TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

Data entry: Alexis Witt
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Fn and Ft: PERPRE TEXT
Author: Perrault, Claude
Title: Preface
Source: Du Bruit. Et de la Musique des anciens. Extraits des OEuvres diverses de physique et de mécanique (Tome 2) (Leide: Pierre Vander, 1721; reprint ed. Genève: Minkoff, 2003), 575-591.

[-576-] PREFACE

Il y a quelques jours qu'estant allé a l'opera pour voir la representation des Amours d'Apollon et de Climene, je ne pus auoir place que dans le parterre, où je fus fort pressé. Cette incommodité ne m'empécha pas de prendre beaucoup de plaisir à cet admirable Spectacle; Mais elle me fit resoudre à y retourner vne seconde fois de meilleure heure, afin de me pouuoir placer dans l'amphitheatre. La pièce ne commença que fort tard, parce qu'il fallut attendre vn grand prince; et cette longue attente ne m'auroit gueres moins ennuyé que la foule du parterre, si je n'eusse esté diuerti par l'entretien de deux personnes qui estoient assises deuant moy. Le sujet de leur entretien qui estoit d'vne chose dont ils estoient en contestation, me plut à l'abord, et me donna tant d'attention, que mon oreille ne laissa échaper aucune de leurs paroles, et ma memoire les conserua assez fidelement pour me representer tout ce qu'ils auoient dit, lors qu'estant de retour, je voulus essayer si je pourrois le mettre par escrit.

Ces deux personnes qui m'estoient inconnües et dont j'apellerai l'un paleologue et l'autre philalethe auoient des caracteres differens. Celuy que j'apelle paleologue paroissoit graue, plein de faste et fort persuadé qu'il ny auoit point de replique à tout ce qu'il [-577-] disoit. Philalethe auoit moins d'affectation, et outre que son discours n'étoit point orné des manieres de parler que l'on appelle du bel usage, son air qui le faisait parestre vn homme froid ne luy donnoit guere d'authorité enuers ceux qui n'auoient pas toute l'attention et toute la capacité necessaires pour estre conuaincus par ses raisons. Cela faisoit que quantité de personnes qui écoutoient comme moy la dispute, ne paroissoient point si bien se diuertir, que quand paleologue parloit, qui auoit les applaudissemens de tout le monde.

Lors que j'arriuai, il s'estoit éleué vn éclat de rire sur quelque chose que paleologue auoit dit, et m'estant enquis de celuy aupres de qui je me plaçois, quel estoit le suiect de cette risée, il me dit que l'on poussoit vn peu fortement cet homme, en me montrant philalethe; ce qu'il me dit à la dérobée, et comme ayant regret de perdre quelqu'vne des paroles de paleologue, à qui néantmoins je remarquai que la risée auoit causé plus de confusion qu'à philalethe, qui auoit ri auec les anes; mais ce n'auoit esté que de voir rire d'une chose dont la froideur luy faisoit pitié, et qu'il preuoisoit bien ne deuoir pas fort rejouir paleologue, qui tout preuenu quil estoit d'une grande opinion de luy mesme, auoit neanmoins le goût vn peu meilleur que ses auditeurs; et en effet il me parut honteux du succez de sa raillerie; cela fit que la conuersation fut continuée avec plus de retenuë. J'oüis donc que philalethe prenant la parolle sans respondre à la raillerie; il faut que je vous auoüe, dit il, que je ne m'estois point enquis qui estoit l'Auteur ni de la Musique, ni des vers de cette pièce, et que j'en auois vù la première representation, sans scauoir qui estoit l'inuenteur des Machines: car je n'estois en peine que de scauoir comment on pouuoit faire reüssir des choses si surprenantes. Et moi, interrompit paleologue, je vous declare que je n'ay point eu d'autre etonnement que de voir admirer si peu de chose, par des gens qui ont veû les Opera d'Italie, apres quoy l'on dit qu'il est impossible de prendre plaisir à ceux qui se font en France.

Il est vray dit philalethe que la premiere fois que je vis vn Opera à Venise, je trouuay cette sorte de Spectacle fort agreable, tant par l'excellence de la Musique, que par la beauté des decorations et des Machines qui estoient des choses dont nous n'auions point l'vsage en France dans nos Theatres. Mais je ne jugeai point que nostre nation fust incapable de reüssir dans ces sortes de choses Il y auoit longtemps que j'auois lû vn Liure imprimé il y a pres de cent ans, qui est la relation d'un Opera joüé deuant Henri III et [-578-] la Reine Catherine de Medicis aux noces du duc de joyeuse, où la Musique et les figures des decorations et des Machines sont imprimées, auec les noms des Musiciens, des Peintres, des Ingénieurs, et de ceux qui auoient inuenté et conduit toute la piece, qui se trouuent estre tous francois comme dans celle que l'on nous doit reputer aujourdhuy.

C'estoit donc vn piteux spectacle dit paleologue: car il fault que vous scachiez que la mesme difference qui se trouue entre les choses diuines et inimitables que l'Antiquité a fait voir autrefois, et tout ce que nostre siècle est capable de produire, la mesme différence, dis-je, pour ce qui est des Sciences et des Arts se voit entre les Italiens et les François. Je le croy, dit philalethe, mais ce n'est pas au sens que vous l'entendez: je veux dire que j'estime qu'il ny a rien entre nostre siècle et l'antiquité, non plus qu'entre nostre nation et l'Italienne, qui fasse vne difference auantageuse à l'antiquité et l'Italie, que d'auoir esté les premiers a faire et a penser certaines choses.

Ne contez vous pour rien, reprit paleologue, d'estre l'auteur, l'inuenteur et comme le createur d'vne chose? Je ne dis pas respondit philalethe, que ce ne soit rien: au contraire je reconnois qu'il faut ordinairement plus de capacité et de genie pour inuenter que pour perfectionner: mais je ne demeure pas d'accord que cela soit tousjours absolument vray; Car je tiens que cela ne l'est qu'aux choses qu'on a reconnu difficiles à trouuer, à cause des efforts que plusieurs esprits éclairez ont fait inutilement pour les découurir, et non pas pour celles qui quoy que belles et admirables sont tellement claires de leur nature et si faciles à rencontrer qu'il n'y a pas plus de gloire à estre le premier à les inuenter ou à les penser, qu'il y en a à estre le premier à voir le soleil quand il se leue, à trouuer vne fontaine qui sort d'un rocher depuis la création du monde, ou à ceüilllir les fleurs qui naissent naturellement dans les prez; Cependant les admirateurs de l'antiquité adorent ses ecriuains, à cause des belles choses qu'ils lisent dans leurs ouurages. comme s'ils estoient assurez que des pensees ausquelles cent rencontres peuuent donner occasion tous les jours. ne seroient jamais tombees dans l'esprit de personne, si ces grands hommes ne les auoient produites. Et l'on ne considere pas que tout le merite de ces choses ne consiste que dans la grace de l'expression, quand elle est heureusement jointe auec le bon sens: Car, je vous prie, est ce vne reflexion fort difficile à faire, que personne n'est content de sa condition? et cette pensée vous paroît elle exprimée fort admirablement [-579-] par le plus poli de tous les anciens Satyriques, quand il introduit Jupiter qui permet au Marchand de quitter son trafic pour aller à la guerre, et au Jurisconsulte d'aller mener la charruë; et qu'il fait faire à ce dieu des apostrophes et des grimasses ou je ne voy ny finesse ny bon sens, et pour vous dire ingenuement ma pensée qui me semblent vn peu fades pour ne pas dire ridicules.

En vérité, reprit grauement paleologue; Je vous admire! mais permettez moy de vous dire que c'est vous mesme qui aprestez a rire à tout le monde et qu'Horace estant reconu pour le plus poly des anciens, comme vous auoüez vous mesme, personne ne sera jamais persuadé, qu'il y ait rien dans les ouurages d'vn si grand personnage qui puisse estre repris que par ceux qui n'ont pas le goust assez bon pour en connoistre le merite. Car enfin il fault considerer que pour bien juger des choses on doit auoir égard au temps dans lequel elles sont faites, et ne trouuer pas mauuais ce qui plaisoit à tout le monde au temps qu'il a esté écrit; parce que les manieres changent, et les goûts sont differens selon les temps.

Je suis d'accord auec vous de tout cela reprit philalethe, si vous voulez dire que les ouurages des Anciens estoient bons pour vn temps, ou le goût n'auoit pas encore assez de delicatesse pour sentir les défauts qui y estoient. Car je ne croi pas que vous pretendiez que le bon sens, qui est ce que vous appelez le goût, et qui est la veritable regle du prix des ouurages, soit vne chose qui change selon les temps, ou qui doiue estre comparée au goût du palais et de la langue qui ne juge que des choses dont la bonté n'est fondée sur aucune raison, mais sur le seul Instinc, qui les fait approuuer. On scait que le sens qui fait aimer par exemple l'aigre ou le salé, est d'vne autre nature que le sens qui fait aimer et rechercher par exemple la paix, que l'on ne peut pas dire estre aimable seulement, parce qu'elle plaist à ceux à qui elle plaist; mais qui a cent raisons qui font qu'on l'aime, et par lesquelles on peut conuaincre ceux qui ne l'aiment pas, qu'elle doit estre aimee et recherchee. Car comme le gout le plus souuent n'a point de raison qui doiue faire approuuer ou desaprouuer son choix, il peut changer lors que les dispositions qui estoient cause de cette sorte d'instinc sont changees, ainsi qu'il arrive aux enfans à qui le vin ne semble pas bon, et qui l'aiment dans la suitte: ou qui apres auoir esté nourris de laict, viennent à l'auoir en auersion. Mais les choses qui dépendent du bon sens...

Cela, interrompit paleologue n'est que trop bien entendu; vous voulez dire qu'on ne doit pas juger des vers, de la peinture, de la [-580-] Musique, et cetera, par le goût, c'est à dire par vn sentiment agreable ou dégoûtant dont on ne scait point la cause, mais par le jugement, qui connoist les choses parce qu'elles sont en elles mesmes; et que l'on ne peut pas dire estre droit et correct seulement, parce qu'il paroist tel à plusieurs personnes; mais parce qu'il l'est en effect et qu'il ne doit point, paroistre autre, qu'à ceux qui ne l'ont pas droict et correct.

Adioûtez, reprit philalethe, ou qui ne le veulent, ou s'il fault dire ainsy, qui ne l'osent pas auoir. Car vous deuez auoir remarqué qu'il arriue rarement et particulierement parmi nous autres francois, que l'on approuue ou que l'on reprenne quelque chose suiuant le jugement qu'on en fait de soy mesme; parce que la crainte que l'on a de se méprendre, et de s'exposer à la honte d'auoir approuué vn ouurage qui ne le mérite pas, fait qu'on employe tout le discernement dont on est capable, non à descouurir quelle est la valeur des choses, mais quel est le jugement qu'en font ceux que l'on croit s'y bien connoistre: comme s'il s'agissoit d'vne connoissance qui leur fust aussi particulier que celle des raretez d'vn pays étranger l'est à ceux qui en sont reuenus, à l'égard de ceux qui n'i ont pas esté; et comme si les regles que les sçauans ont établies du bien et du beau dans les ouurages, auoient d'autre fondement que le bon sens qui est commun à tout le monde. et qui est mesme assés souuent plus pur et plus correct dans les esprits qui n'ont point esté éleuez dans les lettres, que dans ceux qui ayant commencé à s'y adonner des leur jeunesse, se le sont laissé corrompre; estant aisé d'estre preuenu contre le bon sens en vn temps ou l'esprit est encore trop faible pour ne pas prendre le ply que les precepteurs luy donnent. Car depuis le temps d'Homere, où l'on s'étoit persuadé que l'esprit humain n'étoit pas capable de rien produire en poësie qui égalast les ouurages de ce grand personnage, comment se pouuoit il faire que l'on changeast de sentiment, supposé qu'il fust raisonnable d'en changer; je veux dire que l'on pust croire qu'il se trouuast des poëtes qui composassent quelque chose de meilleur? Les premiers qui ont eu cette bonne opinion d'Homere, auoient sujet de l'auoir; parce qu'en effet on ne voyoit rien de leur temps qui approchast de la beauté de l'Iliade et de l'Odyssée; Ceux qui sont venus ensuitte se sont trouuez engagez dans la mesme opinion par l'autorité de leurs Maistres et ils l'ont inspirée à leurs disciples par la mesme voye.

Il est aisé de demeurer d'accord de ce que vous dites, interrompit paleologue, et il n'est pas besoin de tant exagerer la [-581-] puissance de la preuention, personne ne vous contestera cette proposition en general; Mais je pretens vous faire voir que suiuant vos principes mesmes, vous étendez cette puissance beaucoup plus loin quelle ne doit aller.

Vous pretendez que dans ce siecle les esprits sont pouruûs d'vne lumiere qui les rend capables de faire des ouurages plus accomplis que ceux des Anciens; c'est à dire qu'ils employent pour cela vne sagesse, vn discernement, vn choix, vne penetration dans toutes choses, que ceux qui les ont precedez n'auoient pas. Je vous demande comment ils peuuent posseder tous ces auantages et ne pas s'apperceuoir des defaux que vous pretendez estre dans les ouurages des Anciens; ou s'ils les trouuent si imparfaits, comment il est possible qu'ils en parlent comme ils font; Car si vous interrogez sur ce sujet les plus scauans et les plus éclairez de nostre siecle en toutes sortes de professions ils vous declareront que les ouurages d'Homere, d'Euripide, de Michel Ange et enfin tout ce qui a esté fait deuant nous où il faut de l'esprit, du Jugement et du bons sens, est inimitable; bien loing de dire que les Modernes ayent rien produit qui approche de la perfection à laquelle les Anciens sont paruenus.

Paleologue prononça ce discours auec vne vehemence et vn air qui fit connoitre à tous ceux qui l'écoutoient qu'il estoit tres persuadé de la force de son objection ; ce qui fit éleuer vn murmure que philalethe interpreta à son desauantage, quoi qu'il ne se sentist pas conuaincu par vn raisonnement qui paroissoit si pressant au jugement de tous le reste de la compagnie.

Comme il se disposoit a respondre vn des écoutans voulut dire quelque chose pour appuyer et pour confirmer ce raisonnement qui luy plaisoit tant; mais paleologue l'empescha de continuer dans l'impatience où il estoit de triompher de son aduersaire, qu'il n'estimoit pas estre en estat de luy pouuoir répondre.

Philalethe poursuiuit neantmoins. Pouruû, dit-il, que vous receuiez mes principes, je suis content de vous accorder la conclusion que vous en tirez. Auoüez que les premiers et les plus celebres des poëtes, des Musiciens, et des peintres de nostre temps, font des ouurages exempts des defauts qui sont dans ceux d'Homere, d'Euripide, d'Aristoxene, de Jules Romain; et je croirai auec vous qu'il est bien difficile quils admirent les ouurages des Anciens, ainsi qu'ils en font profession.

Mais auouez vous mesme ajouta paleologue, qu'il est encore plus difficile de croire qu'estant persuadez que leurs ouurages [-582-] ualent mieux que ceux des Anciens ils affectent la louange d'estre modestes, Car je uoy bien que vous voulez aller la, et qu'ils preferent cette louange à vne gloire aussi grande et aussi éclatante qu'est celle de surpasser les Anciens; si cette gloire ainsi que vous le pretendez est en leur puissance.

Je ne voi point, dit philalethe, en l'estat où sont les ouurages de ce siecle, que ce leur soit vne si grande gloire que de surpasser ceux des Anciens, et d'estre exemps des defauts que l'on y voit en si grand nombre. Le murmure recommença à s'éleuer contre philalethe, tous les écoutans estant scandalisez de la maniere outréé auec laquelle il defendoit son opinion, et je ne pus m'empescher de luy temoigner mon sentiment ladessus en disant qu'il ne falloit pas faire tort a vne bonne cause, en la deffendant d'une maniere si odieuse; Que souuent les procedures gâtoient les affaires les meilleures dans le fond. Que les Esprits estant preuenus comme ils le sont, ce n'estoit pas vne bonne Rhetorique pour les faire reuenir, que de choquer si rudement, et mesme s'il faut ainsi dire, si inciuilement les opinions qui ne se déracinent que peu a peu. Qu'il falloit tousjours se défier de la malignité et de la mauuaise foy de ceux contre lesquels on dispute, et presumer que l'on n'aime point à estre conuaincu d'auoir esté dans vne fausse opinion. Qu'vne certaine foiblesse d'esprit dont peu de personnes sont exemptes faisoit chercher toutes sortes de moyens pour éuiter cette honte. Que de faire prendre le change estoit vn des moiens des plus ordinaires, en faisant le proces à la maniere de s'exprimer, lors que lon n'auoit plus rien a dire contre les raisons que lon ne pouuoit combattre. Qu'il y auoit vn exemple d'vne pareille imprudence qui depuis peu auoit fait perdre toute la force à vn traité qui a esté fait sur le suject dont il s'agit. Vous sçauez, dis-je, que bien que l'auteur ait prouué clairement que la poësie des Anciens n'est point compararable à la nostre, en marquant si distinctement vne infinité de défauts de toutes les natures dans leurs ouurages, qu'il ne fault auoir que le sens commun pour en estre conuaincu, et pour voir quil ne s'en rencontre point de tels dans nos ouurages; neantmoins parce que cet auteur (1) (1) a proposé ses propres ouurages pour exemple d'vne poësie exempte de tous ces défauts, tout le monde s'est écrié contre la vanité de l'Ecriuain, sans s'arrester à la solidité de l'éscrit, qui auroit peut estre esté reconuë et louée par tous les poëtes du temps, si l'on auoit apporté leurs poëmes pour exemple et pour modele de la perfection que l'on dit manquer à ceux des Anciens. [-583-] Il faut donc estre assuré que de mesme que la confiance que l'on a en la bonté de la cause que lon défend, empesche souuent de se donner de garde de s'emporter auec aigreur contre l'injustice et la mauuaise foi de son aduersaire, en disant les choses auec vn peu trop de force, cette mesme bonté de la cause dont l'aduersaire est persuadé, mais qu'il ne veut pas reconnoître, est ce qui l'irrite beaucoup plus que la maniere peu circonspecte auec laquelle l'on s'exprime.

Le Choeur des Auditeurs murmurans reprit encore, et dit que ce n'étoit point cela qui les auoit fait éleuer contre philalethe, mais seulement l'indignation qu'ils auoient de l'injustice et de l'outrage que l'on faisoit à l'Antiquité, qui doibt estre en veneration et qui l'a tousjours esté à ceux qui estoient capables d'en connoitre le merite.

Paleologue appaisa le bruit en disant; non il ne faut pas s'étonner que ceux qui sont pouruûs des belles lumieres dont le siecle d'aujourdhui est seul capable, auancent des propositions paradoxes et qui paroissent ridicules à ceux qui sont encore dans les tenebres qui ont fait broncher l'Antiquité et tomber dans des fautes si lourdes et en si grand nombre.

Ce que vous dites en raillant reprit philalethe, est pourtant uray à la lettre, du moins si vous en croyez les plus zelez et les plus éclairez des partisans de l'Antiquité; Car uous n'auez qu'à lire ce qui en est écrit dans les Reflexions sur la poetique d'Aristote, qui est un ouurage qui contient, s'il faut ainsi parler, la confession de foi de ceux qui reuerent auec tant de religion les mysteres de l'Antiquité. Vous verrez quils demeurent d'accord que les ouurages des anciens ont des puerilitez, des Bassesses, des Indecences, des froideurs, des negligences, des incongruitez, que l'on ne pardonneroit pas aux moindres de nos Auteurs. Vous n'auez aussi qu'a interroger quelqu'un des plus celebres de nos peintres sur les qualitez de quelque ancien Tableau dans lequel les ignorans mesme remarquent cent defauts: Car si uous luy demandez ce qu'il pense du Coloris, il uous dira que ce n'estoit pas le fort de ce peintre là. Si uous luy parlez du Dessein, il uous répondra qu'a la verité il n'y estoit pas fort correct. Si vous reprenez la drapperie, il demeurera d'accord qu'elle ne vaut rien; En suite il vous representera qu'il ne faut pas prendre garde à si peu de chose; et il vous auouera encore que ces grands Maistres negligeoient toutes ces vetilleries d'vnion, de degradation, de Reflex, de demi teintes, ausquelles nos peintres s'attachent, parce que ce sont des choses qui sont selon [-584-] leur portée, et dont ils ne feroient pas grand cas, s'ils pouuaient paruenir à ce grand et à ce merueilleux qui se voit dans l'Antiquité.

De sorte que si vous faites une recapitulation de tout ce qu'ils auront dit sur ce Tableau, vous trouuerez que ni le dessein, ni le coloris, ni la drapperie, ni toutes les autres choses qui sont de l'essence de la belle peinture ne si rencontrent point; mais qu'il est merueilleux, c'est a dire qu'à parler distinctement il ne vaut guere, et qu'il vaut beaucoup quand on s'exprime par des termes qui ne signifient rien. Aussi quand on presse ces admirateurs mystérieux de s'expliquer sur les choses qu'ils admirent, ils n'ont point accoustumé de respondre autre chose, sinon; je ne scaurois que uous dire, mais cela est inimitable; nos Auteurs, nos Ouuriers, ne trauaillent plus comme cela.

Paleologue que ce long détail ennuyoit, interrompit philalethe. Mais serieusement croyez vous, dit il, que ce ne soit pas de bonne foi que les intelligens et les connoisseurs admirent les ouurages des Anciens, et trouuez uous quils puissent auoir quelque interest à dissimuler leur sentiment, et à ne pas demeurer d'accord d'vne chose qui leur seroit aussi auantageuse que pourroit estre la gloire de surpasser cette admirable Antiquité.

Je croy dit philalethe que comme moy vous ne douterez plus de ces deux choses que uous trouuez si incroyables, si vous faites reflexion premierement sur ce que je viens de dire sçauoir que les intelligens conuiennent des defauts qui sont dans les ouurages des Anciens, et qu'ils se reseruent seullement à eux (1) (1) la connoissance de ce qu'ils pretendent estre diuin dans ces ouurages, sans expliquer en quoy consiste ces merueilles inuisibles. En second lieu si vous considerez que quelques vns des plus intelligens d'entre eux, non seullement auoüent de bonne foy mais soustiennent fortement qu'il n'y a point de comparaison entre les ouurages des Anciens et les modernes, qui ont vne perfection que les Anciens n'ont jamais connue: Car sans parler du traité dont il a desia eté fait mention qu'un de nos plus illustres poëtes a composé pour faire voir la verité de cette proposition: Chacun scait que Michel Ange l'un des plus habiles du siecle passé dans l'architecture dans la peinture et dans la sculpture estoit touts les jours en dispute auec les partisans de l'Antiquité et qu'il soustenoit que les ouurages de son temps valloient mieux que ceux des Anciens. Il n'y a personne aussy qui [-585-] ne scache l'inuention dont cet excellent homme s'auisa pour conuaincre l'opiniatreté de ses aduersaires, qui fut de faire enterrer vne statue de sa facon en vn lieu où il preuoyoit que l'on deuoit fouiller: Car cette statue que lon crut estre antique, ayant esté trouuée fort belle par les connoisseurs entestez de l'antiquité, ils la luy presenterent comme estant vne preuue des plus conuaincantes de la perfection de l'art des anciens: Et il ne les voulut point desabuser d'abord, comme il fit en suitte en aportant vn bras qu'il auoit rompu à la statue lorsqu'il la fit enterrer, et qui fit connoistre quelle estoit de luy, qu'apres auoir eu longtemps le plaisir de leur faire exaggerer le merite de son ouurage, et leur auoir fait dire qu'ils n'auoient point de pieces plus puissantes à produire contre luy en faueur de l'antiquité. Il est donc constant que la grande connoissance que l'on a dans les sciences et dans les arts ne dispose pas necessairement le jugement à estre pour les anciens contre les modernes.

Mais où est donc le fin, dit paleologue, et à quoy bon vanter tant les choses que l'on n'estime pas? C'est la seconde partie, respondit philalethe, que j'auois à vous expliquer pour vous faire voir que non seullement ce n'est pas de bonne foy que les connoisseurs temoignent auoir tant d'estime pour l'antiquité, mais mesme qu'ils ont quelque interest à mépriser les ouurages modernes. Cet interest a deux fondemens le premier est de ne pas loüer les ouurages de leurs competiteurs; ce qu'ils seroient contraints de faire s'ils prisoient les ouurages modernes. Le second est de parestre plus intelligents que les autres, en faisant entendre que la lumiere particuliere quils ont, leur fait decouurir des beautez que de moins sçauans qu'eux ne sont pas capables de voir: Car figurez vous quel est l'etonnements d'vn homme que le bon sens et l'estude qu'il a faite des ouurages anciens, a mis en état de pouuoir en iuger sans preuention, quel est disie son etonnement lorsqu'il voit des personnes qu'il peut presumer en scauoir seullement vn peu plus que luy, qui declarent que tout ce qu'ils voyent de beau dans les ouurages modernes n'est rien au prix des merueilles qu'ils decouurent dans ceux des anciens; Cet homme peut-il faire comparaison de ce qu'il se sent auoir de connoissance, de discernement et de sens, auec ce que les aultres doibuent auoir au dessus de luy, sans conceuoir l'idée d'vne grandeur bien surprenante dans la lumiere de leur esprit; puisque la sienne qu'il croyoit n'estre pas mediocre, n'est que tenebre et qu'aueuglement aupres de la leur: Car enfin toutes ces beautez sont inuisibles pour luy.

[-586-] Vn de mes amis m'a communiqué depuis peu vn petit traitté qu'il a fait pour vne occasion qui me fournit vn exemple de ce que ie viens d'auancer. Il me dit qu'ayant quelque conoissance de la musique et que s'estant voulu eclaircir de ce que ce pouuoit estre de celle des anciens à comparaison de la nostre, il luy tomba entre les mains vn liure dans lequel l'auteur pretendoit que la Musique des anciens estoit infiniment plus belle et plus parfaite que la nostre et que si quelqu'vn auoit vn autre sentiment ce n'estoit que parce qu'il ignoroit le fin de cette Musique. Cela me donna adjouta-il vne grande opinion de la connoissance profonde de cet auteur, et je presumay qu'il y auoit des choses dans les escrits que nous auons des anciens sur la Musique, que ie n'auois pas aperçues, ou que je n'auois pas entendues, et j'eus la curiosité de reuoir ces auteurs anciens, que je trouuay tous disant la mesme chose. Et ne parlant presque point de ce en quoy consiste la véritable beauté de la Musique; mais s'arrestant à mille choses qui ne luy appartiennent point, et qui touttes obscures et embrouillées qu'elles sont, font voir assez clairement qu'ils n'auoient nulle connoissance de la plus (belle) partie de la Musique, qui est celle qui se chante à plusieurs parties.

Vostre Amy, reprit paleologue, a entrepris vn paradoxe qu'il aura bien de la peyne à prouuer et i'aurois grande curiosité de voir ce traitté: Car ie ne scache point que personne ait eu seullement la pensée jusqu'à présent que les Anciens fussent assez peu instruits dans vn art quils ont autant aymé et par consequent autant cultiué que la Musique, pour auoir ignoré ce qu'elle a de plus excellent.

Comme philalethe vouloit respondre, la toile du Theatre se leua et en mesme temps la musique des violons commença l'ouuerture du theatre. Ce bruit agreable joint à la beauté surprenante des decorations occupa l'esprit des deux disputans, et leur imposa vn silence qu'ils ne rompirent que pour se plaindre de la brutalité de la plupart des spectateurs qui faisoient en parlant plus hault qu'auparauant, vn bruit effroyable qui empeschoit d'entendre les violons. Car ils ne peurent s'empescher de temoigner l'indignation que leur causoit la maniere de la pluspart du monde, qui croit qu'il est du bel air de n'auoir pas d'attention a cette sorte de Musique parce qu'ils ne sçauent pas les noms des Musiciens qui la font, toutte leur curiosité n'allant qu'à scauoir les noms des filles qui chantent, sans examiner ny ce qu'il y a de beau dans leur chant ny le rapport que les voix ont les vnes aux aultres et auec l'accompagnement de la symphonie; Tant c'est une chose rare de rencontrer des personnes dont l'esprit soit disposé à gouster ce qu'il y a de fin dans l'harmonie.

[-587-] Philalethe et paleologue estoient fort sensibles à la douceur qui resulte de l'assemblage et de la rencontre des differans sons de plusieurs voix et de plusieurs Instrumens; Et paleologue que les auertissemens de philalethe commençoient à rendre vn peu docile, l'escoutoit auec moins de mépris quil n'auoit faict au commencement de leur conuersation; il entra mesme en quelque façon dans ses sentimens, lorrsque la piece estant acheuée ils demeurerent encore quelque temps à leur place pendant que la foule se retiroit: il luy fit remarquer touttes les choses qui rendoient la piece que l'on venoit de jouer si merueilleuse et tellement au dessus des Spectacles des anciens en ce qui regarde l'esprit et l'inuention. Car apres luy auoir fait obseruer la conduitte et l'oeconomie iudicieuse de la fable la maniere adroitte d'y faire entrer des Episodes de ballets et de machines attachées et necessaires au suject, la diuersité des caracteres des differans personnages, pour auoir occasion de traitter des sujects tantost gais et tantost tristes: d'y employer les deux genres de chansons ausquelles nous sommes accoustumez qui sont les chansons à boire et les chansons amoureuses, l'adresse qu'il y a à faire que l'on comprenne la suitte d'vne fable et ses intrigues par vn enchainement de chansons qui ne doiuent ordinairement contenir que des propositions generales, et se passer le plus souuent du recitatif qui n'a point de grace en chantant; à trouuer le moyen de faire chanter plusieurs voix ensemble à des personnes qui sont en conuersation et en affaire, en prenant occasion d'exprimer des sentimens dont ils conuiennent; et enfin de trouuer le moyen que tout cela se fasse trois heures durant sans ennuyer, nonobstant l'inconuenient auquel toutte musique est suiecte, en deuenant insuportable quelque bonne qu'elle puisse estre quand elle dure longtemps. Apres disie toutes ces remarques, il luy fit comparer vn opera tel qu'estoit celuy quil venoit de voir representer, auec ceux des anciens dont nous auons vne description tres ample et tres particuliere dans Apulée, et dans laquelle cet auteur éloquent a mis tout ce qui se trouuoit de plus acomply et de plus rare dans ces sortes de spectacles. où les Anciens faisoient parestre tout ce qu'ils auoient de plus beau de plus magnifique et de plus ingénieux.

Nous nous leuions pour sortir lors qu'une personne vint nous dire qu'il y auoit vn tel desordre et vn si grand embarras de Carrosses à la sortie de la comedie qu'il ne croyoit pas que l'on pust sortir d'une heure. Il se trouua que cette personne estoit l'amy de philalethe auteur du Traitté de Musique dont on venoit de parler. Philalethe l'ayant fait asseoir prez de nous pour attendre que l'on [-588-] pust sortir ne put s'empescher de luy dire que l'on parloit de luy lorsqu'il estoit ariué et quil s'agissoit de conuaincre vn opiniastre et de luy persuader que les Anciens n'auoient point connu la Musique à plusieurs parties; ce qu'il dit en montrant paleologue qui ajoûta que Philalethe luy auoit faict naistre vn grand desir de uoir ce qu'un de ses amis auoit écrit sur ce suiect; mais qu'il ne luy auoit pas pu faire auoir la pensée qu'il fust possible de luy persuader le paradoxe que l'on pretendoit y prouuer.

Aletophane auteur du traitté repondit qu'il croyoit auoir lieu d'esperer d'en venir à bout apres ce qui s'estoit passé l'apres-disnée mesme en vne compagnie où il auoit faict la lecture de son traitté auant que de venir à la comedie; car cette compagnie, ajoûtat-il estoit composée des trois personnes les plus passionnées pour les ouurages des Anciens que ie connoisse, et qui m'ont neantmoins auoüé qu'après auoir entendu mes raisons, la question au fond leur paroissoit indubitable; ils m'ont seullement temoigné qu'ils auroient souhaitté que j'eusse traité avec plus de respect ceux que nous deuons considerer comme nos maistres. En vérité dit philalethe puisque vous auez icy vostre traitté et que cette journée vous est si heureuse pour vaincre l'obstination que presque tous les habilles gens ont à ne se point defaire de leurs preuentions sur le merite de l'antiquité, parce qu'elles ont quelque honnesteté, ie vous conseille de ne perdre pas l'occasion d'ajouter vn quatriesme aux trois illustres que vous auez desia conuertis. Paleologue ioignit ses prieres à celles de philalethe et fit consentir Aletophane à faire la lecture de son traitté en attendant que l'embarras qui nous empeschoit de sortir fust demeslé. La curiosité que j'eus d'entendre cette piece me fit prendre la liberté de les prier de trouuer bon que ie fusses vn des auditeurs: Car paleologue et philalethe, m'auoient desia receu auec beaucoup d'honnesteté dans leur conuersation, dans laquelle je m'estois meslé sur la fin et il se rencontra qu'Aletophane estoit en quelque façon da ma connoissance.

Cette lecture nous surprit par la nouueauté de suiect et quoy que ce traitté contienne beaucoup de choses très obscures tant à cause des termes inusitez que des choses qui d'elles mesmes sont tres difficiles à expliquer, nous ne laissames pas d'en comprendre assez pour estre persuadez de la verité de la these. Mais paleologue poussé par vn chagrin que luy causoient les restes de l'amitié passionnée qu'il auoit pour l'antiquité, et ne pouuant souffrir la joye que philalethe et moy tesmoignons d'auoir trouué vu argument aussy conuaincant qu'est celuy d'un faict, s'adressa à nous en [-589-] disant: pour moy si vous me permettez de dire mon sentiment, je ne croy pas que touttes les raisons qui sont aportees dans ce traitté fassent une grande impression sur l'esprit de ceux qu'vne profonde connoissance des merueilles de l'antiquité fait estre les seuls iuges de ce differant; Car après tout, les temoins que l'on produit ne disent rien ny pour ny contre: et d'ailleurs quelqu'un pourroit pretendre que ce discours n'est ny asssz ample, ny ecrit auec assez de politesse pour vn suiect de cette importance: Qu'en vn mot ce n'est point vne piece à persuader le merite de nostre siecle.

Mais ie suis assuré que tout le monde s'eleuera contre la maniere peu honneste et tout à faict extraordinaire avec laquelle il semble que l'on veuille reprocher à tous les habilles gens ou leur aueuglement ou leur mauuaise foy.

Philalethe qui sentoit que son humeur vn peu trop sincere et trop brusque luy faisoit souuent dire les choses plus fortement qu'il ne faut, quand il estoit persuadé que l'on maltraittoit les gens sans raison; ne voulut rien repondre: il ietta seullement ses yeux sur son amy qui prit la parolle et qui dit Que cet Écrit n'auoit pas eté fait pour estra publié; Que quoy qu'il luy eust donné la forme d'un Traitté ce n'estoit neantmoins qu'un extraict de la lecture qu'il auoit faite pour estudier cette matiere, dans laquelle il auoit eté obligé de s'instruire en trauaillant à vn autre ouurage; Qu'il ne croyoit pas que l'Antiquité dans les matieres dont il s'agissoit, fust vne chose si sacrée qu'il ne fust pas permis d'en sonder et d'en examiner les mysteres; Que quand mesme cela seroit, la mediocrité et le peu de valeur de l'ouurage ne meritant pas la colere des scauans passionez pour l'Antiquité, on luy pardonneroit ses emportemens suposé que l'on prist la chose sur ce pié-là. Mais qu'il esperoit neantmoins que ses amis, les seuls à qui il auoit dessein de le communiquer, n'interpreteroient point son ecrit comme paleologue faisoit; parce qu'il ne croioit pas qu'il continst rien qui fust contre le respect que l'on doit à vne mere à qui lon a l'obligation de son estre et à qui l'on doit ses premieres instructions: Que de mesme que des disciples qui sont deuenus plus sçauans que leur Maistre par les conférances qu'ils ont eües ensuitte auec d'autres sçauans, que leur Maistre n'a point connus, ne le meprisent pas pour cela; parce qu'ils sçauent que ce Maistre peut auoir eu plus d'esprit qu'eux et que s'il leur est inferieur en quelque chose, c'est seullement à cause qu'il a manqué des secours externes qu'ils ont heureusement rencontrez. Tout de mesme dit il, ie ne doute nullement [-590-] qu'Homere, par exemple n'ait pû auoir plus d'esprit que tous les poëtes qui sont à present au monde, et que tous ceux qui ont esté depuy luy iusqu'à nous; mais ie ne voy pas qu'il s'ensuiue de là que ses ouvrages vallent mieux que ceux de nos poëtes, et c'est cela seulement dont il s'agit.

Vous me direz que j'aurois pu traitter ma question de la musique des Anciens en rapportant simplement les temoignages qui font precisement au particulier du suiet, sans toucher à la these generale de la comparaison des Anciens auec les modernes; mais il me semble que ceux qui liront mon traitté me doiuent faire cette justice de reconnoistre que ie n'ay point affecté sans suiet de toucher vn endroit si delicat, et sur lequel la pluspart des habilles gens sont si sensibles: Que ie ne pouuois pas me dispenser de passer sur cet endroit, puisque le plus fort argument que l'on puisse allueger contre mon opinion, n'est autre que la grande estime que l'on a de l'excellence et de la grandeur incomparable de la capacité des anciens, que l'on pretend auoir porté toutes choses dans leur derniere perfection.

Au reste ie ne voy pas que de l'air que ie traitte cette matiere de la comparaison des Anciens auec les modernes, on puisse iuger que j'aye eu assez de presomption pour croire que j'estois capable de desabuser les sçauans sur ce suiet. Je suppose que la pluspart de ceux qui sont zelez pour l'Antiquité l'ayment comme ils font parce qu'ils la connaissent mieux que moy, et ie ne doute point qu'ils ne sachent aussi mieux que moy tout ce qui se peut dire contre leur opinion. Mais mon dessin n'a eté que de reprendre l'excez vicieux dans lequel beaucoup de gens tombent, en faisant des prejugez sur toutes ces choses sans les examiner, en disant c'est là l'ouurage d'un habille homme, il est donc excellent; cet homme n'a pas esté en Italie, il n'est donc pas habile; les Esprits de l'Antiquité estoient admirables, il est donc impossible qu'ils ayent ignoré ce qu'il y a de plus parfaict dans la musique. Car bien que i'auoüe que cette manière de raisonner soit bonne en general, quand on n'a pas d'autre éclaircissement, ou que l'on ne se veut pas donner la peine d'en chercher; il me semble que l'on ne deuroit pas trouuer mauvais que ceux qui ont assez de loisir pour s'amuser à cette recherche, essayent quelque chose; Et s'ils n'y peuvent rien, qu'ils inuitent du moins de plus forts qu'eux à y travailler avec plus de succez.

Paleologue ne respondit que par vn remerciement qu'il fit fort ciuilement à l'autheur et à philalethe de la grace qu'ils luy auoient [-591-] accordée en luy communiquant ce traitté; J'obtins aussy de l'auteur la permission d'en faire vne coppie que i'ay ajoûtée à ce recit, qui peut en quelque façon seruir de preface à ce petit ouurage, qui m'a semblé considerable du moins par la nouueauté de suiet qui y est traitté (1)

[Footnotes]

(1) [cf. p. 582] En marge: Monsieur Desmarets Saint-Sorlin.

(1) [cf. p. 584] En marge: le Pere Rapin dans ses réflexions sur la Poëtique d'Aristote.

(1) [cf. p. 591] Au-dessous, on lit: Il y a apparance que le Traitte sur la musique des anciens estoit ensuitte de ceste preface et qu'on l'en a osté pour le donner à l'imprimeur.


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