TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Laugier, Marc Antoine
Title: Sentiment d'un Harmoniphile, sur différens ouvrages de musique
Source: Sentiment d'un Harmoniphile, sur différens ouvrages de musique (Amsterdam, 1756; reprint ed. Genève: Minkoff, 1972).
Graphics: LAUSEN 01GF-LAUSEN 19GF
[-1-] SENTIMENT D'UN HARMONIPHILE, SUR DIFFÉRENS OUVRAGES DE MUSIQUE.
Amicus Socrates, et amicus Plato, magis amica veritas.
A AMSTERDAM
Et se trouve à Paris,
Chez
Jombert, Imprimeur-Libraire du Roi, rue Dauphine.
Duchesne, rue Saint-Jacques, auprès de la Fontaine Saint-Benoît, au Temple du Goût.
Lambert, rue et à côté de la Comédie Françoise.
Et aux adresses ordinaires pour la Musique.
[-3-] SENTIMENT D'UNE HARMONIPHILE.
Avant-Propos.
L'Etude des beaux-Arts a toujours été ma passion dominante. Elle est une grande ressource contre l'ennui. Seul on peut se suffire à soi-même, et cet amusement innocent offre toujours de vrais plaisirs à un homme qui pense: à toute heure, en tous lieux, même dans la solitude la plus triste, il passe agréablement ses jours.
La Musique est de toutes les sciences celle qui me flatte le plus. Dès ma tendre jeunesse, j'ai eu pour elle un penchant décidé, et je préfere aux plaisirs les plus vifs celui que procure l'Harmonie.
Comme je ne me suis point contenté de sçavoir la Musique superficiellement, mais que je me suis toujours appliqué à l'approfondir, j'ai beaucoup refléchi non seulement [-4-] sur les ouvrages de théorie que j'ai lus, mais encore sur tous les ouvrages de pure pratique qye j'ai entendus exécuter, et j'ai mis par écrit quantité de refléxions qui peuvent avoir leur utilité, principalement dans ce siecle, où la Musique est devenue tellement à la mode, qu'il n'y a presque point de maison dont elle ne fasse un des principaux amusemens. Elle tient, sans contredit, un des premiers rangs dans l'éducation; et comme c'est même une espece de honte que de ne la point sçavoir, nous voyons tous les jours, à l'exemple de Socrate, qui l'apprit à soixante ans, plusieurs personnes d'un âge avancé, ne point rougir de prendre des Maîtres.
La clarté que les Mathématiques ont répandu sur la Musique, lui ont fait faire de si grands progrès, que depuis environ vingt ans cette science est devenue bien plus certaine: chacun s'est empressé d'y acquérir des connoissances; et l'on trouve aujourd'hui beaucoup plus de personnes capables de parler de l'Harmonie, qu'il n'y en avoit avant ce tems, en état de lire simplement la Musique. Ceux même qui n'ont point de connoissances particulieres de cet Art, en ont au moins pris le goût.
[-5-] Anciennement les progrès ont été lents faute de bons principes. On marchoit en tâtonnant dans le labyrinthe de l'Harmonie, et il n'étoit réservé qu'à notre siecle de lever le voile obscur qui nous cachoit ce principe lumineux d'où découlent ces regles simples, mais fécondes, sources de la belle Musique. Il est vrai qu'il ne falloit pas moins qu'un génie aussi vaste, aussi profond que celui de l'Auteur de la Basse fondamentale (1), lequel par un travail opiniâtre, a bien voulu épargner aux autres l'embarras et le dégoût que causoient les méthodes dont on se servoit pour enseigner la Composition de la Musique.
J'espere que personne ne se formalisera de la liberté que je prends de dire nettement ma pensée sur les ouvrages dont je parle. J'avertis les Auteurs de Musique, que je mets bas tout esprit de parti, et que j'agirai avec cette franchise et cette intégrité, qui font le caractere de l'honnête-homme. Dans les morceaux de critique je conserverai toujours les égards que l'on doit au mérite et à la célébrité des Auteurs, [-6-] sans sacrifier ceux qui sont dûs à la vérité.
Amicus Socrates, et amicus Plato, magis amica veritas.
Paragraphe I. Te Deum de Monsieur Philidor.
Toutes les fois que le Ciel accorde un Prince aux voeux de la France, les Corps de Communautés marquent leur joie par des actions de graces au Tout-Puissant, en faisant chanter le Te Deum.
L'heureux accouchement de Madame la Dauphine, et la naissance de Monseigneur le Comte de Provence, leur ayant donné une nouvelle occasion de faire éclarer leur zele, les grands Gardes et Syndics des six Corps de Marchands en firent chanter un dans l'Eglise des Révérends Pères de l'Oratoire. Monsieur Philidor, dont ils avoient fait choix, fit exécuter pendant la Messe un Motet de sa composition. Le même Auteur donna ensuite son Te Deum. Le début n'en est pas heureux. Le Sanctus Dominus Deus sabaoth n'est point caractérisé; on n'y reconnoît pas le Dieu des Armées. Monsieur Philidor a encore manqué le verset Pleni sunt Coeli, ainsi que Tu ad dexteram Dei sedes, et Judex [-7-] crederis esse venturus, dans lesquels il s'est amusé à faire de jolies choses plutôt qu'à peindre la majesté de Sedes ad dexteram Dei, et le pathétique de Judex venturus. Dans presque tous les morceaux que Monsieur Albaneze a chantés avec beaucoup de goût et de précision, l'oreille des Auditeurs a été fatiguée de l'unité de mélodie qui y regne. On espéroit que le verset Miserere nostri récompenseroit des contre-sens qui se trouvent dans les précédens; mais l'attente a été vaine: à peine l'Auteur a-t'il donné une ombre légere du pathétique touchant, qui devoit rendre le sens des paroles, et ce défaut n'a point été réparé par le Non confundar in aeternum. En général les Symphonies de ce Te Deum valent mieux que les morceaux qu'elles annoncent. Il y a cependant un Duo chanté par deux Dessus qui est très-joli; les parties s'y croisent bien, et le dessein en est heureusement trouvé. Les Choeurs ne font point d'effet. Mais l'Auteur qui est un jeune homme pourra, en réprimant les saillies de son génie ausquelles il se livre trop, devenir par la suite un habile Peintre.
[-8-] Paragraphe II. Te Deum de Calviere.
Quelques années auparavant, les mêmes Corps de Marchands, consternés par la maladie de Monseigneur le Dauphin, célébrerent dans la même Eglise, son heureuse convalescence qui remit la joie dans tous les coeurs. Feu Calviere, Organiste de la Chapelle du Roi, avoit été le Compositeur sur qui ils avoient jetté les yeux. Ce célebre Musicien donna pour Motet pendant la Messe, le Pseaume Exaudiat, dans lequel il y a des morceaux d'une singuliere beauté. Le début de son Te Deum est grand et majestueux; l'image du Deus sabaoth est rendue avec force, et l'on y reconnoît le Dieu terrible des Armées. Mais où ce sçavant homme a employé toute la profondeur de son génie, c'est dans le verset Tu ad dexteram Dei sedes. Il y a dans ce morceau un sublime que l'on sent mieux qu'on ne peut l'exprimer. L'Harmonie est si belle, et la distribution des accords qui accompagnent la voix, est si heureusement faite dans toutes les parties, que l'illusion fait croire qu'on entend réellement les bienheureux célébrer la stabilité du Fils de Dieu assis à la droite de son pere.
[-9-] Ce morceau, il est vrai, n'a été bien goûte que des oreilles sçavantes. Au dessus de la portée du commun des Auditeurs, le plus grand nombre n'y a vu que Monsieur l'Abbé Malines qui le chantoit. Il en a été de même du Judex crederis qui n'a paru aux ignorans que du bruit; cependant c'est un des plus beaux endroits de ce Te Deum: il a fait, ainsi que le verset précédent, l'admiration des vrais Connoisseurs. Après avoir annoncé par un récit simple, mais majestueux, la venue du grand Juge à qui tous les mortels doivent rendre compte de leurs actions, Calviere, en homme qui sent vivement les choses, a peint par anticipation, ce jour terrible du grand jugement. Les flutes commencent par exprimer le sifflement des vents. Tout le corps de la Symphonie exécute une tempête qui fait frémir. Un tambour placé dans le milieu de l'orchestre, par un roulement continuel toujours en enflant le son, marque le bruit affreux du tonnerre, joint à celui des flots irrités. Le bouleversement de la nature se fait sentir. L'Univers s'écroule, tout est anéanti. Deux trompetes placées vis-à-vis l'une de l'autre dans les deux tribunes des côtés, font alternativement l'appel; aussitôt tous les Peuples saisis de [-10-] crainte, s'écrient dans un Choeur pathétique, Te ergo quaesumus, et cetera.
Cette idée neuve a paru si belle, que plusieurs Musiciens ont travaillé leur Judex crederis dans le même genre. On a comparé ce Te Deum à une riche étoffe, dont le fond d'or est encore relevé par une broderie éclatante. Il seroit à souhaiter que ceux qui en sont les dépositaires, voulussent en faire part au Public par la voie de la gravure. Les productions des hommes immortels méritent de passer à la postérité.
Particularités de la vie de Calviere.
Antoine Calviere naquit à Paris environ vers l'an 1695. Ayant reçu de la nature les dispositions les plus heureuses pour la Musique, il sçut les mettre à profit, et devint un des plus habiles Organistes de Paris. Un nombreux concours de tous les Connoisseurs se trouvoit à l'Eglise Métropole, à la Sainte-Chapelle, à l'Abbaye Saint-German, et à Sainte Marguerite, les jours que l'on sçavoit qu'il y devoit toucher l'Orgue, et l'on étoit surpris de la facilité qu'il avoit à exécuter tout ce que son génie fécond lui dictoit.
[-11-] En 1738, Calviere fut reçu Organiste de la Chapelle du Roi. Il avoit concouru avec Dagincourt pour cette place dès l'année 1730; mais celui-ci l'emporta sur Calviere, parce qu'on eut pour lors plutôt égard à l'âge de Dagincourt, qu'à la supériorité du talent qui étoit à peu près égal de part et d'autre. François Couperin qui avoit touché l'Orgue de Saint Gervais pendant quarante ans, et qui étoit pour lors Organiste du Roi, et possédoit la Charge de Clavecin de la Chambre de Sa Majesté, avoit été nommé pour être Juge entre Dagincourt et Calviere: l'âge avancé du premier le fit prononcer en sa faveur; mais pour ne point décourager Calviere, après lui avoir fait sentir les raisons qui lui avoient fait préférer son Compétiteur, il le loua beaucoup sur son talent, et lui ayant demandé où il avoit appris à toucher l'Orgue aussi supérieurement qu'il le faisoit, Calviere lui répondit: Monsieur, c'est sous l'Orgue de Saint Gervais. Cette réponse fit tant de plaisir à Couperin, que transporté de joie il sauta au col de Calviere, et l'embrassa étroitement.
Après avoir fait long-tems les délices de tous ceux qui l'entendoient à la Cour et à la Ville, Calviere mourut le 18 Avril [-12-] 1755, dans la soixantieme année de son âge, et fut inhumé à Saint Paul sa Paroisse. On connoît de lui les ouvrages suivans.
Exaudiat, Motet à grand choeur et symphonie.
Te Deum à grand choeur et symphonie.
Ces deux morceaux ont été exécutés plusieurs fois, tant dans l'Eglise de Saint Jean en Greve, pour les Prévôt des Marchands et Echevins de la Ville, que dans celle des Révérends Pères de l'Oratoire, pour les six Corps des Marchands, et pour la Communauté des Brasseurs, à la naissance de Monsieur le Duc de Bourgogne, à celle de Monsieur le Duc d'Aquitaine, ainsi que pour la convalescence de Monsieur le Dauphin, et la naissance de Monsieur le Duc de Berry.
Il a fait aussi plusieurs Motets à deux et à trois voix avec symphonie, qui ont été exécutés à Sainte Marguerite, au salut, les jours de Fête de cette Paroisse.
On a trouvé parmi ses papiers un grand nombre de pieces pour l'Orgue et le Clavecin en manuscrits. Monsieur Daquin, rival illustre du célebre Calviere, fait espérer qu'il les donnera au Public après les avoir mises en ordre.
[-13-] Epitaphe de Calviere.
Calviere est descendu dans la nuit du tombeau;
Par des chants immortels consacrons sa mémoire.
Tous ses rivaux lui cédoient la victoire:
Il a joui du destin le plus beau,
Et la postérité prendra soin de sa gloire.
Cette Epitaphe a été mise en Musique par Monsieur de Morambert. Les paroles sont du même Auteur: on la trouvera gravée ci-après, numéro I. [LAUSEN 06GF] [LAUSEN 07GF] [LAUSEN 08GF] [LAUSEN 09GF] [LAUSEN 10GF] [LAUSEN 11GF] [LAUSEN 12GF]
Paragraphe III. Service de Royer.
Il étoit d'usage chez les anciens Peuples d'élever de superbes mausolées, de dresser des statues, ou de consacrer quelque monument à la mémoire de ceux qui avoient porté leur Art au plus haut point de perfection: présentement l'homme de génie et l'ignorant sont à peu près rangés dans la même classe, quand la mort leur fait payer le tribut imposé à l'humanité. Il est vrai que dans l'empire musical, depuis environ trente-cinq ou quarante ans, on avoit coutume de faire un service en Musique pour les Musiciens célebres qui mouroient dans le courant de l'année; mais peu à peu l'ardeur s'est ralentie, et l'on s'est contenté en faire un [-14-] de tems en tems, à la mort de quelques Compositeurs qui avoient eu pendant leur vie une certaine réputation.
De toutes les Messes de Requiem, celle de Gilles a toujours été regardée comme la meilleure. Son origine, suivant ce qu'on en rapporte, est assez singuliere. Gilles étoit Maître de Musique de Saint Etienne à Toulouse. Deux Conseillers au Parlement de cette Ville moururent à peu de distance l'un de l'autre. Ils laisserent chacun un fils. L'amitié la plus étroite les ayant liés dès leur jeunesse, ils convinrent entr'eux de se joindre pour faire à leurs peres un superbe Service. Comme ils vouloient que tout répondît à la grandeur de leur projet, ils allerent trouver Gilles qui s'étoit acquis par plusieurs beaux Motets, la réputation d'un très-habile homme. Après lui avoir communiqué leur dessein, ils l'engagerent à composer une nouvelle Messe de Requiem, ne trouvant pas celle que l'on avoit coutume d'exécuter assez belle. Gilles demanda six mois; ce tems lui fut accordé. On lui promit de le bien récompenser; et pour l'encourager à faire de son mieux, on lui donna en attendant dix louis d'or d'avance.
Gilles ayant fini de composer sa Messe, [-15-] rassembla tous les Musiciens de la Ville, pour en faire la répétition; il y invita les meilleurs Maîtres de Musique des environs, entr'autres Campra, et l'Abbé Madin. Ceux qui l'avoient commandée ne furent pas oubliés. L'ouverture et l'Introite furent trouvées admirables, et l'Offertoire, ainsi que le reste de la Messe, reçut de grands applaudissemens. Mais comme la plûpart des jeunes-gens sont bientôt distraits de leur chagrin, par la foule des plaisirs qui les environnent, les deux jeunes Conseillers, qui avoient déja sans doute oublié leurs peres, changerent d'avis et se dédirent. Gilles en fut si piqué, qu'il s'écria Eh bien! elle ne sera exécutée pour personne, et j'en veux avoir l'étrenne. En effet, la mort l'ayant enlevé à la fleur de son âge, tous les Musiciens de la Ville se joignirent à ceux du Chapitre, pour lui rendre les derniers devoirs, et sa Messe de Requiem, que l'on trouva manuscrite parmi ses papiers, fut exécutée pour la premiere fois. Cette Messe, le Motet Beatus quem elegisti, tiré du Pseaume Te decet hymnus in Sion, et le Motet Diligam te, Domine, qui nous sont restés de lui, le font beaucoup regretter.
Il ne se fait presque point de Service [-16-] funebre en Musique, où l'on n'exécute la Messe de Gilles. Elle a été chantée à Paris le Mercredi 14 Janvier 1756, dans l'Eglise des Révérends Pères de l'Oratoire, pour feu Joseph-Nicolas-Pancrace Royer, décédé le 11 Janvier 1755.
Ce Musicien qui étoit d'un caractere aimable et de la plus grande politesse, avoit reçu de ses parens une belle éducation. Son pere, bon Gentilhomme de Bourgogne, s'étant distingué dans la Génie, fut envoyé par Louis XIV à Madame Royale, Régente de Savoie, qui lui avoit demandé un habile homme dans ce genre. Il fut fait Capitaine d'Artillerie, Commandant de Place, et Intendant des Eaux et Jardins de son Altesse; mais étant mort en Savoie sans laisser de bien à ses enfans, Royer qui n'avoit appris la Musique que pour son amusement, s'y livra tout entier. Son penchant l'ayant porté à toucher le Clavecin et l'Orgue, il s'y fit une grande réputation. En 1725 il vint s'établier à Paris: les succès qu'il eut dans cette Capitale le déterminerent à y fixer son séjour, et à se faire naturaliser François. Non content de la gloire qu'il recevoit de ses pieces de Clavecin, et de la maniere délicate dont il enseignoit à toucher de cet instrument, il voulut encore [-17-] courir la carriere épineuse des Opera. L'art d'enseigner le goût du Chant étoit aussi de son ressort. En 1746 il devint Maître de Musique des Enfans de France, par la mort de Jean Matho, dont il avoit eu la survivance. L'année suivante il fut Directeur du Concert Spirituel, qui prit bientôt sous lui une forme nouvelle, tant par les embellissemens qu'il fit faire à la salle, que par le choix des plus belles voix et des meilleurs instrumens. Quelque-tems avant sa mort il avoit obtenu la Charge de Compositeur de Musique de la Chambre du Roi, et celle d'Inspecteur Général de l'Opera. Les ouvrages qu'il a donnés à ce Théâtre, sont:
Pirrhus, Tragédie en cinq Actes, et un Prologue, paroles de Fermelhuis, représentée en 1730, gravée en Musique partition in-quarto du prix de 15 liv. Cet Opera n'eut que sept représentations, quoiqu'il y eût trois belles décorations du fameux Servandoni.
Zaïde, Ballet en quatre Actes, et un Prologue, paroles de l'Abbé de La Marre, représenté avec succès en 1739, gravé en Musique partition in folio, du prix de 18 liv.
Le Pouvoir de l'Amour, Ballet en [-18-] trois Actes, et un Prologue, paroles de Le Fevre-de Saint-Marc, représenté en 1743, gravé en Musique partition in-folio, du prix de 18 liv.
Almasis, Ballet en un Acte, paroles de Monsieur de Moncrif, représenté en 1750, gravé en Musique partition in-folio, du prix de 6 liv.
Indépendamment de ces Opera, Royer a donné au Public:
Un Livre de Pieces de Clavecin gravé partition in-folio, du prix de 9. liv.
La fameuse Ode à la fortune, du célebre Rousseau, qu'il avoit mise en Musique par Ordre de Monseigneur le Dauphin, et qu'il fit exécuter au Concert Spirituel. Elle est gravée partition in-folio, du prix de 6 liv.
On a trouvé parmi ses papiers de quoi former deux Livres de Pieces de Clavecin. Il a laissé aussi deux Opera manuscrits. L'un des deux, sçavoir Promethée et Pandore, dont les paroles sont de Monsieur de Voltaire, avoit été répeté le Jeudi 5 Octobre 1752, au Concert de Madame la Marquise de Villeroy, en présence de Monsieur le Prévôt des Marchands. Monsieur Jelyote, dont le chant inimitable donne de l'ame aux moindres choses, faisoit le rolle de Promethée, et Mademoiselle Chevalier chantoit [-19-] celui de Pandore. Royer se disposoit à le faire jouer sur le théâtre de l'Opera, lorsque la mort est venu mettre fin à ses travaux.
Les Musiciens de la Chapelle du Roi se sont joints à ceux de l'Opera, pour rendre à Royer les honneurs funebres. Monsieur Mondonville, qui lui a succédé dans la direction du Concert Spirituel, étoit à leur tête. Ils ont exécuté, comme je l'ai dit plus haut, la Messe de Gilles, après laquelle Monsieur Mondonville a donné son De profundis. Ce Motet commence par un Choeur qui exprime parfaitement la profondeur de l'abysme d'iniquité dans lequel est tombé une foule de pécheurs à qui le repentir fait élever des cris jusqu'à Dieu, pour le supplier de lui être favorable.
Le Verset Quia apud te propitiatio est, est un air d'un mouvement leger, dont le chant gracieux a été composé dans un de ces momens d'inspiration, où le génie enfante sans effort, mais dont les productions coulant de source, sont infiniment plus belles que celles qui naissent d'un travail forcé. L'Auteur y a peint la joie naissante d'un pécheur qui met toute sa confiance dans la miséricorde de Dieu: ensuite par la transition du Mode mineur au Mode majeur, il enchaîne le [-20-] verset Sustinuit anima mea in verbo ejus, et cetera après lequel il reprend pour rondeau, Quia apud te propitiatio est.
Ce Motet qui a toujours été reçu du Public avec de grands applaudissemens au Concert Spirituel, a fait autant de plaisir le jour du Service de Royer, que si c'eût été la premiere fois qu'on l'eût entendu.
Paragraphe IV. Analyse de l'Art du Chant.
Monsieur Berard, Auteur du Livre qui porte ce titre, est assez connu par son talent dans le goût du chant, pour donner une idée avantageuse de cet ouvrage. Il a senti tout ce qu'il falloit pour chanter parfaitement; il l'a pratiqué lui-même, et l'a fait pratiquer à ses Ecoliers autant qu'il a été en son pouvoir: mais mérite-t'il ces éloges quand il veut rendre raison en Philosophe de ce qu'il a exécuté toute sa vie en Artiste habile? C'est ce qu'il faut examiner.
Cet ouvrage est si serré, que l'Auteur, dans beaucoup d'endroits, en devient obscur, et qu'il paroît en général ne faire qu'effleurer ses matieres. Malgré cela si l'on retranchoit les redites, les prolixités, et les airs gravés de différens Auteurs [-21-] qui tiennent un quart du Livre, il se réduiroit à une vingtaine de pages tout au plus. Il est vrai que c'est le premier traité qui paroît dans ce genre. On a écrit sur toutes les parties de la Musique; on ne l'avoit point encore fait sur le chant avant Monsieur Berard. Il établit lui-même dans sa Préface, un principe qui excuse les défauts qu'on peut trouver dans son Livre. Il dit qu'il n'y a point eu avant le sien, d'ouvrage sur cette matiere, qui ait pu lui indiquer des défauts à éviter. Il infere donc delà, qu'un premier ouvrage doit en renfermer indispensablement: voyons s'il a fait son Livre selon ce principe. Je ne m'arrêterai point sur le style qui demanderoit à être retouché dans beaucoup d'endroits. Je me contenterai de dire que son inégalité et le peu de netteté qui y regne, lorsque l'Auteur veut devélopper une nouvelle idée, montre qu'il écrit difficilement.
Monsieur Berard entre d'abord dans l'analyse des organes de la voix. Pour cet effet il a recours à l'Anatomie, qui est le seul moyen qui puisse nous faire connoître leur méchanisme: mais a-t'il bien fait d'admettre aveuglement le systême de Monsieur Ferrein? non qu'on puisse révoquer en doute la science de ce célebre Anatomiste; [-22-] au contraire, s'il eût été moins habile, il n'auroit point imaginé cet ingénieux systême: mais en rendant justice à sa capacité, tous ceux qui professent le même Art que lui, ne sont pas de son sentiment à cet égard. La plûpart d'entr'eux ne le regardent que comme une hypothese vraisemblable, mais qui n'entraîne point après elle la conviction; d'où il s'ensuit que si un nouveau systême venoit à détruire celui de Monsieur Ferrein, comme celui-ci détruit le systême de Monsieur Dodart, que plusieurs habiles gens ont suivi, ou que l'on retournât à cet ancien systême, Monsieur Berard ayant établi celui de Monsieur Ferrein pour la base de son édifice, le verroit s'écrouler en un clin d'oeil, et seroit obligé de recommencer son travail sur de nouveaux frais. Quoi qu'il en soit, Monsieur Berard se sert assez heureusement de ce systême pour démonstrer le jeu des organes de la voix. Ces organes sont les Poumons, le Larynx et les Levres de la Glotte: ils ont entr'eux une liaison intime.
Premier: Les Poumons reçoivent l'air par l'inspiration, et le rendent par l'expiration. Plus on trouve le moyen d'inspirer beaucoup, plus on a d'avantage pour expirer lentement, lorsqu'on veut produire [-23-] des sons filés, doux et gracieux, ou pour expirer avec véhémence lorsqu'on veut produire des sons forts et soutenus. Ces différens effets viennent des différens volumes d'air que l'expiration laisse échapper selon la volonté et le goût du Chanteur.
On ne peut disconvenir que la connoissance des Poumons ne soit utile à celui qui fait profession de chanter, parce que cette connoissance peut lui procurer des avantages dans son talent.
Deuxieme. Le Larynx s'éleve plus ou moins selon que les sons sont plus ou moins aigus, de même qu'il s'abaisse plus ou moins selon que les sons sont plus ou moins graves. Sur cette exposition des mouvemens du Larynx, on conçoit aisément tous ses degrés d'élévation et d'abaissement, relativement à tous les sons possibles à la voix, ainsi que la lenteur ou la précipitation de ses mouvemens, pour former des agrémens divers: cependant l'Auteur à jugé à propos, à l'article des agrémens, de s'amuser pendant huit ou dix pages, à compter tous les mouvemens du Larynx: ces choses étant déja connues par la démonstration de cet organe, on sent aisément de quelle inutilité est une pareille redite. Monsieur Berard prétend que [-24-] quand on a la voix trop grave et un petit rauque, on doit dans les sons aigus élever le Larynx plus qu'à l'ordinaire, et le faire moins descendre dans les sons graves; mais cela est-il possible? Ceux qui ont le plus refléchi sur cette partie, conviennent seulement que lorsqu'une personne a ce qu'on appelle ordinairement la voix fausse, on peut à force de pratique, parvenir à lui faire entonner les tons avec justesse, mais non pas à lui rendre le son de la voix plus agréable. On croit qu'il n'est pas plus possible à celui qui a la voix rauque et disgracieuse, de produire des sons flatteurs, qu'il ne l'est à celui qui louche de ne pas avoir ce défaut.
Troisieme. Les Levres de la Glotte, appellées aussi rubans sonores, et cordes vocales, concourent avec le Larynx, à produire des sons aigus ou graves, selon qu'elles sont plus ou moins tendues par ce même Larynx: c'est-à-dire que lorsque le Larynx est élevé, la tension de ces levres qui est considérable, les rendant propres à être vibrées avec promptitude par l'air qui y est poussé, produit le son aigu. Si au contraire le Larynx est abaissé, ces levres se trouvant dans un état de relâchement qui ne les rend propres qu'à être vibrées lentement, produisent le son grave: d'où [-25-] il s'ensuit que les sons sont plus ou moins aigus ou plus ou moins graves, selon que ces levres sont vibrées avec plus ou moins de promptitude; ce qui vient des différens degrés d'élévation ou d'abaissement du Larynx, qui les met dans des états de tension ou de relâchement différens. Il faut remarquer encore qu'un égal degré de tension peut produire un son plus ou moins fort, selon que l'air est poussé avec plus ou moins de véhémence. Si l'air va frapper vivement et en grande quantité les levres de la glotte, le son sera fort; et s'il ne les frappe que doucement et en petite quantité, le son sera foible. On rend aussi raison par ce moyen, des sons clairs et obscurs.
Cette matiere demanderoit à être plus approfondie, que ne le fait Monsieur Berard; elle en est susceptible. Il avoue lui-même qu'elle ouvre des jours immenses; mais il n'en a pas profité. On peut s'en convaincre en lisant son ouvrage.
Après avoir acquis la connoissance des organes destinés à former les sons, il faut s'appliquer aux regles fondamentales qu'exige l'union de ces sons avec les paroles, pour en former le chant. Ces regles sont celles de la prononciation et de l'articulation.
[-26-] La prononciation, selon Monsieur Berard consiste à ne point donner aux lettres d'accent étranger: elle dépend beaucoup de la connoissance pratique des breves et des longues, des è ouverts et des é fermés, et cetera. Pour cet effet, on doit se soumettre au joug de la prosodie Françoise, et cetera. Cette définition n'est pas juste à tous égards, et l'Auteur étend la prononciation sur un plus grand nombre d'objets qu'elle n'en renferme réellement. La prononciation considérée relativement au chant, n'est point soumise au joug de la prosodie Françoise, ni à celui des breves et des longues par rapport à leur longueur ou à leur briéveté, mais seulement par rapport à leur accent différent, parce qu'un ô long se prononce différemment qu'on o bref, un è ouvert différemment qu'un é fermé, et cetera. C'est donc en ce seul point que son principe est juste, qu'il ne faut point donner aux lettres d'accent étranger, puisque celui qui donneroit à un o bref l'accent qui convient à un ô long pécheroit contre la prononciation. Mais quand à la prosodie Françoise, elle n'entre point dans les connoissances propres au Chanteur. C'est au Compositeur à en avoir une connoissance pratique, afin de disposer son chant et les valeurs de ses notes en conséquence [-27-] de cette prosodie, et au Chanteur à suivre scrupuleusement ce que la Musique lui prescrit à cet égard.
Monsieur Berard donne une instruction sur la génération des lettres, et leur liaison entre elles; des préceptes sur le caractere que le Chanteur doit donner à la prononciation, selon les morceaux qu'il a à rendre. Il faut, dit-il, qu'elle soit dure et obscure, lorsque les paroles représentent des objets terribles.... des paroles destinées à peindre des bruits gracieux, comme le murmure d'un ruisseau, ou le chant des oiseaux, doivent être prononcées d'une maniere douce et claire.... Les paroles qui n'ont point de caractere marqué, n'exigent qu'une prononciation naturelle. Ici les idées de l'Auteur ne sont point distinctes. Il attribue à la prononciation ce qui n'appartient qu'au son. La prononciation peut bien être dure dans un endroit, et douce dans un autre, mais non pas claire ou obscure. Il n'y a que les sons qui accompagnent la prononciation qui puissent produire ces effets, puisque ce sont les différens degrés de force avec lesquels l'air est poussé contre les levres de la glotte qui produisent des sons forts ou foibles, clairs ou obscurs, et qu'on peut produire ces sons indépendamment de [-28-] toute prononciation; ainsi quand il donne des regles pour des paroles qui représentent les divers degrés d'accroissement d'une passion, il devroit dire: La prononciation doit devenir plus dure ou plus douce, le son plus clair ou plus obscur par degrés; et non pas la prononciation doit devenir plus dure ou plus douce, plus obscure ou plus claire, et cetera.
Monsieur Berard donne une nouvelle ortographe, ou pour mieux dire, il écrit le son que la force de l'expression du chant donne à de certaines syllabes. Cela paroît d'abord un peu forcé, ainsi que les lettres qu'il enseigne à doubler dans beaucoup d'endroits: mais il en indique ensuite la modification en disant, que les mouvemens d'organes que ces choses prescrivent, doivent être plus ou moins forts à proportion de la distance où les Chanteurs sont des Auditeurs.
Il est de regle générale, que lorsqu'il y a une roulade ou un agrément sur une syllabe quelconque, on fait cet agrément ou cette roulade sur la voyelle qui précede la consonne, et l'on ne la réunit à la consonne qu'à la fin de l'agrément, comme on le voit par cet exemple:
[-29-] La Ciel, la Terre et l'O.....nde
Adorent l'Amour:
Sa flamme est le flambeau du Mo.....nde.
Les Amateurs et les gens à talens, dit l'Auteur, ne sçauroient exécuter un agrément sur l'e muet. Quand ils le pourroient, il ne faudroit pas qu'ils le fissent, parce que le son de cet e est disgracieux, et que quand il est à la fin d'un mot pour en marquer le féminin, et qu'il n'y a point d'élision, il doit toujours être bref.
L'Auteur ne doit pas donner, comme une nouveauté, le son de l'e muet exprimé par la diphtongue eu. Tout le monde sçait que c'est le son qui est propre à cette lettre, et que Monsieur de Voltaire l'a écrit de cette façon dans son Siecle de Louis XIV, qui a paru bien avant l'Art du Chant. Il dit en parlant de la Monotonie que les e muets jettoient dans le chant, que ces e qui ne sont pas prononcés dans la déclamation ordinaire, le sont dans la déclamation notée, et le sont d'une maniere uniforme, Gloi...reu, Victoi...reu, Barbari...eu, Furi...eu.
Après avoir rendu raison de la prononciation, Monsieur Berard le rend de l'articulation. Voici la différence qu'il met entre [-30-] ces deux choses. La prononciation, dit-il, a pour objet la mesure des lettres et leurs qualités; l'articulation n'a pour objet que les lettres elles-mêmes: l'une se propose de charmer les oreilles, et de peindre aux esprits par des sons heureusement modifiés: l'autre ne prétend offrir aux oreilles que des sons nets et distincts, forts ou foibles; aussi son champ est-il moins vaste. Selon cette analyse, il auroit fallu rendre raison de l'articulation, avant que de parler de la prononciation, parce que le premier objet du Chanteur doit être de produire des sons nets et distincts; et le second, de charmer les oreilles. L'articulation consiste à donner aux lettres une certaine force, qui paroît les doubler quand la passion est extrême: mais lorsque l'on n'a que des choses tendres, naïves, ou badines à rendre, la force de l'articulation doit diminuer selon que le caractere de ces choses l'exige. Voilà les principes fondamentaux sur lesquels s'établit l'Art du Chant, que Monsieur Berard prétend être l'harmonie rendue sensible aux oreilles. Rien n'est plus faux que cette défnition. La voix est le premier instrument de la mélodie, mais elle ne l'est point de l'harmonie; d'où il s'ensuit que cette définition ne peut convenir qu'à l'Orgue, au [-31-] Clavecin, ou à un concours de voix et d'instrumens réunis ensemble, mais dont les parties musicales de chacun sont différentes entr'elles.
Enfin l'Auteur traite de la perfection du Chant, de la liaison que les sons ont entr'eux, et de leur different caractere. Ce qu'il dit à cet égard est utile en effet pour se perfectionner dans l'Art qu'il enseigne. Il traite assez au long des agrémens dont le Chant est susceptible; mais il est douteux que le nombre de signes qu'il a admis pour les désigner, remplisse le but qu'il s'est proposé. Il voudroit faire passer dans le Public et à la postérité, la façon dont un habile Chanteur aura rendu un morceau: mais outre qu'il faudroit peut-être pour cela beaucoup plus de signes qu'il n'en emploie, il y aura toujours dans celui qui chantera d'original, un caractere d'expression qui lui sera propre, qu'on ne pourra jamais transmettre sur le papier, et que tel agrément sera flatteur dans la bouche d'un Chanteur, qui ne le sera plus dans celle d'un autre. Le goût est une affaire de sentiment, que la multitude de signes dont Monsieur Berard a chargé ses exemples, ne fera point naître dans celui qui n'en sera point susceptible.
[-32-] L'idée de cet ouvrage est excellente; en le travaillant de nouveau on peut le porter à sa perfection. Il faudra pour cet effet changer l'ordre de quelques matieres, mettre celles qui suivent à la place de celles qui précedent, les approfondir davantage, ne point tant s'amuser à de petits détails, éviter des redites qui font perdre souvent de vue l'objet qui doit occuper uniquement, devélopper les pensées avec plus de netteté, donner des définitions plus justes. Voilà ce qu'on pourra faire dans une seconde édition. Celle-ci n'est qu'un cahos de choses précieuses; mais je ne doute point que celui qui a formé ce cahos, ne puisse le débrouiller.
Paragraphe V. Refléxions sur l'Opera de Castor et Pollux.
La perfection dans l'exécution des ouvrages de Musique ne sert pas peu à faire valoir les beautés de la composition. Quelle différence entre le rôle de Castor rendu par Monsieur Jeliotte, et le même rôle joué par Monsieur Godard! non que ce dernier n'ait du talent pour le Théâtre; si sa voix secondoit son goût, il seroit peut-être ce [-33-] que nous aurions de mieux après la perte que nous avons faite. Mais quelle perte! et quand pourra-t'elle être réparée? Il semble que le célebre Jeliotte ait voulu nous la faire sentir encore plus vivement par la façon dont il a rendu pour la derniere fois le rôle de Castor, à la clôture du Théâtre de l'année 1755. Avec quel talent il chanta l'Air du premier Acte! quel intérêt il répandit dans celui des Champs-Elisées! et comme il joua l'Acte cinquieme! on peut dire qu'il joignit dans ce dernier le talent de l'Acteur à celui du Chanteur. Pour faire ses adieux au Public, il substitua dans le dernier Ballet, l'Air Du Dieu des coeurs, de l'Opéra de Titon et l'Aurore, à celui qu'on avoit coutume d'entendre; mais malgré le plaisir qu'il fit, on ne put s'empêcher de trouver ce morceau déplacé. Ce sentiment étoit juste; dans un des meilleurs Opéra de Monsieur Rameau, tel que celui de Castor et Pollux, il auroit dû insérer un Air du même Auteur, soit Regne, Amour, fais briller tes flammes, de Pigmalion; soit L'objet qui regne dans mon ame, du troisieme Acte des Talens lyriques, ou tel autre qu'il auroit voulu. Par-là il auroit remplie la convenance qu'exigeoit l'Opéra qu'on venoit de représenter, et [-34-] auroit satisfait à un sentiment de reconnoissance dont il ne peut se soustraire à l'égard de Monsieur Rameau, puisqu'il est le premier qui lui ait fourni amplement le moyen de devélopper tous ses talens dans les grands Airs que nous employons à présent dans nos Opera, et qu'on nomme mal-à-propos Ariettes.
L'Opera de Castor et Pollux, (1) est certainement un des meilleurs qui soient sortis de la plume de Monsieur Rameau. Quoique l'ouverture ne soit pas aussi saillante que celle de quelques autres de ses Opéra, on y reconnoît cependant la main de maître. Mais que la Musique du combat de Castor est bien frappée! Quel sublime regne dans le morceau Tristes apprêts! (2) [LAUSEN 12GF] Et quelle volupté se fait sentir dans l'Acte de l'Olimpe! Que la danse séduisante de Mademoiselle Puvigné y est animée par une Musique touchante! Il n'y a que Pollux qui puisse résister à tant de charmes, il n'y a que Monsieur de Chassé qui puisse nous faire sentir les combats intérieurs de ce Héros, et son impatience pour ramener son frere Castor à la clarté du jour. L'Acte des Enfers est un des [-35-] plus beaux dans ce genre qui soient au Théâtre lyrique; et dans la Scene de Castor et de Telaïre, du cinquieme Acte, que la Musique peint avec art les combats que le devoir et l'amour livrent à Castor!
Il seroit à souhaiter que toutes les parties d'un Opéra fussent également bien rendues, et concourussent à maintenir l'illusion. Si celui dont nous parlons a reçu tout le lustre qu'il pouvoit attendre du jeu de Monsieur de Chassé, du chant de Monsieur Jeliotte, et des charmes de la danse, il n'en est pas de même des parties qu'on peut appeller l'ensemble et l'illusion su Théâtre. Soit défaut d'intelligence de la part de la Troupe oisive qui chante les Choeurs, soit défaut de soins et de moyens propres à l'encourager de la part de ceux qui sont préposés pour la conduire; il est constant que ce concours de gens qui ne prennent aucun intérêt à ce qui se passe, refroidit l'action; et que la conduite qu'il tient dans bien des cas, détruit totalement l'illusion.
Ceux qui sont chargés de disposer tout ce qui est nécessaire à l'effet vraisemblable du Théâtre, ont fait une faute dans la premier Acte de Castor, de ne pas offrir aux Spectateurs à travers un portique, le combat qui se donne [-36-] aux portes du Palais. La Musique le peint si parfaitement à l'oreille, qu'il ne manque que de l'offrir aux yeux, et cela se devroit d'autant mieux, que le Théâtre semble vuide, quoique Telaïre y reste, parce que cette Princesse n'y dit rien et qu'elle n'est occupée que de ce qui se passe dehors.
Quant à l'illusion que détruit le défaut d'action dans les Choeurs, il est sensible dans l'Acte des Enfers, pendant le Choeur:
Brisons tous nos fers,
Ebranlons la terre,
Embrasons les airs:
Qu'au feu du tonnerre
Le feu des Enfers
Déclare la Guerre. et cetera.
Il faudroit que le Choeur formât des flots presque continuels, de gens qui poussent et qui sont repoussés, et que leur attitude fût celle d'une troupe qui s'oppose de toute sa force à l'entreprise d'un Héros qu'elle ne peut intimider; et non pas offrir pour défendre l'entrée des Enfers, un tas de gens inanimés qui viennent les deux bras croisés, former un contraste choquant avec la pétulance de Pollux.
[-37-] Paragraphe VI. L'Europe Galante. (1)
Les Arts se perfectionnent peu à peu, et ce n'est qu'en refléchissant sur les ouvrages des Anciens qu'on évite de tomber dans les défauts qu'on y remarque. Les phrases nouvelles dont notre Musique est enrichie, font regarder les Opéra du siecle dernier, comme des ouvrages surannés. Peut-être qu'éprouvent un sort semblable, nous paroîtrons aussi Gothiques aus yeux de nos neveux que nos ayeux le paroissent aux nôtres. Cependant on peut conjecturer que notre Musique étant plus vraie, en ayant fait un Art imitatif, elle doit nécessairement éprouver moins de révolutions.
La coupe de la Musique de nos Opéra est bien différente de ce qu'elle étoit du tems de Lully. On ne voit plus à présent chanter la Discorde sur le ton de Venus. Nos oreilles, plus sçavantes que celles de nos peres, ne peuvent plus supporter sans ennui une Tragédie, dont toutes les Scenes sont formées, pour ainsi dire, sur le même moule. Avons-nous tort? Non [-38-] certainement: les passions doivent avoir un caractere distinctif, et par conséquent l'unité d'Harmonie ne peut pas convenir à toutes. Il faut distinguer ce qui doit être simplement Récitatif d'avec les Airs qui doivent être mis en action. Il est vrai que jusqu'à présent ça été en partie la faute de nos Poëtes, qui ne se sont pas assez attachés à mettre dans leurs ouvrages de ces paroles qui ouvrent une carriere immense au Musicien qui a du génie. Plus nous irons en avant, plus cette partie de notre Scene lyrique se perfectionnera, et par la même raison, nos anciens Opéra plairont moins. Dénués de tous ce morceaux brillans où la force de l'Harmonie peint avec des couleurs vives l'action qui se passe sur notre Théâtre, ils ne paroîtront plus que des corps languissans. On aura beau les ranimer par des Ariettes et des Symphonies dans les Ballets, ils ressembleront toujours à ces vieux édifices que l'on recrépit et qu'on étaye, mais que les soins qu'on prend n'empêchent pas d'écrouler bientôt de tous côtés.
L'Europe Galante, ce Ballet qui parut si admirable en 1697, a bien perdu de son mérite dans la reprise qui en a été faite au mois de Septembre 1755. Quoiqu'il [-39-] y ait d'excellentes choses dans cet Opéra, le nombre en est petit, et ne dédommage point de la quantité d'Airs trop simples qui s'y trouvent. L'enfance de la musique est passée. Nous sommes maintenant des hommes faits que l'on ne berce plus avec des Brunettes et des Flons Flons.
Les Symphonies de cet Opéra sont minces, excepté les deux Menuets du Prologue, le second Air en Rondeau du premier Acte, et le premier Rigaudon qui suit, la Forlane du troisieme Acte, et la Marche des Bostangis du quatrieme.
Si tous les airs de Violon de ce Ballet étoient frappés au même coin que le sont ceux que je viens de citer, et que les Airs chantans fussent comme quelques-uns d'entr'eux que l'on entendra toujours avec plaisir, ce Ballet seroit immortel. On a ajouté dans le divertissement de l'Acte de la France un Air de Monsieur Le Fevre, Organiste de Saint Louis dans l'Isle, que Monsieur Godard a chanté supérieurement (1) [LAUSEN 13GF]
On ma raconté une petite Anecdote touchant cet Opéra, que le Public ne sera peut-être pas fâché de sçavoir. Houdart [-40-] de La Mothe ayant composé le Poëme de l'Europe Galante, le donna à mette en Musique à Destouches, qui commençoit à se faire une certaine réputation par plusieurs jolis Airs qu'il avoit composés, dont le Public étoit fort satisfait. Destouches apprenoit pour lors la composition sous Campra. Ce dernier qui étoit encore Maître de Musique de Nôtre-Dame, demanda à La Mothe pourquoi il avoit donné son Ballet à un écolier qui ne sçavoit pas assez de composition pour le mettre en Musique. A force d'être tourmenté, La Mothe le retira d'entre les mains de Destouches, sous prétexte d'y faire quelques changemens, et le donna à Campra qui le travailla furtivement. Destouches l'ayant sçu en porta ses plaintes à Campra et à La Mothe; celui-ci pour l'appaiser lui donna le Poëme d'Issé à mettre en Musique, et Campra lui promit qu'il conserveroit les morceaux qu'il avoit composés, en effet il lui tint parole.
Ce fait est raconté différemment par d'autres personnes. Voici comme Monsieur Titon du Tillet le rapporte dans le second supplément de son Parnasse François, page 54, à l'article de Destouches. "La Mothe qui étoit Auteur des Paroles de [-41-] cet admirable Ballet (de l'Europe Galante) se trouvoit quelquefois chez Campra dans le même tems que Destouches, ce qui lia amitié entr'eux. Campra étoit si satisfait de l'excellent goût que son éleve avoit pour la Musique Vocale, qu'il lui donna trois Airs à composer dans son Ballet; celui de Paisibles lieux, agréables retraites, dans le premier Acte; celui de Nuit, soyez fidele, l'Amour ne revele ses secrets qu'à vous, Acte deuxieme, et celui de Mes yeux, ne pourrez-vous jamais forcer mon vainqueur à se rendre, Acte quatrieme."
Particularités de la vie de Campra.
André Campra étoit Provençal. Il naquit à Aix au commencement du mois de Décembre 1660. Son génie pour la Musique s'étant devéloppé, il s'appliqua de bonne heure à la Composition. A peine avoit-il vingt-cinq ans, que sa réputation voloit de toutes parts. Il vint à Paris vers l'année 1685. Ses Motets qu'il fit exécuter dans différentes Eglises et dans plusieurs Concerts particuliers, le firent connoître en peu de tems, et lui valurent la place de Maître de Musique [-42-] de l'Eglise du College des Jesuites et de la Maison Professe, que Charpentier venoit de quitter pour prendre celle de la Sainte Chapelle.
La réputation de Campra augmentant toujours, il eut quelque-tems après la Maîtrise de Notre-Dame: mais malgré l'affluence de monde qui venoit entendre ses Motets, il ne se contenta pas de la gloire que la Musique d'Eglise lui procuroit; il voulut courir la carriere immense que le spectacle de l'Opéra offre aux Musiciens de génie. Ayant eu de La Mothe, comme nous l'avons dit plus haut, le Poëme de l'Europe Galant, il apporta tous ses soins à le mettre en Musique. La réussite en fut prodigieuse. Encouragé par les applaudissemens du Public, Campra abandonna la Musique Latine, et se mit à faire des Opéra.
Ses grands travaux lui mériterent une pension de Sa Majesté, indépendamment des appointemens de Maître de Musique de la Chapelle, et de la direction des Pages de la Musique. Après avoir joui long-tems d'une grande réputation, il mourut à Versailles dans la quatre-vingt-quatrieme année de son âge, le 29 Juillet 1744, et fut inhumé dans la grand Paroisse, où le Corps des Musiciens [-43-] de la Chapelle lui rendit les derniers devoirs.
Catalogue des Ouvrages de Campra.
Musique d'Eglise.
Cinq Livres de Motets, imprimés en Musique, du prix de 6 liv. piece.
Deux Motets à grand Choeur, du prix de 6. liv. piece.
Une Messe à quatre parties, intitulée Ad majorem gloriam Dei, du prix de 3 liv. Il a composé aussi un grand nombre des Motets qui sont restés à la Musique de la Chapelle du Roi.
Cantates.
Deux livres de Cantates, imprimés en Musique, du prix de 6 liv. piece.
Un Livre de Cantates, gravé, du prix de 10 liv.
La Guerre, Cantate gravée, du prix de 1 liv. 4 s.
Opéra et Divertissemens.
L'Europe Galante, Ballet en quatre Entrées, et un Prologue, paroles de La [-44-] Mothe, imprimé en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv. et depuis en partition générale in-folio, du prix de 24 liv.
Le Carnaval de Venise, Ballet en quatre Actes, et un Prologue, paroles de Regnard, représenté en 1699, imprimé en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv.
Hésione, Tragédie en cinq Actes, et un Prologue, paroles de Danchet, représentée en 1700, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv.
Airs ajoutés à Hésione et à Thetis et Pelée, imprimés, 3 liv.
Arethuse, Ballet en trois Actes, et un Prologue, paroles de Danchet, représenté en 1701, imprimé en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv.
Les Fragmens de Lully, Ballet en quatre Entrées; les paroles qui servent de liaison sont de Danchet. Il fut représenté en 1702. On le trouve imprimé en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv. Il est très-rare.
Venus, Fête Galante en un Acte, avec un Prologue, paroles de Danchet, donnée à Monseigneur par Madame la Duchesse de la Ferté dans son Hôtel à Paris, en 1698. Elle a été ajoutée aux Fragmens [-45-] de Lully sous le titre du Triomphe de Venus, et est imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 6 liv.
La Serenade Venitienne, ou Le Jaloux trompé, Acte ajouté aux Fragmens de Lully, imprimé en Musique partition in-quarto, du prix de 3 liv.
Tancrede, Tragédie en cinq Actes et un Prologue, paroles de Danchet, représenté en 1702, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv.
Les Muses, Ballet en cinq Entrées, paroles de Danchet, représenté en 1703, imprimé en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv.
Iphigenie en Tauride, Tragédie en cinq Actes, paroles de Duché, représentée en 1704, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv. Campra n'a fait qu'une partie de la Musique de cet Opéra, que Desmarets le pria de finir lorsqu'il fut en Espagne.
Telemaque, ou Les Fragmens Des Modernes, Tragédie en cinq Actes et un Prologue, représentée en 1704. Cette Tragédie est très-rare; la Musique n'en a point été imprimée ni gravée, on en trouve seulement quelques manuscrits. Les Paroles servant de liaison, sont de Danchet, et la Musique de Campra. On [-46-] s'est contenté de marquer dans la Poëme, des renvois aux Opéra d'où ces fragmens sont tirés, parce qu'ils sont tous imprimés ou gravés, excepté Astrée et Canente.
Alcine, Tragédie en cinq Actes, et un Prologue, paroles de Danchet, représentée en 1704, gravée en Musique partition in-folio, très rare.
Hippodamie, Tragédie en cinq Actes, et un Prologue, paroles de Monsieur Roy, représentée en 1708, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 15. liv.
Les Festes Venitiennes, Ballet en sept Entrées, et un Prologue, paroles de Danchet, représenté en 1710, imprimé partition in-quarto complete, du prix de 30 liv. Chaque entrée se vend séparément 6 liv. piece.
Idomenée, Tragédie en cinq Actes, et un Prologue, paroles de Danchet, représentée en 1712, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 15. liv.
Les Amours de Venus, Ballet en trois Entrées, et un Prologue, paroles de Danchet, représenté en 1712, non imprimé ni gravé, à la réserve du Prologue qui se vend seul. Il est très-rare, [-47-] parce qu'on l'a joint à l'édition complete des Fêtes Venitiennes, dans laquelle on le trouve.
Telephe, Tragédie en cinq Actes, et un Prologue, paroles de Danchet, représentée en 1713, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv.
Camille, Tragédie en cinq Actes, Paroles de Danchet, représentée en 1717, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 15 liv.
Le Ballet ses ages, en quatre Entrées, paroles de Fuzelier, représenté en 1718, non imprimé ni gravé: il y en a seulement un extrait imprimé, et qui est rare; il se vend 15 liv.
Les Nôces de Venus, Divertissement en trois Actes, gravé partition in-folio, du prix de 12 liv.
Achilles et Deïdamie, Tragédie en cinq Actes, et un Prologue, paroles de Danchet, représentée en 1735, imprimée en Musique partition in-quarto, du prix de 24 liv.
C'est par cette piece que Danchet et Campra ont terminé leur glorieuse et longue carriere. Comme ils avoient été tous deux imitateurs et Partisans des Opéra de Quinault et de Lully, ils voulurent [-48-] dans ce dernier Opéra, donner un témoignage public de l'estime qu'ils faisoient de ces grands hommes. Pour cet effet ils imaginerent dans le Prologue, une Fête que Melpomene et l'Amour donnent à Quinault et à Lully. Les statues de ces deux hommes célebres y paroissent avec des trophées convenables à chacun d'eux. La Gloire chante les Vers suivans.
Deux Mortels autrefois dans le sein de la France,
Unissant leurs talens divers,
Firent à tous les coeurs ressentir la puissance
Des plus brillans accords et de plus tendres vers.
Ce monument pompeux élevé par la Gloire,
Au Parnasse à jamais assure leur mémoire.
Je viens avec plaisir y célebrer le jour,
Que leur ont consacré Melpomene et l'Amour.
Cet Opera se sentoit apparemment trop de la vieillesse de ses Auteurs, car il n'eut que huit représentations, quoiqu'il y eût plusieurs morceaux d'une grande beauté.
[-49-] Paragraphe VII. Sur l'Opera.
Il n'y a point de Spectacle qui ait essuyé autant de critiques que l'Opera, il n'y en a point non plus qui offre aux Spectateurs un aussi grand nombre d'objets réunis. Chaque objet séparé a ses critiques, ainsi que le tout que forme leur réunion. Les uns s'écrient avec Saint-Evremond, que ce spectacle est un monstre; les autres, à l'imitation de Despreaux, condamnent la molesse de la versification qu'on y employe, et la morale qu'on y débite; et d'autres enfin sont du sentiment de Monsieur Raimond de Saint-Mard, qui est que la Musique ne sçauroit peindre tout: il en est même parmi ces derniers, qui prétendent que sa peinture est fort vague, et qu'elle rend toutes les choses qui sont de son ressort à peu près également. Mais de tous ces défauts il n'y en a pas un qui appartienne à l'Opera, et qui entre essentiellement dans la nature de ce genre de spectacle, comme quelques Critiques l'ont prétendu. Ils n'existent réellement, les uns, que dans l'esprit de gens prévenus contre ce Théâtre; et les autres, que dans [-50-] les ouvrages de ceux qui ont travaillé pour lui: je vais tâcher de le prouver.
Premier. L'Opera n'est point un monstre, quoique les gens de mauvaise humeur soutiennent que l'assemblage de tant de parties ne sçauroient former qu'un tout monstrueux. Ce sentiment ne peut exister que faute d'avoir envisagé ce spectacle du point de vue d'où tous les gens sans passion doivent le regarder. Il seroit un monstre en effet, si toutes les parties qui le composent se cédoient réciproquement le droit de la prééminence pour briller chacune en particulier, sans égard marqué pour l'objet principal qui les réunit. Mais si au contraire on envisage la Musique comme l'Art qui constitue l'essence de ce spectacle, et les autres Arts qu'on y emploie, comme subordonnés à celui-ci, et n'étant que des moyens dont on se sert pour le faire briller dans toute ses parties, alors le caractere monstrueux de ce spectacle disparoîtra, et l'on ne verra plus qu'un tout formé par des parties qui concoureront à la perfection d'un seul et unique objet; et en effet, de tous les Arts qu'on introduit dans le spectacle de l'Opera, on n'en emploie que les parties ou les genres relatifs à la Musique, c'est que tout le monde [-51-] peut remarquer notamment dans la Poësie. Personne n'a encore établi sur l'Opera un systême conséquent, ni ne lui a fixé un caractere d'unité si nécessaire pour pourvoir en donner une définition conforme aux regles du bon goût, et de la droite raison. Les uns se sont contenté de l'accabler sous les traits de leurs critiques, sans indiquer les moyens de remédier aux défauts qu'ils critiquoient. Les autres ont joui du plaisir qu'il leur procuroit, sans s'embarasser de l'irrégularité qu'on lui reprochoit; mais ni les uns ni les autres n'ont jamais eu une idée bien juste de ce spectacle. Ils n'y ont vu, comme je viens de le dire, qu'un assemblage de plusieurs Arts qu'ils ont cru tenir tous à peu près le même rang, et ne l'ont jamais envisagé comme étant uniquement un spectacle de Musique. Quelques refléxions vont être la preuve de ce que j'avance.
La Poësie ne peut jamais prétendre sur ce Théâtre à un autre emploi, qu'à celui de fournir au Musicien la premiere esquisse de ses tableaux; c'est lui qui doit y mettre les coups de force, les effets et le coloris. Il ne resteroit plus rien à faire à la Musique, si la Poësie vouloit tout peindre; cette derniere est contrainte de se renfermer dans des bornes, pour laisser [-52-] un champ libre à la premiere; ce qui prouve son droit de prééminence dans ce spectacle. Monsieur de Voltaire l'a senti: il a dit quelque part en parlant de l'Opera, que la Poésie y seroit toujours asservie aux saillies du Musicien: et Monsieur l'Abbé de la Porte, dont les observations sont pleines de justesse, pense que la Musique est le véritable fonds de l'Opera. Mais si la Poésie est esclave au Théâtre lyrique, elle commande en Reine au Théâtre Français; et l'éclat dont elle y brille est le caractere distinctif de ce spectacle.
Nous possédons donc réellement en France deux Tréâtres de genre absolument différent. Sçavoir, un Théâtre de Musique, et un Théâtre de Poësie, bien plus sages en cela que les Italiens, qui veulent donner à ces deux Arts le même droit de prééminence dans leurs Opera. Comme il est impossible qu'ils puissent l'avoir ensemble, ils se le cedent alternativement. Le Poëte brille dans une Scene fort longue, où il emploie toutes les ressources de l'Art pour toucher et intéresser. Le Musicien pour ne point couvrir le Poëte, est obligé de se servir alors d'un Récitatif très-simple; mais arrivé au bout de la Scene, il trouve une Aria que le Poëte n'y a mise que par complaisance [-53-] pour le Musicien contre lequel il jure souvent, ainsi que l'a fait Metastase, de ce qu'il vient interrompre l'intérêt de sa piece. Alors le Musicien se dédommage sur cette Aria de la servitude dans laquelle le Poëte l'a tenu pendant le cours de la Scene. Il donne l'essor à son génie qui brûle de briller seul; il fait valoir tous les moyens que la Musique peut lui fournir pour plaire et pour étonner. Il y a plus, c'est que souvent l'Acteur qui a chanté cette Aria, ayant aussi peu de considération pour le Musicien, que celui-ci a paru en avoir pour le Poëte, laisse l'un et l'autre de côté, pour faire briller son talent dans un Point d'orgue presque aussi long que le morceau qu'il vient de chanter; d'où il résulte que le Spectateur est obligé de porter successivement son attention de la Poësie à la Musique, de la Musique au talent du Chanteur; et quand l'intérêt de la piece recommence à la Scene suivante, il ne sçait plus où il en est. Voilà ce qu'on peut appeller un spectacle vraiment monstrueux, dont toutes les parties séparées offrent chacune un objet différent. Mais si nous avons ce défaut à reprocher aux Italiens, à combien d'autres égards aussi ne nous sont-ils pas supérieurs. Nous [-54-] avons donc fait sagement d'avoir assigné à la Poésie et à la Musique, chacune leur théâtre, afin qu'elles ne se nuisent point réciproquement, en divisant l'intérêt qu'y prend le Spectateur, et qu'elles puissent séparément lui offrir un objet principal et unique, où se rapportent les plaisirs qu'il ressent.
La Poésie étant à l'Opera subordonnée à la Musique, il est indubitable que tous les autres Arts le sont pareillement: Danse, Peinture, Machines, tous n'y sont employés, que parce qu'ils offrent à l'Art principal différens moyens de devélopper ses richesses. La Poësie trace à la Musique les passions qu'elle doit peindre. La Danse, qu'on doit avoir soin de lier intimément au sujet, rend à nos yeux par ses mouvemens et ses tableaux, les expressions dont la Musique affecte nos oreilles. La Peinture en nous offrant dans les décorations, tantôt un Paysage riant rempli de ruisseaux qui serpentent dans une plaine émaillée de fleurs, tantôt un lieu désert et affreux, hérissé de rochers remplis de reptiles et d'oiseaux sinistres et sauvages; ou bien en frappant nos regards par un édifice somptueux, procure à la Musique le moyen de peindre des effets Physiques, ou d'exprimer par des caracteres [-55-] majestueux, tristes, ou gais, les objets qui sont offerts à l'oeil. Les machines ne sont pas moins propres à servir de texte à la Musique, si je puis me servir de cette expression, pour rendre les peintures les plus frappantes. La descente de quelque Divinité, l'apparition des habitans des Enfers, un nauffrage, le gonflement des flots de la Mer, les éclairs, le tonnerre, le vol rapide et le sifflement des vents, les volcans, la chute d'un torrent, l'écroulement d'une ville, sont autant de choses dont la Musique sçait rendre l'effet sensible à l'oreille; enfin tous les Arts sont à l'Opera mis en oeuvre pour la Musique, qui de son côté les anime et les vivifie.
Ce sentiment est peut-être plus genéral qu'on ne pense, quoique peu de personnes l'ayent mis au jour; car qu'on forme un spectacle de toutes les parties qui composent l'Opera, mais qu'on en retranche la Musique, et par conséquent la Danse, ce ne sera plus alors qu'une piece à machines comme nous en avons déja, qu'on ne désignera point par le nom d'Opera. On ne se servira pas non plus de ce nom pour caractériser ces pieces moitié déclamées, moitié chantées, dans lesquelles on n'introduit la Musique qu'à [-56-] la faveur des intermedes; pieces dont le genre monstrueux, et le bisarre assemblage des parties qui les composent, ne fut jamais l'ouvrage du bon goût, et dans lesquelles on est obligé d'essuyer le passage choquant de la Parole au Chant, et du Chant à la Parole. Nous sommes donc tous convenus de ne donner le nom d'Opera qu'aux pieces de Théâtre entierement en Musique, d'où il résulte que nous reconnoissons qu'elle y tient le premier rang, et qu'elle en est l'Art principal, puisque nous en faisons le caractere distinctif de ce spectacle. Enfin il est incontestable que la Musique ne soit l'Art qui y est le plus employé. Elle y est permanente, et tient toute la représentation, et les autres Arts ne font que s'y succéder; d'où il est aisé de conclure après les autres preuves que je viens de donner, qu'elle est l'objet principal à la perfection duquel tous les autres concourent. Alors la difformité qu'on reprochoit à l'Opera disparoît, et nous n'y voyons plus qu'un spectacle dont le genre est de flatter les sens sans choquer la raison.
La Musique cependant peut se passer de tous ces moyens qu'elle met en oeuvre au Théâtre et qui ne lui sont qu'accessoires [-57-] et se suffire à elle-même; mais alors nous ne l'envisageons plus que comme un Concert; c'est ce qui la met dans la nécessité pour former un spectacle, de se servir de tous les Arts qui peuvent lui être relatifs.
Si l'on n'est point fondé à critiquer le genre de l'Opera en revanche on ne l'est que trop à attaquer la façon dont il est rendu. Quelques personnes ont confondu l'un avec l'autre; mais on sent assez qu'on ne peut raisonnablement imputer à un genre les défauts que laissent introduire dans son exécution ceux qui en sont chargés.
On ne sçauroit trop s'élever contre l'inaction, dans laquelle restent ordinairement ceux qui chantent les Choeurs, et dont j'ai déja parlé à l'article de Castor et Pollux; défaut qui réfrodit l'action et détruit l'illusion.
Quelque place que tiennent les Choeurs dans un Opera, soit qu'ils n'y fassent partie de l'intérêt, soit qu'ils n'y soient qu'accessoires, ils doivent toujours faire voir jusqu'à quel point ils y entrent, ou par leurs attitudes, ou par leurs évolutions, ou par un jeu marqué. Dans le Prologue de Promethée qu'on a donné avec Titon et l'Aurore, où les Choeurs forment le [-58-] point principal de l'intérêt, puisqu'ils représentent les hommes qui sont animés par le feu céleste; quel jeu ne leur devroit pas fournir l'instant où les suivans de Promethée secouent sur eux les flambeaux du feu vivifiant, et par combien d'attitudes intéressantes et variées, ne devroient-ils pas peindre les gradations du principe de vie qui s'insinue dans leurs veines; et la surprise que leur occasionne leur existance même, ainsi que les divers objets qui viennent frapper leurs premiers regards? au lieu que tout leur jeu se borne à se quitter les mains qu'ils avoient enchaînées deux à deux, et à descendre d'une façon assez maussade, de dessus les piedestaux sur lesquels ils étoient placés. Quel mouvement de joie ne devroient pas faire paroître ces nouveaux Mortels, dans le Choeur qu'ils chantent après avoir été animés, mais dans lequel au contraire ils paroissent vouloir retourner à leur premier état d'immobilité! Lorsque les Choeurs ne sont qu'accessoires au sujet et ne servent qu'à l'accompagner, il ne faut pas moins qu'ils expriment l'intérêt qu'ils y prennent, et le motif qui les engage à paroître. Les Peuples qui viennent à la fin de Pigmalion, pour se convaincre par eux-mêmes du [-59-] miracle que l'Amour a opéré en animant la statue, ne sçauroient trop exprimer quelle est leur surprise et leur étonnement. Ils pourroient même former plusieurs petites troupes qui viendroient tour à tour l'examiner de plus près, afin de marquer l'extrême curiosité qu'un pareil prodige a dû exciter en eux. Il est des positions à la vérité qui n'exigent pas toujours de la part des Choeurs un jeu aussi marqué. Dans le cas, par exemple, où ils ne sont que la suite nécessaire de quelque Héros, ou de quelque Divinité qui ne les met point en oeuvre pour ses intérêts, et de qui ils n'ont qu'à célebrer la Gloire ou chanter les Plaisirs, ils ne doivent en place de l'attitude ignoble et inanimée qu'ils paroissent avoir adoptée, qu'en prendre d'agréables et de décentes qui conviennent à la position dans laquelle ils se trouvent, et varier les figures que leur nombre les met dans la nécessité de former pour entourer leur Héros, sans s'en tenir à la forme si rebattue du fer à cheval, à laquelle ils paroissent être aussi attachés qu'à l'attitude des bras croisés.
Quel autre ridicule ne jette pas encore sur la régie de ce spectacle, la manoeuvre grossiere des cordes qui traversent si souvent le fond du Théâtre, qu'on a la [-60-] maladresse de jetter pendant des endroits intéressans, et dont la chute interrompt toujours le Spectateur. On pourra objecter à cela la petitesse du lieu qui ne permet pas d'employer d'autres moyens, mais cette objection est elle-même un défaut considerable pour ce spectacle qui y produit bien d'autres inconvéniens, et ausquels on ne pourra jamais remédier que par une autre salle. Mais si le peu de terrein peut servir d'excuse à de certaines opérations du Théâtre, on ne pourra du moins rien alléguer en faveur de ces monstres ridicules et mêmes indécens qu'on emploie quelquefois, qui laissent presque voir la forme humaine sous une toile blanchâtre, et dont les jambes traînantes de ceux qui en sont revêtus, achevent de tirer des Spectateurs un rire de mépris, qui est le seul mouvement que puissent exciter des objets aussi mal représentés. Enfin on ne met presque point d'Opera au Théâtre, dans lequel il ne se glisse quelque défaut particulier à peu près dans ce genre. Il est vrai que ces défauts ne sont pas sans remede.
Deuxieme. La molesse de la versification qu'on emploie au Théâtre lyrique et la morale qu'on y débite, ne sont que l'ouvrage [-61-] de Quinault, et non pas des défauts qu'on puisse imputer à l'Opera. Cet aimable Poëte, à la faveur d'une versification coulante et toujours naturelle, semble n'avoir eu d'autre objet que de corrompre le coeur. L'Amour languissant est celui qui paroît avoir eu le plus de droit sur sa plume; et s'il a rendu cette passion quelquefois Tragique et Théâtrale dans la bouche de Medée, dans celle de Roland, il ne l'a pas pour cela rendue plus avantageuse pour les moeurs. La punition des vices, le triomphe de la vertu, la valeur, le courage, l'amour de la patrie, qui sont les tableuax frappans qu'on doit offrir aux Spectateurs, n'ont jamais exercé son pinceau. Il semble même avoir évité dans ses ballets tout ce qui peut élever l'ame pour ne s'occuper qu'à l'amolir, en y établissant une morale lubrique, et qui est la même partout.
Que l'Amour est doux à suivre!
Quel plaisir de s'enflamer!
Un jeune coeur ne commence de vivre
Que du moment qu'il commence d'aimer.
Voilà le précis de la morale de Quinault: feuilletez-le d'un bout à l'autre, vous ne le verrez jamais s'écarter de ce systême, et il pousse au contraire quelquefois [-62-] la licence plus loin. Presque tous ceux qui ont travaillé pour le Théâtre lyrique, ont suivi son exemple; Thomas Corneille même dit dans le Prologue de Bellerophon:
Pourquoi n'avoir pas le coeur tendre,
Rien n'est si doux que d'aimer;
Peut-on aisément s'en défendre;
Non, non, non, l'Amour doit tout charmer.
Un pareil genre de versification n'a pû donner nécessairement à la Musique de Lully, qu'un caractere de molesse et de langueur, que les Musiciens qui lui ont succédé ont cru devoir adopter. Ainsi et Quinault et Lully, en créant l'Opera lui ont donné un caractere défectueux, dont les Auteurs n'ont commencé à s'écarter dans quelques endroits que dans ce siecle ci. En effet nous voyons des Poëtes bien inférieurs à Quinault, offrir aux Musiciens des sujets propres à élever l'ame, et à la remplir des sentimens les plus nobles. Il est vrai que ce n'est encore que dans quelque partie de leur Poëme, ils ne se soutiennent pas long-tems sur ce ton, et retournent bientôt à tous les lieux communs de ce Théâtre, dont ils paroissent ne point oser s'écarter. Mais le succès des premieres tentatives ne devroit [-63-] au contraire que les encourager à courir une carriere toute différente, à changer enfin la contexture de nos Opera, et à supprimer ce langage emmielé dont nos oreilles ne sont que trop rebattues. Ils peuvent en cela suivre l'exemple des Italiens qui sçavent si bien mettre en oeuvre les grandes passions dans leurs Opera; et quoique dans les nôtres la Poësie ne doive que tracer les tableaux du Musicien, elle peut également lui offrir dans ses desseins des sujets nobles et élevés, capables de faire sur les Spectateurs les impressions les plus fortes. Deux exemples suffiront pour prouver l'excellence de ce genre par la réussite qu'ils on eus; ce sont, le premier Acte de Jephté, et le second Acte des Talens lyriques. Il est vrai que les Poëtes ont eu le bonheur de tomber entre les mains de Musiciens habiles, qui ont considerablement enrichi et renforcé les idées que leurs Poëmes renfermoient.
Dans le premier Acte de Jephté, ce Héros témoigne la joie qu'il ressent d'être de retour dans le lieu de sa naissance; et en même-tems l'horreur qu'il a d'y voir les ennemis de Dieu, lui fait faire ce fameux serment si connu de tout le monde. Rien de plus opposé à l'amour [-64-] que le sujet de cet Acte, et rien de plus admirable que l'effet qu'il fait au Théâtre. Pendant le serment de Jephté, qui est accompagné du Choeur, Tout tremble devant le Seigneur, et qui est sans contredit le chef-d'oeuvre du Musicien, tout le monde se sent frissonner d'effroi, et entraîner par un mouvement de crainte et de tremblement. Cet Opera est le premier dans lequel l'Auteur a commencé à faire sortir la Musique de ce genre monotone et uniforme auquel elle avoit paru asservie jusqu'alors: aussi cet Opera ne réussit-il pas d'abord, la premiere représentation même pensa ne pas être achevée. Quand les erreurs sont en nous l'ouvrage de l'habitude, un instant ne suffit pas pour les dissiper, et la raison, qui seule a droit de le faire, n'en peut venir à bout que par degrés, aussi eut-on beaucoup de peine à revenir sur le compte de Jephté; mais on y revint enfin, et l'on finit par lui donner les applaudissemens qu'il méritoit.
Le second Acte des Talens lyriques, dans lequel Tyrtée envoyé au secours des Lacédémoniens, fait passer par ses chants son ardeur guerriere dans l'ame de ses soldats, semble exciter en nous le courage et la valeur. Cet Acte est frappant, [-65-] et l'on ne peut se refuser à son impression: mais aussi quel art et quelle force d'harmonie le Musicien n'a-t'il pas employé pour produire un pareil effet. C'est en parlant de cet Acte que Monsieur l'Abbé Arnaud remarque si judicieusement, que par la seule impulsion du sentiment de la vérité, Monsieur Rameau fait frapper à sa Symphonie l'Anapeste, qui étoit le pied belliqueux dont les Grecs se servoient pour exciter leurs troupes au combat.
Troisieme. Quelques-uns prétendent que la Musique ne sçauroit tout peindre, et même que sa peinture est fort vague, et partout à peu prês la même.
Pour répondre par ordre à cette critique, examinons d'abord ce qu'on entend quand on dit que le Musique ne sçauroit peindre tout, et nous verrons après ce qu'elle a de vague dans sa peinture.
Dire que la Musique ne sçauroit tout peindre, n'est pas un reproche qui puisse la déprimer, parce que chaque Art a sa façon de peindre qui lui est particuliere, et dont il ne peut s'écarter, mais à laquelle aussi aucun autre ne peut suppléer. La Musique ne prétend donc point à la façon de peindre des autres Arts, non plus qu'ils ne peuvent prétendre à la sienne; et si c'est l'objet du point de critique, [-66-] ce point n'est ni refléchi, ni même entendu, étant absurde d'exiger d'un Art, les effets qui n'appartiennent qu'aux autres.
Le partage de la Musique est de peindre et de rendre les effets qui ont besoin de l'ouie pour affecter notre ame; et si l'on prétend encore qu'elle ne sçauroit tout peindre, même dans ce genre, et que ce soit là le point véritable de la critique; il ne me sera pas plus difficile de le détruire que le premier; mais alors en prouvant qu'elle peut tout peindre dans le sens que l'on entend ici, je démontrerai aussi que sa peinture n'est point vague, et les mêmes raisons détruiront les deux objections.
Pour bien entendre cette matiere, il fut sçavoir que la peinture de la Musique se divise en deux genres, qui sont, la Peinture physique, et la Peinture d'expression et de caractere. La Peinture physique est l'imitation des choses naturelles, telles que le chant des oiseaux, le murmure d'un ruisseau, le sifflement des vents, le bruit du canon, les cris des hommes, le mugissement des animaux, et cetera et la Peinture d'expression et de caractere, est celle qui rend les passions et les sentimens, comme la tristesse, l'emportement [-67-] la gayete, la tendresse, et cetera ce qui peut autoriser à donner le nom de Peinture métaphysique à ce dernier genre.
Il faut remarquer encore que le premier genre (le genre physique) se partage en deux parties, qui sont la partie réelle, et la partie artificielle. Le second genre n'en a qu'une qui est artificielle. L'examen de ces genres et de leurs parties, va renfermer les réponses aux Critiques.
La partie réelle du genre physique, renferme les choses qui nous sont rendues exactement comme elles existent dans la nature, qui en prescrit elle-même la progression des sons, et dont l'Art ne sçauroit s'écarter, comme dans le chant général des oiseaux; dans le chant particulier d'un rossignol, d'un coucou, d'un hibou; dans le son d'une cloche; dans le mouvement des marteaux qui frappent sur l'enclume; le bruit d'un canon, qui a si bien réussi dans deux de nos Opera (1); le sifflement des vents; ce-lui de ces sortes de crapeaux qu'on entend dans les belles soirées d'Eté, et que Monsieur [-68-] Rameau a si parfaitement imité dans l'Opera de Platée, et cetera.
Il est bien d'autres objets appartenans à la partie réelle du genre physique, que les sujets qu'on a à traiter peuvent fournir; il en est même que l'on ne prévoit pas, et ausquels le génie d'un Musicien habile peut seul donner l'existence, comme ce Vive le Roi dont Monsieur Rameau a rendu l'effet avec tant de vérité dans l'ouverture d'Acante et Cephise; quoiqu'il fût dénué de l'articulation des paroles, cependant personne ne s'y méprît, et tout le monde en fut frappé, parce que l'Auteur avoit sçu choisir l'effet des instrumens les plus analogues aux voix, dans un tumulte populaire, et le caractere des sons qu'on y met en usage. L'expérience donc nous prouve incontestablement, que la Musique peint avec la derniere vérité tout ce que l'on peut renfermer dans cette partie du premier genre de sa peinture, et détruit absolument les argumens des Critiques à cet égard.
La partie artificielle du genre physique, renferme les choses que la Musique nous rend par des dispositions et des progressions de sons analogues à leur nature, et par l'imitation de la mesure des tems et des mouvemens de ces choses. Tel est le [-69-] courant d'un ruisseau, dont la Musique peint le mouvement et l'ondulation, en disposant des progressions de sons très-souvent diatoniques, qui offrent à l'oreille par leurs élévations et leurs abbaissemens bien menagés, un effet semblable à celui que ces vagues légeres offrent à l'oreille. L'agitation des flots de la Mer s'exprime en forçant ces degrés d'élévation et d'abaissement jusqu'au point de vérité nécessaire, et en caractérisant de tems en tems par d'autres élévations particulieres et plus rapides, du grave à l'aigu, l'élévation des flots et des colonnes d'eau; les sons graves devant, pendant ce tems avoir une sucession très-rapide et ondulée d'une façon indéterminée, pour exprimer le bruit sourd et confus qu'occasionne une pareille agitation; bruit que l'air nous transmet plus fortmement dans des instant que dans d'autres, ce qui est caractérisé par l'ondulation des sons graves. Joignez à cela le sifflement des vents qui appartient à la partie réelle du genre physique, et la tempête sera complete. Pour exprimer le bruit souterrein qu'on entend aux environs d'un volcan, il faut que la rapidité des sons graves jointe à une disposition d'accords durs et frappans, offre l'image du frémissement [-70-] qu'on éprouveroit réellement si l'on étoit dans un lieu semblable. Cette rapidité des sons graves n'est point comme dans la tempête, accompagnée de passasages ondulés, leur élévation doit être ici un peu plus lente que leur articulation, afin que ces différens points d'élévation puissent nous rendre avec plus de vérité les différens degrés de proximité de ce bruit. Enfin qu'on peigne si l'on veut l'écroulement d'un édifice, les passages subits des sons aigus aux graves, en progressions disjointes, nous rendront l'effet des chutes; et ces mêmes passages subits, mais en progressions conjointes, caractériseront l'éboulement; différens des passages subits et diatoniques qu'on emploie dans l'ondulation des flots, en ce que ceux-ci passent du grave à l'aigu, pour revenir de ce dernier terme au premier, et que les autres ne peuvent établir leur progression que de l'aigu au grave; ce qui met une différence marquée entre ces effets. La carriere seroit immense si je voulois entreprendre le détail de tous les objets phsyiques que la Musique sçait peindre artificiellement, cet Art ayant des procédés différens pour tous ces différens objets.
Les refléxions que je viens d'exposer, [-71-] suffisent pour faire connoître aux Critiques l'analogie intime qu'il y a entre cette peinture et les objets dont elle tient lieu, et par conséquent l'illusion qui en doit résulter. Pour s'en convaincre plus parfaitement, ils n'ont qu'à appliquer ces principes à la pratique, examiner et entendre l'accompagnement du ruisseau des Talens lyriques, la tempête d'Hyppolite et Aricie, le bruit du volcan de l'Acte des Incas, qui, quoique court, fait tout l'effet qu'on peut désirer. Alors ils verront que l'illusion de cette peinture est réelle et incontestable; que la Musique emploie différens moyens pour peindre différentes choses; que ceux dont elle se sert pour exprimer l'ondulation d'un ruisseau, ne sçauroient convenir au sifflement des vents, que ceux du sifflement des vents ne sçauroient rendre le bruit souterrein d'une volcan; que sa peinture n'est point vague, puisque ses procédés sont déterminés; et que s'il y a quelque ressemblance entre de certains effets, comme entre le bruit souterrein du volcan et ce-lui qu'occasionne le bouillonnement sourd et confus d'une Mer agitée, c'est parce que la nature y a mis cette ressemblance, et que l'Art doit l'imiter.
Enfin le second genre de peinture, [-72-] celle d'expression et de caractere, est tout artificiel et illusoire, parce qu'il a pour objet les affections et les mouvemens de l'ame. Examinons d'abord quelle relation la Musique peut avoir avec ces affections et ces mouvemens, et ce point étant une fois connu, le genre de peinture dont il est question, ne sera plus difficile à prouver.
La nature a rendu nos ames susceptibles d'un certain nombre d'affections différentes, au delà desquelles elles ne peut plus être ébranlée, et elle ne l'est plus ou moins fortement, qu'autant que les objets qui viennent la frapper, sont plus ou moins relatifs à ses affections: ceux qui n'y ont aucune relation ne l'affectent point du tout. Or il est prouvé que les Arts l'affectent sensiblement. La Musique a donc ce droit comme les autres, et le droit même de l'affecter diversement par ses caracteres, ses expressions et ses mouvemens. Puisque notre ame est suscpetible de saisir toutes les modifications de la Musique, il s'ensuit que ces modifications ont des caracteres relatifs aux objets qui peuvent l'affecter, et ces caracteres sont les moyens dont la Musique se sert pour peindre les affections de l'ame, en choisissant ceux dont [-73-] l'expression est analogue au mouvement que ces affections font naître en elle. C'est par-là que la Musique exprime la colere, la gaieté, la tendresse, la fureur, la tristesse, et cetera.
Les refléxions que peuvent faire naître le principe que je viens d'effleurer, ne serviront qu'à prouver plus parfaitement l'existence de cette peinture artificielle des affections et des passions dont notre ame est susceptible, par l'imitation des mouvemens que ces passions font naître en elle; et s'il s'en trouve quelques-unes dont les caracteres et les mouvemens soient à peu près les mêmes dans leur nature, la Musique étant obligée de les imiter, mettra seulement les nuances qui pourront les différencier dans les tours de chant et les phrases d'harmonie qui ne sont d'ailleurs jamais les mêmes dans des morceaux différens, quoique du même caractere.
La lumiere que la Philosophie a répandue sur la Musique dans ces derniers temps, nous a fait connoître distinctement que chaque accord avoit une façon d'affecter notre ame qui lui étoit particuliere. Les expressions des sons ayant d'ailleurs des procédés aussi variés que leur progression dont j'ai parlé dans le genre physique [-74-] artificiel, il est aisé de conclure contre les Critiques, que la Musique a les mêmes ressources pour peindre les passions que pour peindre les autres objets. On peut, pour avoir une conviction entiere, appliquer les refléxions que je viens de faire à des morceaux de Musique-pratique, ainsi que je l'ai proposé dans le genre physique. Alors on verra que les défauts qu'on a pu reprocher à la Musique dans ce genre, ne sont que ceux que les Musiciens ont introduits dans leurs ouvrages: n'ayant point assez étudiés la nature et la vérité, ils ont fait des peintures vagues et sans expression. Mais qu'on examine les productions des grands Hommes, on y découvrira toutes les ressources et les richesses de l'Art.
Une seule modification est à désirer dans la Musique de Théâtre; ce seroit d'y employer une déclamation notée, qui approchant le plus de la parole, ne fut qu'on vrai Récitatif débité, qui remplaceroit le chant informe à qui nous donnons ce com. Indépendamment du bon effet que feroit ce Récitatif dans les endroits qui ne servent qu'à l'exposition du sujet, il seroit encore admirable pour donner une vraisemblance entiere à la mort d'un Héros, dans la bouche duquel [-75-] on ne mettroit que ce Récitatif en place d'un chant toujours trop figuré pour cette circonstance, tel simple qu'il puisse être. Cependant, si cette modification nous manque, ce n'est pas parce qu'elle ne peut exister, mais parce qu'on ne l'a point encore mise en usage au Théâtre. (1) Peut-être l'y verrons-nous paroître quelque jour avec les autres changemens qui sont nécessaires pour rendre l'exécution de l'Opera parfaite: alors le portrait qu'en fait l'Auteur d'une piece de Poésie intitulée Eloge du Mensonge, y brillera dans tout son ensemble. Cette piece est insérée dans le Mercure de Juillet 1755. Je crois ne pouvoir mieux finir cet article qu'en rapportant ce portrait de l'Opera.
Que vois-je, cher Damon? que d'objets ravissans!
Arrêtons-nous à ce spectacle,
Où tout est chef-d'oeuvre et miracle,
Où tout enleve l'ame en surprenant les sens.
[-76-] Quel pouvoir divin ou magique
Fait qu'un espace si borné
Paroît vaste à mes yeux, et le plus magnifique
Que jamais nature ait orné?
Qui sçut y renfermer ces superbes montagnes,
Ces rochers, ces sombres forêts,
Ces fleuves effrayans, ces riantes campagnes,
Ces riches temples, ces palais?
Quel génie ou démon, pour enchanter ma vûe,
A ses ordres audacieux
Fit obéïr le ciel, la terre et l'étendue?
Sans doute, quelqu'il soit, c'est l'émule des Dieux.
Une amusante symphonie
Des chantres des forêts imite les accens!
Que dis-je? Rossignols, ah! c'est vous que j'entens.
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruisseaux, l'aimable murmure
Vient s'unir à vos sons dictés par la nature:
On ne me trompe point, tout est vrai, je le sens.
Mais grands Dieux! quel revers étrange!
Le plaisir fuit, la scene change;
Fole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables sifflemens!
L'air mugit, le tonnerre gronde!
Un desordre bruyant, le choc des élémens,
Tout semble m'annoncer le dernier jour du monde!
Fuyons vers quelqu'antre écarté,
[-77-] Echappons, s'il se peut, à ce cruel orage....
Mais je rougis de ma simplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures, ces bruits, ces champêtres concerts,
Ne sont dûs qu'aux accords d'une adroite musique;
Et ces paysages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'operent les merveilles?
Servandoni ment à nos yeux,
Et Rameau ment à nos oreilles.
Paragraphe VIII. Concerts.
Chaque siecle a son goût et ses modes. Les plasirs de la table et ceux de jeu, ont été long-temps les seuls que l'on connoissoit. Mais autant il étoit du bon ton jadis de s'assembler dans les Temples consacrés à Bacchus, autant ils sont à present déserts: on regarde même avec mépris ceux qui continuent à les fréquenter. Le jeu commence aussi à perdre de ses droits: la Musique lui enleve tous les jours un grand nombre de partisans; et cette science devient [-78-] de plus en plus l'amusement des personnes bien nées. A l'exemple de la Capitale, quelques Provinces se procurent cet innocent plaisir. Il seroit à souhaiter qu'elles prissent toutes la ville d'Amiens pour modele. Les principaux Bourgeois de cette ville, au nombre de quarante, se sont associés, et chacun d'eux a fourni une somme pour l'établissement d'un Concert public: mais afin que cet argent ne fût point en pure perte pour leurs héritiers, ils ont fait des reconnoissances qui deviennent disponibles ou héréditaires. En vertu de ces reconnoissances, ceux qui en sont les propriétaires ont droit d'assister aux Concerts, sans avoir pour cela d'autres qualités qui les rendent capables d'y tenir leurs parties. Touts les dépenses journalieres se font par les quarante Associés, sans que les Dames exécutantes y contribuent d'aucune façon. Il n'y a dans ce Concert aucuns Gagistes, et ce sont les Bourgeois de la Ville qui l'exécutent eux-mêmes. Ils prennent quelquefois plusieurs Musiciens de la Cathédrale pour servir de renfort; et c'est ordinairement le Maître de Musique de cette Eglise qui conduit le Concert. Toutes les Demoiselles qui ont de la voix, et du talent pour la Musique, [-79-] se font un plaisir d'y chanter. Il y en a même quelques-unes d'entr'elles qui sont grandes Musiciennes. Mademoiselle Guenin qui joint à beaucoup de science une grand modestie, ne s'est pas contentée d'y briller comme exécutante: elle a fait voir que son sexe est capable des plus grandes entreprises lorsqu'il veut s'en donner la pein. L'opera de Daphnis et Amalthée qu'elle a composé, et que les Associés du Concert ont exécuté, en est une preuve.
Les Concerts ne sont pas seulement une ressource contre l'ennui, ils sont encore pour la plûpart une école sçavante où l'on peut acquérir différens points de perfection en travaillant d'après les excellens modeles dans tous les genres qui s'y rassemblent. La variété est l'ame d'un Concert. Quand il est bien conduit, on y trouve un heureux mêlange des productions immortelles de la Musique Françoise et de la Musique Italienne. Une Symphonie de Le Clair se trouve suivie ou précédée d'un Sonate de Tartini; et les amateurs éclairés et judicieux applaudissent sans partialité les bons ouvrages de quelque Nation qu'en soient les Auteurs, parce que le vrai beau est de tous les Pays, et que l'on est également satisfait [-80-] d'entendre une Aria de Pergolese, ou de Vinci, que quelque fragment de nos meilleurs Opera.
En effet il faut convenir que la prévention nous empêche souvent de rendre justice au mérite, parce que le préjugé National nous fait toujours trouver nos productions plus parfaites que celles des autres peuples. On adopte un sentiment quelquefois contraire à la saine raison, sans trop sçavoir pourquoi, et ce sentiment est souvent une source d'illusions. Notre amour propre qui se croit humilié ne veut pas convenir que nous ayons tort. Delà cette affectation ridicule des admirateurs de la Musique Italienne, de montrer non seulement de l'indifférence, mais même du mépris pour la Musique Françoise, tandis que les Partisans de celle-ci lui donnent des louanges excessives, et décrient celle que les premiers admirent.
Paragraphe IX. Académie de Musique érigée à Aix en Provence.
Les plus grands établissemens doivent souvent leur naissance à des choses qui paroissoient d'abord peu importantes. Il ne faut qu'un génie créateur qui fraye [-81-] une route nouvelle, pour y voir bientôt marcher ceux qui ont été frappés de l'idée qu'il a conçue. S'il se trouve heureusement quelqu'un qui le protege, il travaille avec plus d'ardeur à perfectionner son ouvrage, et l'on est quelquefois étonné d'en voir le progrès rapide.
Presque toutes les Académies ont commencé par de petites sociétés de personnes qui s'assembloient pour raisonner sur une matiere qui demandoit de l'étude et de l'application, et peu à peu elles sont parvenues au point où nous les voyons maintenant. Elles se sont même considérablement multipliées depuis quelques années. Est-ce un mal? non: quand elles ne serviroient qu'à répandre le goût des sciences et de l'étude, c'est toujours un grand point. Il y a mieux: les Membres de chaque Académie travaillent, à l'envi l'un de l'autre, à des ouvrages qui ont pour but, ou la perfection de l'Art, ou l'utilité publique; mais quand ils n'auroient aucuns de ces avantages, l'homme de sa nature enclin au mal, suit volontiers le penchant qui l'y conduit, lorsqu'il a point d'occupations pour l'en distraire. Ainsi le tems que l'étude des beaux Arts dérobe au vice, est toujours autant de gagné pour la vertu.
On ne peut trop louer le zele des Magistrats [-82-] d'Aix en Provence, qui ont accordé sur la fin de l'été dernier, une salle dans leur Hôtel de Ville, pour seconder les vues d'une société de jeunes amateurs de Musique, qui désiroit s'ériger en Académie. Monsieur le Chevalier de R *** qui en a été nommé le Directeur, encouragé par ces marques de bienveillance, n'a rien négligé pour rendre cet établissement utile à sa patrie. Voici quelques fragmens du discours qu'il a prononcé à l'ouverture de cette Académie.
Messieurs,
"Nous voici enfin arrivés à cet heureux jour qui paroissoit si tardif à nos désirs impatiens. Nos voeux vont donc être accomplis: notre Académie, semblable à la brillante Aurore qui dissipe par sa présence les sombres ténebres, notre Académie, dis-je, va avec le goût de l'Harmonie, ramener celui de tous les Arts.......... En vain un peuple de jaloux s'attroupe pour en fronder l'objet, ils ne pourront jamais pousser que des croassemens impuissans. Je les vois encore s'autoriser de la gravité que donne l'âge, et traiter de dessein de jeunesse un établissement qui n'a pour but que l'avancement des Arts: qu'ils [-83-] apprennent ces vrais Zoïles et ces faux Aristarques, qu'ils apprennent que l'âge ne fut jamais un empêchement pour faire réussir un projet: qu'ils ouvrent les fastes littéraires de Toulouse pour s'en convaincre, ils y liront que de jeunes gens enflammés du même zele qu'Apollon semble nous avoir dicté, jetterent les premiers fondemens de cette célebre Académie qui fait encore aujourd'hui l'admiration de l'Europe entiere."
Monsieur le Chevalier de R*** offre ensuite à ses Confreres le tableau des avantages que l'Harmonie procure, puis il passe à ses effets; et pour encourager les Membres timides de cette Académie naissante: "Hâtons-nous donc, dit-il, de mettre la derniere main à ce grand ouvrage: qu'il ne paroisse plus que la Provence s'est épuisée, en produisant ces grands hommes Restaurateurs du goût, ces Campra, ces Pellegrin, ces Gilles, ces Bellisens, et cet essain qui se forma par leurs principes. Soyons enfin leurs dignes rejettons...... Que les portes de notre société ne soient ouvertes qu'à de jeunes gens qui se fassent un plaisir de cultiver un Art si gracieux, une gloire de le faire fleurir dans cette Ville, et [-84-] qui n'ayent pour toute ambition que de surpasser les grands Hommes qui s'y sont illustrés. Que ceux qui vivent sans goût pour ce même Art, soient à vos yeux comme des profanes qui ne méritent point d'avoir entrée dans notre Société, le sanctuaire des Arts; qu'ils soient regardés comme des mortels stupides qui n'ont jamais sacrifié aux graces: ainsi regarda-t'on Themistocle dans un festin, pour n'avoir pas sçu tirer quelques sons d'une Lyre qu'on lui avoit présentée."
L'Auteur, pour terminer son Discours, souhaite à cette Académie, foible dans ses commencemens, qu'elle devienne semblable à ces grands fleuves qui s'augmentent en s'éloignant de leurs sources, par les divers ruisseaux qui leur viennent payer le tribut de leurs ondes; et quelle voie dans ceux qui la composent aujourd'hui, une ardeur qui, après avoir été transmise d'âge en âge à leurs successeurs les plus reculés, fixe enfin le sort des Arts.
Fin de la premiere Partie.
Mars 1756.
[-85-] SENTIMENT D'UN HARMONIPHILE. Sur différens Ouvrages de Musique.
SECONDE PARTIE.
Paragraphe X. Nouvelle maniere de chiffrer la Basse continue, pour l'accompagnement du Clavecin.
LA multiplicité des signes dont on se sert dans l'accompagnement du Clavecin, a toujours été un point de discussion entre les Auteurs qui ont écrit sur cette matiere. Malgré tout les soins que les plus habiles Maîtres se sont donnés, les changemens que l'on a faits dans la maniere de chiffrer les basses, sont si foibles, que l'on est presque au même point d'où l'on étoit parti. Monsieur Rameau, dont le vaste génie a répandu tant de lumieres sur toutes les parties de la Musique, a senti mieux que personne la difficulté que le trop grand nombre de chiffres occasionnoit. Il a cherché [-86-] les moyens d'y remédier. Son Plan d'une nouvelle méthode établie sur une méchanique des doigts que fournit la succession fondamentale de l'harmonie, étoit sans doute ce que l'on pouvoit désirer de mieux; mais l'entêtement des Maîtres de Clavecin a prévalu, l'on a préféré l'ancienne route, toujours longue et pénible, au nouveau chemin que Monsieur Rameau venoit de frayer, quoiqu'il fût infiniment plus court, et qu'il épargnât beaucoup de peines.
Comme la Méthode, que je vais proposer, pour chiffrer la Basse continue, a beaucoup d'analogie avec le Plan de Monsieur Rameau, remettons ce dernier sous les yeux des Lecteurs, afin qu'ils puissent juger si la nouvelle voie que j'offre, est encore plus facile.
La difficulté de bien accompagner du Clavecin, a toujours été si grande, qu'il a fallu, dit Monsieur Rameau, se résoudre "à travailler assiduement pendant dix ou douze années, comme ont été obligés de le faire jusqu'ici tous ceux qui réussissent un peu dans l'art dont il s'agit."
Monsieur Rameau examine d'abord quelles sont les causes "qui dans l'accompagnement retardent l'avancement des Eleves, et embarrassent souvent les Maîtres [-87-] mêmes". Ces causes viennent de deux sources; sçavoir:
Premiere. "La maniere de chiffrer les Basses".
Deuxieme. "Les regles et les méthodes qui nous ont été données jusqu'ici".
Il prouve d'abord que les signes dont on se sert pour chiffrer les Basses, sont non seulement en trop grand nombre, mais qu'ils sont encore pleins de confusion, d'équivoques et de contradictions.
"Quoiqu'il n'y ait, dit-il, qu'un seul accord consonnant, on l'a toujours distingué en trois: sçavoir, en accord parfait ou naturel, en accord de sixte, et en accord de sixte quarte, sans parler d'un accord de sixte doublée, que quelques-uns en distinguent encore, quoiqu'il soit toujours le même: et pour indiquer à celui qui accompagne lequel de ces accords il doit pratiquer, on s'est toujours servi de cinq signes ou chiffres différens; sçavoir d'un 8, d'un 5, d'un 3, d'un 6, et d'un 6/4; outre qu'il est encore décidé que partout où il n'y a point de chiffres, l'accord parfait est supposé".
"Quoiqu'il n'y ait aussi qu'un seul accord dissonant, on l'a cependant toujours distingué en plusieurs; de sorte qu'à mesure que l'expérience en a fait sentir [-88-] les différentes combinaisons et les différens rapports, relativement à différentes notes d'une Basse arbitraire, on en a fait autant d'accords différens; tellement qu'on le distingue aujourd'hui en vingt-deux; et qu'on a plus de quarante signes différens pour les indiquer". Pour démontrer ce qu'il avance, l'Auteur, dans une table à deux colonnes, fait une énumération de tous les accords dissonans, avec les chiffres en usage pour désigner ces accords.
Il fait voir ensuite les contradictions manifestes, et les équivoques continuelles qui se trouvent dans la façon de chiffrer les Basses. Malgré la multiplicité des signes, un chiffre désignant un accord, laisse encore "sousentendre avec l'intervalle désigné par ce chiffre, deux ou trois autres intervalles qui n'y sont presque jamais exprimés, et autant d'accords, autant de différens intervalles à y sousentendre.... Si d'un autre côté, tous les intervalles sont désignés par plusieurs chiffres ensemble, on n'en est que plus embarrassé: plus les objets sont multipliés, plus il en coûte pour les rassembler dans son imagination, et plus par conséquent l'exécution en est retardée".
Il falloit donc trouver des signes dont [-89-] le petit nombre présentât à notre esprit une idée claire et distincte de la succession harmonique des accords. Monsieur Rameau, pour raccourcir le systême de l'accompagnement, a imaginé sept signes qui nous donnent tous les accords possibles. Mais avant que de développer le plan de sa méthode, il examine les meilleures qui ont été données au public, et par l'analyse qu'il en fait, il démontre clairement que bien loin de suppléer au défaut des chiffres, ces méthodes "sont plus propres à y répandre les ténebres que la lumiere".
En effet, tous les traités d'accompagnement roulent sur la regle de l'octave. Dans cette regle, "Les accords sont déterminés relativement au rang qu'occupent les notes de la Base dans un ton donné: mais outre que ces accords n'y sont généralement déterminés que dans un ordre diatonique, attendu qu'il y a d'autres ordres sur lesquels cette regle garde presque partout le silence, sçavoir: le consonnant, le chromatique, et l'enharmonique, c'est que tous les accords possibles dans cet ordre diatonique n'y sont pas spécifiés; c'est en un mot, que quand rien n'y manqueroit de ce côté-là, le principal y manque; sçavoir, le moyen de reconnoître le ton, surtout le [-90-] moment précis où il change, et cela dans une promptitude proportionnée à celle qu'exige l'exécution: car que sert de sçavoir qu'il faut faire tel accord sur tel degré du ton, si ce ton peut n'être pas toujours connu? D'ailleurs que d'opérations cette regle n'exige-t'elle pas, et comment peut-on y suffire? Quoi! à chaque note, à chaque accord, il faudra s'assurer du ton, du rang qu'y occupe cette note, et de l'accord qu'elle doit porter? Que feront les doigts pendant ce tems-là? N'ont-ils pas de leur côté leurs opérations à faire? A peine est-on arrivé à un accord, qu'un autre se présente: le moment où l'on y voudroit penser, est justement celui où il faut l'exécuter. Ne croyez pas que si l'on y rencontre juste quelquefois, ou par le secours de l'oreille, ou par celui de la partition, ou par la facilité qu'on a de lire dans un instant une ligne de musique, ou par certaines regles le plus souvent équivoques, cela soit un moyen infaillible de ne s'y tromper jamais; j'en prends à témoins les plus habiles: sçavoir ce qu'il faut faire, et l'exécuter dans un certain moment donné, où l'on n'a pas le temps d'y réfléchir, ce sont deux choses bien différentes".
[-91-] Delà il étoit tout naturel de parler de la marche des doigts. Cette marche bien loin d'être uniforme, varie à tous momens, parce que l'on retranche "de presque tous les accords dissonans, un son, une note, qui les différencie, et pour l'esprit, et pour les doigts, et pour l'oreille, lorsqu'avec cette note ce n'est plus qu'un même accord". Il prend pour exemple l'accord de septieme de la dominante, sol, si, re, fa, dans le ton de C sol ut, qui forme par les différentes faces de l'exécution, sept accords différens, et même treize, comme il le prouve dans un autre endroit.
"Ce n'est pas tout: à chaque face d'un même accord, la marche des doigts est différente, soit pour y arriver, soit pour passer à un nouvel accord; de sorte que, supposé qu'un même accord puisse être suivi de cinq accords différens, ces cinq successions possibles se multiplient pour lors jusqu'à soixante-quinze, par la distinction d'un accord en cinq seulement, et par les trois faces dont chacun de ces cinq accords est susceptible; car cinq fois cinq font vingt-cinq, et trois fois vingt-cinq, font soixante-quinze".
Pour arriver au plan de sa nouvelle méthode, l'Auteur commence par exposer [-92-] en quoi consiste l'accompagnement du clavecin, et les principes sur lesquels il doit être fondé.
Comme dans le courant d'une piece de musique, le ton change à chaque instant, après avoir insisté sur la nécessité d'avoir un signe qui fasse connoître dans quel ton l'on est, il fait choix des lettres de l'alphabet A, B, C, D, E, F, G. Ces lettres répondent aux notes de la gamme suivante
G re sol.
F ut fa.
E si mi.
D la re.
C sol ut.
B fa si.
A mi la.
Personne ne les ignore: donc cette méthode peut être généralement reçue dans toutes sortes de Pays.
Pour qu'on ne puisse jamais s'écarter de l'idée du ton, il appelle accord de la tonique, tout accord consonnant: dans cet accord et dans son signe, sont confondus, et l'accord parfait, et l'accord de sixte, et celui de sixte quarte. Quelque note qu'il y ait dans une Basse, la lettre qui [-93-] est au dessus, ou au dessous, et qui ne tient pas plus de place qu'un chiffre, indique toujours l'accord de la tonique. Par exemple C, nous fait connoître que nous sommes dans le ton de C sol ut, qu'ut en est la tonique, et qu'il en faut faire l'accord parfait.
Comme ce nouveau plan roule, pour ainsi dire, sur la méchanique du doigter, il détaille amplement la marche des doigts dans la succession des accords. Tout est réduit ici presque à rien: deux doigts joints, et les deux autres par tierces, ou tous les doigts par tierces, ce qui ne fait pas une grande différence; c'est en quoi consiste toute la position de la main droite dans les accords dissonans. Le pouce est entiérement exclu.
"Il n'y a que des accords consonnans et dissonans: toute la succession des accords ne consiste donc que dans celle des consonnans entr'eux, des dissonans entr'eux, et de leur entrelassement".
Les doigts ont une marche particuliere dans ces trois successions; mais tout est d'une si grand simplicité, principalement pour ce qui regarde la façon de préparer et de sauver les dissonances, qu'on ne peut trop louer Monsieur Rameau d'avoit étouffé l'hydre qui rendoit l'accompagnement du clavecin si épineux.
[-94-] Après avoir établi la marche des doigts dans ces trois successions, l'Auteur examine de combien d'accords celui de la tonique peut être suivi. Ce nombre prodigieux dont on a parlé au commencement est réduit ici à sept, encore dans ces sept n'y en a-t'il que trois qui tiennent presque toujours lieu de tout. Les autres ne s'emploient que dans les suspensions et dans les changemens de tons.
"Nous avons donc, dit Monsieur Rameau, pour tout accord, celui de la tonique, celui de sa seconde, son sensible, celui de sa septieme, celui de sa sixte ajoutée, celui de sa tierce quarte, et celui de la quarte. Les autres ne sont nullement à considérer, parce que la méchanique des doigts annoncée les fournit, sans qu'on soit obligé d'y penser: donc de vint-cinq, reste à sept; et de ces vingt-cinq, dont chacun doit se rapporter à différentes notes du ton, les sept dont il s'agit ici, ne se rapportent qu'à la seule tonique. Si vous sçavez sous quel doigt est cette tonique, ou sa tierce, aucun de ces sept accords ne peut vous échapper en appercevant son signe".
"L'accord de le seconde se marque d'un 2. L'accord sensible d'une x. L'accord de la septieme d'un 7. [-95-] L'accord de la sixte ajoutée d'un aj. L'accord de tierce-quarte d'un 4/3. L'accord de quarte d'un 4."
Après avoir parlé de tout ce qu'il étoit nécessaire d'expliquer, il rapproche son plan, et en le dénuant de toutes les réflexions qui le désunissent, il en fait une récapitulation, pour voir de plus près ce que peut valoir la méthode en elle-même.
On trouve après un parallele de la méthode de la regle de l'octave, avec celle-ci; dans lequel on fait valoir les avantages de l'une et de l'autre, afin de mieux faire sentir à laquelle des deux on doit donner la preférence.
Monsieur Rameau rend ensuite raison de ce qui l'a obligé d'exclure le pouce dans l'accompagnement du clavecin; il y a aussi un article à part à l'occasion des deux octaves de suite qui se trouvent fort souvent dans sa nouvelle méthode. Il y fait voir le peu de validité des raisonnemens que font ceux qui défendent les deux octaves et les deux quintes de suite.
L'ouvrage est terminé par une conclusion où l'Auteur engage le Public à préférer cette méthode à l'ancienne, vu que la sienne, "qui est directement tirée de la Basse fondamentale, nous la rend d'une maniere si simple, qu'il n'y a pas [-96-] moyen de l'y méconnoître; et le Musicien devroit en faire d'autant plus de cas, qu'elle présente un précis de toutes les successions de l'harmonie, auxquelles il ne paroît pas qu'il ait jamais fait attention".
On trouve à la fin un adagio de la troisieme Sonate du cinquieme oeuvre de Corelli, où Monsieur Rameau à joint ses nouveaux signes pour servir d'exemple, et avec lequel il fait voir qu'une personne qui n'auroit qu'une main pourroit accompagner du clavecin. Voyez ce qu'il dit à cette occasion dans son nouveau plan, page 18.
Cette méthode est sans contredit très-excellent; cependant elle peut se simplifier encore davantage. En conservant le même doigter dont le méchanisme est admirable, on peut, au lieu des sept signes que l'on est obligé de connoître, n'en admettre que trois; une lettre pour l'accord consonnant, un 7 au dessus de la lettre pour l'accord dissonant, et un 4 seul pour l'accord d'onzieme hétéroclite. Développons cette idée, et faisons voir la possibilité de ce nouveau systême.
Toute la musique, comme je l'ai dit ci-dessus d'après Monsieur Rameau, est composée, ou d'une suite d'accords consonnans [-97-] ou d'une suite d'accords dissonans; ou de l'entrelassement de ces deux accords. Il ne s'agit donc que de trouver deux signes différens, qui désignent sans équivoque l'un les accords consonnans, et l'autre les accords dissonans. Je parlerai plus bas du troisieme signe.
Pour les accords consonnans, le signe le plus clair, le plus simple, et en même temps le plus expressif, est celui dont Monsieur Rameau s'est servi dans son nouveau plan, je veux dire les sept premieres lettres de l'alphabet,
Avant que l'on eût imaginé de donner un nom aux notes de la musique, on se servoit de ces lettres pour désigner les sept sons de la gamme. La lettre A indiquoit le la, B se mettoit pour le si, C pour l'ut, D pour le re, E pour le mi, F pour le fa, et G pour le sol. Depuis que la nomination et les figures des notes ont été imaginées, on a conservé les sept premieres lettres dont on se servoit anciennement.
Dans toutes les modulations imaginable, la note tonique tient le premier rang, après quoi sa quinte que l'on appelle dominante, y joue un rôle très-considérable. On a donc non seulement, en conservant les lettres qui tenoient jadis lieu de [-98-] notes, joint la tonique de chaque modulation à ces mêmes lettres dans l'ordre où elles les représentoient; mais on a aussi mis la dominante de chaque tonique entre cette même tonique et la lettre qui la précede. Ces lettres ont maintenant l'expression musicale suivante.
Lettres. Dominantes. Toniques. G re sol. F ut fa. E si mi. D la re. C sol ut. B fa si. A mi la.
Chacune de ces lettres désignera comme dans le plan de la nouvelle méthode de Monsieur Rameau, l'accord parfait, composé de la tonique, de sa tierce, et de sa quinte; et l'on s'en servira également pour l'accord consonnant direct, et pour ses dérivés, quelques notes qu'il y ait dans la Basse.
[-99-] Exemple.
[Laugier, Sentiment, 99; text: Accord parfait sur la tonique. Accord de sixte sur la médiante. Accord de sixte-quarte sur la dominante. ut. sol. mi. Anciens chiffres, 3. 6. 6/4. Basses, Nouveaux signes pour chiffrer. c.] [LAUSEN 01GF]
Comme l'accord dissonant n'est autre chose qu'un accord parfait, auquel on ajoute une troisieme note formant la septieme avec la note principale, un 7 mis audessus de la lettre alphabétique qui désigne cette note principale, marquera non seulement l'accord dissonnant direct, mais aussi tous ceux qui en dérivent, quelque note qu'il y ait dans la Basse.
[-100-] Accord dissonant de la sixte ajoutée à l'accord parfait de la tonique, et ses dérivés.
Exemple.
[Laugier, Sentiment, 100; text: Accord de septieme sur la sixieme note d'un mode majeur. Accord de quinte et sixte sur la tonique. Accord de neuvieme et septieme sur la soudominante. sol. mi. ut. la. Anciens chiffres. 7. 6/5. 9/7. Basses, Nouveaux signes. A. Accord de nevieme et onzieme sur la seconde note du ton. Accord de seconde sur la dominante. Accord de petite sixte mineure sur la médiante. 4/9, 2, 6. FA, RE, SOL, MI.] [LAUSEN 02GF]
[-101-] Accord dissonant de septieme sur la seconde note, et ses dérivés.
Exemple.
[Laugier, Sentiment, 101; text: Accord de septieme sur la seconde note. Accord de quinte et sixte sur la sou-dominante. Accord de petite sixte mineure sur la sixieme note. ut. la. fa. re. Anciens chiffres. 7. 6/5. 6. Basses, RE, FA, LA. Nouveaux signes D. et cetera] [LAUSEN 01GF]
[-102-] Accord dissonant de la dominante tonique, et ses dérivés.
Exemple.
[Laugier, Sentiment, 102; text: Accord de septieme sur la dominante. Accord de fausse quinte sur la note sensible. Accord de petite sixte majeure sur la seconde note. Accord de triton sur la quatrieme note. fa. re. si. sol. Anciens chiffres. 7. 5. 6. 4. Basses. SOL, SI, RE, FA. Nouveaux signes. G.] [LAUSEN 03GF]
Cet accord en produit encore trois autres toutes les fois qu'on l'emploie sur des notes de basses dérivées de celui de la tonique.
[-103-] Exemple.
[Laugier, Sentiment, 103; text: Accord de septieme superflue, sur la tonique. Accord de neuvieme sur la médiante. Accord de quinte superflue sur la médiante de ton mineur d'ut. fa. re. si. sol. Anciens chiffres. 7. 9. 5. Basses, UT, MI, Nouveaux signes, G.] [LAUSEN 03GF]
Ce même accord, en ajoutant simplement un dieze à la note principale, en produit encore six autres dans le mode mineur d'A mi la.
[-104-] Exemple.
[Laugier, Sentiment, 104; text: Accord de septieme diminuée sur la note sensible. Accord de fausse quinte avec la sixte majeure sur la seconde note. Accord de triton et tierce mineure sur la quatrieme note. fa. re. si. sol. Anciens chiffres. 7. 5. 4. Basses, SOL, SI, RE. Nouveaux signes. G. Accord de seconde superflue sur la sixieme note. Accord de quinte superflue avec la quarte, sur la médiante. Accord de septieme superflue avec la sixte mineure sur la tonique. Anciens chiffres. 2. Basses. FA, UT, LA. Nouveaux signes.] [LAUSEN 04GF]
[-105-] Il est facile de voir que dans ces trois derniers exemples, la lettre G avec un 7 au dessus, suffit pour désigner les sept premiers accords; et que cette même lettre à laquelle on joint simplement un dieze, sert également pour les six autres. On pourroit même se dispenser dans ces six derniers d'y barrer le [7/], attendu que dans le mode mineur la sixieme note étant toujours mineure, dans le cas dont il s'agit ici, cette sixte mineure forme la septieme diminuée contre la note sensible designée par la lettre G[x].
Dans un enchaînement de dominantes, où toutes les notes de la Basse portent l'accord de la septieme, comme dans cet exemple.
3 7 7 7 7 7 7 7 7 7 7 3 [x] ut, fa, si, mi, la, re, sol, ut, fa, si, mi, la,
on ajoutera également le chiffre 7 aux lettres qui désignent cette suite de notes.
Exemple.
7 7 7 7 7 7 7 7 7 7 [x] C, F, B, E, A, D, G, C, F, B, E, A.
J'aurois pu pousser plus loin ce nombre [-106-] d'exemples, mais j'ai cru qu'il suffisoit de démontrer que dans ces quatre accords dissonans directs, qui en produisent chacun six ou sept autres différens selon l'ancienne méthode, on n'a jamais avec les nouveaux signes qu'un accord de septieme, quelque note qu'il y ait dans la Basse. De plus, quand on sçait une fois, que l'accord parfait d'une note quelconque, est toujours composé de cette note, de sa tierce, et de sa quinte, rien n'est si aisé que de trouver toutes sortes d'accords de septiemes, puisqu'ils sont composés comme les accords parfaits, d'une note, de sa tierce, de sa quinte, et d'une quatrieme note éloignée de la quinte, de l'intervalle d'une tierce. Cette derniere note forme toujours la septieme avec la note principale, ainsi tous les accords n'ont ici qu'une seule face qui les fait connoître d'abord, tandis que dans l'ancienne méthode, chaque accord paroît différent aux yeux, et qu'il faut une attention toute particuliere pour se souvenir des intervalles qui accompagnent celui qui est désigné par le chiffre; tantôt c'est la tierce et la quinte, une autre fois c'est la quinte et la sixte, ou bien c'est la tierce et la quarte, dans certains cas, cest la second, la quarte, et la sixte; dans d'autres, c'est la neuvieme [-107-] et la septieme, dans d'autres encore, c'est la neuvieme et la onzieme, et cetera.
Ces nouveaux signes me paroissent aussi plus simples que ceux de Monsieur Rameau. Dans sa méthode, indépendamment des sept premieres lettres de l'alphabet, on est obligé de connoître, un 2 pour l'accord de seconde, un x pour l'accord sensible, un 7 pour l'accord de septieme, un aj, pour la sixte ajoutée à l'accord parfait, un 4/3 pour l'accord de tierce-quarte, et un 4 pour l'accord de quarte hétéroclite; outre que dans une suite d'accords de septiemes, il est encore obligé de se servir de deux points l'un sur l'autre :, et quelquefois de trois [signum], pour marquer la marche des doigts; ici il ne faut connoître que les sept premieres lettre de l'alphabet, avec les deux chiffres arabes 4 et 7: personne ne les ignore; ainsi il n'y a donc rien de nouveau à apprendre, puisqu'on connoît déja ces signes.
Les lettres, comme je l'ai dit plus haut, servent pour tous les accords consonnans en géneral. Le 7 mis au dessus de ces mêmes lettres pour tous les accords dissonans quelconques, et le 4 pour l'accord de quarte hétéroclite; car lorsque l'accord d'onzieme est rempli de tous ses sons, le 7 suffit pour l'exprimer, attendu [-108-] que cet accord rentre pour lors dans la classe des accords dissonans ordinaires, et qu'il n'est autre chose qu'un accord de septieme mis sur une note de Basse, dont le son est une quinte au dessous du son principal de cet accord de septieme.
C'est aux amateurs éclairés à decider si cette nouvelle maniere de chiffrer la Basse continue est préférable à toutes celles que l'on a eues jusqu'à présent. Si le Public l'adopte, Monsieur de Morambert, qui en est l'Auteur, se propose de lui donner une Méthode raisonnée de l'accompagnement du Clavecin, dans laquelle il démontrera plus au long qu'elle en est l'excellence. Cette Méthode pourra servir également pour apprendre la composition, puisque l'on peut faire aux notes la même application que l'on fait aux touches du Clavecin. Les commençans y verront d'un coup d'oeil, le fonds de l'harmonie, et la succession des accords; et sans contredit, ils en apprendront plus en six mois, que l'on n'en sçait ordinairement dans plusieurs années.
Pour donner un exemple des nouveax signes, on trouvera gravé ci-après Numero IV. un air du même Auteur, sur les paroles suivantes. [LAUSEN 14GF]
[-109-] Tendre Amour, vole en ce bocage,
Lance sur nous tes traits les plus puissans:
Nos coeurs te doivent leur encens,
Et leur bonheur est ton ouvrage.
La Basse continue de cet air est chiffrée avec les nouveaux signes. Ceux qui ne voudront point les adopter, y trouveront, comme à l'ordinaire, les chiffres suivant l'ancienne méthode.
Paragraphe XI. Erreurs sur la Musique dans l'Enciclopédie.
Les Dictionnaires sont des especes de Codes, qui doivent renfermer non seulement tous les mots d'une Langue, mais qui doivent encore, lorsqu'ils sont bien faits, donner leur étymologie, et faire connoître les différentes acceptions sous lesquelles on les emploie. Ils deviennent comme un recueil de loix que l'on consulte dans les cas où l'on a besoin de citer des autorités, et c'est sur leur témoignage que l'on décide de la valeur et de la force des expressions. Peu de ces sortes de livres sont faits avec tout le soin que les [-110-] matieres qu'ils renferment demandent; parce qu'ils sont pour la plûpart l'ouvrage d'une seule personne, qui, quelque versée qu'elle soit dans les sciences, ne peut pas avoir des connoissances assez profondes de tout ce qui leur appartient, pour pouvoir en parler pertinemment.
Pour n'avoir rien à desirer sur ce sujet, il faudroit que tous les articles d'une science, ou d'un art quelconque, fussent remplis par une personne parfaitement instruite de cet art ou de cette science. C'est ce que l'on a presque fait dans l'entreprise du Dictionnaire Enciclopédique. Les Editeurs ont rassemblé un nombre de personnes sçavantes, et chacune d'elles a été chargée de composer les articles appartenans à la science qu'elle professe. Par exemple, la Jurisprudence a été traitée en partie par feu Monsieur de Montesquieu; la Littérature par Monsieur de Voltaire, et cetera rien de mieux imaginé: à qui pouvoient-ils s'adresser pour les mieux remplir, qu'à ces génies profonds, qui ont enrichi la République des Lettres, de leurs ouvrages immortels. Si les Editeurs eussent eu la même attention pour ce qui regarde la Musique, et s'ils en eussent chargé Monsieur Rameau, ils n'auroient pas donné lieu à la brochure qui paroît sous le titre d'Erreurs [-111-] sur la Musique dans l'Enciclopédie. Monsieur Rousseau de Geneve, qui a travaillé les articles appartenans à cette science, possede à la vérité de grandes connoissances dans l'art musical, mais n'ayant pas autant d'acquit dans la théorie et dans la pratique de cet art, que le célebre Auteur que je viens de citer, ses propres lumieres ne l'ont point mis à l'abri des erreurs qui se sont glissées dans plusieurs de ces articles.
Au mot Accommpagnement, l'Auteur de la brochure releve les contradictions qui s'y trouvent. On définit l'accompagnement par ces mots. C'est l'exécution d'une harmonie complete et réguliere, et cetera et plus bas, on y dit qu'il y a des accords qui seroient insupportables avec tout ce remplissage..... Que dans la plûpart des accords dissonans..... il y a quelque son à retrancher..... Que les Italiens font peu de cas du bruit..... et qu'une tierce, une sixte bien adaptée, même un simple unison quand le besoin le demande, leur plaisent plus que tout notre fracas, et cetera. Voici de quelle maniere cet article est réfuté.
"L'accompagnement de l'orgue ou du clavecin, doit présenter continuellement à l'oreille cette harmonie fondamentale, complete et réguliere, que nous [-112-] offre la nature dans tous les corps sonores. Un accord n'est tel qu'avec tout son remplissage. Il doit être complet selon la définition. S'il est insupportable, pourquoi l'employer? mais en ce cas ce n'est plus un accord, et s'il est accord, il est donc supportable; mais comment la régularité se trouve-t'elle dans un accord dont on retranche quelques sons? La régularité de l'harmonie consiste autant dans sa succession que dans sa plénitude: un son doit y être précédé et suivi de tel et tel autre, si vous le retranchez, que devient pour l'oreille le son qui le précede, et comment reçoit-elle celui qui doit le suivre, lorsqu'elle n'est nullement prévenue en sa faveur? Il en est de ce défaut de succession, pour les oreilles délicates, comme d'un homme à qui la voix manque au milieu d'une phrase.
"Le mot de bruit, en fait d'harmonie ne peut guere être prononcé que contre une mauvaise harmonie, sinon c'est à l'oreille de celui qui la taxe de la sorte, qu'il faut s'en prendre. Si l'harmonie de l'accompagnement doit être donnée avec une certine discrétion, notre unique modele, en ce cas, est le corps sonore qu'il représente. Le son fondamental [-113-] de ce corps sonore domine tellement sur ses harmoniques, qu'à peine ceux-ci se distinguent avec lui. Donc on ne sçauroit trop multiplier les sons de la Basse, et diminuer la force de ceux de son harmonie: c'est pourquoi, non seulement on double la Basse avec ses octaves, d'autres instrumens l'exécutent encore avec le clavecin; et quant aux accords, si l'effet en domine trop, c'est le bruit de l'instrument qu'il faut diminuer (1) et non pas celui qu'on suppose si mal-à-propos dans l'harmonie, qu'on ne peut tronquer sans déroger aux loix de la nature même, tant dans la plénitude d'harmonie qu'elle nous prescrit, que dans la plus parfaite succession qu'elle nous indique par les routes fondamentales qu'on en reçoit".
Pour ce qui regarde la tierce, la sixte, ou l'unisson, qui plaisent plus aux Italiens, [-114-] que tout notre fracas, l'Auteur dit que c'est un "pur effet de l'ignorance commune à tous ceux qui n'ont que leur oreille pour guide dans l'accompagnement...... au défaut de pouvoir exécuter sur le champ un certain fonds d'harmonie, on s'accroche à quelque note de la partition, sinon l'on s'en tient à l'octave de la Basse..... Ce rafinement prétendu, ce choix, si heureusement pratiqué..... devient non seulement inutile, mais pernicieux, dès qu'il se fait au préjudice du complément de l'harmonie ordonnée par la nature même, et confirmée par la définition donnée: outre qu'au défaut de ce complément, la succession étant interrompue par les parties omises, l'oreille n'y trouve plus cette nourriture d'harmonie que lui offre le corps sonore en résonnant".
Le mot Accord dans l'Enciclopédie, contient d'autres fautes encore plus répréhensibles. On y attribue aux accords par supposition le droit du renversement qui n'appartient qu'aux accords fondamentaux. "Tout accord dérivé, ou renversé d'un autre, doit contenir le même nombre de sons: cependant l'accord de la neuvieme en contient cinq différens, et ceux qu'on appelle ensuite ses dérivés, n'en contiennent que quatre.
[-115-] "La même harmonie qui précede et suit un accord fondamental, doit également précéder et suivre ses dérivés. Les intervalles que forment ces derniers avec le son fondamental ne doivent jamais varier; ils doivent encore pourvoir entrer dans les mêmes modes, supposé qu'ils puissent être admis dans plusieurs; enfin, puisque tous n'en font qu'un, différemment combiné, ils doivent par conséquent être tous susceptibles des mêmes accidens: néanmoins rien de tout cela n'arrive aux dérivés prétendus..... Pour peu qu'on soit sensible à l'harmonie, on sentira l'énorme discordance qui se trouve dans les accords prétendus dérivés, l'accord même par supposition n'étant supportable que dans une succession où il forme pour lors une espece de suspension". Il suffit de sçavoir que l'harmonie est toute contenue dans l'étendue de l'octave de la Basse fondamentale, et que ce qui en passe les bornes, n'est que la réplique de ce qui s'y trouve renfermé, pour juger qu'une neuvieme et une onzieme ne sont que les répliques de la seconde et de la quarte; que dès qu'on place les sons qui les forment au dessous de cette Basse fondamentale, ils passent pour lors l'étendue de son octave; [-116-] que si en ce cas, on les plaçoit au dessus de cette Basse comme seconde et quarte, ils formeroient une cacophonie insupportable, et que cette cacophonie se confirme dans le renversement de ces mêmes accords, cités à la page 78 et 79 du Dictionnaire Enciclopédique, puisque pour lors la neuvieme et la onzieme, deviennent des secondes et des quartes. Ajoutez à cela qu'il se trouve encore trois dissonances ensemble dans ces renversemens, lorsque Monsieur Rousseau lui-même, condamne les deux dissonances ensemble dans sa décision sur la dissonance, page 1049. Consultons la nature dans son principe, ou simplement l'oreille, tout nous prouvera l'erreur énorme d'un pareil renversement. Par exemple, si l'on ajoute la sixte à l'accord parfait de la tonique, cet accord composé des notes ut, mi, sol, la, se met quelquefois sur la note re, ce qui forme pour lors contre cette note re, un accord de neuvieme et de onzieme.
Exemple.
la, sol, mi, ut, Basse, RE.
[-117-] Or, si l'on renversoit cet accord, et si l'on mettoit la note re à la place de la note ut, et que l'on mît la note ut dans la Basse, ce renversement donneroit la triple dissonance dont il est ici question puisqu'il se trouveroit par ce moyen une dissonance d'ut à re, une autre de re à mi, et une troisieme de sol à la.
Exemple.
la, sol, mi, re, Basse, UT.
Les accords, par supposition, ne peuvent donc jamais se renverser, parce que la note qui se trouve dans la Basse n'étant qu'une note de goût que l'on fait passer pour donner une certaine expression à la phrase musicale, l'harmonie fondamentale qui se trouve dans les autres parties, suit également son cours sans cette note de Basse, comme avec cette note.
Au mot Cadence il y a une contradiction entre le début et ce qui se trouve déclaré au mot accompagnement, page 76, cinquieme alinea. Une autre contradiction se [-118-] trouve encore entre la page 514, dernier alinea, et la page 76, premier alinea de la seconde colone.
Au mot Chromatique, Monsieur Rousseau confond le demi-ton diatonique, autrement dit majeur et naturel, avec le chromatique qui n'est ni l'un ni l'autre; et par cette confusion il laisse à douter du quel il est question aux endroits où il ne s'agit que du dernier.
Le mot Enharmonique produit un article très-long qui forme une petite brochure servant de suite à la premiere. Tout y roule sur l'Enharmonique des Grecs et sur celui dont Monsieur Rameau parle dans ses ouvrages de théorie. Cet article n'est guere susceptible d'extrait, il seroit trop long de rapporter tout ce que l'Auteur y dit, c'est pourquoi j'y renvoie le Lecteur.
Amplifier extrêmement d'opinions et de fausses critiques un ouvrage où il ne s'agit que d'instruire, ce n'est pas là suivre sa mission. A quoi bon les opinions dans une science aujourd'hui démontrée, si ce n'est en ce qui regarde le goût, et quel est l'homme sensé qui osera proposer le sien pour modele? L'homme qui n'a qu'une certaine étendue de connoissance croit souvent tout voir, au lieu que le vrai sçavant voit encore au delà de sa vue, si cela se peut dire.
[-119-] Paragraphe XII. L'Art, ou les Principes Philosophiques du Chant.
Monsieur Blanchet, qui prétend être le seul Auteur de cet ouvrage, refuse à Monsieur Berard, dans la préface de cette seconde Edition, les honneurs littéraires qu'il vouloit usurper, en donnant la premiere édition sous son nom. Il prétend que ce maître à chanter qui voulut mal-à-propos diriger l'impression de l'Art du Chant (1), ne fut point en état de revoir fidelement les épreuves d'un livre qu'on lui avoit souvent expliqué pendant le cours de quatre mois..... et qu'on n'a point été dupe de la vanité d'un Artiste qui n'est pas même initié aux sciences. Pour prouver que Monsieur Bérard ne l'a point pu faire, et que c'est lui seul (Monsieur Blanchet) qui l'a fait, il rapporte une quantité de fautes d'impression qui se trouvent dans la premiere Edition, et qui ne s'y sont glissées que par l'ignorance de son prétendu Auteur. Si ces raisons étoient valables, ne pourroit-on pas aussi nier que cette second Edition fut de Monsieur Blanchet? Voici des fautes, non-seulement [-120-] d'impression, mais de l'Auteur même, fautes bien plus considérables que celles qu'il reproche à Monsieur Berard (1), et qui feroient presque croire que Monsieur Blanchet ignore les premiers élemens de la Poésie.
Page 56, en rapportant des vers d'Atys (2) il les écrit de cette maniere.
Ciel! quelle vapeur m'environne!
Tous mes sens sont troublés;
Je frémis, je frissonne;
Une infernale ardeur
Vient enflammer mon sang, et dévorer mon coeur.
J'ai toujours cru que toutes les fois qu'on cîtoit des morceaux de poésie, il ne falloit point retrancher des hemistiches entiers, ni couper les vers par la moitié pour faire comme on le voit ici deux vers de six syllabes au lieu d'un de douze. Voici le même endroit tel qu'on le trouve dans Quinault.
Ciel! quelle vapeur m'environne!
[-121-] Tous mes sens sont troublés, je frémis, je frissonne,
Je tremble, et tout à coup une infernale ardeur
Vient enflammer mon sang, et dévorer mon coeur.
Plus bas, même page, on lit Sangarite, au lieu de Sangaride; et dans les vers qui suivent, tirés de l'Opéra de Roland (1), Monsieur Blanchet, page 57 a encore omis un mot. Mais qu'est-ce qu'un mot pour un homme qui passe un hemistiche tout entier? Il est vrai que ce mot oublié rend le vers des plus vicieux, puisqu'il s'y trouve par cette omission un hiatus qui, comme l'on sçait, est une faute considérable en Poésie, où l'on doit éviter la rencontre de deux voyelles dont l'une se trouve à la fin d'un mot, et l'autre au commencement du mot suivant, à moins qu'il n'y ait une élision, c'est-à-dire, un e muet. Voici les vers de Roland rapportés par notre Auteur.
Barbare! Ah! tu me rends au jour?
Que prétends-tu?....... ô supplice horrible!
Lisons Quinault, nous les trouverons tels.
[-122-] Barbare! Ah! tu me rends au jour?
Que prétends-tu? Parle.... ô supplice horrible!
Pour récompenser les Lecteurs de ce qu'il a tronqué les vers que je viens de rapporter, il en cite d'autres qui ont treize et quinze syllabes. Les voici:
Tonnez, fiers ennemis, frappez, que le bitume s'allume;
Que le salpêtre en feu, vole, brule et se consume.
Dans la Musette des Fêtes de l'Hymen et de l'Amour (1), Monsieur Blanchet a non seulement passé deux vers entiers, mais il n'a pas mis les deux derniers tels qu'ils sont dans l'Opéra. Voici comme il cite cette Musette:
Ma bergere fuyoit l'amour;
Mais elle écoutoit ma musette.
Ma bouche discrete
Pour ma flamme parfaite,
N'osoit demander du retour.
Ma bergere auroit craint l'amour;
Mais je fis parler ma musette.
Ses sons plus tendres chaque jour
Lui peignoient mon ardeur secrete:
[-123-] Ma bergere auroit craint l'amour;
Mais je fis parler ma musette.
Et voici comme elle est terminée dans le Poëme.
.. Mon ardeur secrete:
Si ma bouche étoit muete,
Mes yeux s'expliquoient sans détour.
Ma bergere écouta l'amour,
Croyant écouter ma musette.
Page 61, il met ainsi le vers suivant tiré de Psiché, du grand Corneille.
L'air même que vous respirer, et cetera.
Respirer est ici à l'infinitif au lieu d'être à la seconde personne de l'indicatif présent, vous respirez; d'autant mieux qu'il doit rimer avec vous soupirez qui se trouve deux vers plus bas.
Voici quelque chose de plus fort. Page 75, Monsieur Blanchet dit: "Le Maître de l'Olympe caché sous le nom et sous les traits de Mysis, vient attendre AEglé dans un boccage enchanté: il confie aux arbres et ses feux et son espoir. Monsieur Chassé, qui, comme je l'ai dit, représente ce dieu, paroît sur la Scene avec un air simple, tendre et majestueux: on entrevoit à sa prononciation pleine de douceur [-124-] et de finesse, que c'est une berger; on comprend à la majesté de cette même prononciation, que c'est le maître des dieux qui chante: la passion qui anime les accens, annonce qu'AEglé est infiniment belle et aimable, puisqu'elle fait tout le bonheur de Jupiter". Où Monsieur Blanchet a-t'il appris que dans l'Acte d'AEglé, Jupiter étoit déguisé sous les traits de Mysis? Rien ne fait connoître que c'est le maître des dieux, au contraire, on lit dans le nom des Acteurs à la tête de cet Acte, Apollon sous l'habit d'un berger, et sous le nom de Mysis. Il y a plus, c'est que dans la Scene troisieme, Mysis qui arrive, dit à part, en voyant la Fortune.
... La Fortune en ces lieux!
Sous cet habit rustique, et peu fait pour les dieux,
Apollon à son coeur n'offre que trop de charmes.
Il faut croire que l'erreur de Monsieur Blanchet, vient du Monologue de Mysis dans lequel il dit:
Paisibles bois, vergers délicieux,
J'abandonne pour vous le séjour du tonnerre, et cetera.
Le mot tonnerre lui aura fait penser qu'il n'y avoit que Jupiter qui put s'en servir, [-125-] n'ayant pas fait attention que ce terme n'étoit employé dans ce sens qu'à titre d'adjectif, pour désigner l'olympe, séjour des dieux, qu'Apollon venoit de quitter pour voir AEglé.
Il résulte de toutes les fautes que je viens de relever, et de bien d'autres que je passe sous silence, que cette seconde Edition n'a pas un mérite aussi supérieur sur la premiere, que l'Auteur veut le faire entendre. Les matieres y sont à la vérité plus étendues que dans l'autre, mais elles sont aussi quelquefois noyées dans le discours. D'ailleurs, presque toutes les erreurs que j'ai relevées dans ma premiere partie, Paragraphe 4, se trouvent encore dans cette seconde Edition (1). Au lieu des lettres grecques et hébraïques qui servoient dans l'Art du Chant de Monsieur Berard pour désigner les différens agrémens, Monsieur Blanchet a cru bien faire de se servir dans ses Principes Philosophiques des chiffres arabes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9; mais il n'a pas prévu que ces mêmes signes qu'on emploie pour chiffrer la Basse continue, seroient [-126-] équivoques, et que l'on ne sçauroit plus s'ils servent pour marquer un agrément, ou pour indiquer l'accord que doit porter la note de la Basse. Par exemple, il arrive assez fréquemment que le Chant d'une Basse-taille, serve en même tems de Basse continue, et que pour éviter d'écrire deux fois le même chant, on se contente de chiffrer la partie de la Basse-taille; or, comment devinera-t'on si le chiffre 7 est pour marquer une cadence appuyée, ou s'il indique l'accord de septieme?
Si l'on en juge par l'écrit circulaire, en forme d'extrait de son ouvrage, que l'Auteur a fait courir de Journal en Journal, il paroît très-prévenu en sa faveur. Son Livre est, dit-il, écrit avec finesse, précision, et systême: on y trouve de l'invention, des vues, et les matieres les plus abstraites y sont embellies de toutes les graces du style. Mais malgré ce bel éloge, il est à craindre que Monsieur Blanchet n'ait pris, ainsi que Monsieur Berard, des peines qui seront infructueuses pour eux-mêmes, et de peu d'utilité pour le public; puisque de l'aveu du premier, on ne doit pas s'en tenir en esclave aux agrémens qui sont annoncés par les signes, et qu'il vaut bien mieux que les personnes qui chantent, leur [-127-] substituent quelquefois des agrémens analogues à leurs organes et à leur tour particulier d'imagination; afin que les mêmes airs, les mêmes paroles se produisent sous des formes toujours nouvelles, et avec des charmes toujours nouveaux.
Paragraphe XIII. Clôture de Théâtre de l'Opéra.
L'Académie Royale de Musique a donné le 3 Avril pour la clôture de son Théâtre, l'Opéra de Roland (1), suivi de l'Acte du Bal, ou du Maître à danser, Entrée tirée des Fêtes Vénitiennes (2). La chambrée n'a pas été aussi brillante qu'en 1754: la raison en est toute simple. On remit tout exprès pour lors l'Opéra d'Atys (3), que le Public n'avoit pas vu depuis longtems, au lieu que Roland ayant été donné toute l'Automne derniere, le Public qui commençoit à en être fatigué, na pas eu beaucoup d'empressement à venir le revoir, quoique Monsieur Chassé fît le principal [-128-] rôle; et que par son jeu toujours noble, vrai, sublime, il y ajoutât de grandes beautés. Cet Opera est cependant un des meilleurs qui soient sortis de la plume de Lully. Il y a quelques morceaux bien composés, et qui font de l'effet au Théâtre; il y en a beaucoup aussi qui se ressentent du tems où ce Compositeur vivoit. L'ignorance des Musiciens qui formoient son orchestre, l'empêchoit de donner des symphonies aussi saillantes qu'il en auroit pu faire, car il avoit certainement du génie, quoi qu'en dise le petit prophéte de Bochmisbroda; et si Lully vivoit actuellement, il nous donneroit certainement d'excellent Musique; parce que n'étant plus obligé de créer le spectacle de l'Opera, et de fournir à lui seul les pieces que l'on y représente, ses ouvrages ne se sentiroient point de la précipitation avec laquelle il étoit obligé de travailler, et de la foiblesse de la plûpart de ceux qui les devoient exécuter. Un Opéra étoit à peine composé qu'il falloit songer à en faire promptement un autre qui pût lui succéder. Le génie le plus fécond n'auroit pu fournir des traits toujours nerveux, et tout autre eût été obligé comme Lully, de travailler à la hâte. Le moment où il auroit fallu réfléchir, étoit justement celui où il [-129-] falloit exécuter; ainsi toutes ces raisons doivent faire tolérer bien des choses.
Quoique l'on ait dit que dans une reprise de Roland, malgré toutes les peines que l'on prit, on n'en put rien retrancher sans faire tort à l'action, sans parler du Prologue qui n'a point été remis cette automne dernier, on a cependant supprimé le cinquieme Acte en entier, et beaucoup de vers dans le total de la piece, sans altérer cette même action, ni diminuer l'intérêt. Malgré cela cet Opéra dure encore tout le tems du spectacle. Il est vrai que la maniere dont il est exécuté n'y contribue pas peu. Nos Acteurs, et surtout nos Actrices, traînent le récitatif, et font languir les scenes. Les ports de voix sans fin, les cadences battues pendant un quart d'heure dans des endroits où il n'en faudroit point, ou du moins de très-courtes, les sons de voix filés à perte d'haleine, réfroidissent nécessairement l'action. Ce n'est plus le personnage de la piece que l'on croit voir, l'Acteur seul s'y fait entendre; et la manie que l'on a de faire voir la force de ses poumons, et l'étendue de sa voix, diminue le plaisir et détruit l'illusion. Voilà à quoi conduit la maniere dont nos prétendus [-130-] Maîtres de goût enseignent l'Art du Chant. Bornés pour la plûpart aux simples connoissances musicales, ils ne sçavent pas distinguer ce qui doit être débité d'avec ce qui doit être chanté: delà viennent ces contresens que l'on fait dans l'expression, en donnant aux chants graves ou tristes, des agrémens doucereux et emmiellés, et en faisant très-souvent les syllabes longues lorsqu'elles sont naturellement bréves, sans s'embarrasser si l'on observe bien ou mal la prosodie de la Langue.
Le Maître à danser (1).
Cette Entrée qui fait partie des Fêtes Vénitiennes, fut jouée pour la premier fois le 8 Août 1710, à la place du Prologue que l'on retrancha. Elle avoit pour lors le titre du Bal, et fut exécutée après la premier Entrée. Dans les différentes variations de cet Opéra, et dans les différentes reprises qui en furent faites en 1719, 1731, et 1740, elle changea de place, et fut tantôt la troisieme, et tantôt la quatrieme. A la clôture du Théâtre de [-131-] cette année, cet Acte de Ballet a été remis à la suite de Roland, pour les Acteurs.
Alamir, Prince, aime Iphise jeune Vénitienne. La crainte de ne devoir qu'à son rang la sensibilité de son amante, lui fait prendre le parti de se déguiser sous les habits de Thémir, son confident. Celui-ci par la même raison, est revêtu de toutes les marques de dignité dont Alamir auroit dû être décoré. Paré du nom de son maître, il fait briller l'éclat d'une haute puissance, et feint de ressentir pour Iphise, l'amour le plus violent. Alamir lui parle même en faveur de son prétendu maître, et l'engage à partager la fortune brillante et le rang glorieux qu'il lui offre. Iphise, toujours ferme dans ses sentimens, soupçonne que les discours de son amant ne sont qu'un prétexte spécieux pour cacher son inconstance. Son coeur alarmé lui dicte de tendres reproches. Alamir continue à lui parler du Prince. Iphise, outrée de dépit, dit qu'elle va suivre ses conseils, mais Thémir, qui paroît, la fait changer de résolution; et portant ses regards sur son amant, elle lui dit, que tout ingrat qu'il est, elle le préfere à la plus brillante fortune. Thémir, qui avoit ordre d'attendre cet aveu, vient dire à son maître que tout est prêt pour [-132-] la fête, et qu'il attend ses ordres. Iphise qui le prenoit pour le Prince Alamir, demande ce que signifie ce discours. Son amant lui découvre son rang, explique le mystere, et lui demande pardon de l'épreuve où il a mis son coeur. Il lui offre ensuite sa main qu'elle accepte avec transport, et pour exprimer leur joie, ils jurent de s'aimer toujours, dans un Duo qui précede le divertissement.
Ce sujet, comme on le voit, n'est rien moins que plaisant. On y a cependant joint une scene très-bouffonnne entre un Maître de Musique, et un Maître à danser, qui tous deux sont les ordonnateurs de la fête qu'Alamir veut donner à son amante. Ils sont ainsi qu'Iphise dans l'erreur, et prennent le confident pour le Prince. Chacun d'eux lui fait l'éloge de ses talens, et vante son sçavoir. Tous les différens caracteres de la Musique et de la Danse y sont employés successivement; tempête, sommeil, songes agréables, et songes terribles; évocation des enfers, murmure des ruisseaux, peinture de la vie innocente des bergers heureux, qui dansent sur la fougere aux sons des musettes et des haut-bois; enfin on y trouve de tout, jusqu'à un Aria Italienne que le Maître de Musique chante comiquement. [-133-] Ce mêlange de bouffonneries et de scenes à sentimens dans un même Acte, est un peu déplacé; il faut tout un ou tout autre. C'est ainsi que dans nos Ballets, on emploie le comique. Nous n'avons rien en ce genre à l'Opéra qui mérite vraiment ce titre. Le sérieux vient toujours s'y mêler, et le préjugé que l'on a sur cet article, malgré les lumieres de la saine raison, sera toujours un obstacle à ces sortes de pieces. La majesté prétendue de ce Théâtre, où l'on est accoutumé de voir des héros et des dieux, fait croire assez mal-à-propos que le genre purement comique la dégraderoit. Cependant, à bien considérer les choses, seroit-il plus choquant d'y voir jouer un petit intermede bouffon tel que les Troqueurs (1), ou quelqu'autre dans le genre vraiment comique, après la plus belle de nos Tragédies en Musique, qu'il ne l'est au Théâtre François, dont la majesté est pour le moins aussi grande que celle du Théâtre de l'Opéra, de voir Pourceaugnac, ou les Précieuses Ridicules, et mêmes les Carrosses [-134-] d'Orléans, après la Tragédie d'Athalie, ou celle de Polieucte? Mais qui fera cette tentative? Sera-ce de jeunes Auteurs que l'on a soin de décourager par les difficultés sans nombre que leur font souvent des gens mal intentionnés? Tout Paris qui désire ardemment que l'on introduise ce nouveau genre, à titre de petite Piece après un grand Opéra (1), a les yeux fixés sur Monsieur Rameau pour faire cette nouvelle tentative, et peut-être aussi ce celebre Compositeur n'attend-t'il qu'un bon Poëme pour ouvrir cette nouvelle carriere. Il en résulteroit un double avantage pour notre Théâtre lyrique. Indépendamment du nouveau genre de Musique que ces sortes de pieces introduiroient, genre qui procureroit beaucoup de plaisir aux Spectateurs, genre que nous n'avons point, et dans lequel cependant nous pouvons très-bien réussir, puisque nous en avons un exemple sensible dans les Troqueurs, on viendroit avec beaucoup plus d'affluence à l'Opéra, et la direction y trouveroit mieux son compte. Ceux dont le génie borné ou l'esprit frivole, ne peuvent [-135-] s'amuser de choses sérieuses, se récompenseroient de l'ennui que leur auroit causé une Tragédie, dans le petit Intermede qui suivroit. Nous avons déja plusieurs Acteurs que la nature a plus formés pour le Comique que pour les grands rôles, dans lesquels ils sont déplacés. Le Public les goûteroit, et leur prodigueroit ses applaudissemens; au lieu que bien souvent il lui arrive de marquer le peu de plaisir qu'il prend à les voir jouer dans des pieces qui ne sont point faites pour eux.
Paragraphe XIV. Les Fragmens.
L'Académie Royale de Musique qui ne donne sur son Théâtre que trois représenations par semaine, sçavoir: le Dimanche, le Mardi, et le Vendredi, depuis le jour de l'Ascension, jusqu'à la Saint Martin, en donne quatre depuis le Jeudi d'après la Saint Martin, jusques et compris le Jeudi d'avant l'Ascension, c'est-à-dire, que pendant ce temps, on représente des Opéra, les Dimanches, Mardis, Jeudis, et Vendredis de toutes les semaines, excepté les Fêtes solemnelles qui peuvent se trouver l'un de ces jours. Ordinairement on remet les Jeudis, les [-136-] pieces qui ont été données dans le courant de l'été; et ce sont les nouveaux Acteurs, ou ceux qui doublent les grands rôles, qui ont coutume d'y jouer, pour se former. On a représenté l'hyver dernier les Fragmens. Comme il y a plusieurs Opéra sous ce titre, pour ne les point confondre, il ne sera pas mal-à-propos d'entrer dans un petit détail à ce sujet.
Le premier Opéra qui porta le nom de Fragmens, fut donné le 10 Septembre 1702. Danchet et Campra qui en étoient les Auteurs, s'aviserent d'extraire de différens Ballets de Lully (1), les morceaux les plus convenables à remplir leur projet. Ils en formerent un Ballet composé d'un Prologue et de quatre Entrées. Le Prologue est le même que celui des Fêtes de l'Amour et de Bacchus (2). La premiere Entrée est une Fête marine, tirée du divertissement du Bourgeois Gentilhomme (3), des Jeux Pythiens, et du Ballet des Muses (4) dansé par le Roi en 1666. La seconde Entrée [-137-] intitulée les Guerriers, est formée de plusieurs fragmens du Ballet d'Alcidiane, dansé par le Roi en 1658; et de celui des Amours déguisés, dansé par le Roi en 1664. La troisieme Entrée est une Bergerie. Les Scenes qui la composent sont tirées du Ballet des Muses, de celui de la Naissance de Venus (1), dansé par le Roi en 1665; du Bourgeois Gentilhomme; de la Princesse d'Elide (2); et de la Fête de Versailles (3). La quatrieme Entrée, intitulée les Bohémiens, est tirée du Ballet des Muses, des Amours déguisés, du Ballet d'Alcidiane, et des Trio de la Chambre du Roi. Ces quatre Entrées furent suivies du divertissement comique de Cariselli. Comme ce mêlange, qui plut beaucoup, fut représenté pendant huit mois, on y fit plusieurs changemens. Trois nouvelles Entrées y furent ajoutées successivement, sçavoir le Triomphe de Venus (4), la Sérénade Vénitienne (5), et le Bal interrompu. Cet Opéra fut nommé les Fragmens de Lully (6). Il fut repris six ans [-138-] après, avec des changemens considérables faits par les mêmes Auteurs.
La facilité que l'on a de rassembler de quoi composer ces sortes de Pieces, et le succès des premiers Fragmens, encouragerent Danchet et Campra. Ils tenterent d'en faire d'autres; mais comme les premiers formoient un Ballet, ils chercherent dans les Opéra nouveaux des morceaux qui pussent fournir de quoi faire une Tragédie en cinq Actes; on la donna le 11 Novembre 1704, sous le titre de Télémaque, ou les Fragmens des Modernes (1).
En 1742 au mois de Janvier, Mouret donna aussi des Fragmens de sa façon, composés de la Pastorale du Temple de Gnide (2), de la Fête de Diane (3), et des Amours de Ragonde (4), qui furent repris en différentes fois.
L'Acte d'Ismene (5), de Messieurs Rebel et Francoeur, celui d'Almasis (6), de Royer, [-139-] et celui de Linus (1), de Monsieur le Chevalier de Brassac, formerent de nouveaux Fragmens, qui furent joués le 28 Août 1750.
D'autres Fragmens ont encore paru en 1751. Ils étoient composés de l'Acte de Titon et l'Aurore (2), de celui d'AEglé (3), et de ceux de Zélindor (4), et de Pigmalion (5).
Enfin les derniers Fragmens ont été donnés depuis cet hyver les Jeudis. Ils commençoient par le Prologue du Carnaval et de la Folie (6). L'Acte de l'Enjouement (7) tiré du Ballet des Graces, suivoit immédiatement, après quoi l'on jouoit la Pastorale du Temple de Gnide, suivie d'un Extrait du Carnaval et de la Folie. Je vais rendre compte de ces derniers Fragmens.
[-140-] Le Carnaval et la folie (1).
Cet Opera dont les paroles sont de Houdart de la Mothe, et la Musique de Destouches, est composé d'un Prologue et de quatre Actes. On le donna pour la premiere fois, le 3 Janvier 1704. Il ressemble à plusieurs de nos anciens Opéra, c'est-à-dire, qu'à côté de très-bonnes choses, il y en a de fort mauvaises. Dans la remise que l'on en fit l'année derniere, il eut peu de succès; ce qui engagea à retrancher tout ce qu'il y a de foible pour ne conserver que le reste. Le Proloque inspire la gaieté. Les Dieux y sont à table, et se font servir le nectar et l'ambroisie, par les ris et les jeux. Les choeurs font un assez bel effet, ainsi que quelques morceaux du même Prologue.
A l'égard de la piece, le premier et le quatrieme Acte ont été supprimés, et l'on n'y a pas perdu beaucoup. Des deux autres, après en avoir encore élagué le superflu, on a formé un petit Ballet en deux Actes assez passable, à la fin duquel on a ajouté la Scene Italienne du Professeur de Folie, qui forme un divertissement séparé.
[-141-] Il y a dans ce Ballet, comme dans bien d'autres, des divertissemens mal amenés, et dans lesquels les comparses sont mal observées. On y voit entr'autres des Matelots qui viennent de faire naufrage, bien poudrès et bien ajustés, danser une Entrée, et rendre hommage à la Folie.
L'Enjouement.
Cette Entrée tirée du Ballet des Graces que l'on donna pour la premiere fois le 5 Mai 1735, est la derniere, et la moins mauvaise des trois qui composent cet Opéra. Les paroles sont de Monsieur Roy, Chevalier de l'Ordre de Saint Michel, et la Musique est de Mouret. La facilité que ce musicien avoit à composer, se fait sentir dans la plûpart de ses ouvrages. On y distingue aisément les endroits qu'un travail continuel lui a fait faire, d'avec ceux que le génie lui seul a dictés. On trouve peu de ces derniers morceaux dans le Ballet des Graces. La Musique en est foible, pleine de lieux communs; aussi n'eut-il que douze représentations. C'est le dernier Opéra de Mouret. Son génie commençoit à baisser. L'Ariette de la fin, Vole, Amour, porte sur tes aîles, et cetera n'est pas aussi heureuse que quelques-unes [-142-] de celles que l'on trouve dans plusieurs de ses Opéra, qui sont très-bien composées, et d'un chant élégant. La premiere gavotte est jolie: aussi a-t'elle été dans la bouche de tout le monde dès les premieres représentations. L'air des Tyrinthiens est bien coupé, on l'entend toujours avec plaisir. On a parodié dessus les paroles suivantes, que l'on chante dans le divertissement de la fin.
Des coeurs nous bannissons
Les soins et les alarmes,
A peine nous laissons
Ce langage dans nos chansons.
Le plus sincere amant
Tient au plaisir bien plus qu'à nos charmes,
L'engagement
Le plus charmant
Cede aux ennuis d'un moment.
Le Dieu qui rend heureux
Doit-il s'annoncer par les larmes,
Si dans nos yeux
Brillent ses feux,
Ils naissent des ris, des jeux.
Chantons, dansons,
Nos pas, nos sons,
Du plaisir sont des leçons.
On trouvera cet Air gravé ci-après, Numero 5. [LAUSEN 14GF] [LAUSEN 15GF]
[-143-] Le Temple de Gnide.
Il y a de certaines Pieces qui n'ont point été goûtées dans leur nouveauté, et que des circonstances favorables ont fait réussir dans des temps plus heureux: il y en a d'autres qui ont eu beaucoup de succès à leur naissance, et dont les reprises ont été des chûtes; et d'autres enfin qui n'ont jamais réussi en quelque tems qu'on les ait jouées. Le Temple de Gnide est du nombre de ces dernieres. Il n'a pas été plus accueilli dans la reprise qui en a été faite cette année, que lorsqu'on le donna pour la premiere fois à la suite de l'Opéra d'Alcione, le 31 Novembre 1741. Le peu d'action qu'il y a peut bien en être en partie la cause.
Comme cet Acte, dont les paroles sont de Monsieur Roy, n'a été représenté qu'après la mort de Mouret, Auteur de la Musique, et qu'il porte sur la partition gravée, le titre de Divertissement, peut-être faisoit-il partie de ceux que Mouret composoit pour les superbes Fêtes que Madame la Duchesse du Maine donnoit dans son Château de Sceaux. Quoi qu'il en soit, l'Air qu'Hilas chante,
Sur les charmes les plus puissans,
Thémire emporte la victoire:
[-144-] Qu'elle reçoive notre encens,
Et que tout parle de sa gloire.
est ce qu'il y a de meilleur, ainsi que le choeur qui suit, sur le même chant, et sur les mêmes paroles (1).
Paragraphe XV. Zoroastre.
Les esprits médiocres toujours contens d'eux-mêmes, regardent leurs productions comme des chef-d'oeuvres. Tout leur y paroît marqué au coin de l'immortalité. La tendresse qu'ils ont pour leurs ouvrages, les empêche de voir les imperfections qui s'y trouvent. Semblables à ces Peres idolâtres de leurs enfans, qui encensent jusqu'à leurs défauts, et laissent au germe des vices le temps de s'accroître au point de ne pouvoir plus être détruit. Les grands génies au contraire, ressemblent à ces peres séveres qui ne laissent rien passer. Peu contens de ce qu'ils [-145-] ont fait, ils cherchent sans cesse les moyens de faire mieux. Quelque sublime que soit un morceau, si l'effet qu'ils en attendent, ne répond pas à leurs desirs, ils le remettent sur l'enclume pour le reforger de nouveau. Nous en avons plusieurs exemples. Malgré le succès qu'avoit eu Castor et Pollux dans sa nouveauté, Monsieur Bernard, Auteur des paroles de cette Tragédie, refondit son ouvrage pour y remettre plus d'intérêt. Monsieur Rameau fit de son côté les corrections nécessaires dans la Musique, et leur Opéra devint un chef-d'oeuvre (1). Zoroastre, Tragédie de Messieurs de Cahuzac et Rameau, avoit besoin d'une refonte considérable. Les Auteurs s'y sont prêtés avec plaisir. Quelle richesse immense dans l'harmonie de cet Opéra! Simphonies admirables! Choeurs sublimes! Airs frappans! tout y est digne du Musicien célebre qui l'a composé. L'ouverture d'un Opéra doit être considérée ou comme une symphonie, sans aucune analogie avec le sujet; ou comme la peinture d'une partie de la piece; ou [-146-] comme un tableau caractéristique du sujet entier. Dans le premier cas, elle sert simplement de frontispice à l'ouvrage; dans le second, elle entame la matiere, et prépare à ce qui doit être exécuté dans les premieres Scenes; et dans le troisieme cas, elle est un résumé de toute l'action. Monsieur Rameau est le premier Musicien qui ait imaginé ces derniers genres d'ouvertures. Avant lui, ces sortes de symphonies étoient toujours formées sur le même modele; on n'osoit pas même s'écarter du plan primitif, tant étoit grande la force du préjugé: maintenant qu'on en a secoué le joug, on a grand soin de leur donner de l'analogie avec le sujet et les pieces qui ne demandent aucune peinture, commencent par un concert brillant. Tels sont les Ballets, dont chaque Acte forme un sujet indépendant des autres.
Dans Zoroastre, l'ouverture est un tableau superbe, où l'action principale est développée. Une symphonie terrible annonce par sa dureté l'oppression des peuples, et leurs gémissemens sous le pouvoir tyrannique du barbare Abramane. Le caractere bienfaisant de Zoroastre qui vient briser leurs fers, est exprimé dans la seconde partie de cette ouverture. L'espérance succede à la douleur. Elle est bientôt [-147-] suivie d'une joie vive, qui marque la reconnoissance des opprimés envers leur libérateur.
La cruauté d'Abramane s'annonce dès le premier morceau qu'il chante. La fureur qui l'agite y est très-bien peinte. Inventeur de cette magie qui renverse à son gré l'ordre des élémens, il ne s'en sert que pour commettre les plus grands crimes. Non content d'avoir détrôné le Roi Phaeres, il veut encore mettre aux fers la jeune Amelite héritiere présomptive de la Bactriane, parce qu'elle lui préfere Zoroastre. Il associe à son crime Erinice, autre Princesse qui prétend au même trône. Elle lui promet de l'épouser, malgré l'amour qu'elle a pour Zoroastre, s'il parvient à la faire régner. Un serment effroyable est le gage de leur parole, et cimente leur union. Abramane sépare en deux sa baguette magique pour donner à Erinice un pouvoir égal au sien; et ils sortent pour travailler à faire réussir leur projet.
La tendre Amélite arrive suivie de toute sa cour qui la rassure par un choeur agréable, sur lequel on danse. Cette Princesse se plaint de l'éloignement de son amant. Lui seroit-il infidele? Elle ne peut le croire, et dit:
[-148-] Non, non, une flamme volage
Ne peut m'enlever mon amant.
Nos coeurs guidés par leur penchant,
Se sont choisis pour leur partage.
Tendre amour, cet accord charmant,
D'un seul de tes traits fut l'ouvrage (1). [LAUSEN 15GF] [LAUSEN 16GF]
Pendant la fête que la cour d'Amélite lui donne pour dissiper le chagrin qui l'accable, l'obscurité s'empare du théâtre, un bruit effrayant semblable à ceux qui précedent les tremblemens de terre, vient interrompre les Danses. Amélite et les peuples expriment leur effroi dans ce beau choeur:
Les rayons du soleil pâlissent.
La terre tremble; le jour fuit.
Au bruit dont les airs retentissent,
Les cris des échos s'unissent.
Quelle affreuse nuit!
Erinice arrive. Amélite qui n'est point instruite de ses mauvais desseins, court au-devant d'elle, mais Erinice en lui apprenant quelle est sa haine et sa puissance, appelle les esprits cruels, leur commande d'entraîner la Princesse, et de faire régner à sa suite le désepoir et la terreur. Ils [-149-] exécutent ses ordres, entourent Amélite, et la poursuivent en chantant ce choeur, admirable pour l'expression.
Tremble, tremble, suis nos pas:
En vain, l'innocence crie,
L'enfer ne l'écoute pas.
Il la poursuit pendant la vie;
Il la venge après le trépas.
Ce premier Acte est d'une grande beauté. Mais s'il est sans défaut, quant à la Musique, il ne l'est pas quant à l'exécution. Dans le Ballet gracieux que la cour d'Amélite danse devant cette Princesse, la principale figurante s'amuse à faire des tours de force qui n'y sont nullement analogues. On ne doit point pirouetter sur un pied pendant plusieurs minutes, lorsqu'il s'agit de peindre le sentiment; cela est bon dans une danse de vents pour en exprimer les tourbillons.
Zoroastre seul dans le Palais d'Oromasès, Roi des Génies, ouvre le second Acte. Oromasès qui a voulu éprouver Zoroastre lui permet de prendre la défense d'Amélite. Les Esprits des Elémens font leurs conjurations, et forment un enchantement au tour de Zoroastre pour le mettre à l'abri des mauvais desseins d'Ariman. Zoroastre part pour voler au secours de [-150-] son amante. Le Palais d'Oromasès disparoît, et fait place au Château Fort des Rois de la Bactriane. C'est dans l'intérieur de ce Château que les Esprits cruels, par l'ordre d'Erinice, ont conduit Amélite. Elle est chargée de chaînes. Son odieuse rivale, fond sur elle un poignard à la main; mais un coup de foudre brise la porte de fer, et Zoroastre délivre la Princesse du péril qui la menaçoit. Erinice sort transportée de rage, et dit qu'elle confondra dans sa fureur, l'amant qu'elle aime, et la rivale qu'elle hait. Amélite et Zoroastre oublient tous leurs maux par le plaisir de se voir. Les murs de la prison disparoissent; et plusieurs troupes des peuples de Bactre viennent témoigner la joie qu'ils ont de les revoir.
Cet Acte est très-long. On a été obligé d'en élaguer beaucoup, mais par la maladresse de ceux qui s'en sont mêlés, on a retranché des choses utiles. Après que Zoroastre a délivré Amélite, les peuples chantoient ce choeur:
Eclatez, transports d'alégresse,
Brillez dans nos chants et nos jeux.
Célébrons le moment heureux
Qui vois rend à notre tendresse.
Ce choeur qui précede le divertissement [-151-] auroit dû être conservé. Le premier mouvement de joie d'un peuple, s'exprime par des acclamations; après quoi les danses suivent naturellement, au lieu qu'il est ridicule de danser avant que d'avoir témoigné son zele par des chants.
Un Considérateur (1) inepte a trouvé que Monsieur Rameau avoit fait un contresens dans ce morceau qu'Erinice chant:
Je confondrai dans ma fureur
Ce que je hais, et ce que j'aime.
S'il eût été capable de distinguer l'harmonie que accompagne ce morceau, il n'auroit pas hasardé ce jugement. Mais comment auroit-il pu connoître les différences qu'elle exprime, puisqu'il convient dans un autre endroit, que son oreille ne distingue pas l'harmonie des choeurs. Or les accords sont toujours composés d'un nombre de notes, qui ne sont pas plus difficiles à reconnoître, quand elles sont exécutées par des voix, que lorsqu'elles le sont par des instrumens. La mélodie l'aura seule frappée. Elle est cependant différente dans le morceau qu'il cite; mais quand même il n'y auroit qu'une différence peu sensible, la mélodie n'offre que l'esquisse [-152-] du tableau, l'harmonie y met les couleurs qui lui donnent l'ame et la vérité d'expression; et Monsieur Rameau a grand soin d'achever dans ses accompagnemens, ce que ses crayons sublimes ont commencé par la mélodie.
Dans le troisieme Acte Abramane forme avec Erinice de nouveaux projets pour perdre tous ceux qui bravent son pouvoir. Au lever de l'Aurore. Zoroastre, Amélite, et les peuples de Bactre dont l'Hymen doit embellir la fête, viennent chanter une hymne au soleil. Mais lorsque ces amans se présentent la main pour s'unir à jamais, on entend un affreux coup de tonnerre, Abramane, sur un char enflammé, paroît dans les airs. Amélite tombe évanouie. Zoroastre, après l'avoir rappellé à la vie, commande aux esprits bienfaisans de l'environner; et cet amant généreux vole au secours des peuples qui périssent, au milieu des colonnes de feu qu'Abramane fait fondre sur la ville pour la réduire en cendres.
De l'aveu de tous les connoisseurs, Monsieur Rameau s'est surpassé lui-même, dans le quatrieme Acte. Abramane tourmenté par la passion qu'Amélite allume au fond se son coeur, malgré les efforts qu'il fait pour oublier, est incertain s'il cédera à [-153-] la violence des remords qui le tourmentent, ou s'il s'en épargnera l'horreur. On lui vient annoncer que son rival triomphe. Erinice lui reproche de l'avoir unie à ses forfaits sans l'avoir vengée. Abramane, pour la rassurer, deploie devant elle toute la puissance de son Art. La rage, la fureur, la haine, tout y est porté à l'excès. La partie souterreine du Temple dans laquelle il célebre ses affreux mysteres, est éclairée par des lampes d'acier. Un Autel teint de sang paroît dans le fond du Théâtre. La cérémonie commence par un prélude dont la force fait frémir. Tous les Prêtres des Idoles entourent Abramane. Ils invoquent l'auteur de tous les maux qui désolent et ravagent la terre et l'onde, dans ce choeur sublime, chef-d'oeuvre du Musicien, où toutes les ressources de l'art sont employées.
On attaque ta gloire. Arme ton bras vengeur.
Fais briller dans les airs les flammes du tonnerre.
Eclate; venge-toi; ce n'est qu'à la terreur
Que tu dois l'encens de la terre.
Abramane précédé et suivi des Prêtres chantans, prend la hache sacrée, et va à l'Autel immoler les victimes. Les Prêtres dansans, forment pendant ce temps sur le devant du Théâtre un Ballet d'expiation (1). [-154-] La Haine, les Furies, la Jalousie, le Désespoir et les Esprits les plus cruels sortent de toutes les parties du Théâtre, ayant à leur tête la Vengeance armée d'une massue redoutable. Elle chant ce beau morceau:
Les biens que notre main dispense,
Ont plus de douceurs qu'on ne pense.
Nous offrons pour secours, dans leurs maux rigoureux,
Aux coeurs outragés, la vengeance,
Et le trépas aux malheureux (2). [LAUSEN 16GF]
Pour commencer le supplice de Zoroastre, on fait paroître sa statue sur l'Autel. Les Démons et les Esprits cruels, armés de serpens et de poignard, font [-155-] contr'elle les conjurations les plus terribles. Prêts à frapper la statue, elle disparoît au milieu d'un tourbillon de flamme. L'espoir renaît. Abramane et ses suivans expriment leur joie dans cet autre choeur encore supérieur au premier.
Quel bonheur, l'enfer nous seconde.
Que ses feux embrâsent les airs;
Qu'ils devorent la terre et l'onde;
Que tout se confonde;
Les plus grands maux sont nos biens les plus chers.
Un bruit souterrein formé par la symphonie, interrompt le Ballet. On écoute. L'Enfer parle, et annonce son triomphe. Tous les peuples de l'Univers vont être accablés de chaînes. Abramane et Erinice sortent avec leur suite, pour porter dans tous les coeurs le carnage et la mort. Ce quatrieme Acte surprend, étonne. On est saisi de terreur, et transporté d'admiration. Il vaut lui seul tous les meilleurs Opéra.
Le cinquieme Acte est aussi plein de chaleur. Le dénouement surtout, se fait par un coup de Théâtre de toute beauté. Abramane ayant enlevé l'amante de Zoroastre, la tient enchaînée, prêt à la frapper de sa massue, si son rival ne veut pas la [-156-] lui céder. Zoroastre, qui craint pour les jours d'Amélite, invoque promptement le Dieu qui le protege. Le tonnerre gronde, les éclairs brillent, et la terre qui s'ouvre, engloutit enfin Abramane et sa suite. Tous les peuples délivrés de l'oppression, marquent par des chants et des danses, la joie qu'ils ont de revoir leur Princesse, que Zoroastre épouse. Ces heureux amans, en se livrant aux plus doux transports, épanchent leur joie dans cet élégant Duo dialogué, qui peint tout le feu de leur situation.
Zoroastre.
Que ces noeuds sont charmans!
Amélite.
Qu'ils flattent ma tendresse!
Zoroastre.
Que je vous aime!
Amélite.
Doux retour!
Ensemble.
Toute mon ame est à l'amour;
Il l'enchaîne à jamais, qu'il l'enflamme sans cesse (1). [LAUSEN 17GF] [LAUSEN 18GF]
Les danses continuent, et la Princesse [-157-] rend graces à l'Amour, en chantant l'Air suivant, auquel le gosier léger de Mademoiselle Fel donnoit de nouvelles graces.
Sur nos coeurs épuise tes armes,
Amour, vole et lance tes traits:
Tu nous offres le prix de nos tendres allarmes,
Et l'hymen paré de tes charmes,
Va nous dispenser tes bienfaits (1). [LAUSEN 19GF]
La Musique de Zoroastre (2) prouve incontestablement en faveur de la Musique Françoise, contre les assertions de ses ennemis (3). Pour en bien juger, il faut [-158-] sçavoir parfaitement la Langue qu'exprime la Musique, en y supposant une parfaite exécution qui manque souvent aujourd'hui parmi nous, tant par les voix, que par un goût et un esprit analogue aux expressions. Il n'y a point de proportion entre les voix qui chantent les Choeurs. Les uns y crient, les autres chantent faux; d'autres ne s'entendent point, ou du moins pas assez, comme les Basses. Point de proportion non plus dans l'orchestra; les premiers violons plus forts que les seconds; les parties trop foibles, le nombre des uns et des autres trop petit pour bien marquer les contrastes, par les doux et les forts; ou bien de mauvais instrumens montés de cordes trop fines; de la jeunesse peu attentive; les uns coulent d'un seul coup d'archet plusieurs notes qui doivent avoir autant de coups d'archet: on en fait autant sur les instrumens à vent; quand ceux-ci doivent dominer, ou encore quand il en doit être de même de la voix, l'accompagnement force; et quand il doit effectivement forcer ensuite, l'effet en est manqué. Voilà où nous en sommes. Or, comment veut-on que notre Musique puisse plaire autant qu'elle [-159-] le pourroit, si la parfaite exécution s'y trouvoit? Malgré cela, demandons aux Musiciens Italiens sinceres qui sont à Paris, ce qu'ils pensent de notre Musique, à la seule étiquette de l'Opéra de Zoroastre? Ils conviendront d'abord, sur les deux seules Ariettes, ou, pour parler plus juste, sur les deux seuls Airs qu'on y chante, que nous sommes capables de les égaler dans ce genre, surout quand la vivacité du mouvement nous y permettra la simplicité des Unissons. La texture de ces Ariettes ne dépend plus que de nos Poëtes, elles seront vives, badines, plaisantes quand ils le voudront. Notre récitatif chante et exprime, et si on le rend mal, il faut s'en prendre aux Chanteurs dont les uns aiment mieux passer pour avoir de la voix, que de l'esprit et du sentiment; et dont les autres sacrifient tout au sentiment, sans se mettre en peine, s'ils chantent ou s'ils parlent, donnant des bruits pour des sons: au lieu que le récitatif Italien ne chante, ni n'exprime, et si quelques gens prétendent que c'est une déclamation notée, c'est qu'ils ne peuvent l'excuser autrement; puisque les Italiens mêmes ne l'écoutent que pour se mettre au fait de l'intrigue, et que quand ils en sçavent une fois les paroles, [-160-] ils ne l'écoutent plus. Les symphonies de nos Opéra valent mieux, et sont plus caractérisées que celles des Opéra Italiens. Nous pouvons citer pour exemple, les symphonies de Monsieur Rameau, qui courent à présent tous les Théâtres de l'Europe, même toutes les Parties du Monde. Pour ce qui est des Choeurs, ceux de Zoroastre, ainsi que tous ceux des autres Opéra du même Auteur, sont admirés universellement, aussi-bien que quelques-uns dont la gloire appartient à d'autres Musiciens François (1).
Paragraphe XVI. Daphnis et Alcimadure.
L'usage où l'on est depuis longtemps, de donner des Parodies d'Opéra au Théâtre Italien et à la Foire, est d'une grande [-161-] ressource pour les Auteurs qui n'ont pas assez de génie pour tirer de leur propre fonds des pieces qui puissent plaire au Public en l'instruisant (1). Il en coûte bien moins à travestir un ouvrage qu'à en créer un nouveau. L'intrigue toute trouvée, les Scenes toutes dialoguées, épargnent les trois quarts de la peine: aussi cette facilité nous a-t'elle procuré une foule de Parodies d'Opéra, dont tout le mérite est de ridiculiser certains endroits des Pieces à qui elles doivent leur naissance. Ces sortes d'ouvrages sont à l'egard des autres ce que le singe est à l'égard de l'homme.
Il y a deux especes de Parodies d'Opéra. La premier et la plus ancienne, est celle où sous des noms forgés, et qui ont quelque rapport avec le sujet, on fait imiter par des personnages tirés du sein du peuple, les actions des Dieux et des Héros. La seconde espece de Parodies est plus noble, et a bien plus de mérite. Elle offre [-162-] toujours les choses telles qu'elles sont dans l'original. C'est plutôt une traduction qu'une Parodie, quoique ce second titre leur convienne aussi, puisque les vers, du moins ceux que l'on chant, sont parodiés sur la Musique même de l'Opéra. Ces sortes de pieces à la vérité ne peuvent avoir lieu que lorsque celles dont elles tirent leur origine ont été composées dans un idiôme étranger, ou dans quelque patois.
La Pastorale Languedocienne de Daphnis et Alcimadure (1), que l'on donna pour la premiere fois sur le Théâtre de Fontainebleau le 29 Octobre 1754, et à l'Opéra le 29 Décembre suivant, a fourni des Parodies dans les deux genres. Celle de Jérôme et Fanchonnette (2) jouée à l'Opéra Comique, est du premier genre, et celle dont je vais parler est du second.
La difficulté qu'il y a de trouver des mots qui puissent s'ajuster avec la Musique, et dont les syllabes soient de même nombre que celles des paroles primitives sur lesquelles les airs ont été faits, doit servir d'excuse aux Auteurs qui font de pareilles entreprises. Celui de la nouvelle [-163-] Parodie de Daphnis et Alcimadure, a réussi assez bien dans plusieurs Airs. Il y en a quelques autres qui sont moins heureux, et d'autres enfin qu'il êut été plus prudent de ne point faire graver. Le premier Air, Hélas, Daphnis est amoureux! et cetera parodié de Hélas, Pauret, que faréy jou! et cetera n'est point mal. Chantez, petits oiseaux, sous ce riant ombrage, et cetera parodié de Gazouillats, auzeléts, et cetera est fort bien. Oui, vous avez sçu m'enflammer, et cetera parodié de Quand l'amour bol nous emflama, et cetera est encore mieux; et le Duo A jamais nos voix vont s'unir, et cetera parodié de N'auréy jamay trop de lezé, et cetera est presque traduit littéralement, et s'adapte parfaitement bien à la Musique. Cette Parodie avoit été destinée à être jouée aux Italiens, mais certaines circonstances en ont empêché. L'Auteur qui a craint quelque vol litteraire, dont on ne se fait pas beaucoup de scrupule, a fait imprimer sa piece: Les Airs sont gravés séparément; on les trouve aux adresses ordinaires de Musiques. Prix, 1 liv. 16 f.
Paragraphe XVII. Musique Nouvelle.
Plusieur Amateurs éclairés ont désiré que je leur donnasse dans la suite de cet Ouvrage une Notice de toute la Musique [-164-] nouvelle, que l'on donne au Public par la voie de la gravure. Pour répondre à leur désir, ils trouveront à la fin de chaque Partie, non seulement un Index de toutes les nouveautés musicales; mais une courte analyse de ces ouvrages de pure pratique, afin que le compte que j'en rendrai, les engage plus facilement à se décider dans l'acquisition qu'ils en voudront faire.
Regina coeli, laetare.
Ce Motet à voix seule et symphonie, a été chanté au Concert Spirituel le 23 Avril 1756, par Mademoiselle Du Gazon. La maniere dont elle l'a rendu, a contribué à sa réussite, en y ajoutant de nouvelles beautés. La Musique en est gaie, et dans le goût d'à-présent. L'Auteur (Monsieur le Marquis de Culant) paroît avoir du génie, et possede la science de l'harmonie; il y a cependant quelques petites fautes, entre autres deux cadences parfaites de suite en E si mi (1), qu'il est bon d'éviter, parce [-165-] que ces sortes de répétition, marquent une stérilité d'imagination. Sans rien changer au chant, ni aux accompagnemens, on auroit pu y substituer une cadence rompue. Un ut dans la Basse, au lieu du mi qui s'y trouve, auroit fait l'affaire, et cette diversité eût plu d'avantage. Ce Motet est du prix de 1 liv. 4 f. et se vend aux adresses ordinaires de Musique.
Le Lever de l'Aurore.
La symphonie que sert de Prélude à cette Cantatille, est un Tableau qui représente parfaitement bien le lever de l'Aurore, que le Poëte a peint ainsi dans son premier récitatif.
L'Astre que le Silence suit,
Termine, en rougissant, sa course ténébreuse.
Sa cour obscure à pas lents fuit.
Le ciel devient plus pur, et l'Aube qui nous luit,
Présente à nos regards cette clarté douteuse,
Qui tient du jour et de la nuit.
Monsieur Le Fevre, Organiste de Saint Louis en l'Isle, Auteur de cette Cantatille, commence d'abord son prélude par des noires lieés ensemble en même dégrés dans le bas du violon, que les instrumens doivent exécuter lentement par un jeu doux, pour exprimer le silence de la nuit qui commence à cesser. Quelques croches en dégrés [-166-] diatoniques, suivies de quelques intervalles disjoints, marquent le commencement d'une lumiere foible qui combat contre les ténebres. Un jeu plue fort, de tems en tems fait voir que la nuit cede à la clarté, et que le ciel devient plus pur: de petites phrases détachées, par des sons plus aigus peignent le lever de l'Aurore qui vient ouvrir les barrieres du jour; enfin des sons forts et toujours en croissant, sur des notes longues par intervalles disjoints en montant jusqu'au plus aigu de l'instrument, font connoître que le pere du jour commence sa carriere.
Dans l'Ariette qui suit, les oiseaux, par un doux ramage, remercient l'Aurore d'avoir répandu ses pleurs sur l'émail des prairies. Une musette éveille Titire, et lui annonce que Philis a déja conduit ses brebis dans la plaine, et qu'il est temps d'orner la houlette de cette bergere avec les fleurs qui viennent de naître. Ces amans s'approchent, leurs troupeaux se confondent; et l'amour qui les conduit leur inspire de tendres chansons.
Il y a dans cette Cantatille un accord qui n'est pas d'un fréquent usage, je veux parler de l'accord de sixte superflue accompagné de la tierce majeure et du triton. Rien n'est cependant plus simple que l'emploi de cet accord.
[-167-] Lorsqu'on descend diatoniquement d'une tonique sur une dominante dans un mode majeur, on a coutume de faire l'accord de petite sixte majeure sur la sixieme note du ton principal, parce que le repos que l'on fait pour lors sur la dominante tonique, engageant à regarder cette note comme une nouvelle tonique elle-même, on lui fait porter en conséquence son accord parfait, précédé de l'accord de sa dominante, laquelle devenant à son tour dominante tonique, porte la tierce majeure, et devient par ce moyen l'accord sensible de la tonique nouvelle où l'on fait le repos.
Exemple.
[Laugier, Sentiment, 167; text: sol, fa, mi, re, ut, si. 3, 6, 7, Basse continue. Basse fondamentale exprimée par des lettres (1). C, G, D] [LAUSEN 05GF]
En conservant la même progression fondamentale, si l'on substitue le mode mineur au mode majeur, on aura l'accord en question, parce que dans un mode mineur [-168-] quelconque, la sixieme note étant toujours mineure en descendant sur la dominante tonique, si l'on considere cette dominante comme une nouvelle tonique, et que comme telle, on lui fasse porter l'accord parfait précédé de son accord sensible, on trouvera que cette note sensible d'une dominante tonique, formera avec la sixieme note du ton principal, une sixte superflue accompagnée de la tierce majeure et du triton.
Exemple
[Laugier, Sentiment, 168; text: sol, fa, mi, re, ut, si. 6, 7, Basse continue. Basse fondamentale exprimée par des lettres. C, G, D.] [LAUSEN 05GF]
Non seulement cette harmonie étoit proscrite jadis, mais on défendoit même d'employer l'intervalle de sixte superflue dans la mélodie, parce qu'il étoit regardé comme impraticable.
Cette Cantatille se trouve aux adresses ordinaires pour la Musique, et vaut une livre seize sols.
Fin de la seconde Partie.
[-1-] [Laugier, Sentiment, 1; text: Numéro 1, Trio, Lentement, Calviere est descendu dans la nuit du tombeau, par des chants immortels consacrons sa mémoire. Fin. gai. Sans vitesse, Tous ses ri-] [LAUSEN 06GF]
[-2-] [Laugier, Sentiment, 2; text: tous ses rivaux lui cedoient la victoire, il a joui du destin le plus beau: et la posterité prendra soin de sa gloire] [LAUSEN 07GF]
[-3-] [Laugier, Sentiment, 3; text: tous ses rivaux lui cedoient la victoire, et la posterité prendra soin de sa gloire] [LAUSEN 08GF]
[-4-] [Laugier, Sentiment, 4; text: tous ses rivaux lui cedoient la victoire, et la posterité prendra soin de sa gloire] [LAUSEN 09GF]
[-5-] [Laugier, Sentiment, 5; text: tous ses rivaux lui cedoient la victoire, et la posterité prendra soin de sa gloire] [LAUSEN 10GF]
[-6-] [Laugier, Sentiment, 6; text: tous ses rivaux lui cedoient la victoire, et la posterité prendra soin de sa gloire] [LAUSEN 11GF]
[-7-] [Laugier, Sentiment, 7; text: dra soin de sa gloire, Calviere est descendu dans la, Da Capo, Numéro 2, Tristes apprets pâles flambeaux, jour plus affreux que les tenebres, Astres lugubres des tombeaux, non je ne verrai plus que vos clartés funebres. Fin, Toi qui vois mon coeur eperdu, pere du jour ô Soleil ô mon pere je ne veux plus d'un bien que Castor a perdu et je renonce à ta lumiere, au Rondeau jusqu'au mot Fin] [LAUSEN 12GF]
[-8-] [Laugier, Sentiment, 8; text: Numéro 3.Vole dans nos riants bocages, Amour, ne les quitte jamais, n'y reçois point de coeurs volages, bannis en les tristes regrets. au Rondeau] [LAUSEN 13GF]
[-9-] [Laugier, Sentiment, 9; text: Numéro 4. Legerement, Ariette. Tendre Amour vole en ce bocage, lance Sur nous tes traits les plus puissans sans nos coeurs te doivent leur encens, et leur bonheur est ton ouvrage, A, B, C, D, E, F, G, 3, 4, 5, 6, 7, Des C<...>rs nous bannissons les soins et les allarmes a peine nous lais-] [LAUSEN 14GF]
[-10-] [Laugier, Sentiment, 10; text: sons ce langage dans nos chansons. Le plus sincere amant tient au plaisir bien plus qu'à nos charmes, l'engagement le plus charmant cede aux ennuis d'un moment: le Dieu qui rend heureux doit-il s'annoncer par les larmes, si dans nos yeux brillent ses feux ils naissent des ris des jeux chantons, dansons, nos pas, nos sons, du plaisir sont des leçons. Numéro 6, Gracieux, Non, non, une flame volage ne peut me ravir mon amant;] [LAUSEN 15GF]
[-11-] [Laugier, Sentiment, 11; text: non, une flame volage ne peut me ravir mon amant; Nos coeurs guidés par leur penchant se sont choisis pour leur partage. Tendre amour, cet accord charmant d'un seul de tes traits fut l'ouvrage. da capo. Numéro 7. Vif, Les biens que notre main dispense, ont plus de douceurs qu'on ne pense. Nous offrons pour secours dans leurs maux rigoureux aux Coeurs outragés la vangeance et le trépas aux malheureux] [LAUSEN 16GF]
[-12-] [Laugier, Sentiment, 12; text: Numéro 8. Dùo de Zoroastre. Animé, tendrement, Gay, Que ces noeuds sont charmans! Qu'ils flatent ma tendresse! Que je vous aime! doux retour! Toute mon Ame est à l'amour; Il l'enchaine. Qu'il l'enflame, à jamais] [LAUSEN 17GF]
[-13-] [Laugier, Sentiment, 13; text: qu'il l'enflame sans cesse. Il l'enchaine à jamais] [LAUSEN 18GF]
[-14-] [Laugier, Sentiment, 14; text: Numéro 9, Ariette de Zoroastre, Sur nos Coeurs Epuise tes armes, Amour vole et lance tes traits. fin, Tu nous offres le prix de nos tendres allarmes Et l'Himen paré de tes Charmes Va nous dispenser tes bien-faits, et cetera] [LAUSEN 19GF]
[Footnotes]
(1) [cf. p.34] Les paroles sont de Monsieur Bernard.
(2) [cf. p.34] On le trouvera gravé ci-après, numéro <2>]
(1) [cf. p.37] Les paroles sont de Houdart de La Mothe, et la Musique de Campra.
(1) [cf. p.39] On le trouvera gravé ci-après Numéro 3.]
(1) [cf. p.67] Acante et Cephise, et Daphnis et Alcimadure.
(2) [cf. p.120] Acte V, Scene <3>, Paroles de Quinault, Musique de Lully.
(1) [cf. p.121] Acte IV, Scene 7. Paroles de Quinault, Musique de Lully.
(1) [cf. p.127] Les paroles de Roland sont de Quinault, et la musique est de Lully.
(3) [cf. p.127] Les paroles d'Atys sont de Quinault, et la musique est de Lully.
(1) [cf. p.137] Les paroles de ces trois Ballets sont de Benserade.
(2) [cf. p.137] Paroles de Moliere.
(3) [cf. p.137] Paroles de Benserade.
(4) [cf. p.137] Voyez le premiere partie, page 44.
(5) [cf. p.137] Voyez la premiere partie, page 45.
(6) [cf. p.137] Voyez la premiere partie, page 44.
(1) [cf. p.138] Voyez la premiere partie, page 45.
(2) [cf. p.138] Voyez ci-après, page 143.
(4) [cf. p.138] Paroles de Nericault Destouches, Musique de Mouret.
(5) [cf. p.138] Pastorale Héroïque, paroles de Monsieur de Moncrif.
(6) [cf. p.138] Paroles de Monsieur de Moncrif.
(1) [cf. p.139] Paroles de Monsieur de Moncrif.
(2) [cf. p.139] Paroles de Monsieur Roy, Musique de Monsieur de Buri.
(3) [cf. p.139] Paroles de Monsieur Laujon, Musique de Monsieur de la Garde.
(4) [cf. p.139] Paroles de Monsieur de Moncrif, Musique de Messieurs Rebel et Francoeur.
(6) [cf. p.139] Voyez ci-après, page 140.
(7) [cf. p.139] Voyez ci-après, page 141.
(1) [cf. p.140] L'idée de ce Ballet est tirée de l'Eboge de la Folie, par Erasme.
(1) [cf. p.144] On a fait usage de ces paroles dans un Trio de Table, qui commence ainsi.
Vive notre hôtesse
Qui sans cesse,
Le verre à la main,
Nous met en train, et cetera.
(1) [cf. p.148] Cet Air que tout Paris a applaudi, se trouve noté ci-après, Numero 6.
(1) [cf. p.151] Dans une brochure intitulée Considérations sur quelques abus de l'esprit, et cetera.
(2) [cf. p.154] On le trouvera noté ci-après, Numero 7.
(1) [cf. p.156] On le trouvera gravé ci-après, Numero 8.
(1) [cf. p.157] On le trouvera gravé ci-après, Numero 9.
(1) [cf. p.162] Les Paroles et la Musique sont de Monsieur de Mondonville.
(2) [cf. p.162] De Monsieur Vadé.
(1) [cf. p.167] Voyez ci-dessus, page 96 et suivantes, où l'on a expliqué ces nouveaux signes.