TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Mersenne, Marin
Title: Livre de l'Vtilité de l'Harmonie, et des autres parties des Mathemetiques
Source: Harmonie Universelle, contenant la theorie et la pratique de la musique, 3 vols. (Paris: Sebastien Cramoisy, 1636; reprint ed. Paris: Centre national de la recherche scientifique, 1965), 3:1-68.
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[-1-] LIVRE DE L'VTILITÉ DE L'HARMONIE,
et des autres parties des Mathematiques.
PVIS qu'il y a fort peu de personnes qui ne fassent plus d'estat de l'vtilité, que de la beauté, et de l'honnesteté, et que l'on n'approuue pas les pensées des Platoniciens, ou des autres Philosophes, qui se faschoient de voir la theorie des sciences reduite à la mechanique, et à la pratique, à raison qu'ils s'imaginoient que leur application à la matiere les faisoit déchoir de leur pureté; ie veux me conformer à l'aduis des premiers, tant parce que l'experience assujettie aux sens, et iustifiée en toutes sortes de manieres confirme grandement la verité des sciences contre l'opinion de ceux qui croyent qu'elles ne sont autre chose que des fantaisies de l'esprit humain, et qu'elles n'ont que l'incertitude pour leur fondement, qu'à cause que la vraye Religion ne consiste pas seulement dans la contemplation des mysteres diuins, mais aussi dans la pratique des vertus, et dans vn grand nombre d'actions tres-vtiles, par lesquelles les vrays fideles se soulagent et s'aident mutuellement. C'est pource sujet que i'ajoûte ce liure aux precedens, afin qu'il serue de quelque sorte d'instruction à ceux qui voudront vser de l'Harmonie, et des autres considerations que nous auons proposées, soit pour leur consolation particuliere, ou pour aider ceux dont ils procurent le salut.
PREMIERE PROPOSITION.
Il n'y a quasi nul art, nulle science, ou profession, à qui l'harmonie, et les liures precedens ne puissent seruir.
CEux qui prendront la peine de lire tous nos discours n'auront pas besoin de cette proposition, dautant qu'ils rencontreront vn grand nombre d'vtilitez, que i'ay monstré dans plusieurs Propositions et Corollaires de chaque liure; et ceux qui se contenteront de lire ce liure, en pourront vser comme d'vne table pour y trouuer ce qui leur agreera dauantage. Or il est aisé de prouuer que l'Harmonie est vtile à toutes les sciences, en la prenant dans toute l'estenduë de nos traictez; par exemple, il se rencontre plusieurs choses dans la Geometrie, dans lesquelles se void la raison des consonances, comme ie monstre dans le 9. Theoreme du 2. liure du traité de l'Harmonie vniuerselle, dont le 3. 10. et 11. Theoremes font voir ce que les Mechaniques ont de commun auec l'Harmonie, comme les autres depuis le 5. iusques au 9. enseignent quasi tout ce qui appartient à l'Astronomie, afin de faire comprendre ce qu'elle a d'harmonieux, particulierement si l'on y ajoûte la 2. partie du 13. Theoreme, dans lequel i'explique tout ce que Platon a de plus excellent pour l'Harmonie. Les Medecins peuuent aussi tirer de [-2-] l'vtilité ou du plaisir du 14. Theoreme qui fait paroistre l'Harmonie dans le corps humain; comme les Architectes ont dequoy s'exercer dans le 15. Theoreme. Il n'est pas necessaire d'aduertir que cette science peut seruir à la Physique, et à tous les Philosophes, puis qu'elle est quasi toute physique et philosophique, et qu'elle recherche et remarque les consonances iusques dans les odeurs, les saueurs, et les couleurs, comme l'on void dans le 2. Theoreme, et qu'elle enseigne l'harmonie des vers et des pieds metriques dans le premier. Les Critiques qui aiment la langue Grecque profiteront à la lecture des traictez de Bacchius et d'Euclide, lesquels i'explique dans le 17. Theoreme du premier liure; et les Theologiens seront bien aises de voir dans le 13. et le 14. ce que c'est que la Musique diuine et la creée: de sorte que l'on trouuera fort peu de personnes qui ne puissent tirer quelque profit de nostre Harmonie: par exemple si l'on proposoit à vn Architecte la difficulté qui arriua à Minos, lors qu'il voulut construire vn sepulchre au Roy Glaucus, comme nous lisons dans l'Epistre d'Eratosthene au Roy Ptolomée, laquelle est rapportée par Daniel Barbarus sur le 3. chapitre du 9. liure de Vitruue, à sçauoir qu'il feist ou qu'il donnast le dessein d'vn sepulchre royal double d'vn autre sepulchre cubique de cent pieds en tout sens, de sorte que le double sepulchre eust aussi la forme cubique, ou qu'il doublast vn autel sans changer sa figure de cube, comme il est dit dans la mesme epistre, que l'oracle d'Apollon le commanda aux Deliens, s'ils vouloient que la maladie cessast dont ils estoient affligez; et comme nous l'auons expliqué plus au long dans le 12. chapitre du 4. liure de la verité des Sciences, il en trouuera la maniere dans la 7. Proposition du 2. liure, et dans la derniere du 6. des Instrumens, où la duplication du Cube est demonstrée. S'il veut connoistre la force necessaire pour tirer vne charette et toutes sortes de fardeaux sur vn plan incliné à l'horizon, et par consequent la force de la viz sans fin, et des autres, il le sçaura par la 10. Proposition de nostre 2. liure des Mouuemens, iointe au traité des Mechaniques, qui sont à la fin du 3. liure. Si le Physicien veut sçauoir de combien l'air est plus leger, et consequemment plus rare que l'eau, il en trouuera plusieurs moyens dans la 17. et 30. Proposition du liure des Sons, lequel fournira vne grande multitude de pensées nouuelles aux Predicateurs, aux Peintres, aux dechiffreurs, qui trouueront dequoy s'occuper dans le liure des Chants, et à plusieurs autres personnes, sans qu'il soit besoin de les specifier. I'ajoûte seulement que l'on peut encore sçauoir la raison de la pesanteur de l'air à celle de l'eau, en faisant exhaler vne once d'eau de vie dans vne vessie, car si ladite eau exhalée et reduite en vapeur ne pese rien dans l'air, et par consequent que la vessie et la phiole pesent moins d'vne once qu'auparauant, et que l'once d'eau ait remply vn pied cube, l'on peut dire que le pied cube d'air pese vne once, et que la densité de l'eau est à celle de l'air comme le nombre des grosseurs égales au volume de cette eau comprise dans le pied cube est à la grosseur dudit volume; par exemple si la grosseur de ceste once y est contenuë cent fois, aussi gros d'air que l'once d'eau pesera cent fois moins que ceste eau. L'on viendra peut estre aussi à la mesme cognoissance si l'on peut rencontrer vn corps, qui soit si leger à l'égard de l'eau, qu'il monte aussi viste du fond d'vn vase iusques à la surface, comme vne pierre descend par vn espace égal dans l'air: par exemple si ledit corps monte 12. pieds d'eau dans le temps d'vne seconde minute, il montera aussi viste dans l'eau, [-3-] comme la pierre va dans l'air, et par consequent sa pesanteur aura mesme raison à celle de l'eau, que l'air à celle de la pierre: mais il est difficile de treuuer vn corps assez leger, car la moüelle de sureau est seulement 18. fois ou enuiron plus legere que l'eau; ioint que s'il arriue la mesme chose aux mouuemens des corps plus legers que l'eau lors qu'ils montent dans l'eau, qu'aux poids qui descendent dans l'air, à sçauoir qu'ils descendent aussi viste les vns que les autres, ou du moins que la difference n'en est pas sensible dans l'espace de cent pieds et dauantage, encore que les vns soient plus pesans 12. fois que les autres en mesme volume l'on ne puisse pas entierement resoudre cette difficulté par la comparaison de ces mouuemens: c'est pourquoy il est bon d'vser de toutes les voyes que i'ay donné dans les autres lieux susdits, afin qu'en confrontant toutes les experiences les vnes aux autres, l'on voye si elles se respondent, en quoy elles sont semblables ou differentes, et que l'on puisse iustifier, ou corriger les vnes par les autres.
Il faut neantmoins remarquer que quelques-vns estiment que l'air est vn corps souuerainement leger dans la nature, et qu'il ne peut estre rendu plus leger par quelque sorte de rarefaction qu'on se puisse imaginer, comme ils croyent que la terre prise en sa pureté, dont l'or approche de bien pres, est souuerainement pesante, sans qu'elle puisse deuenir plus pesante par quelque sorte de condensation.
Quoy qu'il en soit il suffit de peser l'air que nous respirons, et de le comparer à la pesanteur de nostre eau, car bien qu'il soit plein de vapeurs, et d'exhalaisons, il ne laisse pas d'estre grandement different de l'eau: quant à l'air pris dans sa plus grande pureté, lors qu'on nous en donnera, nous le peserons aussi bien que nous peserions toutes sortes de corps dans le vuide, s'il s'en pouuoit donner, par le moyen duquel nous cognoistrons la pesanteur de l'air, dans lequel ils peseroient moins que dans le vuide de la pesanteur qu'auroit l'air égal en volume ausdits corps, comme il arriue maintenant qu'ils pesent moins dans l'eau que dans l'air de la pesanteur de l'eau qui leur est égale en grandeur.
Or il faut tenir des linges chauds autour des vessies, canaux, ou autres vases, dont on vsera pour contenir l'eau de vie, ou vne autre liqueur rarefiée, pour empescher que la froideur de l'air qui les enuironne ne fasse tellement repaissir les vapeurs, qu'elles retournent en eau, ce qu'il faut faire iusques à ce qu'on ait pesé bien iustement la vessie, ou les autres vaisseaux remplis desdites vapeurs. Surquoy il faut encore remarquer qu'il n'est pas necessaire qu'elles se tornent en air pour estre aussi legeres que luy, puis que nous voyons tousiours que les fumées qui montent pardessus les cheminées, sont plus legeres, quoy qu'elles ne se conuertissent pas en air, et quelles retombent apres s'estre refroidies, et recondensées.
Le sieur Rey donne encore 3. autres moyens pour trouuer la pesanteur de l'air, dont le premier consiste à faire vn canal de leton tellement fermé par vn bout qu'il n'y demeure qu'vn petit trou au milieu, auquel celuy d'vn Aeolipile plein d'eau estant appliqué, apres qu'vn embolus bien iuste comme celuy d'vne seringue aura esté poussé iusques au fond, le feu fera sortir l'eau de dedans l'Aeolipile, laquelle estant conuertie en vapeur poussera l'embolus en haut, iusques à ce que l'eau soit toute reduite en vapeur, de sorte que le lieu du dedans du canal remply de cette vapeur, qu'il suppose d'égal volume [-4-] à l'air, monstrera combien il faut de pouces d'air pour peser autant, ou pour contenir autant de matiere, ce qui est vne mesme chose, comme vn pouce d'eau. Le second moyen veut que le trou du canal soit fermé afin de presser l'air tant qu'on peut auec l'embolus, lequel estant exposé à la rigueur d'vn grand froid vne nuit entiere, se gelera ou se tornera en eau, de sorte qu'il ne restera que l'air qui y aura pû demeurer en sa liberté, et son estenduë ordinaire, par exemple si l'on a reduit cent pouces d'air par la compression de l'embolus, à deux pouces, et que l'on trouue vn pouce d'eau glacée, ou non glacée, au fond du canal, et vn autre pouce d'air non condensé, le pouce d'eau pesera 99. pouces d'air. La 3. maniere se sert des boyaux d'vn porc bien nettoyez et tellement applatis, qu'il n'y demeure point d'air, lesquels estans mis dans vn vase plein d'eau percé en haut par vn petit trou, et fermé iustement en tous les autres endroits, si l'vn des bouts desdits boyaux sortant dehors par vn autre trou reçoit vn Aeolipile, son eau s'éuaporant, et enflant les boyaux fera sortir par le petit trou du vase de l'eau de mesme volume que la vapeur, dont la grandeur estant donnée et comparée auec celle de l'eau de l'Aeolipile, monstrera combien il faut de pieds, ou de pouces de vapeur ou d'air pour peser autant qu'vn pouce d'eau.
Les propositions qui suiuent font encore mieux voir en détail le profit qui se peut tirer de l'harmonie, lequel on peut appliquer à toutes sortes d'artisans, quoy que ie ne l'accommode qu'à peu de personnes, et particulierement aux Predicateurs dans la 2. Proposition et aux personnes deuotes dans la 3. comme à la Milice dans la 5. à la Morale et à la Politique dans la 6. et aux Iuges dans la 7. ce qui n'empesche pas que l'on ne puisse estendre l'vsage de l'harmonie à mille autres choses, suiuant le dessein et le besoin de chacun. A quoy l'on peut ajoûter qu'elle sert pour entendre vne grande multitude de passages, et de difficultez des liures d'Aristote, comme celles qu'il propose dans la 11. et 19. section de ses Problemes; et pour expliquer plusieurs passages de la saincte Escriture, comme l'on void dans Villalpandus, et dans le 17. article de la grande question que i'ay fait de la Musique sur le 21. verset du 4. chapitre de la Genese, où l'on void l'vsage de l'harmonie pour l'intelligence de la Bible.
PROPOSITION II.
Monstrer les vtilitez que les Predicateurs et les autres Orateurs peuuent tirer des Traitez de l'Harmonie, et des Mathematiques.
PVisque ceux qui annoncent la parole de Dieu sont les cooperateurs de Dieu [sunergoi], et qu'ils sont semblables aux Prophetes, en ce qu'ils sont comme la bouche de Dieu, et comme le sel de la terre, afin d'empescher la corruption des moeurs, et de rendre leurs auditeurs si raisonnables, si intellectuels, et si spirituels, qu'ils soient semblables à la raison suprême du Verbe eternel, qui témoigne le desir qu'il a que nous soyons vne mesme chose auec luy, il est raisonnable que nous ajoûtions cette proposition en leur faueur, afin que ceux qui doiuent estre la lumiere du monde, ne manquent pas eux mesmes de lumiere. Ie dis donc qu'ils peuuent se seruir en mille rencontres des proprietez de la lumiere [-5-] comparées à celles des sons dans tout le premier liure, et particulierement dans la 25. Proposition, et de l'effect des Echos, et des miroirs que i'ay expliquez dans la 28. Proposition du mesme liure, et ailleurs, afin d'éleuer l'esprit de leurs auditeurs à la cognoissance du Pere des lumieres, et de leur faciliter l'intelligence des rayons diuins, dont il esclaire nos entendemens, et eschauffe nos volontez. Or l'on peut dire que le Pere estant comme le centre de la Diuinité, engendre son Fils par la reflexion de toute la sphere des choses connoissables, lequel n'est pourtant qu'vne mesme chose auec luy, comme le poinct lumineux enuoyant tous ses rayons du centre à la circonference d'vne glace concaue spherique, engendre vn autre poinct égal de lumiere, qui reuient dans le poinct precedent, et y demeure comme par vne circonincession; de sorte que c'est vne lumiere de lumiere, ce qui arriueroit au Soleil, s'il estoit au centre du monde, et si le ciel estoilé, le premier mobile, ou l'empirée estoit solide, et poly, car toute la lumiere qui tomberoit sur cette glace reuiendroit dans le mesme Soleil.
Mais les autres especes de miroirs, par exemple l'Elliptique et le Parabolique, monstrent comme nous deuons vser de toutes les creatures à la gloire de Dieu: car comme l'Ellipse, que quelques-vns appellent Ouale, renuoye tous les rayons de l'vn de ses foyers à l'autre, comme i'ay demonstré dans la 28. Proposition du premier liure, et dans le liure de la voix; de mesme la connoissance de toutes les creatures, et de tout ce que nous considerons, doit tellement se reflechir sur la volonté, qu'elle ait autant de feu d'amour pour aimer Dieu, et le prochain, que l'entendement a de lumiere pour connoistre, afin que ces deux facultez soient comme les deux centres, ou foyers, qui portent la ressemblance de Dieu, et qu'elles ne se seruent des creatures que comme d'vne glace Elliptique, pour rapporter tout ce qu'elles ont, et ce qu'elles peuuent à la bonté de Dieu.
L'on peut ajoûter qu'il ne faut pas s'amuser à la seule écorce des creatures en considerant leur exterieur, comme font les purs Geometres, qui n'ont que la seule quantité pour l'objet de leur speculation, de peur que cet estude exterieur écarte les rayons de l'esprit, comme le conuexe, ou l'exterieur de l'Ellipse écarte les rayons de la lumiere, qui tendent à l'vn de ses foyers, et les empesche de se reflechir sur la volonté pour l'eschauffer, au lieu que l'interieur des creatures estant consideré, c'est à dire, que la contemplation de leurs vertus internes, et de leur fond, (dont on ne peut pas entendre les ressorts, si l'on n'y considere la puissance de Dieu agissant) fait reflechir la lumiere de l'entendement sur la volonté, laquelle brusleroit incessamment de l'amour de la souueraine beauté et bonté, si tous les rayons qui frappent l'esprit se reflechissoient sur elle: ioint que le conuexe de l'Ellipse peut encore seruir à ce sujet, parce qu'il écarte tellement les rayons qui viennent ou qui semblent venir de l'vn de ses foyers, qu'il les renuoye comme s'ils retournoient à l'autre, vers lequel ils tendent tous, car il est bon de se détourner quelquefois de la contemplation, et d'en faire passer les rayons à la volonté, afin qu'elle s'employe toute auec plus d'energie et d'efficace à l'amour de Dieu.
Les Predicateurs peuuent aussi vser de ces figures pour exprimer les mysteres de la Foy, par exemple, pour monstrer qu'il est aisé de croire que le corps du Sauueur peut estre contenu sous chaque parcelle de l'hostie consacrée, [-6-] puisque la plus grande estenduë de lumiere que l'on puisse s'imaginer peut estre reduite à vn poinct par la glace du miroir parabolique qui reflechit tous les rayons paralleles dans son foyer, de sorte que nulle partie de lumiere ne peut frapper sa glace, quoy qu'elle fust aussi grande que le firmament, qui ne soit contenuë dans le poinct dudit foyer. Et si l'on ajoûte que ce poinct lumineux enuoye ses rayons sur toute la glace, et qu'il semble quasi se reproduire soy-mesme autant de fois qu'il y a de parties et de poincts dans ladite glace, c'est à dire vne infinité de fois, l'on aura vn moyen d'expliquer comme vn mesme corps peut estre en plusieurs lieux. Or ce que i'ay dit de la lumiere peut estre appliqué aux couleurs, aux especes representatiues des objets, à la chaleur, et aux sons, sans qu'il soit besoin d'en donner d'autres exemples que ceux qui sont dans les lieux sus-alleguez, ou qui en peuuent estre deduits.
L'égalité des rayons paralleles reduits à vn poinct dans l'interieur de la parabole, et le parallelisme qui se fait sur son exterieur par les rayons qui tendent vers son foyer, peuuent encore fournir vne grande multitude de pensées pour expliquer comme tout ce qui vient de Dieu tend également à sa gloire, et auec quelle égalité nous deuons enuisager et receuoir tout ce qui vient de sa main.
Les bons esprits pourront aussi conclure par la 29. proposition du liure des sons, que les verres, dont l'vn des costez a sa conuexité hyperbolique, et l'autre est vn plan droit, rompent tellement les rayons paralleles, qu'ils se reünissent et concurrent tous en vn poinct, et par consequent que les rayons qui tombent d'vn poinct sur ladite surface se changent de diuergens en paralleles; et si l'on sçait approprier toutes les autres sections aux verres, et aux autres diaphanes, l'on sçaura changer la figure des rayons en autant de façons comme l'on fait auec les mesmes sections opaques, dont nous auons parlé: joint que l'on peut accommoder les diaphanes auec les opaques, et en composer plusieurs sortes d'instrumens pour seruir à l'oeil, et pour brusler en tel lieu qu'on voudra: par exemple le conuexe diaphane hyperbolic mis pres du foyer de l'vn des miroirs opaques precedens, changera leurs rayons diuergens en paralleles.
Ils se peuuent encore seruir de ces sections pour la commodité de leurs voix, qu'ils aideront grandement s'ils font faire le derriere des chaires où ils preschent, en forme d'hyperbole, dont le foyer interne soit vers le lieu de leur bouche, car tous les rayons sonores qui frapperont les costez de l'hyperbole, se reflechiront vers leurs auditeurs; quoy que si l'on faisoit tellement le derriere de la chaire qu'il y eust trois niches, à sçauoir vne de chaque costé, et l'autre au milieu, en forme de paraboles, dont les foyers se rencontrassent vers le lieu de la bouche, les paroles s'entendroient beaucoup plus clairement des auditeurs qui seroient vis à vis desdites niches, et qui en receuroient les rayons paralleles.
Ie laisse plusieurs industries dont on peut vser aux murailles, et à la voûte des Eglises pour renforcer la voix, afin de faire voir plus particulierement en quoy nos traitez peuuent seruir à l'eloquence, tant sacrée que profane.
Premierement, la parfaite connoissance de la Musique peut seruir pour la prononciation des paroles, d'autant qu'elle traite des mesures du temps, et fait voir combien l'on peut ou l'on doit prononcer de paroles dans vne heure [-7-] ou dans le temps de la harangue que l'on fait.
Secondement, elle apprend à quel ton l'on doit commencer l'oraison, ou chaque periode d'icelle, et combien il faut hausser ou baisser la voix à chaque rencontre.
En troisiesme lieu, comme il faut la renforcer, ou l'affoiblir, et la haster, ou la retarder, suiuant les differentes matieres que l'on traite, et les differents mouuemens que l'on desire imprimer dans l'esprit des auditeurs.
Quatriesmement, elle enseigne à faire les interualles qui sont propres pour chaque passion, et à flechir la voix en toutes sortes de façons, afin d'exciter à la ioye, à la tristesse, à la cholere, à la haine, et aux autres affections qui seruent pour porter l'auditeur à suiure l'intention de l'orateur.
En cinquiesme lieu, elle sert pour faire les voûtes, et disposer toutes sortes de lieux qui aident à la voix, et qui la rendent claire et distincte. C'est pourquoy les orateurs deuroient ordonner l'architecture des lieux qui sont destinez à l'eloquence, afin d'en tirer les grands auantages qui en peuuent reussir quand ils sont bastis selon les loix de l'harmonie.
Quant au premier poinct, il est aisé de determiner combien l'on doit prononcer de syllabes dans vn sermon d'vne heure, car l'experience enseigne que la plus viste prononciation ne doit estre que de sept syllabes dans vne seconde minute, comme sont celles-cy, Benedicam Dominum, et consequemment que l'on ne peut tout au plus prononcer que 25200. syllabes assez fort pour se faire entendre clairement et distinctement aux auditeurs, c'est à dire 26. pages semblables à celles de ce liure. Mais il est bien plus seant de parler plus lentement, quoy qu'il ne faille pas vser d'vne trop grande tardiueté; par exemple, l'on ne doit prononcer tout au plus que 3. fois plus lentement, afin que le sermon d'vne heure ait du moins 8400. syllabes, qui peuuent seruir pour auertir le Predicateur de presenter et de dedier autant de fois sa langue, son poulmon, son coeur, et son esprit à celuy dont il annonce les volontez: et s'il veut choisir la moyenne prononciation entre les deux precedentes, elle sera la mieux receuë et la plus agreable: quoy qu'il doiue prendre la liberté de haster ou de retarder sa prononciation, suiuant le profit qu'il experimentera que ses auditeurs en retireront, puis qu'elle est destinée pour eux. Et pour ce sujet il pourra reciter trois ou quatre periodes de ses discours en presence de quelqu'vn de ses amis, lequel vsera d'vne horloge à secondes pour l'aduertir du temps de la meilleure prononciation: car il est certain que ceux qui parlent trop viste, ou trop tardiuement, font bien peu de fruict dans leurs predications.
Le second poinct est encore plus difficile à obseruer que le premier, parce que plusieurs donnent vn bon temps à leurs paroles, qui n'ont pas l'inflexion de la voix pour faire les passages necessaires de periode en periode, et qui ne prennent pas le meilleur ton de leurs voix aux endroits où elle doit estre plus forte et plus robuste. Or pour paruenir à cette pratique il faut apprendre vn sermon, ou partie d'iceluy, afin de le reciter en presence d'vn amy qui ait la liberté de faire prendre le propre ton à la voix, et de faire recommencer les periodes et les mouuemens de la voix, iusques à ce qu'elle se soit accoustumée aux inflexions necessaires pour exprimer toutes sortes de passions. Mais il ne faut pas s'imaginer que le chantre qui fait toutes sortes d'interualles en chantant, les fasse aussi aisément en discourant, car tel les fait [-8-] bien en recitant toutes sortes d'airs, qui n'a point quasi d'inflexion en preschant, parce que le chant et le discours sont fort differents l'vn d'auec l'autre; quoy que celuy qui sçait chanter ait plus de facilité à remarquer et à pratiquer les interualles oratoires, que celuy qui ne sçait pas la Musique. Les Predicateurs profiteront à la lecture du Traité qu'a fait Denys Halicarnasse de la maniere dont il faut faire suiure les dictions dans les oraisons, car il monstre que la beauté des harangues dépend de l'harmonie, du nombre, et de la mutation des paroles; et remarque que le Diapente est l'interualle, ordinaire par lequel la voix se pourmene dans les harangues; mais elle doit tousiours garder le temps long ou bref des syllabes, au lieu qu'elles sont tellement assujetties à la modulation de la Musique, que l'on peut allonger les syllabes briefues, ou accourcir les longues, comme ie prouue par les vers qu'Euripide fait chanter à Electre dans l'Oreste, à sçauoir [Siga siga, leukon ichnos arbeles], et cetera dont les trois premieres dictions se chantent sur vne mesme note.
Il monstre aussi la nature de chaque voyelle, et de chaque consone, afin que l'orateur choisisse les plus douces pour exprimer les sujets de la paix, et des choses agreables, et les plus rudes pour expliquer les passions vehementes, et les affaires de la guerre: de sorte que la 43. et la 50. Propositions du liure de la voix, où i'ay traité de ces lettres, peut grandement estre aidée par le discours de Halicarnasse: qui peut encore seruir pour apprendre à ceux qui taschent de restituer la maniere de chanter les Odes Grecques et Latines, qu'entre les longues syllabes il y en a de plus longues, et entre les brefues de plus brefues les vnes que les autres, comme i'ay monstré dans le Traicté de la Rythmique, de laquelle il parle en suitte pour enseigner de quels pieds ou mouuemens doiuent vser les Orateurs, et les autres dont il examine les stiles, particulierement ceux de Thucydide, de Demosthene, d'Homere, de Platon, et d'Isocrate. Or quelques interualles qu'ayent fait les anciens Orateurs, il est certain que la voix d'vn Predicateur a vne octaue entiere pour son estenduë, et que l'accent de la cholere peut monter tout d'vn coup d'vne octaue, quoy qu'elle ait coustume de se terminer au Diapente: Mais tous ces interualles doiuent estre examinez auant que d'en vser, dautant que ce qui est bon pour vne voix, ne vaut rien pour l'autre.
Et lors que le Predicateur aura remarqué le meilleur ton de sa voix, et les interualles qui luy reüssissent le mieux pour exprimer toutes sortes de passions et d'affections, il luy sera facile de se preparer vn petit baston creux où il y aura vn monochorde à vent ou à chorde, par le moyen duquel il ajustera sa voix à toutes sortes de tons, et fera tels interualles qu'il voudra fort exactement, sans que nul des auditeurs puisse s'apperceuoir de cet instrument, s'il est fait selon l'industrie que l'on void au ceruelat de la 32. Proposition du 5. liure des Instrumens, ou suiuant le petit orgue des 4. tuyaux de la 39. Proposition du 6. liure. Il peut aussi vser d'vn petit cylindre de leton, ou d'argent, soit creux ou massif, pour le mesme sujet, ou de tout ce qu'il luy plaira, puisque nos Traitez enseignent l'harmonie et le ton de toutes sortes de corps.
Le 3. poinct n'est pas de moindre consequence que les deux precedens, car le renforcement et l'augmentation de la voix a souuent vn grand pouuoir sur les auditeurs, lors que le sujet le requiert: au lieu que si l'orateur l'augmente [-9-] hors de propos, il se rend ridicule, et perd le fruict de ses labeurs. Mais il est plus difficile de mesurer la force de la voix dont ie parle dans la 7. Proposition du liure des Sons, que la grandeur de ses interualles: neantmoins ce que i'ay dit cy-deuant de l'Echo peut seruir à cela, ioinct que l'on peut conjecturer de quelle force l'on parle, si l'on conte les syllabes que l'on prononce dans vn temps donné, parce que l'on a coustume d'en prononcer vn nombre d'autant moindre qu'on les prononce plus fort, pourueu que l'on parle aussi viste, et aussi fort comme il est possible.
Le 4. poinct reçoit de la lumiere du traicté de la Musique Accentuelle, et particulierement de sa derniere Proposition laquelle est adjoustée en faueur des Predicateurs: et dépend en partie du 3. poinct, puis que l'accent des passions consiste dans vne certaine vigueur et vehemence de la voix, qui porte la force des discours dans l'esprit de l'auditeur, et fait quelque fois fondre l'auditoire en larmes, ou le remplit de crainte, d'épouuante et d'horreur, soit de la laideur et malice du peché, ou de ses appanages, effects, et circonstances, et d'autres-fois il le console tellement et le remplit d'vn desir si ardent de voir la gloire de Dieu, que la plus part des auditeurs voudroient mourir promptement pour entrer dans la ioüissance des plaisirs diuins.
Le dernier poinct qui parle des lieux propres pour les Oraisons, et pour les Predications, peut estre aisément compris par le moyen des discours qui sont depuis la 23. iusques à la 31. Proposition du liure de la Voix; dont ie ne veux pas parler dauantage, parce que les Predicateurs ne sont pas appellez aux desseins des Eglises, et sont contrains de se seruir des lieux qu'on leur presente.
Ie pourrois icy rapporter vne grande multitude de pensées et de comparaisons des sons, et de tout ce qui entre dans la Musique auec la lumiere et les choses spirituelles et diuines, dont les Predicateurs se peuuent seruir en mille sortes de rencontres et de sujets aussi auantageusement, et aussi vtilement que d'aucune autre chose; et mesme i'auois pris resolution de leur dresser vne table des Euangiles, et des autres sujets des predications que l'on propose durant l'année: mais ayant consideré qu'ils doiuent tous estre capables de se seruir des liures et des sciences qui y sont traitées, et qu'il y a plus de plaisir de faire soy-mesme ses inuentions, et de puiser de nouuelles moralitez des nouuelles lumieres et veritez, que de les trouuer toutes faites, i'ay desisté pour les obliger, et pour donner lieu à ceux qui ont l'esprit propre pour les inuentions, d'auoir de nouuelles pensées qui ne deuront qu'à leur trauail, aidé de la faueur que Dieu leur fait en composant leurs sermons. I'ajoûte seulement que l'on entendra du moins aussi bien la lumiere et ses effets, comme les sons et leurs proprietez, si l'on comprend la 25. la 28. et la 29. Propositions du liure des Sons, et tout ce qui est dit des sections Coniques dans le liure de la Voix; et que la 4. Proposition du liure des Consonantes suffit pour faire voir vn essay de la maniere dont on peut puiser des moralitez des sons et de l'harmonie: à quoy l'on peut ioindre la 6. 7. et 8. Propositions auec plusieurs autres, dont les Corollaires sont pleins de plusieurs moralitez.
[-10-] I. ADVERTISSEMENT.
PLusieurs Predicateurs s'imaginent que les sciences des Mathematiques ne seruent de rien à la predication, et particulierement celles que l'on appelle pures, et qui sont abstraites de la matiere: mais quand il n'y auroit que l'estat que l'on fait d'eux, lors que l'on void qu'ils sçauent solidement toutes les sciences les plus subtiles, et la bonne odeur dans laquelle ils sont enuers tous les sçauans, ils n'auroient pas sujet de les mespriser, car il n'y a point de meilleur moyen de rendre les predications grandement fructueuses, que d'acquerir la reputation de n'ignorer rien de tout ce qui se peut sçauoir, et quant et quant de faire vn si grand estat de l'Euangile, et de ce qui concerne la vraye Religion et le culte diuin, que l'on mesprise entierement les sciences à l'égard de la pieté, dautant que tous les auditeurs, de quelque condition qu'ils soient, se porteront bien plus aisément à croire ce que tels Predicateurs diront, et à imiter ce qu'ils feront, que lors qu'ils les estimeront ignorans, ou peu sçauans: ioint que les sciences les plus subtiles leur fourniront milles inuentions pour persuader la vertu, et leur affermiront le iugement en toutes sortes de rencontres. En effet le Predicateur qui sçauroit ce que ie viens de dire, et lequel neantmoins feroit cent fois plus d'estat de la pratique de la Religion, et de ce qui concerne l'honneur et le respect de tout ce qui appartient aux choses saintes, persuaderoit aisément l'excellence de la Religion à ceux qui aiment grandement les sciences, et qui s'y appliquent entierement, parce qu'ils iugeroient qu'elle est bien plus excellente qu'elles, puis qu'il en fait si grand estat, qu'il les mesprise toutes à son esgard.
Car l'on ne peut douter qu'il n'ait compris et gousté le plaisir et la beauté des sciences, puis qu'il les sçait toutes en perfection. Quant aux Predicateurs qui ne les sçauent pas, et qui les blasment, ceux qui ne se portent pas aisément à la pieté, peuuent s'imaginer qu'ils blasment les sciences, parce qu'ils sont ignorans, et qu'ils font plus d'estat de la priere, parce qu'ils n'ont pas gousté le plaisir des sciences: de sorte qu'il y a tousiours plus de profit tant pour le Predicateur que pour les autres, qu'il soit sçauant, et qu'il ait du moins quelque entrée dans toutes les sciences; Quant à la vanité que l'on pourroit craindre, elle s'euanoüit aisément, lors que les sçauans voyent ce qu'ils ignorent, et ce qu'ils ne peuuent sçauoir; et qu'ils se souuiennent du contentement qu'il y a de se tenir en la douce presence de Dieu, en l'adorant, et en s'aneantissant deuant luy, comme le rien deuant le tout, et en s'assujettissant pour l'eternité à toutes ses saintes volontez.
SECOND ADVERTISSEMENT.
LEs Predicateurs qui desirent acquerir vne bonne grace tant en leurs gestes que dans leur prononciation, peuuent faire vn grand profit à la lecture de l'onziesme liure des Institutions oratoires de Quintilien, qui parle si amplement de ce sujet, qu'il est difficile d'y adjoûter: et ceux qui desirent sçauoir toutes les qualitez des bonnes et des mauuaises voix, et leurs origines, les trouueront dans le grand fragment d'vn liure d'Aristote, cité par Porphyre, lequel Francois Patrice met tout entier dans le 7. liure du [-11-] premier tome de ses Discussions Peripatetiques, page 85. et lequel suppleera à ce qui peut manquer dans nostre liure de la Voix.
Or l'on peut conclure de ceste Proposition ce que Demosthene disoit de la prononciation, comme remarque Quintilien au lieu sus-allegué, à sçauoir qu'elle est la principale partie de l'Eloquence: ce que sainct Augustin remarque aussi dans la 56. Epistre qu'il escrit à Dioscore, où il dit la mesme chose de l'humilité, à l'égard du chemin qu'il faut tenir pour viure chrestiennement; que ce grand Orateur disoit de la prononciation: Ea est autem prima humilitas, secunda humilitas, tertia humilitas, et quoties interrogares, hoc dicerem, non quo alia non sint praecepta, quae dicantur, sed nisi humilitas omnia quaecumque benefacimus et praecesserit, et comitetur, et consecuta fuerit, et proposita, quam intueamur, et apposita, cui adhaereamus, et imposita, qua reprimamur, iam nobis de aliquo bono facto gaudentibus, totum extorquet de manu superbia: vitia quippe caetera in peccatis, superbia verò etiam in rectè factis timenda est, ne illa quae laudabiliter facta sunt, ipsius laudis cupiditate amittantur.
III. ADVERTISSEMENT.
IL est à propos de remarquer que c'est particulierement en faueur des Predicateurs que i'ay mis toutes les moralitez qui se rencontrent dans vne grande partie des Propositions de tout cet oeuure, et que pour peu d'industrie qu'ils ayent, ils peuuent vser de l'Harmonie, non seulement pour embellir et enrichir leurs predications, mais aussi pour faire des Octaues du sainct Sacrement, des Aduents, et des Caresmes tous entiers: par exemple les 8. sons du Diapason, ou les 8. tons de l'Eglise, peuuent donner le sujet des sermons d'vne octaue qui sert d'inscription à plusieurs psalmes.
Or il est aisé d'appliquer les 8. beatitudes aux 8. tons ou modes de l'Eglise, que l'on void à la fin du 6. liure des Genres et des Modes de nostre liure Latin, et d'y ioindre quant et quant les 8. premieres ou dernieres chordes de la Harpe de Dauid, ausquelles i'ay accommodé les noms de Dieu, et les degrez d'estre dans la page 1705. de nos Commentaires sur la Genese, de sorte que l'on pourra accommoder chaque ton à ce qu'on voudra bien plus auantageusement que n'a fait Georgius Venetus en son Harmonie du monde, qu'il diuise par cantiques, à raison de la plus grande connoissance que ie donne des Modes, tant esdits commentaires depuis la 1666. page, que dans la 16. 17. et 18. Propositions du 3. liure des Genres et des Modes, et souuent ailleurs: ioint que si l'on sçait vser dextrement de toutes les considerations des vers François que i'ay mis depuis la 1854. page des Commentaires susdits, on rauira les auditeurs à raison du perpetuel enthousiasme et transport harmonique qu'ils contiennent.
Les transitions ou passages d'vne consonance à l'autre par les 4. sortes de mouuemens qui sont dans le liure de la Composition, sont propres pour expliquer les manieres de passer d'vne vertu à l'autre, et de la nature à la grace: la proportion selon laquelle s'augmente la vitesse des mouuemens naturels, ou se diminuë celle des violens, enseigne comme l'on peut s'auancer de vertu en vertu. Les interualles que fait la trompette peuuent seruir pour expliquer les sons de celle qui appellera tout le monde au dernier iugement: les sons differens que fait vne mesme chorde, ou vne mesme cloche, fera [-12-] voir comme vne mesme vertu en contient plusieurs autres, et par combien de motifs l'on peut pratiquer chaque vertu. Ie laisse les douze modes auec toutes leurs proprietez, et plusieurs autres choses, dont les Predicateurs peuuent vser fort auantageusement: ioint qu'ils se peuuent asseurer qu'ils entendront mieux la Musique par ces traités, que n'ont fait Platon et Aristote, dont ils expliqueront les passages tres-aisément, et mesmes les corrigeront lors qu'il y aura de la faute: or la Proposition qui suit leur peut encore seruir, aussi bien que toutes les autres de ce liure. I'adjoûte seulement que le Predicateur se conciliera d'autant plus aisément la bienueillance de ses auditeurs, qu'ils le recognoistront plus sçauant; et qu'il leur persuadera tres-facilement la vertu, lors qu'ils experimenteront qu'il n'y a nulle difficulté dans toutes les sciences, et les arts liberaux qu'il n'explique; car qui est celuy qui ne croira le Predicateur és affaires de son salut et de sa conscience, quand il experimentera qu'il sçait tout ce qu'il se peut imaginer, particulierement si la saincteté de sa vie accompagne sa science? Certes ie ne doute nullement que tous ne suiuent le sentiment de tels Predicateurs dans leurs affaires les plus serieuses, et qu'ils ne les elisent tres-volontiers pour arbitres de leurs differens: de sorte que nous pouuons à bon droict expliquer les paroles de nostre Seigneur, à sçauoir, Vous estes le sel de la terre, et la lumiere du monde, en faueur de ces Predicateurs.
IV. ADVERTISSEMENT.
L'Harmonie qui ne peut subsister sans la proportion de trois parties, ou voix differentes, est fort propre pour faire conceuoir la necessité des trois personnes en la bien-heureuse Trinité; et la suite des accords qui se suiuent dans les Duos, Trios, et cetera du liure de la composition, peuuent aider à faire comprendre l'ordre et la suite admirable des oeuures de Dieu. Or il est à propos que les Predicateurs ioignent les liures des Preludes, et des Questions Harmoniques, et les deux du Traicté de l'Harmonie Vniuerselle à ceux-cy, s'ils desirent en tirer le fruict tout entier, par exemple ils monstreront euidemment la vanité de la Genethliaque, ou Iudiciaire, par les 3. premieres questions des Preludes: ils discoureront aisément des diuers temperamens par la quatriesme. Ils comprendront la force de la Philosophie Sceptique par toutes les questions Harmoniques, et particulierement par la seconde: et s'ils lisent nostre premier liure de la Verité des sciences, et particulierement le 12. et le 14. chapitre, ils sçauront assez parfaitement tous les fondemens du Pyronisme: joint que s'ils prennent la peine de lire les quatre liures entiers, ils trouueront mille sujets de nouuelles pensées pour leurs moralitez, et pour éleuer les esprits de leurs auditeurs à la consideration des choses diuines. Mais toutes les Propositions qui suiuent, particulierement la 3. et la 5. leur seruiront autant que celle-cy, dont il n'est pas besoin d'auertir ceux qui sçauent faire leur profit de toutes sortes de veritez.
S'ils ont besoin de lumiere pour expliquer celle de la gloire, ou la maniere dont il faut entendre les paroles de nostre Sauueur, Ego sum lux mundi, ou celles du Prophete Royal, In lumine tuo videbimus lumen, la 25. Proposition du premier liure des Sons, et plusieurs autres du mesme liure, leur ayderont à trouuer de nouuelles inuentions: ils sçauront par ce que nous auons dit de [-13-] la vitesse et de la force du son, combien leurs voix se peuuent estendre, et de combien les auditeurs les plus esloignez oyent leurs paroles moins tost que les plus proches: ils connoistront la maniere de mesurer eux-mesmes la circonference de la terre dans peu de temps fort exactement par la 37. de nos Questions Physicomathematiques, et par consequent combien il faut de temps à leurs voix pour aller par toute la terre, suiuant le verset, In omnem terram exiuit sonus eorum. Ils se seruiront des principes de la Chymie, par la 28. Question, par la 16. et 17. Propositions du liure des Sons, et par la 19. Proposition du 3. liure des Instrumens.
Si les Fondeurs de cloches, ou les Facteurs d'orgues, les Organistes, et les Maistres de Chappelle les consultent dans les Eglises où ils preschent, et où ils se rencontreront, ils leur apprendront les iustes proportions de leurs instrumens, leur resoudront toutes leurs difficultez, monstreront leurs erreurs, et pourront eux mesmes faire la visite des orgues par la 37. Proposition du 6. liure des Instrumens. S'ils veulent prendre la peine de reformer les dances et les balets, et de les rendre si vtiles, qu'elles apprennent les sciences, ils en peuuent prendre le sujet de la 22. Proposition du liure des Chants; et le reste des Propositions du mesme liure leur enseignera en quoy consistent toutes sortes de dances, et de chansons, afin qu'ils cognoissent ce que l'on doit blasmer, et qu'ils vsent des termes propres de l'art, quand ils en voudront parler: de sorte qu'ils pourront aider toutes sortes de personnes et procurer leur salut en toutes sortes de façons, afin que chacun d'eux puisse dire veritablement auec sainct Paul: Omnia omnibus factus sum, vt omnes lucrifacerem. Et pour ce sujet il est bon qu'ils sçachent toutes les manieres de philosophies, particulierement tous les Systemes les plus celebres, par exemple comme l'on explique toute la Philosophie par les atomes de Democrite, et d'Epicure, par les nombres formels de Pythagore, par les elemens sensibles de la Chymie, par les idées de Platon, par la condensation et la rarefaction des autres, par le Criterium des Sceptiques, et par les principes d'Aristote, afin qu'ils s'accommodent à la portée et aux idées de toutes sortes d'esprits.
Quant à l'objection qui se peut former contre les Mathematiques, à sçauoir que l'estude d'Euclide est nuisible aux Theologiens, comme asseure Pic de la Mirandole dans la sixiesme de ses Conclusions, et par consequent que les Predicateurs ne les doiuent pas sçauoir, il suffit de prendre sa 4. et son 11. Conclusion pour y respondre, dans lesquelles il dit que l'on peut paruenir à la connoissance de tout ce qui peut estre sceu par le moyen des nombres, qui nous font comprendre les choses intellectuelles: ioint que ie desire que les Predicateurs puissent iuger de ces Conclusions, et qu'ils en sçachent assez pour monstrer tout ce qu'elles ont de veritable ou de faux; car ie ne voy point de raison qui les doiue assujettir à suiure l'opinion de cet auteur, n'y ayant que la seule lumiere de la foy diuine, ou la demonstration, à laquelle on se doiue rendre. Or si i'entreprenois de monstrer la fausseté de ses Conclusions, il suffiroit de produire plusieurs excellentes veritez que les Mathematiciens ont trouué dans les choses Physiques, et de mettre icy la 9. et la 10. où il asseure que l'Abbé Ioachim ne s'est seruy que des nombres formels dans ses Propheties, et qu'il n'y a point de meilleur moyen pour acquerir la prophetie naturelle.
[-14-] Mais il suffit que les Predicateurs experimentent les vtilitez qu'on tire de la Perspectiue, de la Musique, et de toutes les autres parties des Mathematiques, sans s'amuser à quantité d'objections, qui ne valent seulement pas la peine d'estre considerées, et lesquelles cet autheur n'eust pas sans doute mis en auant, s'il eust gousté ces sciences dans leur source, et qu'il en eust recueilly le fruit qu'elles peuuent produire dans les bons esprits, qui sçauent rapporter toutes leurs connoissances à Dieu. I'ajoûte seulement que sa premiere Conclusion est fausse, à sçauoir que les Mathematiques ne sont pas de vrayes sciences, si par la science il entend vne cognoissance certaine et euidente. La seconde est encore fausse, puis que toute verité peut contribuer à la felicité: ie laisse les autres, dont plusieurs ne sont pas moins esloignées de la verité que les precedentes, afin d'expliquer l'vtilité de l'Harmonie dans la vie mystique. A quoy l'on peut ajoûter tout ce que Sempilius escrit de l'excellence, et de l'vtilité des Mathematiques dans ses 2. premiers liures, et au commencement des dix autres suiuans. Quant aux proprietez des sections Comiques dont i'vse en ces deux Propositions, outre plusieurs lieux où ie les ay expliquées, par exemple dans la 514. page de nos Commentaires sur la Genese, et dans l'onziesme chapitre du 4. liure de la verité des Sciences, i'en donne encores les figures et l'explication dans la 6. Proposition de ce liure, laquelle donnera de la lumiere à celle-cy, et à la troisiesme qui suit, et consequemment seruira encore aux Predicateurs, et aux personnes deuotes.
V. ADVERTISSEMENT.
LOrs que les Predicateurs voudront éleuer leur esprit à quelque chose de grand et de sublime, pour se disposer à parler à des auditeurs qui s'entretiennent ordinairement de pensées fort releuées, ou pour se consoler eux mesmes, ie leur conseille de lire le 2. et le 3. liure de libero arbitrio, celuy de vera religione, de ordine, et de beata vita: la 3. 52. 56. 57. 85. 151. epistre de sainct Augustin, et plusieurs autres, que chacun peut choisir, et lire selon son loisir, par exemple la 12. où il enseigne comme il faut prier: si ce n'est que Dieu leur ait donné autant ou plus de lumiere qu'à ce grand Sainct, et qu'ils n'ayent besoin d'autre estude que de leur propre speculation, car nos aduertissemens ne sont pas faits pour ceux qui sont arriuez à vn tel degré.
Or quand les Predicateurs tireront de puissans motifs, et des moralitez pressantes de la plus pure Geometrie, de l'Algebre, et de toutes les autres parties, ils monstreront leur excellence et leur industrie, attendu que plusieurs croyent qu'elles ne sont pas plus propres à cela qu'vn caillou et vn rocher pour donner du miel et de l'huile; et celuy qui le fera dextrement, pourra dire que Dieu luy a donné la possession d'vne terre montagneuse, et pleine de rochers, comme celle des Israëlites, dont il est parlé dans le 32. chapitre du Deuteronome, Constituit eum super excelsam terram, afin qu'il en tire tous les profits spirituels qui peuuent consoler et fortifier son esprit, et celuy de ses auditeurs, conformement à ce qui suit dans le mesme verset, Vt sugeret mel de petra, oleúmque de saxo durissimo; et pour lors on ne dira plus que la Geometrie est plus seiche qu'vn caillou, comme il arriuera par exemple, quand les Predicateurs monstreront par la 36. du premier d'Euclide, [-15-] que tous les Anges, et mesme tous les corps qui peuuent estre en Paradis, peuuent assister au sainct Sacrement de nos Autels sans quitter le Ciel, et sans miracle, comme ie fais voir dans la 876. page de la verité des Sciences, dans laquelle ils trouueront mille belles inuentions; et quand ils appliqueront toutes les proprietez de la lumiere, dont i'ay parlé depuis la 738. page des Commentaires sur la Genese, et dans le premier liure des Sons, à celle que Dieu a imprimée dans l'entendement, et à celle de la foy et de la gloire; de sorte qu'ils peuuent faire des Aduents entiers, et des Octaues sur le roc qui donne le miel, en prenant ce qui leur plaira dauantage dans les Mathematiques. Mais ils ne trouueront peut estre pas hors de propos que ie leur dresse l'idée de plusieurs predications pour l'Aduent.
Surquoy ie dy premierement que s'ils sçauent vser de l'abbregé que i'ay fait imprimer pour eux, des principales parties des Mathematiques, intitulé Synopsis Mathematica, qu'ils pourront choisir pour l'vn de leurs sermons quelque Proposition d'Euclide: pour le second vne proposition d'Archimede: pour le 3. vne d'Apollonius: pour le 4. vne de Serenus, ou de Menelaus, ou de Maurolyc: pour le 5. vne de l'Optique: pour le 6. vne de la Catoptrique: pour le 7. vne de la Dioptrique: pour le 8. vne de la Perspectiue: pour le 9. vne des Parallaxes: pour le 10. vne du centre de pesanteur de l'vniuers: pour l'onziesme, vne du centre des solides: pour le 12. vne de la ligne de direction: pour le 13. vne de la balance; pour le 14. vne des poids obliques: pour le 15. vne ou plusieurs des merueilles du cercle: pour le 16. vne des machines: et pour le 17. vne de l'Hydrostatique: et chaque iour l'on pourra tousiours vser d'vn mesme texte, Vt sugeret mel de petra, oleúmque de saxo durissimo, pour le sujet de chaque sermon, car i'ay donné tous ces Traitez dans ledit Abbregé.
Et si au lieu d'vser de toutes ces parties l'on se contente d'en prendre vne seule, par exemple les Mechaniques, l'Isorropique donnera l'inuention, et la conduite de la premiere predication; la Centrobarique de la 2. la Zygostatique de la 3. la Mochlostatique de la 4. la Trochilostatique de la 5. la Sphenostatique de la 6. la Cochleostatique de la 7. l'Hydrostatique de la 8. l'Aireostatique de la 9. la Pyrotechnie de la 10. l'Automatique de l'11. la Polymechanostatique, et Poliorcetique de la 12. et ainsi des autres. Ce que l'on peut aussi dire de la seule Optique, ou de la Catoptrique, et cetera dont chacune est capable de fournir plus de matiere et de pensées qu'il n'en faut non seulement pour vn sermon, mais pour vn Aduent tout entier: par exemple l'on peut vser des 12. proprietez des miroirs droits, ou concaues pour autant de points d'vne predication, car l'Escriture saincte fournira aysément 12. moralitez pour les appliquer ausdites proprietez; et ie me persuade que les Predicateurs auront espuisé leur esprit, auant qu'ils ayent vsé de toutes les circonstances et les aydes qui se peuuent tirer des miroirs: à quoy ils peuuent ajoûter les inuentions de la 55. question sur la Genese, et ce qui est à la fin des Notes que i'ay fait sur les Problemes de Venetus; Or s'ils s'accoustument à cet vsage, et s'ils se donnent le loisir de raisonner d'eux-mesmes, ils trouueront mille sortes d'inuentions, qu'ils enrichiront tousiours de plus en plus, et feront en cette maniere que ce qui a semblé inutile iusques à present pour les choses diuines et morales, y seruira plus auantageusement que nulle autre science, comme il est aisé de conclure par tout ce que i'ay dit, et par la Proposition qui suit encore en faueur des Predicateurs.
[-16-] VI. ADVERTISSEMENT.
CEux qui ayment les moralitez puisées des Mathematiques, treuueront dequoy se contenter dans les oeuures de Nicolas de Cusa Cardinal, tant en son liure de la docte Ignorance, que dans les autres traitez, tandis que ie leur prepareray la methode d'vser des plus subtiles pensées de toutes les sciences, si ie connois qu'ils se soient seruis de celles de ce liure et des autres: ce qui n'est pas malaisé, comme plusieurs s'imaginent: dont on void la preuue dans cette Proposition, et dans les deux qui suiuent. Ils trouueront aussi plusieurs moralitez dans Guilielmus Parisiensis, qu'il tire des Mathematiques, dont la Retorique diuine, et les autres traitez sont fort vtiles pour les Predicateurs.
III. PROPOSITION.
Demonstrer l'vsage des Mathematiques en faueur des Predicateurs, et la maniere de tirer des motifs d'humilité de toutes les sciences.
IL y a mille choses dans les mysteres de la Foy qui semblent impossibles aux Payens, et à ceux qui n'ont point d'autre lumiere que celle de la Philosophie Peripatetique. Mais le Predicateur qui voudra se seruir des Mathematiques pour éclarcir les difficultez de nos mysteres, et de tout ce qu'il traitera dans ses sermons, aura de tres-grands auantages; car s'il est question de comparer le finy à l'infiny pour expliquer l'vnion des deux natures dans vne mesme personne diuine, il monstrera aisément qu'vn mouuement infiny se peut faire sur vn espace finy; que le moindre cercle du monde fait autant de chemin que le plus grand qui se puisse imaginer, à chaque tour qu'ils font: que l'on peut donner vne quantité tres-petite, laquelle estant diminuée iusques à l'infiny, sera tousiours plus grande qu'vne autre quantité qui sera tousiours augmentée iusques à l'infiny; qu'on peut passer d'vne extremité à l'autre sans passer par le milieu, et cetera comme ie monstre dans le quatriesme liure de la Verité des sciences, chapitre 11. et 12. Or ie donne vn exemple en particulier entre vn million qu'il est aisé de proposer; et pour ce sujet ie suppose qu'on vueille faire vn Sermon de sainct François de Paule, Instituteur de mon Ordre, et que l'on prenne le 30. verset du 29. de l'Ecclesiastique pour le theme, à sçauoir, Minimum pro magno placeat tibi, et cetera.
L'on peut premierement monstrer l'excellence des petites choses, et des Minimes de toute la nature, et de toutes les sciences, et comme le sage prefere ses quatre minimes dans le 30. chapitre des Prouerbes, verset 24. de mesme l'on peut en prendre 4. pour diuiser la predication en quatre considerations, ou parties, à sçauoir le point Mathematique, lequel est le minime de la Geometrie, quoy qu'il soit le plus puissant, et qu'il engendre tout, puis que son flus engendre la ligne, et par la ligne le plan, et puis le corps par le mouuement de la surface, comme Dieu engendre son Fils par l'action de l'entendement, que l'on peut conceuoir comme le premier mouuement diuin, ou plustost comme la premiere emanation, car la pensée du mouuement est trop grossiere pour les choses diuines.
Le Pere auec le Fils produisent le Sainct Esprit, comme le point auec la ligne produisent la surface, de sorte que l'apparition du Sainct Esprit peut estre conceuë comme la surface de la Diuinité; et tous les trois produisent le monde, comme le point, la ligne et la surface engendrent le corps par leurs trois mouuemens: lequel n'est plus indiuisible comme ses causes; et si l'on [-17-] compare Dieu au centre du cercle, l'on trouuera trois choses distinctes, à sçauoir le plan ou la surface du cercle, sa circonference, et le centre auquel elles aboutissent, en telle façon qu'elles se reduisent au mesme centre, lors qu'elles r'entrent d'où elles sont parties; ce que l'on peut comparer à la Trinité des personnes diuines.
Or si l'on compare ce minime, ou ce point à l'humilité, on monstrera que cette vertu fait ou impetre les plus grandes choses du monde, par exemple, l'Incarnation, par l'humilité de la Vierge, Quia respexit humilitatem ancillae suae, et cetera et que comme le point va iusques à l'infiny par la production des corps, qu'elle monte iusques à l'infinité de Dieu, qu'elle joint à l'homme par l'vnion que l'on appelle Hypostatique. L'on peut encore dire en quelque maniere que l'humilité honore l'essence de Dieu, et luy fait vn hommage particulier, parce qu'elle vse du neant, qui est plus opposé à l'estre diuin que le point à la quantité, de sorte qu'on la peut appeller le plus grand ou le plus petit minime de tous, puis qu'elle reduit tout l'orgueil humain, et tout ce qui est creé au neant, lors qu'elle compare l'estre infiny au finy. Il est aisé de proposer plusieurs autres minimes, par exemple, l'instant, ou le moment, duquel, quoy qu'indiuisible, le temps semble estre composé, ou dependant, car le flux ou mouuement du moment fait tous les temps, quoy que tres-longs; et lors qu'il ne coule point, et qu'il demeure dans vn perpetuel repos, il constituë l'eternité: de sorte que ce qui est minime, deuient infiny en grandeur.
Iajoûte que Dieu est aussi indiuisible que le point, encore qu'il remplisse le ciel et la terre, mais les pensées m'accablent dans ce sujet qui ne peut estre épuisé; c'est pourquoy ie viens au minime Arithmetic, à sçauoir l'vnité qui produit tous les nombres, et ce qui paroist bien plus estrange, les nombres ne sont autre chose que l'vnité nombrée plusieurs fois, et comme repliée en elle mesme; ce qui peut donner vn si grand nombre d'excellentes pensées pour conceuoir et expliquer l'vnité de Dieu, et ses attributs, que les volumes entiers ne sont non plus capables de les comprendre, que les proprietez de tous les nombres possibles; de sorte que si les Predicateurs s'estudient aux prerogatiues de l'vnité, ils pourront dire, Porrò vnum est necessarium, et n'auront iamais besoin d'autre estude pour faire tant de predications qu'ils voudront, soit en prenant vne espece d'vnion ou d'vnité pour chacune, ou les propritez de quelque nombre, qui n'a rien qu'il ne le tire de l'vnité, comme la creature du Createur. L'vnité peut encore estre considerée comme la source du nombre infiny des parties, esquelles chaque quantité est diuisible, pour petite qu'elle puisse estre, c'est pourquoy plusieurs auoüent l'infiny en nombre, encore qu'ils le nient en quantité, parce que l'infinité des parties est actuellement dans chaque quantité, bien qu'elle ne soit pas diuisée, de sorte qu'il n'y a rien au monde qui ne tesmoigne l'infinité des perfections diuines.
Le 3. minime pourra estre le centre de pesanteur de chaque corps, sur lequel est fondée une bonne partie des Mathematiques, par exemple, la partie des Mechaniques que l'on nomme Centrobarique, et puis l'Isorropique: et parce que s'il y a des choses legeres au monde, elles ont aussi leur centre de legereté, et que toute la force des Mechaniques est considerée partir comme d'vn centre, et qu'elle a sa ligne de direction, comme il est demonstré dans le traité des Mechaniques, il est aisé de comparer les differentes proptietez de ces centres, et des directions à celle du coeur et de l'esprit de l'homme, suiuant [-18-] les differentes fins qu'il se propose, car sa fin estant son repos, comme le centre de la terre est celuy des pierres, l'on peut transferer les proprietez de l'vn à celuy de l'autre.
Le 4. minime peut estre consideré dans le centre ou le lieu de l'oeil où se fait la vision, ou dans le point lumineux, qui remplit dans vn moment toute sa sphere d'actiuité, comme Dieu feroit par la production de toutes les creatures possibles, s'il agissoit necessairement. Or ie laisse l'application de ces 4. minimes à telle vertu que l'on voudra, particulierement à la charité, laquelle est indiuisible, et n'est point entre deux extremitez, comme sont les autres vertus, parce que l'on ne peut exceder dans l'amour de Dieu. I'ajoûte seulement que la Basse est la moindre de toutes les parties de Musique, en ce qu'elle a moindre nombre de mouuemens, c'est pourquoy elle peut estre comparée à l'vnité, car elle est la principale de toutes les parties, et le fondement de l'Harmonie, comme i'ay monstré dans la 3. Proposition du 4. liure de la Composition, et par consequent elle est semblable à l'humilité, laquelle a peu de mouuement et d'apparence, et neantmoins elle a vn grand pouuoir.
Or l'on peut appliquer tous ces minimes à la vie de Saint François de Paule, soit en y appropriant sa profonde humilité, ou sa grande charité, et en monstrant les merueilles que Dieu a faites par son entremise en faueur de ces deux vertus, ou en s'estendant sur telle autre partie de sa vie, ou sur telle autre consideration que l'on voudra, ce qu'on peut accommoder aux autres Saincts. I'ajoûte encore quelques autres considerations qui peuuent seruir aux Predicateurs, par exemple, si l'on veut prendre les 3. sortes de lignes imaginables, dont l'vne est bornée et limitée par des points de tous les deux costez, et par consequent finie absolument, la seconde est bornée d'vn costé et infinie de l'autre, et la 3. est infinie des 2. costez; l'on trouuera encore plusieurs inuentions pour expliquer les bornes de la simple creature, les bornes de nostre Seigneur du costé de son humanité, et l'immensité absoluë du costé de la Diuinité: et si l'on considere le peu de figures regulieres qui remplissent le lieu, à sçauoir le triangle equilateral, le quarré, et l'exagone, comme le seul cube entre les corps, la capacité du cercle pour estre la plus grande figure de toutes les Isoperimetres, et en fin tout ce que l'on prise dans la Geometrie, il n'y aura pas moyen de l'épuiser, et il y restera tousiours plus de pensées propres pour esleuer l'esprit à Dieu, que celles dont on aura vsé, comme l'on auoüera lors qu'on aura compris l'excellence et l'vtilité des raisons et des proportions dont ie traite assez amplement dans le second liure de la verité des Sciences, et à la fin de cettuy-cy.
Or il est tres-aisé de tirer de l'humilité de toutes les sciences pour satisfaire à la 2. partie de cette Proposition, car sans parler de la Physique, dans laquelle les plus excellens esprits auoüent franchement qu'ils ne comprennent quasi rien, nous ne sçauons pas comme nous entendons et comme nous raisonnons dans la Logique, puis que nous ne comprenons nullement comme se font dans nous les operations de l'esprit, non plus que celles de la volonté pour la morale, de sorte que nous sommes aussi peu sçauans en cette matiere, comme si cela se passoit chez vn autre, et dehors nous. Et si nous considerons les Mathematiques les plus pures, nostre esprit se trouue si souuent abysmé dant ses difficultez, qu'il est contraint d'auoüer qu'il ne sçait rien à parler dans la rigueur, comme chacun ressent dans soy mesme, lors qu'il considere la quantité infinie; soit par exemple la ligne AB tirée à l'infiny, [-19-] de sorte qu'elle soit infinie tant du costé d'A que de celuy de B, si l'on en oste la partie
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 19; text: A, B, C, D] [MERHU3_8 01GF]
CD, elle sera finie en C et en D, de sorte que la soustraction d'vne partie finie rendra finy ce qui estoit infiny, quoy qu'il demeure encore infiny vers A et B: Et si l'on dit que la partie CD, ou telle autre qu'on voudra, n'est qu'vne partie aliquante, qui ne diminuë pas le tout, et non vne partie aliquote, ou qu'elle n'est pas vne partie de l'infiny, mais seulement dans l'infiny, le sens de ceux qui n'espousent que la verité, semble auoir de la peine et de la repugnance à accorder cette distinction de parties, et quand il l'aduoüeroit, cela ne luy satisfait pas, car soit que la ligne CD estant repliquée, et repetée vne infinité de fois, puisse faire vne ligne infinie, ou qu'elle ne le puisse, tout ce que l'on peut s'imaginer de plus raisonnable, semble destruire tantost l'infiny, et tantost le finy, dautant que si cette ligne n'est composée d'vne infinité de parties égales à CD, ou à telle autre ligne que l'on voudra, comment est-elle vn tout à l'égard de ses parties? et si elle est composée de parties terminées, comment peut-elle estre infinie? puis que ce qui est finy ne peut iamais deuenir infiny. De là vient que quelques-vns disent qu'vne ligne infinie n'a point de parties, d'où il s'ensuit qu'elle est indiuisible, de sorte que la quantité souuerainement grande, c'est à dire infinie, se reuest de la nature du point, et est comme vn point infiny, de mesme que l'eternité de Dieu, laquelle est indiuisible, comme son immensité, et que la souueraine grandeur a la mesme proprieté que la souueraine petitesse. Aussi voyons-nous que les Mathematiques considerent seulement la quantité finie, qui borne la portée de l'esprit humain, sans qu'il puisse penetrer, ny mesme considerer l'infinie, sans s'embarasser en mille contradictions, dont il ne peut se desgager, non plus que l'oyseau pris à la glus ou a ré, et au filet. C'est pourquoy plusieurs nient qu'il y puisse auoir autre infiny que Dieu, qui surpasse toute sorte de contradiction, et consequemment que le monde n'a peû estre de toute eternité, et que l'esprit creé, quoy que bienheureux dans le Ciel, ne pourra comprendre l'infinité de Dieu, et qu'autrement il s'ensuiuroit qu'il seroit luy mesme infiny: de sorte que l'infinité enferme, ce semble, necessairement l'indiuisibilité, l'incomprehensibilité, et l'independance: c'est pourquoy toutes les parties qui se peuuent retrancher de la ligne infinie, seroient plustost des parties dans l'infiny, que de l'infiny. Il y en a d'autres qui, faisant chaque ligne composée d'vne infinité de points, disent qu'il y a des infinis plus grands les vns que les autres, selon la raison donnée, effable ou ineffable. Et bien que l'on considere seulement la quantité finie, l'esprit se trouue encore arresté, lors qu'il void que la moindre ligne, par exemple CD, a autant de parties qu'AD, puis que l'on peut tirer vne infinité de lignes tant sur l'vne que sur l'autre, par où quelques-vns s'efforcent de prouuer qu'vn cercle tres-petit est égal à vn tres-grand; et que l'vne et l'autre est diuisible en vne infinité de parties; de sorte que ce qui est finy est infiny: ce que l'on trouue aussi bien dans la lumiere et dans les autres qualitez diuisibles à l'infiny, que dans les lignes; d'où l'on peut conclure que tout ce qui est, porte le caractere diuin, qui tesmoigne l'infinité absoluë du Createur, et qui monstre que la iurisdiction de l'esprit humain est entre ces deux sortes d'infiny, sans qu'il puisse l'estendre d'vn costé ny d'autre, et qu'il a de merueilleux sujets de s'humilier lors qu'il considere son peu de lumiere, et son ignorance, laquelle est si [-20-] grande, qu'il ne comprend rien en perfection, et qu'il est aueugle au milieu des premiers principes, qui seruent comme d'Alphabet à la nature, ioint qu'il connoist si peu de choses dans les termes du finy, qu'il n'y a rien au monde, de quelque façon qu'on le puisse prendre, dont il n'ignore beaucoup plus de choses qu'il n'en sçait: ce qui est si aisé à demonstrer en parcourant tous les objets des sens, et les manieres dont l'esprit ou ses facultez spirituelles, ou les corporelles, comme la vûe et l'oüye, reçoiuent leurs images et leurs empreintes, que nous pouuons dire qu'il n'y a rien de si propre à l'homme que de monstrer et de sçauoir qu'il ne sçait rien, à proprement parler, et suiuant les conditions et les proprietez d'vne parfaite science. Ie n'aurois iamais fait si i'entreprenois le catalogue de tout ce qu'ignorent les meilleurs esprits du monde; et il suffit que les Predicateurs se seruent de la premiere chose qui leur viendra dans l'esprit pour conuaincre leurs auditeurs d'vne épouuantable ignorance, afin de leur planter l'humilité si auant dans l'esprit, qu'ils n'ayent iamais la hardiesse de s'enorgueillir, et qu'ils n'ayent point d'autre soin plus grand que de seruir Dieu en l'adorant, et en l'aymant, iusques à ce qu'il les despoüille de l'ignorance qui les accompagne maintenant, pour les reuestir de la lumiere de gloire, dont l'esperance nous met ces excellentes paroles du Psalme 35. dans la bouche: Torrente voluptatis potabis eos; quoniam apud te est fons vitae, et in lumine tuo videbimus lumen.
PROPOSITION IV.
Expliquer en quoy l'Harmonie peut seruir à la vie spirituelle, à l'oraison, et à la contemplation.
IL y a de certaines personnes qui blasment ou mesprisent les sciences, particulierement toutes les parties des Mathematiques, sous pretexte de pieté, à laquelle ils s'imaginent qu'elles sont contraires, ou qu'elles nuisent, parce qu'ils ne les sçauent pas, ausquels on peut accommoder les paroles de sainct Iude, Quaecumque ignorant, blasphemant: mais puis qu'il est certain qu'il n'y a point de plus mauuais iuges que les ignorans, il ne s'y faut pas arrester, si l'on ne veut quant et quant maintenir qu'il faut quitter ou mespriser les degrez de la nature, comme s'ils repugnoient ou nuisoient à ceux de la grace ou de la gloire.
Il me semble que ceux qui veulent bannir les sciences de la vie religieuse, sont quasi semblables à Iulien l'Apostat, qui vouloit defendre l'estude aux Chrestiens, afin qu'estant destituez de la lumiere des sciences, ils deuinssent si stupides qu'ils ne peussent se deffendre contre les attaques des payens, et ne peussent respondre à leurs objections. I'aduoüe librement que ie ne suis pas de cet aduis, et que si les personnes deuotes sçauoient toutes les sciences en perfection, par exemple, si vn Religieux sçauoit la Philosophie aussi bien ou mieux que Platon et Aristote, et la Geometrie aussi bien qu'Euclide, Archimede, et Pergaeus, qu'il auroit de grands auantages pour s'esleuer à Dieu, et pour tirer des profits spirituels de mille choses, dont les ignorans sont incapables: car il ne suffit pas de dire que Dieu donne plus de lumiere et de deuotion dans vn moment à vn ame ignorante, que l'on fait passer sous le nom de simple et debonnaire, que toutes les sciences n'en peuuent apporter en mille ans, attendu que les sçauans ne sont pas moins susceptibles de la mesme faueur de Dieu, lors qu'ils se resignent entierement à sa volonté, et qu'ils vsent de leurs sciences à son honneur et pour sa gloire: [-21-] ioint qu'ils ne sont pas si sujets aux illusions du mauuais esprit, et de la deuotion fausse et simulée, comme sont les autres; et qu'ils sont beaucoup plus capables de discerner en quoy consiste la solidité de la vie spirituelle, à laquelle les subtiles pensées des sciences les plus abstruses peuuent seruir de quelque sorte de preparation ou de disposition. Ce n'est pas que l'on ne puisse abuser des sciences, qui peuuent enfler vn esprit mal fait, qui ne les possede pas comme il doit: mais il ne faut pas blasmer les bonnes choses sous pretexte de l'abus? que l'on doit seulement corriger. Voyons donc maintenant si l'on peut tirer du profit spirituel de l'Harmonie, quoy qu'elle ne soit, ce semble, pas si sublime que les autres sciences; et croyant que Dieu n'est pas moins Dieu des sciences que de la grace, Deus scientiarum Dominus, et ipsi praeparantur cogitationes, preparons luy nos ames et nos pensées par le concert des vertus, dont on peut voir l'Harmonie dans Platon, lors qu'il marque les principales consonances dans les facultez de l'ame.
Ie ne repete point ce qui se void dans le discours de l'Vnisson, et en plusieurs propositions du premier liure des Consonances, et des autres, qui contiennent plusieurs pensées propres pour la deuotion; i'ajoûte seulement quelques nouuelles considerations tirées des sections precedentes; et dis que l'on peut s'enflammer en l'amour diuin par la comparaison du brasier ardent que produisent les rayons paralleles dans le foyer parabolique, hyperbolique, ou elliptique, puis que toutes les pensées que nous auons des creatures, des sciences, ou des perfections diuines, se reflechissant sur la volonté, sont capables de luy faire dire, In meditatione mea exardescet ignis; et que ce feu est aussi puissant pour faire mespriser l'or et l'argent, et tout ce qui nous peut priuer de la grace, comme le feu du foyer parabolic, et cetera est capable de calciner ces métaux, de les fondre, et de brusler tout ce qui s'y oppose.
Et si au lieu que Dieu se plaint de son peuple lors qu'il dit, Factus sum illis in parabolam, nous le prenons d'vn autre sens, suiuant la proprieté de nostre Parabole Conique, il sera vne parabole qui fera brusler nostre coeur de son amour, et vne hyperbole, qui ramassera et reünira nos pensées distraites, Dispersiones Israël congregabit, et les fera aboutir à ce seul point, dont il est dit, Porrò vnum est necessarium. Si ie voulois m'estendre à monstrer le profit spirituel que l'on peut tirer des differentes reflexions de la lumiere, des sons, et de leur concurrence, diuergence, et parallelisme, il faudroit vn volume entier: mais il suffit d'en auoir apporté vn eschantillon pour donner sujet aux personnes spirituelles, à qui il appartient de iuger de toutes choses, comme sainct Paul enseigne, Spiritualis autem iudicat omnia, de rendre toutes les sciences vtiles, et de les sanctifier par le bon vsage qu'ils en feront, n'y ayant, à mon auis, nulle chose au monde qui nous puisse éleuer si aisément à Dieu, que ce qui est desia intellectuel, et ce qui auoisine, ce semble, de plus pres les Anges, comme l'on peut faire voir par mille demonstrations Geometriques, qui surmontent si fort la portée de l'imagination, qu'il n'est pas quasi possible de l'exprimer, et que si l'on peut expliquer les choses diuines auec quelque sorte de rapport et de contentement particulier, l'on ne puisse, peut estre, pas l'executer plus heureusement que par la lumiere des Mathematiques. Mais il seroit à desirer que quelque excellent esprit les eust reduites en vn tel ordre, et en telle perfection, que chacun les peust apprendre en peu de temps, et que du moins l'on sceust l'art de [-22-] les employer à la vertu et à la pieté dans vn ou deux ans. Or quoy qu'il en soit, ce que nous auons dit de la proprieté des Sections, peut apprendre à chacun à transporter tous les merites des plus spirituels, et des plus grands amis de Dieu à nostre vsage, et à nostre profit: car si nous imitons le concaue elliptique, nous transfererons le brasier ardent de l'amour qu'ils ont pour Dieu, de leur coeur au nostre, comme l'ellipse porte tous les rayons de l'vn de ses foyers à l'autre, afin de iustifier la pensée du Prophete royal, Particeps ego sum omnium timentium te, et cetera et mesmes nous pourrons nous approprier la lumiere des sciences, et le feu qui en sort, et qu'ils negligent, en imitant le conuexe hyperbolique, qui ramasse dans le foyer exterieur ce qui fuit l'interieur: et par ce moyen nous cultiuerons la science des Saints, qui consiste particulierement à rapporter toutes nos pensées et nos oeuures à celuy dont elles dépendent plus que de nous mesmes, et à nous rendre Ingenieurs pour procurer le salut de tout le monde, à l'exemple du Saint des Saints qui s'y est tousiours employé tandis qu'il a vescu parmy nous sur la terre.
I. ADVERTISSEMENT.
L'Intention de ce discours n'est pas que les sciences soient absolument necessaires pour la vie spirituelle, puis que nous experimentons que plusieurs qui n'en ont pas la cognoissance, cultiuent la pieté, et sont des miroirs de vertu; mais il sert seulement pour monstrer que ceux qui les sçauent en quelque perfection que l'on se puisse imaginer, ont de grands auantages, s'ils s'en veulent preualoir, attendu que Dieu à coustume de s'accommoder à la capacité des esprits qui l'adorent en esprit et en verité: de sorte que les excellents Geometres et Analystes sont fort reprehensibles s'ils laissent perdre l'occasion qu'ils ont de tirer les profits spirituels des lumieres que Dieu leur a donné, et s'ils se laissent éuanoüir dans leurs pensées, sans adorer eternellement, et sans aymer ardemment celuy qui en est la source et l'origine: Au reste lors que saint Paul a dit que la Philosophie trompe et seduit, il entend de celle qui est vaine et inutile, c'est à dire qui ne prend pas la verité pour sa base, comme est celle de la genealogie des Dieux, et des regles de la Iudiciaire; mais celle qui n'a point d'autre fondement, ny d'autre but que la verité, ne peut estre reprehensible, puis que cette verité est l'image de la Verité eternelle. Et lors qu'il estime ne sçauoir rien que Christ crucifié, cela doit estre entendu prudemment, entant qu'il ne prisoit rien toutes ses autres connoissances à l'égard de celle de la Croix, à laquelle il les rapportoit, comme tous les Chrestiens doiuent y rapporter toutes leurs sciences, afin de les animer de l'esprit de la grace qui nous fait estre les enfans de Dieu. A quoy l'on peut ajoûter que de sçauoir toutes les sciences est en quelque façon connoistre Iesus Christ, puis qu'il contient les thresors de la sagesse et de la science de Dieu, In quo sunt thesauri sapientiae et scientiae Dei, dont la nostre est comme vn petit rayon, qui se ressent de son origine; de sorte que les plus sçauans peuuent dire en quelque façon qu'ils entrent plus auant que les autres dans les thresors de Iesus Christ, et que la science des Mechaniques, qui leur apprend la maniere de remuer la terre, et tous les elemens, de faire que toute la mer ne pese qu'vne liure, et la Catoptrique qui enseigne de faire tout ce que l'on veut de la lumiere, et des sons, et cetera les rendent participans de sa puissance.
A quoy l'on peut ajoûter le sentiment des anciens Peres de l'Eglise, qui [-23-] disent que ceux-là sont Chrestiens qui viuent raisonnablement, de sorte que la vie raisonnable, et la Chrestienne semblent estre vne mesme chose, comme il est aisé de couclure par les paroles de Iustin le Martyr dans sa 2. Apologie pour les Chrestiens, Quicumque cum ratione, et verbo vixerunt, Christiani sunt, quamuis Athei, et nullius numinis cultores habiti sunt, tels qu'ont esté Socrate et Heraclite entre les Grecs: Car la raison dont nous vsons, est vne impression et vn charactere de la raison diuine, ou du Verbe eternel. Et sainct Thomas enseigne dans la premiere seconde, question 109. article 3. que toutes les creatures aiment naturellement Dieu plus qu'elles ne s'ayment elles mesmes, pource que la partie prefere le tout à soy-mesme: c'est en ce sens que sainct Denys escrit que Dieu attire, et conuertit toutes choses à son amour, et que sainct Thomas dit que toutes choses operent, parce qu'elles desirent d'estre semblables à Dieu, Omnia entia affectant Dei similitudinem, et propterea operantur.
Mais parce qu'apres l'absence de la iustice originelle, qui conseruoit l'vsage de la raison dans sa perfection, l'entendement des hommes est demeuré tellement obscurcy, qu'il n'y a quasi nul Philosophe qui ne soit tombé en quelque erreur, et qui ait reconnu la souueraine raison comme il deuoit, Dieu nous a voulu illuminer, et enseigner par sa loy, renouuellée dans celle de la grace, afin de nous remettre dans le vray vsage de la raison, qui consiste particulierement à luy rendre nos deuoirs, à l'adorer, et à l'aimer par dessus toutes choses, et tous les autres hommes comme nous mesmes. D'où ie conclus que chaque science, et chaque vertu est vn charactere et vn rayon particulier, qui nous fait remarquer autant de perfections en Dieu, et qui nous doit seruir d'vne chaisne d'aymant, qui nous lie inseparablement à son seruice, et à son amour.
Or si l'on enuisage les sciences de ce biais, et qu'on les considere seulement comme des participations de celle de Iesus-Christ, agissant en nous par sa lumiere, et par tout ce que nous ressentons dans toutes nos puissances, il n'y aura rien dans nous qui ne l'adore, et ne le benisse, suiuant ce que chante l'Eglise, Benedic anima mea Domino, et omnia quae intra me sunt nomini sancto eius; et qui quant et quant ne nous face desirer de le voir à descouuert dans la gloire, qu'il prepare et qu'il a acquise pour tous ceux qui cultiuent les sciences pour son honneur, et pour expliquer ses grandeurs, comme nous lisons dans la saincte Escriture, Qui elucidant me, vitam aeternam habebunt: et dans vn autre lieu, Qui autem docti fuerint, fulgebunt vt splendor firmamenti. Ce que l'on peut appliquer à ceux qui monstrent que toutes les sciences que nous auons, et que toute la bonté de nos actions ne sont autre chose qu'vne communication de celles de Iesus-Christ; de sorte que tout ce que nous faisons n'est quasi qu'vne explication de la longueur, largeur et profondeur des thresors de la Diuinité, et l'expression du charactere que Dieu a imprimé dans nous. I'ajoûte seulement que la grande science de sainct Augustin n'a pas diminué sa deuotion, et que la lecture de sa troisiesme epistre, qu'il enuoye à Volusian, où il monstre que la charité comprend les sciences, auec plusieurs autres de ses epistres et de ses traitez, comme sont ceux du franc-arbitre, de la vraye Religion, de la quantité de l'ame, et cetera monstrent euidemment combien elle luy a profité, et la difference qu'il y a de la deuotion d'vn homme ignorant et d'vn sçauant, soit qu'il ait acquis la science par son [-24-] labeur, ou qu'elle luy ait esté donnée et infuse sans estude.
Il n'est pas besoin d'vser de l'autorité des Peres anciens de l'Eglise tant Grecque que Latine pour prouuer cette verité, puis que nostre siecle nous fait voir la grande saincteté de vie, jointe à des sciences si profondes, en cette admirable societé, qui porte le sainct nom du Sauueur pour ses armes et pour sa deuise, et en celle que gouuerne maintenant cet homme incomparable, qui a les sciences en vn si haut degré, qu'il est capable d'accorder les differens de tous les Philosophes, et qui neantmoins est si esleué en Dieu, que si la maniere de raisonner des Platoniciens et de ceux qui font les ames des hommes de differens ordres, comme les Anges, estoit veritable, l'on pourroit s'imaginer que la science est de l<'>ordre des Cherubins, ou des Seraphins, de sorte que ceux de sa compagnie sont grandement obligez à Dieu de leur auoir donné ce grand personnage pour le conducteur general de leur armée, dans laquelle i'en connois qui ont tellement conjoint la pieté auec leur grande erudition, que ceux qui ont l'honneur de conuerser auec eux, pour sçauans qu'ils soient, les estiment comme des miracles de la nature et de la grace, à raison des vûes extraordinaires qu'ils ont des thresors de la sagesse, et de la science de Dieu, et de l'vnion qu'ils ont auec Iesus-Christ, laquelle ils impriment si auant dans l'esprit de ceux qui les hantent, qu'il est difficile de les quitter sans ressentir vn desir tres-ardent de deuenir vne mesme chose auec Iesus-Christ, suiuant le desir qu'il en exprime en ces termes: Pro eis ego sanctifico meipsum, vt sint et ipsi sanctificati in veritate; et peu apres, Vt omnes vnum sint, sicut tu pater in me, et ego in te, vt ipsi in nobis vnum sint; qui sont des paroles si sublimes et significatiues, qu'elles sont capables d'occuper eternellement la pensée des hommes et des Anges, aussi bien que celles qui acheuent le 17. chapitre de sainct Iean, Vt dilectio, quâ dilexisti me, in ipsis sit, et ego in ipsis; Or l'amour du pere enuers son fils n'est pas vne chose distincte du pere, mais vne mesme chose auec luy; de sorte que si nous considerons attentiuement la maniere dont Dieu est en nous, et comme il y est le principe de nostre estre, de nos facultez, et de nos actions, nous commencerons dés cette vie à gouster le plaisir de la beatitude, qui consiste à luy estre tellement assujettis, que nous ressentions l'effet des paroles de sainct Paul chapitre 15. de la 1. aux Corinthiens, Vt sit Deus omnia in omnibus.
II. ADVERTISSEMENT.
SI les personnes deuotes qui croyent auoir de plus grandes graces de Dieu, et de plus grandes lumieres dans l'oraison, ne peuuent souffrir qu'on leur parle des sciences les plus abstruses et les plus esloignées de leur capacité, et s'ils estiment entierement inutile ce qu'ils ne sçauent pas, ils peuuent du moins considerer que sainct Paul honore tous les dons de Dieu, et qu'il fait aussi bien estat du don de science que des autres: et puis la charité n'est point enuieuse, elle se resioüit du toute sorte de verité, elle souffre tout; elle ne se fasche pas de considerer les cinq grands volumes de Clauius, quoy qu'ils ne contiennent que les Mathematiques, elle admire ce grand homme defendant le Calendrier Gregorien, et la supputation de l'Eglise contre tous les heretiques, elle prie que Dieu nous conserue long temps l'incomparable Auteur de la doctrine des temps, afin qu'il defende la Chronologie et la doctrine [-25-] ancienne des Peres contre les plus sçauans sectateurs, et i'ay de la peine à croire qu'vne personne religieuse ait la vraye deuotion accompagnée de cette charité, si elle se fasche d'en voir quelques-vns entre plusieurs centaines, qui cultiuent ce qu'ils ont receu du Pere des lumieres. Ce n'est pas que ie ne sçache qu'il s'en est trouué de si extrauagans, qu'ils ont crû que les liures de saint Thomas ont plus fait de tort que de bien à la deuotion, à raison qu'il en extermine les imperfections, et ce qui la rend mesprisable enuers les excellens esprits. Mais ceux qui s'addonnent solidement à la pieté, sçauent que la lumiere n'est pas contraire à l'ardeur et au feu qu'elle engendre, et que la volonté est d'autant plus enflammée de l'amour de Dieu, que l'entendement en a dauantage de cognoissance, comme les miroirs ardens bruslent d'autant plus violemment, que la lumiere qu'ils reflechissent est plus grande; de là vient le grand amour des Bien-heureux, dont la charité suit la viuacité et la grandeur de la lumiere qui leur découure les thresors de l'essence de Dieu.
Au reste s'il s'en rencontre de si difficiles, qu'ils ne vueillent rien priser que leur maniere de viure, qui ayment mieux l'ardeur sans lumiere, que la lumiere auec l'ardeur, et qui continuent opiniastrement dans le mespris de tout ce qu'ils ne font pas, ou de ce qu'ils ne sçauent pas, sans considerer que nul ne peut auoir que ce que Dieu luy donne, qu'il attire les vns par vn chemin, et les autres par d'autres voyes, et que spiritus vbi vult spirat, l'on peut se consoler par les paroles du Prophete royal, Cùm loquebar illis, impugnabant me gratis: par les excellens Cantiques de la 53. Proposition du liure de la Voix, de la 22. du liure des Chants, et de la 16. du 2. liure des Instrumens; et mesmes en chantant à 2. 3. 4. 5. et 6. parties l'excellent verset, dont i'vse dans le 4. liure de la Composition, à sçauoir, Misericordias Domini in aeternum cantabo, lequel ne merite pas seulement nos emplois, puis qu'il est digne de l'eternelle meditation des Bien-heureux.
III. ADVERTISSEMENT.
SAint Augustin monstre euidemment l'vtilité de la Geometrie, dans son liure de la quantité de l'ame, en expliquant le triangle equilatere, le quarré, le rombe, le point, la longueur, la largeur, et la hauteur, afin de contraindre le lecteur d'auoüer que l'ame raisonnable est indiuisible et immaterielle; et sainct Thomas n'eust pû entendre ny expliquer Aristote, s'il n'eust sceu en quoy consiste la quadrature du cercle, le gnomon, et l'incommensurabilité du diametre du quarré auec son costé: et s'il n'eust connu pourquoy il est necessaire que les trois angles de tout triangle rectiligne soient égaux à deux angles droits. Ie laisse plusieurs autres propositions qui luy ont esté necessaires pour faire ses commentaires, quoy que nous ne lisions point que cette notion luy ait fait quitter ou amoindrir sa deuotion. Or il ne faut pas s'imaginer que les Mathematiques enflent tellement ceux qui les possedent, qu'elles les remplissent de presomption, attendu que si elles tombent dans vn esprit bien fait, elles luy ostent toute sorte de sujet de s'enorgueillir, à raison de la grande multitude des choses qu'elles font voir que l'on ignore, et de la grande presomption ou simplicité de plusieurs qu'elles découurent, lors que leur lumiere les contraint d'auoüer qu'ils ne [-26-] sçauent rien, à proprement parler, quoy qu'ils creussent estre fort sçauans. Ce n'est pas qu'il ne s'en rencontre quelquefois de si impertinens, que sous pretexte qu'ils sçauent l'Analyse Geometrique, et qu'ils peuuent resoudre les problemes qu'on leur propose, ils desirent qu'on les tienne pour les premiers hommes du monde, et mesprisent tous les autres qui ne s'addonnent pas au mesme exercice; mais ce vice vient de leur peu de iugement, et de leur imperfection, et non de la science, dont la lumiere est innocente, et n'a point d'autre but que de perfectionner l'entendement, afin de le rendre en quelque façon semblable à l'intellect diuin, et de se reflechir sur la volonté, afin de l'embraser de l'amour de Dieu, qui doit estre le terme et la fin de tous nos raisonnemens.
Quoy qu'il en soit, tous les vrais Chrestiens estant enfans d'vn mesme pere et d'vne mesme famille, ne se doiuent point porter d'enuie, et le sçauant, aussi bien que l'ignorant, doiueut se resioüir des dons que Dieu leur fait, et les cherir comme vn present de sa main, en disant, Hoc signum magni Regis est; et omne donum desursum descendens à Patre luminum: et chacun doit librement communiquer aux autres ce qu'il a plus qu'eux, soit deuotion, ou sagesse et science, afin de dire auec le Sage, Quam sine fictione didici, et sine inuidia communico, et honestatem illius non abscondo, et de satisfaire au precepte Euangelique, Gratis accepistis, gratis date.
A quoy l'on peut ajoûter que les Chrestiens receuront vn grand honneur et vn tres-grand contentement, lors qu'ils experimenteront que les Chinois et toutes les autres nations confesseront ingenuëment en leur conuertissant à Dieu, et en embrassant son vray culte, qu'il n'y a point d'hommes si sçauans au monde que ceux qui ont la vraye Religion, et qu'ils seront contrains d'apprendre de nous les plus excellens secrets de la Geometrie, de la Perspectiue, de la Catoptrique, de la Dioptrique, de la Musique, et de toutes les autres sciences, et qu'au lieu qu'ils s'estimoient les plus habiles et les plus clairs-voyans de tous les mortels, l'experience leur tirera de la bouche et du coeur des paroles semblables à celles de la Reyne de Saba, quand ils verront vne science si vniuerselle et si profonde dans l'Eglise de Dieu, Maior est sapientia tua, quàm rumor quem audiui, et qu'au lieu de nous maudire comme font les Mussulmans, la force de la verité leur fera dire, Quàm pulchra tabernacula tua Iacob, et tentoria tua Israël! ô Israël! Quàm magna possessio tua! Et certes il est raisonnable que ceux qui adorent plus purement la souueraine raison, en participent dauantage, et que ceux qui l'ont receuë venant en ce monde, et qui la croyent fermement, tesmoignent au reste du monde qu'ils sont enfans de lumiere, dont ils espandront les rayons par tout, lors que les infideles n'y mettront plus d'empeschement.
IV. ADVERTISSEMENT.
ENcore que chacun puisse s'éleuer à Dieu par les Mathematiques, neantmoins i'en donne icy vn exemple pour en faciliter l'vsage, et dis premierement que si l'on considere le point Mathematique dans sa source, il nous represente la Diuinité, car comme il n'y a rien au monde corporel qui ne dépende du point, puis que son flux ou mouuement engendre la ligne, que par le mouuement de la ligne la surface est produite, et que le corps est [-27-] fait par le mouuement de la surface, de sorte qu'il n'y a quasi que le seul point qui soit considerable, puis qu'il ne dépend point de la quantité qu'il engendre, qu'il termine, et qu'il continuë, de mesme il n'y a quasi que Dieu qui se doiue considerer dans les estres qui en dépendent absolument: ce que l'on peut aussi accommoder à l'vnité à l'égard des nombres, parce que l'vnité les quittant, et le point abandonnant la quantité par vn mouuement contraire aux precedens, il ne demeure plus que l'vnité et le point, comme Dieu demeureroit tout seul s'il abandonnoit ses creatures.
En second lieu, les irradiations de la lumiere, et de toutes les especes que les objets enuoyent et respandent dans l'air, nous peuuent faire conceuoir comment tous les Anges, et tous les corps des bienheureux se peuuent trouuer dans vn mesme lieu, et dans vn mesme point, puis qu'vne infinité de rayons corporels de la lumiere, et des couleurs qui viennent de tous les objets imaginables d'vne sphere concaue, comme est celle du monde, se rencontrent tellement ensemble dans tous les points du milieu sans se confondre, que l'oeil posé en tel point que l'on voudra enuisage tous les obiets, de sorte que chaque point et rayon de lumiere et d'espece est aussi distinct l'vn de l'autre dans vn mesme point du milieu, et conserue aussi bien toutes ses proprietez que s'il s'y rencontroit tout seul: d'où il n'est pas mal aisé de conclure que l'oeil d'vn corps glorieux peut voir le corps de Iesus-Christ au sainct Sacrement de l'Autel, quoy qu'il soit tout en chaque point de l'hostie, et que l'oeil d'vn corps beatifié ne se void pas moins bien, estant reduit dans vn point Mathematique, que lors qu'il a son extension ordinaire, tant parce qu'vn seul rayon indiuisible sortant de l'objet situé dans vn point suffit pour vn tel oeil, qu'à raison que dans la gloite le corps est aussi prompt en ses fonctions que l'esprit dans les siennes, et qu'il n'a plus besoin d'autre secours pour luy faire voir tout ce qui est corporel et visible, que de celuy dont il a esté eleué à son bonheur, comme l'entendement n'a besoin que de la lumiere de gloire pour faire toutes ses fonctions: or ce que i'ay dit des rayons de la lumiere et des especes, peut estre appliqué à ceux des sons, qui s'estendent et se rencontrent dans les mesmes points de l'air, ausquels ils impriment toutes sortes de bruits et de paroles.
En troisiesme lieu, la ligne perpendiculaire peut seruir de Maistre en la vie spirituelle aussi bien que dans la Geometrie, et dans toutes les parties de Mechaniques, pour expliquer toutes les vertus, qui consistent entre les deux vices opposez, car comme rien ne peut subsister dans toute la nature sans la perpendiculaire, de mesme la vertu n'est point considerable, si elle ne se tient à plomb, c'est à dire, également esloignée de l'vne et l'autre extremité vitieuse, et si tost que la volonté s'encline plus vers l'vne des deux, elle fait vn angle obtus d'vn costé, et vn aigu de l'autre, vers lequel elle panche dauantage; et comme il y a vne infinité d'angles aigus depuis la ligne parallele à l'orison iusques à la perpendiculaire, qui fait l'angle droit, lequel est tres-parfait, et au milieu Arithmetic des deux costez de la parallele, sur laquelle elle est eleuée: de mesme il y a vne infinité de degrez depuis l'vn des vices iusques à la perfection de la vertu considerée dans vn souuerain degré, et dans sa parfaite rectitude. Ie laisse vne infinité d'autres considerations semblables, ou beaucoup plus subtiles et plus excellentes, que chacun peut tirer de toutes les parties des Mathematiques, tant pour sa consolation particuliere, [-28-] que pour seruir aux autres; par exemple, de ce que i'explique des angles de contingence dans la 17. Proposition du 2. liure des Mouuemens, et dans la 866. page de la verité des Sciences, et de la ligne, ou du poids, qui approche tousiours du centre de la terre, sans iamais y pouuoir arriuer, laquelle ie décris dans la 8. et 9. Propositions d'où l'on peut prouuer que nulle science ou lumiere naturelle, pour grande que nous la puissions auoir par nostre trauail et industrie, ne nous peut faire arriuer à la vision de Dieu, c'est à dire, au centre de la beatitude, qui consiste particulierement à loüer Dieu, suiuant ce beau verset, et plusieurs autres que nous chantons icy dans les Psalmes, en attendant que nous le recitions au Ciel auec vne eternelle attention, et vn rauissement inexplicable, Beati qui habitant in domo tua Domine, in saecula saeculorum laudabunt te.
V. PROPOSITION.
Expliquer par figures ce qui a esté dit en discours: par où l'on entendra tout ce qui est necessaire à ce sujet.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 28; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q] [MERHU3_8 01GF]
PVisque tous les Predicateurs n'ont peut estre pas assez estudié à la Geometrie pour comprendre les discours precedens, que i'ay particulierement fait en leur faueur, ie mets icy les figures necessaires, pour leur oster toute sorte de difficulté, et pour leur faciliter les moralitez precedentes, ou leur donner le moyen d'en faire vne infinité dautres. Ie commence donc par la parabole BDC, dont i'ay expliqué la generation dans le 4. liure de la verité des Sciences, et dans celuy contre les Deïstes, partie 2. chapitre 6. Or tous les rayons paralleles, par exemple OL et FA, qui tombent sur le concaue de la parabole BAC, se reflechissent au foyer E, de sorte que tous les rayons qui tombent perpendiculairement sur l'ordonnée BC, composez de leur incidence, et de leur reflexion sont égaux: par exemple le rayon OLK est égal au rayon GDE, et ainsi des autres. Mais parce que la moindre parabole HIK, dont E est aussi le foyer, empesche les rayons d'aller iusques audit foyer, elle les renuoye paralleles, comme l'on void aux rayons HP et KQ. Or ce renuoy parallele par le conuexe de la moindre parabole, se fait par la mesme raison que chaque rayon qui vient de dehors vers le foyer E, par exemple, le rayon NL, se reflechit par la ligne LM parallele à QD, ou DKG. D'où il est aisé de conclure ce que i'ay expliqué dans la 62. page du liure des Sons, à sçauoir que le feu et la lumiere que produiront les rayons OGF, et cetera prez du foyer E, peuuent tellement estre reflechis et transportez vers PQ, qu'ils seront quasi aussi vifs et vigoreux à 3. ou 4. lieuës du foyer E, comme ils sont sur le conuexe de la moindre parabole HK. Et si au lieu de lumiere l'on reçoit les rayons des objets OGF, et cetera l'oeil posé dans quelque lieu entre AQ, les verra fort grands et fort clerement.
La mesme petite parabole estant renuersée, afin d'auoir son concaue vers le sommet de la grande, comme l'on void dans la 2. figure NO, dont le [-29-] foyer ou l'ombilic est au point I, sert aussi pour renuoyer les rayons ML, PH, et tous les autres qui tombent sur la glace concaue parabolique CABD, paralleles en EQFG, par exemple le rayon AIO se reflechit en Q par la ligne OQ, et ainsi des autres
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 29,1; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q] [MERHU3_8 01GF]
Où l'on void encore que tous les rayons qui tombent tellement sur le conuexe, qu'ils tendent vers le foyer, se reflechissent paralleles, comme demonstre le rayon KH, lequel estant prolongé iroit de H au point I, mais parce qu'il est empesché par la surface BH, il se reflechit de H en G; de sorte que nous auons beaucoup de moyens pour changer les rayons paralleles en d'autres paralleles, soit que l'on vueille restrecir et renfermer les paralleles de la largeur d'vn pied dans celle d'vn pouce et d'vne ligne, ou que l'on vueille estendre ceux de la largeur d'vne ligne pour leur faire prendre la largeur d'vn pied, d'vne lieuë, et cetera car de mesme que les rayons MP se restrecissent pour n'occuper qu'AB dans cette figure, ou que tous les rayons passans sur l'ordonnée BC de la figure precedente, sont renfermez entre AD, les mesmes rayons ADPQ tombans sur le conuexe de la petite parabole HK se reflechissent sur le concaue de la grande ABDC, pour reprendre et occuper vn plus grand lieu égal à la ligne BC, et parce qu'il ne se treuue plus tant de rayons ensemble, l'objet P Q sera vû d'autant plus foiblement et obscurement aux points O G et cetera que les objets G O seront vûs plus clerement aux points P Q de ladite premiere figure, ce qui arriuera semblablement à la 2. dans laquelle le rayon QO se reflechit d'O en L pour aller en M. Et si les rayons reflechis par la glace CABD contiennent cent fois dauantage d'espace que les rayons E F, c'est à dire, si le concaue de la grande parabole est centuple de la moindre, l'on verra les objets cent fois plus obscurs, et les rayons lucides esclereront et échauferont cent fois moins, comme ils esclereront et eschauferont cent fois dauantage par le moyen de la moindre parabole, soit le concaue NO de la 2. figure, ou le conuexe de la seconde.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 29,2; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O] [MERHU3_8 01GF]
Ie mets encore icy la 3. figure parabolique CABD, à laquelle i'attache la moindre AIB, afin que ces 3. figures estant descrites comme il faut, suppleent au defaut des 3. autres du liure des Sons, qui n'ont esté tracées qu'auec le compas ordinaire. Ie di donc que la parabole EIB ayant mesme foyer que la parabole CABD, et receuant le rayon parallele NO, et tous les autres qui tomberont paralleles sur le concaue CABD, les retrecira suiuant la largeur de son conuexe, et les renuoyra en K L M: par exemple, le rayon NO repoussé vers le foyer commun E, redescendra en K, et ainsi des autres, comme l'on demonstre par les tangentes HF, et GI, qui seruent à faire voir l'égalité des angles d'incidence, et de reflexion de chaque rayon.
[-30-] [Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 30,1; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S] [MERHU3_8 01GF]
Or l'on peut conclure par ces 3. figures que l'on peut faire des miroirs ardens en plusieurs façons, et que les verres, christaux, ou autres diafanes, ne sont pas necessaires pour faire des lunettes de longue vûe. Mais parce qu'il est difficile de faire et de polir des surfaces paraboliques, l'on peut vser des spheriques, comme ie monstre par cette 4. figure BAC, laquelle represente la moitié d'vne sphere concaue, et a quasi les mesmes proprietez que la parabole, pourueu que l'on n'en prenne qu'vne petite portion, par exemple, la sixiesme partie QO, car le reste OC, et QB est inutile pour les miroirs, ou pour les lunettes. Ie di donc que les rayons paralleles R L M et cetera tombans sur le concaue QAO, se reflechissent vers K, et qu'ils bruslent particulierement entre K et I, c'est à dire, entre la 4. et la 5. partie du diametre, car nul rayon, excepté celuy de l'axe LA, n'est reflechi precisément à la quatriesme partie K. Or les rayons NO, ou GF et cetera qui vont au point du foyer situé entre K et I, estant empeschez par le conuexe AO, se reflechissent en OH, et FE, c'est à dire, quasi paralleles à l'axe KD, de sorte que la portion d'vn moindre cercle concaue ou conuexe mise au point I ou K, fera quasi le mesme effet que les petites paraboles.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 30,2; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P] [MERHU3_8 01GF]
I'ay dit cy-dessus que la sixiesme partie de la circonference QO suffisoit, parce que tous les autres rayons paralleles tombans sur vne plus grande partie ou portion, n'aydent nullement la vûë, la lumiere, ou l'ardeur, comme ie monstre par cette 5. figure FDKEGC, dans laquelle si l'on fait tomber le rayon G E parallele à l'axe, ou au diametre CI, il est certain qu'il se reflechira du point E au point I, c'est à dire, au sommet de l'axe, et de là aux points D F C et cetera de sorte qu'il fera vn hexagone de lumiere: et s'il y a vn trou au point G, il sortira par où il est entré. Il faut dire la mesme chose du rayon parallele à l'axe égal au costé d'vn pentagone, octogone, et cetera qui acheuera toutes sortes de figures regulieres: d'où il est aisé de conclure qu'il ne faut tout au plus que la sixiesme partie de la circonference pour les miroirs et pour les lunettes, lors qu'on les fait de corps opaques polis.
Cette figure a encore de certaines lignes fort considerables, dont la speculation est vtile, à sçauoir HI, KL, et IL, car l'on peut connoistre par leur moyen la circonference de la terre, ou de tout autre globe proposé, à raison que le quarré du rayon de l'oeil éleué sur la terre, lequel touche ladite terre, par exemple, le quarré du rayon AL, est égal au rectangle contenu sous la ligne coupante AC, et sous la hauteur de l'oeil AI, par la 30. Proposition du 3. des Elemens.
Cecy posé, si l'oeil A éleué de 6. pieds sur vn estang bien tranquille, void depuis A iusques à L, et que l'on sçache la longueur de la ligne AL, ou IL, qui ne sont pas sensiblement differentes, l'on aura la rondeur de la terre, comme ie demonstre. Apres que l'on aura toisé l'espace d'A à L, que l'on [-31-] peut icy supposer égal au rayon visuel AL, il faut quarrer les toises, ou les lieuës que l'on trouuera depuis A iusques à L: et puis les ayant quarrées, le nombre quarré donnera la longueur de A à C, par laquelle on connoistra la rondeur de la terre, et par consequent l'arc AL.
Supposons pour exemple que l'on soit dans vn batteau sur vn estang, ou que l'on soit dans vne campagne ou plaine bien vnie, et que l'oeil soit éleué d'vne toise sur l'eau, ou sur la terre en A, et qu'il voye quelque objet au point L, au delà duquel il ne puisse plus rien voir, ie dis que s'il y a vne lieuë de K, ou d'A en L, le rectangle fait de AC, ou PO, qui luy est égal, et d'AI, ou BO, donnera le diametre de la terre, plus la toise AI, en toises, c'est à dire que le diametre IC sera de 6250000. toises, moins la toise IA; puis que la lieüe quarrée AL est d'autant de toises: or il est aisé de trouuer la circonference ACE, en prenant le diametre IC trois fois et vne septiesme partie; lequel diametre est quasi de 2500. lieuës, et par consequent la circonference aura 7817. lieuës.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 31; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N] [MERHU3_8 01GF]
Où il faut remarquer la commodité de cette obseruation, pour la hauteur de l'oeil, qui peut donner ces mesures de toutes sortes de hauteurs, pourueu qu'elles soient assez sensibles, quoy qu'elle soit d'autant plus iuste, qu'elle se fait de plus haut; par exemple, si au lieu de 6. pieds on monte sur vne tour, ou sur vne montagne fort haute, l'erreur en sera moins sensible, comme si l'on pouuoit s'esleuer 4. lieuës et 5634. pieds sur l'orizon, au point H, on verroit cent lieuës loin iusques au point de contingence M, supposé que la circonference de la terre soit de 7200. lieuës, comme i'ay demonstré dans la question 37. des questions Physicomathematiques, laquelle supplée tout ce que l'on pourroit icy desirer: c'est pourquoy ie viens à l'explication de la 6. figure, qui fait comprendre les proprietez de l'Ellipse AMBN, dont les 2. foyers sont L et I, et partant si l'on suppose vn miroir concaue de cette forme, il est certain que la chandelle, ou telle autre lumiere que l'on voudra, estant dans l'vn desdits foyers, par exemple, en L, enuoyra tellement ses rayons sur les costez de l'ellipse BG et NH, qu'ils se reflechiront tous à l'autre foyer I, de sorte que l'on verra aussi clerement en I, quoy que distant d'vne lieuë de L, comme en L mesme. Et si l'on dispose vne salle ou vne gallerie suiuant cette figure, ce que l'on dira au point I s'entendra fort distinctement au point L, quoy que l'on ne puisse rien oüir entre I et L. Or la tangente CE monstre que le rayon F D, qui tend vers le foyer L, se reflechit en telle façon, qu'il tend vers le foyer I, comme l'on void au rayon reflechy KD, ce qui arriue à tous les autres rayons qui se peuuent imaginer: où l'on doit remarquer que toutes les lignes composées de l'incidente et de la reflechie, sont égales au grand diametre BA, comme l'on void à la ligne LNI égale à la ligne LHI, et ainsi des autres.
La septiesme figure n'est pas moins considerable que les precedentes, car elle explique les proprietez de l'hyperbole FIC, dont le focus ou l'ombilic [-32-] est au point H.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 32; text: A, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, O, P, S, V, X] [MERHU3_8 02GF]
Or la premiere proprieté qui fait à mon sujet, consiste en ce que tous les rayons qui tombent tellement sur le concaue poli de l'hyperbole EIC, que s'ils n'estoient point empeschez, ils iroient tous se ioindre et s'vnir au foyer exterieur A, se reflechissant au foyer interieur H, comme l'on void en XV, qui retourne d'V en H, au lieu d'aller en A. Il faut dire la mesme chose de tous les autres rayons qui tombent sur l'ordonnée OP, ou sur la partie du cercle ODP, car le rayon PC, qui ne peut aller en A, se reflechit de C en H, de sorte que ce concaue les torne de concurrens en A, concurrens en H, c'est à dire, qu'il haste leur concurrence et leur vnion, comme il arriue souuent que la rencontre de quelque objet, ou vne nouuelle pensée nous fait redoubler le pas pour arriuer à la vertu, et pour accroistre l'amour que nous deuons porter à Dieu.
La 2. proprieté se void aux rayons AC, et AE, et cetera qui de diuergens qu'ils estoient s'ecartent encore dauantage en F et en M: et s'ils viennent tellement de M en E et de F en C et cetera qu'ils tendent vers le foyer interieur H, le conuexe de l'hyperbole les renuoye d'E et de F au foyer exterieur A, de sorte qu'il retarde leur concurrence et leur vnion, au lieu que le concaue l'aduance, comme i'ay dit. Quant au point qui est entre A et S, laquelle signifiera desormais ledit point, il monstre le sommet de l'autre hyperbole contreposée, et la ligne qui vient de ce point iusques au sommet I, se nomme le costé trauerant, latus transuersum, dont le milieu est le centre des deux hyperboles contreposées. ID est le diametre, et OP l'ordonnée. A quoy l'on peut ajoûter que le quarré de l'ordonnée OP est égal au rectangle fait de la ligne S, prolongée iusques à l'ordonnée, et de cette mesme ligne prise depuis l'ordonnée iusques au sommet I, comme Apollonius a demonstré dans la 21. du premier des Coniques.
La 3. proprieté est, que si l'on tire vne partie du cercle d'O en P, dont le centre soit en A, par exemple, ODP (dont on a mal pris le centre en I, au lieu de le prendre en A) la ligne d'incidence et de reflexion XVH, est égale à chaque autre ligne composée de l'incidente et de la reflechie: Or l'on peut voir les demonstrations de tout cecy dans Apollonius, ou dans le Spechio Vstorio du Reuerend Pere Bonauenture Iesuate, Professeur des Mathematiques dans l'Vniuersité de Boulogne.
La 4. proprieté est cause que la flamme estant mise dans le foyer H, ou le bruit y estant fait, les rayons qui vont frapper le concaue de l'hyperbole, par exemple, HV, et HC, se reflechissent en s'écartant par la ligne VX, et CP. et cetera par les mesmes lignes qu'ils se ramassent en H, lors que d'écartez, de desunis, ou de diuergens, ils se font conuergens ou concurrens en H par le moyen du concaue hyperbolic qu'ils rencontrent, c'est à dire, qu'ils sortent par les mesmes endroits qu'ils sont entrez: ce qui se rencontre semblablement dans les autres figures et sections precedentes.
Or puis que ie n'ay expliqué ces proprietez que pour en donner l'intelligence [-33-] aux Predicateurs et aux Maistres de la vie contemplatiue, afin qu'ils comprennent aysément les moralitez precedentes, et qu'ils en puissent faire tant d'autres qu'ils voudront. Il n'est pas besoin d'ajoûter les demonstrations, qui les embarasseroient plustost qu'elles ne les ayderoient pour ce dessein. I'ajoûte seulement qu'ils pourront entendre par ces figures, comme Archimede et Proclus ont pû faire les effets prodigieux que nous lisons dans les histoires, par le moyen de leurs miroirs composez, suiuant les sections et les figures precedentes. Surquoy il est bon de remarquer que Zetzes dit que le miroir d'Archimede estoit hexagone, et qu'il brusloit les nauires de Marcel de la longueur d'vn jet d'arc, ou de la portée d'vne fleche: ce que l'on peut expliquer par la 4. figure precedente, dont la 6. partie QO suffit pour brusler: car sa soustenduë est le costé d'vn hexagone, comme l'on void dans la 6. figure; et parce que les miroirs ardens spheriques ont quasi la mesme proprieté que les paraboliques, il a pû ioindre 2. cercles ensemble, comme nous auons ioint les 2. paraboles de la premiere et seconde figure, pour faire brusler les nauires à cent ou deux cens pas des murs de Syracuse, en quelque lieu que le Soleil se soit rencontré sur l'horizon, parce qu'il est aisé de diriger et d'enuoyer les rayons paralleles P Q, ou E Q en tel endroit que l'on voudra, par l'application d'vn miroir droit, ou plat, comme i'ay dit en d'autres lieux, car il n'est pas quasi possible de faire fondre la sixiesme partie d'vne sphere, qui soit assez grande pour brusler toute seule si loin; et si l'on ne prend que 4. ou 5. degrez de ladite sphere, dont l'axe doit pour le moins estre de 400. pas, pour brusler de cent pas, cette portion ne sera pas sensiblement differente d'vn miroir plat, ou d'vne ligne droite, encore que le diametre de son concaue soit de plus de 178. pas; ce qui arriuera semblablement aux miroirs parabolics; de sorte qu'il est entierement necessaire qu'il ait vsé de deux ou de plusieurs miroirs ioints ensemble: quoy que la matiere incombustible, et dont le poli puisse resister à la flamme et à l'ardeur des foyers, me laisse tousiours du soupçon de la verité de l'histoire, laquelle on receuroit auec plus d'asseurance, s'il a pû ioindre et accommoder dans vne machine vne si grande multitude de miroirs plats, qu'ils ayent enuoyé assez de rayons pour brusler les nauires. Quoy qu'il en soit, il suffit que les moralitez des Predicateurs soient fondées dans la verité du sujet, qu'elles facent du fruit dans l'esprit de leurs auditeurs, et que ceux à qui il suffit de se prescher eux mesmes, puissent tirer de la consolation et de la lumiere en s'appliquant quelques-vnes des proprietez precedentes.
COROLLAIRE PREMIER.
IL est euident par ce que nous auons dit dans cette Proposition que les rayons de la lumiere peuuent estre changez en toutes sortes de figures par le moyen des miroirs et des diafanes, puis que la Parabole les change de paralleles en concurrens, lors qu'ils tombent sur sa surface concaue, et qu'ils se reflechissent dans son foyer: et de diuergens en paralleles, quand la flamme est dans ledit foyer, comme sa surface conuexe change les diuergens, (qui tendent neantmoins vers le mesme foyer, et qui pour cette raison peuuent estre appellez Concurrens) en paralleles, et consequemment les paralleles en diuergens, de sorte que le conuexe fait vn effet contraire au concaue, comme l'on void aux figures precedentes.
[-34-] Le concaue de l'hyperbole reünissant tous les rayons tendans vers son foyer exterieur dans son foyer interieur, dans lequel la flamme estant posée, ses rayons sont écartez par la glace concaue, et de diuergens sont encore faits plus diuergens: et parce que son conuexe a des effets contraires, il écarte les rayons venans du foyer interne, et change les concurrens allans vers son foyer interne, en concurrens à l'externe, de sorte qu'il retarde ou prolonge la concurrence, laquelle est hastée et racourcie par le concaue.
Le conuexe Elliptique sert seulement pour faire écarter les rayons de telle sorte, que celuy qui tend vers l'vn de ses foyers est tellement reflechi, qu'il va vers le foyer opposé, comme il arriue que le rayon produit dans l'vn desdits foyers, est renuoyé à l'autre par son concaue, et par consequent est changé de diuergent en concurrent. Or si l'on compose ces differentes sections, et leurs foyers, on aura des effets prodigieux: par exemple, des miroirs bruslans à l'infini, et des lunettes de longue vûe infinie; et vne portion de 20. degrez ou enuiron d'vne sphere concaue bien polie, fera quasi le mesme effet que la parabole de mesme grandeur, car tous les rayons se ioindront entre la 4. et 5. partie de l'axe. Ceux qui voudront sçauoir la maniere de descrire toutes ces sections, la trouueront depuis la 23. iusques à la 30. Proposition du liure de la Voix, ausquelles on peut ajoûter celles qu'explique le Reuerend Pere Baptiste Iesuate, Professeur des Mathematiques à Boulogne, depuis le 41. chapitre de son Spechio Vstorio.
COROLLAIRE II.
IL est euident que toutes les speculations de la nature et de la Mathematique procedent de l'égalité, comme l'on a veu dans les effets des miroirs, car le parallelisme, la concurrence, et l'écartement des rayons dépendent de l'égalité des angles. A quoy l'on peut ajoûter la maniere de faire vn cercle et vne ligne droite de feu et de lumiere, et toutes autres sortes de figures ardentes et bruslantes par le moyen de la parabole et des autres sections, car si elles sont portées et meuës en telle façon que leurs axes demeurent paralleles à celuy du Soleil, leurs foyers brusleront tousiours en faisant toutes sortes de figures, qui ne seront pas incompatibles aux parallelismes des axes; et si l'on ajoûte differens miroirs ensemble selon la possibilité de l'art, l'on fera toutes sortes de figures bruslantes.
COROLLAIRE III.
LEs sections precedentes peuuent seruir pour expliquer les vases du theatre, dont parle Vitruue dans le 5. chapitre du 5. liure; surquoy le Pere Baptiste remarque que la figure hyperbolique est plus propre pour reflechir la voix aux auditeurs, et que ces vases doiuent estre en des chambrettes ou niches, de sorte qu'estant vn peu éleuez par dessus leurs bords, et ouuerts en haut, la voix entre dedans pour aller frapper les murailles des chambrettes, et que se reflechissant plusieurs fois contre les costez des vases, et des cellules, elle resonne comme le son des Luths et des autres instrumens.
Or ie ne veux pas perdre le temps à descrire ces vases suiuant l'imagination de plusieurs, qui ne peut tout au plus seruir que de conjecture, car il [-35-] suffit de sçauoir la proportion que doiuent auoir lesdits vases, pour faire resonner les consonances par le son de la voix de ceux qui recitent sur le theatre. Cette proportion n'est nullement differente de celle des cloches, qui font les mesmes consonances, c'est pourquoy ie n'en parle pas icy, non plus que des interuales d'Aristoxene, dont i'ay traité fort amplement dans le 2. liure des Instrumens à chordes, et dans le liure des Genres; d'où l'on peut aisément conclure que Vitruue n'a pas entendu les loix Harmoniques, autrement il n'eust pas dit que les vases des theatres doiuent faire plusieurs quartes ou Tetrachordes de suite, puis que les sons extremes de 2. ou plusieurs Quartes font des dissonances fort desagreables, comme ie demonstre par ces trois nombres 9. 12. 16. qui contiennent deux raisons sesquitierces, et par consequent deux tetrachordes, car 9. est à 12. comme 3. à 4, aussi bien que 12. à 16. de sorte que 9. et 16. contiennent deux Quartes, et font vne Septiesme mineure qui blesse merueilleusement l'oreille. Mais il falloit dire que les vases doiuent tellement estre disposez, que le premier face la Quinte auec le 2. et le 2. la Quarte auec le 3. et ainsi consequemment, afin de faire de bons effets qui contiennent de l'Harmonie pour contenter les auditeurs.
Quant à la grandeur des vases, supposé qu'ils ayent eu vne figure semblable, par exemple, la cubique, le costé du plus grand ayant 3. pieds, celuy du 2. a dû auoir 2. pieds pour faire la Quinte, et consequemment la surface du premier a dû estre à celle du 2. comme 9. à 4. et le vuide ou le solide au solide comme 27. à 8. ce qui est si aisé à conclure par les demonstrations de nos liures precedens, qu'il n'est pas à propos de nous arrester dauantage sur ce sujet.
Or quant aux sons de ces vases, il est difficile qu'ils soient assez forts pour faire entendre leurs consonances aux auditeurs, lors qu'ils sont frappez des seules voix, comme l'on experimente aux tonneaux dont il dit qu'on vsoit dans les bourgades au lieu de vases d'airain, afin d'éuiter la despence, car soit qu'on les face de terre à potier, ou de bois, iamais i'on n'entend les consonances pour lesquels ils sont preparez, quand il n'y a que la voix qui les touche, et ne seruent tout au plus qu'à la reflechir pour la rendre plus forte, et plus intelligible, comme le corps du luth et des autres instrumens, faisant plusieurs reflexions du son, le conseruent dauantage, et le rendent plus fort.
C'est pour cette raison que l'on met des pots à moineau, ou d'autres vases creux dans les voutes, ou sur les voutes des Eglises, afin d'aider les voix de ceux qui chantent, et que la voix n'est pas si forte dans vne campagne et vn air libre, que dans vn lieu renfermé, dont les murs reflechissent la voix, et empeschent qu'elle ne se perde.
Ceux qui auront compris le Genre mixte ou composé des 3. à sçauoir du Diatonic, Chromatic, et Enharmonic, lequel i'explique dans la 13. Proposition du liure des Genres de Musique, entendront parfaitement tout ce que Vitruue rapporte de la Musique, et concluront aisément que la disposition de ses 13. vases mis au tour du theatre n'est pas bonne, puis qu'elle engendre des Septiesmes et des Quatorziesmes, et cetera au lieu qu'ils doiuent seulement faire des consonances, de sorte que si l'on vse de 13. vases, comme il dit, dont les 6. du costé dextre soient à l'vnisson du costé senestre, les premiers doiuent faire la Tierce majeure auec les seconds, les 2. auec les 3. la. Tierce mineure, les 3. auec les 4. la Quarte; les 4. auec les 5. la Tierce majeure, et [-36-] les 5. auec les 6. la Mineure, afin que ces 6. paires de vases montent iusques à la Douziesme, et puis le 13. vase fera la Quarte auec les 6. ou le Disdiapason auec le premier, de sorte que tous leurs sons auront entr'eux mesme raison que ces nombres 4. 5. 6. 8. 10. 12. 16. ou si l'on ayme mieux suiure l'ordre naturel des consonances, comme fait la trompette dans ses interualles, on aura les sons 1. 2. 3. 4. 5. 6. 8. qui font l'estenduë du Trisdiapason, qu'on appelle la Vingt et deuxiesme.
Quant à la grandeur des vases, il importe fort peu quelle elle soit, pourueu que leurs costez homologues ou semblables soient en mesme raison que lesdits nombres, quoy que leurs sons deuiennent plus graues et plus corpulents, ou plus massifs, lors qu'ils sont plus grands. Or l'on peut imiter la forme des cloches et des grands timbres qui s'élargissent quasi hyperboliquement, ou celle de la parabole, de l'ellipse, ou du cercle. Le Pere Baptiste propose des cellules en forme d'ellipses tant en long qu'en l'arge, dont l'vn des foyers se rencontre vers le lieu où se mettent ceux qui parlent ou chantent sur le theatre; et l'autre dans les chambrettes ou dans les niches desdits vases, en sorte que le foyer de l'ellipse, et le foyer interieur des vases hyperboliques se rencontrent dans vn mesme point, et que les bouches de ces vases soient renuersées en haut, car la voix des acteurs faite au foyer de l'ellipse qui se rencontre sur le theatre, s'écartant ira frapper le concaue elliptique des chambrettes, et se ramassera dans le foyer interne de l'hyperbole, d'où se reflechissant encore vne fois par la rencontre de la surface concaue des vases, elle ira s'écartant en tous les endroits necessaires pour se porter à tous les auditeurs; au lieu que s'ils estoient paraboliques, il n'y auroit que les auditeurs parallels à sa concauité qui oiroient la voix; et s'ils estoient elliptiques, vn seul oyroit la voix, quoy que plus clerement. Mais estans hyperboliques, les auditeurs pourront auoir 13. reflexions des 13. vases, sous lesquels Vitruue enseigne qu'il faut mettre des coins, afin qu'estans sousleuez en l'air, ils en resonnent mieux: quoy qu'il semble qu'ils resonneroient encore mieux s'ils estoient attachez et suspendus comme les cloches.
Certes en quelques manieres que l'on puisse disposer ces vases, ie croy que celle dont on vse maintenant en Italie est la meilleure et la plus excellente, lors qu'on ioüe des tragedies, laquelle consiste dans l'harmonie d'vn Orgue ou d'vn Theorbe, qui accompagne perpetuellement les voix des acteurs, afin de faire les principales consonances auec leurs voix, et de les rendre harmonieuses et plus agreables. Or il est aisé d'experimenter auec des tonneaux vuides l'effet de ces vases, lequel on ne trouuera pas si grand que l'on vueille les preferer ausdits instrumens, de sorte que l'imagination de Vitruue me semble maintenant inutile, soit qu'elle ait reüssi de son temps, ou qu'il se contente d'en faire le projet et le dessein.
COROLLAIRE IV.
IL n'est pas difficile de comprendre comme l'vnisson seruoit aux anciens pour connoistre si les Balistes et les autres machines estoient bien bandées, comme Vitruue remarque dans le 17. chapitre du 18. liure; mais il faut supposer que chaque chorde ait esté de mesme grosseur, quoy que l'octaue [-37-] et les autres consonances puissent seruir pour le mesme vsage, si l'on suppose les chordes inégales en grosseur, ou en longueur, suiuant les proportions que i'explique dans la 13. Proposition du 3. liure des Mouuements; et dans la 7. Proposition du 3. liure des Instrumens.
Il y a plusieurs autres choses dans nos traitez dont les Architectes peuuent vser, particulierement dans le liure de la Voix depuis la 23. Proposition; et dont se peuuent seruir les Peintres, comme l'on void dans la 6. Proposition du liure des Chants, où ie compare les nuances des couleurs aux sons. L'on peut dire la mesme chose des Floristes, des Brodeurs, et de plusieurs autres sortes d'artisans, dont chacun apprendra la maniere de disposer les couleurs, les muances, les fenestres, les colomnes, et cetera en proportion Harmonique, ou Geometrique, et Arithmetique, afin d'experimenter ce qui fait le beau, et l'agreable, et ce qui tient du grand dans tous les ouurages de l'Art: c'est à quoy plusieurs de nos discours pourront seruir, si l'on en tire la lumiere qu'ils contiennent.
COROLLAIRE V.
PVisque toute la Musique regarde l'vnisson comme sa source et son origine, suiuant nos discours du premier liure des Consonances, et que toutes les sciences doiuent seruir à nostre salut, il est raisonnable que ceux qui auront leu cet oeuure, ou qui en comprennent les raisons, imitent la maniere qu'on tient pour faire descendre les chordes, ou les voix à l'vnisson, laquelle consiste à quitter toutes les differences et les varietez pour arriuer à l'égalité; par exemple, lors qu'on descend de l'octaue à l'vnisson, c'est à dire de 2. à 1. l'on peut y passer ou par vn mouuement continu, et par consequent par vne infinité de degrez, d'interualles, et de raisons qui se treuuent entre 1. et 2. ou seulement par 1. 2. 3. 4. 5. 6. ou 7. mouuemens differens, comme l'on peut passer par plusieurs degrez de l'estat d'imperfection representé par le binaire où nous sommes, en quittant peu à peu les differences du temps, du lieu, et des differens motifs de nos actions, qui ne sont pas conformes à la volonté de Dieu, pour nous reduire à l'vnité, et pour rompre le voile qui nous empesche de reconnoistre et ressentir les effets de la promesse de nostre Sauueur descrite en sainct Iean chapitre 14. par ces paroles, In illo die vos cognoscetis, quia ego sum in Patre meo, et vos in me, et ego in vobis, lesquelles on peut entendre par la comparaison de l'vnisson, source et pere de l'octaue, dans laquelle sont contenuës les consonances: ioint que Iesus-Christ tesmoigne dans le 17. chapitre qu'il desire que les Fideles facent l'vnisson si parfait de leurs volontez auec la sienne, qu'il en a fait ceste priere à son Pere, Pater sancte, serua eos in nomine tuo, quos dedisti mihi, vt sint vnum, sicut et nos.
PROPOSITION VI.
Expliquer les vtilitez de l'Harmonie pour les Ingenieurs, pour la Milice, pour les Canons, et pour les gens de Guerre: où l'on void les portées et les calibres du Canon.
APres auoir donné l'vsage de nos traitez dans la milice spirituelle, i'a-joûte ses vsages pour celle du siecle, à laquelle sert la tablature de la trompette, du fifre, et du tambour, dont on vse ordinairement, laquelle [-38-] i'ay donnée dans les liures des Instrumens. Les soldats peuuent encore tirer plusieurs vtilitez des 3. premiers liures des Mouuemens, tant naturels que violens: par exemple, ils sçauront de quelle vitesse il faut marcher, et se destorner pour éuiter le coup des bales d'arquebuses, ou des boulets de canon, apres qu'ils auront veu le feu, supposé qu'ils sçachent la distance du lieu d'où l'on tire: ils expliqueront aisément pourquoy les boulets ne doiuent pas aller plus loin vers l'Occident que vers l'Orient, bien que l'on suppose que la terre se meuue, et torne en 24. heures d'Occident en Orient: et pourquoy estant tirez perpendiculairement à l'horison, ils doiuent neantmoins retomber au mesme lieu d'où ils sont tirez, quelque mouuement iournalier et annuel que la terre puisse auoir: ils sçauront la maniere de faire tirer le canon par la force de l'Harmonie, et selon quelle raison se diminuë la vitesse des bales de mousquet, et des autres missiles. A quoy i'ajoûte que quelques-vns estiment que la ligne courbe de la portée morte fait quasi la figure d'vne parabole, parce que la pesanteur naturelle de la bale la retire vers le centre dans des temps égaux par des lignes droites qui sont en mesme raison que les nombres impairs, par lesquels nous auons expliqué la vitesse des mouuemens naturels; par exemple, si la bale s'abaisse d'vn pouce dans le 1. temps de sa portée morte, elle s'abaissera de 3. de 5. de 7. de 9. et cetera dans le 2. 3. 4. et 5. temps, quoy que d'autres estiment que ladite courbeure descrit vne ligne hyperbolique, ce que les Canoniers pourront experimenter en mettant 7. ou 8. draps, ou autres corps aisez à percer tout au long de ladite portée, car la distance des trous iusques à la ligne horizontale determinera ladite ligne. Or peut estre que la Sagesse diuine s'est seruie de ces sortes de lignes qui naissent des sections du cone dont i'ay parlé, pour ajuster les figures et ressorts qui seruent à l'oeil et à l'oreille, car il y a grande apparence que le conuexe de l'humeur chrystallin est hyperbolique, ou qu'elle a choisi la figure la plus auantageuse de toutes pour faire vne vûe claire et distincte. Il y a beaucoup d'autres choses que les Canonniers peuuent obseruer, par exemple, combien le sifflement des boulets de canon sont plus graues que ceux des bales de mousquet dans leur portée morte, afin de remarquer la proportion de la grosseur des boulets et des bales, auec leurs sons.
I'ay dit dans leur portée morte, parce que l'on n'oit point le sifflement des bales d'arquebuse dans leur ligne droite de blanc en blanc, du moins lors que l'on a l'oreille proche du lieu par où elles passent, encore qu'elles soient creuses, comme i'ay plusieurs fois experimenté: et mesme ie ne les ay pû entendre lorsque la bale auoit desia fait plus de 300. toises. Or si ces sifflemens sont en mesme raison que le diametre des boulets, l'on sçaura leur grosseur, et consequemment leur pesanteur par leurs sifflemens, comme il arriue aux cloches, aux chordes, et aux tuyaux, dont les sons marquent les grandeurs, comme i'ay demonstré dans les liures des Instrumens.
Quant à la vitesse du mouuement des boulets, et des bales, soit dans leur portée de blanc en blanc, ou dans leur portée morte, ils pourront la connoistre, s'ils remarquent la vitesse de l'vne des parties de son mouuement, parce qu'elle se diminüe en raison doublée des temps; par exemple, si la moitié de la portée de blanc en blanc dure vne seconde minute, ou vn batement de pouls, et que cette demie portée soit de 57. toises, et que le mouuement dure dix secondes, la bale fera 51. toises dans le second batement de [-39-] pouls, 45. dans le 3. 39. dans le 4. 33. dans le 5. 27. dans le 6. 21. dans le 7. 15. dans le 8. 9. dans le 9. et 3. dans le dernier batement, ou dans la derniere seconde, de sorte que cette bale feroit seulement 300. toises dans sa portée entiere, comme l'on void en ajoûtant tous ces nombres impairs ensemble. Et si les bales d'arquebuse font plus de 300. toises dans leur grande portée, il est aisé de dire le temps de chaque partie de la portée; par exemple le temps des cent premieres toises, lors qu'on sçait la portée entiere; soit donc la portée totale de 84. toises, et sa durée de 30. batemens de pouls, dont chacun dure la moitié d'vne seconde minute, qui est le batement le plus prompt qui se rencontre aux hommes, ie di que la bale fera 59. toises dans le premier batement de pouls, 57. dans le 2. et ainsi des autres, suiuant la 2. colomne de la table prise à rebours, par laquelle i'explique la vitesse des mouuemens naturels dans la 5. Proposition du 2. liure des mouuemens, iusques à ce que la bale arriue au 30. ou dernier batement de sa portée, dans lequel elle ne fera qu'vne toise. A quoy i'ajoûte seulement les portées des canons et autres pieces à feu, suiuant les Obseruations du sieur Coignet, que l'on croid estre fort exactes, afin qu'elles puissent seruir de fondement aux supputations de la vitesse de leurs boulets considerez en telle partie de leur portée que l'on voudra. Il remarque donc premierement que le canon Imperial du Pays-bas, qui a 12. pieds de long, le calibre, ou diametre de sa bouche de 7. pouces, son ame longue de 16. bouches, et son boulet de 42. à 44. liures, porte 280. pas Geometriques de blanc en blanc, ou à niueau, et 653. dans sa portée morte, et qu'il porte de point en blanc dans sa portée de 45. degrez, c'est à dire au 6. point, 1160. pas, et 2800. dans sa portée morte.
En second lieu, il trouue la longueur de la portée de point en blanc par le moyen d'vn quart de cercle diuisé en 6. parties égales, et dit que si la bale estant tirée au premier point, fait la longueur de la ligne qui soustend la premiere partie dudit quart de cercle, qu'elle fait la soustenduë de ses 2. parties dans le 2. point de l'éleuation du canon, au 3. point qu'elle fait la soustenduë des 3. parties, et ainsi des autres iusques au 6. point, c'est à dire à l'éleuation des 45. degrez, où la bale fait la ligne qui soustend le quart du cercle tout entier.
En 3. lieu, il donne la table qui suit pour marquer les portées des 5. pieces de baterie dont on vse ordinairement: laquelle on confirmera ou l'on corrigera par les experiences reïterées que l'on en peut faire.
Table des portées de cinq sortes de canons.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 39; text: Poids de la bale. Point en blanc à niueau. Portée morte de niueau. Morte du 1. point. 2. 3. 4. 5. 6. De point en blanc du 6. point. Canon Imperial. Canon François. Demy canon Imperial. Quart de canon. Double fauconneau. Liures, Pas Geometriques. 44, 38, 24, 10, 4 1/2, 280, 275, 270, 250, 200, 653, 641, 629, 580, 466, 1120, 1100, 1080, 1000, 800, 1800, 1769, 1738, 1600, 1280, 2240, 2210, 2180, 2000, 2636, 2592, 2548, 2360, 1888, 2795, 2745, 2696, 2495, 1996, 2800, 2750, 2700, 2500, 1160, 1139, 1118, 1035, 828] [MERHU3_8 02GF]
[-40-] Or l'vsage de cette table est tres-aisé, puis que chaque colomne qui est vis à vis de chaque piece d'artillerie, monstre le poids, sa bale, et toutes ses portées, dont celle de point en blanc est seulement marquée distinctement, et separée d'auec la totale, qu'on appelle morte, dans la portée de niueau, et dans celle du 6. point, parce qu'elles sont les plus notables. Mais il est bon de remarquer la longueur, et les autres conditions de chaque piece, comme nous auons fait celles du canon Imperial, qui pese cinq mille deux cens liures, et porte aussi pesant de poudre à l'épreuue, que son boulet, c'est à dire, 44. liures, et seulement les deux tiers en baterie, c'est à dire, 30. liures, qu'on diminuë peu à peu iusques à 25.
Le canon François pese aussi cinq mille liures, et porte 36. liures de bale; son calibre est de six lignes et demie; mais le boulet doit auoir de l'air, ou du vent entredeux, c'est pourquoy son diametre est moindre d'vne vintiesme partie que celuy du calibre; la culasse est triple en épaisseur de l'ame, de sorte que la grosseur de son metal est de 3. bouches à l'endroit où se met la poudre; mais le metal de la bouche n'a que la largeur de 2. bales; sa poudre est de 4 parties de nitre, et d'vne de soufre, et d'autant de charbon: au lieu que celle des arquebuses est de 5. parties de nitre, et celle des pistolets de 6.
Le demi canon a 13. pieds de long, il pese 4500. liures, son calibre est de 5 3/4 pouces, son ame de vingt bouches; sa poudre des 2. tiers du boulet à lé'preuue, et de 15. à 12. en baterie. La Coulevrine est de 15. pieds, et pese 3200. liures; son calibre est de 4 1/2 pouces: il porte à l'épreuue vn peu plus pesant de poudre que sa bale, et 4/5 en baterie. La demie coulevrine a 12. pieds, et pese 2200. liures; son calibre est de 3 3/4 pouces, son ame est longue de 24. bouches. Et les pieces de campagne, par exemple, les faucons et fauconneaux ont 8. ou 9. pieds, ils pesent 600 liures, et ont leurs calibres de 3. pouces. Ie mets encore les portées du canon tant de blanc en blanc, que du 6. point, suiuant les Obseruations du sieur Gallé, afin que ceux qui les voudront experimenter choisissent des lieux propres pour ce sujet.
Or il donne 1450. pieds à la portée de niueau du canon de point en blanc, et à celle de demie esquiere 16300. pieds, et à la portée horizontale du mousquet de blanc en blanc, 800. pieds, qui font 133. toises, au lieu que nous trouuons en France que cette portée n'est que de 120. toises: quant à la grande portée, il la fait de 7500. pieds. Quoy qu'il en soit toutes ces obseruations enseignent que la portée entiere de 45. degrez est dix fois plus longue que l'horizontale de point en blanc, ou enuiron. Mais si l'on n'vse des proportions de la vitesse dont i'ay parlé dans la 22. Proposition du 3. liure des Mouuemens, on ne peut sçauoir de combien la portée perpendiculaire est plus longue que l'horizontale de point en blanc, parce que l'on ne peut voir le boulet dans l'air, lors qu'il commence à retomber, ny par consequent mesurer sa hauteur. Or si l'on suppose que la vitesse du boulet, qui monte perpendiculairement, se diminuë en mesme raison que s'augmente celle des corps pesans qui tombent perpendiculairement, il est aisé de sçauoir la portée du boulet car il faut seulement obseruer le temps qu'il employe à monter et à descendre, et ayant pris la moitié du temps pour sa cheute, l'autre moitié monstrera ladite portée, parce qu'elle est égale à ladite cheute, laquelle est connuë, lors que sa durée est connuë, comme i'ay demonstré dans [-41-] le second liure des mouuemens: par exemple, si le boulet employe 30. secondes tant à monter qu'à descendre, et qu'il face 177. toises dans vne seconde en partant de la bouche du canon, il faut prendre 15. secondes pour sa montée, et conclure qu'il monte 2700. toises, à sçauoir autant comme il en descend dans 15. secondes, ou 30. demies secondes, comme l'on void à la table des cheutes dans la 5. Proposition du 2. liure des Mouuemens.
I. ADVERTISSEMENT.
IL y a tant de choses dans nos Traitez qui peuuent seruir aux Ingenieurs, et à la milice, qu'à moins que de faire vn liure entier il est difficile de les expliquer: par exemple, ils peuuent vser l'echo pour mesurer les fossez d'vne ville, la largeur d'vn estang, ou d'vne riuiere, et cetera et de la vitesse du son pour connoistre combien ils sont éloignez de l'ennemy, comme il est aisé de conclure par la 21. Proposition du 3. liure des Mouuemens. Le Traité suiuant des Mechaniques sert pour sçauoir la force necessaire pour monter le canon sur tel plan incliné que l'on voudra, et pour faire vne machine si forte, que nulle force ne luy peut resister si elle n'est infinie. Les Trompettes peuuent apprendre à faire vne infinité de chants differens, dans nostre second liure des Chants. Les soldats scauront par le second liure des Mouuemens, le temps necessaire pour éuiter les pierres qu'on laisse tomber, ou qu'on iette du haut des murailles, ou d'ailleurs contre eux. Les Capitaines et les autres officiers qui commandent, sçauront aussi par les differentes conbinations, conternations, et cetera en combien de manieres ils peuuent disposer tel nombre de soldats qu'ils voudront; et finalement tous profiteront grandement dans la lecture de plusieurs de nos Propositions, s'ils en sçauent tirer leur auantage.
II. ADVERTISSEMENT.
QVelques-vns remarquent qu'vn canon de baterie tirant rez les métaux, et portant mille pas communs, dont chacun est de deux pieds et demy, porte 220. pas dauantage au premier degré de son éleuation: qu'il s'en faut tousiours 5. pas à la portée de chaque degré suiuant, qu'il ne l'augmente de 220. pas: c'est à dire, que la portée du 2. degré d'éleuation surpassera seulement celle du premier degré, de 215. de sorte que ledit canon fera 1000. pas à sa premiere portée, 1220. à la seconde: au 3. degré 1435. au quatriesme 1645. au cinquiesme 1850. au sixiesme 2050. au septiesme 2245. au huictiesme 2435. au neufiesme 2620. au 10. 2800. à l'onziesme 2975. au douziesme 3145. au treiziesme 3310. au quatorziesme 3470. au quinziesme 3625. au seiziesme 3775. au dixseptiesme 3920. au dixhuictiesme 4060. au dixneuf 4595. au vingt 4325. au vingt et vn 4450. au vingtdeux 4570. au vingtrois 4685. au vingtquatre 4795. au vingtcinq 4900. au vingtsix 5000. au vingtsept 5095. au vingthuict 5185. au vingtneuf 5270. au trente 5350. au trente et vn 5425. au trentedeux 5495. au trentetrois 5560. au trentequatre 5620. au trentecinq 5675. au trentesix 5725. au trentesept 5770. au trentehuict 5810. au trenteneuf 5845. au quarante 5875. au quarante et vn 5900. au quarantedeux 5920. au quarantetrois 5935. au quarantequatre 5945. et au quarantecinquiesme, qui fait la plus grande portée, 5950. pas. Et si on éleue la piece pardessus 45. degrez, les [-42-] portées se diminuent en mesme raison qu'elles se sont augmentées: surquoy l'on peut voir Vfano et les autres qui ont traité de cette matiere: quoy que i'aye de la peine à me persuader qu'ils ayent fait les experiences de tous ces degrez.
APres auoir rectifié les épreuues de la portée perpendiculaire de la bale qui monte en haut par l'impetuosité de la poudre à canon, i'ay trouué qu'elle retombe si loin du lieu d'où l'on tire le mousquet ou l'arquebuse, qu'il ne faut plus s'estonner si on ne l'oit point retomber ny le iour ny la nuit, car elle retomba le dernier iour de May à plus de cent toises, et puis à plus de 150. toises du lieu où l'on tira le plus perpendiculairement qu'on peut, à raison du vent qui regna tout le iour. Or ie trouue par le calcul fait suiuant la proportion que les poids gardent dans la vitesse de leurs cheutes, dont i'ay parlé dans le 2. et le 3. liure des Mouuemens, et dans cettuy-cy, que la bale est montée 338. toises, parce qu'elle a employé 26. secondes depuis la sorrie de l'arquebuse iusques à son retour: elle n'a pas neantmoins monté si haut à chaque coup, car ie n'ay quelquefois trouué que 284. toises, et le temps de 24. secondes; et lors que l'on a tiré auec de la dragée, ou poudre de plomb, elle est allée et reuenuë dans le temps de 12. secondes, et consequemment elle est seulement montée de 72. toises.
Quant à la grande portée de 45. degrez, nous ne l'auons trouuée guere plus grande que la perpendiculaire, à sçauoir de 330. à 360. toises, de sorte que ceux qui disent que cette grande portée est 9. 10. ou 11. fois plus grande que l'horizontale de blanc en blanc, comme Vfano et les autres qui traitent de l'Artillerie, sont fort esloignez de nos experiences, si ce n'est que le vent, qui nous estoit contraire, ait diminué cette portée des deux tiers; ce que i'ay voulu remarquer, afin que ceux qui auront la commodité, puissent faire ces experiences en temps calme, et le plus exactement qu'ils pourront; ou si ie les fay, i'en donneray auis.
VIII. PROPOSlTION.
Expliquer plusieurs paradoxes de la vitesse des mouuemens, en faueur des Maistres et Generaux de l'Artillerie, et des Ingenieurs.
LOrs que l'on tire des boulets, des bales, des fleches, ou autres missiles en haut perpendiculairement, il est certain que s'ils retombent, leur cheute totale ne dure pas dauantage que leur montée entiere, c'est à dire, qu'ils descendent dans vn temps égal à celuy qu'ils employent à monter: par exemple, les fleches, les baguettes, les feux d'artifices, les matras, les pierres, et cetera que l'on iette perpendiculairement en haut, et qui employent 5. 6. ou 7. secondes minutes à monter, en employent autant à descendre; ce qui arriue semblablement, encore que le coup ne soit pas parfaitement perpendiculaire, de sorte qu'il est fort probable que la bale tirée à l'angle de 45. degrez, ne soit autant à tomber depuis le point de sa plus ganrde hauteur, comme elle a esté à monter, comme font voir les experiences. Mais le paradoxe de ce phenomene consiste particulierement en ce que le missile qui descend n'a quasi [-43-] nulle force à l'égard de celle qu'il a en montant, quoy qu'il descende en mesme temps, dont il est tres difficile de trouuer la raison: car l'experience ne fait point remarquer que la fleche qui monte, allentisse si fort son mouuement vers la fin, qu'il soit plus tardif que le mouuement de la cheute qui luy répond, et qui semble tousiours s'augmenter en mesme raison, que le mouuement violent que l'on considere vis à vis, se diminuë; de sorte que si vne bale ou vne fleche commençoit à descendre du haut d'vne tour en mesme moment qu'vne autre partiroit d'vne arquebuse pour aller seulement iusques au haut de ladite tour, la premiere seroit aussi tost à terre que la seconde au haut de ladite tour.
Le second paradoxe consiste en ce qu'il semble que la fleche se meuue beaucoup plus lentement en descendant les dix dernieres toises, que lors qu'elle part de dessus l'arc, car elle est si viste qu'on ne la void quasi pas, au lieu que l'autre semble aller si lentement, qu'on peut la receuoir auec la main sans se blesser, quoy que sa descente entiere soit aussi viste que sa montée: ce qui feroit iuger que les dernieres toises du mouuement violent sont d'autant plus lentes que les premieres toises du mouuement naturel, que les premieres du violent sont plus rapides que les dernieres du naturel, n'estoit l'experience de l'oeil, qui ne respond pas, ce semble, à cette compensation de tardiueté et de vitesse des premieres toises naturelles auec les dernieres violentes. L'air fendu et frappé perpendiculairement en montant, n'apporte pas, à mon auis, plus de resistence, ny consequemment plus de force au coup, que lors qu'il est frappé en descendant, de sorte que l'on ne peut en tirer la raison du peu d'effet de la cheute, non plus que de ce qu'elle est naturelle: et certes ie n'en sçay point de raison, si on ne la prend de la moindre vitesse des dernieres parties du mouuement naturel, qui soient beaucoup plus tardiues que les premieres du violent, quoy que toute la cheute se face dans vn temps égal à la montée, comme font voir toutes sortes d'experiences tant dans la ligne perpendiculaire que sur toutes sortes de plans inclinez à l'horison: mais la lumiere de l'experience ne fait pas voir assez clerement que les premieres parties de la cheute soient plus vistes que les dernieres de la montée, et par consequent que la vitesse des mouuemens violens ne decroisse pas en mesme raison que celle des mouuemens naturels s'augmente: dont ie laisse la détermination à ceux qui pourront faire des experiences assez exactes pour conclure ce que l'on en doit tenir.
I'ajoûte seulement quelques obseruations que i'ay fait des fleches tirées auec des arcs, n'ayant pû faire la mesme chose auec des bales de mousquet, de pistolet, ou d'arquebuse à croc, parce que de plusieurs coups tirez en haut perpendiculairement tant de iour que de nuit, ie n'ay pû oüyr ny voir que les bales retombent, ny iusques où elles vont à leur grande portée de 45. degrez.
Quant aux fleches, celle qui monte 32. toises perpendiculairement, employe 4. secondes à monter, et autant à descendre, de sorte que si elle suit la vitesse de sa cheute, elle fait 14. toises dans la premiere seconde minute en partant de dessus l'arc, et puis 10. toises dans la deuxiesme seconde minute, 6. dans la 3. et 2. dans la quatriesme, puis que les corps pesans qui tombent de 34. toises en 4. secondes, font deux toises dans la premiere seconde de leur cheute, 6. dans la deuxiesme, 10. dans la troisiesme, et 14. dans la quatriesme. [-44-] Nous auons aussi experimenté qu'vne baguette de la iuste grosseur du calibre d'vne arquebuse à croc, ayant vne boëtte remplie de feu d'artifice attachée à l'extremité qui sort dehors, monte 84. toises, lors que l'arquebuse est chargée de 6. charges de poudre fine de pistolet, et qu'elle retombe aussi viste comme elle monte. Ce qui peut seruir pour mesurer la hauteur des tours, des arbres, et des autres lieux inaccessibles: car ayant tiré vne fleche, ou autre missile en haut perpendiculairement, laquelle aille aussi haut que la hauteur qu'on veut mesurer, l'on aura cette hauteur par le temps et l'espace de la cheute du missile, suiuant les regles que i'ay expliqué dans le 2. liure des Mouuemens, soit que le missile aille aussi haut, ou qu'il monte plus haut, pourueu que l'on puisse obseruer le temps qu'il employe à tomber iusques vis à vis de ladite hauteur, et celuy qu'il employe dans le reste de sa cheute; ou qu'il ne monte pas si haut, pourueu que l'on puisse remarquer la proportion de toute la hauteur auec la partie et la mesme hauteur, à laquelle le missile monte.
Ie laisse les vtilitez qu'ils peuuent tirer de la vitesse des sons, pour sçauoir la largeur accessible, ou inaccessible des fossez, des forests, de la campagne, et cetera et combien ils sont esloignez d'vne baterie, d'vne ville, et cetera comme il il est aisé de conclure par la proposition qui suit.
PROPOSITION IX.
Demonstrer que les Roys, et toutes les plus grandes Puissances de la terre peuuent tirer de l'vtilité de nos traitez Harmoniques, où l'on void plusieurs remarques des Sons et des Echos.
SI tous les hommes connoissoient et aymoient Dieu comme il faut, et comme ils peuuent, ie ne doute pas qu'ils ne peussent vser fort auantageusement de nos Traitez et de nos experiences, et particulierement de celles qui concernent le mouuement; puis que les Monarques, par exemple, peuuent se seruir de la vitesse des sons pour sçauoir des nouuelles de tout ce qui se passe sur toute la surface de la terre dans fort peu de temps, comme ie demonstre en cette facon.
Il est premierement certain que le son fort, ou foible, de quelque espece qu'il soit, par exemple celuy de la voix, ou du pistolet, et du mousquet, et cetera soit à vent contraire, ou à gré, va par l'air d'vne égale vitesse, comme nous auons experimenté plusieurs fois fort exactement. En second lieu, qu'il fait 230. toises dans le temps d'vne seconde minute, comme nous auons semblablement obserué tant sur les grandes montagnes, que dans les allées du parc de Monsieur de Verderonne, et ailleurs: d'où il s'ensuit que le son n'emploira pas 30. heures à faire le tour de la terre, comme i'auois dit dans le premier Corollaire de la 21. Proposition du 3. liure des Mouuemens, à raison que ie ne parle là que de la vitesse des sons reflechis par les echos; mais ayant trouué que la vitesse des sons droits est beaucoup plus grande, puis qu'ils font 230. toises en mesme temps que les sons de l'echo n'en font que 162. il faut conclure que le son peut aller dans le temps de 21. heures 5. minutes, et 1/<> tout au tour de la terre, et par consequent que s'il y auoit des postes de la voix, ou d'autres sons en des lieux conuenables, que l'on pourroit apprendre [-45-] chaque iour tout ce qui s'est fait sur toute la surface de la terre, en quelque lieu que l'on pûst demeurer: par exemple, ce qui se fait maintenant à Paris peut quasi estre sceu aux Antipodes dans dix heures et demie, et dans tous les endroits de la terre qui sont entre nous et lesdits Antipodes, s'il y auoit des postes des deux costez: ce qui n'est pas impossible, si les Roys de la terre y vouloient entendre, d'où ils tireroient plus de contentement dans vn iour qu'ils n'en reçoiuent en toute leur vie: et tous les arts et les sciences en receuroient de tres-grandes lumieres en peu de temps, de sorte que l'on peut dire que les hommes se priuent de la plus grande perfection dont ils sont capables, faute d'vne mutuelle intelligence, laquelle nous ne verrons point, si la grande loy de la morale ne possede le coeur de tous les habitans de la terre, et particulierement celuy des Grands, qui donnent le bransle à tous les autres par leur seule parole. Et par ce moyen l'on auroit aisément les vrayes longitudes de chaque point de la terre, et mille autres connoissances tres-rares et excellentes, comme il est aisé de conclure. Or il faut remarquer que cette communication se peut faire sans la voix, par le moyen des bruits de canon qui s'entendent de fort loin, quoy qu'il n'y ait rien plus propre que ladite voix, parce qu'elle exprime naïfuement et distinctement tout ce qu'on veut; ce qui se peut neantmoins faire en telle sorte, qu'il n'y aura que les Roys et les Princes qui entendront les nouuelles secrettes, ou celles qu'ils voudront, car il y a autant d'especes de chifres indechifrables pour la voix, et les paroles, que pour l'escriture, et peut estre mesme tout autant pour les pensées et les expressions internes de l'esprit.
Quant à la difficulté que l'on peut faire sur la differente vitesse du son au commencement et en son progrez, il est certain qu'il n'y en a point de sensible, car ayant mesuré cinq fois 230. toises, c'est à dire, 1150. toises en droite ligne, le bruit a iustement employé cinq secondes à faire cet espace, lequel est quasi égal à demie lieuë; de sorte qu'il ne faut pas dix secondes, ou la sixiesme partie d'vne minute d'heure, pour sçauoir tout ce qui se passe vne lieuë au tour, et que le Roy peut auoir des nouuelles de tout ce qui se fait dans tout son royaume en moins d'vne heure, encore qu'il y eust deux cens lieuës de Paris à chaque frontiere, car le son feroit ce chemin dans 36. minutes, et 14. secondes d'heure.
Quant au bruit des Echos, qui ne font que 160. toises ou enuiron dans vne seconde minute, il est certain qu'il est plus lent que le son direct; et parce qu'il est direct en allant du lieu où il se fait iusques à la muraille, ou au corps qui le reflechit, et par consequent qu'il fait ses 80. toises en moins d'vne demie seconde minute, il s'ensuit qu'il fait plus lentement les 80. toises de son retour; ce que ie demonstre en ceste maniere. La voix directe fait 115. toises dans vne demie seconde, donc elle en fait 80. en moins de temps, puis que 80. est quasi vne fois et demie en 115, car 120. est sesquialtere de 80. et parce que les 5. toises que i'aioûte ne sont pas quasi sensibles dans l'experience, ie m'en sers pour la facilité du calcul, et dis que la voix reflechie ne va pas si viste que la directe, contre ce que i'auois dit dans la 21. Proposition susdite, qu'il faut modifier suiuant ces dernieres remarques. Or ie trouue qu'en faisant reflexion sur le retour des sons par le moyen des echos, sa vitesse est quasi au son direct, comme 2. à 3. c'est à dire en raison souz-sesquialtere: quoy qu'il soit malaisé d'expliquer pourquoy ce retour est plus lent, car il n'y a pas d'apparence [-46-] que la muraille retienne la voix quelque espace de temps, puis que l'on experimente que le retardement se multiplie en mesme raison que l'on s'éloigne dauantage de ladite muraille: ce qui n'arriueroit pas, si tout le retardement estoit causé par elle, dautant qu'il seroit tousiours égal dans ce point de repos, ou de reflexion, et qu'il s'en faudroit éloigner de 195. toises pour ouyr la repetition de 14. syllabes, à sçauoir de 80. pour les 7. premieres, comme i'ay dit, à raison du premier retardement, et puis de 115. pour les 7. dernieres, qui n'auroient point de nouuelle cause de retardement; si ce n'est que l'on dist que le mur retient le son d'autant plus long temps qu'il le reçoit de plus loin, ce qui n'est pas vray semblable, puis qu'ils sont quelquefois beaucoup plus forts et plus vigoreux quand il les reçoit de loin que de pres, et neantmoins que l'éloignement de 160. toises luy fait repeter 14. syllabes prononcées en deux secondes, d'où il semble que l'on doit conclure que le retardement vient du son reflechi, lequel est moins viste que le direct: de sorte que la syllabe qui semble employer vne demie seconde entiere en allant à la muraille éloignée de 80. toises, et vne autre demie seconde à reuenir iusques à celuy qui parle, n'employe quasi qu'vn tiers de seconde pour aller, et les deux tiers à reuenir; de sorte que la vitesse du son direct est quasi double de celle du reflechi: c'est pourquoy ceux qui voudront faire des echos de 14. syllabes, doiuent éloigner la surface reflechissante de 160. toises, qui emploiront deux secondes à répondre vne syllabe prononcée dans la septiesme partie d'vne seconde: quoy que ie ne vueille pas tellement conclure la cause de ce retardement, que ie ne sois prest d'en receuoir vne meilleure raison, comme ie suis en toutes les autres difficultez dont i'ay parlé.
COROLLAIRE.
SI l'on establissoit des postes des sons depuis Rome iusques à Paris, l'on pourroit auoir d'heure en heure des nouuelles de tout ce qui s'y passe, car le son n'employe pas 55. minutes à faire 300. lieuës, quoy que nul cheual, ou autre animal, ny mesme aucun oyseau, ne puisse aller de l'vn de ces lieux à l'autre en trois heures, encore qu'ils allassent aussi viste que la bale d'arquebuse de blanc en blanc, laquelle emploiroit du moins trois heures à faire ce chemin, allant tousiours de mesme vitesse que celle de point en blanc, car elle ne fait ces cent premieres toises que dans le temps d'vne seconde et demie, comme i'ay remarqué ailleurs; et par consequent elle ne feroit qu'vne lieuë dans 37. secondes minutes.
PROPOSITION X.
Expliquer l'vtilité de l'Harmonie dans la Morale, et dans la Politique.
IL est aisé de monstrer que le concert des vertus qui perfectionnent l'ame, est composé des quatre vertus principales, ou cardinales, comme les concerts harmoniques de quatre parties, et de comparer chaque partie à chaque vertu, suiuant les proprietez des vnes et des autres; et l'on peut dire qu'apres les trois vertus theologales, la Foy, l'Esperance et la Charité, toutes les autres ne sont quasi plus que des repetitions et des ornemens, comme [-47-] apres les trois parties d'vn concert, toutes les autres ne font que des repliques; et que chaque vertu est comme vne chorde particuliere de l'ame, dont l'harmonie chasse les passions et les vices, comme le son de la harpe de Dauid chassoit les demons. Et si l'on veut appliquer les 18. chordes des 3. genres, qui sont expliquez tres-clerement dans la 13. Proposition du liure des Genres, il est aisé de les comparer aux exercices des 3. genres de vie, à sçauoir à l'actiue, mixte, et contemplatiue, dont chacune peut estre diuisée en 15. ou 18. parties, ou exercices, afin que chacun responde à chaque chorde; ou en 5, considerations, pour estre accommodées aux 5. especes des Tetrachordes. Or les mauuais effets des dissonances, et le déplaisir qu'elles apportent à l'oüye, peuuent nous faire conceuoir le desordre que les passions et les vices mettent dans la vie, de sorte qu'il n'y a rien dans toute l'Harmonie qui ne serue à la morale, soit pour monstrer le milieu Harmonic, Arithmetic, et Geometric de chaque vertu, ou pour tout ce que l'on peut s'imaginer.
S'il estoit permis de prendre la mesme liberté, que Platon, Ptolomée, et plusieurs autres se sont donné dans les rapports qu'ils ont fait des sons, des consonances, et des Genres, à l'ame, à ses facultez, et à tout ce qui la concerne, nous aurions le sujet d'vn volume entier, car ils disent que le son porte l'idée et l'affection de celuy qui chante dans le fond de l'esprit des auditeurs, qu'ils croyent estre le lien de l'ame et du corps, et qu'il les rauit par vne volupté inexplicable; de sorte que si les consonances estoient meslées auec autant d'artifice que les saueurs, et ce qui charme le toucher, Apollon auroit beaucoup plus de force sur eux que n'en a Bacchus ou Venus. Or Ptolomée compare la simplicité de l'Octaue à l'entendement, ou à la vie raisonnable dans le 4. chapitre de son 3. liure, le Diapente à la sensitiue, et le Diatessaron à la vegetatiue, parce que la Quinte est plus proche de l'octaue que la Quarte, comme la vie sensitiue est plus proche de la raisonnable que n'est la vegetatiue. Il compare encore les trois especes de Quarte aux 3. temps de la vegetatiue, à sçauoir à son commencement, sa vigueur, et sa declinaison, mais i'aimerois mieux les comparer à ses 3. fonctions, à sçauoir d'engendrer, d'augmenter, et de conseruer, ou dattirer, de retenir, et de rejetter. Il compare les quatre especes de Diapente aux quatre principales facultez de l'ame sensitiue, qui consistent à voir, oüyr, flairer, et gouster, et les 7. especes d'Octaue à celles de la raisonnable, à sçauoir à l'imagination, l'intellect, la memoire, la cogitatiue, l'opinion, la raison, et la science. Ie laisse le reste de son chapitre afin qu'on le lise, et que l'on iuge si les raisons du nombre des vertus, qu'il accommode à la raison, à l'irascible, et à la concupiscible, suffisent pour leur comparer le Diapason, le Diapente, et le Diatessaron.
Mais i'ay expliqué tout cecy si particulierement dans le 13. Theoreme du 2. et dans le 16. du 1. liure du traité de l'Harmonie vniuerselle, imprimé sous le nom de Sermes, qu'il n'est pas necessaire d'en parler dauantage. A quoy l'on peut ajoûter le 27. 28. et 29. chapitre de l'abbregé qu'a fait Marsile Ficin du Timée de Platon. Ie remarqueray seulement que les grands interualles qui montent, et puis qui descendent, comme il arriue lors qu'on monte par la Sexte mineure, et que l'on redescend par le demi ton, excitent la tristesse et les pleurs, particulierement si la mesure est binaire et pesante, car la triple excite à la ioye: surquoy l'on peut voir le 15. chapitre du 3. liure de l'Harmonie [-48-] de Kepler, où il remarque fort bien que le tetrachorde est plus naturel, et le plus ioyeux, lors qu'il commence par le ton majeur, et puis qu'il fait le mineur et le demi ton majeur pour acheuer la premiere espece de Quarte, laquelle il attribuë au ton Lydien: La seconde qui commence par Ré, est la plus temperée, parce qu'elle a le demiton au milieu: il l'accommode au ton Dorien: et la 3 espece a le demiton au commencement, c'est pourquoy elle est plus triste; il l'applique au ton Phrygien: mais i'ay expliqué si clerement ces tons, ou Modes dans la 15. Proposition du 3. liure des Genres de Musique, qu'il n'est pas necessaire d'y rien ajoûter: ioint que chacun peut tirer vne infinité de considerations morales de tous nos liures, et particuliement du dernier article de la grande question que i'ay faite de la Musique, dans le Commentaire sur la Genese, et du Poëme de Guy de la Boderie qui est dans nos Paralipomenes.
Quant à la Politique, tout ce que nous auons dit sert grandement pour entendre plusieurs passages de la Republique de Platon et d'Aristote; et le liure des Chants donne d'excellens moyens pour escrire des lettres secretes qui ne peuuent estre dechifrées; ioint que le temperament des tons necessaires pour l'harmonie des instrumens, et le meslange des dissonances auec les consonances peuuent les induire à considerer qu'il est necessaire de permettre quelques defauts dans les Republiques, n'y ayant que celle où Dieu preside immediatement, à sçauoir celle du Ciel, qui soit exempte de toute sorte d'imperfection.
L'on peut voir le grand discours que fait Bodin dans sa Republique pour monstrer les 3. sortes de proportions et de medietez dans la Politique selon les trois estats d'Oligarchie, d'Aristocratie, et de la Monarchie, à sçauoir l'Arithmetique, la Geometrique, et l'Harmonique: mais il est à propos de lire quant et quant la digression Politique de Kepler, dans laquelle il reprend ledit Bodin en plusieurs endroits: dont on pourra tirer beaucoup de lumiere pour aller plus auant, ou pour trouuer lesdites medietez ou proportions en plusieurs autres manieres. Mais si l'on considere que les plus grandes chordes qui se meuuent le moins, font trembler les moindres, comme les plus grands des Republiques font remuer le peuple par leur seule parole; et que les Princes et Seigneurs suruenans, et s'interpolans entre les Rois et les peuples, font vne liaison, et vn concert semblable à celuy qui naist des differentes parties ajoûtées entre la Basse et le Dessus, l'on aura peut estre vn sujet plus reel ou vne maniere plus certaine et mieux fondée dans la nature des choses, que les precedentes.
Car les plus grandes chordes, et les Basses approchent dauantage du silence et du repos; et par consequent representent mieux les puissances supresmes, et mesme la diuinité; et contiennent les moindres chordes et les Dessus, comme Dieu contient toutes choses.
Ie laisse mille comparaisons qui se peuuent tirer de la 3. et 4. proposition du 4. liure de la Composition, pour exprimer les differents emplois de tous les membres d'vne Republique par les differents effets des 4. parties de la Musique. Ce que l'on peut aussi appliquer au gouuernement moral de l'ame, dont la volonté est la plus grosse chorde, qui fait remuer toutes les autres facultez comme il luy plaist: si ce n'est que l'on donne cette prerogatiue à l'entendement. Quoy qu'il en soit, toutes les creatures sont comme [-49-] autant de chordes ou de tuyaux de la grande Lyre de l'vniuers, que le diuin Orphée gouuerne en donnant tel ton et tel accord qu'il luy plaist à toutes les parties du monde, comme l'on peut comprendre par ceste figure, dans laquelle les lettres ordinaires de l'echele de Musique, qui commencent par [Gamma], (qui signifie la plus basse partie, à sçauoir la terre) representent chaque estage du monde, et ont l'estenduë du Disdiapason, c'est à dire du plus grand systeme des Grecs, dont on void l'imagination dans les degrez et interualles qu'ils ont mis entre les planettes.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 49; text: Harmonie Vniverselle, [Gamma], A, B, C, D, E, F, G, a, b, c, d, e, f, gg, Raison Qvadrvple, Triple, Dovble. Sesquialtere. Sesquitierce, Qvinzieme, Dovzieme, Octave formelle, Qvinte materielle, Ton, Semiton] [MERHU3_8 02GF]
Or il n'est pas besoin de particulariser tout le symbolisme de cette figure, puis qu'elle est remplie de dictions qui expliquent tout, et qu'il suffit que chacun tienne bien la partie que la prouidence diuine luy a donnée en cette vie, afin que nous oyons le concert des Bien-heureux, et que nous y soyons admis pour ioindre nos voix et nos coeurs auec les leurs, et que nous adorions Dieu eternellement en esprit et en verité: ioint que i'ay donné vne tres ample explication de cette figure dans le 13. Theoreme du 2. liure du Traité de l'Harmonie vniuerselle, où l'on void quasi tout ce que l'on peut dire de l'Harmonie des Cieux; particulierement si l'on ajoûte la 8. Proposition du mesme liure.
Corollaire en faueur des Iuges et des Aduocats.
S'Il estoit question de faire voir la necessité de l'Arithmetique, et de la Geometrie dans la Iudicature, il suffiroit de produire toutes les difficultez des questions testamentaires, et tout ce que Diophante propose dans ses liures, et Buteo dans les siens, pour l'explication du Droit, ou de lire les liures de Sempilius: mais il semble plus difficile de monstrer en quoy la Musique peut seruir aux Iuges et aux Aduocats, car bien que le milieu harmonic soit l'vn des trois, par lesquels on explique les trois estats, à sçauoir le Monarchique, l'Aristocratique, et le Populaire, comme ie monstre dans le 10. chapitre du 2. liure de la verité des Sciences (laquelle donne vne infinité de lumieres pour les Iuges, les Predicateurs, et pour toutes sortes de personnes, comme l'on confessera, si en lisant les 4. liures qu'elle contient, on prend la peine d'en accommoder les pensées à la morale, et aux vsages de la vie) neantmoins il faut monstrer plus clerement les vtilitez qu'elle peut apporter, [-50-] supposé qu'on la prenne dans la mesme estenduë que i'en traite.
Ie di donc que sa connoissance sert pour iuger le procez qui se peut mouuoir entre les Paroissiens ou les Marguilliers d'vne Eglise, et les Facteurs d'orgue, cettuy-cy disant que son orgue est parfait, et qu'ils sont obligez de le receuoir, et ceux-là contestans qu'il n'est pas en estat, ce que les Commissaires deputez pour visiter ledit orgue iugeront aisément par la 37. et 44. Proposition de nostre 6. liure des Orgues, particulierement s'ils en ont leu le Traite entier: et s'il est necessaire que les Aduocats plaident cette cause, ils y apprendront tout ce qu'il est necessaire de sçauoir pour dresser leurs plaidoyers, de sorte qu'ils n'vseront pas seulement des propres termes de l'Art, mais ils pourront enseigner beaucoup de particularitez, et le fond de la science aux Facteurs, et aux Organistes. Or il est constant qu'vn tel procez seroit d'assez grande consequence, puis qu'vn grand orgue peut couster 15. ou 20. mille liures, et dauantage. Les Iuges profiteront encore à la lecture de cet oeuure, pour iuger le different qui peut arriuer entre deux ou plusieurs Maistres de Musique; par exemple, si le Roy donnoit la conduite de sa Chappelle, ou de toute sa Musique au plus sçauant Musicien de la France, et qu'il fust question d'enuoyer des Commissaires pour presider à leur dispute, ils iugeront aisément de leur sçauoir, pourront eux mesmes les interroger, et voir par 2. ou 3. questions et difficultez qu'ils leur proposeront, quel est le plus habile, et par consequent ils iugeront equitablement sans faueur, et sans qu'il y puisse auoir appel, puis qu'ils sçauront la science de la Musique beaucoup mieux qu'eux, s'ils lisent et comprennent nos Traitez. Car il ne faut pas s'imaginer que l'esperance de 15. ou 20. mille liures de rente, que lesdits Maistres peuuent aquerir dans peu de temps en cette charge, ne soient capables de susciter vn procez.
Cette science peut aussi ayder aux Presidens et autres officiers, qui font les ouuertures du Palais, ou de leurs Chambres, ou qui haranguent deuant le Roy, parce que la beauté, la iustesse, le bel ordre, et les autres circonstances de l'Harmonie leur feront trouuer mille belles pensées pour entrer en matiere, et souuent ez bonnes graces du Roy, qui cherit si fort la beauté de cet Art, qu'il est difficile que les inuentions et les comparaisons que l'on en tire, ne luy soient agreables. Ie laisse mille autres vsages qu'ils appliqueront eux mesmes à ce qu'il leur plaira en lisant chaque Traité, ou celuy qui leur agreera dauantage. Ils regleront aussi tous les differens qui peuuent naistre entre les fondeurs de Cloches, puis qu'ils pourront connoistre leurs pesanteurs par leurs sons, et au contraire, comme ie demonstre dans le liure des Cloches.
Aduertissement pour le Traité des raisons qui suiuent.
PVis que nos Traitez Harmoniques dépendent de la connoissance des raisons et des proportions, lesquelles sont comme la forme, et l'ame de toutes les Mathematiques, d'où il arriue que d'excellents Geometres font plus d'estat du cinquiesme liure d'Euclide que des autres, parce qu'il traite de ce sujet, par lequel il seroit à propos de commencer lors qu'on enseigne la Geometrie, il est raisonnable que nous en traitions, afin que ceux qui prendront la peine de lire cet oeuure, n'ayent pas besoin d'auoir recours à [-51-] d'autres liures, s'ils ne veulent. Neantmoins parce que i'ay parlé tres-amplement de toutes sortes de raisons et de proportions dans le 2. liure de la verité des Sciences, que l'on peut auoir aisément, ie suy icy vne autre methode, et en parle plus briefuement, quoy que i'essaye à n'y laisser point d'obscurité.
PROPOSITION XI.
Considerer la raison dans toutes ses especes, et expliquer les termes necessaires pour les entendre.
LE raport, ou l'habitude que deux choses ont ensemble, s'appelle Raison par les Geometres, et parce qu'elles sont égales ou inégales, ils mettent deux genres de raisons, dont l'vne est celle d'égalité, qui s'explique par deux nombres égaux, comme sont 2. et 2. Or cette raison fait son genre à part, ou plustost elle n'a point de genre, puis qu'elle n'a point d'especes, de sorte que l'on peut la comparer à Dieu qui est pardessus tout genre, et toute espece.
Mais le genre d'inegalité se diuise en 2. autres genres subalternes, à sçauoir en la raison d'inegalité majeure, et mineure, dont chacun a 5. especes; car lors que ce qui est plus grand surpasse tellement ce qui est moindre, qu'il le contient plusieurs fois sans qu'il reste rien, comme il arriue que 2. contient deux fois vn, et que trois le contient 3. fois, et ainsi des autres iusques à l'infiny: ceste raison se nomme Multiple, et contient vne infinité d'indiuidus, à sçauoir la raison double, la triple, la centuple, la millecuple, et cetera. Et lors que la moindre chose est l'antecedent de la raison, elle est souz-multiple: ce qu'il faut remarquer vne fois pour toutes, dautant que la raison d'inegalité mineure n'est differente de la maieure, qu'en ce qu'il faut ajoûter la syllabe ou la praeposition souz deuant la denomination des raisons de majeure inegalité. Il faut encore remarquer que le premier terme de la raison, ou de la comparaison est appellé Antecedent, et le 2. Consequent, quoy qu'on les puisse nommer plus simplement Premier et Second.
La seconde espece de raison s'appelle Surparticuliere, parce que son plus grand extreme contient vne fois le moindre, et en oûtre vne de ses parties aliquotes, par exemple 3. contient 2. et la moitié de 2. et 4. contient 3. et le tiers de trois, c'est pourquoy le nom de chaque indiuidu de cette raison se prend de cette partie aliquote, de là vient que nous disons que la raison de 3. à 2. est Sesquialtere, ou d'autant et demi, parce que la partie aliquote est la moitié, et que celle de 4. à 3. est sesquitierce, ou d'autant et vn tiers, parce que la partie aliquote est vn tiers, et ainsi des autres iusques à l'infiny, puis qu'vn tout a vne infinité de parties aliquotes; et si l'on met le moindre terme le premier pour seruir d'antecedent à la raison, on ajoûte sous; par exemple celle de 3. à 4. est souz-sesquitierce.
La 3. espece s'appelle Surpartiente, parce que son plus grand terme contient vne fois le moindre, et 2. ou plusieurs de ses parties aliquotes, comme deux tiers, trois quarts, et cetera qui ne peuuent faire vne partie aliquote du moindre terme; par exemple 5. contient 3. et les deux tiers du mesme 3; c'est pourquoy on appelle la raison de 5. à 3. surbipartiente trois, ou surpartiente deux tiers, de sorte que les parties aliquotes sont exprimées apres la diction surpartient.
[-52-] La 4. espece n'est autre chose que la premiere iointe à la seconde, comme quand on compare 3. à 2. car 5. contient deux fois 2. et la moitié de 2, c'est pourquoy cette raison prend son nom de la multiple, et de la surparticuliere, et est appellée Double-sesquialtere, et si 2. est l'antecedent, l'on dit souz-double-sesquialtere, et ainsi des autres.
La 5. espece est composée de la premiere, et de la troisiesme, comme l'on void en comparant 8. à 3, car 8. le contient 2. fois, et les deux tiers; c'est pourquoy on l'appelle Double-surpatiente-deux-tiers: ou sous-double, si l'on met 2. au premier lieu. Or toutes ces especes de raisons sont appellées Rationnelles, parce que leurs termes sont en mesme raison que les nombres aux nombres, ausquels l'vnité sert tousiours de mesure commune. Mais il y a vne autre sorte de raison que l'on nomme Irrationnelle, comme est celle du diametre du quarré à son costé, dont nous parlerons apres auoir expliqué ce qui concerne les rationnelles.
Ie di donc premierement que si l'on diuise le plus grand terme d'vne raison par le moindre, que l'on aura la denomination, ou le nom de cette raison, et consequemment qu'on le connoistra par ses extremes: par exemple, si l'on diuise 16. par 2, le quotient 8. monstre que ces deux nombre 6. et 2. sont en raison octuple: si l'on diuise 3. par 2. vn et demy donne leur raison dautant et demi; comme 3. diuisant 8. l'on a 2. et 2/3 pour le nom de la raison double surpatiente deux tiers.
En second lieu, si l'on diuise le plus grand terme par le nom de la raison, l'on aura le moindre terme, et si l'on multiplie le moindre on aura le plus grand, de sorte qu'il suffit de connoistre l'vn des termes de la raison donnée pour treuuer l'autre: par exemple, 6. estant donné pour la raison double, on a trois en le diuisant par 2, qui nomme la raison double: et si on a 4. pour la raison souz-double, 2. multipliant 4. donne 8.
En 3. lieu, si l'on multiplie les extremes par tel nombre que l'on voudra, les produits seront tousiours en mesme raison que les extremes; par exemple, si on multiplie les termes 3. et 2. par 4. l'on aura 12. et 8. en raison sesquialtere, et ainsi des autres. En fin l'on trouue les termes radicaux de chaque raison en la maniere qui suit. Le denominateur de la raison et l'vnité donnent ceux de la multiple, par exemple 2. qui est le denominateur de la double, et 1. Le denominateur de la partie aliquote, et le nombre plus grand de l'vnité donnent ceux de la raison surparticuliere, comme l'on void dans la sesquialtere de 3. à 2. dont 2. est le denominateur. Le denominateur des parties aliquotes, et le nombre composé du numerateur et du denominateur donnent ceux de la raison surpartiente: par exemple 3. est le denominateur de la surbipartiente-trois, et le numerateur est 2. lequel ajoûté au denominateur l'on a 5. Le moindre terme demeure tousiours dans les multiples particulieres et surpartientes, comme l'on void de 5. à 2. qui est double sesquialtere, et de 8. à 3. qui est double surbipartiente trois: d'où il s'ensuit que les termes radicaux de chaque raison ne communiquent en aucune partie aliquote qu'en l'vnité.
Quant à la generation des raisons, l'on a les multiples en multipliant les nombres, qui se suiuent naturellement, par le denominateur de la premiere multiple, à sçauoir par 2. si l'on veut auoir toutes les raisons doubles, ou par 3. pour engendrer toutes les triples; comme l'on void [-53-] en ces nombres, où il faut remarquer que toutes les raisons doubles qui se suiuent ne sont éloignées que de l'vnité, les triples du binaire, les quadruples du ternaire, et cetera.
2. 4. 6. 8. 10. 3. 6. 9. 12. 15. 1. 2. 3. 4. 5. 1. 2. 3. 4. 5.
Quant aux raisons sesquialteres, elles sont produites par la comparaison de tous les nombres auec ceux qui suiuent selon leur ordre naturel, comme l'on void icy, où 3. et 2. sont en raison sesquialtere 4. et 3. en sesquitierce, 5. et 4. en sesquiquarte, et cetera.
3. 4. 5. 6. 7. 2. 3. 4. 5. 6.
Et les raisons surpartientes viennent de la comparaison de tous les nombres impairs, qui commencent à 5. comparez auec les nombres qui suiuent leur ordre naturel depuis 3. comme l'on void en ces deux rangs de nombres.
5. 7. 9. 11. 13. 15. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
Si l'on veut les raisons multiples surparticulieres, il faut seulement ajoûter le moindre terme au plus grand, par exemple, 2. à 3. pour auoir 5. lequel est en raison double sesquialtere de 2. si on double 2. pour auoir 4. et pour l'ajoûter à 3. l'on a 7. qui est en raison triple sesquialtere de 2. et cetera. Il arriue la mesme chose à la raison surpartiente, qui deuient multiple par l'addition du moindre terme au plus grand, par exemple, 3 ajoûté à 5. fait 8. qui est double surbipartient trois, et ainsi des autres.
XII. PROPOSITION.
Expliquer les quantitez et les raisons incommensurables, ou irrationnelles.
CEux qui ne sont pas acoustumez aux termes de la Geometrie s'estonnent de ce que l'on appelle vne raison irrationnelle; et ceux qui ne connoissent que les nombres, ont de la peine à se l'imaginer, dautant,qu'il n'y a point de nombres qui ne soient rationels, puis qu'ils ont tous l'vnité pour leur commune mesure: Mais lors que l'on considere les lignes, et leurs puissances, l'on rencontre vne infinité de rapports irrationels, car l'on peut prendre tant de lignes que l'on voudra commensurables, et incommensurables en longitude et en puissance à toute autre ligne proposée, laquelle on appelle rationnelle, parce qu'elle est connuë, et que ces parties s'expliquent par nombres, si l'on veut.
Mais il faut premierement considerer l'incommensurabilité de deux termes entr'eux auant que d'y mesler cette rationnelle: ce que nous ferons dans les lignes, quoy qu'on le puisse en quelque façon appliquer au mouuement et au temps. Ie di donc premierement que les lignes qui ne peuuent estre mesurées par vne commune mesure lineaire, sont incommensurables en longitude, comme il arriue au diametre du quarré comparé à son costé, car si l'on diuise le diametre par le costé, et le costé par le residu du diametre, et ainsi consecutiuement, iamais l'on ne rencontrera deux parties égales, et l'vne surpassera tousiours l'autre d'vne partie incommensurable; ce qui arriue aussi à la ligne composée du diametre, et du costé.
Quant aux lignes incommensurables non seulement en longueur, comme les precedentes, mais aussi en puissance, il y en a semblablement vne infinité, par exemple, la moyenne proportionnelle entre le costé et le diametre n'a nulle commune mesure, soit en longueur ou en puissance, c'est [-54-] à dire que son quarré n'est point commensurable aux quarrez du diametre, et du costé, dont le premier est double de l'autre, car le quarré d'vne ligne ou d'vn nombre est sa puissance. Or il est si éuident qu'il y a des raisons irrationnelles, c'est à dire, qui ne peuuent s'exprimer par nombres, qu'il n'est pas necessaire de le preuuer: par exemple, les 2. raisons égales, dont la raison double est composée, ou par lesquelles elle est diuisée par la moyenne proportionnelle, sont irrationnelles, ce qui arriue semblablement aux 6. ou aux 12. raisons, qui la diuisent en 6. tons, ou en 12. demi-tons égaux, dont nous auons parlé dans le 1. 2. et 4. liure des Instrumens à chordes. Cette double raison et sa diuision se rencontrent dans le quarré, dont le diametre est moyen proportionel entre les 2. lignes qui sont en raison double: et si l'on descrit vn moindre triangle sur la moitié du diametre du quarré precedent, afin que son costé luy serue de diametre, il est certain que le grand diametre sera double du moindre, et consequemment que le grand diametre, son costé, et le costé du moindre seront 3. lignes continuellement proportionnelles, dont celle du milieu diuisera la raison des deux extremes en deux moitiez de la raison double: d'où il s'ensuit que la raison du diametre au costé est la moitié de la raison double, et qu'il arriue souuent que le tout peut estre exprimé par nombres, encore qu'ils ne puissent expliquer sa moitié, si l'on prend la raison diuisée pour vn tout, et les raisons diuisantes pour ses parties.
Or comme la moyenne entre le diametre et le costé leur est incommensurable en puissance, parce qu'il y a mesme raison du quarré du diametre à celuy de la moyenne, que du mesme diametre au costé; de mesme toutes les autres moyennes entre ladite moyenne, et le diametre, ou le costé, sont tousiours incommensurables en puissance. Si l'on veut sçauoir tout ce qui appartient aux lignes tant commensurables et rationnelles, qu'incommensurables et irrationelles, et aux quarrez, et plans rationels et irrationnels, il faut lire le 10. liure d'Euclide, car il n'est pas à propos de le mettre icy: c'est pourquoy ie viens à l'explication des raisons qui sont necessaires tant aux Musiciens, qu'à tous ceuz qui font estat de raisonner et de contempler les ouurages du Createur, qui a tout fait en nombre, en poids, et en mesure, c'est à dire, en proportion, quoy qu'il soit tres-difficile d'en rencontrer les termes et la progression.
Or toute la connaissance des raisons consiste à les nombrer, à les continuer ou composer, ajoûter, soustraire, multiplier, et diuiser, de sorte que la Proposition precedente peut estre comparée à la numeration Arihmetique, et celles qui suiuent, à l'Addition, Soustraction, Multiplication, et Diuision des Nombres, et consequemment que ce Traité est l'Arithmetique des raisons, laquelle i'ay donnée dans le 5. liure Latin des Dissonances: mais parce que peu de Musiciens entendent cette langue, quoy que plusieurs d'entr'eux ayent bon esprit, ie les explique icy en François en leur faueur.
[-55-] PROPOSITION XII.
Continuer, aioûter, soustraire, multiplier, et diuiser les raisons.
Continuation des Raisons.
La raison donnée se continüe en faisant que le Consequent ait mesme raison à vn autre terme, que l'antecedent audit Consequent.
CEtte methode semble plus difficile en ses termes qu'en l'operation, qui ne dépend que de la regle de trois, comme ie monstre dans la raison de 4. à 6. dont l'antecedent est 4. et le consequent 6. car si 4. donne 6. il est éuident que 6. donnera 9. parce que 9. surpasse 6. de la moitié de 6. comme 6. surpasse 4. de la moitié de 4. c'est à dire, que la raison de 6. a 9. est souzsesquialtere, comme celle de 4. à 6. et si l'on commence la raison par 9. on trouuera qu'il y a mesme raison de 9. à 6. que de 6. à 4. et que l'vne et l'autre est sesquialtere. Or cette operation a vne infinité d'vtilitez, comme il est aisé de conclure par vne grande partie de ce que i'ay dit en diuers endroits, par tous les exemples que l'on en trouue dans les Arithmetiques, et par toutes les solutions des triangles qui en dépendent. Ie donne seulement vn exemple Physique pour en monstrer la pratique. Il est certain que toute sorte de bruit fait 230. toises dans vne seconde minute, l'on sçaura donc combien il fait de toises dans vne minute d'heure: et pour ce sujet il faut dire si 1. me donne 230. combien me donnera 60., c'est à dire, vne minute; ce que l'on trouuera en donnant vn troisiesme nombre qui soit à 60. comme 230. est à vn; lequel on aura en multipliant 230. par 60. à sçauoir 13800. toises, c'est à dire, quasi 5. lieuës et demie. Or cette premiere regle sert pour trouuer les termes d'vne consonance, ou d'vne dissonance doublée, triplée, quadruplée, et cetera iusques à l'infiny, et pour desabuser les Praticiens, qui croyent que les consonances, qu'ils appellent repliques, ou repetitions, sont doublées, par exemple que la Douziesme, dont la raison est d'vn à 3. n'est autre chose que la Quinte doublée, d'où il s'ensuiuroit que la raison de 2. à 3. estant doublée seroit celle d'vn à 3. au lieu qu'elle est de 4. à 9. comme i'ay monstré cy-dessus, car la raison d'vn à 3. est composée de celle de 1. à 2. et de celle de 3. à 2. Enfin cette Proposition est tres-vtile pour doubler et tripler toutes sortes de raisons, afin d'auoir la raison des plans et des solides: par exemple, lors qu'on veut sçauoir la raison des 2. quarrez, dont les costez sont entr'eux en raison sesquialtere de 3. à 2. cette raison estant doublée, comme cy-dessus, monstre que lesdits quarrez sont entr'eux en mesme raison que 9. à 4. Et si l'on veut passer outre pour treuuer la raison des cubes, dont les costez sont entr'eux comme 3. à 2. il faut encore continuer la raison, afin de trouuer vn nombre qui soit à 4. comme 1. est à 3. c'est à dire qui soit en raison soussesquialtere de 4. et l'on aura 2 2/3 de sorte que 9. 6. 4. 2 2/3, ou, pour éuiter la fraction, 27. 18. 12. 8. contiennent trois raisons sesquialteres continuées, et par consequent trois Quintes, ou la Quinte triplée, dont les 2. termes extremes 27. et 8. monstrent la raison des cubes qui out 3. et 2. pour leurs costez. L'on peut continuer de la mesme façon les raisons iusques à l'infiny, [-56-] ce qui n'a pas grande vtilité dans la Musique, parce que 2. ou plusieurs accords doublez, triplez, et continuez tant qu'on voudra, ne vallent rien, et font tousiours des dissonances, si l'on en excepte la seule Octaue: par exemple le Diapente precedent de 3. à 2. estant doublé fait la Neufiesme majeure de 9. à 4. s'il est triplé il fait la Treiziesme majeure trop grande d'vn comma, car la raison de 27. à 8. surpasse la raison de 10. à 3. d'vn comma: et si on quadruple le Diapente, il surpasse la Dixseptiesme majeure d'vn comma. Il est aisé de trouuer de combien chaque autre consonance doublée, triplée, ou quadruplée, surpasse les accords; et quels discords elles font; ce qui n'est pas hors de propos, lors qu'on veut comparer les interualles harmoniques aux quarrez, ou aux solides, à cause de leur composition de 2. 3. ou plusieurs raisons.
PROPOSITION. XIII.
L'addition des raisons se fait en multipliant l'antecedent de l'vne des raisons par l'antecedent de l'autre, et le consequent par le consequent; car les produits qui viennent de ces multiplications contiennent vne raison composee des deux raisons aioûtées.
L'On comprendra cette seconde regle par l'exemple qui suit: Ie suppose que l'on vueille ajoûter la raison de 3. à 2. à celle de 4. à 3. c'est à dire, la raison du Diapente à celle du Diatessaron; il faut tellement escrire ces nombres que l'antecedent de l'vne des raisons soit vis à vis de l'antecedent de l'autre, et le consequent vis à vis du consequent, en cette maniere, *
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 56; text: 2, 3, 4, 6, 12] [MERHU3_8 02GF]
et apres auoir tiré vne ligne dessous, il faut multiplier 4. par 3. pour auoir 12. qui se met dessous les antecedens, et puis 3. par 2. pour auoir 6. que l'on met dessous les consequens, de sorte que l'on a la raison de 12. à 6. laquelle vient de l'addition des deux raisons susdites: et si l'on veut encore ajoûter vne ou plusieurs autres raisons à la raison de 12. à 6. il est bon de la reduire premierement à ses termes radicaux, à sçauoir à 2. et 1. et puis on luy ajoûte telle autre raison qu'on veut de la mesme maniere que nous auons fait cy-deuant, sans qu'il soit necessaire d'en donner d'autres exemples. I'ajoûte seulement que cette addition de raisons est necessaire aux Musiciens qui desirent prouuer la verité de leurs positions, car comment prouueront-ils que la raison sesquioctaue, et la sesquineufiesme du ton majeur et mineur font le Diton, ou que le ton mineur ioint à la Tierce mineure fait la Quarte, s'ils ne peuuent ajoûter lesdites raisons?
PROPOSITION XIV.
Lors qu'on veut oster vne moindre raison d'vne plus grande, s'il faut multiplier l'antecedent de l'vne par le consequent de l'autre, et le consequent par l'antecedent.
CE que l'on comprendra par cet exemple. Soit la raison de 8. à 5. c'est à dire, la raison de l'Hexachorde mineur, que nos Praticiens nomment Sexte mineure, laquelle il faille oster ou soustraire de la raison double [-57-] de 2. à 1. ou de l'octaue; ie di qu'il faut mettre le consequent de chaque raison sous l'antecedent; afin de les multiplier l'vn par l'autre, et d'auoir la raison qui reste; par exemple, si l'on veut oster la raison sesquialtere de 3. à 2. de la raison double de 2. à 1. il faut mettre le 2. de la raison sesquialtere sous le 2. de la raison double, et le 3. de celle-là sous le 1. de celle-cy, et multiplier 2. par 2. pour auoir 4. et 3. par 1. pour auoir 3. et par consequent pour auoir la raison sesquitierce de 4. à 3. qui reste apres la soustraction.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 57,1; text: 1, 2, 3, 4] [MERHU3_8 02GF]
L'on peut aussi mettre l'antecedent sous l'antecedent, et le consequent sous le consequent, et mener vne croix de l'antecedent de l'vn au consequent de l'autre, afin de multiplier en croix, comme l'on void à la marge, mais l'autre maniere est plus aisée.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 57,2; text: 1, 2, 3, 4] [MERHU3_8 02GF]
Surquoy il est bon de remarquer que cette operation est tres-vtile pour trouuer ce qui reste d'vne consonance, apres que l'on en a osté telle autre consonance, ou dissonance que l'on veut. Ie laisse mille autres vsages que chacun peut tirer de cette regle, afin de venir aux autres operations.
PROPOSITION XV.
L'on multipliera la raison donnée, si l'on prend les puissances de l'antecedent, et du consequent de l'ordre determiné par le multipliant.
CE que l'on entendra aisément par les exemples qui suiuent: posons donc que l'on vueille multiplier la raison de 3. à 2. et par consequent la Quinte, et parce que la multiplication va iusques à l'infiny, qu'il la faille seulement doubler et tripler: les quarrez de son antecedent 3. et de son consequent 2. donneront 9. et 4. pour la raison doublée; et les cubes du mesme antecedent et consequent, donneront la raison triplée de 27. à 8. comme le quarré quarré du mesme antecedent et consequent, donneront la raison quadruplée de 81. à 16. et ainsi des autres iusques à l'infini, selon qu'on fera monter les puissances iusques au quarré cube, cube-cube, quarré-quarré-cube, et cetera de sorte que si le multiplicateur est 2. il faut seulement quarrer les antecedens et les consequens des raisons; s'il est 3. 4. 5. ou 6. et cetera il faut les cuber, les quarrer-quarrer, les quarre-cuber, et cetera. Mais l'on ne passe guere souuent les cubes, parce que le reste consiste plustost dans l'imagination que dans la nature, qui se contente des cubes. Surquoy l'on doit remarquer qu'il n'y a rien plus vtile dans toute la Geometrie que cette multiplication des raisons, iointe à leur diuision, dont nous parlerons apres, comme il est aisé de conclure par tout ce que nous auons dit de la vitesse des poids qui descendent, laquelle est en raison doublée des temps, et par tout le traité des Cloches, des tuyaux, et des autres Instrumens: de sorte que la connoissance des raisons est entierement necessaire pour comprendre la plus grande partie de nos discours.
[-58-] PROPOSITION XVI.
L'on diuise la raison donnée en prenant les costez de l'antecedent et du consequent du degré determiné par le diuiseur.
CEtte Proposition peut estre appellée inuerse de la precedente, parce qu'elle vse des racines, ou des costez des puissances, au lieu que celle-là vse des puissances. Or l'on appelle les racines costez, parce qu'elles produisent des figures en se multipliant elles mesmes, ou d'autres nombres. Ce que l'on comprendra aisément par l'exemple qui suit; si l'on veut diuiser la raison de 27. à 8. par 3. il est certain que 3. represente le troisiesme ordre, c'est à dire, le costé, ou la racine cubique, et par consequent qu'il faut prendre les 2. racines cubiques de 27. et 8. c'est à dire, 3. et 2. pour diuiser la raison de 27. à 8. laquelle est à la raison de 3. à 2. comme 3. à 1. parce qu'elle la contient trois fois, comme ie demonstre par ces nombres 27. 18. 12. 8. car la raison sesquialtere est entre 27. et 18. entre 18. et 12. et entre 12. et 8. de sorte que la raison de 27. à 8. est triplée de la raison de 27. à 18. ou de 3. à 2. comme celle de 8. à 27. est sous-triplée de celle de 2. à 3.
Or cette diuision des raisons est Geometrique, à cause de l'égalité des raisons qu'elle contient: mais l'Arithmetique a seulement égard à l'égalité de la distance de son terme du milieu, qui doit tousiours estre également éloigné des termes extremes, comme il arriue à la diuision Arithmetique de la raison double de l'octaue 2. 3. 4. où il est bon de remarquer que le produit de ce milieu est tousiours plus grand de l'vnité que le produit des extremes, comme il arriue que 3. fois 3. font 9. lequel surpasse le produit de 4. par 2. c'est à dire, 8. de l'vnité: au lieu que le produit ou le quarré du milieu Geometric est égal au rectangle, ou au produit des deux extremes.
Quant à la diuision Harmonique, elle est si peu considerable dans la vraye theorie de la Musique, qu'il n'est pas besoin d'ajoûter à ce que i'ay dit depuis la 34. Proposition du premier liure des Consonances iusques à la 40. dans la 6. du 3. liure des Dissonances; et dans la 3. page de la Preface du liure des Consonances. Et si l'on en veut voir vn discours plus long, on le trouuera dans le 5. liure Latin des Dissonances, depuis la 22. iuques à la 40. Proposition.
ADVERTISSEMENT.
CEux qui voudront entrer plus auant dans les raisons, afin d'vser de toutes les sortes de raisonnemens qui seruent aux Geometres, lors qu'ils comparent l'antecedent à l'antecedent, et le consequent au consequent, par la raison alterne; qu'ils prennent le consequent comme antecedent pour le comparer à l'antecedent comme s'il estoit le consequent, par la raison inuerse: qu'ils prennent l'antecedent auec le consequent comme vn seul terme, pour le comparer au mesme consequent, par la composition de raison: laquelle est conuerse, quand on prend l'antecedent et le consequent comme vn seul terme pour le comparer à l'antecedent; comme elle est contraire, lors que l'on prend l'antecedent pour le comparer à l'antecedent et consequent [-59-] comme à vn seul terme; et inuersement contraire, lors qu'on prend le consequent pour le comparer à l'antecedent et consequent, comme à vn seul terme: qu'ils prennent l'excez dont l'antecedent surpasse le consequent, pour le comparer au mesme consequent, par la diuision de raison; qu'ils prennent le consequent pour le comparer à l'excez, dont l'antecedent surpasse le consequent, par la diuision de raison conuerse: qu'ils comparent l'antecedent à l'excez, dont le consequent surpasse l'antecedent, par la diuision de raison contraire: ou qu'ils comparent l'excez dont le consequent surpasse l'antecedent, pour le comparer au mesme antecedent, par la diuision de raison inuersement contraire: et qu'ils comparent enfin l'antecedent à l'excez, dont l'antecedent surpasse le mesme consequent, par la conuersion de raison: ceux, dis-ie, qui veulent se seruir de toutes ces manieres Geometriques de raisonner, trouueront dequoy se contenter dans le 5. liure des Elemens, particulierement s'ils y ioignent les Commentaires de Monsieur Herigone excellent Geometre, et quant et quant son Algebre, et tout le reste de son cours des Mathematiques. L'on peut aussi lire le liure des Proportions de Hierosme de Hangest, lequel explique fort au long les proprietez de la proportion, proportionalité, ou medieté Arithmetique, Geometrique, et Harmonique.
PROPOSITION XVII.
Expliquer les operations precedentes des raisons, tant par les lignes que par les nombres.
LA maniere qui suit pour ajoûter et soustraire les raisons, a esté donnée par Monsieur de Beaugrand tres-subtil Geometre, dans la 12. Proposition de sa Geostatique, laquelle i'ajoûte aux Propositions precedentes, afin qu'on voye la demonstration de toutes les operations que i'ay expliquées.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 59; text: A, B, C, D, E, F] [MERHU3_8 03GF]
Soient donc les deux raisons de la ligne droite AB à la ligne BC, et de la ligne CD à DE; dont il y en ait du moins vne d'inegalite, par exemple celle de CD à DE, ie dis premierement que l'on composera les raisons d'AB à BC, et de CD à DE, en cette façon.
Que la ligne AC s'encline comme l'on voudra au point C auec la ligne CD, et soient iointes AE, BD en se coupant au point F, la raison d'AF à FE, contiendra les raisons d'AB à BC, et de CD à DE.
En second lieu, si l'on prend les raisons d'AF à FE, et de CD à DE, comme cy-deuant, on soustraira la raison de CD à DE de celle d'AF à FE en cette maniere.
Que la ligne AE s'encline comme l'on voudra auec la ligne ED au point E, et que l'on descriue DF, AC se rencontrant au point B, il est certain par la 2. Proposition du mesme liure, que la raison d'AF à FE est composée de celle [-60-] d'AB à BC, et de celle de CD à DE. Donc si l'on oste d'vn costé et d'autre la raison de CD à DE, il restera celle d'AB à BC égale à l'excez, dont la raison d'AF à FE surpasse celle d'AB à BC. Ce que l'on peut encore demonstrer par l'Arithmetique en cette façon.
Que les raisons données soient celles d'A à B, et de C à D, lesquelles on composera en cette façon;
A.4 B.5 C.8 D.10 E.32 F.40 C50.
C estant multiplié par A et D par B, l'on aura les produits E, G; Or ie dis que la raison d'E à G est composée des raisons A à B, et de C à D. C soit multiplié par B, et que le produit soit F. Puisque C multipliant A et B, a produit E et F, et que la proportion n'est point changée par le multipliant, A sera à B comme E à F. Semblablement, puis que B multipliant C, D a produit F, G, comme C est à D, ainsi F à G. Mais par la 20. definition du 5. la raison d'E à G est composée de celle d'E à F, et de celle de F à G, donc la raison d'E à G sera aussi composée des raisons d'A à B et de C à D. Si l'on veut oster la raison d'A à B, de celle de C à D, C soit multiplié par B, et D par A, pour auoir les produits F, G, ie dis que la raison de F à G demeurera, apres auoir osté la raison d'A à B, de la raison de C à D.
A4. B5. C8. D.13. E32. F40. G52.
Que C soit multiplié par A, le produit soit E. Et parce que A multipliant C et D, a produit E et G, et que la proportion n'est point changée par le commun multipliant, C sera à D comme E à G; or la raison d'E à G est composée de celles d'E à F, et de F à G: donc la raison de C à D sera aussi composée des raisons d'E à F, et de F à G. Or C multipliant A et B, a produit E et F, partant il y a mesme raison d'E à F, que d'A à B, et par consequent la raison de C à D est composée de celle d'A à B, et de celle de F à G; donc la raison de F à G sera le reste de celle de C à D, la raison d'A à B en ayant esté soustraire. Et parce que la multiplication est l'addition de quantitez égales, et que la diuision restituë par l'analyse ce que la multiplication fait par la synthese, cette Proposition suffit pour tout ce qui concerne l'Addition, la Soustraction, la Multiplication, et la Diuision des raisons, dont la pratique se void dans la Proposition qui suit, dans laquelle la principale Proposition du susdit liure de la Geostatique est examinée.
ADVERTISSEMENT.
SI l'on veut sçauoir la maniere de trouuer 2. ou plusieurs nombres miliex proportionnels, par exemple, 5. 6. 7. et cetera entre deux autres nombres donnez, pour diuiser leur raison en tant de raisons égales qu'on voudra, outre ce que l'on en peut conclure du 5. 7. 8. et 9. liure des Elemens, l'on en trouuera la methode dans le 21. chapitre de l'Algebre de Clauius; et si l'on veut comprendre tout ce qu'il a dans ses 32. chapitres auec le 10. d'Euclide, et le Dipahante, l'on aura plus de connoissance des nombres, et de tout ce qui appartient à leurs raisons et analogies, qu'il n'en faut pour la Musique, ou pour l'vsage de la vie presente.
[-61-] PROPOSITION XVIII.
Si les corps pesans deuiennent d'autant plus legers qu'ils sont plus proches du centre de la terre, rechercher quelle en est la raison.
SI vn corps pesant, par exemple, vne bale de plomb d'vne liure, deuient d'autant plus legere qu'elle s'approche dauantage du centre de la terre: et si elle ne pese plus rien lors qu'elle se ioint audit centre, comme conclud Monsieur de Beaugrand dans sa Geostatique, où il tient que la pesanteur de chaque corps se diminuë en mesme raison qu'il s'approche dauantage du centre de la terre, et que mesme toute la terre ne pese point, l'on peut s'imaginer qu'il est fort aisé de la transporter dans vn autre lieu auec peu de force, et que les grandes machines d'Archimede ne sont pas necessaires pour ce sujet. L'on pourroit encore, ce semble, inferer que les poids qui tombent vers le centre, n'augmenteroient pas tousiours leur vitesse iusques au centre, en mesme proportion qu'ils l'augmentent en tombant de 147. pieds de haut, comme nous auons dit dans le 2. liure des Mouuemens, et ailleurs: et qu'ils allentiroient leur mouuement iusques à leur repos dans le centre de la terre, par delà lequel ils ne passeroient pas; si nous n'auions vn exemple au contraire des bales attachées à vn filet, lesquelles passent souuent par delà leur centre ou leur ligne de direction, auant que de s'y reposer, comme i'ay dit dans le mesme liure: quoy que l'on puisse dire que ce centre n'est pas semblable à celuy de la terre, et que la bale ne s'y repose que par force, ne pouuant tomber suiuant son inclination naturelle. Or si les pesanteurs se diminüent selon la raison precedente, l'on peut dire que cette diminution se fait à cause de l'attraction de toutes les parties de la terre, laquelle a deux hemispheres, dont l'vn tire d'vn costé, et l'autre de l'autre:
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 61; text: A, B, C] [MERHU3_8 03GF]
par exemple, soit le diametre de la terre AC, et le centre B: et que lors que le poids A est en A, il soit attiré de toute la terre AC, quand il sera descendu en B, il sera également attiré des deux costez par les deux hemispheres BA, et BC, et par consequent il ne pourra aller d'vn costé ny d'autre. Quoy qu'il en soit, il semble qu'il n'est pas dans la puissance des hommes de demonstrer si la terre est si facile à mouuoir et à transporter en tel endroit de l'air que l'on voudra, qu'il ne faut qu'à vaincre la resistance de l'air qui l'enuironne, ou si elle est si ferme et si stable dans le lieu que Dieu luy a donné, qu'elle n'en puisse estre ébranlée par nulle force creée. Or puis que Monsieur Fermat Conseiller au Parlement de Tholose, et tres-excellent Geometre, m'a donné le raisonnement qu'il a fait sur les differentes pesanteurs des poids, suiuant qu'ils approchent dauantage du centre, et que si cette position est veritable, l'on puisse donner vn lieu dans l'air, auquel le poids d'vne liure ne pesera qu'vn grain, comme il arriuera lors qu'il y aura mesme raison des deux distances du centre d'auec le poids, que d'vn à 9216. car il y a autant de grains dans vne liure; et par consequent le poids qui pese vne liure sur la terre ne peseroit qu'vn grain, s'il n'estoit éloigné que de 310. toises du centre de la terre; et si le poids n'en estoit éloigné que d'vne toise, il ne peseroit que la 310. partie d'vn grain; ie veux faire part au public de ses pensées sur ce sujet.
[-62-] Soit done le centre de la terre dans la ligne droite AC, au point B, le demi-diametre BA; et BC soit vne portion de l'autre demi-diametre.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 62,1; text: A, B, C, N] [MERHU3_8 03GF]
Et que le poids attaché au point C, soit au poids attaché au point A, comme AB à BC, ie dis que les poids A, C seront en equilibre. Cecy estant posé, il en déduit la conclusion precedente, à sçauoir que la pesanteur d'vn corps est d'autant moindre, qu'il s'approche dauantage du centre de la terre; d'où il s'ensuit que ce qui pese vne liure dans le grenier, est plus leger dans la caue, quoy qu'il semble impossible d'en faire l'experience, encor que lon eust vne tour haute de cent toises, parce que le poids d'vne liure ne seroit plus leger que de 1/28525 au bas de la tour, c'est à dire, que d'vn grain et demi ou enuiron. Car bien qu'on eust des balances assez iustes pour trebucher auec vn grain et demi ajoûtez, ou ostez, neantmoins l'on pourroit tousiours se deffier de cette iustesse: quoy qu'il en soit, ie mets icy le raisonnement entier de Monsieur Fermat.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 62,2; text: A, B, C, N, R] [MERHU3_8 03GF]
Soit donc mis le poids entre A et B au point N, et comme A est à BN, ainsi soit le poids N, à la puissance R. ie dis que le poids N, ioint à BA par la ligne BA, est detenu par la puissance R mise au point A, et que si l'on augmente tant soit peu la puissance R, elle l'enleuera; par consequent il faut vne puissance d'autant moindre pour l'enleuer, qu'il approche dauantage du centre de la terre.
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 62,3; text: A, B, C, D, R] [MERHU3_8 03GF]
Ce qu'il demonstre en cette façon: que C soit le centre de la terre, le demi-diametre CA, auquel soit pris le point B, dans lequel le poids attaché soit à la puissance R, comme AC à CB; ie dis que le poids B est soustenu par la puissance R mise en A, laquelle l'enleuera, pour peu qu'on l'augmente. Car soit prolongé AC iusques à D, et que CD soit égal à CB, et que l'on mette vn poids en D égal au poids B, C sera le centre de pesanteur du corps composé des deux poids B et D, c'est pourquoy si du point A l'on oste la puissance R, les poids B et D demeureront en equilibre, puis que la ligne BA ne pese point. Et si l'on met le poids en A qui tende en bas, égal à la puissance R, qui tend en haut, l'on fait la mesme chose que si du point A l'on ostoit la puissance R, puis que le poids abbaisse autant comme la puissance enleue.
Que ce poids soit donc mis en A, donc le corps composé de la puissance R posée en A, et tendant en haut, du poids A tendant en bas, et des poids B et D demeurera en equilibre. Or puis que le poids D est égal au poids B, et que la ligne CD est égale à la ligne CB, AC est à CB comme AC à CD, et comme le poids B est à la puissance R mise en A, ainsi le poids D au poids mis en A qui tend en bas, (lequel on suppose égal à la puissance R.) Or comme AC est à CB, ainsi le poids B à la puissance R posée en A, donc comme AC à CD, ainsi le poids D au poids mis en A. Et par consequent le poids mis en A sera en equilibre auec le poids D, puis que les distances sont en proportion reciproque des poids. Mais si l'on oste des poids qui sont equilibres d'autres poids qui sont aussi en equilibre, ceux qui resteront demeureront encore en equilibre, donc si de l'equilibre fait de la puissance R, mise en A, et tendant en haut, du poids mis en A, tendant en bas, et des poids B et D, l'on oste l'equilibre fait des poids A et D, les poids qui resteront demeureront en equilibre.
Soient donc ostez les poids A et D, la puissance R mise en A, et le poids B [-63-] demeureront en equilibre, et partant pour peu que l'on augmente la puissance R, elle enleuera le poids B: ce qu'il falloit demonstrer.
En effet, si l'on considere les poids attachez à vn fleau de balance, dont le centre de la terre soit l'appuy, la demonstration semble conuaincre: mais parce que deux corps pesans qui ne sont ioints par aucun fleau, et qui ne dépendent nullement l'vn de l'autre, ne font pas vn seul corps, ou vne seule masse, dont on puisse prendre le centre de pesanteur, ie ne voy pas la force de cette demonstration, parce que si l'on s'imagine deux corps pesans dans l'air, qui ne tiennent à rien, par exemple les corps A et B, ie ne voy pas qu'ils doiuent estre considerez comme s'ils estoient conjoints et vnis ensemble par le moyen de quelque ligne, qui aille depuis A iusques au centre de la terre C:
[Mersenne, L'Vtilité de l'Harmonie, 63; text: A, B, C] [MERHU3_8 03GF]
de sorte qu'il semble qu'il n'y ait rien qui empesche que le poids B ne pese autant en B, ou dans vn autre point pris entre B et C, comme il pese en A, quoy que i'espere que celuy qui en a le premier auancé la proposition, nous donnera telle satisfaction sur ce sujet, que l'on n'y trouuera plus de difficulté, comme il promet dans sa Geostatique. Ceux qui considerent vn centre particulier de pesanteur dans chaque partie d'vn corps proposé, et qui donnent vne inclination particuliere à chaque point dudit corps pour descendre au centre des corps pesans (que l'on suppose estre le mesme que celuy de la terre) prouuent par vne autre voye, qui me semble meilleure, que les poids deuiennent plus legers, ou pesent moins en s'approchant dudit centre, mais non en mesme proportion qu'ils s'en approchent: par exemple, si vn poids estoit éleué depuis la surface de la terre iusques à la Lune, il peseroit dauantage, mais ce ne seroit pas d'vn quart; au lieu que dans l'autre opinion il peseroit 60. fois dauantage, si la Lune est éloignée de nous 60. fois autant qu'il y a d'icy au centre de la terre. Mais parce que l'autre differente pesanteur vient des angles differents faits par chaque point du corps proposé, (à raison de la ligne droite, par laquelle il veut descendre au centre de la terre) auec la ligne qui trauerse le centre de pesanteur dudit corps, ou qui luy est parallele, il s'ensuit que si le poids est consideré comme vn point, c'est à dire, que si l'on considere vn point qui ait de la pesanteur, il aura tousiours la mesme pesanteur pres ou loin du centre de la terre; ce qui n'arriue pas dans l'autre opinion, dans laquelle ce point deuient plus leger en mesme raison qu'il s'approche du centre, comme fait le corps pesant. Or l'on peut entendre la force de la raison, qui donne des puissances inégales à chaque point d'vn poids proposé pour descendre au centre de la terre, par ce qui a esté demonstré dans le traité des Mechaniques, qui est à la fin du 3. liure des Mouuemens.
I'ajoûte seulement que le poids attaché et suspendu au bout d'vn filet, n'ayant besoin d'aucune force pour estre soustenu dans sa ligne de direction, outre ledit filet qui le soustient, et pesant tousiours d'autant plus qu'il est plus éloigné de cette ligne, semble conclure que chaque poids ne doit plus rien peser au centre des choses pesantes, et qu'il est d'autant plus pesant qu'il s'en éloigne dauantage. Quoy qu'il en soit, les Predicateurs peuuent tirer des moralitez de l'vne et l'autre opinion, car si les poids s'appesantissent à proportion qu'ils approchent de leur centre, comme nous voyons en effet qu'ils hastent leur course, ils s'en seruiront pour monstrer que l'ame se porte d'autant [-64-] plus ardemment à Dieu, qu'ils le connoissent et l'aiment dauantage; et s'ils deuiennent plus legers, ils diront que l'ame est d'autant plus dégagée de la matiere, et de ce qui l'empesche icy, qu'elle s'approche dauantage de Dieu, et cetera.
Fautes de l'impression, et plusieurs Auis pour les mouuemens et portées du Canon.
DAns la 1. Preface generale, page 14. lisez deuance.
page 4. ligne 1. nombre de la 1. colomne doit estre 71.
page 5. ligne 8. noms pour nations.
page 6. les seconds nombres doiuent estre vis à vis de l'entredeux des premiers comme est 56.
ligne 25. apres que ajoûtez de. ligne derniere, simple.
page 10. ligne 2. et ailleurs Racquet.
Au liure de l'Orgue.
page 370. ligne 8. pour deux pieds lisez demi pied.
lignes 27. et 29. pour ouuerts lisez bouchez.
page 371. ligne 25. ajoûtez et en G, re. de 4. poulces.
Au liure des Instrumens de percussion.
page 11. au 1. nombre de la 3. colomne ajoûtez 4. apres 3.
page 16. ligne 16. ostez la diese d'entre vt et ré.
page 17. accommodez les nombres au discours.
page 20. 4. ligne pres de la fin dans pour de.
page 28. ligne 35. la cloche pour celle.
page 63. ligne 5. pres de la fin Perron.
page 65. ligne 5. pres de la fin Monteuerde.
page 73. 5. ligne pres de la fin ajoûtez.
page 76. ligne derniere faute.
Au liure de l'vtilité de l'Harmonie;
page 42. 4. ligne pres de la fin, est pour ne soit.
page 60. ligne 3. vers la fin. Diophante.
Il faut maintenant remarquer plusieurs choses touchant les portées et la force du Canon, et des autres armes à feu, et premierement qu'outre ce que i'ay dit de la grande portée morte de 45. degrez d'éleuation, à sçauoir qu'elle est decuple de celle de blanc en blanc, ou à niueau, comme Michel Coignet asseure dans son traité du Canon, le sieur Gallé m'a asseuré qu'elle est souuent duodecuple, de sorte que la portée de niueau d'vne arquebuse estant de cent toises, celle de 45. degrez doit estre de 1200. toises; ce que ie n'ay pas trouué, comme i'ay dit dans le 3. Aduertissement de la 7. Proposition soit que ces petites bales ne gardent pas la mesme proportion que celle du Canon, à raison des differentes resistences de l'air à l'égard des differents volumes des bales, ou que leurs obseruations ayent esté mieux faites que les miennes.
En second lieu, il semble que la table des differentes portées du Canon de la 6. Proposition soit fort estrange, particulierement lors que la portée morte de niueau est mise de 653. pas, c'est à dire, plus que double de celle de blanc en blanc, laquelle est supposée de 280. de sorte qu'elle le contient deux fois, et de plus cent pas: mais il ne dit pas de quelle hauteur la piece est tirée, ce qu'il est necessaire d'obseruer; le sieur Gallé dit qu'estant tirée de 6. pieds de hauteur, sa portée morte est double de celle de blanc en blanc à peu pres. Il faudroit obseruer de combien elle deuient plus grande à proportion que l'on tire de plus haut, par exemple, de 2. 4. 8. 20. toises, et cetera puis que l'on tient que cette portée est plus grande, à mesure que l'éleuation de la piece est plus grande. Or si la portée morte est double de celle de blanc en blanc, elle doit du moins employer deux fois autant de temps qu'elle, c'est à dire trois secondes minutes: ce qui ne semble pas arriuer sur les estangs, sur lesquels on tire à niueau, et qui sont plus propres à cela que les riuieres qui panchent du costé qu'elles coulent, ce qui empesche que leur eau soit horizontale, car encore qu'on les puisse niueler pour en soustraire la pente, neantmoins il vaut mieux se seruir des estangs qui prennent leur niueau d'eux mesmes.
Troisiesmement, il semble encore que la portée de point en blanc deuroit estre égale à toute sorte d'éleuation sur le quart de cercle, puis que c'est le mesme air que la bale doit penetrer, et la mesme force de la poudre, et toutefois cette portée est d'autant plus longue, que l'on tire à vn plus grand angle sur l'horison: car si les Auteurs susdits ont bien obserué, la portée de point en blanc de 45. degrez est de 1160. pas, c'est à dire, quatre fois plus longue que la portée horizontale de point en blanc, et 40. pas de plus, comme l'on void à la table de la 39. page de ce liure: et le sieur Gallé dit qu'elle est à peu pres 4. fois et demie plus longue; et si l'on tire à 46. 47. 48. degrez, et cetera iusques au 90. qui donne l'éleuation perpendiculaire à l'horizon, cette portée deuient tousiours plus longue, iusques à ce que la perpendiculaire n'aye autre chose que son trait droit, supposé qu'il n'y ait point de vent qui face decliner la bale: de sorte que l'on peut dire que cette portée perpendiculaire est quasi égale à la portée morte de 45. degrez; ce qui respond aux obseruations du 3. Aduertissement de la 7. Proposition Or si cette portée morte de 45. est de 2800. pas, c'est à dire, decuple de l'horizontale à niueau, ou vn peu plus que quadruple de la morte à niueau, suiuant la table precedente, il s'ensuit que le chemin, ou la soustendüe de la courbure de la portée de 45. degrez, est de 1640. pas, c'est à dire, qu'elle surpasse le trait droit de la portée de 45. de pres de 500. pas.
Il est aisé de supputer en combien de temps la bale monte ou descend, lors qu'on suppose la longueur de sa portée perpendiculaire, comme i'ay dit dans la 6. Proposition ce que ie monstre encore icy en vsant des obseruations de la table qui y est. Soit donc la portée perpendiculaire égale à la morte du 6. point, comme ie suppose maintenant, quoy qu'il en soit en effet et en verité, laquelle on trouuera en faisant les experiences necessaires pour ce sujet: la bale montera donc 2800. pas, lesquels nous prendrons icy pour toises, quoy que chaque pas soit beaucoup plus court que nostre toise, si Coignet a composé son pas Geometric de 5. pieds du pays bas, puis que ce pied est plus court que le nostre d'vne 6. partie ou enuiron; et s'il s'est seruy du pied Romain, il est du moins plus court que le nostre d'vne onziesme partie; ioint que nostre toise est composée de six de nos pieds. C'est pourquoy ie diminuë vn peu le nombre de ces toises, en supposant cette portée perpendiculaire de 2392. toises: et dis que la bale emploira 36. secondes minutes à monter, et autant à descendre, puis que les corps pesans qui descendent de 2392. toises employent 36. secondes, suiuant nos obseruations expliquées [-66-] dans la premiere Proposition du 2. liure des Mouuemens. Or le boulet de 44. liures du Canon Imperial doit estre aussi long temps à monter, et semblablement à descendre, si son trait perpendiculaire est de 2392. toises.
Quatriesmement, i'explique icy la maniere la plus aisée de toutes celles qui nous sont possibles, pour trouuer combien chaque bale, fleche, ou autre missile monte en haut perpendiculairement, laquelle consiste seulement à tenir nostre horloge à seconde, ou telle autre qu'on voudra dans la main, et à conter le nombre de ses tours, dont la moitié estant quarrée donne le nombre des toises, ou des pieds que le missile a fait en montant ou en descendant: par exemple, si l'on trouue 30. secondes minutes ou tours d'horloge depuis la sortie de la bale iusques à sa cheute, il en faut prendre 15. dont le quarré 225. enseigne que la bale a descendu de 225. mesures, dont chacune est égale à la mesure, ou à l'espace qu'elle fait dans le temps d'vne seconde minute, c'est à dire, à 2. toises, ou à 12. pieds, car la bale de plomb ou de fer tombant seulement de. 12. pieds de haut, employe vne seconde dans cette cheute, comme i'ay desia remarqué dans ledit liure des Mouuemens. D'où il s'en suit que les 225. mesures precedentes faites par la descente de la bale en 15. secondes, doiuent estre doublées ou multipliées par 2. si l'on veut auoir le chemin de sa cheute en toises, ou par 12. si on la desire en pieds.
En 5. lieu, parce que l'on peut douter s'il reste quelque partie de l'impression violente qui a precedé dans la bale qui descend, et si cette partie retarde sa cheute naturelle, et de combien; et de plus, si elle garde tousiours la mesme proportion dont nous auons parlé, en augmentant sa vitesse en raison doublee des temps, il seroit à propos d'éprouuer cecy par le moyen de quelques montagnes fort hautes, ou des fosses à hoüille et à charbon, car si la bale ou la fleche retombe aussi viste apres auoir esté tirée, comme elle tombe lors qu'on la laisse simplement cheoir auec la main, l'impression violente n'y change rien: et si elle descend desdites 225. mesures dans 15. secondes, sa vitesse s'augmente tousiours suiuant la proportion que nous auons obseruée iusques à 147. pieds de haut. Or la grande vitesse de la bale qui descend est cause qu'elle a de grands effets, car le sieur Gallé m'a dit que les bales de mousquet percent des plaques de cuiure de l'espesseur de deux lignes, ou d'vne sixiesme partie de pied de Roy, lors qu'elles retombent apres auoir esté tirées perpendiculairement, ce que nous pouuons examiner en cette façon: Il est certain que si la bale de mousquet employe 30. secondes à monter et à descendre, qu'elle en emploira 15. à descendre, et qu'elle montera 450. toises en haut, par consequent elle fera 29. toises et demie dans la derniere seconde minute de sa cheute, comme l'on void à la table de la 101. page du liure des Mouuemens. Mais parce que cette montée ne seroit pas quintuple de la portée horizontale de blanc en blanc, comme monstrent nos obseruations qui ne tesmoignent pas qu'elle soit plus que triple, ou tout au plus quadruple, ie la mets plus grande, en faueur de ce que disent les autres qui ont traité du Canon, et pour ce sujet ie suppose que la bale monte perpendiculairement 1152. toises, afin que ce traict soit quasi decuple de la portée à niueau de blanc en blanc du mousquet, que l'on tient estre de 120. toises; d'où il s'ensuit qu'elle employra 48. secondes depuis sa sortie de la bouche iusques à sa cheute, et qu'en en prenant la moitié, c'est à dire, 24. pour le temps de sa cheute, elle fera 94. toises dans la derniere seconde de sa cheute, c'est à dire, qu'elle [-67-] tombera quasi de 3. fois aussi haut que les tours de Nostre-Dame de Paris dans le temps que le poux ou l'artere bat vne fois: d'où il est aisé de conclure qu'elle ira aussi viste qu'à la sortie du mousquet, quoy que cela semble prodigieux. Mais si elle ne monte que 450. toises, suiuant le premier exemple elle ira trois ou quatre fois plus lentement qu'à la sortie de l'arquebuse. Ceux qui desirent auoir le plaisir de ces obseruations, les doiuent faire sur vne riuiere, ou sur vn estang fort large, autrement ils n'apperceuront pas tomber les bales, à raison de leur écart. Mais il seroit à propos d'experimenter contre quelque haute montagne bien droite le temps qu'employe la bale à sa portée de blanc en blanc de 45. degrez, et supposé qu'elle soit quadruple de la portée à niueau, par exemple de 400. toises, et que celle de niueau dure vne seconde, si elle en dure 4. ou si elle diminuëra sa vitesse en mesme raison qu'elle l'augmente en retombant.
En 6. lieu, si l'on fait reflexion sur toutes sortes de mouuemens qui se font sur les plans inclinez à l'orison, soit en ligne droite ou courbe, soit que les poids roulent sans estre attachez, ou qu'ils soient soustenus par vne chorde, l'on trouuera tousiours que leur recheutes au retour naturel se fait dans vn temps égal à celuy de leur mouuement violent, ce qui suffisoit pour faire conclure la mesme chose du perpendiculaire. D'où l'on peut conclure qu'il y a certain equilibre dans toute la nature que l'on ne sçauroit oster, quelque force et industrie que l'on y puisse apporter, comme l'on experimente dans l'equilibre de Siphon, et dans toutes sortes de forces mouuantes qui ne permettent pas que l'on augmente la force, si quant et quant l'on n'augmente le temps. Ce que l'on tient aussi pour vn axiome ou vne maxime dans la vie spirituelle des Chrestiens, qui s'approchent d'autant plus de Dieu qu'ils s'éloignent dauantage des creatures; ce qui a peut estre causé en partie qu'vn excellent homme de nostre temps a mis nostre liberté dans le dégagement de toutes sortes de creatures, croyant que nous ne sommes iamais plus libres que lors que nous nous portons à la derniere fin, sans aucune reflexion ou regard sur les creatures.
En 7. lieu, il est à propos de remarquer la force et les effets des bales du Canon de batterie, afin de les comparer auec ceux qu'il a lors qu'il retombe perpendiculairement. Or les épreuues qui ont esté faites en presence du Comte Buquoy, monstrent que ces bales entrent 17. ou 18. pieds dans les ouurages nouuellement faits de terre et de fascines; et le sieur Gallé asseure qu'il perce de 18. à 22. pieds la terre nouuellement remüée, ou le sable reposé: en terre ferme rassise et grasse, de 10. à 14. pieds: en argille battuë et serrée, de 9. à 12: en terre à potier seiche, et affermie, de 7. à 10. dans les murailles de brique moyennement cuite, ou de tusse, pierre ponce, et cetera de 4. à 6. pieds; et dans celles de pierre dure, comme de marbre, de grez, et d'autres pierres qui tiennent du caillou, de 2. à quatre pieds, lors que l'on tire la 1. espece de Canon de 800 à 1200. pieds, qui reuiennent à 150. ou 200. de nos toises ou enuiron. Pour les bales de laine, il en perce 3. Ie laisse plusieurs autres choses qui concernent les Canons, dont on peut faire vne philosophie particuliere, par exemple, de combien ils tirent plus loin sur la terre que sur la mer, estant liez et arrestez, que faisant leur recul, et cetera car quant aux 8. coups qu'il peut tirer par heure, aux frais de la poudre, et des officiers qui le gouuernent, [-68-] aux distances des batteries, et à tout ce qui concerne la Milice, plusieurs en ont fait des traitez entiers.
Or auant que de finir ces aduertissemens, ie veux ajoûter les obseruations de Monsieur Gallé excellent Ingenieur, et Mathematicien, parce qu'il y a apporté plus de soin que nul autre que ie sçache. Ayant donc vsé d'vn perrier ou mortier, qui portoit huict liures de bales de fer, et dont la chambre contenoit six onces de poudre de mousquet, il trouua l'an 1622. en presence du sieur Mortagne General du Canon, que sa portée morte de niueau estoit de 529. pieds, dont chacun reuient à 10. lignes et demie ou enuiron de nostre pied de Roy, et ayant tiré douze autres coups depuis le 5. degré iusques au 45. il a remarqué que les portées mortes suiuirent les nombres de cette table.
Portées mortes. Degrez. Pieds. 5. 960. 10. 1340. 15. 1669. 20. 1949. 25. 2178. 30. 2359. 35. 2490. 40. 2569 1/2 45. 2600. 50. 2570. 55. 2491. 60. 2361.
Ayant ajusté la mesme piece à 85. degrez, il trouua sa portée de 952. pieds. Quant aux autres degrez, puis qu'il ne les a pas essayez, ie ne mets pas la table proportionnelle qu'il a faite depuis vn degré iusques au 90. laquelle ie feray voir à ceux qui la desireront.
Il a encore fait vn autre essay d'vn quart de Canon, lequel merite d'estre consideré; car l'ayant éleué de 5. pieds de haut sur l'orizon, comme le mortier precedent, il a trouué le long du Rhin, que sa portée morte de niueau, en empeschant sa reculée, estoit de 3368. pieds, et sa plus grande de 45. degrez, de 16850. c'est à dire, cinq fois plus grande ou enuiron: que la mesme piece tirant de niueau auec reculée, a sa portée de 2803. pieds, c'est à dire, enuiron la sixiesme partie de la plus grande portée, de sorte que la portée à niueau sans recul est plus grande d'vne sixiesme partie qu'auec reculigne
Il a encore obserué que la portée de point en blanc du mousquet est à sa portée morte comme 4. à 7. et partant que la portée de niueau de point en blanc de la mesme piece, auec reculée, est de 1605. car 7. est à 4. comme 2803. à 1602. et sans reculée, qu'elle doit estre par raison de 1925. pieds: de sorte que la portée de point en blanc auec reculée est à la morte de 45. sans reculée, comme 1. à 10 1/2. et la portée de point en blanc sans reculée à la morte de 45. sans reculée, comme 1 à 8 1/4. La mesme piece tirant auec reculée à 45. degrez porte 15883. pieds, tellement que la portée morte de niueau auec reculée est à la morte de 45. auec reculée comme 1. à 5 2/3. et la portée de point en blanc auec reculée, à la plus grande portée auec reculée, comme 1. à 9 4/5.
Lors que i'auray fait les obseruations necessaires pour regler plus particulierement tout ce qui appartient à ce sujet, i'en feray part à ceux qui les desireront.
FIN.