerte de sa boëtte E F, et sert pour boucher le premier trou d'en bas, auquel les doigts ne peuuent arriuer. La Taille est representée par G H auec sa clef I K, et son bocal L, que l'on ente en G: car elle n'est differente du Dessus qu'en ce qu'elle a cette clef.

PROPOSITION XXIV.

Expliquer la figure, la fabrique, l'estenduë et l'vsage du Serpent, qui sert ordinairement de Basse dans la Musique.

LEs Musiciens ont inuenté plusieurs instrumens pour les mesler auec les voix, et pour suppleer le defaut de celles qui font la Basse et le Dessus, car les Chantres qui ont des Basses assez creuses sont fort rares, c'est pourquoy l'on vse du Basson, de la Sacquebute et du Serpent, comme l'on se sert du Cornet pour suppleer celles du Dessus, qui ne sont pas bonnes pour l'ordinaire. Or cet instrument se nomme Serpent, à raison de sa figure, qui a des replis, comme l'animal qui porte ce nom, afin que la longueur qu'il auroit, s'il estoit tout droit, n'incommode point, car il a du moins six pieds de long, et celuy sur qui cette figure a esté prise a six pieds treize lignes, sans y comprendre la longueur du bocal, qui a demi-pied de long. Or on le peut faire de leton, et de toutes autres sortes de metaux, quoy que l'on le fasse ordinairement de bois de noyer, qui n'a que l'espaisseur d'vne demie ligne, ou de quelqu'autre bois propre à cela: et puis on le couure de cuir, comme le Cornet, pour le renforcer. Et parce que l'on a coustume de le prendre, et de le porter par le premier ply, qui commence à A, on le nerue par dessous le cuir auec des nerfs de boeuf, de peur qu'il se rompe. On le fait de deux pieces, que l'on colle apres ensemble; et pour ce suiet l'on prend vne poûtre, ou vn ais fort espais, que l'on creuse en demy cylindre, et quand les deux demy cylindres sont faits, on les applique l'vn sur l'autre pour en faire le Serpent. A monstre le trou du Serpent, dans lequel on emboette le bocal [zeta][theta][eta], qui est composé de deux parties, à sçauoir du bocal [alpha][beta][gamma][delta], et de son col, ou de sa queüe [theta]. [alpha]beta][delta] represente l'emboucheure [zeta][eta], dont le trou [epsilon] est moindre que celuy de la teste du Serpent A, afin de contraindre l'air.

Or le Serpent a six trous, par le moyen desquels on luy donne l'estenduë d'vne Dix-septiesme, comme l'on void aux notes qui sont à costé. Mais il faut remarquer qu'elle est diuisée en trois parties, dont celle du milieu contient [-279-] son estenduë naturelle, et consequemment la meilleure et la plus agreable; or cette estenduë se fait en bouchant premierement tous les trous, afin de faire l'vt de G re sol, et puis en les debouchant l'vn apres l'autre, iusques à ce que l'on soit arriué à l'Octaue, qui se fait quand tous les trous sont ouuerts.

[Mersenne, Instrumens à vent, 279; text: [alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], [eta], [theta], A, B, C, 1, 2, 3, 4, 5, 6] [MERHU3_5 14GF]

Quant aux secondes notes de la premiere partie, et les 7 de la troisiesme, on les nomme empruntées, à raison qu'elles sont hors du ton naturel, car les deux premieres se font en poussant moins de vent, et par l'industrie de la bouche, lors que tous les trous sont fermez; et les sept dernieres notes se font en redoublant le vent, dont la premiere se fait en refermant les six trous, et les six autres en debouchant les six trous l'vn apres l'autre: ce qui arriue parce que l'on fait monter le Serpent à l'Octaue en redoublant la force du vent, comme nous auons dit des autres instrumens, et peut-estre qu'il monteroit encore iusques à la troisiesme, et à la quatriesme Octaue, comme fait la Trompette, si on luy donnoit assez de vent.

D'où il est aysé de iuger ce que l'on peut faire dans les Concerts auec le Serpent, à sçauoir tous les chants qui sont contenus dans la Dix-septiesme, mais particulierement les 40320 chants, qui sont dans les huict notes naturelles de son estenduë; et si l'on sonne par b mol en bouchant seulement les trous à demy pour faire les demy-tons au lieu des tons entiers, on redoublera ce nombre de chants, qui se multiplient encore plusieurs fois par la repetition d'vne, ou plusieurs notes en chaque chant, comme i'ay demonstré dans le liure des Airs et des Chansons.

Or puis que le Serpent, sur lequel cette figure a esté prise, est tres-bon, et tres-bien fait, i'en veux icy remarquer les proportions, afin que ceux qui en voudront construire, les puissent suiure exactement. Ie dis donc premierement qu'il y a treize pouces depuis le commencement A iusques au premier trou; en second lieu, que les deux trous qui suiuent sont esloignez de deux pouces l'vn de l'autre; en troisiesme lieu, que le 4 est esloigné du troisiesme d'vn pied entier, et finalement que le diametre de chaque trou est de six lignes [-280-] ou enuiron. Quant aux trois derniers tons, c'est à dire au quatre, cinq et sixiesme, ils sont aussi esloignez les vns des autres comme les 3 premiers, et la proportion de cet instrument est si bien obseruée dans cette figure, qu'il suffit de la considerer pour en faire de semblables. Mais puis qu'il est raisonnable que ceux qui sonnent de cet instrument cognoissent les raisons de tous ses interualles, ie les explique dans la table qui suit, afin qu'ils ioignent le plaisir de la Theorie à celuy de la Pratique, quoy qu'ils n'ayent pas besoin de cette explication, s'ils entendent ce que i'ay demonstré ailleurs.

Table Harmonique de l'estenduë du Serpent.
17  G re sol        432
    ton maieur
16  F vt fa         384
    demiton maieur
15  E mi la         360
    ton maieur
14  D la re sol     320
    ton mineur
13  C sol vt fa     288
    demiton maieur
12  [sqb] mi        270
    ton maieur
11  A mi la re      240
    ton mineur
10  G re sol vt     216
    ton maieur
9   F vt fa         192
    demiton maieur
8   E mi la         180
    ton maieur
7   D la re sol     160
    ton mineur
6   C sol vt fa     144
    demiton maieur
5   [sqb] mi        135
    demiton maieur
4   A mi la re      120
    ton mineur
3   G re sol vt     108
    ton maieur
2   F vt fa         96
    demiton maieur
1   E mi la         90
    ton maieur 
    D la re sol     80

Or il faut remarquer pour l'intelligence de cette table, que i'ay adiousté le D la re sol plus bas que l'estendüe de la Dix-septiesme marquée auec les notes, d'autant que ceux qui sonnent bien de cet instrument, le font descendre iusques audit D re sol marqué de 80, qui monstre qu'E mi la marqué de 90 monte plus haut d'vn ton maieur, car les nombres de la colomne droite monstrent les vrays interualles, et les raisons de toutes les notes, et quant et quant le nombre des battemens et des mouuemens de l'air, ou du vent, qui produit les 18 sons de cette Dix-huictiesme. Mais ie n'ay pas marqué les feintes, ou les demitons dans tous les endroits où ils se peuuent faire: ce que l'on suppleera aysément en prenant les nombres qui sont marquez sur le Luth et ailleurs.

Il y a encore plusieurs choses à remarquer dans la pratique de cet instrument, par exemple, qu'il peut monter à la Quinte, apres auoir fait l'Octaue, sans passer par les degrez du milieu: qu'il monte tout d'vn coup à l'Octaue, soit à trous bouchez, ou debouchez: d'où il arriue qu'apres qu'il a monté depuis le premier G re sol, ou 108, iusques au 2 marqué de 216, il recommence vne nouuelle Octaue en haut, dont le premier son, c'est à dire le second G re sol, se fait en rebouchant les six trous; et les autres se font en les ouurant les vns apres les autres, suiuant le mesme ordre que l'on a tenu en faisant la premiere Octaue, pourueu que l'on pousse le vent plus fort. Mais il faut remarquer que le Serpent n'a point de G re sol asseuré et arresté, et qu'il commence vt, re, mi, fa, sol, la par tous ses trous, comme il arriue au Cornet et aux autres instrumens: et parce que les voix montent souuent en chantant, celuy qui sonne du Serpent peut faire la mesme chose par l'industrie du vent, et des trous à demy bouchez; ce qui ne s'apprend que par l'experience et la pratique, qui monstre qu'apres auoir sonné le second G re [-281-] sol, on fait la Quinte et l'Octaue sans passer par les degrez du milieu, et sans boucher ou deboucher les trous, comme i'ay desia dit.

Or cet instrument est capable de soustenir vingt voix des plus fortes, dont il est si aysé de ioüer qu'vn enfant de quinze ans en peut sonner aussi forte comme vn homme de trente ans. Et l'on peut tellement en addoucir le son qu'il sera propre pour ioindre aux voix de la Musique douce des chambres, dont il imite les mignardises, et les diminutions, qu'il peut faire de trente-deux notes à la mesure, encore qu'il les faille euiter dans la Musique à plusieurs parties, parce qu'il faut simplement sonner ce qui est dans la partie que l'on entreprend de chanter, ny ayant que la seule descente de l'Octaue qui soit permise, comme on la void icy.

[Mersenne, Instrumens à vent, 281] [MERHU3_5 14GF]

Quant à l'emboucheure du Serpent, on vse de la mesme industrie, comme l'on fait pour emboucher les Trompettes et les Trombons, ou les Sacquebuttes, que l'on croid estre plus anciennes que les Serpens.

On fait les mesmes interualles auec le seul bocal [alpha][beta][gamma], qu'auec tout le Serpent, comme il arriue aux autres instrumens à bouquin: d'où l'on peut conclure que ces tons dependent plus de la maniere dont on pousse le vent, que de la longueur de l'instrument, ou de l'ouuerture des trous: ce qu'il faut remarquer dans ce Serpent, si l'on veut trouuer pourquoy l'on ne fait qu'vn ton du 4 au 3 trou, encore qu'ils soient beaucoup plus esloignez que les autres: ce qui se rencontre semblablement dans plusieurs Flustes, dont tous les interualles ne suiuent pas l'esloignement des trous, comme ie monstreray dans la Proposition qui suit, et qui explique les autres circonstances du Serpent. Le morceau de corne, d'argent, d'yuoire, ou d'estain [theta], qui s'emboette dans le Serpent, se nomme le Tuyau, au haut duquel on emboette encore le bocal [alpha][beta][delta][gamma].

PROPOSITION XXV.

Expliquer le Diapason des Serpens, des Trompettes et des Sacquebutes, c'est à dire de combien il les faut allonger, ou accourcir pour descendre, ou pour monter d'vn ton, ou de tel autre interualle que l'on voudra, et pourquoy la distance du 4 au 3 trou ne le fait monter que d'vn ton, puis qu'elle est plus grande que celle des autres trous.

IL semble que l'esloignement irregulier des trous du Serpent rende son Diapason plus difficile que celuy des autres instrumens, car encore que le second trou ne soit esloigné du premier, et le troisiesme du second que de deux pouces, le troisiesme est esloigné d'vn pied du quatriesme, c'est à dire six fois dauantage, encore qu'il ne fasse qu'vn ton comme les autres: ce qui est tres-remarquable, et dont il est tres-malaisé d'expliquer la raison, car cet accident n'arriue pas de la courbure, qui fait que ces deux trous estant mesurez par vne ligne perpendiculaire ne sont esloignez que de demy pied, puis qu'ils sont encore trois fois aussi esloignez que les autres, et que la mesme chose arriueroit aux Serpens qui seroient tous droits, comme l'on peut demonstrer par l'esloignement du quatriesme trou de la Taille des Haut-bois d'auec le troisiesme, dont nous parlerons apres, par les Flustes des Orgues, [-282-] qui font tousiours le mesme son, soit qu'on les courbe et qu'on les plie en toutes sortes de manieres, ou qu'on les fasse toutes droites, et par les trous des Flustes douces, dont nous auons desia parlé.

Or il est difficile de rendre la raison de cet accident, si on ne la tire de la differente dispensation du vent que la bouche approprie, et determine à chaque son, de sorte que le corps de l'instrument serue seulement pour multiplier et pour fortifier les sons, encore que l'on n'apperçoiue pas cette determination de vent sans la presence de l'instrument: quoy que les Practiciens asseurent qu'ils poussent le vent d'vne mesme façon pour faire le ton du quatriesme trou, que pour faire celuy du troisiesme.

Quant au Diapason des Serpens, et de tous les autres instrumens à bocal, nul ne la trouué que ie sçache, et ie n'ay pas fait assez d'experiences pour le donner d'vne autre façon que les Diapasons des Orgues, dont la longueur des tuyaux suiuent exactement les raisons harmoniques de chaque interualle: de sorte qu'il ne faut point d'autre supputation des differentes longueurs et mesures des Serpens, ou des Trompettes, qui peuuent faire les quatre ou cinq parties differentes d'vn Concert, que celle de la table precedente, dans laquelle on void que si le Serpent, qui a 80 parties, fait le D re sol, qui est vis à vis, qu'il le faut faire plus long d'vne huictiesme partie, c'est à dire de 90 parties, pour le faire descendre d'vn ton plus bas, et ainsi des autres: et si on veut le faire descendre plus bas d'vne Octaue, il doit estre de 160 parties; de sorte qu'il doit seulement estre de quarante parties, pour monter iusques à l'Octaue. Et si cette proportion ne se rencontre iuste, il est necessaire d'en trouuer vne autre par l'experience. Or si la raison harmonique respond à la pratique, comme i'estime qu'il arriue, aussi bien que dans les tuyaux des Orgues, il est aysé de faire tels Concerts que l'on voudra auec des Trompettes de differentes longueurs, et de remplir les interualles de la plus longue: par exemple on remplira le premier interualle de la Quinte VT, SOL, des trois notes re, mi, fa, si l'on fait trois Trompettes, dont l'vne soit plus courte que l'autre d'vne huictiesme partie, et puis vne autre plus courte que la precedente, d'vne dixiesme partie, et finalement vne troisiesme plus courte que celle-cy, d'vne seiziesme partie, comme il est aysé de conclure par la table precedente. Mais il faut remarquer que les Facteurs ont trois ou quatre douzaines de cartons coupez en demy-cercles qui vont tousiours en croissant, afin d'eslargir le creux, ou le canal du Serpent peu à peu; lequel on fait de deux pieces, comme les Cornets, que l'on colle ensemble apres qu'elles sont creusées. Au reste vne seule experience de la fabrique du Serpent suffit pour instruire le Theoricien, qui donnera apres le vray Diapason, et toutes les raisons de cet instrument.

PROPOSITION XXVI.

Expliquer la Chalemie, ou la Cornemuse rurale ou pastorale des Bergers, et ses parties.

CEt instrument est le premier de tous ceux qui vsent d'anches, c'est pourquoy ie le fais suiure apres les instrumens à bocal; or ces anches se font de plusieurs matieres, dont la plus simple est d'vn chalumeau, ou tuyau de bled, comme est celle que l'on void marquée par [theta][eta][iota] dans la figure qui suit, laquelle est semblable au troisiesme et au quatriesme Chalumeau de la quatriesme [-283-] Proposition:

[Mersenne, Instrumens à vent, 283; text: [alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], [eta], [theta], [iota], [kappa], [lambda], [mu], A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P] [MERHU3_5 16GF]

l'autre est faite d'vn morceau de roseau, qui est aussi toute d'vne piece, comme la precedente, et est marquée par [kappa][lambda][mu]; et la troisiesme est faite de deux pieces de roseau, qui sont quasi aussi deliées qu'vne fueille de papier, et qui sont tellement iointes ensemble, qu'elles ne laissent qu'vne petite fente par où passe le vent, comme l'on void à celle qui est marquée par [delta][epsilon][zeta]. Mais ie parleray plus amplement de ces anches dans le traité des Orgues, c'est pourquoy ie viens à l'explication de la Cornemuse des Bergers, que quelques-vns appellent Chalemie, et dont ils vsent dans leurs danses, à leurs nopces, et en plusieurs autres recreations. Or elle est composée de plusieurs parties que l'on peut rapporter à deux principales, à sçauoir à la peau (que l'on prend ordinairement des moutons, et que l'on enfle comme vn balon par le moyen du porte-vent A B C, lequel est enté sur ladite peau) et aux trois Chalumeaux E F G, H K, et P O L, que l'on appelle le Bourdon, parce qu'il ne fait tousiours qu'vn mesme ton; ce qui arriue semblablement au tuyau H K, que l'on nomme le petit bourdon Mais il faut remarquer que la partie du [-284-] porte-vent A C, qui est representée par B [beta][gamma], est cachée dans la peau, et qu'elle a la soupape [alpha], afin qu'elle referme le trou par où le vent à passé, de peur qu'il sorte, et qu'il se perde tandis qu'on reprend haleine, car il doit seulement sortir par lesdits Chalumeaux, dont le plus grand que l'on nomme le grand bourdon, est composé de trois pieces, qui s'emboëttent l'vne dans l'autre, à sçauoir de P O, O N, et N L, à laquelle touche la partie L M, qui tient l'anche [mu][lambda][kappa], laquelle est faite d'vn morceau de canne, comme i'ay desia dit; ce qu'il faut icy considerer, parce qu'elle contribuë plus aux sons que les autres parties, car ils se sont par les battemens de son couuercle [lambda], qui luy sert de languette, de sorte que le nombre de ses battemens determine le graue, ou l'aigu du son, comme ie prouueray dans le liure des Orgues.

Toutesfois l'on peut faire ce grand bourdon tout d'vne piece, car on le fait seulement de plusieurs morceaux, afin qu'estant demonté on le porte plus commodément, et qu'il ne soit pas si difficile à percer, c'est pourquoy il se brise par ses noeuds O et N, dans lesquels les parties s'emboëttent les vnes dans les autres par le moyen des écroux, au lieu desquels on vse de chanvre, ou de filet que l'on entortille autour des parties qui s'emboëttent, afin qu'elles remplissent tellement les cauitez du bourdon, que le vent ne puisse sortir que par sa pate P. Le petit bourdon H K se brise aussi en I, et s'emboëtte dans le morceau de bois concaue D, qui reçoit aussi le Chalumeau E F G. Et parce que l'on ne void pas le bout du petit bourdon qui entre en D, ie l'ay representé dehors par la figure H [iota][theta][eta], comme celuy du Chalumeau E F G par la figure E [zeta][delta; par où l'on void que cet instrument est composé de trois anches, ausquelles les boëttes M, C et D seruent d'estuy, car elles aduancent autant dans la peau comme lesdites anches, afin de les conseruer en leur entier. Or la peau est cousuë par dessouz, et est tellement liée dessus les boëttes M, C, D, que le vent ne peut se perdre.

Quant à la maniere dont on sonne de cet instrument, elle est fort particuliere, car on met le grand bourdon sur l'espaule gauche, tandis que l'on enfle la peau auec le vent de la bouche, qui souffle par le trou A du porte-vent B A, quoy que l'on puisse se soulager de cette peine, comme l'on fait maintenant en sonnant de la Cornemuse Royale, et de la Musette, comme ie monstreray en parlant de ces instrumens, d'autant que l'enflement des ioües est cause de la difformité du visage.

Or aussi tost que la peau est enflée, on la met souz le bras gauche, qui la presse pour faire sortir le vent par P K et F G; et puis on touche les trous du Chalumeau E G en les bouchant, et en les ouurant pour faire toutes sortes de sons, ce que l'on fait auec les doigts des deux mains, de sorte que celuy qui sonne de cet instrument est entierement occupé. Quant à la grandeur de la Chalemie sur laquelle on a pris cette figure, le gros bourdon est de deux pieds et demy, en y comprenant la canne [mu][kappa], qui a deux pouces et demy de long. La fente et consequemment la languette [lambda] a deux pouces de long, et quatre lignes de large. Le petit bourdon a vn pied de long, en y comprenant l'anche [eta][iota], qui a deux pouces de long.

Le porte-vent a six pouces de long, sans y comprendre B [beta], qui tient la souz-tape, quoy qu'on le puisse faire de telle longueur que l'on voudra. Le Chalumeau a treize pouces de long, dont l'anche [delta][zeta] auec la boette E, qui la tient enfermée, a deux pouces et demy. Ses huict trous se voyent tous, excepté le [-285-] premier, parce qu'il est derriere vis à vis d'E, qui est esloigné de trois pouces et 2/3 du haut de l'anche [delta]. Mais il n'y a que 2/3 de pouce de ce premier trou au second: du second au troisiesme, et du troisiesme au quatriesme il y a dix lignes, et les autres sont esloignez d'vn pouce, et sont quasi tous de mesme grandeur. Les deux autres trous de ce Chalumeau, qui sont vis à vis de K, seruent à diminuer la longueur de cette Fluste, qui se prend seulement depuis ces trous iusques au haut de l'anche, neantmoins la pate F G ne sert pas seulement d'ornement, car elle donne vne certaine qualité, et vn corps aux sons qu'ils n'auroient pas, si l'on coupoit le Chalumeau vis à vis des deux trous, dont nous venons de parler.

La peau a vn pied et demy de long, et dix pouces de large, quoy qu'elle puisse estre plus ou moins grande suiuant la volonté des Facteurs. Il n'est pas besoin de parler de la matiere dont on fait les Bourdons et le Chalumeau de la Chalemie, puis que cet instrument n'a rien de particulier, qui ne conuienne aux autres Flustes dont i'ay desia parlé, c'est pourquoy ie viens à son estendue et à son accord.

PROPOSITION XXVII.

Expliquer l'accord, l'estendue et la tablature de la Chalemie, auec tout ce qui concerne son vsage.

LE gros Bourdon de cette Cornemuse fait l'Octaue en bas auec le petit bourdon, qui est semblablement à l'Octaue en bas du Chalumeau, dont tous les trous sont bouchez, et à la Quinziesme quand ils sont ouuerts: de sorte qu'elle a trois Octaues d'estendue, comme l'on void aux notes qui sont marquées à costé de la figure precedente, et qui luy seruent de tablature, car la premiere note d'en bas represente le son du gros bourdon, la seconde celuy du petit bourdon, et les neuf autres signifient ceux du Chalumeau, qui se font par le moyen de ses trous. Or l'on ioüe de ce Chalumeau en deux façons, à sçauoir en soufflant simplement par le trou A, ou par l'anche [delta][zeta], lors que l'on tire le Chalumeau hors de la peau, et en parlant, c'est à dire en remuant la langue comme si l'on parloit en mesme temps que l'on pousse le vent en bouchant ladite anche, comme ie diray plus amplement au traité de la Musette: ce qui rend le son de cet instrument beaucoup plus agreable, plus esueillé et plus vigoureux.

L'on monte encore d'vne Tierce plus haut que la Vingt-deuxiesme en augmentant le vent, c'est pourquoy ie l'ay marquée auec les notes. Mais puis que les Bergers ne manquent pas de raison ny d'esprit, et qu'il s'en rencontre d'assez capables pour comprendre les raisons des interualles, dont ils vsent en sonnant de leur Cornemuse, de leur Flageollet, et des autres instrumens qui leur sont familiers, ie mets icy la Table harmonique de cette estendue, afin de les soulager, car ils meritent que l'on trauaille pour eux, puis qu'ils ont eu l'honneur d'estre les premiers aduertis de la Natiuité du fils de Dieu par la Musique des Anges.

Or l'on peut marquer le premier ton du gros bourdon par C sol vt fa, comme i'ay fait dans les notes, au lieu de G re sol, dont i'vse dans cette tablature, ce qui n'importe nullement, puis que i'ay demonstré dans les discours des trois genres de Musique, que l'on peut chanter toutes sortes de pieces de [-286-] Musique en commençant par telle lettre que l'on voudra.

Table Harmonique de l'estenduë de la Chalemie par [sqb] 
quarre.
23  A mi la re      36
    ton mineur 
22  G re sol vt     40
    ton maieur
21  F vt fa         45
    demiton maieur
20  E mi la         48
    ton maieur 
19  D la re sol     54
    ton mineur
18  G sol vt fa     60
    demiton maieur
17  [sqb] mi        64
    ton maieur
16  A mi la re      72
    ton mineur
15  G re sol vt     80
    Octaue
8   G re sol        160
    Octaue
1   G re sol vt     300

Le premier G marque le ton du gros bourdon, le second celuy du petit, et le ttoisiesme ceux du Chalumeau, que l'on fait l'vn apres l'autre en ouurant ses trous iusques au dernier A mi la re, qu'il fait à vuide, c'est à dire estant tout ouuert, car l'on peut dire que les instrumens à vent sonnent à vuide, lors qu'on n'en touche point les trous, comme l'on dit que l'on sonne la chorde à vuide quand on ne touche point le manche, encore que les instrumens à vent fassent leurs sons plus aigus, et les chordes leurs sons plus graues; d'autant qu'elles s'accourcissent par le moyen de leurs touches, comme les Flustes par l'ouuerture de leurs trous.

Il est aysé de marquer cette estendue par b mol en mettant le demiton entre A mi la re et B fa, au lieu du ton qui est entre A mi et [sqb] mi: mais il faut quant et quant mettre le nombre 66 2/3 auec le B fa, au lieu de 64, si l'on veut faire la Tierce mineure iuste depuis le G re sol ou 80; et s'il y auoit vn ton maieur de ce G re sol à A mi, comme il arriueroit si le G re estoit marqué de 81, il faudroit marquer le B fa de 67 1/2, et par consequent les deux premiers G de 162 et 324. Mais si les Bergers ayment mieux vser de nombres sans fraction, qui contiennent l'estendue de leur Cornemuse tant par b mol que par [sqb] quarre, ils doiuent vser de cette autre table qui commence par C sol vt fa.

Table de l'estenduë precedente par b mol, et par [sqb] 
quarre. 
D la re sol     108
ton mineur 
C sol vt fa     120
demiton maieur 
[sqb] mi        128
demiton moyen 
B fa            135
demiton maieur 
A mi la re      144
ton mineur 
G re sol vt     160
ton maieur 
F vt fa         180
demiton maieur 
E mi la         192
ton maieur 
D la re sol     216
ton mineur 
C sol vt fa     240
Octaue 
C sol           480
Octaue
C sol vt fa     960

Et s'il se rencontre quelque Berger qui ayt l'oreille assez bonne pour apperceuoir que la Tierce mineure n'est pas iuste de G re sol à B fa, il peut faire le G ou le B mobile, afin d'abaisser le G d'vn comma, dont ladite Tierce est diminuée, ou de hausser le B d'vn comma pour la mesme raison. A quoy ie remedie en plusieurs manieres dans le liure des Orgues, d'où l'on peut prendre tout ce qui se peut icy desirer.

Il est donc aysé de conclure que les notes de la Musique suffisent pour la tablature de cet instrument, pour lequel on peut aussi vser de celle qui sert à la Musette, dont ie parleray apres, ou de celle du Flageollet.

Quant aux remarques que l'on peut faire sur cet instrument, elles appartiennent quasi toutes aux anches, qui font des sons differens selon les differentes ouuertures qu'on leur donne, par exemple l'anche du Chalumeau descend plus bas d'vne Tierce, ou d'vne Quarte, quand on l'ouure dauantage. Et quand on [-287-] pousse le vent fort doucement dans ledit Chalumeau auec la bouche, il descend d'vne Octaue plus bas que son ton naturel, et mesmes on peut tellement dispenser le vent qu'il montera par les degrez vt, re, mi, fa, et cetera comme i'ay experimenté, encore que l'on ne se serue point des trous. Mais l'on entendra beaucoup mieux ce qui concerne les anches dans les discours de celles qui seruent à l'Orgue, c'est pourquoy i'adiouste seulement icy que l'on peut rendre les tons des deux bourdons plus graues et plus aigus en les allongeant, ou en les accourcissant: ce qui se pratique en deux manieres, à sçauoir en tirant vn peu chaque piece du noeud, ou de la boëtte qui l'enferme, ou en ostant l'vne des parties, par exemple en demontant la premiere partie du grand bourdon P O: ce qui est si aysé a iuger qu'il n'est pas besoin d'en aduertir. Ie laisse plusieurs industries dont les Bergers peuuent enrichir et augmenter cet instrument, parce qu'ils peuuent tirer des discours qui suiuent tout ce qui peut seruir à cettuy-cy. Or ie ferois suiure le discours de l'autre espece de Cornemuse, si ce n'estoit qu'on la ioint aux Haut-bois de Poitou, dont ie parleray apres auoir expliqué la Musette.

PROPOSITION XXVIII.

Expliquer la figure, la fabrique, et les parties de la Musette et du Tornebout.

LOrs que l'on a ouy la Musette entre les mains de ceux qui en sonnent en perfection, comme fait le sieur des Touches, l'vn des Haut-bois du Roy, il faut aduoüer qu'elle ne cede point aux autres instrumens, et qu'il y a vn singulier plaisir à l'entendre: or elle a quasi toutes les mesmes parties que la Cornemuse precedente; à sçauoir la peau A B, qui s'enfle auec le soufflet G F, que l'on passe dans le bras droit ou gauche par le moyen de l'attache marquée par H. La lettre I monstre le lieu où le soufflet s'attache à la peau, lequel i'ay encore marqué par R dans le soufflet S T V, qui est en plus grand volume. Mais le bourdon K L, qui entre aussi dans la peau, est grandement different de celuy de la Cornemuse, comme l'on void à celuy que i'ay detaché, et que i'ay mis en plus grand volume, à sçauoir K M, sur lequel on void quatre anches, qui sont marquées separément, afin de voir comme elles s'emboëttent dans le plan superieur M N O.

Quant au plan inferieur I, il monstre les cinq endroits des concauitez du cylindre, ou du bourdon M K, que l'on ouure et que l'on ferme auec cinq morceaux de bois, d'yuoire, ou d'autre matiere, dont on en void quatre aux quatre L, et l'autre est derriere. Ces morceaux de bois se nomment layettes, et seruent pour boucher les cinq reineures ou graueures, qui regnent tout au long du bourdon. Or l'on emboëtte les quatre anches dans leur boëtte P Q, auant que de les enfoncer dans la peau, afin qu'elles ne s'alterent point en hurtant contre elle. Il faut encore expliquer le Chalumeau D C E, que i'ay mis en plus grand volume à costé gauche, afin que l'on considere tous ses trous, dont le premier, le 2, le 3, et le 7 ne peuuent estre representez qu'en faisant paroistre le derriere dudit Chalumeau, comme ie fais icy, où l'on void les deux premiers trous marquez par 1 et 2, et le troisiesme marqué par trois. Et parce que l'on ne peut les boucher auec les doigts, on vse des clefs F et G, comme l'on fait de la clef de l'autre morceau de dessouz, pour boucher le 1, 2, [-288-] 3 et 7 trou.

[Mersenne, Instrumens à vent, 288; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11] [MERHU3_5 17GF]

Les autres trous, à sçauoir le 4, 5, 6, 8, 9, 10 et 11, sont sur le deuant du Chalumeau. Mais les deux qui sont vis à vis pres de 6 et de 9, ne sont contez que pour vn seul, parce qu'ils y sont pour seruir tant aux droitiers qu'aux gauchers. Or ce Chalumeau se brise au point C, iusques auquel il s'emboëtte dedans la peau. Son anche est marquée par B, et est cachée dans sa boette A, afin de n'estre point offensée par la peau, ou par d'autres accidents. I'ay fait paroistre cette anche en supposant que sa boette est de verre, afin que l'on voye sa position: mais les petits filets ou cordons entortillez au bas de toutes les anches, seruent pour les affermir dans les trous, dans lesquels on les emboette, car apres qu'on les a moüillez, ils se collent tellement dans lesdits trous, que le vent ne se perd nullement; et lors qu'ils sont si secs qu'ils ne bouchent et ne remplissent pas les trous comme deuant, il faut seulement [-289-] les remoüiller.

[Mersenne, Instrumens à vent, 289; text: A, B, C, D, E, F, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16] [MERHU3_5 18GF]

Ceux qui vsent du Chalumeau de la Musette sans se seruir de la peau et des Bourdons, mettent la boette A B sur l'anche: elle se void icy separée, et puis posée sur ladite anche, qui paroist à trauers comme si la boette estoit de crystal, dont le bout A sert pour emboucher le Chalumeau, afin que l'humidité de la bouche ne gaste pas l'anche, comme il arriue quand on l'embouche immediatement. Or l'on void tous les trous de ce Chalumeau, dont les huict premiers sont sur le deuant, quoy que le 8 soit vn peu à costé, et que l'on puisse le marquer du nombre d'onze, à cause des deux trous du derriere, dont celuy qui est marqué auec 9, et celuy qui est dans la pomme inferieure de la boëtte se bouchent, et se debouchent auec le pouce de la main gauche, par le moyen de la petite clef D, sur laquelle se pose le pouce pour deboucher ledit trou de la pomme.

L'autre Chalumeau A F, qui est à main droite, a ses trois derniers trous doubles, aussi bien que le 4: et le 12, 14, 15 et 16 se bouchent par le moyen des clefs D, B et E. Son anche est representée a coste par A B, et le treiziesme trou qui est ponctué, signifie qu'il est derriere; ce qui arriue semblablement au douziesme trou du premier tuyau A B E F, qui est à main gauche, et qui est double, comme l'on void aux deux issuës de sa pate E F, de sorte que l'anche A fait seulement les tons des trous qui sont à gauche, comme l'anche B fait ceux qui sont à droit: et le treiziesme trou a sa clef D, parce que les doigts ne peuuent le boucher. Ce qu'il faut remarquer pour toutes sortes de clefs, comme i'ay dit dans le discours de la Fluste douce: or la boëtte A B, qui est à costé droit de ce double Chalumeau, sert pour couurir les deux anches, car tous les Chalumeaux de la Musette se doiuent sonner à couuert, et ont beaucoup plus de grace et de vigueur estant embouchez, que quand ils tiennent à la peau, parce que l'on articule leurs sons par le moyen de la langue, comme i'ay remarqué en parlant des autres instrumens; ce qui ne peut se faire auec le vent du soufflet, ou de la peau. Ie laisse plusieurs manieres, dont on peut faire les Chalumeaux des Musettes, parce qu'il suffit de monstrer ce qui est en vsage, et parce que nous en parlerons encore dans le discours de la Sourdeline, ou Musette de Naples, et qu'il est aysé de s'en imaginer d'vne infinité de sortes.

I'adiousteray seulement icy le Tornebout, qui est fait en forme de croce, et [-290-] dont on fait des Concerts entiers à quatre, cinq et six parties, afin que l'on considere sa forme, qui n'empesche pas qu'on ne le perce, comme les autres Chalumeaux; quoy que l'on croye qu'il se perce estant tout droit, et qu'on le ploye apres par le bout en forme d'arc.

[Mersenne, Instrumens à vent, 290,1; text: A, B, C, D, E, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11] [MERHU3_5 18GF]

Le plus grand Tournebout se fait paroistre auec sa boëtte dessus, comme il est lors qu'on l'embouche en A pour en ioüer, et le moindre fait voir son anche D entée sur le haut du tuyau; le petit bout que l'on met dans la bouche est marqué d'A, et la longueur de la boëtte de B C. La languette du grand paroist ponctuée en B. Les parties de la Basse et de la Taille, qui sont de quatre ou cinq pieds de long, ont vne ou deux clefs pour boucher les derniers trous, parce que les doigts n'y peuuent atteindre.

Ces Tornebouts se font en Angleterre, et se peuuent rapporter à la Musette ou aux Haut-bois, car ils ont des anches et des boëttes, comme les Chalumeaux ordinaires de nos Musettes, qui peuuent aussi estre de differentes grandeurs pour seruir aux Concerts de quatre, cinq, ou plusieurs parties. Mais les sons de ses Tornebouts ne sont pas si agreables que ceux de nos chalumeaux ordinaires.

[Mersenne, Instrumens à vent, 290,2; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, L, M, N, O, P, Q, R, 1, 2, 3] [MERHU3_5 16GF]

Or ie veux encore icy mettre vne autre figure de la Musette, laquelle est beaucoup mieux faite que la precedente: dont le Chalumeau F G H fait voir le derriere du tuyau D E, qui fait paroistre son deuant. G F monstre ce qui est caché en D A: O P monstre la boette qui fait ioüer tous les Bourdons, et qui leur fait changer de ton: Q R fait voir les 4 anches des quatre bourdons, qui sont cachées dans la peau au bout de la boette O P dont elles font partie: et les petits trous dans le plan Q monstrent les canaux de la boette par où le vent se communique. I L est le porte-vent du [-291-] soufflet, dont M fait voir les trois eclisses, ou les trois plis, et N est l'anse qui tient à vne ceinture dont ceux qui ioüent de la Musette ont coustume de ceindre leur corps.

PROPOSITION XXIX.

Expliquer l'estenduë, la tablature, et l'vsage de la Musette.

L'Estendve ordinaire du Dessus de la Musette est d'vne Dixiesme, ou d'vne Vnze, ou Douziesme suiuant le nombre des trous et des clefs que l'on y met; ce qui arriue semblablement à la Taille et à la Haute-contre, qui ont leur forme semblable à celle du Dessus. Or les notes du Dessus qui se chantent par b mol, monstrent l'estendue de chaque partie; et les cinq notes qui suiuent, et qui ont chacune leur clef, signifient les cinq tons differens du Bourdon, auec lesquels il fait toutes les parties, car la premiere note qui a la clef de F vt fa fait la Basse, la seconde fait la Taille, et la troisiesme la Haute-contre: et les deux autres qui suiuent, seruent pour transposer le ton de la Musette à la Quarte du B fa mi.

D'où il est aysé de sçauoir quelles Chansons on peut sonner auec la Musette, ce qui se void encore plus clairement dans sa tablature, qui s'escrit par nombres, ou par notes.

[Mersenne, Instrumens à vent, 291; text: 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9] [MERHU3_5 19GF]

Voicy celle dont vse le Vacher, qui fait cet instrument, et qui enseigne à en sonner. Elle est marquée par [sqb] quarre et par b mol, afin que l'on sonne toute sorte de Musique auec la Musette, comme auec les autres instrumens. Or cette tablature n'a qu'vne Vnziesme d'estendue; elle peut commencer par la plus basse note, qui est dans C sol vt fa, encore qu'elle commence icy vne Quinte plus haut dans l'vt de G re sol: mais elle finit en recompense par l'vt de C sol vt fa, lequel est signifié dans la tablature des nombres [-292-] par 9; et les autres notes qui se suiuent en montant iusques au fa de F vt fa, lequel est à l'Onziesme de cette premiere note, sont signifiées par les nombres qui se suiuent en montant, à sçauoir par 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, et par les deux cercles ou zero, qui marquent les deux trous les plus proches de l'anche. Mais puis que chaque nombre est vis à vis de chaque note, il n'est pas besoin d'vn plus long discours pour entendre l'ordre qu'il faut tenir en ouurant les trous pour faire tous les sons du Chalumeau de la Musette. Neantmoins il vaudroit mieux marquer le premier trou par 11, comme i'ay fait sur le Chalumeau qui tient à la peau, que par 9, afin qu'il ne fust pas besoin d'vser de cercles ny de lignes pour marquer les pieces de Musique que l'on met sur la Musette.

[Mersenne, Instrumens à vent, 292,1; text: 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9] [MERHU3_5 19GF]

Quant à la tablature des deux autres tuyaux qui ont leurs trous doubles, pour faire des Consonances, elle est differente de la precedente, comme l'on void dans celle qui suit, dans laquelle les notes font voir ce que signifient les nombres, de sorte qu'il n'est nullement besoin de l'expliquer. Ie laisse vne infinité d'autres inuentions que l'on peut adiouster à la Musette, et à ces Bourdons et Chalumeaux, de peur d'estre trop ennuyeux, et afin d'en expliquer vne autre espece qui se pratique depuis peu dans l'Italie; et qui peut faire trouuer l'inuention à nos Facteurs de Musettes, d'y adiouster les quatre parties, et de la faire chanter toute sorte de Musique tant par b mol que par [sqb] quarre. Ie donne cependant vn Exemple de Musique pour monstrer ce que l'on a coustume de ioüer auec nos Musettes.

Chanson pour la Musette composée par Henry le Ieune.

[Mersenne, Instrumens à vent, 292,2; text: Bourdon.] [MERHU3_5 20GF]

[-293-] PROPOSITION XXX.

Expliquer la figure, les parties, la construction, l'estenduë et l'vsage de la Sourdeline, ou Musette d'Italie.

ENcore que cette Musette ne soit pas en vsage en France, neantmoins ie la veux descrire et expliquer, afin que nos Facteurs en puissent faire de semblables. L'on tient que Iean Baptiste Riua, Dom Iulio et Vincenze en sont les inuenteurs. Or i'y ay accommodé la peau A B semblable à celle de nos Musettes, au lieu d'vne peau de Cheureau dont se seruent les Italiens, laquelle est longue comme vn cylindre. Le soufflet M sert pour l'enfler par le moyen du canal de cuir L K I, qui sert de porte-vent: N O est la courroye, ou l'attache, dans laquelle on passe le bras gauche ou le droict, suiuant le costé auquel le soufflet est appliqué.

[Mersenne, Instrumens à vent, 293; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, X, Y, Z, h, k, [alpha], [beta], [epsilon], [lambda], [mu], [rho], [upsilon], [omega]] [MERHU3_5 20GF]

Mais auant que d'expliquer tous ses Chalumeaux, il faut remarquer que les Italiens ont vne autre petite Musette representée par S T V, qui a deux Chalumeaux, à sçauoir Z T, dont l'estenduë est d'vne Neufiesme, et qui a la clef Z, et V, qui ne fait que les 5 notes de la Quinte par le moyen de ses cinq trous. Le tuyau du milieu Y X sert de Bourdon, et n'a point de trous; il se peut allonger par le noeud Y, où il se brise, car la partie X s'emboëtte en Y, comme il arriue aux Bourdons des Cornemuses, et des Chalemies: la peau s'attache sur la boëtte S, de mesme que sur la boëtte, on le col D de la Sourdeline A F G H, à laquelle ie reuiens; on l'appelle Organine, et Sampogne, et a vne tablature semblable à celle de nostre Musette. Or celle-cy a quatre Chalumeaux, parce que i'ay adiousté le quatriesme [-294-] h k H, que le Duc de Braschane a inuenté, afin que l'on puisse ioüer toutes sortes de chansons à quatre parties: car l'on n'vsoit que de trois tuyaux auant cette inuention, de sorte que le second D G ne finissoit pas en G, mais il remontoit iusques à k, et auoit toutes les clefs de la branche h k.

Or ce quatriesme tuyau n'a point de trous, ny de clefs depuis D iusques à h, et ne sert que pour porter le vent aux trous qui sont couuerts des clefs que l'on voit sur h k, et K C. Le Chalumeau D G auoit quinze clefs pour couurir ses quinze trous, lors qu'il se recourboit iusques à k, d'autant qu'il auoit celles du quatriesme tuyau h k, mais il n'en a plus que huict ou dix, comme l'on void dans cette figure; et le quatriesme en a autant, afin qu'ils ayent l'estenduë d'vne Quinziesme. Où il faut remarquer que ces Chalumeaux font tous les demitons, comme l'Orgue; et consequemment ils doiuent auoir vingt-quatre clefs pour faire deux Octaues, puis qu'ils sonnent à ieu couuert, c'est à dire qu'ils ne font nul son qu'à proportion qu'on leue les clefs.

Quant aux deux autres Chalumeaux qui sont à droit et à gauche, ils ont vne partie de leurs trous ouuerts, et les autres fermez de clefs: celuy qui sert à la main droite, à sçauoir F, en a six ouuerts, et celuy de la gauche E en a quatre: mais F a six clefs pour ses six autres trous, et E n'en a que quatre, c'est à dire que F a douze trous, et E neuf; par où il est aysé de iuger de leur estendue. Le troisiesme tuyau auoit seulement vne Douziesme d'estendüe lors qu'il estoit tout seul, et faisoit les notes qui suiuent, dont la premiere est le son du tuyau tout fermé; la seconde represente le son que fait le premier trou par le moyen de la premiere clef qu'on leue, et les autres signifient les autres sons que font toutes les clefs iusques à la derniere du haut du Chalumeau.

Estenduë du 3. Chalumeau de la Sampogne.

[Mersenne, Instrumens à vent, 294] [MERHU3_5 21GF]

Mais le quatriesme chalumeau K H que i'ay adiousté, descend plus bas d'vne Quinte par le moyen de ses clefs, afin de faire la Basse. Et parce que lesdites clefs sont difficiles à comprendre sur les Chalumeaux, i'ay mis leurs figures à part, comme l'on void aux lettres [alpha][beta][delta], [epsilon], [rho], [upsilon], et cetera [beta] monstre le bout de l'vne des grandes clefs, qui bouche le trou; mais on colle vn petit morceau de cuir de mouton dessus, afin qu'il bouche ledit trou plus iustement: l'autre extremité sert au doigt qui l'abbaisse en pressant le petit ressort [delta] pour deboucher le trou.

Les autres petites pieces, comme [omega][upsilon][lambda], et [rho] monstrent les autres ressorts, ou les endroits des Chalumeaux où les clefs sont attachées: de sorte qu'il ne nous reste plus que le col de cet instrument P R à expliquer, lequel est enté dans la peau A, afin que les quatre anches, qui font parler les quatre Chalumeaux soient enfermées, et que la poussiere, ou les autres accidens ne les puissent alterer. Les Italiens mettent encore vn crespe tres-delié par dessus les anches, afin d'empescher que le poil de la peau de chevre dont ils vsent, ne tombe dedans. Cet instrument peut seruir d'vn Orgue portatif, mais apres qu'il a fait le son le plus graue estant tout fermé, et le vent ne pouuant sortir que par le trou de la pate, il faut boucher ce trou, quand on leue les clefs pour faire les autres sons, autrement le Chalumeau corne et gaste le ieu. Ie laisse plusieurs gentillesses qui se peuuent rencontrer sur cet instrument, parce que la Pratique et l'experience en apprendra plus que tous les discours qui s'en pourroient faire.

[-295-] PROPOSITION XXXI.

Expliquer la figure, l'estenduë, la tablature, l'accord et l'vsage des grands Haut-bois.

IL faut remarquer qu'il y a deux sortes de Haut-bois qui sont en vsage en France, à sçauoir ceux de Poitou, dont ie donneray la figure dans la trente-deuxiesme Proposition, et ceux que l'on appelle simplement Haut-bois, dont la figure est quasi semblable aux grandes Flustes douces, ou d'Angleterre, que i'ay expliquées dans la 8. Proposition.

[Mersenne, Instrumens à vent, 295; text: [alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], [eta], [theta], [iota], [kappa], [lambda], [mu], [nu], [xi], [omicron], [pi], [rho], [sigma], [tau], A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10] [MERHU3_5 21GF]

Or ces instrumens ont des anches, comme l'on void dans la figure du Dessus B C D, qui a l'anche A B, que l'on embouche par A pour faire sonner cette partie. Les huict premiers nombres font voir la disposition des huit trous, qui se bouchent pour faire l'estendue des sons; car les neuf et les dix seruent seulement pour donner de l'air aux sons, et pour accourcir le Dessus, dont la pate descend en s'eslargissant depuis le neufiesme trou, qui est double, comme le dixiesme, car ils en ont chacun vn vis à vis, comme il arriue à la Taille, et à la Haute-contre. Neantmoins si l'on veut boucher ces derniers trous, on fera descendre cet instrument plus bas.

Quant à la Taille elle descend plus bas [-296-] d'vne Quint que le Dessus, lors qu'on la sonne à vuide, c'est à dire à trous ouuerts: mais elle n'a que sept trous qui se bouchent, dont le septiesme est caché souz la boette I K M N, laquelle est percée de plusieurs petits trous, tant pour l'ornement que pour donner issue au vent qui sort du septiesme trou, et pour cacher le ressort de la clef, qui sert à boucher ce trou. Or ce ressort paroist dans la figure qui est a costé, laquelle fait voir toute la clef à nud: elle est arrestée en [theta] par le moyen de deux petites branches qui passent dans les deux trous [iota] et [kappa]. L monstre que le corps de la Taille est applaty dans toute cette ouuerture, afin d'y loger plus aysément la clef. Les lettres [nu], [sigma] font voir la petite plaque, ou piece de leton, dont le bout [nu] se leue par le moyen du manche [theta][nu], que l'on hausse en baissant la clef auec le petit doigt de la main droite, qui touche l'vne des branches de la clef H, tandis que le quatriesme doigt bouche le sixiesme trou. Cette plaque est arrestée par le fil de fer [pi][rho], qui entre et s'enfonce dans le bois aux points [pi] et [rho]; de sorte que la plaque [nu][sigma], qui bouche le trou, se meut sur ce fil de fer, comme sur son axe: Ce qu'il a fallu remarquer vne fois pour toutes, afin que l'on sçache à quoy seruent les clefs, et comme elles meuuent les ressorts. Il y a encore quatre lames à remarquer, à trauers desquelles passe le fil de fer, dont il y en a deux qui font vne partie de la lame qui bouche le trou, et deux autres qui leurs sont parallelles, et qui sont proches de [zeta] et [omicron], mais la perspectiue ne les à peu faire paroistre, à raison qu'elles se touchent quasi, de sorte qu'il est necessaire de les voir en nature pour les comprendre.

Or l'anche de cette Taille est semblable à celle du Dessus, comme l'on void en A B; mais on l'ente sur le petit cuiuret [delta] au point [delta]: et on le couure d'vn morceau de bois representé par [beta][alpha][gamma][zeta], que les Facteurs nomment Piroüette, qui s'emboette dans le haut de cet instrument F G, comme l'on void en C D E; de sorte que A C D F G O P represente la Taille en son entier, et en sa perfection, comme elle est quand on en sonne. Le huictiesme trou ne sert qu'à donner iour des deux costez: mais il faut remarquer que les trous de ces instrumens sont faits en biais, afin qu'ils respondent à vn autre lieu du dedans, qu'à celuy du dehors; ce que i'ay signifié par le blanc des trous: par exemple le blanc du premier trou de la Taille monstre qu'il biaize vers l'anche, et celuy du second qu'il s'auance vers le troisiesme, et ainsi des autres. Ce que l'on pratique dans tous les grands instrumens, afin que les trous exterieurs soient assez proches les vns des autres pour pouuoir estre bouchez par les doigts, et que les internes qui se rencontrent dans la concauité, soient assez esloignez pour faire les interualles des tons.

Or il faut remarquer que les trous sont differemment esloignez les vns des autres, car le quatriesme est aussi esloigné du troisiesme, que le troisiesme du premier, ou que le quatriesme du sixiesme; et le septiesme est quasi aussi esloigné du sixiesme, que le quatriesme du second, quoy que la difference de leurs sons soit esgale: ce qui arriue dans la plus grande partie des autres instrumens à trous, comme i'ay desia remarqué ailleurs.

Il faut icy adiouster les iustes grandeurs de ces deux parties, afin que ceux qui en voudront faire cognoissent la proportion qu'il faut obseruer. Le Dessus a deux pieds de long depuis B iusques à C, et neuf pouces 1/3 du neufiesme trou iusques à D; et parce que l'on peut dire que sa longueur finit au neufiesme trou, il n'a qu'vn pied et de long. Il y a trois pouces et 1/3 de B iusques au [-297-] premier trou, qui est esloigné du second de treize lignes. Quant aux autres trous ils gardent quasi la mesme distance, excepté le huictiesme, qui est esloigné de vingt lignes du cinquiesme; mais son anche A B l'allonge encore de deux pouces.

[Mersenne, Instrumens à vent, 297; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11] [MERHU3_5 22GF]

La Taille a deux pieds, quatre pouces et 1/2 de long, en y comprenant sa piroüette A G, qui a deux pouces et cinq lignes de long. De G iusques au premier trou il y a cinq pouces et sept lignes; et du huictiesme trou iusques à G, il y a vn pied et 3/4, qui determine la longueur de cette Taille, puis que le vent se perd par le huictiesme trou. Le premier trou est esloigné du second, le second du troisiesme, le quatriesme du cinquiesme, et le cinquiesme du sixiesme d'vn pouce et 1/3, dont la distance du troisiesme au quatriesme est double: celle du sixiesme au septiesme, et du septiesme au huictiesme est de trois pouces et 2/3.

Voyons maintenant la figure et les proportions de la Basse B M N, qui est differente en plusieurs choses de la Taille, car elle est si longue, que la bouche ne peut atteindre iusques au haut, c'est pourquoy l'on vse d'vn canal de cuiure A B, au bout duquel on attache vne anche au point A pour l'emboucher: or ce cuiuret descend aussi bas comme il est necessaire pour la commodité de celuy qui sonne de cette partie; mais i'ay desia parlé de cecy dans l'explication des Flustes douces. Cette Basse a cinq pieds depuis B iusques à M N, et a vnze trous qui sont marquez par autant de nombres, dont les quatre, à sçauoir le 8, 9, 10, et 11, sont cachez sous leurs boettes G H I K L: de sorte que la boette G H I K a trois clefs, et I L que l'on appelle la poche, n'en a qu'vne, qui bouche l'onziesme trou, lequel est vis à vis de son nombre, comme les trois trous de la grande boette sont vis à vis des 8, 9, et 10. Et parce que les quatre ressorts sont faits comme celuy de la Taille, il n'est pas besoin de les expliquer: il faut seulement remarquer que la clef couure le huictiesme trou, D le neufiesme, E le dixiesme, et I l'onziesme.

Quant à l'estenduë des Haut-bois, chaque partie, par exemple le Dessus, fait la Quinziesme: car apres que l'on a fait autant de tons naturels qu'il y a de trous, l'on en recommence encore d'autres, qui sont plus forcez et plus aigus, en redoublant le vent, comme i'ay dit en expliquant les autres instrumens qui ont cette mesme proprieté.

[-298-] PROPOSITION XXXII.

Expliquer la figure, la grandeur, l'estenduë et l'vsage des Bassons, Fagots, Courtaux, et Ceruelats de Musique.

IE traite de ces especes de Basses, parce qu'elles se peuuent ioindre au Concert des Haut-bois, et qu'elles ne sont quasi differents d'auec la Basse precedente qu'en ce qu'elles se brisent en deux parties pour pouuoir estre portées et maniées plus commodément, c'est pourquoy on les appelle Fagots, à raison qu'elles ressemblent à deux morceaux de bois qui sont liez et fagotez ensemble.

[Mersenne, Instrumens à vent, 298; text: [alpha], [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, R, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12] [MERHU3_5 22GF]

Or le premier Fagot à main gauche commence à lettre A, où l'on void le cuiuret L K monté, afin de porter le vent dans le tuyau A B E I. Le vent sort par la pate H, qui se demonte au point I. Quant à la distance de ses trous, il y a premierement quatre pouces de l'emboucheure, ou du haut A iusques au premier trou, et quatre pouces et 1/2 du troisiesme trou iusques au quatriesme, il y a seize lignes du six au sept, cinq pouces du sept au huict, six pouces 1/4 du huict au neuf, deux pouces 1/3 du neuf au dix, et cetera et de l'onze au douze 7 pouces et 1/2, et de là iusques au bout du Fagot qui est caché souz la pate H I, il y a cinq pouces et 1/2. Cette pate a quasi neuf pouces depuis I iusques à H. Mais les autres trous sont seulement esloignez d'vn pouce et 1/4 les vns des autres. Il faut encore remarquer que le porte-vent, et consequemment le trou A, dans lequel on le met, a six lignes en diametre; que le bout du Fagot caché souz I H est ouuert d'vn pouce et 1/4: que le diametre du douziesme trou, qui ne se bouche point, est de six lignes, et que les diametres des six premiers trous ne sont que de trois lignes chacun.

La lettre M monstre l'anche qui est entée sur le canal L K, laquelle on appelle Cuiuret, à raison qu'on le fait ordinairement de cuiure, encore qu'il puisse estre de verre, de bois, d'or et d'argent, et cetera. Ce Fagot a trois clefs, dont la premiere B, qui bouche le septiesme trou, est descouuerte, et la seconde E, et la troisiesme G sont couuertes de leurs poches D et G. C monstre la bande de cuiure, ou d'autre matiere, qui ioint et enuironne les deux branches de cet [-299-] instrument, si ce n'est qu'on le fasse d'vn mesme morceau de bois. Or les deux trous, qui sont en ces deux parties du Fagot, se bouchent auec deux cheuilles, afin que le vent n'en puisse sortir, et que les deux canaux des deux branches du Fagot soient tellement continuez que le vent qui entre par l'anche M, ne sorte que par le douziesme trou, et par l'ouuerture H, quand les vnze trous sont bouchez.

L'on entendra fort aysément ce que ie viens de dire de ces deux cheuilles par le bout R, que i'ay mis separément, dont le trou qui est au dessus, est le septiesme du Fagot, quoy qu'il serue pour representer le bout E du Courtaut B E, que i'expliqueray apres. La troisiesme figure qui est à main droite represente encore vn autre Fagot, ou Basson à trois clefs, et à vnze trous, mais il n'a point de pate pour couurir le bout H, qui monstre quant et quant la figure du bout caché souz le pauillon I H. Il n'est pas besoin d'expliquer les clefs G, E, B, ny le lieu des trous qu'elles bouchent, à sçauoir F, D, C, ny le Cuiuret I K auec son anche L, puis que tout cela a desia esté dit dans l'explication de l'autre Fagot. Il faut seulement adiouster que les Bassons, et les Fagots ne sont pas tous d'vne mesme grandeur, et qu'il y en a qui descendent plus bas que les autres d'vne Tierce, ou d'vne Quarte. Quelques-vns nomment cette espece d'instrument Tarot, mais il importe fort peu comme on les appelle, pourueu que l'on en sçache la fabrique et l'vsage, qui consiste à seruir de Basse aux Concerts des Musettes et des voix, et à chanter toute sorte de Musique, suiuant son estenduë, qui est d'vne Dixiesme ou d'vne Vnziesme.

Or il n'est pas besoin d'expliquer la maniere de faire les tons sur cet instrument, puis qu'il faut seulement deboucher les trous les vns apres les autres, comme ceux des Flustes; c'est pourquoy ie viens à l'explication de la figure du milieu, que l'on appelle Courtaut, quoy qu'il ne soit autre chose qu'vn Fagot, ou Basson racourcy, qui sert aussi de Basse aux Musettes. Il est fait d'vn seul morceau de bois cylindrique, et ressemble à vn gros baston; de là vient que quelques-vns en font de grands Bourdons semblables à ceux des Pelerins de sainct Iacques. Mais il suffit de le representer sans superfluité par la figure B E, qui a vnze trous marquez, dont les sept premiers paroissent ouuerts sur le deuant, et le 8, 9, 10 et 11 sont marquez en blanc auec de petits points, pour signifier que ces trous sont derriere l'instrument, qui est percé tout au long de deux trous, qui se voyent dans la figure C D, laquelle monstre le bout du Courtaut caché souz la boëtte B C D, qui a vne ouuerture au point B, afin d'y enter l'anche A B. Le septiesme trou monstre le lieu, auquel les deux trous C et D aboutissent pour estre continuez, c'est pourquoy on le couure d'vne autre boëtte semblable à B C D, de peur que le vent se perde, qui doit estre porté depuis l'anche A iusques à l'onziesme trou par où il sort: de sorte que l'air se pourmene en descendant et en remontant.

Il y a encore six trous dans cet instrument, à sçauoir trois à costé droit pour ceux qui en sonnent à droit, et trois du costé gauche pour les gauchers; ils sont marquez par [alpha], [gamma] et [epsilon], et par [beta][delta et [zeta]: mais il faut boucher les vns, ou les autres de cire, pendant que l'on vse des trois de l'autre costé, que l'on bouche en couchant les mesmes doigts dessus, auec lesquels on bouche les trous du milieu de l'instrument, qui sont les plus proches de ces trous adioutez que l'on fait de petits morceaux de bois, qui se nomment Tetines, et qui sont entez sur le corps du Courtaut, pour aller rencontrer le second canal des trous [-300-] de derriere. Quant à l'ordre que l'on doit garder entre les trous pour faire les tons de toute l'estenduë de cet instrument, il faut remarquer que les deux de dessouz marquez par neuf et dix font le son le plus aigu de tous, et que l'vn est pour les droitiers, et l'autre pour les gauchers. Les six trous qui paroissent, et qui sont marquez des nombres 1, 2, 3, 4, 5 et 6, suiuent apres: de sorte que celuy qui est marqué de six fait le septiesme ton. Le dixiesme s'appelle le trou du pouce, parce qu'il se bouche par son moyen, et se communique au premier canal qui regne tout au long de cet instrument, comme font les six trous qui suiuent. Le septiesme trou ne sert de rien pour les sons, mais seulement pour continuer le vent des deux canaux qui se ioignent, et s'vnissent vis à vis de ce septiesme trou. Les tetines [epsilon], [alpha], [gamma], ou [zeta], [delta] et [beta] s'vnissent seulement au canal de dessous, c'est pourquoy elles font le huict, neuf et dixiesme ton, de sorte qu'[alpha] ou [beta] sont les derniers trous de ce Courtaut: car l'onziesme ne sert que pour donner passage au vent, qui sort seulement par cet vnziesme trou, quand tous les autres sont bouchez.

[Mersenne, Instrumens à vent, 300; text: A, B, C, D, E, F, G, H, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15] [MERHU3_5 22GF]

Il faut encore expliquer d'autres figures qui seruent aussi de Basse dans toutes sortes de Concerts, à sçauoir le Basson B D H, qui est à gauche, et le Ceruelat B D. Quant au Basson qui est tout d'vne piece de bois, il est aysé d'entendre sa construction et ses parties par ce que nous auons dit des Fagots precedents. Il faut seulement adiouster que celuy-cy a quatre clefs, parce qu'il descend plus bas, et que le mesme pouce qui ouure la clef G, ouure semblablement la clef F, et que celuy qui ouure le neufiesme trou, lequel est derriere l'instrument, ouure aussi le huictiesme par le moyen de la clef E: quant à la premiere clef C, elle s'ouure auec le petit doigt de la main droite.

Le dernier instrument se nomme Ceruelat, et n'est autre chose qu'vn Courtaut, ou vn Fagot si racourcy et si petit qu'on le peut cacher dans la main, car il n'a que cinq pouces de long: mais auant que de parler de la disposition de ses trous, et de son estenduë, il faut expliquer les proportions du Basson precedent qui descend plus bas d'vne Quarte que les ordinaires. Ie dis donc premieremeni qu'il auroit cinq pieds et 1/2, s'il estoit desployé, c'est à dire si les deux canaux B D, et D H estoient continuez en vne mesme ligne droite; qu'il a deux pieds 3/4 de B en D, et de B en H, qui monstre la hauteur de sa boëtte, qui a huict pouces. En second lieu, qu'il y a neuf pouces et 1/2 de B iusques au premier trou; du troisiesme au quatriesme huict pouces: et qu'il n'y a qu'vn pouce et demy entre les autres trous iusques au sixiesme. En troisiesme lieu, qu'il y a [-301-] sept pouces du sixiesme au septiesme, du septiesme au huictiesme, qui est derriere, quatre pouces: du huictiesme au neufiesme, il y a sept pouces, et du neufiesme au dixiesme il n'y en a que cinq 1/2. Finalement il y a dix pouces du dixiesme à l'vnziesme, et de cet vnziesme iusques à la pate, c'est à dire iusques à B, il y a quatorze pouces. Le diametre de la pate, ou du pauillon est de trois pouces: mais il faut remarquer que le trou, dont le Basson est percé tout au long, c'est à dire son canal, est estroit au commencement, et qu'il va s'eslargissant iusques à la fin: ce qui arriue semblablement aux Haut-bois, et aux Cornets: ce qui rend leurs sons plus violents que ceux des instrumens qui sont percez d'vne mesme grosseur depuis le commencement iusques à la fin.

Il ne reste plus que le Ceruelat à expliquer, dont la Base superieure a huict trous de mesme grandeur, qui percent cet instrument tout du long: de sorte que la Base inferieure a aussi huict trous, qui neantmoins ne font qu'vn seul canal continu, de sorte que le Ceruelat Harmonique va aussi bas qu'vn instrument qui seroit huict fois aussi long, c'est à dire qui auroit trois pieds et demy de long, ou enuiron, c'est pourquoy il faut que les trous soient disposez sur ce cylindre comme l'on void icy, afin d'aller chercher le canal en des lieux propres pour faire les tons de cet instrument, dont l'anche A est au milieu des huict trous precedens, qui sont couuerts d'vne plaque de laton, ou d'vne boëtte, comme l'on void en D, et qui sont bouchez auec de petits morceaux de parchemin, ou de bois, ou de telle autre matiere que l'on veut, afin qu'ils soient tous continuez et qu'ils ne fassent qu'vn mesme canal.

Quant à la disposition des trous, elle est marquée par les quatorze nombres qui sont dessus, dont le premier signifie le 1 trou, et le 2 le second trou, et ainsi des autres iusques au quatorziesme. Mais il faut remarquer que ceux qui paroissent blancs, et qui sont ponctuez, sont derriere, et qu'ils ne se peuuent voir de la mesme veuë que ceux qui sont noirs, et qui sont deuant, à sçauoir 1, 2, 3, 4 et 5, (qui sont proches l'vn de l'autre quant à l'exterieur seulement, car quant à l'interieur, ils sont aussi esloignez que les autres, parce que l'vn est percé de biais en haut, et l'autre en bas) six et sept, qui ont quatre trous, encore qu'ils ne fassent que deux sons, parce que les deux d'en haut se rencontrent dans vn mesme lieu de la concauité du canal, comme font aussi les deux de dessouz, et finalement le 8, 9 et 10. Mais l'11, 12, 13 et 14 sont de l'autre costé, et le 15 fait le son le plus graue de tous quand on le bouche, et que tous les autres demeurent bouchez: et le premier debouché fait le son le plus aigu: de sorte que ce Ceruelat a l'estenduë d'vne Quinziesme, dont on fait tous les degrez en bouchant tous les trous les vns apres les autres: ce que l'on fait d'autant plus aysément qu'ils sont plus pres les vns des autres, parce que l'on en peut boucher deux, trois, ou quatre d'vn mesme doigt. Or le vent sort et se perd par les quatre trous qui sont en bas à main droite sans aucun nombre, et par vn autre trou lequel est dans la Base inferieure.

[-302-] [Mersenne, Instrumens à vent, 302; text: [beta], [gamma], [delta], [epsilon], [zeta], [iota], [lambda], [mu], [nu], [xi], [pi], [rho], [sigma], [tau], [chi], A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, R, S, T, V, x, y, z, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10] [MERHU3_5 23GF]

[-303-] PROPOSITION XXXIII.

Expliquer encore les Haut-bois, auec les autres instrumens precedens, et les parties de Musique qu'ils peuuent exprimer.

IE veux faire voir tous ces instrumens dans vne mesme planche, puis qu'ils appartiennent à vn mesme Concert, afin qu'elle serue à l'esprit et à la main de ceux qui voudront faire de semblables instrumens. A [pi] monstre la Basse en sa iuste proportion: le premier trou est marqué de 1, et d'vn 0, qui signifie qu'il est derriere: deux, trois et quatre monstrent les lieux de la boëtte B F vis à vis desquels se treuuent le deux, trois et quatriesme trou. C D monstrent les clefs de derriere, qui bouchent le premier trou caché dans la poche G H vis à vis de H: de sorte que cette Basse a quatre clefs. Les autres trous sont marquez par leurs nombres iusques au dixiesme. Le cuiuret [alpha][zeta] a son anche [zeta], par où l'on embouche l'instrument.

Quant à la Taille I M elle a seulement sept trous et vne clef, et s'embouche par sa piroüette X I, comme fait aussi le dessus N O. Le Ceruelat [zeta][delta] fait voir ses trous tant de deuant, que de derriere, parce que ceux qui sont à main droite, font paroistre la distance et la disposition qu'ils ont entr'eux sur le costé qui ne se void point. Quant au Fagot, ou au Basson P S, il a trois clefs que i'ay mises a costé, encore qu'elles soient derriere, afin que l'on voye que le premier trou est vis à vis des trous de la poche a z, et que le second est vis à vis de la poche X Y. Or le mesme doigt ouure les deux clefs par le moyen des deux bouts Z Y. Semblablement le doigt qui bouche le septiesme trou, debouche aussi le troisiesme trou en pesant sur le bout V de la clef T V.

Quant au Courtaut [beta][gamma], i'ay expliqué tous ses trous par l'autre figure, de sorte qu'il faut seulement icy obseruer que les trous qui sont a costé droit, signifient les lieux de derriere où ils sont placez. L'anche [rho][sigma][tau] monstre la maniere dont on les accommode pour l'ordinaire, car [rho][sigma] signifie les roseaux fort deliez dont on la compose. [sigma][tau] est le cuiuret sur lequel on les lie auec du fil, ciré, ou que l'on rend humide, afin qu'il bouche mieux les costez des roseaux, et qu'il empesche que le vent que l'on souffle en embouchant le haut de l'anche [rho] ne se perde; et puis on entortille encore d'autre filet au bout du cuiuret [tau], afin qu'il entre par force dans les tuyaux, ou chalumeaux, et que le vent ne puisse s'eschaper entre le cuiuret et le chalumeau.

Quant a leur Musique, elle est propre pour les grandes assemblées, comme pour les Balets (encore que l'on se serue maintenant des Violons en leur place) pour les Nopces, pour les Festes des villages, et pour les autres resiouyssances publiques, à raison du grand bruit qu'ils font, et de la grande Harmonie qu'ils rendent, car ils ont le son le plus fort et le plus violent de tous les instrumens, si l'on excepte la Trompette. Mais l'exemple qui suit fera mieux comprendre leur nature qu'vn plus long discours. Il faut seulement remarquer que l'on vse de la Sacquebute pour sonner la basse Taille.

[-304-] Pauanne a six Parties du second Mode transposé pour les Haut-bois, composée par le Sieur Henry le Ieune.

[Mersenne, Instrumens à vent, 304; text: PREMIER DESSVS. D la re sol tout fermé, C sol vt tout ouuert. SECOND DESSVS. HAVTE-CONTRE. G re sol tout fermé, F vt fa tout ouuert. PREMIERE TAILLE. D la re sol tout ouuert. SECOND TAILLE, ou BASSE TAILLE pour la Sacquebute. BASSE. G re sol tout fermé sans les clefs] [MERHU3_5 24GF]

[-305-] COROLLAIRE.

Thesée Ambroise Docteur de Pauie descrit vne autre espece de Fagot depuis la 33. iusques à la 37. page de son Introduction à la langue Syriaque et Armenienne, dont il donne la figure dans la 179. page. Or il en attribuë l'inuention à son beau-pere Afranius, qui ne peut trouuer d'homme dans toute

l'Allemagne qui le peust construire: de sorte qu'il vsa de l'industrie de Iean Baptiste Rauilius de Ferrare, qui luy rendit son instrument parfait. Mais il n'est pas besoin d'en mettre icy la figure, tant parce qu'on la peut voir dans le liure de Thesée, que parce qu'elle peut estre comprise, si l'on entend celles des instrumens precedens, et particulierement celles de la Sourdeline, et des Bassons, d'autant que ce Fagot n'a pas dauantage que ce qu'ils contiennent. Il faut seulement remarquer qu'il est composé de deux Bassons, dont les trous se ferment par des ressorts, que l'on ouure auec les doigts, comme ceux dont i'ay parlé dans l'explication des instrumens precedens: et que l'on vse de deux soufflets, ou plustost de deux peaux, dont l'vne est accommodée à vn soufflet, comme celle de la Musette, ou de la Sourdeline, que l'on met souz le bras droict, et l'autre est semblable à la peau desdites Musettes, qui sert pour enuoyer le vent dans le Fagot, lequel ne parle point si l'on n'ouure ses ressorts, comme il arriue à la Sourdeline, que l'on peut mettre entre les Fagots. Or il n'est pas necessaire de rechercher l'origine de cette diction, que Thesée essaye de faire venir de [phago], d'autant que l'origine des noms, que l'on donne aux instrumens, n'a pas esté assez bien remarquée, et que l'on peut dire qu'elle a esté prise de nostre diction Françoise Fagot, parce qu'il contient deux, ou plusieurs Flustes liées, ou fagotées ensemble, comme l'on void dans les deux precedens, dont i'ay expliqué et donné la figure. Il est fort aysé de leur adiouster des peaux et des soufflets, afin d'euiter la peine que l'on a en distribuant le vent du poulmon, et de leur donner l'estenduë de la Vingt-deuxiesme, comme au Fagot d'Afranius, ou de la Vingt-neufiesme, comme aux Clauecins des Epinettes et des Orgues, dont on peut vser pour sonner de plusieurs Fagots et Musettes.

PROPOSITION XXXIV.

Expliquer la Cornemuse, et les Haut-bois de Poictou auec leur grandeur, leur vsage, et leur proportion.

CEtte Cornemuse n'est differente de la Chalemie, dont i'ay parlé dans la 25. Proposition, qu'en ce qu'elle n'a point de petit Bourdon, car elle s'embouche par le porte-vent Z, et a le gros Bourdon Y comme l'autre, mais son Chalumeau R V a huict trous, dont le premier se bouche auec la clef, qui est couuerte de sa boëtte. Or ie l'ay icy reseruée, afin de la ioindre auec les Haut-bois de Poictou, parce qu'elle entre dans leur concert en qualité de Dessus, afin que l'on voye tous les instrumens d'vn concert entier, dont la Basse est brisée en C, afin d'estre plus portatiue, et d'auoir tous ses trous tellement disposez que l'on puisse les boucher des doigts; ce que l'on ne pourroit faire si ses deux branches estoient continuées en ligne droite. Mais il faut [-306-] remarquer les particularitez de ces Haut-bois, et voir en quoy ils sont differents de ceux que i'ay expliquez dans la 30. Proposition.

[Mersenne, Instrumens à vent, 306; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, X, Y, Z, o, q, r, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11] [MERHU3_5 25GF]

La longueur de la Basse est depuis son commencement A iusques à sa pate B: et pour en sonner l'on emboëtte l'anche, et le cuiuret I dans l'emboucheure de la Basse A: mais on couure cette anche de la boëtte D que l'on voit separée en H, de sorte que le cuiuret, l'anche et la boëtte, que l'on embouche par le bout D, font la figure A E D. Le premier trou qui fait le son le plus graue est bouché par la palette G de la clef G F, laquelle on baisse du mesme doigt dont on bouche le second trou: le troisiesme trou est derriere, c'est pourquoy il est marqué en blanc: il n'est pas necessaire d'expliquer les autres trous, puis qu'ils paroissent tres-bien, et qu'il n'y a nulle difficulté à les boucher.

La Taille K M est la seconde partie, dont l'anche P est couuerte de la boëtte K L, que l'on void separée en Q: or ces huict trous sont disposez comme [-307-] les huict du chalumeau de la Cornemuse, sur laquelle il suffit de les auoir marquez, sans qu'il soit necessaire de repeter les nombres sur la Taille, et sur le Dessus, qui ont leurs clefs N, O, T, et leurs pates B, M, V semblables. Le Haut-bois, ou le Chalumeau R T V s'emboëtte dans la peau R S au point R, et a l'anche q, laquelle se met dans sa boëtte r pour estre conseruée, de peur que la peau ne l'offense.

Quant à l'emboucheure du porte-vent z, elle sert pour enfler la peau, et a vne soupape en dedans, comme celle de la Chalemie. Le Bourdon X Y se tire plus long, ou s'accourcit en Y pour baisser ou hausser d'vn ton, et a son anche o en dedans, laquelle est couuerte et conseruée par la boëtte P. Or l'estenduë de chacun de ces Haut-bois est semblable à celle des grands Hautbois, c'est pourquoy ie ne m'y arreste pas, ny aux choses qui sont communes entre ces deux especes d'instrumens, afin d'adiouster vn exemple à trois parties, qui fera comprendre leur nature et leurs proprietez: où il faut remarquer que la partie du Dessus de ces Haut-bois, n'est pas differente de celle du chalumeau de la Cornemuse, car ils chantent la mesme chose à l'vnisson.

Chanson à trois parties du quatriesme Mode, pour les Haut-bois de Poictou, composée par le Sieur Henry le Ieune.

[Mersenne, Instrumens à vent, 307; text: Chant de la Cornemuse. D la re sol tout fermé, C sol vt tout ouuert. DESSVS. TAILLE. G re sol tout fermé sans la clef, F vt fa tout ouuert. BASSE. F vt fa tout ouuert sans clef.] [MERHU3_5 26GF]

[-308-] PROPOSITION XXXV.

Expliquer tout les autres instrumens qui se seruent du vent pour sonner, et particulierement ceux des Indes.

IL est certain que l'on peut faire vne infinité de sortes d'instrumens à vent, aussi bien qu'à chordes, quoy qu'ils se puissent tous reduire à ceux dont nous auons parlé, et dont nous traiterons dans le liure des Orgues. L'on pourroit rapporter les differentes cauernes, puits et autres lieux souz-terrains, qui font quelque-fois des sons harmonieux, et d'autres fois des bruits confus, horribles et espouuantables, à cette sorte d'instrumens.

[Mersenne, Instrumens à vent, 308; text: B, C, D, E, F, P] [MERHU3_5 25GF]

Quelques-vns ont aussi remarqué des statuës, qui faisoient d'estranges bruits lors que certains vents souffloient, et des oyseaux faits de bronze, qui chantoient chacun leur ramage, ce que Luit-prand dit auoir veu à Constantinople en la Cour de l'Empereur Constantin fils de Leon; ce que Cassiodore asseure auoir esté fait par Boëce: et ce qui semble estre arriué à la statuë de Moscouie nommée Selata Baba, dont les trompettes et les autres instrumens faisoient vn bruit continuel par le moyen des vents qui souffloient et qui entroient dedans. Ie laisse toutes les tromperies des Oracles et des Idoles, qui se sont faites par le moyen des tuyaux, des canaux et des vents. Et nous experimentons souuent que toutes sortes de grands vents font vne si grande multitude de sons, et de bruits differents selon les rochers, les murailles, les trous des fenestres, et les autres lieux qu'ils frappent et qu'ils rencontrent, qu'il n'y a point d'instrumens qu'ils n'imitent; de sorte que l'on croid souuent entendre le cry des enfans, ou le chant des oyseaux, le concert des Violes, le bruit des Tambours, et cetera quoy qu'il n'y ayt que le seul vent qui fait tous ces bruits. Mais puis qu'il n'est pas dans nostre liberté, ou dans nostre pouuoir pour nous en seruir à discretion, comme des autres instrumens, ie n'en parleray pas dauantage.

Quant aux instrumens des Indiens, i'en represente seulement icy vn, à sçauoir F B, qu'ils font de cannes, ou de roseaux que ie represente par cette figure, qui m'a esté enuoyée du rare cabinet du sieur Claude Menetrie par Monsieur Iean Baptiste Dony Gentil-homme, et Secretaire de l'Eminentissime Cardinal Barberin. Il semble que les trous F F determinent l'aigu des sons de chaque Chalumeau, quoy que les languettes C P semblables à celle qui est figurée à part E P, m'en fassent douter: ce qu'il est aysé de sçauoir en voyant cet instrument dans ledit cabinet. Or cet instrument est quasi semblable à nos Orgues, et peut faire vn excellent Concert de Flustes, dont vn seul homme pourra iouër par le moyen d'vne peau semblable à celle de la Musette. Ie laisse tout ce qui concerne les Apeaux, dont on vse pour prendre les oyseaux à la pipée, et pour imiter leurs sons, d'autant qu'ils ne sont pas differens des anches de l'Orgue, dont nous parlerons apres, ou de celles que l'on void dans les instrumens de ce liure.


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