TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Author: Lebeuf, Jean
Title: Traité historique sur le chant ecclesiastique
Source: Traité historique et pratique sur le chant ecclesiastique. Avec le directoire qui en contient les principes et les régles, suivant l'usage présent du Diocèse de Paris, et autres. Précedé d'une Nouvelle methode, pour l'enseigner, et l'apprendre facilement (Paris: Herissant, 1741; reprint ed. Genève: Minkoff, 1972), ff.ir-ivv, 1-150.
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[-f.ir-] TRAITÉ HISTORIQUE ET PRATIQUE SUR LE CHANT ECCLESIASTIQUE.

AVEC LE DIRECTOIRE qui en contient les principes et les régles, suivant l'usage présent du Diocèse de Paris, et autres.

Précedé d'une NOUVELLE METHODE, pour l'enseigner, et l'apprendre facilement.

Par Monsieur l'Abbé Lebeuf, Chanoine et Sous-Chantre de l'Eglise Cathédrale d'Auxerre.

A PARIS,

Chez Cl. J. B. Herissant, Libraire-Imprimeur, rue Neuve de notre Dame, aux trois Vertus.

ET Jean Th. Herissant, Libraire, rue Saint Jacques, à Saint Paul et à Saint Hilaire.

M. DCC. XLI.

Avec Approbation et Privilége

[-f.ijr-] A MONSEIGNEUR CHARLES-GASPAR-GUILLAUME DE VINTIMILLE DES COMTES DE MARSEILLE DU LUC, Archevêque de Paris, Duc de Saint-Cloud, Pair de France, Commandeur de l'Ordre du saint Esprit, et cetera.

MONSEIGNEUR,

L'honneur que Votre Grandeur m'a fait de m'appeller auprès d'Elle, pour travailler au Chant du nouveau Bréviaire [-f.ijv-] et du nouveau Missel, qu'Elle a donnés à son Diocèse, m'engage à lui offrir comme un tribut de ma reconnoissance le fruit de quelques collections Historiques commencées dès le tems que je faisois mes études dans cette grande Ville. J'y joins le Directoire du Chant, que le Public étoit surpris de ne point trouver à la tête du nouvel Antiphonier.

Pourrois-je, Monseigneur, vous présenter un hommage plus convenable, que ce livre même, qui entre si naturellement dans les intentions que vous avez eu de réunir la voix des Peuples à celle du Clergé? Saint Germain votre illustre prédécesseur vous en avoit donné l'éxemple. C'est de lui que Fortunat Evêque de Poitiers disoit autrefois:

Pontificis monitis Clerus, plebs psallit, et infans.

Depuis le tems de saint Germain, jamais cet éloge ne se trouva mieux vérifié que sous votre Episcopat, où les Livres notés de l'Office Divin sont entre les mains du [-f.iijr-] petit comme du grand, du pauvre comme du riche.

Dans la composition de ce Recueil, Monseigneur, j'ai eu principalement en vûe les enfans qui ont toujours fait l'ornement du Chant Ecclésiastique. Par les soins des Maîtres que Votre Grandeur répand dans son Diocése, tous en sçauront les régles: plusieurs même seront en état de transmettre à la postérité le goût du Chant Grégorien, pour l'édification de l'Eglise à laquelle vous présidez si dignement.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,

MONSEIGNEUR,

de Votre Grandeur,

Le très-humble et très-obéissant Serviteur,

Lebeuf.

[-f.iijv-] AVERTISSEMENT.

APrès avoir travaillé depuis l'an 1734, à la composition du nouvel Antiphonier et du nouveau Graduel de l'Eglise de Paris, il m'a paru qu'il étoit convenable que je ne finisse point cet Ouvrage sans donner les Préliminaires de l'Antiphonier, qui ont été autrefois composés par Monsieur l'Abbé Chastelain, sçavant Chanoine de Notre-Dame; d'autant plus qu'ils contiennent les régles dont l'observation est nécessaire dans l'usage, et que ces régles pourroient se perdre et s'oublier par la suite, si on ne les remettoit pas sous les yeux. Mais comme cette matiére est un peu séche pour beaucoup d'Ecclésiastiques qui aiment mieux voir rapporter quelques traits historiques sur la matiére du Chant; j'ai crû, pour suppléer au peu que j'ai inseré d'érudition ancienne parmi les préceptes de l'art, devoir faire précéder cet Ouvrage d'un petit Traité sur le Chant Ecclésiastique en général. La Table des Chapitres indiquera suffisamment ce dont il est composé. Ce n'est qu'un extrait d'un plus ample Traité que je méditois depuis long-tems sur l'origine et les progrès du Chant Ecclésiastique, et pour la confection duquel j'ai ramassé beaucoup de [-f.ivr] matériaux. Je me flatte que tout petit qu'il est, il fera plaisir à ceux qui aiment l'histoire. Les Maîtres de Chant, les Enfans, et même les personnes avancées en âge y trouveront dequoi s'animer à l'éxercice de cette science. Les changemens les plus notables arrivés dans la pratique, y sont indiqués pour la satisfaction des curieux. J'y ai déclaré franchement ce qui m'a paru être moins convenable, et que j'aurois bien souhaité pouvoir réformer ou restraindre. Mais s'il y a des changemens ou des rétablissemens que l'instruction peut amener, il y en a aussi d'autres qu'on ne peut espérer de voir qu'avec le tems; parceque le rétablissement de l'ancien usage est presque toujours pris par quelques-uns pour une nouveauté.

La premiére Partie de cet Ouvrage en entier, et les premiers Chapitres de la seconde Partie où est renfermée la Méthode nouvelle d'enseigner les premiers principes, conviennent au Clergé de toute sorte d'Eglises, même de celles où l'on se sert des livres Romains. Il n'y a que ce qui suit, qui est plus particuliérement suivant l'usage de Paris, et des autres Eglises qui en ont adopté les livres, ou qui s'en servent de tems immémorial.

Au reste, comme le siécle d'aujourd'hui n'est pas porté pour les Ouvrages écrits en [-f.ivv-] Latin, j'ai mis en François les anciens Préliminaires Latins de l'Antiphonier de Paris, avec les changemens convenables; soit pour mieux faire comprendre la nouvelle maniére d'enseigner les commencemens du Chant aux plus petits enfans, qui est à la tête de ces Préliminaires; soit pour rendre le livre d'un plus grand usage quant au style, comme il est dans la forme. Quoique j'aye écrit principalement pour les enfans, les personnes âgées qui désirent s'instruire dans l'art de chanter qu'elles ignorent, peuvent aussi se servir de la nouvelle Méthode, en se faisant conduire pendant quelques jours par un Maître qui donnera aux syllabes les sons, lesquels ne peuvent se transmettre que par tradition. Ces personnes me pardonneront les expressions peut-être trop naturelles dont je me suis servi pour inculquer l'usage de ma Méthode. J'ai crû que pour se faire comprendre aux enfans sur l'article du demiton, duquel dépend toute la variété des Chants, je ne pouvois me servir de comparaisons trop familiéres, et que les yeux pouvoient servir à faire comprendre les proportions dont l'oreille est juge.

[-1-] TRAITÉ HISTORIQUE SVR LE CHANT ECCLESIASTIQUE.

Chapitre I.

Quelle est la meilleure maniére d'insinuer les principes du Chant aux Enfans, et combien il est utile de le leur enseigner. Enfans enseignés par des Maîtres illustres, ou devenus illustres eux-mêmes.

IL seroit facile à une personne qui auroit le loisir de faire de longues compilations, de composer un ample Traité sur l'utilité du Chant Ecclésiastique, sur la noblesse de cette science, sur son antiquité. L'histoire de l'Eglise fournit tant de morceaux sur cette matiére, qu'il y auroit [-2-] de quoi en composer un juste volume. C'est surtout depuis le siécle de Charlemagne que le Chant fit en France le sujet de l'occupation de plusieurs grands personnages. J'ai traité cet article dans une petite Dissertation de l'état des Sciences sous ce Prince (a). J'ai continué d'envisager la même matiére sous les Rois ses successeurs, dans une autre Dissertation que j'ai aussi rendue publique (b). Si je ne craignois de grossir ce volume, je réunirois ici tout ce que j'ai dit dans ces deux Ecrits; car le neuviéme, le dixiéme et l'onziéme siécles furent des époques brillantes pour le Chant. On y vit les Abbés, les Prêtres, les Evêques, les Princes et les Rois même s'y adonner, l'étudier, et même en composer. La France fut alors ce que l'Italie avoit été sous les Grégoires et les Léons. Car la science passa de l'Italie en France, comme elle étoit passée de Gréce en Italie.

Je me suis plaint dans mes deux Dissertations, [-3-] de la méthode dont on se servoit alors pour noter et pour enseigner le Chant. Mais je n'en ai point voulu de mal aux Chantres de ces tems-là. Ils notoient le Chant comme on leur avoit montré; et l'heure n'étoit pas venue de trouver le secret de le rendre plus intelligible. Il a été de cet art comme de celui de l'écriture dont on s'est servi jusqu'à ce qu'on ai découvert l'art de l'Imprimerie. Depuis que l'on trouva dans l'onziéme siécle l'art de faire sentir par une espéce d'échelle le progrès des sons montans et des sons descendans, le Chant a dû devenir plus facile à enseigner, et par conséquent plus aisé à apprendre. Chacun sçait quels éloges on donna au Moine Italien qui fut l'inventeur de ce secret. Ce qui m'étonne est que la personne qui de nos jours avoit voulu faire revivre l'ancien chaos pour épargner du papier aux Imprimeurs, ait trouvé des approbateurs, qui ayent dit que le Chant auroit été plus facile à apprendre. Ceux-là n'ont pas apparemment été informés que cette personne ne produisoit rien d'absolument nouveau; et que dans la méthode d'Hucbaud Moine de Saint-Amand en Flandres, qui vivoit cent ans [-4-] avant Gui-Aretin, il y avoit de même pour chaque son de la gamme un signe absolu, indépendant de clef, de barres ou d'échelle, et tels à peu près que Monsieur de Mos les a imaginés. L'Enchiridion de ce Religieux Flamand est encore conservé à la Bibliothéque du Roi: [Cod. Colb. 1741. in marg.] mais la méthode de Gui Aretin non-seulement l'effaça; elle fit aussi quitter peu à peu celle qu'on avoit de différens autres signes absolus, suivant les païs, ou suivant le goût des Maîtres.

On ne lit point dans l'histoire, qu'aucun se soit opposé à la méthode de l'Italien; on en sentit la bonté. Cependant il a été besoin de la perfectionner, parceque l'échelle d'Aretin ne donnoit pas autant de noms différens qu'il y a de cordes dans l'octave; et il falloit répéter une même syllabe pour deux sons différens dans la même octave: ce qui induisoit quelquefois à erreur. Il n'y a pas encore un siécle et demi que l'on a mis en usage la syllabe si, pour désigner le son qui étoit entre le la et l'ut, lorsque ce son devoit répondre au son autrefois indique par le [sqb]. Enfin ce si, après bien des délais de la part de quelques personnes, a été admis (a) Les mêmes [-5-] cérémonies et délais, qui furent observés à l'égard du si, se pratiquent encore en plusieurs païs à l'égard du sa. Et quoique l'utilité de cette syllabe soit évidente, plusieurs personnes ne peuvent se défaire de l'habitude qu'elles ont contractée d'appeller fa le son indiqué par le b mol entre le la et l'ut: et ainsi par exemple pour dire la note de la piéce de Chant de l'Office de la Dédicace [Ergone. ci-devant Répons aujourd'hui Communion. in marg] qui commence par le progrès d'une quarte, ils prononcent, fa fa, fa, fa, sol, la.* Ces personnes persistent à plus forte raison d'appeller encore fa le son désigné par le b mol situé entre le re et le fa; de sorte qu'ils font un triple emploi de la syllabe fa dans l'étendûe d'une même octave. C'est ce que je ne puis m'empêcher de regarder comme un défaut. Eh quoi donc! les Langues Latine ou Françoise ne sont-elles pas assez riches pour fournir autant de syllabes qu'il y a de différens sons dans une octave? Je sçai par expérience que ce n'es pas faciliter [-6-] les principes aux jeunes gens, que de leur parler de trois fa l'un sur l'autre dans une seule et même octave.

La science du Chant en général ne deviendra donc, selon moi, un peu moins difficile à apprendre, que lorsqu'on sera convenu d'admettre douze syllabes différentes pour dénommer les douze demi-tons de l'octave. Outre les six anciens noms et le septiéme qui est le si, l'Antiphonier de Paris de l'an 1681. nous apprend que dès-lors quelques personnes appelloient le si bémolisé du nom de sa, le mi bémolisé du nom de ma, et le fa dièse du nom de fi. Ce surcroit de noms peut absolument suffire pour le Plainchant, n'y ayant guéres que dix cordes qui y recoivent des notes dans l'étendûe de l'octave. Je laisse aux Musiciens à trouver, s'ils le jugent à propos, un nom pour le sol dièse et l'ut dièse, moyennant quoi nous aurions douze noms pour les douze semi-tons qui constituent l'octave: mais si l'on est aussi long à s'y déterminer qu'on a été pour admettre le si, nous pourrons bien ne point voir de nos jours ce nombre complet. (a)

[-7-] En se contentant des dix syllabes, ut, si, sa, la, sol, fi, fa, mi, ma, re, que nous fournit l'ancien Antiphonier de Paris, on peut dire que le Plainchant est beaucoup plus aisé à apprendre qu'il n'étoit auparavant. Mais quand je parle de facilité par rapport à cette science, j'entends toujours parler relativement aux enfans. Car quoique le jugement soit plus formé dans les personnes âgées pour comprendre ce que c'est que ton et demi-ton, et que c'est de la différente situation du semi-ton que résulte la différence des modes; l'expérience fait voir que les organes sont aussi plus fléxibles dans les jeunes gens; et avec la méthode de l'échelle de syllabes, à laquelle on fait succéder l'échelle de cordes inégalement éloignées, il n'y a point d'enfant, à moins que ce ne soient de ces esprits obtus et bouchés, qui ne conçoive ce que c'est que la différente économie et la distribution des modes du Chant Ecclésiastique. J'en ai vû à qui la vûe de mon systême, et un peu de réfléxion dessus fit venir la pensée de faire sur une ficelle [-8-] autant de noeuds qu'il y a ordinairement de sons consécutifs dans l'octave, ut, si, la, sol, fa, mi, re, ut. Ces noeuds étoient par conséquent au nombre de huit: ils étoient tous à égale distance les uns des autres, excepté que les deux noeuds qui indiquoient le demi-ton ut si, et le demi-ton fa mi, étoient plus proches de moitié. Ils se firent ainsi une gamme ou octave par béquarre; puis une autre par bemol: et ils s'apprenoient ainsi la gamme les uns aux autres comme en jouant. Je ne dis rien de ceux qui étant devenus plus avancés en science comme en âge, conçurent d'eux-mêmes l'idée attachée aux trois mots Grecs des anciens livres de Paris, Mesopycni, Barypycni, et Oxypycni, laquelle renferme la nature de tous les Chants d'Eglise (a). Les deux noeuds voisins étant le demi-ton, ou comme disent les Grecs l'espace resserré; la triple situation de cet intervalle resserré [-9-] qui ne peut être que dans le milieu de deux autres cordes, ou dans le bas de ces deux cordes, ou dans le haut, leur fit concevoir en quoi ce que nous appellons premier et second mode, est différent du troisiéme et du quatriéme; et pourquoi les quatre derniers modes, sçavoir, le cinquiéme, le sixiéme, le septiéme, et le huitiéme sont plutôt appellés modes majeurs que les quatre premiers. Puis donc que les enfans, pour peu qu'ils ayent l'esprit ouvert, entrent aisément dans le systême que je propose, j'espére qu'on voudra bien l'essayer sur ceux qui sont dans ce cas. Humbert de Romans, célébre Général des Dominicains avoit mis en 1274. parmi les articles à traiter au Concile de Lyon, quòd in omnibus Ecclesiis ars cantûs meliùs doceretur et addisceretur. [Collect. max. Martene tome page 196. in marg.] Qu'on essaye de la méthode que je propose pour les premiers jours des commençans, et on verra si elle n'est pas plus propre à leur donner des idées claires de la construction du Chant.

J'ai dit dans la méthode, que j'écrivois principalement pour les enfans; et je préviens ici ce que j'ai dit là-dessus, parce qu'il en revient une utilité qu'on ne peut assez exprimer. Quoique les enfans aiment assez naturellement à fréquenter les [-10-] Eglises; ils cessent d'avoir cette inclination, lorsqu'ils avancent en âge, à moins qu'ils n'aient appris à chanter. La connoissance du Plainchant les rendra donc de bons Paroissiens, qui assisteront à l'Office Divin, et qui contribueront à le faire célebrer avec décence. Outre cela cette connoissance les mettra en état de s'éxercer chez eux, et par conséquent de s'entretenir de choses utiles, et de s'abstenir des chansons profanes qui portent la corruption dans le coeur. Les chants du paganisme, qui étoient sur des paroles dangereuses, ont été placés il y a peut-être plus de mille ans sur des paroles de nos Poëtes sacrés, surtout les trois derniers jours de la Semainte Sainte, afin de faire oublier les restes du paganisme de ce tems-là; et l'on s'est servi (comme on s'en sert encore) de la voix des enfans pour toucher les coeurs des fidéles par ces Chants amoureux et tendres.

Au reste, l'occupation d'enseigner le Chant n'est point au dessous du caractére des Prêtres, puisque Saint Grégoire Pape le montroit lui-même aux enfans. [Joan. Diac. lib. 2. n. 6. in marg.] L'Historien de sa vie dit qu'on voyoit encore de son tems le lit sur lequel il étoit assis lorsqu'il chantoit pour les enseigner, [-11-] et le fouet dont il s'étoit servi pour leur faire peur, avec l'Antiphonier dans lequel ils avoient chanté.

Il n'y a aucune preuve que Saint Germain Evêque de Paris ait été dans la même situation. Il n'enseignoit point le Chant en personne; mais par ses exhortations et ses avis, chacun chantoit dans son Eglise, comme l'a écrit Fortunat dans sa vie:

Pontificis monitis Clerus, plebs psallit, et infans.

Et plus bas:Tympana rauca senum puerilis fistula mulcet.

[De vitis Patrum, cap. 8. in marg.] Grégoire de Tours rapporte de saint Nisier Prêtre, depuis Archevêque de Lyon, qu'aussitôt que les enfans pouvoient parler, il les mettoit à la lecture et au Chant de la Psalmodie.

Le même Auteur, au chapitre huitiéme, rapporte l'estime que Saint Quintien Evêque de Clermont fit de la belle voix du jeune enfant Gal, et que l'ayant entendu dans un Monastére * [* A Cour. non. in marg.] il le tira de ce lieu, et l'amena à sa ville Episcopale pour y être l'ornement du Chant Ecclésiastique.

Les histoires des Cathédrales et des [-12-] Abbayes sont pleines de monumens, qui indiquent la part que les enfans ont toujours eu dans l'exécution du Chant Ecclésiastique, et même qu'ils y écrivoient quelquefois des livres de Chant. Ceux de l'Abbaye de Saint-Tron, à qui on enseignoit le Chant sur les dégrés ou divisions du monocorde (ce qui revient assez à la méthode que j'annonce,) [Spicil. tome 7. page 440. in marg.] écrivirent et notérent des piéces de Chant mieux que leur Maître. Dans le Monastére d'Andres ou Andern, * [* Aux Païs bas Spicil. tome 9. page 446. in marg.] où l'Office se faisoit d'une maniére précipitée au douziéme siécle, on employa utilement la voix des enfans pour arrêter le torrent dans la Psalmodie. On leur donna des Pseautiers avec ordre de chanter posément; et les anciens qui chantoient par coeur, étoient obligés de faire par ce moyen la pause comme eux. [Haëfren in marg.] On peut voir dans Boërius l'usage où l'on étoit de faire prononcer par les enfans le commencement de chaque Pseaume que le Choeur continuoit; ensorte que s'ils se trompoient, ils étoient sévérement punis, parcequ'ils faisoient tromper les autres. Cluny a long-tems retenu cet usage, qui persevére encore chez les Grecs au rapport du même Boërius.

[-13-] Les écoles de Chant des Cathédrales n'ont pas toujours été sur le pied qu'elles sont aujourd'hui. La Musique qu'ils appelloient le Déchant, n'étant point alors si commune, et n'étant point si variée qu'elle l'est de nos jours; il restoit après la science du Plainchant et de la lecture, beaucoup plus de loisir pour l'étude de la Grammaire: de sorte qu'il sortoit quelquefois de ces écoles des enfans très-sçavans pour ces tems-là. Le Pape Urbain IV. avoit été élevé à Troyes parmi les enfans de la Cathédrale, à la fin du douziéme siécle. On voit dans l'Eglise de Saint Jean de Lyon la tombe d'un Cardinal, qui avoit aussi commencé par y être Enfant de Choeur. [Chron. Abb. Laub. tome 6. Spic. page 561. in marg.] Estienne Corevêque et Abbé de Lobbes au IX. siécle, nous insinue qu'il avoit servi dans le tems de son enfance l'Eglise de Metz, alors fort célébre par la science du Chant.

L'Eglise de Paris ne l'a pas moins été dans tous les tems à l'exemple de celle de Sens, dont elle a été suffragante jusqu'à l'an 1622. Gerson, illustre Chancelier de cette Eglise, avoit composé au quinziéme siécle un Traité touchant l'éducation des Enfans de Choeur de la même Eglise. Cet ouvrage contient des [-14-] choses très-curieuses, qu'on peut voir dans la derniére édition de ses oeuvres publiée par Monsieur Dupin. C'est un témoignage positif de l'attention qu'à toujours eu la célébre Eglise de Paris pour que ses écoles de Chant fussent florissantes.

CHAPITRE II.

De l'estime que l'on a fait de tout tems du Chant Ecclésiastique; des plus notables personnages qui l'ont aimé, qui en ont composé, ou qui l'ont enseigné, ou enfin qui en ont transcrit.

ON pourroit être porté à croire par ce que je viens de dire touchant les enfans, qu'il n'y avoit qu'eux qui se mêloient de Chant, que c'étoit autrefois une science qu'on leur abandonnoit, et que les personnes distinguées méprisoient. On a des preuves du contraire en France, non-seulement avant que le Chant Romain y fut admis, mais encore depuis. C'est surtout depuis cette réception du Chant Romain, que l'histoire fournit un plus grand nombre de témoignages touchant les personnes qui le cultivérent et l'étendirent. On vit des piéces de Chant, même des Offices entiers [-15-] composés par des gens de la premiére qualité, par des Evêques et des Princes. Le Chant Romain étoit plus varié que l'ancien Chant Gallican; c'est ce qui le fit goûter davantage. On s'y adonna tellement, qu'on peut dire que ceux qui se mélérent depuis dans la France de faire du Chant, l'enrichirent de piéces qui égaloient, et même qui surpassoient souvent celles de l'Antiphonier Romain; et elles étoient en si grand nombre, que les livres de la France devinrent par la suite plus dignes de l'attention des curieux, que ceux de Rome.

A commencer par les premiers tems de l'introduction du Chant Romain dans la France, je trouve d'abord Charlemagne qui composa l'hymne, Veni, Creator. avec son Chant. Charles-le-Chauve passe aussi pour avoir composé un Office du Saint Suaire, dont l'Eglise de Compiégne qu'il affectionnoit, fut enrichie de son tems (a). Le Roi Robert fit vers l'an 1000. une infinité de Chants, entr'autres le Répons, Judaea et Jerusalem. qui se chantoit ci-devant aux premiéres [-16-] Vêpres de Noel, et le Répons, O constantia. Comme il étoit en grande relation avec Fulbert, Evêque de Chartres, qui introduisit dans son Eglise quelques nouveaux Répons en l'honneur de la sainte Vierge; il y a lieu de croire que cet Evêque les lui communiqua, afin de les répandre dans le reste de ses Etats. Ces Répons sont, Ad nutum Domini. Stirps Jesse. et Solem justitiae. qu'on trouve dans tous les anciens livres du Royaume, même dans ceux de la Provence et du Languedoc, ainsi que je m'en suis assuré par la recherche que j'ai faite dans les Manuscrits de la Bibliothéque du Roi. J'en parlerai encore ci-après, lorsque je dirai un mot de l'imitation en fait de Chant d'Eglise. Ce pieux Roi étoit fort dévot envers Saint Hippolyte, et il alloit solemniser sa fête à l'Abbaye de Saint Denys, où il faisoit chanter du Chant de sa composition: et s'il n'est pas vrai que ce soit à Rome qu'il présenta le beau Répons Cornelius. quoique des Historiens le disent, ce dut être à Saint-Denys, dont l'Eglise étoit encore quelquefois qualifiée du titre de Saint Pierre dans le siécle précedent. Nous ne voyons point depuis le Roi Robert, d'autre Roi que Saint Louis qui aima [-17-] beaucoup le Chant d'Eglise. Richard Roi d'Angleterre se plaisoit aussi très-fort à l'entendre (a). Charles cinquiéme, dit le Sage, aima beaucoup la Musique, et même il s'y connoissoit: mais on voit par ce qu'en dit Christine de Pisan dans la vie de ce Prince, qu'il s'agit non de la Musique en tant que Plainchant pur et simple, mais de la science des accords; c'est-à-dire, de la Musique telle qu'on l'entend aujourd'hui, laquelle étoit alors bien peu chargée, ne faisant pour ainsi dire que de naître.

Foulques Comte d'Anjou, surnommé le Bon, fut un parfait imitateur du zèle de Charlemagne envers le Chant. [Gesta Cons. Andeg. cap. 5. Spicileg. tome 10. in marg.] Non-seulement il composa douze Répons en l'honneur de Saint Martin; mais même il voulut souvent se mêler avec Clergé, et chanter avec les Prêtres revêtu comme eux d'un habit Ecclésiastique.[Bibl. Cist. tome 1. page 193.] Thibaud Comte de Champagne au douziéme siécle, se plut aussi aux Chants d'Eglise, selon le témoignage de Nicolas Moine de Clervaux, qui lui envoya des Répons et des Proses.

[-18-] Si je passe aux Evêques, qui ont été versés dans le Chant Ecclésiastique, qui l'ont aimé, qui ont écrit sur ce qui le regarde, ou qui en ont composé; je puis encore en former une liste assez considérable. (Bolland. 23. Januar. in marg.] Saint Ildefonse de Toléde composa au VII. siécle deux Messes d'un Chant merveilleux, en l'honneur de Saint Cosme et Saint Damien. Saint Adelme Evêque de Sherborn en Angleterre vers l'an 700. se distingua pareillement par son aptitude à composer du Chant Ecclésiastique. [Saec. Bened. 4. part. 1. page 726. in marg.] Le dixiéme et l'onziéme siécle m'en fournissent un plus grand nombre. Les uns composérent tout-à-fait à neuf, les autres ne firent qu'imiter d'anciens Chants. De ces derniers fut Guy, qui tint le siége Episcopal d'Auxerre au milieu du dixiéme siécle. [Labb. Bibl. Manusc. t. 1. in marg.] Il appliqua sur des paroles de son choix, en l'honneur de saint Julien Martyr de Brioude, la mélodie du Chant des Répons que Heric et Remi, sçavans Moines de l'Abbaye de Saint Germain, avoient composé en l'honneur de son saint prédécesseur. L'Eglise d'Autun qui avoit adopté l'Office entier du même Saint Germain d'Auxerre, y avoit trouvé tant de gout, qu'elle en fit pareillement usage pour la fête de Saint Lazare [-19-] dès le douziéme siécle. Estienne, Evêque de Liége deux cens ans auparavant, avoit composé un Chant très-mélodieux pour la Fête de la Trinité, qui étoit alors nouvelle. [Balduin. Niniv. Chron. Trithen<.> de Script. Eccl. in marg.] Saint Radbod, Evêque d'Utrecht, avoit aussi composé le Chant d'un Office de Saint Martin. [Saec. V. Bened. ad an. 918. in marg.] Rainald, Evêque de Langres, celui de Saint Mammès Martyr, Patron de son Eglise, dont il prit le texte dans les Poësies de Walafride Strabon (a). [Taveau, hist. Archiep. Senon. fol. 94. in marg.] Un Archevêque de Sens fit le Chant d'un Office de l'Assomption différent du Romain (b). Les connoisseurs apperçurent dans tous ces Ouvrages une maniére de traiter le Chant différente plus ou moins des Chants venus de Rome. Il faut y joindre ceux de Fulbert de Chartres, dont j'ai déja parlé; lesquels avec ceux d'Estienne de Liége sont devenus des modéles à imiter, et que j'ai imités en effet quelquefois en rédigeant l'Antiphonier [-20-] de Paris. Ce n'est point au reste à quoi se borne ce qu'on peut dire du zèle des anciens Evêques pour le Chant Grégorien, ni de leur inclination pour la science des sons. Un des plus intelligens dans cette science fut Saint Dunstan, Archevêque de Cantorberi, qui sçavoit jouer de plusieurs sorts d'Instrumens. [Vita ejus. in marg.] Nous ignorons s'il composa aucun Office. Mais si l'on doit mettre au rang de ceux qui se sont distingués de ce côté-là, Estienne de Tournai, [Steph. Tournac. Ed. Dumolinet page 401. et seq. in marg.] pour avoir fait un Office de Saint Gerard de la Seauve-Majour, et Pierre Evêque de Saint-Pol de Leon au XIV. siécle [Cod. Manuscrit. Eccles. Autiss. in Bibl. Saint Germ. Autiss. in marg.] pour avoir pareillement composé un Office des saintes Marie-Jacobi et Salomé; [Hug. Flavin. in chr. Vird. page 105. in marg.] [Chron. Fontan. tome 3. in marg.] [Thes. anecd. Lib. 4. c. 11. in marg.] [Thes. Anecd. Pez. tome 4. part. 2. page 69. in marg.] on peut à plus forte raison y joindre saint Madalvée Evêque de Verdun au VII. siécle, dont il est écrit qu'il devint habile dans la spéculation et dans la pratique du Chant: Giroald, Evêque d'Evreux au même siécle, qui se retira à l'Abbaye de Saint Vandrille où il enseigna le Chant: Hervé, Archevêque de Reims, dont Frodoard fait le portrait en ces termes: Ecclesiasticis apprimè cantilenis eruditus, et psalmodiâ praecipuus. Saint Godefroi, Evêque d'Amiens, qui l'avoit sçû parfaitement dès [-21-] la jeunesse; [Via ejus. in marg.] Theotger, Evêque de Metz, qui écrivit sur la matiére même du Chant vers l'an 1100. [Order. Vit. page 484. in marg.] un Berenger élevé à l'Abbaye de Saint-Evroul au Diocèse de Lisieux, fait Evêque de Veneuse* [* ou Venosa en Italie. In script. Latinis. in marg.]; et Reginald, Evêque d'Eistad, qui fut habile dans le même genre, selon Vossius. (a)

Les chefs de Communautés, tels que les Abbés, marquérent un grand zèle dans les moyens siécles pour la multiplication des piéces de Chant. Ce furent principalement les Abbés des Païs-Bas qui enrichirent leurs Eglises de ces productions. Alcuin leur en avoit montré l'éxemple dès le commencement de neuviéme siécle, en composant un Office de saint Estienne, et un de Saint Riquier pour l'Abbaye de ce nom. [Durand Ration. lib. 7. c. 42. in marg.] Angelran qui en fut Abbé quelque tems après, mit en Chant l'Office de saint Valery, [Chron. Centul. tome 4. Spicil. page 471. in marg.] et celui [-22-] de saint Wulfran. [Ibidem page 557. in marg.] Il ne fut en cela qu'un foible imitateur d'Helisacar son prédécesseur, Chancelier de Louis le Débonaire, et Abbé de saint Maximin de Tréves, [Ex Mss. S. Maximini Trevir. in marg.] lequel avoit mis en ordre tout l'Antiphonier Romain pour les Eglises de son canton. [Hist. Paris, tome 3. page 24. in marg.] On connoît par une épitaphe conservée au Prieuré d'Argenteüil proche Paris, qui paroît gravée du tems de Charlemagne, qu'il y eut en ce Monastére un célébre Maître de Chant nommé Addalaldus, Diacre. C'étoit apparemment une espéce de Supérieur dans cette Communauté, qui étoit alors un Monastére de Filles. Dans l'Abbaye de Gemblours, l'Abbé Olbert mort en 1048. nota un Office de saint Veron, et des Antiennes pour sainte Vaudrue. [Chron. Gembl. tome 6. Spicil. page 130. in marg.] Humbert, Abbé de Moyen-Moutier, en fit pour Saint Gregoire Pape, saint Hidulf et saint Colomban. [Chron. Senon. tome 3. Spicil. lib. 2. in marg.] Le Monastére de Lobbes vit composer par Estienne, Evêque et Abbé de ce lieu, le Chant d'un Office de saint Lambert. [Chron. Laub. tome 6. Spicil. page 561. in marg.] Heriger et Ingobrand, aussi Abbés du même lieu aux onziéme et douziéme siécles, s'érigérent pareillement en Auteurs de Chant Ecclésiastique. [Ibidem pages 591. et 592. in marg.] Saint Odon, célébre Abbé de Cluny, à qui [-23-] Remi d'Auxerre avoit enseigné le Chant, les avoit tous prévenus. [Sae<.>. V. Ben. pages 146. 151. in marg.] On conserve dans les Bibliothéques de son Ordre les différens Chants qu'il avoit composés en l'honneur de saint Martin. [Thes. anecdot. Marten. tome 3. page 1204 in marg.] Jean qui fut le quatriéme Abbé de saint Arnoul de Metz, depuis l'introduction des Moines en cette Abbaye, y signala son administration par les Chants qu'il y composa pour les Fêtes de sainte Luce et de sainte Glossine: et Rodulf, Abbé de Saint-Tron, par celui qu'il composa en l'honneur de saint Quentin. [Spicil. tome 7. page 460. in marg.] Quoique Remi Moine d'Auxerre à la fin du IX. siécle, et Hucbald Moine de Saint-Amand, son disciple, ne paroissent point être devenus Abbés, je ne puis m'empêcher de les joindre à ceux que je viens de nommer, parcequ'ils ont mérité de l'être. Outre qu'ils ont écrit tous deux sur la Musique des Traités qui sont manuscrits à la Bibliothéque du Roi; [Boll. ad xvj. Jun. in S. Cyrico. in marg.] on sçait que ce dernier enrichit beaucoup d'Eglises de son Chant, entr'autres celles de Meaux et de Nevers. [Coll. ampl. Marten. tome 1. page 121. in marg.] Je puis encore lui joindre Aurelien, Moine de Moutier-Saint-Jean, [Lib. 3. c. an. 1060. in marg.] dont on a un Traité très-sçavant, écrit au IX siécle; [Chron. Balduini Niniv. in marg.] Sigebert Moine de Gemblours, Durand Moine de Saint Vandrille, Guitmond [-24-] Moine de Saint-Evroul au XI. siécle, dont Orderic vante fort la science dans la composition du Chant; un Damien Prémontré aux Païs-Bas dans le XII. siécle, lequel composa des Chants admirables en l'honneur de Saint Corneille et Saint Cyprien. De toutes les Eglises Cathédrales, celle qui fournit dans ces siécles reculés les plus belles piéces de Chant, fut l'Eglise de Chartres sous l'Evêque Fulbert. On parla beaucoup alors d'un nommé Hebert né Juif, élevé parmi les Enfans de Reims, puis écolier à Chartres, au sujet de la beauté de sa voix. [Mab. Saec. 3. Bened. tome 1. page 371. et Annal Bened. tome 4. page 178. in marg.] Il fut depuis fait Abbé de Lagny. Il y eut aussi alors à Chartres le Chantre de la Cathédrale nommé Arnoul, disciple de Fulbert, qui composa le Chant d'un Office de saint Evroul selon le rit Clérical. [Ord. Vit. lib. 3. circa 1063. in marg.] Il fut si fameux qu'on envoya à son école les jeunes gens de Normandie pour apprendre les piéces qu'il avoit composées.

Parmi les Abbés, quelques-uns qui ne jugérent pas à propos de rien composer de nouveau, s'occupérent à transcrire ou à corriger des livres de Chant, ou bien à écrire des Traités sur cette matiére. [Bolland 4. Febr. in marg.] On lit du vénérable Aldemare, Abbé de Saint Laurent de Capoue, qu'il transcrivit [-25-] un Antiphonier; et d'Emon, Abbé de l'Ordre de Prémontré aux Païs-Bas, qu'il vint copier lui-même à Prémontré au XIII. siécle tous les livres de Chant. Le vénérable Guillaume, Abbé de Saint-Benigne de Dijon, [Saec. VI. Bened. page 331. in marg.] sous le Roi Robert, corrigea lui-même les Antiphoniers et les Pseautiers de sa maison. Bernon, Abbé de Richenow, écrivit sur les régles du Chant vers le commencement du XI. siécle. [Ann. Bened. tome 4 page 293. in marg.] On peut croire la même chose de Durand, Abbé de Troarn, au Diocèse de Bayeux, qui est qualifié par Orderic Vital, Ecclesiastici cantûs Doctor peritissimus. Thierry, Abbé de Saint-Evroul, nota de sa main un Graduel et un Antiphonier, selon le même Orderic.

Il y eut aussi dans l'Ordre de Cîteaux quelques Abbés qui firent des Traités sur le Chant Grégorien dès le douziéme siécle. On peut voir celui qui passe sous le nom de Saint Bernard. Il y en a encore un autre d'un Guy Abbé, (à ce qui paroît de Chaalis) (a). J'oublois de dire qu'il y eut en France des Abbés si zélés pour le Chant Ecclésiastique, [Spicil. tome 9. page 446. in marg.] qu'ils ne recevoient [-26-] chez eux aucun Religieux qui ne sçût le Chant. Tel fut Guillaume Abbé d'Andern vers l'an 1150.

Enfin j'ai remarqué que la matiére du Chant Ecclésiastique se trouva autrefois souvent maniée par les mains des premiers hommes du tems: par éxemple, par un Brunon qui fut Evêque de Toul, et ensuite Pape. Ce sçavant Prélat avoit composé étant à Metz en 1049. le chant des Répons de saint Gorgon Patron de l'Abbaye de Gorze, à la priére de Sigefride qui en étoit Abbé. Il en composa encore d'autres pour les Fêtes de saint Hidulfe Corévêque de Tréves, sainte Odile Vierge, et pour celle de saint Grégoire Pape, qu'on regardoit alors comme Patron du Chant d'Eglise. Les Répons de Brunon, autrement dit saint Léon IX. se trouvent encore dans quelques anciens Antiphoniers. On continue aussi en quelques lieux de regarder saint Grégoire comme Patron des Chantres; et on lui applique avec grande raison ces paroles de l'Ecclésiastique: Stare facit cantores contra altare, et in sono eorum dulces fecit modos. [Saec. V. Bened. in marg.] Nous ne connoissons guéres de Papes parmi ses successeurs, à qui on puisse appliquer en partie le même éloge, [-27-] que le Pape Innocent III. de la composition duquel est l'excellente Prose Veni, sancte Spiritus. Il est marqué d'Urbain IV. qu'il fut expert dans le Chant, et qu'il avoit une belle voix; [Thierry de Vaucouleur, en sa vie in marg.] mais on ne produit aucune piéce de Chant de sa façon, non plus que de celle de Clément IV. que Raynaldi reconnoît avoir eu les mêmes dispositions pour le Chant.

Je ne puis mieux finir ce que j'avois à dire touchant l'estime que les anciens faisoient du Chant, qu'en nommant quelques-uns des Maîtres qui l'enseignoient. Ces Maîtres étoient des gens sçavans et distingués: c'étoient les Chantres ou Préchantres même des Eglises Cathédrales, ou au moins les Sous-Chantres, et à leur défaut quelqu'autre Dignité. Guy Préchantre de l'Eglise du Mans ne dédaigna pas de montrer le Chant aux Enfans; et il succeda dans l'Evêché de cette Eglise au fameux Hildebert. [Analect. tome 3. page 335. in marg.] Saint Gerald né en Quercy, Moine de Moissac, et depuis Archevêque de Bragues, s'étoit fait un devoir d'enseigner le Chant aux Religieux qui ne le sçavoient pas. [Miscellan. Balus. tome 3. page 179. in marg.] Il vivoit sur la fin du onziéme siécle.

Comme dans beaucoup d'Eglises les [-28-] Chantres ou Préchantres furent élevés à l'Episcopat, il se forma de là une coutume, par laquelle les Evêques se faisoient un honneur de chanter seuls certaines piéces de Chant à l'Office. Je ne parle point d'intonation d'Antienne, ce qui est une minutie; mais de quelque chose de plus considérable. A Sens où le Chant a toujours beaucoup fleuri, l'Archevêque devoit chanter le premier Répons de l'année, qui étoit Aspiciens. après la premiére Leçon de Matines du premier Dimanche de l'Avent. En Normandie le Célébrant, quel qu'il fût le Jeudi Saint, devoit chanter à l'Autel la premiére Antienne de Vêpres, Calicem. Or primitivement une Antienne ne s'entonnoit pas seulement; elle se disoit toute entiére pour donner le ton au Pseaume. [Ex cod. Reg. 3573. in marg.] A Beauvais, le premier distique du Gloria, laus. des Rameaux étoit chanté par l'Evêque. A Evreux, le sixiéme Répons de Matines, de presque toutes les grandes Fêtes, aussi par l'Evêque. [Pontif. Xanton. Manuscript. in marg.] A Saintes, c'étoit à l'Evêque à chanter à la bénédiction des huiles cette strophe entiére: Consecrare tu dignare, Rex coelestis patriae, hoc olivum signum vivum contra jura daemonum. Voyez encore ce que [-29-] dit Durand Evêque de Mende, à l'article de la Fête de la Toussaint.

Il ne faut pas s'étonner après cela de voir que selon la Régle du Maître, ce fût à l'Abbé à chanter l'Invitatoire de Matines. A Auxerre, et ailleurs encore de nos jours, ce sont les premiéres Dignités qui le chantent aux grandes Fêtes. Dans la fameuse Abbaye de Saint-Tron, aux Païs-Bas, c'étoit aussi anciennement la coutume que l'Abbé chantât un Répons à Matines des Fêtes Annuelles. [Chron. S. Trudon. Spicileg. tome 7. page 352. in marg.]

De-là vint la coutume ancienne par laquelle les Evêques faisoient l'Office de Chantre aux obséques des Rois. [Martyrol. univ. de Monsieur Chastelain, page 811. in marg.] On lit qu'à la Translation de saint Magloire l'an 1315. l'Evêque de Laon célébrant la Messe, l'Abbé de Saint-Germain des Prés, et l'Abbé de Sainte-Geneviéve tinrent Choeur, et que pour chanter l'Alleluia, l'Abbé de Saint-Denys se joignit à eux avec l'Evêque de Sagonne; et comme dit un Poëte de ce tems-là, ils chantérent

l'Alleluia mout hautement,

Et bien, et mésuréement.

[-30-] CHAPITRE III.

Des anciens Auteurs du Chant Romain; son alliance avec le Chant Gallican; les augmentations qui y ont été faites; les alterations de ce Chant, et leurs causes. Nature de l'Antiphonier de Paris, tel qu'il est aujourd'hui.

JUsqu'au X. siécle les Eglises accoutumées au Chant Romain n'avoient encore apperçu aucun changement dans leur ancienne modulation. Ce Romain étoit déja assez varié de lui-même; puisque saint Grégoire en composant l'Antiphonier n'avoit fait que compiler, c'est-à-dire, prendre des Chants de tous côtés, qu'il avoit réunis ensemble, et desquels il avoit fait un volume. C'est ainsi que l'on doit entendre le terme de centon, ou de centoniser, dont Jean Diacre se sert dans sa vie. [Livre 2. chapitre 6. in marg.] Comme on avoit chanté dans l'Eglise Latine aussi-bien que dans la Grecque long-tems avant lui, il choisit ce qui lui plut davantage dans toutes ces modulations: il en fit un Recueil qu'on appella Antiphonarium centonem. Le fond de ces Chants étoit l'ancien Chant des Grecs; il rouloit sur leurs [-31-] principes. L'Italie l'avoit pû accommoder à son goût; l'usage y avoit fait des changemens avec le tems, comme il arrive en une infinité de choses. Le saint Pape y corrigea, y ajouta, y réforma. En un mot, quoiqu'il n'eût fait que lui donner un nouvel ordre, l'ouvrage passa sous son nom, et communiqua par la suite au corps du Chant d'Eglise, le nom de Chant Grégorien. [Liber Pontificalis. Platina. in marg.] Le Pape Leon II. que les monumens d'Italie répresentent comme fort curieux du Chant, passe pour y avoir aussi touché. Dans les Eglises de France l'on a long-tems chanté avant l'Introït du premier Dimanche d'Avent une espéce de trope où l'on reconnoissoit Saint Grégoire comme auteur du livre du Chant de la Messe. Ce livre, à raison de l'Antienne de l'Introït, de celle de l'Offertoire, et de la Communion, a eu primitivemenr le nom d'Antiphonier: car les Répons-Graduels n'étoient point dans ces livres, mais sur des roulots particuliers que l'on portoit à la Tribune. C'est pourquoi s'il est besoin de reconnoître saint Leon II. pour auteur de certaines piéces de Chant, on peut lui donner quelque part à l'Antiphonier de Matines et de Vêpres, et [-32-] laisser l'autre tout entier à Saint Grégoire, comme étant compilé par lui.

Pendant que Rome chantoit dans le goût des Grecs avec les agrémens que l'Italie a toujours sçû donner dans les arts; l'Eglise Gallicane avoit aussi sa méthode de chanter: elle avoit d'habiles Chantres dont j'ai déja parlé. [Mit. S. Mart. livre 1. chapitre 33. in marg.] Grégoire de Tours fait mention d'un de ses Ecclésiastiques nommé Armentaire, qui sçavoit distinguer à merveille les différentes mélodies. On ignore comment on y moduloit les Répons. Mais on juge par certains restes de Psalmodie différens du systême Grégorien, que son Chant Psalmodique étoit autrement disposé que le Chant de Rome. Il y avoit, par éxemple, un genre de Psalmodie dont la dominante n'étoit au dessus de la corde finale, que d'un ton ou même d'un demi-ton; et quelquefois cette dominante étoit la corde finale: ce qui n'étoit pas dans le systême Romain, où la moindre distance de la corde Psalmodique, à la corde finale de l'Antienne a toujours été d'une tierce mineure.

Quelles qu'ayent été les mélodies Gauloises, on leur substitua les Romaines à la fin du huitiéme siécle, et au commencement [-33-] du neuviéme, par complaisance pour le goût de Charlemagne: mais on conserva néanmoins du Chant selon l'ancien usage de l'Eglise Gallicane. La mélodie Parisienne qui tient davantage de ce Chant Gallican, est celle qui est désignée par ce chifre et cette lettre 4. a.

[Lebeuf, Traité, 33,1; text: Dixit Domino meo: * Sede à dextris meis.] [LEBTRA1 01GF]

Cependant pour la faire reconnoître plus véritablement de l'ancien Gallican, il faudroit que l'Antienne qui la suit, fût ainsi modulée, comme je l'ai vue dans des anciens Antiphoniers de quelques Eglises du Royaume:

[Lebeuf, Traité, 33,2; text: Rectos decet collaudatio.] [LEBTRA1 01GF]

Voici une autre Psalmodie étrangére au systême Grégorien:

[Lebeuf, Traité, 33,3; text: Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.] [LEBTRA1 01GF]

[-34-] [Lebeuf, Traité, 34,1; text: Cunctis diebus vitae nostrae salvos nos fac Domine.] [LEBTRA1 01GF]

Je l'ai trouvée dans les livres de Châlons sur Marne et de Langres du treiziéme siécle. Sa ressemblance avec le Sanctus Férial de Paris doit faire mettre ces deux Chants dans la même classe.

En voici encore une qui est tirée des anciens livres de Roüen, et qui n'est pas moins étrangére au systéme de la Psalmodie Grégorienne, et conforme en même tems au Sanctus Férial dont je viens de parler; c'est au jour de Pâques à Vêpres. Les deux premiers versets du Pseaume In exitu. sont chantés ainsi:

[Lebeuf, Traité, 34,2; text: In exitu Israel de AEgypto, domûs Jacob de populo barbaro.] [LEBTRA1 01GF]

L'Antienne qui est intercalée, revient au 4. mode du Grégorien.

[Lebeuf, Traité, 34,3; text: Alleluia.] [LEBTRA1 02GF]

[-35-] Mais la Psalmodie continue sur la corde finale et sur la corde suivante de dessus, en cette sorte:

[Lebeuf, Traité, 35,1; text: Facta est Judea sanctificatio ejus, Israel potestas ejus. Ant. Alleluia, alleluia.] [LEBTRA1 02GF]

Au troisiéme verset, on se rapproche du systême Grégorien, et l'Antienne est de trois Alleluia: puis aux quatriéme et cinquiéme versets on fait comme au premier et au second versets, au sixiéme comme au troisiéme. C'est une espéce de Chant mêlée du Gallican et du Romain.

Cette autre modulation censée du premier, selon le Gregorien:

[Lebeuf, Traité, 35,2; text: Dixit Dominus Domino meo:* Sede à dextris meis.] [LEBTRA1 02GF]

Cette modulation, dis-je, devient véritablement une ancienne Psalmodie Gallicane, lorsqu'on lui attache une Antienne modulée de la maniére suivante:

[-36-] [Lebeuf, Traité, 36,1; text: Alleluia. Speret Israel in Domino.] [LEBTRA1 02GF]

Et c'est ce qui se fait en quelques Eglises.

Pour mieux faire sentir la singularité de cette Psalmodie, et sa liaison avec son Antienne; je la noterai ici d'une autre maniére, qui rendra cependant les mêmes sons:

[Lebeuf, Traité, 36,2; text: Dixit Dominus Domino meo: * Sede à dextris meis. Ant. Alleluia. saeculorum Amen. Speret Israel in Domino.] [LEBTRA1 02GF]

Il ne faut que la simple inspection pour appercevoir que la dominante de cette Psalmodie n'est élevée que d'un seul ton au dessus de la corde finale de l'Antienne: ce qui n'arrive jamais dans le Chant Romain. Les Eglises de Sens, d'Auxerre, et d'autres ont conservé cette maniére de psalmodier pendant la semaine Pascale à toutes les petites Heures. Celle qu'on chante à Paris dans [-37-] le même tems, est véritablement particuliére à la même semaine, mais elle est cependant renfermée dans les régles du systême Romain; et toute triste qu'elle paroît, elle est noble dans sa simplicité. C'est une finale incompléte et des plus incomplétes, revenant à ce qu'on appelle Cadence rompue, et qui exige nécessairement la perfection que l'Antienne doit lui donner.

Autrefois aussi à Paris on chantoit les Dimanches le Pseaume In exitu. d'un Chant, lequel joint avec son Antienne, paroissoit hors de la sphére des modulations Romaines; parceque des deux dominantes de la Psalmodie, l'une n'étoit élevée que d'un ton au dessus de la corde finale de l'Antienne; l'autre sur cette corde finale même. Cette Psalmodie avoit paru belle aux Chantres Romains qui vinrent en France aux huitiéme et neuviéme siécles, et ils l'avoient introduite à Rome: mais en France même le rafinement dans le Chant a fait changer l'Antienne qui étoit attachée à cette Psalmodie. Quelques Religieux du douziéme siécle n'en connoissant pas l'origine, commencérent à traiter d'irréguliére cette mélodie, et à proposer [-38-] d'abaisser son Antienne à la quarte, pour la rendre conforme, selon eux, à la mélodie du Pseaume. On attribue à saint Bernard le Traité où il est le plus déclamé contre l'ancienne tournure de cette Antienne. S'il n'est pas d'un Clunicien du même nom, qui auroit demeuré à Nanteuil-le-Haudoin, ou à Coincy; il doit être d'un Religieux de Cîteaux, qui écrivoit aux environs de Soissons: et il y a de forts soupçons qu'il est d'un Abbé de Chailly ou Chaaliz, nommé Guy, ou d'un Abbé de Longpont. Quoi qu'il en soit de l'Auteur des déclamations contre cette Antienne, ce fut environ dans ce tems-là qu'on la mit à Paris dans le Chant qu'il avoit proposé; et je trouve par les livres du treiziéme siécle, que dès-lors elle étoit modulée comme elle l'est maintenant. Je ne doute pas que l'autorité de quelque Chantre de cette célébre Eglise, qui pouvoit être en grande relation avec les Abbés de l'Ordre de Cîteaux, voisins de Paris, et encore plus avec les Cluniciens de Saint Martin des Champs, n'ait un peu influé à faire ce changement dans cette ancienne mélodie Gallicane, et qu'il n'y ait eu alors beaucoup de résistance dans les autres [-39-] Eglises pour changer la terminaison de cette Antienne. Mais l'expérience ne fait que trop voir que les Auteurs obtiennent dans un tems ce qu'ils n'ont pû obtenir dans un autre, et que quelquefois on leur accorde dans la suite plus qu'ils ne demandoient. Ainsi c'est parce-qu'on a lû ce qui en est dit dans le Traité prétendu de saint Bernard, qu'on a crû dans plusieurs nouveaux Bréviaires qu'il falloit accommoder cette Antienne, Nos qui vivimus. à l'ancien systême Romain ou Grégorien; et parceque le nom d'irréguliére qu'on lui donnoit par ignorance de l'ancienne histoire du Chant, étoit devenu odieux. Je n'aurois pas été d'avis de quitter cette ancienne maniére de chanter, si elle avoit continué d'avoir lieu à Paris jusqu'à notre tems. Mais on fait très-bien à Rome de la conserver, et de retenir quelque chose du Chant Gallican, comme des usages Gallicans, pour marquer l'union entre les deux Eglises. Ce qui s'est pratiqué aux huitiéme et neuviéme siécles, à l'égard du Symbole de la Messe, marque encore cette ancienne union; et je puis dire que le Chant usité à Rome, dont on est embarrassé de fixer l'espéce et la dénomination, est aussi [-40-] une ancienne modulation Gallicane. J'en dis autant du Chant des Laudes ou Triomphes, qui se chantent en plusieurs Cathédrales du Royaume avant l'Epitre des Grandes Fêtes * [* A Soissons, et cetera. in marg.], et que Paris a chanté comme les autres.

Au reste, il paroît que nos Eglises Gallicanes avoient des piéces de Chant répondantes à quelques-uns des modes du Romain; par éxemple, l'Antienne Venite, populi, ad sacrum et immortale mysterium. qui se chante à Lyon vers le tems de la Communion, est sûrement un reste de la liturgie des Gaules. Elle est notée d'un Chant qui correspond au premier mode du systême Grégorien; et sa modulation est très-belle et très-noble. L'Antienne, Emitte Spiritum tuum. qui étoit au même usage, ainsi qu'on peut voir dans le Pere Martenne, est notée dans les très-anciens livres de Limoges, d'un Chant qui correspond aux septiéme et huitiéme modes mêlés ensemble. [Cod. Manusc. S. Martialis 49. in Bibl. Regia. 3606. 5. in marg.] Voilà par conséquent une espéce du mode majeur usitée chez nos anciens Gaulois et François, aussi-bien que le mineur direct. [Cod. Eccles. Albiensis. XI. saeculi. Ibidem. Cod. 3661. 3. in marg.] Quant au Chant mineur-inverse, outre le Chant du Symbole qui peut s'y rapporter, si on se contente de considerer [-41-] l'Amen qui le termine, on peut produire ces anciennes Paraphrases des Actes des Saints qu'on chantoit en langue vulgaire, pour expliquer au peuple les histoires des Martyrs. On en a des copies de presque tous les siécles depuis Charlemagne. On voit par le langage des plus anciennes, que c'est le langage rustique Romain du neuviéme siécle ou environ. [Voyez en des morceaux du xiij. siécle au Chapitre vij. de ce Traité. in marg.] Or en toutes ces Paraphrases qui sont sur le martyre de saint Estienne, le Chant est mineur-inverse, qui exprime assez bien le ton d'une Complainte. Ce même Chant étoit aussi employé dans toutes nos Eglises de France la nuit de Noel après le neuviéme Répons sur l'Evangile Liber generationis. et il est encore imprimé dans le nouveau Missel de Paris. Ainsi l'un peut faire juger de la nature de l'autre. Les chûtes en un mot y étoient très-fréquentes sur la corde mi. La conclusion du Chant étoit sur la même corde; ce qui constitue un Chant mineur-inverse que les Grecs appelloient Barypycne, mot composé de deux racines qui sont très-expressives pour ceux qui en ont l'intelligence, et que je développerai dans le Traité-pratique du Chant.

L'introduction des livres Romains en [-42-] France au neuviéme siécle, et même dès le huitiéme en quelques lieux, donna beaucoup de goût pour le Chant. Comme le fond du Rit des Offices fut changé, les Eglises particuliéres firent composer à leur usage des Offices pour leurs Saints locaux. On a vû par ce que j'ai dit dans le second Chapitre, quels furent les Saints en l'honneur desquels il y en eut de rédigés dès le neuviéme siécle. Ils étoient d'abord en petit nombre, parcequ'alors il n'y avoit pas beaucoup d'experts dans le Chant; mais il multipliérent beaucoup au dixiéme siécle, à cause de la naissance de l'Ordre de Cluny, qui excita une telle émulation dans la Littérature, que plusieurs Chapitres de Cathédrale s'associérent avec les principales Maisons de cet Ordre. La dévotion envers saint Nicolas et envers sainte Catherine, qui se forma dans les siécles suivans en Occident, y fit composer aussi des Offices particuliers; et à l'imitation de ceux-là, on en introduisit une infinité d'autres. Ainsi par éxemple l'Eglise de Paris, dès le treiziéme siécle n'étoit plus bornée à avoir pour Offices propres celui de saint Denys, et celui de saint Germain, qui avoient été composés dans les deux célébres [-43-] Maisons du nom de ces Saints. Elle avoit un Office propre de saint Marcel au 26. Juillet; elle en avoit de l'Invention de saint Estienne, l'un de ses anciens Patrons, de saint Quentin et de saint Hippolyte Martyrs, de saint Gendulf Evêque, de saint Benoît et de saint Gilles Abbés. Je ne dis rien des Offices de la Trinité, de sainte Anne, de saint Maurice, n'y de celui des Evangélistes, dont quelques-uns passoient déja pour anciens (a). En comparant la plus grande partie de tous ces Chants avec celui des anciens Offices venus de Rome aux huitiéme et neuviéme siécles, on s'apperçoit que dans quelques-uns c'est le goût de cet ancien Romain; mais en plusieurs autres, on reconnoît un genre de travail différent. L'Office de la Trinité, d'Estienne de Liége, rend plus sensible qu'aucun autre ce changement de goût; les repos y sont plus fréquens sur la corde finale, et sur la corde dominante de la Psalmodie en certains modes, [-44-] comme dans le premier: ils contiennent beaucoup plus de tirades ou neumes de notes; et ces tirades ont un arrangement que les Auteurs affectoient de faire différemment de l'ancien Romain. Ce qui conduisit ces modulateurs à ce point-là, fut le choix des paroles qui souvent étoient des rimes, et quelquefois des vers, comme dans les Répons Ad nutum. Stirps Jesse. Solem justitiae. * On composa aussi entre le dixiéme et le treizieme siécle plusieurs Antiennes de rimes ou de vers en l'honneur de la sainte Vierge: et comme ces Antiennes, telles que Salve, Regina misericordiae. et Alma Redemptoris mater. furent chantées fort souvent en conséquence de l'établissement de l'Office de Beata. on s'en remplit extrémement; ce qui fit que les compositeurs donnoient presque toujours dans le goût d'Alma. quand ils composoient du cinquiéme mode, et dans celui de Salve. quand ils composoient du premier. Les Offices de saint Nicolas et de sainte Catherine fournirent aux imitateurs dequoi se contenter. L'Homo quidam de la [-45-] Fête-Dieu, fut fait sur le Répons de sainte Catherine, Virgo flagellatur, et le Répons Unus panis. sur Ex ejus tumba. de saint Nicolas. Les autres Répons de la même Fête sont pareillement un emprunt fait de différens Répons plus anciens. J'ai fait remarquer dès le tems que j'écrivis de la Brie, combien il est difficile d'être juste dans ces sortes d'adoptations. [Mercure de France, Septembre 1725. in marg.] L'Auteur de l'Office de la Fête-Dieu tomba dans d'étranges contre-sens, pour avoir voulu imiter trop servilement. Les habiles gens qui se trouvérent depuis dans d'autres Eglises, corrigérent ses méprises. Elles n'ont pas laissé que d'être chantées en plusieurs endroits jusqu'à nos jours, sans qu'on y prît beaucoup garde. J'apporte en passant cet éxemple de défaut dans l'art de composer; il y en eut aussi dans l'art d'écrire le Chant, ou de le noter. C'est ce qui fit naître certaines corruptions, comme dans un certain Répons de l'Avent, dont je parlerai ci-après. Le changement de clef qu'on n'étoit pas scrupuleux de faire plusieurs fois dans une même piéce de Chant, et dans une même ligne, fit quelquefois prendre ces clefs pour des notes, et les Copistes écrivoient comme ils croyoient voir. Rodulfe [-46-] Abbé de Saint-Tron se tenoit fort en garde contre ces fautes des Ecrivains. [Spicil. tome 7. page 440. in marg.] Quelquefois la position de certaines notes étoit incertaine, ce qui occasionnoit une erreur dans la copie. C'en étoit une par éxemple dans les anciens livres de Paris, dans le Répons de l'Avent Ecce apparebit Dominus super nubem candidam. d'avoir mis:

[Lebeuf, Traité, 46,1; text: Et cum eo Sanctorum millia.] [LEBTRA1 03GF]

Les anciens livres de plusieurs Eglises voisines avoient

[Lebeuf, Traité, 46,2; text: Et cum eo Sanctorum millia.] [LEBTRA1 03GF]

Il est visible que dans un Répons traité du premier, tel qu'étoit celui-là, cette chûte sur le si ne faisoit pas un bon effet, et qu'elle s'étoit introduite par l'inadvertance de quelque Copiste qui n'avoit pas assez baissé les trois derniéres notes. J'ai crû que les Lecteurs de ce petit Traité ne trouveroient pas mauvais qu'on leur prouvât que les anciens manuscrits en fait de Chant peuvent avoir leur utilité, et qu'on peut y recourir dans les occasions où il se trouve des fragmens [-47-] d'anciens Chants incertains et douteux. Je n'ai négligé d'en voir aucuns du grand nombre de ceux qui sont conservés à la Bibliothéque du Roy, sans compter ceux qui sont en d'autres Bibliothéques, ni ceux que j'ai cherché en différentes Eglises du Royaume. Je joindrai a l'éxample ci-dessus allégué, celui d'une Hymne du Jeudi Saint à la consécration des huiles. Elle commence ainsi dans quelques livres de la Province de Sens:

[Lebeuf, Traité, 47,1; text: O Redemptor, sume carmen Temet concinentium.] [LEBTRA1 03GF]

et ces deux vers se répétent en rondeau après chaque strophe.

J'ai trouvé dans les livres de Paris les deux notes de la derniére syllabe du mot Redemptor à leur place naturelle: ce qui rend ce Chant plus tendre et affectueux, et qui fait voir que l'autre ne péche que par une légere faute des Copistes.

[Lebeuf, Traité, 47,2; text: O Redemptor, sume carmen Temet concinentium.] [LEBTRA1 03GF]

[-48-] C'est aussi parceque quelques Copistes n'ont pas élevé tout-à-fait assez haut leur plume, qu'en certains Diocèses au Chant de l'Hymne Exultet. ou de Deus tuorum militum. dans le troisiéme vers on lit:

[Lebeuf, Traité, 48,1; text: Apostolorum gloriam. Laudes canentes Martyris.] [LEBTRA1 03GF]

au lieu qu'il faut y lire,

[Lebeuf, Traité, 48,2; text: Apostolorum gloriam. Laudes canentes Martyris.] [LEBTRA1 04GF]

Je mets dans la même classe des erreurs de Copistes les Répons du premier, qui en un Diocése voisin de Paris finissent ainsi par la dominante du verset:

[Lebeuf, Traité, 48,3; text: fratribus meis. Cùmque complesset, et cetera.] [LEBTRA1 04GF]

Il est visible que cela est mis pour

[Lebeuf, Traité, 48,4; text: fratribus meis. Cùmque complesset, et cetera.] [LEBTRA1 04GF]

Une des causes que dans les bas siécles le Chant perdit d'un côté, pendant qu'il gagnoit de l'autre, fut de ce que les Auteurs s'astreignirent servilement à moduler [-49-] les Antiennes suivant le rang qu'elles tenoient dans l'Office: ensorte que la premiére Antienne d'un Office étoit toujours du premier mode, la seconde du second, et ainsi du reste. Ils observérent la même chose pour les Répons; c'est ce qui les empêchoit souvent d'exprimer les paroles d'une maniére convenable, surtout dans les Antiennes, l'expérience prouvant qu'il y a des modes plus ingrats les uns que les autres pour certaines expressions. Jamais les anciens Symphoniastes (a) Romains ne s'étoient astreint à cette régle (b). Mais ils étoient tombé dans un autre défaut, qui est que souvent plusieurs Antiennes de suite étoient du même mode. Le public peut s'appercevoir aisément que j'ai évité dans le nouvel Antiphonier tous ces inconvéniens. Je n'ai pas toujours eu intention de donner du neuf. Je me suis proposé de centoniser comme avoit fait saint Grégoire. J'ai déja dit que centoniser étoit puiser de tous côtés, et faire un recueil choisi de tout ce qu'on a ramassé. Tous ceux qui avoient travaillé avant moi à de [-50-] semblables ouvrages, s'ils n'avoient compilé, avoient du moins essayé de parodier; j'ai eu intention de faire tantôt l'un, tantôt l'autre. Le gros et le fond de l'Antiphonier de Paris est dans le goût de l'Antiphonier précédent, dont je m'étois rempli dès les années 1703. 1704. et suivantes: mais comme Paris est habité par des Ecclésiastiques de tout le Royaume, plusieurs s'appercevoient qu'il y avoit quelquefois trop de légéreté ou de sécheresse dans l'Antiphonier de Monsieur de Harlay. J'ai donc rendu plus communes ou plus fréquentes les mélodies de nos Symphoniastes François du neuviéme, dixiéme et onziéme siécles, sur-tout dans les Répons. C'est ce qu'on avoit observé déja en quelques Diocèses, en y renouvellant les livres, par continuation de l'ancien usage: et ceux qui voudront dire la vérité fondée sur l'expérience, conviendront qu'il est plus facile de faire rouler la voix, et s'accorder à l'unisson dans des piéces un peu plus chargées de notes et de tirades à dégrés conjoints, que dans des piéces notées presque syllabiquement d'un bout à l'autre.

[-51-] CHAPITRE IV.

Variétés des Psalmodies qui ont cours en France. Idée de ces variétés sur le premier mode; pour faire comprendre que par tout païs l'on convenoit de lier toujours tel commencement d'Antienne à telle terminaison psalmodique.

LEs Chrétiens ayant vû établir parmi eux l'usage de réciter les Pseaumes à deux choeurs, souhaitérent que cette récitation fut animée et soutenue de quelques sons mélodieux. On laissa pour les deserts des Anacorétes une récitation qui tient plus de la lecture que du Chant; et les Cénobites l'abandonnérent même par la suite, pour n'en conserver qu'un simple vestige dans la prononciation directanée (a) d'un ou deux Pseaumes. Ce seroit en vain que quelques esprits singuliers qui goûtent fort cette récitation monotone, s'appuyeroient sur la régle de saint Benoît pour prouver [-52-] qu'elle a fait partie du Chant Grégorien ou Romain. Rien ne se chante en Chant Grégorien dans les heures Canoniales qui ne soit lié avec une Antienne, sinon les Répons, les Hymnes et les petits versets. Il n'y a qu'à ouvrir la régle de saint Benoît, et on y voit que ce qui est marqué pour être prononcé de cette maniére directanée, n'est accompagné d'aucune Antienne: et en effet, s'il y avoit une Antienne, cette Antienne seroit de quelqu'un des modes du Chant Ecclésiastique; et comme ce mode auroit sa modulation particuliére, la psalmodie qui se régle sur l'Antienne, auroit par conséquent une modulation composée de plusieurs sons, qui serviroit à l'orner, et à en terminer le Chant. L'utilité qu'on trouva à rendre la fin de chaque verset des Pseaumes plus sensible par une cadence de voix ou par une petite neume, (c'est ainsi qu'ils appelloient la réunion de deux ou trois notes différentes sur une même syllabe) fut ce qui fit naître dans le Chant des Pseaumes ce qu'on appelle la terminaison. Il n'y eut point de mode dans lequel il ne fût facile d'en faire plus ou moins, suivant que la corde dominante est plus ou moins éloignée de la corde [-53-] finale de l'Antienne; c'étoit un expédient très-sage pour empêcher l'ennui dans la Psalmodie: mais on ne se contenta pas de moduler la fin des versets; on s'apperçut que le sens demandoit des poses et des divisions. On devoit faire sentir ces divisions ou distinctions par quelque espéce de modulation; ce fut ce qui donna l'idée de ce qu'on appelle la médiation ou médiante des versets. L'intonation est venue depuis; mais elle n'a pas été reçue si généralement, parcequ'elle n'a été inventée principalement que pour le premier verset de chaque Pseaume. La médiation des versets et leurs terminaisons sont les deux endroits où l'on s'est attaché à diversifier autant qu'il a été possible, parceque ce sont deux extrémités éloignées à peu près également l'une de l'autre.

Pour donner ici une idée générale des variétés qui se sont introduites dans la Psalmodie selon les Diocèses, je me bornerai au premier mode, de crainte d'être trop long.

ARTICLE I.

Terminaisons de la premiére espéce de premier mode, ou de premier ton.

LOrsque ces différentes terminaisons furent inventées, on fixa l'emploi de chacune, selon que l'Antienne que l'on intercaloit entre les versets du Pseaume, ou que l'on chantoit au moins avant et après le Pseaume, sembloit l'éxiger: ensorte qu'à telle terminaison appartenoit tel commencement d'Antienne, et que tel commencement d'Antienne éxigeoit telle terminaison, et s'y rapportoit. C'est ce qui forma pour la composition du Chant Psalmodique des espéces de régles qu'on pourroit appeller la Grammaire du Chant. Les terminaisons qui sont Doriennes en elles-mêmes à cause de leur ressemblance avec les Chants des anciens Doriens de la Gréce, ou qui sont régies par une Antienne Dorienne, seront les premiéres dont je parlerai; parceque ce sont celles qu'on appelle vulgairement du premier ton. Je croi que ces terminaisons qui sont en elles-mêmes Doriennes, sont des plus anciennes dans l'Eglise; parceque dans les vieux livres on les trouve souvent [-55-] aux grandes Fêtes et aux Dimanches sur les Cantiques Evangéliques. Rien n'est plus ancien dans la Religion en fait de solemnité, que l'observation des Fêtes des Mystéres, et celle des Dimanches.

Celle dont j'ai principalement dessein de parler, est la terminaison qui se module ainsi sur saeculorum. Amen.

[Lebeuf, Traité, 55,1; text: ae u o u. a e.] [LEBTRA1 04GF]

Elle a été universellement reçue dans toutes les Eglises de ma connoissance; et ordinairement les Antiennes qui lui appartiennent, sont celles qui commencent

[Lebeuf, Traité, 55,2; text: Ego sum. ou, O. Amavit eum.] [LEBTRA1 04GF]

Une autre terminaison qui peut avoir à peu près la même antiquité, et qui est aussi Dorienne en elle-même, est celle-ci:

[Lebeuf, Traité, 55,3; text: ae u o u. a e.] [LEBTRA1 04GF]

Elle n'est pas dans les livres Romains modernes: mais je ne doute point qu'elle n'ait été dans les anciens, puisqu'elle se trouve dans Aretin et dans les livres [-56-] des Chartreux. Je croirois que ce qui l'en auroit fait ôter, c'est le mi que quelques Copistes y avoient ajouté, et qui n'est pas dans Guy Aretin. Outre que ce mi la rend trop semblable à la terminaison précédente, il la rend aussi moins bien sonnante; étant plus naturel de faire une tierce en cette occasion, que d'aller jusqu'à la corde finale par dégrés conjoints. Je trouve cette terminaison dans les livres anciens ou nouveaux de Sens, de Paris, de Rouen, de Langres, Tours, Auxerre, Lisieux, la Rochelle; et tous après Aretin lui attribuent les Antiennes du premier mode, qui commencent:

[Lebeuf, Traité, 56,1; text: ou bien] [LEBTRA1 05GF]

Terminaisons sur la corde La.

APrès ces deux terminaisons qui sont complétes, celles qui paroissent avoir été produites par une suite naturelle, sont les terminaisons sur la corde dominante qui est dans le premier mode la quinte au dessus de la finale. Il en est resté trois dans les livres Romains, qui sont:

[Lebeuf, Traité, 56,2; text: ae u o u. a e.] [LEBTRA1 05GF]

[-57-] [Lebeuf, Traité, 57,1; text: ae u o u a e.] [LEBTRA1 05GF]

Il est peu de Diocèses où au moins quelqu'une de ces trois terminaisons ne soit restée: ou si elles ne sont pas les mêmes, il n'y a pas beaucoup de différence:

[Lebeuf, Traité, 57,2; text: A Rouen. Sens et Auxerre, modernes.] [LEBTRA1 05GF]

Cette derniére terminaison est en elle-même plus propre à être attachée à des Antiennes Eoliennes.

[Lebeuf, Traité, 57,3; text: Troyes, Chartreux. Tours. Auxerre ancien, Cluny ancien sur Pulcra es.] [LEBTRA1 05GF]

Quelqu'une de ces terminaisons est généralement partout attribuée aux Antiennes du premier mode qui se trouvent commencer ainsi:

[Lebeuf, Traité, 57,4; text: Ego sum. Amen. Exicitò. Adjutorium nostrum.] [LEBTRA1 05GF]

Terminaisons sur la corde Fa.

LA troisiéme corde sur laquelle finit aussi une des formules de Psalmodie du premier mode, est la tierce au dessus de la corde finale. On l'appelle corde médiane dans la situation où elle se [-58-] trouve entre la corde finale et la corde dominante, parcequ'en effet elle tient le milieu.

Voici comme étoit originairement cette terminaison dans tous les livres des Eglises d'Occident.

[Lebeuf, Traité, 58,1; text: ae u o u a e.] [LEBTRA1 05GF]

au lieu de quoi depuis l'avant-dernier siécle, quelques Eglises l'ont laissé dégénerer en une tierce tombante et liée de cette maniére:

[Lebeuf, Traité, 58,2; text: Rouen ancien, Chartres, Limoges.] [LEBTRA1 06GF]

et d'autres en deux tierces:

[Lebeuf, Traité, 58,3; text: Sens, Auxerre.] [LEBTRA1 06GF]

Chez les Chartreux, outre la terminaison en fa ci-dessus rapportée, il y a celle-ci:

[Lebeuf, Traité, 58,4] [LEBTRA1 06GF]

Quoiqu'en général cette terminaison en fa ait beaucoup de ressemblance avec la terminaison pleine et parfaite du sixiéme mode Ecclésiastique, cela n'a pas empêché qu'on ne la conserve presque partout. Je ne connois que l'Eglise de Laon d'où elle me paroît bannie, si ce n'est pas par oubli que Monsieur Bellote l'a omise dans son livre intitulé Directorium [-59-] Chori Ecclesiae Laudunensis. Outre la ressemblance avec la terminaison du sixiéme qui est encore plus grande chez ceux qui y ont inseré des tierces; on doit convenir qu'elle est devenue par-là extrémement dure et cahoteuse, et convenable à ces gosiers des Alpes, dont parle Jean Diacre au neuviéme siécle, qui avoient corrumpu le Chant de l'Antiphonier de saint Grégoire; et qu'elle est plus aisée et plus douce de la maniére dont on la chante dans le Romain, à Paris, à Orléans, à Lisieux, à Troyes, à Bourges, à Bayeux, Evreux, Séez, et presque partout.

Les Antiennes du premier mode, ausquelles cette terminaison a paru de tout tems le plus convenir, sont celles qui commencent ainsi:

[Lebeuf, Traité, 59; text: Valde honorandus est.] [LEBTRA1 06GF]

Terminaisons sur la corde Sol.

LA quarte au dessus de la finale n'a pas été une corde qu'on ait exceptée du nombre de celles où quelqu'une des Psalmodies du premier mode puisse finir: elle a encore sa terminaison dans [-60-] l'usage Romain, dans celui de Paris, de Troyes, de Lisieux, et cetera. Sa modulation est de cette sorte:

[Lebeuf, Traité, 60,1; text: saeculorum. Amen.] [LEBTRA1 06GF]

Dans quelques-uns des mêmes Diocèses on ne se contente pas de cette unique terminaison, on en a encore une autre ainsi notée:

[Lebeuf, Traité, 60,2; text: ae u o u. a e.] [LEBTRA1 06GF]

Quoique ces terminaisons soient visiblement suspendues et plus incomplétes que celles que j'ai rapportées jusqu'ici comme convenantes au premier mode; ceux qui les ont dans leurs livres, ne les doivent pas abandonner, quoiqu'en disent quelques modernes: parceque cette chûte suspendue sur la quarte n'a pas été improuvée par celui que l'on regarde communément pour le Maître du Chant, je veux dire Guy Aretin. Aussi étoient-elles l'une ou l'autre dans tous les Antiphoniers avant le pénultiéme siécle, auquel les Musiciens de ce tems-là peu versés dans l'origine de la Psalmodie, la firent ôter où il dépendit d'eux. On la [-61-] trouve encore dans tous les livres du tems de François I. et au dessus, notée de quelqu'une des maniéres suivantes:

[Lebeuf, Traité, 61,1; text: saeculorum. Amen. Langres sur Exultate Deo adjutori nostro. Chartreux. Sens, Auxerre, Paris ancien] [LEBTRA1 07GF]

Dans tous les lieux où est restée la premiére en g que j'ai rapportée, on la joint toujours aux Antiennes du premier mode, qui commencent comme celles-ci.

[Lebeuf, Traité, 61,2] [LEBTRA1 07GF]

Et dans ceux où la seconde a été reçue, on lui réserve les Antiennes de son mode, qui commencent comme

[Lebeuf, Traité, 61,3; text: Estote fortes in bello.] [LEBTRA1 07GF]

Dans les Eglises où ni l'une ni l'autre de ces terminaisons en g ne sont point en vigueur, on chante quelqu'une des terminaisons en a sur les Antiennes qui [-62-] commencent comme les éxemples qui viennent d'être rapportés.

Terminaisons sur la corde Mi.

APrès avoir produit des terminaisons sur toutes les cordes qui sont entre la corde finale du premier mode et sa dominante, excepté sur la corde mi; il ne restoit plus qu'à voir si cette corde mi qui n'est éloignée de la finale que d'un simple ton, auroit aussi été le siége de quelque terminaison, et si elle l'est encore en quelques Eglises. C'est ce que je trouve dans les livres des Métropolitaines de Vienne et de Narbonne, au moins dans le Bréviaire de ces Eglises, imprimés en 1678. et 1709. J'y remarque parmi les terminaisons du premier mode:

[Lebeuf, Traité, 62; text: Vienne. Narbonne.] [LEBTRA1 07GF]

Les Eglises de Vienne et de Narbonne ne donnent au reste cette terminaison que comme une terminaison suspendue et à cadence rompue. On doit avouer qu'elle est la plus incompléte de toutes les terminaisons de ce genre; mais cela ne suffit pas pour condamner ceux qui s'en servent. Ils ont sans doute soin que l'Antienne qui la doit rendre compléte, [-63-] paroisse aussi faire allusion à ce progrès suspensif, et qu'enfin le re tant désiré y donne la derniére main. Je n'ai pas vû l'Antiphonier de Vienne, ni celui de Narbonne: mais je soupçonne qu'on y ajuste à cette Psalmodie les Antiennes du premier mode, qui sont composées comme l'Antienne O quanta est exultatio Angelicis choris! connue dans les anciens livres de la Province de Sens, laquelle a plusieurs cadences et repos sur la corde mi, et est néanmoins assez gratieuse.

Autres terminaisons très-chargées.

CE que les Eglises de Vienne et de Narbonne ont fait sur la corde mi, d'autres l'ont fait sur le fa, ou sur le sol: c'est-à-dire qu'après être descendu par dégrés conjoints de la dominante à la corde finale re, on ne se tient point là; mais on reléve par un refrain ou à la tierce ou à la quarte. Le refrain à la tierce se trouve dans les livres de Sens, Auxerre, Rouen, Bourges, Tours. Le refrain à la quarte est marqué dans les livres de Rouen.

Voici ces deux terminaisons:

[Lebeuf, Traité, 63; text: saeculorum. Amen.] [LEBTRA1 07GF]

[-64-] La premiére est en usage aux Antiennes du premier mode, qui commencent par ut re fa; et la seconde a été fixée à Rouen pour les Antiennes du même mode, dont le commencement est fa mi re ut mi fa re.

Il y a aussi des Diocèses où l'on a des terminaisons sur la corde re, différentes de celles que j'ai rapportées.

A Reims, par éxemple, et à Chartres, on chante quelquefois:

[Lebeuf, Traité, 64,1; text: ae u o u. a e.] [LEBTRA1 07GF]

Cette terminaison est dans Aretin au dernier la près, qui ne s'y trouve pas, et de même dans le livre intitulé Directorium chori Romani. Elle est aussi dans les livres de Langres, comme dans Guy Aretin. Voyez ces livres à l'endroit de la Station après les premiéres Vêpres de Noel.

[Lebeuf, Traité, 64,2; text: Antiph. Cluniac. anni 1542. Dans Cluny ancien, ou comme Guy Aretin. ae u o u. a e. et dans les livres de Chartres.] [LEBTRA1 08GF]

[-65-] [Lebeuf, Traité, 65,1; text: Dans ceux des Chartreux.] [LEBTRA1 08GF]

Terminaison nouvelle du I. en D.

COmme il y a eu des personnes dans le dernier siécle, à qui les deux terminaisons en D. re que j'ai rapporté les premiéres, n'ont pas paru suffire; elles en ont introduit une nouvelle qui est très-coulante, mais qui ne convient pas à toutes sortes de voix, surtout aux voix dures et aigres, semblables à celles dont s'est plaint Jean Diacre au neuviéme siécle. C'est celle-ci:

[Lebeuf, Traité, 65,2; text: ae u o u. a e.] [LEBTRA1 08GF]

Cette terminaison paroît avoir été trouvée à Paris sous Monsieur de Harlay; au moins je ne la vois dans aucun livre plus ancien; on l'a suivie à Orléans, à la Rochelle, à Troyes, à Bourges, à Evreaux, et à Séez.

Terminaisons en petit nombre chez les anciens Moines.

JE n'oublierai point en finissant cet article d'observer que de toutes ces terminaisons qui sont en grand nombre, et presque toutes dans le livre de Guy [-66-] Aretin, il n'en paroît que deux dans ce que le Pere Hommey Augustin a publié en 1685. sous le titre de Musica sancti Bernardi: sçavoir, ces deux-ci.

[Lebeuf, Traité, 66,1; text: saeculorum. Amen. ae u o u. a e.] [LEBTRA1 08GF]

Au moins tel étoit l'usage dans l'Ordre de Cîteaux, qui s'attachoit dans son origine à une grande simplicité en toutes choses. L'Ordre de Cluny a toujours été plus amateur de la variété, soit dans le Chant, soit dans le reste du culte extérieur: et c'est ce qui faisoit une partie des reproches que les Cisterciens leur faisoient, et qu'on peut lire chez Dom Martene. [Thes. anecd. T. v. col. 1584. et seq. in marg.] Dans les livres des Chartreux il y a neuf terminaisons pour le premier mode.

Intonation et Médiation de Psalmodie au premier mode.

POur ce qui est de la maniére d'entonner les Pseaumes sur le premier mode, on s'accorde dans toutes les Eglises à le faire par fa sol la.

[Lebeuf, Traité, 66,2; text: Dixit Dominus.] [LEBTRA1 08GF]

[-67-] Mais on n'est pas uniforme partout pour la médiation. Quoiqu'anciennement cette médiation se soit fait sentir communément partout par un abaissement au sol sur la pénultiéme syllabe, on a quitté cette infléxion dans un grand nombre d'Eglises, et on se contente de prononcer tout droit cette médiation en traînant un peu sur l'avant-derniére syllabe; c'est ce qui est marqué dans les derniers livres de Bourges, Rouen, Sens, Orléans, Auxerre, Laon. Dans la Province de Tréves, la médiation se fait sentir par un abaissement à la tierce majeure; au moins c'est ainsi que je l'ai entendu pratiquer à Verdun, à Toul, et cetera.

[Lebeuf, Traité, 67,1; text: Dixit Dominus Domino meo:] [LEBTRA1 08GF]

A Tours, la médiation se fait sentir par une élévation de semiton qui se fait ainsi:

[Lebeuf, Traité, 67,2; text: Dixit Dominus Domino meo:] [LEBTRA1 08GF]

Il y a aussi des Diocèses et des Ordres, où souvent dans les Cantiques Evangéliques Benedictus. et Magnificat. la modulation est particuliére à ce mode, c'est-à-dire, [-68-] un peu plus chargée. C'est une distinction qu'on a crû devoir faire dans ce qui paroît se chanter avec plus de cérémonie et de majesté.

Article II.

De la seconde espéce du premier mode.

JE fais un article séparé de l'espéce Eolienne du premier mode; parceque quoiqu'elle convienne avec la Dorienne jusqu'à la quinte, elle est différente du côté de la quarte imposée sur cette quinte. Quoique cette différence soit sensible à l'oreille, j'ai voulu la rendre palpable aux yeux, en liant les syllabes dont les sons forment le demiton dans les deux colonnes qui suivent:

[Lebeuf, Traité, 68; text: Octave Dorienne. Octave Eolienne. re, la, ut, sol, si, fa, mi] [LEBTRA1 09GF]

[-69-] Il y a plusieurs piéces de cette espéce Eolienne dans les livres de la Messe et des autres Offices: mais on a éte bien des siécles à ne pas faire attention qu'il éxistoit même dans les Antiphoniers une Psalmodie compléte qui pouvoit être rappellée a ce mode. C'est la Psalmodie du Pseaume In exitu. lorsqu'on en module ainsi la médiation:

[Lebeuf, Traité, 69,1; text: Israel de AEgypto.] [LEBTRA1 09GF]

Car si on la chante de la sorte:

[Lebeuf, Traité, 69,2; text: Israel de AEgypto.] [LEBTRA1 09GF]

en ce cas le semiton du haut de l'octave ne se faisant point entendre, la Psalmodie n'est pas plus Eolienne en elle-même, que Dorienne.

CHAPITRE V.

Des espéces de Chant, qui paroissent émanées du Chant Grégorien ou Romain, et qui se sont fait entrée dans l'Eglise. Différens témoignages des anciens Auteurs sur ces sortes de Chants.

J'Ai parlé dans les Chapitres précédens de l'estime qu'on a eu de tout tems pour le Chant Grégorien. J'en ai fait [-70-] connoître les principaux Auteurs, et ceux qui en ont été les propagateurs dans le Royaume de France; il resteroit à parler des autres espéces de Chant nées depuis le Grégorien, ou qui en sont émanées. Je ne puis guéres me dispenser d'en traiter; parceque les anciens préliminaires de l'Antiphonier de Paris, font mention de contre-point et de faux-bourdon, et que ces Chants sont devenus très-usités et très-célébres dans l'Eglise Catholique. Je le ferai, au reste, plutôt en Historien qu'en Praticien; et je croi que les lecteurs attendent en effet plutôt de moi des traits historiques accompagnés de quelques courtes observations, que des leçons de Musique.

Je ne trouve dans les siécles qui suivirent immédiatement la réception du Chant Romain en France, que deux ou trois indices qui prouvent qu'il y eut dès-lors des novateurs en fait de Chant Ecclésiastique. Le plus ancien témoignage est celui de Letald, Moine de Micy proche Orléans, qui vivoit à la fin du dixiéme siécle: encore son texte prouve-t-il seulement qu'il ne goûtoit pas les nouveaux Chants composés par Estienne Evêque de Liége, et autres semblables. [-71-] C'est pour cela qu'en composant le Chant de l'Office de saint Julien, premier Evêque du Mans, il fut attentif à ne pas mettre de ces sortes de mélodies qui lui paroissoient barbares ou insolites. Non enim mihi placet, dit-il, quorumdam Musicorum novitas, qui tantâ dissimilitudine utuntur, ut veteres sequi omnino dedignentur auctores. [Annal. Bened. tome 4. page 110. in marg.]

Dans le siécle suivant vers l'an 1072. il y eut à Fécam un Moine appellé Guillaume, qui composa du Chant d'une espéce toute extraordinaire. Ce Chant ne fit pas beaucoup de progrès; et nous ne connoissons qu'il éxista, que par la résistance que les Moines de Glaston en Angleterre firent à Turstin leur Abbé venu de Caen, qui vouloit les forcer à substituer ce nouveau genre de mélodie en place du Chant Grégorien. [Henricus de Knygton Canon. Lycestr. livre 2. de eventib. Angliae. in marg.] Dans le même siécle et un peu après, parut un Chantre nommé Aribon ou Cirin, qui inventa un nouveau mouvement dans le Chant, qu'il appella Caprea, à cause de la vitesse dont il étoit éxécuté. [Anonymus Mellicens. Bernardi Pez in supplem. ad Bibliothecam Maurianam. in marg.] A l'entendre parler, sa verve étoit plus impétueuse qu'il n'auroit voulu: il se sentoit obligé de chanter ce qui se présentoit à son idée, et il bénissoit Dieu de la nouvelle [-72-] fureur qu'il lui avoit inspirée: car il paroît dire, que ses Chants s'éxécutoient avec autant de célérité qu'ils avoient été promts à lui venir dans l'esprit. Ce Chant-là paroît avoir été bien différent du Chant Grégorien. Mais aussi rien n'oblige de croire que l'Inventeur eût eu dessein de l'introduire dans les Offices Divins. Il pouvoit s'étre borné à chanter ou faire chanter à la maison et en particulier, selon sa nouvelle méthode. Deux Auteurs, Jean de Sarisbery Evêque de Chartres et Aëlred Abbé en Angleterre font la description d'une espéce de Chant qui paroît bien différent du Grégorien: [Policratici lib. 1. c. 6. Specul. charitat. lib. 2. in marg.] mais ils ne disent pas non plus que l'on s'en servît dans les Offices de l'Eglise. Ce Chant n'étoit peut-être usité que dans des assemblées profanes. Ces sortes de Chants assez semblables à ceux de l'invention d'Aribon, dont j'ai parlé ci-dessus, étoient apparemment les mêmes que l'on appelloit figmenta, à cause que le Chant d'Eglise n'y entroit pour rien; et dont les Auteurs étoient appellés Cantores figmentarii. [Voyez le Munerat, Tractatu de concordiagrammatic. et Mus. ad calcem Martyrol Usuardi, edit. 1490. in marg.] C'est ce qu'on appella depuis du nom de Res factae, lorsque ces sortes de Chants se furent fait entrée dans les Eglises. Car [-73-] ils n'y furent admis que fort tard.

Il n'en est pas de même du Chant Grégorien organisé, qui fut connu par la suite sous le nom de Déchant. Cette organisation de Chant dans l'Office Divin commença par une minutie. Les Chantres Romains qui étoient venus en France du tems de Charlemagne, avoient enseigné ce secret à nos François, qui sçûrent bien depuis le mettre à profit. Les Auteurs qui écrivirent à fond sur le Chant, tels que saint Odon et Hucbaud de Saint-Amand, tous deux disciples de Remi d'Auxerre, parlérent plus ou moins dans leurs Traités de cette organisation de Chant. [Cod. Bibl. Reg. 4981. 3. in marg.] Hucbaud est fort étendu dans son Enchiridion manuscrit; et par la longue description qu'il en fait, on voit que ce n'étoit guéres qu'à l'aide de quelque instrument que cette organisation étoit éxecutée dans les Ecoles, et que le nom ne lui fut donné que parcequ'on trouva les touches de quelques petites orgues plus propres qu'aucun autre instrument, à faire sentir la rencontre de l'accord de deux sons différens. Hucbaud parle de plusieurs sortes d'accords dans les régles qu'il en donne: mais rien de tout ce qu'il dit, ne prouve [-74-] qu'on pratiquât dès-lors dans l'Office aucun de ces accords (a)

[Ad calcem operum Petri Blesens. in marg.] Ce que j'ai découvert de plus ancien qui suppose l'organisation des voix déja admise en quelques Eglises, est l'Ordonnance d'Eudes de Sully Evêque de Paris de l'an 1198. qui statue sur la Fête de la Circoncision, pour abolir les anciennes indécenses, que le Répons des premiéres Vêpres et le Benedicamus pourront être chantés in triplo, vel quadruplo, vel organo: à l'Office de la nuit, le troisiéme et sixiéme Répons in organo, vel in triplo vel in quadruplo; et qu'à la Messe le Répons-Graduel et l'Alleluia seront chantés in triplo, vel quadruplo, vel organo. Monsieur Ducange ni les sçavans continuateurs de son Glossaire n'ont point connu ce passage de l'Ordonnance d'Eudes de Sully, quoiqu'elle soit imprimée; [Cod. Reg. 3883. 3. in marg.] mais ils citent deux endroits du Nécrologe de l'Eglise de Paris, où sont à peu près les [-75-] mêmes expressions. Dans l'un qui est au 7. Janvier, et que j'ai conferé avec l'original à la Bibliothéque du Roy, Hugues Clément Doyen de Paris est loué pour avoir fait ce qui suit: Procuravit etiam salubriter quòd festum beati Joannis Evangelistae, quod priùs negligenter et joculariter agebatur, solemniter et devotè celebraretur... et quilibet Clericorum, qui ad Missam Responsorium, vel Alleluia in organo, triplo seu quadruplo decantabit, sex denarios habebit. L'autre endroit de ce Nécrologe indiqué par Monsieur Ducange, est au sept Juillet, où après avoir marqué l'établissement de la Fête de saint Thomas de Cantorbery à ce jour, l'Auteur ajoute: Et quatuor Clericis qui organisabunt Alleluia, cuilibet sex denarios. Monsieur Ducange a crû qu'il étoit question dans les textes ci-dessus rapportés, d'Organum triplum, et d'Organum quadruplum. Il a dit la vérité; mais il ne l'a pas assez développée, parcequ'il y avoit aussi Organum tout simplement, ainsi qu'il est marqué dans l'Ordonnance d'Eudes de Sully. Organum étoit le nom générique qui s'entendoit du cas où l'accord étoit simple; c'est-à-dire, lorsqu'il n'y avoit que deux voix chantant ensemble. On verra ci-après qu'en d'autres [-76-] Eglises on appelloit cela chanter in duplo. Triplum étoit, lorsqu'il y avoit trois voix qui chantoient, par éxemple, le verset d'un Répons ou d'un Alleluia; et quadruplum, lorsqu'il y en avoit quatre.

Le Pere Dubois a crû dans son Histoire de l'Eglise de Paris, que dans tous ces passages il s'agissoit d'un jeu d'orgues. Mais cet Historien que je respecte beaucoup, n'a pas pris la peine d'éxaminer ceci comme je le fais; et je sçai ce qui l'a trompé. Il pouvoit consulter le Nécrologe qui ne lui étoit point inconnu; il y y auroit vû un langage qui prouve évidemment qu'il ne s'agit pas de jeu d'orgues. L'Auteur de ce manuscrit qui est du treiziéme siécle, parlant de l'établissement d'une Fête, dit: Clerici, qui intererunt Missae, habebunt, videlicet quilibet duos denarios; et Organistae Alleluia, si quatuor fuerint, duos solidos, si organizetur; scilicet quilibet sex denarios. Les quatre Chantres de l'Alleluia sont appellés organistes de l'Alleluia, parcequ'ils en organisoient le Chant.

Or qu'étoit-ce qu'organiser le Chant? C'étoit y insérer de tems en tems des accords à la tierce. Dans l'organum tout simple qui s'éxécutoit par deux Chantres, [-77-] l'un disoit par éxemple:

[Lebeuf, Traité, 77,1; text: Alleluia. et l'autre disoit en même tems:] [LEBTRA1 09GF]

Il est besoin de donner un éxemple d'un Répons-Graduel en entier. Voici l'Alleluia du Dimanche de Quasimodo de l'ancien Graduel.

[Lebeuf, Traité, 77,2; text: Partie d'un autre Chantre. Alleluia. Surrexit Dominus vere, et apparuit. Chorus, Petro.] [LEBTRA1 10GF]

Il est visible que deux Chantres Bassecontres chantans en même tems ces deux parties, qui sont un peu différentes sur les derniéres syllabes des mots Alleluia, [-78-] Dominus, verè, apparuit, il résultera de ces différences un accord à la tierce. C'est ce que dans le douziéme siécle et les précédens, on appella Organum. Si alors on vouloit triplum ou organum triplum, un troisiéme Chantre Haute-contre chantoit à l'octave la partie du premier Chantre; et si on vouloit du quadruplum ou Organum quadruplum, une Haute-contre chantoit à l'octave la partie du second Chantre. Voilà ce que c'étoit que les quatre Organistes de l'Alleluia. Et tout de même au verset du Répons-Graduel, ou des Répons de Vêpres. Car il faut observer que les anciens Titres d'où j'ai puisé ce que je dis, ne marquent point d'organisation dans les parties de Chant qui sont sur le compte du Choeur.

Je ne dois point céler ce qui m'a conduit à découvrir la véritable signifition de cet organum, de ce triplum et de ce quadruplum. J'étois à Autun en 1724. le premier jour de Septembre à la saint Lazare, Fête patronale de la Cathédrale. Des quatre personnes en Chappes qui entonnérent l'Introït de la Messe Gaudeamus, deux chantérent:

[Lebeuf, Traité, 78; text: Gaudeamus. et les deux autres] [LEBTRA1 09GF]

[-79-] On observa la même chose à toutes les intonations qui se faisoient par plusieurs voix, et aux finales de versets qui indiquoient la réclame du Choeur. On m'assura que c'étoit l'ancien usage, même à Lyon aux Grandes Fêtes. C'est ainsi qu'une petite minutie d'usage conservé, sert à expliquer des Titres qui sans cela resteroient inintelligibles, ou dont l'obscurité jetteroit dans des méprises étonnantes.

Le Lecteur me prévient déja, et s'apperçoit que de là vient l'origine des cadences périéléses, ou circonvolutions si communes dans les versets des Répons de Paris, et presque inséparables des intonations. Oui, les périéléses [Lebeuf, Traité, 79,1] [LEBTRA1 10GF] n'ont point d'autre origine que l'organisation du Chant que l'on vouloit faire sentir. De-là vient que communément la périélésé est restée d'usage dans les anciennes Eglises, et qu'en d'autres c'est quelquefois l'autre partie de la composition organisante qui est restée. Par éxemple à Sens on dit dans les Pseaumes d'Introïts:

[Lebeuf, Traité, 79,2; text: Quare fremuerunt gentes. Et à Auxerre] [LEBTRA1 10GF]

[-80-] Que deux voix réunissent les deux parties en même tems, cela formera une organisation à la tierce. Etant à Lyon en 1729. j'ai remarqué de même, que la maniére d'y finir les neumes ou jubilus, qui terminent certaines Antiennes, n'est pas de finir comme on fait à Paris et ailleurs communément, mais par une périélése. Ainsi où l'on diroit ailleurs en finissant la neume du premier mode:

[Lebeuf, Traité, 80; text: Les Chantres de Lyon disent:] [LEBTRA1 10GF]

par la raison que l'habitude leur a fait retenir le son de l'ut qui formoit l'accord à la tierce, lorsque d'autres Chantres redoubloient le mi. C'est ce qui me fait croire que la maniére bizarre de finir le petit Benedicamus des Vêpres par une périélése qu'on fait sur Deo gratias, vient de la même habitude que l'on avoit prise de faire sentir un accord à la tierce, comme une espéce d'agrément, en finissant l'Office.

Au reste, quoique ces périéléses se soient multipliées dans les Chants des versets des Répons, je suis persuadé qu'originairement il n'y avoit que les Enfans de choeur qui en faisoient dans les versets de Répons qui étoient de leurs charges, [-81-] comme ils sont encore les seuls qui en font en plusieurs Eglises: mais depuis qu'on les mit dans les copies des livres, cela passa en usage; et c'est ainsi que cela s'est étendu et multiplié. On conclura peut-être de tout ceci, que ces sortes de modulations sont encore un peu trop fréquentes dans quelques versets: mais la loi qu'impose l'usage, entraîne quelquefois malgré qu'on en ait. Il me reste à observer que l'usage de noter les périéléses comme on les note aujourd'hui, n'a pas toujours été ainsi. Je parle de celles qui sont restées pour indiquer une intonation, ou pour marquer la fin d'un verset de Répons. L'avant-derniére note de la périélése ou circonvolution se marquoit ainsi: [Lebeuf, Traité, 81,1] [LEBTRA1 11GF] on se contentoit de figurer un point, qui signifioit qu'il falloit tenir cette note longue. Depuis l'usage de l'Imprimerie, les fontes n'ayant pas de points pour placer ainsi dans tous les entrelignes, les Imprimeurs aimérent mieux mettre une bréve en place du point, et la périélése d'intonation ou de terminaison se trouva ainsi notée: [Lebeuf, Traité, 81,2] [LEBTRA1 11GF] Ce n'est guéres que dans le dernier siécle que l'on s'est avisé de noter la périélése [-82-] de la maniére suivante: [Lebeuf, Traité, 82] [LEBTRA1 11GF] ce qui a fait naître certaines réduplications de la part des Enfans-de-Choeur, lesquelles étoient inconnues aux anciens, mais qui n'ont cependant rien de désagréable, lorsqu'elles sont bien faites.

Après avoir dévoilé comme ci-dessus l'organisation du Chant, je dois continuer à rapporter les textes des anciens livres où il en est fait mention. [Martene, de Discipl. in Div. Off. in marg.] Dans un Ordinaire de saint Martin de Tours, qui a environ 500. ans, on lit au jour de la Circoncision: Et debent organizari Invitatorium, versiculi Responsoriorum et Prosae. Dans le livre de la Cathédrale de Sens qui servoit à la Fête des Foux au treiziéme siécle, il y a Responsorium cum organo. Outre que les textes des livres de Paris son décisifs, il est sûr que les jeux d'orgue ne sont pas assez anciens dans les Eglises pour avoir été d'usage à l'Office dès le douziéme siécle, et que depuis que cet instrument a été admis dans les Temples, la coutume n'a pas été d'en faire toucher les piéces que des Chapiers députés exprès dans le Choeur doivent chanter, tels que sont des versets de Répons, de Graduels, et d'Alleluia.

[-83-] Pour revenir à la propagation des périéléses, à mesure qu'on devint plus habile dans le Chant, on reconnut que les accords à la tierce pouvoient se pratiquer ailleurs que dans des versets de Répons et dans des intonations, et que l'on pourroit même chanter des piéces presqu'entiéres à deux voix différentes. J'en ai trouvé une d'une écriture du treiziéme siécle, dans un Manuscrit de l'Eglise de Sens. C'est le Credo de la Messe. La partie de dessous est celle du Chant Grégorien: les accords de la partie de dessus, lorsqu'il y en a, sont ou à la tierce, ou à la quinte, ou à l'octave; et souvent les deux parties sont à l'unisson. Le Manuscrit ne donne point de nom à ce Chant; mais on doit reconnoître que c'est une piéce mise in organo, pour me servir du langage d'Eudes de Sully, Evêque de Paris. J'ai aussi vû à Noyon dans la Bibliothéque du Chapitre, un Manuscrit qui contenoit des Antiennes de la Circoncision et de l'Epiphanie ainsi notées à deux parties sur les mêmes quatre cordes, sans aucun mélange; parceque celles du Chant Grégorien sont des notes rouges, et celles de l'accord qui ne revient que de tems en tems, sont en noir. [-84-] Les paroles du Manuscrit m'ont parû du onziéme siécle quant au caractére, mais le Chant n'y a été imposé que vers la fin du douziéme ou dans le treiziéme. Peut-être appelloit-on aussi ce chant in duplo. Ce terme est usité dans un Ordinaire de Châlon sur Saône de 500. ans, au premier Dimanche de l'Avent. [Martene de Discipl. in Div. Off. cap. X. de Advent. num. XVIII. in marg.] On y lit au sujet du Pseaume Venite de Matines, que la voix sera élevée au verset Hodie si vocem, et qu'on le continuera in duplo. Il prescrit aussi deux fois l'Introït à la Messe cum duplo. [De antiq. Eccl. Ritib. tome 1. page 611. in marg.] Par la suite, et dès le quatorziéme siécle on commença à chanter quelquefois des piéces à trois parties, dont la plus basse étoit appellé Tenor, celle du milieu Motetus, et celle de dessus Triplum. J'ai trouvé dans les livres de la Sacristie de la Cathédrale de Noyon un Gloria in excelsis ainsi noté sous le régne de Charles V.

Mais le nom qui prit le dessus pour désigner ces sortes d'accords, fut celui de Discantus, par la raison que c'étoit un Chant à deux voix: et en langage vulgaire, on nomma le Déchant. Les régles en avoient été écrites en François dès le treiziéme siécle. Elles commencent ainsi dans un manuscrit de Saint-Victor [-85-] de Paris: Quisquis veut déchanter, il doit premier sçavoir qu'est quant est double, quant est la quinte note et double est la Witisme; et doit regarder se li Chant monte ou avale. Se il monte, nous devons prendre le double note. Se il avale, nous devons prendre le quinte note, et cetera. Tel fut le berceau de ce qu'on a appellé depuis Contrepoint et Fauxbourdon.

Si le Déchant eut ses protecteurs, lorsqu'il étoit consideré en tant que mêlé de Chant d'Eglise; il eut aussi ses adversaires, lorsqu'il étoit d'une espéce entiérement indépendante du Chant Grégorien, ou lorsqu'on s'apperçut qu'il contribuoit à corrompre ce Chant. L'un des témoignages les plus anciens en sa faveur, est celui d'une vie de Saint Louis, qui, quoique composée seulement par un Auteur de la fin du quinziéme siécle, est cependant estimée par plusieurs connoisseurs. On y lit à la page 71. que Saint Louis étant à Nazareth le 25. Mars, fit "commencer Vêpres hautement, et le lendemain au point du jour Matines du jour à Chant et à Deschant." [Hist. Paris. tome 3. page. 134. in marg.] Les Lettres du Roi Charles VI. de l'an 1405. sur la sainte Chapelle de Paris, portent que le Chantre doit instruire et corriger in lectura, [-86-] cantu, discantu, accentu et aliis. Les Statuts de la sainte Chapelle de Bourges dressés en 1407. par Geraud Evêque de Poitiers, et par Pierre Trousseau Archidiacre de Paris, commis par le Saint Siége, parlent souvent du Déchant, et ne le défendent qu'aux Offices des Morts. [Statuto 16. in marg.] In Festis novem Lectionum, duo Vicarii tenebunt Chorum, et Chorialis de dextra parte incipiet Kyrie, eleison. in tono competenti ad discantandum... Pro regula haberi volumus et jubemus quòd in omni Missa, cujuscumque solemnitatis sit, ut putà trium Lectionum, dierum Ferialium, novem Lectionum, Duplicium et Annalium, semper Officium, Responsum Alleluia, Offertorium et Postcommunio discantabuntur. Et dans le Statut XXI. il y a: Ordinamus quòd personae praefatae... Divina Officia Canonicalia, et beatae Mariae, videlicet Matutinas, Primam, Tertiam, Processiones, Missas, Meridiem, Nonam, Vesperas et Completorium cum cantu et discantu, secundùm quod in sacra Capella Parisiis solitum est fieri; nec non Commendationes, Obitus... sine discantu, ad usum Parisiensem perpetuis temporibus celebrare et dicere teneantur. Philippe le Bon, Duc de Bourgogne, s'exprime ainsi dans un Titre de l'an 1431. duquel j'ai eu copie: Fondons [-87-] et établissons du gre et consen<.>ement desdits Doyen et Chapitre en icelle notre Chapelle (de Dijon) et Collége dudit Ordre (de la Toison d'Or) une Messe quotidienne et perpétuelle... par chacun jour de lors en avant solemnellement à haute voix, à Chant et à Deschant, excepté celle de Requiem. [Ex Mss. Sacrae Capellae Divion. in marg.] L'Obituaire de l'Eglise de Terouenne du XV. siécle, cité dans le Glossaire, fait aussi mention du Déchant, en marquant qu'une personne fonda solempnem Missam de beata Virgine cantandam... cum cantu, discantu, et organis sonantibus. [Gloss. Cang. voce Discantus. in marg.] Jean Regnier Bailly d'Auxerre, étant arrêté prisonnier l'an 1432. dans les prisons de la ville de Beauvais, à cause de son attachement envers les Ducs de Bourgogne, y fit son Testament en vers François, et s'exprime ainsi: [Poesies de Regnier. Paris 1524. in-12. in marg.]

Il me suffira d'une Messe

De Requiem haute chantée

Au Cueur: me feroit grand liesse

Si être pouvoit déchantée.

Ce Poëte demandoit l'impossible en fait de Déchant. On vient de voir par les Titres des saintes Chapelles de Bourges et de Dijon, que l'usage n'étoit pas d'employer le Déchant aux Messes de Requiem. Le Journal de Paris sous Charles [-88-] VII. [A l'an 1446. in marg.] rapportant les choses merveilleuses qu'opéroit un jeune homme qui se trouva alors dans cette grande Ville, dit de lui: Et si sçavoit jouer de tous les instrumens, chanter et deschanter mieux que nul autre.

L'Eglise de Sens qu'on sçait avoir été de tout tems si attachée au Chant Grégorien (a), avoit admis le Déchant comme plusieurs autres dès le XVI. siécle. J'en tire la preuve d'un Registre de celle d'Auxerre, où je lis qu'en l'an 1553. il fut statué par le Chapitre que les 0. de Noel seroient chantés à l'éxemple de l'Eglise Métropolitaine de Sens et autres du Royaume, in musicalibus sive discantu, et cum organis. Ceux à qui ce passage ne suffira pas pour l'intelligence de ce que c'étoit que ce Déchant, peuvent consulter les ouvrages de Jean Froschius imprimés à Strasbourg en 1535. Ils y trouveront l'Antienne Qui de terra est, de terra loquitur, et cetera. notée en Déchant: ce qui les mettra au fait.

Après avoir rapporté les témoignages qui sont favorables au Déchant, on me permettra de ne point omettre ceux qui [-89-] déclarent qu'il étoit facile d'en abuser, et qui l'ont restreint à certaines bornes. Le Déchant, tout nouveau qu'il fût, étoit monté à un tel point dès le commencement du quatorziéme siécle, que le Pape Jean XXII. reçut des plaintes de l'usage outré qu'on en faisoit. On lui exposa que ceux qui l'employoient, alloient jusqu'à mépriser quelquefois les principes de l'Antiphonier et du Graduel, qu'ils bâtissoient sans sçavoir sur quoi; qu'ils montroient leur ignorance dans les tons, puisqu'ils ne les distinguoient point; et qu'au lieu de cela ils les confondoient, ne renfermant plus les Chants dans l'étendûe qui distingue l'un de l'autre.

[Docta Sanctorum. Extravag. commun. lib. 5. in marg.] Nonnulli, dit l'exposé, novellae scholae discipuli, dum temporibus mensurandis invigilant, novis notis intendunt, fingere suas, quàm antiquas cantare malunt, in semibreves et minimas Ecclesiastica cantantur, notulis percutiuntur; nam melodias hoquetis intersecant, Discantibus lubricant, triplis et motetis vulgaribus nonnunquam inculcant, adeò ut interdum Antiphonarii et Gradualis fundamenta despiciant, ignorent super quo aedificant; tonos nesciant, quos non discernunt, imò confundant: cùm ex earum multitudine notarum, ascensiones pudicae, descensionesque [-90-] temperatae Plani-cantûs, quibus toni ipsi secernuntur, ad invicem obfuscentur. Jean XXII. ayant pris l'avis et le conseil des Cardinaux, défendit qu'on se servît dans la suite à la Messe ou en d'autres parties de l'Office, des Chants dont il venoit de faire la description, et imposa une peine qu'on peut voir dans la Bulle même. Cependant, ajoute-t-il, notre intention n'est pas d'empêcher que de tems en tems, et sur-tout aux Grandes Fêtes, on n'employe sur le Chant Ecclésiastique dans les Offices Divins, des consonances ou accords, pourvû que le Chant d'Eglise ou le Plainchant conserve son intégrité. Cette Bulle donnée à Avignon vers l'an 1322. a été insérée dans le corps du Droit Canon. Ceux qui la consulteront dans la source, et qui sont au fait des accords, seront peut-être surpris d'y voir qu'il les désigne par octave, quinte et quarte. Mais il faut observer que ceux qui la rédigérent, avoient été trompés par la lecture des anciens Auteurs qui ont écrit sur la matiére du Chant, tel qu'est Cassiodore. Ils y avoient lû cette définition: Symphonia est temperamentum sonitûs gravis ad acutum, vel acuti ad gravem, modulamen efficiens, sive in voce, sive in percussione, sive in flatu. Symphoniae sunt sex: prima, diatessaron: [-91] secunda, diapente: tertia, Diapason. Ils étoient bien fondés à traduire le mot Grec Diatessaron par celui de quarte; mais ils n'avoient pas fait attention que Cassiodore et les autres avoient tiré cette définition et division des Symphonies, des Ecrivains Gres chez lesquels il n'y avoit que les cordes qui sont au bout des deux tétracordes dont l'octave est formée, qui étant fixes pouvoient de leur côtés former des accords, et non pas les cordes du dedans de chaque tétracorde, parcequ'elles sont sujettes à varier dans leurs sons. D ailleurs chez les Grecs ces consonnances n'étoient point de deux sons formés en même tems, mais de deux sons consécutifs. [Tractatu de canticis. in marg.] Gerson atteste que de son tems les trois accords ou proportions agréables dans les sons étoient la tierce, la quinte et l'octave: mais il s'est trompé, lorsqu'il a crû que le premier de ces trois accords étoit signifié par le mot Grec Diatessaron; et il en a trompé d'autres après lui.

L'autorité de ce célébre Chancelier de l'Eglise de Paris est trop respectable, pour que je ne produise pas les témoignages qui se trouvent dans ses écrits au sujet du Déchant. Il lui donnt l'épithéte [-92-] de Mollis; et cependant il ne le blâme pas. [Carmine de Laude Musicae. in marg.] Ailleurs il parle du Chant et du Déchant réunis ensemble. [De Cantichordo Tractatu 2. in marg.] Habet hoc Musica oris, dit-il, quòd potest variare voces suas. Patet potissimùm ubi discantant et cantant in Choro plurimi simul. et plus bas: Combinatio proportionalis, dicitur multorum ad invicem cantantium et contracantantium consonantia. Il y avoit, selon lui, un fond de Chant sur lequel on déchantoit ou contrechantoit; et ce fond étoit le Plainchant. Le même Gerson s'explique encore plus clairement sur l'éxistence du Déchant, dans le Traité qu'il a écrit sur la maniére d'élever les Enfans de Choeur de Notre-Dame. Il y distingue trois articles. Il veut premiérement que le Maître leur enseigne avant toutes choses le Plainchant, ensuite le Contrepoint, en troisiéme lieu quelques Déchants honnêtes. Il nous apprend au même endroit que de son tems le Déchant n'étoit point en usage dans l'Eglise de Paris, et qu'au contraire il étoit défendu par les Statuts, au moins à l'égard des voix qui avoient passé le tems de la mutation (a) Cet endroit [-93-] de Gerson me paroissant très-digne de remarque, j'ai voulu sçavoir s'il ne s'étoit point trompé en citant les Statuts de son Eglise sur le Déchant; j'ai trouvé ces Statuts à la Bibliothéque du Roi, [Cod. 3883. 3. in marg.] dans un livre où il est dit que ce sont ceux-là même qui avoient été arrêtés au treiziéme siécle, et que le Chancelier avoit été chargé d'en faire cet extrait l'an 1408. Le quatriéme article qui est sur la Psalmodie, où l'on recommande la pause au milieu des versets, et l'on défend l'anticipation, finit par ces paroles: Nec debet in Cantu notulato regulariter immisceri Discantus, pueris exceptis propter exercitationem suam.

[Articulo 20. in marg.] Denis le Chartreux dont on a un Traité sur la vie des Chanoines, explique le nom de Déchant par fraction de voix: ensuite sur l'authorité d'un ancien Manuscrit de la vie de saint Sébastien, il le compare à la frisure des cheveux, à toutes les superfluités des plis et replis dans les habits des [-94-] femmes; et il conclut qu'il empêche qu'on entende le sens de ce que l'on chante. [Tomo III. Summae, tit. viij. parte 12. in marg.] Saint Antonin le distingue entiérement du Chant de saint Grégoire et de saint Ambroise. Il dit qu'il ne sçait quel est celui qui l'a introduit dans les Offices Divins; mais qu'il sert plutôt à satisfaire les oreilles, qu'à nourrir la dévotion. [Lib. 4. de Sacramento Ordinis. in marg.] Je passe sous silence ce qu'en dit l'Auteur qui a commenté le livre appellé Floretus, et je me contenterai de renvoyer pour le reste au Traité de Monsieur Joly, Chantre de l'Eglise de Paris, de Horis Canonicis, où il rapporte après le Jésuite Cressolius in Mystagogo, le dessein qu'avoit pris le Pape Pie IV. dans le tems du Concile de Trente, de maintenir le Chant Grégorien dans son ancienne primauté, au dessus de tous les Chants qui s'étoient introduits dans l'Eglise.

[-95-] CHAPITRE VI.

Changemens que l'Organisation et le Déchant ont introduit dans le Chant Grégorien. Influences de ces sciences dans la composition de ce Chant. Altération de l'ancienne douceur du Chant causée par les grosses voix, et par le défaut de connoissance des langues Orientales.

IL n'est presque personne parmi ceux qui se font un peu appliqués au Chant Grégorien, et même parmi certain nombre de Laïques, qui venant de Province dans la Ville de Paris, et y entendant chanter des Répons ou des Graduels, ne s'apperçoive, lorsqu'on est venu au verset de ces piéces de Chant, d'un tour de composition qui leur paroît extraordinaire. Ce tour même a le malheur de déplaire d'abord à la plus grande partie de ceux qui y prêtent l'oreille; parcequ'ils n'y sont pas accoutumés, et que les descentes fréquentes à la tierce n'ont pas pour eux le même agrément que la composition ordinaire des livres Romains. Ce n'est pas d'aujourd'hui que cette remarque se fait; c'est de tems immémorial, et depuis qu'on a introduit [-96-] dans ces versets des additions et compositions de notes, qu'on appelle Machicotage du nom des Ecclésiastiques Machicots qui l'éxécutoient le plus souvent autrefois après les Enfans-de-Choeur.

Comme j'ai dit dans le Chapitre précédent de ce petit ouvrage assez de choses qui dénotent l'origine de cet usage; il ne reste plus qu'à faire convenir le Lecteur, que c'est un changement notable arrivé dans tous les Répons de l'année, et qu'on s'est transmis d'un siécle à un autre par un pur amour des usages introduits. Je ne prétends pas soutenir que ce soit à Paris seulement que l'on ait retenu ce reste de l'organisation dont nos anciens faisoient leurs délices aux grandes Fêtes: je connois plusieurs autres Eglises Episcopales où presque les mêmes périéléses, circonvolutions, organisations et machicotages sont usités de tems immémorial, mais par les Enfans-de-Choeur seulement. Dans ces Eglises Cathédrales de Province les Enfans suppléoient par leurs écritures au défaut d'impression, et se transmettoient les uns aux autres les versets tout organisés. A Paris depuis l'invention de l'Imprimerie, il a été plus facile de rendre commun à [-97-] tout un Diocèse ce qui n'étoit d'abord usité dans la Cathédrale, et qui dans le nombreux Clergé de cette Cathédrale pouvoit n'avoir été d'usage quotidien que dans la bouche des Enfans de Choeur.

Quoi qu'il en soit, il est arrivé à Paris la même chose qu'en Province: et comme en ces Eglises on a retenu pour les Enfans les versets de Répons tels que ces Enfans ou les Chantres les moduloient, de même dans la Capitale on a conservé en tout cette tournure de modulation à laquelle on étoit généralement accoutumé, et on n'y a changé dans l'Antiphonier de 1736. qu'un endroit vers la fin de la formule des versets du huitiéme mode, pour reprendre l'ancien Chant Romain, et éviter une double tierce montante qui se réitéroit presque coup sur coup, et qui avoit plus de dureté que de douceur.

Au reste, ces ornemens ou broderies du Chant des versets dans les Répons de Paris n'ont pas toujours été au point où on les voit. Originairement et dans les siécles douziéme et treiziéme, où l'organisation se pratiquoit par deux, trois ou quatre voix, il n'y avoit que deux ou trois périéléses dans les versets: c'étoit la seule figure ou ornement dont on songeât [-98-] alors à embellir le Chant; mais depuis que le rafinement dans le Chant et Contrepoint eut fait cesser l'usage trop grossier de cette organisation, on retint l'usage des périéléses ausquelles on étoit accoutumé, et on se contenta d'orner un peu plus le chemin qui y conduisoit, par des additions de quelques notes, soit pour mieux fixer le repos des voix, soit pour rendre le Chant plus nourri et plus chargé. Je croi que ce fut la formule qu'on essaya sur le Gloria Patri, qui conduisit à ces augmentations. En effet une diaptose ou intercidence [signum] mise sur la derniére syllabe de Patri, y fait faire un repos qui est à sa place; autrement en ne faisant point cette intercidence, on est porté à dire Gloria Patri et cetera, à se reposer après la conjonction, au moins en certains modes. A l'égard de l'expédient de rendre le Chant plus nourri, l'expérience a fait reconnoître que lorsqu'on célébre une grande Fête, la lenteur et la gravité se réunissent très-bien avec ce genre de Chant, où il y a de tems en tems de petits supplémens, quelques légéres échanges de notes, et même certaines suppressions d'autres notes, qui donnent et la facilité de respirer, et l'agrément pour l'acquit du Chant.

[-99-] On m'a souvent demandé ce que je pensois de l'usage de Paris, de ne pas répondre aux versets que les Enfans chantent, soit après les hymnes de Vêpres et de Laudes, soit après les Pseaumes des Nocturnes. S'il est permis d'hazarder quelque conjecture, je dirai encore que c'est la science de l'organisation qui a contribué à ce silence, et cela s'est fait par dégrés. On répondit d'abord aux Enfans à l'unisson et à l'octave de ce qu'ils avoient prononcé et chanté: cela forma une espéce de Musique, attendû que les voix des Enfans ne sont pas montées sur le même diapason que les voix viriles. Cette espéce de Musique eut son inconvénient, et on crut par la suite faire mieux de répondre à la quinte au dessous. Cela est si véritable, qu'encore de nos jours à Lyon et à Reims on l'observe ainsi. De telle sorte que les Enfans ayant dit:

[Lebeuf, Traité, 99,1; text: et ornavit eum.] [LEBTRA1 11GF]

le Choeur répond à Lyon:

[Lebeuf, Traité, 99,2; text: Stolam gloriae induit eum.] [LEBTRA1 11GF]

[-100-] Mais cet expédient suggéré par un rafinement qui venoit de la science de l'organisation, eut aussi son inconvénient, en ce que plusieurs voix qui ne pouvoient pas aller dans ce bas, prirent l'octave de ceux qui répondoient à la quinte; ce qui se trouvant plus haut que la voix des Enfans qui avoient chanté le verset, ne produisoit plus un bon effet. Je pense que c'est ce qui obligea en plusieurs Eglises de prendre le parti de ne plus répondre du tout à voix haute, ni en Chant, aux versets des Enfans; mais à se contenter d'y répondre tout bas. Paris n'est pas la seule Eglise Episcopale où l'on a suivi cette résolution; il y en a plusieurs autres dans la Province de Sens ancienne et moderne. Et si à Lyon ou à Reims on a continué de répondre à la quinte au dessous du ton des Enfans, c'est à condition qu'il n'y aura que les voix basses qui se chargeront de cette réponse, et que les dessus n'y prendront aucune part. Je me ressouviens que Monsieur l'Abbé Chastelain, à qui je demandai il y a plus de trente ans d'où pouvoit venir l'usage de la réponse silentieuse de Paris, me dit que c'étoit parceque les Enfans-de-Choeur chantoient autrefois trop lentement leurs [-101-] versets, et que pour ne pas paroître les contredire par une réponse précipitée, on aima mieux se contenter de répondre tout bas pendant qu'ils faisoient leur neume. Le Lecteur choisira laquelle des deux origines il croira le meilleure. Pour moi, je pense que si les Enfans ont chanté à Paris ces versets avec une extrême lenteur comme ils font encore à Sens aux grandes Fêtes, ce n'est que depuis qu'on a cessé de leur répondre, et pour dédommager l'Eglise de cette réponse dont on la frustroit.

Si c'est l'organisation qui a fait naître le stile de versets de Répons, on peut dire aussi que c'est au Déchant, et a une certaine délicatesse de prononciation qu'il a amenée avec lui, qu'on est redevable d'avoir secoué le joug insupportable qu'on s'étoit imposé durant certains siécles, de charger de quantité de notes la seconde syllabe des mots dactyliques tels que Domine, Gloria, Spiritus. La postérité ne croira peut-être pas que que ce n'est que depuis le siécle présent que d'illustres Eglises Cathédrales du Royaume ont quitté cet usage si choquant (a) [(a) Je veux parler de l'Eglise de Sens.]. C'est un des meilleurs effets [-102-] dont le Chant Grégorien se soit ressenti de la part des Musiciens modernes, que de s'être vû délivré de cette coutume tyrannique. On connoît des Ordres Religieux qui persistent à la conserver. [Les Chartreux. in marg.] Mais comme leurs Eglises ne sont point fréquentées, il n'y a pas lieu de craindre que l'usage procédé de l'ignorance de certains siécles, et de la grossiéreté des Copistes, reprenne de nouvelles racines dans les Eglises séculiéres.

Ce seroit aussi une injustice de ne pas reconnoître que le goût supérieur de la Musique d'aujourd'hui fait naître dans l'esprit de ceux qui enfantent du Plainchant, de certains progrès de voix, et de certaines mélodies qui ont leur douceur particuliére; qu'il y a des tours gracieux qui ne peuvent être suggérés que par des organes qui ont été souvent rebattus de sons agréables et affectueux: et on ne peut douter que les personnes dont l'idée est pleine de belles pensées de Chant, pour me servir de ce terme, et de morceaux de mélodie douce et aisée, ne soient plus en état de juger de quel côté ce gracieux et ce naturel se rencontrent dans la composition, que non pas ceux qui ne chantent ordinairement que du commun et du trivial.

[-103-] Quoique ceci soit sensible par l'expérience dans les Antiennes et dans les Répons, il l'est encore plus dans les Hymnes et dans les Proses, surtout dans celles qui se chantent avec un mouvement réglé. Je parlerai ici principalement des Proses. Elles peuvent passer pour un peu plus anciennes dans l'Eglise, qu'on ne les avoit crûes jusqu'à présent. J'ai trouvé dans un Manuscrit très-ancien de la Bibliothéque du Roi, que c'est le Pape Adrien II. qui leur a donné plus de cours qu'elles n'en avoient. [Cod. S. Martial. 65. nunc Reg. 4667. 4 Script. 11. saeculo, vel 10. in marg.] Je rapporterai le passage en entier, quoique long; parceque cette addition faite à Rome au livre d'Anastase le Bibliothéquaire, est inconnue à tous les sçavans, même d'Italie, et qu'elle peut servir beaucoup à éclaircir le fait de l'établissement des Proses, aussi-bien que celui des Tropes qui étoient des Prologues faits pour amener les Introïts, et cetera. Adrianus Papa CVIII. sedit ann. V. natione Romanus, patre Julio. Hic Ecclesiis ornamenta multa pretiosa superadministravit. Hic Antiphonarium Romanum, sicut anterior Adrianus, diversa per loca corroboravit, et secundum prologum versibus hexametris ad Missam majorem in die primo Adventûs Domini J. C. decantandum [-104-] instituit, qui similiter incipit sicut anterioris Adriani proemium: quod ille ad omnes Missas in eadem Dominica prima Adventûs decantandum strictissimum confecerat; sed pluribus iste constat versibus. Hic constituit per Monasteria ad Missam majorem in solemnitatibus praecipuis, non solùm in Hymno Angelico Gloria in excelsis Deo canere Hymnos interstinctos quos Laudes appellant, verùm etiam in Psalmis Davidicis, quos Introitus dicunt, interserta Cantica decantare, quae Romani Festivas Laudes, Franci Tropos appellant: quod interpretatur, Figurata ornamenta in laudibus Domini. Melodias quoque ante Evangelium concinendas tradidit, quas dicunt Sequentias; quia sequitur eas Evangelium (a). Et quia à Domino Papa Gregorio primo et postmodùm ab Adriano unà cum Alcuino Abbate, Delicioso magni Imperatoris Caroli, hae cantilenae festivales constitutae accommodatae fuerant, multùm in his delectaro supradicto Caesare Carolo, sed negligentiâ Cantorum jam intermitti videbantur; ab ipso almifico Praesule de quo loquimur, ita corroboratae sunt ad laudem et gloriam Domini nostri J. C. [-105-] ut diligentiâ studiosorum cum Antiphonario simul deinceps et Tropiarius in sollempnibus diebus ad Missam majorem cantilenis frequentetur honestis (a). Il est évident par ce passage du continuateur anonyme d'Anastase, que ce n'est point à Notker Moine de Saint-Gal, qu'il faut attribuer la composition des premiéres Proses. Il est vrai qu'il en augmenta le nombre; parceque dans l'Allemagne comme dans la France ces sortes de piéces furent fort goûtées, et vrai-semblablement plus qu'en Italie. Quoi qu'il en soit, le Chant en étoit toujours resté grossier: à peine avoit-on admis une espéce de mesure composée de longues et de breves dans celle du Veni sancte Spiritus. quoique faite seulement au treiziéme siécle. Le goût pour les airs mesurés commençant à s'emparer des [-106-] esprits dans le quatorziéme, inspira d'y donner une mesure convenable. On en fit autant à d'autres Proses, et même à des Prosules enchâssées dans certains Offertoires, et à quelques Hymnes Lyriques, surtout les Saphiques: c'est ce qui rendit ces Chants plus agréables qu'ils n'étoient auparavant, et qui a fait naître tant de beaux Chants de Proses dont on a enrichi les livres d'Eglise depuis cinquante ou soixante ans. Tels sont les avantages qui selon moi sont revenus au Chant Grégorien par le canal des Compositeurs accoutumés au beau Chant, et par le moyen des voix excellents qui ont paru dans les derniers tems, et qui éxécutent avec grace ce qu'il y a de doux et de mélodieux dans l'arrangement des sons.

Les Belles Lettres recommencérent à fleurir dans le Royaume il y a 200. ans, c'est-à-dire, sous le régne de François I. mais le Chant d'Eglise ne parut point recevoir alors beaucoup de perfection. Pendant que la barbarie disparoissoit peu à peu dans les Colléges, certaines voix difficiles à fléchir corrompirent dans les Choeurs de plusieurs Eglises la douceur des Psalmodies Grégoriennes. Ces [-107-] Chantres de l'espéce de celui que Théodulse Evêque d'Orléans appelloit au neuviéme siécle Vox taurina, sentant qu'à la fin de certaines terminaisons psalmodiques il leur étoit plus commode de descendre par une tierce que par dégrés conjoints, changérent les progrès de secondes en tierces; par éxemple,

[Lebeuf, Traité, 107,1; text: au premier mode au lieu de, ae u o u a e. ils mirent, troisiéme, e u o u a e. sixiéme en place de, septiéme] [LEBTRA1 11GF]

Et comme les demitons leurs paroissoient plus difficiles dans la pratique à cause de la rudesse de leur voix, ils firent à la médiation du même septiéme mode le changement qui suit: au lieu de dire comme on avoit fait auparavant dans

[Lebeuf, Traité, 107,2; text: Dixit Dominus, Domino meo: ils dirent] [LEBTRA1 11GF]

Ce qui ressemble assez à la correction [-108-] faite par d'autres, qui dans la terminaison du deuxiéme mode au lieu de

[Lebeuf, Traité, 108,1; text: e u o u a e. mirent] [LEBTRA1 12GF]

correction que j'ai remarqué dans les livres gothiques de la sainte Chapelle de Paris, et qui avoit été admise à Beauvais. Il n'y eut pas jusqu'au Chant de la Passion qui est un des plus touchans de l'année, où les Chantres dont je parle ne touchassent. A Bourges, par éxemple, où l'on disoit auparavant

[Lebeuf, Traité, 108,2; text: secundùm Marcum.] [LEBTRA1 12GF]

ces Chantres corrigérent et mirent conformément à leur goût bizarre:

[Lebeuf, Traité, 108,3; text: secundùm Marcum.] [LEBTRA1 12GF]

Ces changemens dans la Psalmodie, nés à ce qu'on croît la plûpart à Sens, et dont le propagateur fut un nommé Jean Cousin, se répandirent dans la Province Sénonoise, qui comprenoit alors huit Diocèses: ils y prirent de si profondes racines que plusieurs Eglises de la même Province n'ont pû encore se défaire de ces terminaisons dures et cahoteuses. L'Eglise de Paris en avoit admis quelques-unes, comme il paroît par les livres dont elle se servoit il y a cent ans ou six [-109-] vingt ans: mais dès l'an 1681. elle revint heureusement à son ancienne douceur.

Cette altération arrivée dans le Chant par la complaisance qu'on eut sous François I. pour les grosses voix, me fait ressouvenir de dire un mot touchant la science du Contrepoint, autrement dite la science du Chant sur le livre, et d'éxaminer s'il est toujours expédient en essayant une piéce de Plainchant, de se régler pour y laisser telles ou telles notes; de se régler, dis-je, sur l'effet qu'elles feront lorsqu'on composera dessus ces piéces du Contrepoint, fleuretis ou Chant qu'on appelle Chant sur le livre. Sauf meilleur avis, je pense qu'en composant du Plainchant, il faut n'avoir d'autre dessein que faire du beau en soi, faire quelque chose qui soit agréable, indépendamment des accords dont ce fond de Plainchant sera susceptible ou non. Je ne dis point ceci sans fondement; j'ai quelques éxemples à apporter pour appuyer ma proposition. Il n'y a personne parmi ceux qui croient avoir l'oreille délicate, qui ne sente que dans le second vers de l'Hymne de Complies, le Chant que voici:

[Lebeuf, Traité, 109; text: Te lucis ante terminum, Rerum] [LEBTRA1 12GF]

[-110-] [Lebeuf, Traité, 110,1; text: Creator, poscimus.] [LEBTRA1 12GF]

est plus agréable que que celui qui suit:

[Lebeuf, Traité, 110,2; text: Te lucis ante terminum, Rerum Creator poscimus.] [LEBTRA1 12GF]

La premiére maniére l'a emporté dans le peuple il y a long-tems, parcequ'elle est plus gracieuse et plus ornée.

Les sçavans dans l'art du fleuretis, ou Chant sur le livre, préférent la seconde maniére de chanter poscimus, par les raisons de leur art; dont la principale est que les accords sont plus aisés à faire sur

[Lebeuf, Traité, 110,3; text: poscimus. que sur] [LEBTRA1 12GF]

Je ne doute pas que la chûte sur le sol qui finit le premier vers de l'Ave maris stella dans le Chant Parisien, n'ait eu la même origine, et que c'est parcequ'on a voulu éviter le sol dièse entre deux la dans le Chant-sur-le-livre ou fleuretis, qu'on s'est déterminé dans le dernier siécle à ôter le dernier la de ce vers, qui étoit dans les anciens Antiphoniers. Mais on a eu beau à faire et à rendre le fond sur lequel le fleuretis s'éxécute, plus [-111-] propre à admettre aisément ce fleuretis, l'oreille demande toujours que le vers finisse par la, et le peuple chante toujours le sol entre deux la à la fin du premier vers de chaque strophe, et le chantera toujours.

Il est inutile que je fatigue ici le Lecteur par une citation de plusieurs autres éxemples. On est assez convaincu que le Chant Grégorien se verroit dénué de plusieurs beautés, si un Compositeur de ce Chant se faisoit une régle d'en arranger et distribuer ses sons, de maniére que les accords fussent toujours très-faciles à faire dessus. On convient aussi assez, que ce qui paroît bon dans l'instant de l'accompagnement, et relativement à cet accompagnement, ne se trouve plus si bon, lorsqu'il est chanté séparément. Ainsi il faut en conclure que comme on chante plus souvent certaines piéces en pur Plainchant sans accords, et que dans un Diocèse il y a beaucoup plus d'Eglises où l'on se passe de Chant-sur-le-livre ou fleuretis, qu'il n'y en a où on l'éxécute; il est plus à propos que la composition d'un Plainchant admette les agrémens de certains progrès de Chant, quoique moins susceptibles d'un accord aisé à faire, que de se passer de ce Chant plus naturel et plus [-112-] agréable, à dessein de faciliter l'éxécution de l'accord.

Je n'ai pû trouver jusqu'ici l'origine de la mauvaise prononciation qui a encore lieu dans quelques Eglises, lorsqu'on chante des Pseaumes, et qu'à la fin d'un verset il se trouve un mot Hébreu non décliné, tel que Sion, Jacob, David. Les personnes qui sçavent les régles de la prononciation Hébraïque, sont surprises d'entendre faire bréve la premiére syllable de ces mots, et je ne sçai comment je pourrois excuser cet usage. Car comme on seroit blâmable, si en psalmodiant on faisoit bréve la premiére syllabe de caput, et de bonus, quoique ces syllabes soient bréves de quantité dans les vers; il paroît qu'à plus forte raison c'est s'exposer à la censure des personnes un peu lettrées que de passer si rapidement sur les mots Hébreux de deux syllabes que j'ai nommés ci-dessus. Ceux qui sont dans cet usage, ont contre eux un témoin qui a été respecté en son tems; je veux dire, Jean le Munerat dans son Traité De moderatione et concordia Grammaticae et Musicae imprimé à la fin de son édition du Martyrologe d'Usuard de l'an 1490. et de celle de 1535. Il est bon de rapporter ici tout-au-long [-113-] les termes de cet Ecrivain, qui étoit membre de l'Université de Paris, et qui eut en son tems la direction de la plûpart des ouvrages liturgiques de l'Eglise de Paris (a). Miror, dit-il, super errore cujusdam Ecclesiae in Galliis, quae cùm in quinto Responsorio Dominicae Annuntiationis primam ejus vocem viginti-quinque vel circiter notulis moduletur, nihilominus in Hymno Ave maris stella, versu penultimo, ibi Ut videntes Jesum, cantum suum dimittens qui est la re super li Jesum conformiter ad versus praecedentes cantat re re; tamque velociter primum re praeterit, ut novo quodam more atque inaudito cum suo plano, gravi et uniformi cantu, minimam, imò minimulam organicam, nigram videlicet atque retortam immiscere non vereatur.

Le Munerat avoit grande raison de blâmer le mauvais usage de l'Eglise qu'il ne nomme pas. En effet, les oreilles de gens de Lettres ne pourront jamais s'accommoder d'entendre faire bréve la premiére syllabe de Jacob. C'est trop rapprocher ce nom Hébreu de la prononciation usitée dans la langage le plus bas, [-114-] et ainsi des autres. Je me ressouviens d'avoir oüi dire à une personne à qui je représentai autrefois l'indécence qu'il y avoit de faire bréve la premiére syllabe de Jesus, que cela se faisoit ainsi, pour ne pas couper ce mot en deux, et que le secret d'y réussir étoit de passer vîte sur la premiére syllabe. Je regardai cette raison comme très-frivole, parcequ'elle est contre la prononciation grammaticale de ce nom, et qu'il y a même de l'indécence à courir sur un nom si respectable: et si une telle raison a pû être admise autrefois, elle ne l'est plus aujourd'hui. Comme donc on est revenu de mauvais usage de faire bréve la premiére syllabe de Jesus, il faut espérer qu'il en sera de même un jour à l'égard des mots David et Jacob. Au reste, si j'ai fait mention de ceci à la fin de se Chapitre, ce n'est pas que selon moi l'Organisation ou le Déchant ayent contribué à introduire cet abus. Je suis persuadé au contraire que les anciens Auteurs du Déchant, ou de la Musique proprement dite, étoient les plus opposés à la mauvaise coutume de faire les bréves longues, et certaines longues bréves. Et il faut espérer que ceux qui la cultivent [-115-] aujourd'hui avec tant de succès, viendront à bout de faire donner à Jacob, à David, à Sion, et autres semblables, leur juste valeur de tems dans la Psalmodie.

Fructum suum dabit in tempore suo. Ps. 1.

CHAPITRE VII.

De quelques anciennes piéces de Plainchant, qui ont été abolies autrefois avec raison à Paris et ailleurs; et de quelques autres modulations dans le genre du Chant Grégorien, qui n'auroient jamais dû l'être, et qui auroient dû être conservées.

QUelques-uns pourront croire que j'avance un paradoxe, si je dis que les livres de Chant peuvent contribuer à faire quelques découvertes sur l'origine de la langue vulgaire usitée maintenant en France. Mais cette proposition ne paroîtra point extraordinaire à ceux qui ont entrepris d'éxaminer et de rechercher depuis quel tems la langue Latine a cessé d'être absolument à la portée des peuples. Quelques personnes croient qu'il y a eu des siécles (comme ceux du moyen âge) où le peuple parloit en France [-116-] un mauvais Latin, ou au moins l'entendoit; et qu'outre cela il y avoit le langage entiérement vulgaire, qui étoit un Latin qu'on avoit commencé à corrompre dès le septiéme ou le huitiéme siécle depuis Jesus-Christ, en y admettant de fréquens articles en la place des cas pour les noms, en changeant les terminaisons des différentes infléxions des verbes, et admettant des nouveaux mots inconnus dans le Latin, et pris du langage Germanique, Teutonique ou ancien Gaulois, du Saxon, et cetera. Je n'entreprends point de décider une question si épineuse. Je sçai seulement que nous ne trouvons point de Cantiques vulgaires notés, c'est-à-dire, en langage François et sans mélange de Latin avant le douziéme siécle, si ce n'est dans des livres de Chant ou livres d'Eglise; et que les rimes de ces vers François furent d'abord la plûpart masculines, parcequ'elles s'accomodoient mieux avec le Chant; et que ce n'est guéres que par le moyen du Chant imposé sur les mots, que l'on sçait certainement en quels endroits les anciens faisoient plusieurs syllabes où nous n'en faisons qu'une.

Ce ne sont point les livres de l'Eglise [-117-] de Paris qui fournissent les plus anciennes preuves que l'on ait mis autrefois du Plainchant sur du langage François. Le malheur des tems a permis que les livres Ecclésiastiques de cette Capitale ayent été les premiers distraits et lacerés (a). [De antiq. Eccl. Ritib. lib. 1. cap. 3. art. 2. in marg.] Dom Edmond Martene a tiré d'un Missel manuscrit de Saint-Gatien de Tours de six à sept cens ans la formule des Complaintes que l'on y chantoit alors le jour de Saint Estienne lendemain de Noel. On peut voir dans le Glossaire de Monsieur Du Cange les preuves que c'étoit un usage universel dans toutes les Provinces de France. [Au mot Farsa, et Epistola Farsita. in marg.] A Aix en Provence, disent les sçavans Auteurs de la nouvelle édition finie en 1735. on chante encore l'Epitre de Saint Estienne en langage alternativement Latin et François; et on appelle cela Les plants de saint Esteve, c'est-à-dire, les Plaints de saint Estienne. On m'a assuré qu'à Reims il en étoit de même il n'y a pas long-tems, au moins dans la Paroisse de Saint Estienne. [Martene, de antiqua Eccl. discipl. in div. off. page 99. in marg.] L'Ordinaire de Soissons, écrit sous l'Evêque Nevelon I. au XII. siécle, porte [-118-] cette rubrique à ce sujet: [Epistolam debent cantare tres Subdiaconi induti solemnibus indumentis: Entendez tuit a cest Sermon.] Les Ordinaires de Narbonne et de Challon font aussi mention de ces sortes d'Epitres doubles, qu'on appelloit des Epitres farsies. J'en ai vû dans quelques anciens livres de la campagne au Diocèse d'Auxerre; et les Registres du Chapitre de la Cathédrale rédigés au XV. siécle, statuent sur la maniére dont on devoit chanter celle de saint Estienne. A Brioude l'Epitre farsie du jour de saint Nicolas est purement Latine. On en chantoit autrefois à Langres non-seulement aux Fêtes de Noel, mais encore en d'autres solemnités; et il y en avoit une pour la Fête de saint Blaise, moitié Latine, moitié Françoise. Celle de saint Estienne se chantoit à Dijon il n'y a pas encore long-tems.

Après cette remarque sur l'étendûe de cette bizarre pratique qu'on a bien fait d'abolir, on ne peut plus rester embarrassé à expliquer l'endroit de l'Ordonnance d'Eudes de Sully Evêque de Paris de l'an 1198. sur les réjouissances des Fêtes de Noel, où il est fait mention de ces sortes d'Epitres en ces termes: Missa similiter [-119-] cum ceteris Horis ordinatè celebrabitur ab aliquo praedictorum, hoc addito quòd Epistola cum farsia dicetur à duobis in cappis sericeis. [In Addit. ad calcem operum Petri Blesens. in marg.] Monsieur Du Cange n'auroit pas dit aujourd'hui incertum quid haec vox denotet, après l'explication que fournissent tant de témoignages ci-dessus allégués; et par conséquent le terme qui l'embarrassoit dans le catalogue des livres liturgiques que l'on conservoit à Saint-Paul de Londres en 1295. n'auroit plus trouvé chez lui aucune difficulté. Ceci au reste prouve en passant, que quoique ce sçavant Amiennois visitât toutes les Archives et tous les Tresors des Eglises où il y avoit des manuscrits, il lui en a encore beaucoup échappé: car c'est d'Amiens que me sont venues les Epitres paraphrasées dont je tirerai les éxemples de l'application grossiére que l'on faisoit anciennement du Plainchant pour désennuyer le peuple à certaines Fêtes, et lui faire retenir en François par le moyen du Chant l'histoire du martyre des Saints, ou de pieuses pensées. Il falloit user de cet expédient dans des siécles, où l'Impression n'étant pas encore trouvée, les livres étoient très-rares. Elle venoit cependant de l'ancien usage des Eglises des Gaules [-120-] de faire lire à la Messe les Actes des Saints. Cela étoit tout commun en France avant le IX. siécle: mais le Latin étoit peut-être encore suffisamment entendu par les anciennes familles Gauloises.

L'usage des Cantiques vulgaires qui se chantent en bien des Provinces la nuit de Noel dans les Eglises, et qui pour cette raison en ont eu le nom de Noels, prit aussi son origine environ dans le tems où le peuple cessa d'entendre le Latin. Lambert Prieur de Saint Vast d'Arras, dont j'ai trouvé des Poësies Latines écrites l'an 1194. assure même que cet usage étoit particulier aux François. En paraphrasant l'Office de la seconde Messe de Noel, il dit ce qui suit:

Lumine multiplici noctis solatia praestant,

Moreque Gallorum carmina nocte tonant.

Mais ce n'est point dont je me propose de parler ici; parceque ces Chants de Noels, supposé qu'ils ressemblassent par leur mouvement à ceux que l'on connoît depuis deux ou trois cens ans, n'étoient pas dans le genre du Chant Grégorien appellé Plainchant, mais dans le genre que nous appellons aujourd'hui Musique, ou airs de Vaudeville: au lieu que dans les modulations que je vais produire, le [-121-] goût est si grossier, qu'il n'y a aucune régle de quantité observée, et que souvent sur une syllabe bréve il y a quatre ou cinq notes. On y remarquera ce que j'ai déja dit ci-dessus, que primitivement les rimes Françoises qu'on vouloit mettre en Chant, étoient masculines; comme dans l'Epitre de saint Estienne qui est la plus ancienne, toutes les rimes l'étoient. Les rimes féminines ne se virent chargées de Chant que long-tems après; parceque malgré la grossiéreté des tems on sentoit que le Plainchant n'alloit pas si bien dessus. Aussi n'y a-t'il que les deux derniers morceaux que je produit, * [* et dans le Manuscrit de l'an 1400. ou envrion. in marg.] où l'on en appercevra quelques-unes avec un Chant pitoyable par rapport à cela.

Avant que de jetter la vûe sur cette ennuyeuse Poësie, il faut se ressouvenir que les jours qu'il y avoit Paraphrase ou Commentaire à l'Epitre de la Messe, on étoit au moins deux pour l'éxécution de cette piéce: c'est-à-dire, que l'un chantoit le François et l'autre le Latin; ou bien le Soudiacre se réservant le texte sacré, deux Enfans de Choeur chantoient l'explication; et tous montoient au Jubé ou à la Tribune pour être mieux entendus.

Quoique dans les éxemplaires dont [-122-] j'ai tiré ces morceaux gothiques, il n'y ait aucun accent sur les é; j'ai crû cependant devoir en mettre ici, pour décider que la rime est masculine: et j'ai employé les lettres j. et v. où elles sont d'usage aujourd'hui, afin de faciliter la lecture de ces piéces. Car quoique je ne compte pas que l'on puisse tirer d'autre utilité de ces Chants, sinon pour prouver que le quatriéme mode du Grégorien que la Musique moderne n'emploie jamais en récit, et sur lequel on ne voit point composer de Chansons, étoit fort goûté autrefois; (témoin outre l'Epitre de saint Estienne, le Te Deum, et le Gloria in excelsis des Grandes Fêtes;) et que le septiéme mode malgré sa dureté étoit trouvé beau, tel qu'il est ici aux Innocents et au premier Janvier: cependant l'échantillon des paroles qui sont couchées sous ces Chants, peut conduire encore à quelque découverte sur les différens dialectes de la langue Françoise.

IN DIE SANCTI STEPHANI EPISTOLA.

[Lebeuf, Traité, 122; text: Prologue. Entendés tout a chest sarmon Et clair] [LEBTRA1 13GF]

[-123-] [Lebeuf, Traité, 123; text: et lai tout environ: Conter vous veil la Passion De saint Esteule le Baron. Comment et par quel mesproison, Le lapiderent li felon Pour Jesucrist et pour son non: Ja l'orrés bien en la lechon. Lectio Actuum Apostolorum. Epitre. Paraphrase. Cheste lechon que chi vous list, Saint Luc lapelent qui le fist. Fait des Apostres JesuXprist Sains Esperit li aprist. In diebus illis. Che fu es jors de piété El tans de grace et] [LEBTRA1 13GF]

[-124-] [Lebeuf, Traité, 124; text: de bonté Que Diex par sa grant carité Rechut mort pour Crestienté. En ichest tans bien euré Li Apostre li Dieu amé Ont saint Esteve ordené Pour préchier en verité. Stephanus plenus gratiâ et fortitudine faciebat prodigia et signa magna in populo. Saint Esteves dons je vous chant Plains de grace et de vertu grant, Faisoit el pule mescreant Miracles grans Dieu preechant] [LEBTRA1 14GF]

[-125-] [Lebeuf, Traité, 125,1; text: Et crestienté essauchant. Surrexerunt autem quidam de Synagoga, et cetera.] [LEBTRA1 15GF]

Autre éxemplaire de l'Epitre paraphrasée de saint Estienne, tiré d'un manuscrit d'environ l'an 1400. qui a servi dans une Eglise de la Province de Lyon ou de Sens.

[Lebeuf, Traité, 125,2; text: Entendez tuit a ce sermon Et clerc et lai tuit environ Conter vous veil la Passion De saint Estienne le Baron. Coment et par quel mesprison Lou lapiderent li felon Pour Jhesucrist et pour son nom Ja l'orez dire en la lecon. Lectio] [LEBTRA1 15GF]

[-126-] [Lebeuf, Traité, 126; text: Actuum Apostolorum. Qui ci es a Dieu or est tout, Verité fine ja n'en dout: Car li Apostre le tesmoignent, Cil mescroient qui s'en esloignent. Saint Luc l'escrit Seignor et Dames Li bons mires de corps et d'ames.... Il manque ici un feuillet au Manuscrit. Et non poterant resistere sapientiae, et Spiritui qui loquebatur. Ne pot lagent de mescréance Ester contre la sapience; Ne contre le Saint Esperite Qui parloit pour le Saint Levite. et cetera.] [LEBTRA1 16GF]

[-127-] POUR LA FESTE DE SAINT JEAN L'EVANGELISTE.

Extrait du Manuscrit d'Amiens d'environ l'an 1250.

[Lebeuf, Traité, 127; text: BOn Crestien que Dieu conquist En len bataille ou sen fil mist, Oiez lechon con vous list, Que Jhesus le fil Sirac fist. Sainte Eglise partie en prist, Et en cette Feste laissist, De saint Jehan que Dieu eslit, Le cousin germain Jhesus-crist, Qui paroles et fais escript. Lectio libri Sapientiae. Jhesus nostre boins Avoés *, *Advocatus. Sapience Deu est nomé; Car par lui est] [LEBTRA1 17GF]

[Lebeuf, Traité, 128; text: li sens monstrés, Par qui Diex nous a resensés: Et chil livre dont vous oés Par il cel nom est apelés Car ichi list on les bontés Dont Jhesucris est honorés Et cascun de ses Saints loés. Qui timet Deum, faciet bona. Li boins hons qui Dieu cremira Les boines oevres Dieu fera; Le boins Jehans le redouta, Quant ses noches pour li laissa En sa compagnie en alla Et en la chaine ou] [LEBTRA1 18GF]

[-129-] [Lebeuf, Traité, 129,1; text: Dieu maigna Jehan sor son pis * *Pectus. sa couca, En s'oreille * *C'est-à-dire, son oreille. li demanda, Biaus Sire, qui vous traïra? Dusca la croix le convoia; Et Diex sa mere li balla, La Vierge al Vierge commanda. Et qui contiens est justitiae, et cetera.] [LEBTRA1 19GF]

Extrait du même Manuscrit d'Amiens pour la Fête des Saints Innocens, avec ce Titre, Vita de Innocentibus, écrit vers l'an 1250.

[Lebeuf, Traité, 129,2; text: OR acoutés grant et petit, Traiés vous cha vers chest escrit: Si atendés tant quale lit Cheste lechon, et chest candit *. *Canticum. Je] [LEBTRA1 19GF]

[-130-] [in marg.] [Lebeuf, Traité, 130; text: lo a tous que cascuns prist Que * *Cela vient de Dominus Deus. Dame Diex en nous habit Et en nos cuers fasse son lit, Et nostre fin n'ait en despit. Lectio libri Apocalipsis beati Johannis Apostoli. Oiés le sens et le raison De saint Jehan la vision; Apocalipse le nommon, Relevement de la maison Et de la haute mansion, Que Diex nous promet en son non Par Evangile et par sermon; Et che douter ne devenon Que il nous dist en sa lechon.] [LEBTRA1 20GF]

[-131-] [Lebeuf, Traité, 131; text: In diebus illis vidi supra montem Sion agnum stantem, et cum eo centum quadraginta quatuor millia habentes nomen ejus, et nomen Patris ejus scriptum in frontibus suis. En iches jours que je vous chans, Vit saint Jehans un mont moult grant: Sion a non; sus le pendant est un agniaus tout en estant, O lui estoient compaignant Chent et quarente mil enfant, Et quatre mil aveuc chel tant En mi lor front] [LEBTRA1 21GF]

[-132-] [Lebeuf, Traité, 132,1; text: sus el devant Portent le nom de Dieu vivant.] [LEBTRA1 22GF]

Extrait du même livre, à l'article qui a pour titre Vie du jour de l'An.

[Lebeuf, Traité, 132,2; text: BOne gent pour qui sauvement, Dieu de char vestir se daigna Et en bercheul vit humlement Qui tout le monde en sa main a. Rendons li graces douchement Qui si bien en sa vie ouvra; Et pour nostre racatement, Dusca le mort s'umilia. Lectio Epistolae beati Pauli Apostoli ad Titum. Sains Paus envoie chest] [LEBTRA1 22GF]

[-133-] [Lebeuf, Traité, 133; text: ditie A un sien deciple Titum, Que il de che se fache lie Que Dieus est devenus vrais hom. Karissime; Apparuit benignitas et humanitas Salvatoris nostri Dei. Amis, fait-il, esclairie sunt Des Prophetes li dit couvert Quar li Souverains de chest mont * *Hujus mundi. De le Vierge est nés en apert: Deschendus est de son haut mont Paine souffrir en chest desert, Et en la creche se rep<.>nt Chil a cui toute gloire] [LEBTRA1 23GF]

[-134-] [Lebeuf, Traité, 134,1; text: sert. Non ex operibus justitiae, quae fecimus nos, et cetera.] [LEBTRA1 24GF]

Continuation de l'Extrait du même Manuscrit du XIII. siécle, à l'article intitulé Vita Epiphaniae.

[Lebeuf, Traité, 134,2; text: CHe qu'Isayes nous escrit De l'avenement Jhesucrist, Bien nous doit estre en ramembranche, Qui en Dieu avons no fianche: Car il en orte et semont Nous meismes et tout le mont. Or nous levons en contre lui Si com orres encore en qui Hui doit çascuns estre esclairés Car li sains jours] [LEBTRA1 24GF]

[-135-] [Lebeuf, Traité, 135; text: est repairiés Qui trois manieres de clartés Nous a del chiel hui aportés, Diex aparut: chest la premiere, Et l'estoile est l'autre lumiere Par qui vinrent hui li troi roi: La tierche clartés est no foy. Lectio Ysaiae Prophetae. Isaies li fils Amos, Cheste lechon fist et ches mos Bon son li mot, bon sont liton, Crestienne Relegion Le tient et croit et croire doit En foi et en creance a droit Dont sainte Eglise resplendit A qui] [LEBTRA1 25GF]

[-136-] [Lebeuf, Traité, 136,1; text: Sains Ysaies dist: Surge, illuminare, Jerusalem; quia venit lumen tuum. Jherusalem lieve toi sus; Esvelle toi, ni dormir plus: Lieve toi sus et si t'esvelle, Car tu verras une mervelle, Et si verras une lumiere, Dont del veoir nes coustumiere. Et gloria Domini super te orta est. Sainte Eglise, et cetera.] [LEBTRA1 26GF]

Extrait d'un Manuscrit de Langres peu ancien, à l'article qui a pour titre. Vita Sancti Blasii loco Epistolae.

[Lebeuf, Traité, 136,2; text: AUdite Christi fideles mirabilia Dei. Seigneurs et Dames entendez Qui a] [LEBTRA1 26GF]

[-137-] [Lebeuf, Traité, 137; text: bonnes oeuvres tendez: Conter vous viel verité pure Témoignant la sainte escripture. Temporibus illis floruit electus à Deo Blasius in Cappadociae regione Vir pius et justus, signa et prodigia faciens in virtute Domini nostri Jesu. En Cappadoce ot ung saint homme Que l'escripture Blaise nomme Qui en Dieu et par ses signacles, En sa vie faisoit miracles. Hunc fideles elegerunt Antistitem, et electus spernens temporalia, spelun-] [LEBTRA1 27GF]

[-138-] [Lebeuf, Traité, 138; text: cam ferarum tibi habitandam deputavit. Les Crestiens qui a donc furent Pour leur Evesque l'eslurent, et cetera.] [LEBTRA1 28GF]

Je me suis proposé de parler dans le dernier Chapitre de ce Traité de quelques modulations qui ont été anciennement dans les livres de Paris, et qui en ont disparu, les unes seulement dans le dernier siécle, les autres depuis un tems plus considérable. Je parlerai d'abord de celles qui se chantoient il n'y a pas plus de six vingts ans, et dont l'établissement étoit fondé sur le goût de la variété. Il s'agit de certains Répons brefs, qui pendant le tems du Carême avoient eu un chant particulier. Il est aisé de s'appercevoir que l'intention de ceux qui avoient établi ces sortes de Chants dans les Eglises de France, étoit de distinguer ce saint tems, de maniére que si en d'autres saisons l'usage étoit dans les grands choeurs d'admettre du fleuretis ou Fauxbourdon sur les Répons brefs pour leur donner un certain relief, on pût se priver [-139-] de cet accompagnement en modulant ces Répons d'une maniére qui fît paroître le Chant Grégorien affectueux et beau dans sa simplicité, et que toutes les voix chantant à l'unisson, l'oreille fût néanmoins touchée de la douceur du Chant. Je ne promets point de découvrir dans quelle Eglise de la France furent enfantés ces Chants tendres et affectueux. Je me contenterai d'en rapporter quelques éxemples tirés des anciens livres de Paris du tems de Saint Louis, ce Prince qui aima tant le Chant Ecclésiastique, et qui le faisoit chanter selon l'usage de la même Eglise de Paris jusques dans ses voyages d'outremer. Un des petits Antiphoniers portatifs de son tems * [*Ils sont in-octavo. in marg.] me fournit celui-ci. Je l'indiquerai avec le rit dont ces Répons se chantoient. Ils étoient censés brefs à cause du peu de paroles dont ils étoient composés: mais on les chantoit selon le rit des autres Répons de l'Office, comme il s'ensuit:

[Lebeuf, Traité, 139; text: Clericus. ESto nobis, Chorus, Domine * Turris fortitudinus. A fa-] [LEBTRA1 28GF]

[-140-] [Lebeuf, Traité, 140,1; text: cie inimici. Chorus. Turris fortitudinis. Gloria Patri et Filio et Spiritui sancto. Esto nobis, Domine] [LEBTRA1 28GF]

Autre éxemple de Répons des petites Heures de Carême, tiré des anciens livres:

[Lebeuf, Traité, 140,2; text: IN pace Chorus in idipsum * Dormiam et requiescam. Si dedero somnum oculis meis, et palpebris meis dormitationem. * Gloria Patri et Filio et Spiritui] [LEBTRA1 29GF]

[-141-] [Lebeuf, Traité, 141,1; text: sancto. Chorus. In pace in.] [LEBTRA1 29GF]

Troisiéme éxemple de Répons des petites Heures des Féries de Carême, aussi tiré des anciens livres.

[Lebeuf, Traité, 141,2; text: SPes mea, Chorus, Domine * A juventute mea. In te confirmatus sum ex utero de ventre matris meae tu es meus protector. A juventute mea. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto. Spes mea, Domine, et cetera.] [LEBTRA1 29GF]

Le témoignage de plusieurs personnes [-142-] qui ont oüi chanter pendant bien des années en quelques Eglises Cathédrales ces sortes d'anciens Chants, et qui ont été charmées de leur éxécution, pourroit servir à persuader qu'il en a dû être de même autrefois à Paris. Au moins on tombera d'accord que ce Chant en pur Plainchant-roulant et sans serpent, convenoit très-fort au Carême, qu'il étoit capable d'y exciter la piété et la componction, et que le mêlange de toutes les voix au pur unisson fait en cette occasion un très-bon effet sur ces paroles ou équivalentes dans un gros choeur, surtout étant répetées pendant plus d'un mois; parcequ'il donne le loisir de les goûter, et à tout un choeur nombreux la facilité de les éxécuter, comme s'il n'y avoit qu'une seule voix qui les chantât.

J'ai remarqué que dans l'Eglise de Paris il y a des piéces de Chant où toutes les voix se mêlent sans aucuns accords de Musique, et où les Enfans-de-Choeur chantent avec les autres voix en pur Plainchant: telle est l'Antienne Exurge, avant les Processions, et cetera.

C'est véritablement en ces sortes d'occasions qu'on peut appliquer cette expression Poëtique de Fortunat sur le [-143-] Chant de la même Eglise de Paris:

Tympana rauca senum puerilis fistula mulcet.

Et si jamais on songeoit à rétablir l'ancien Chant d'Esto nobis, Domine, turris fortitudinis, pour les Répons brefs des Féries de Carême, on s'appercevroit bientôt que sa modulation dans la bouche de trente ou quarante voix quoiqu'en simple Plainchant, auroit quelque chose de très-touchant. On m'a prié d'ajouter ici une imitation de ce Repons sur les paroles d'un des Répons brefs de ces Féries Quadragésimales qui pourront s'y ajuster. Je le fais en me conformant au rit ancien de Paris, suivant lequel ces mêmes Répons étoient exécutés; et je retranche la périélese ou machicotage de la fin du verset, parcequ'elle gâteroit tout par sa descente hors d'oeuvre: on peut d'ailleurs faire en Carême quelques retranchemens sur ce point, par une raison assez semblable à celle qui a fait supprimer ce machicotage dans l'Office des Morts. Voici le Répons bref de Sexte du nouveau Breviaire sur l'ancien Chant dont je viens de parler.

[-144-] [Lebeuf, Traité, 144; text: Clericus. MIserere Chorus nostrî, Domine, * Quia repleti sumus despectione. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.] [LEBTRA1 30GF]

Autant que je viens de m'étendre pour faire connoître certains anciens Chants de Carême portant à la componction, et dont il auroit été à propos de rétablir quelques-uns; autant en pourrois-je dire eu faveur d'une autre espéce de Chant de Répons brefs, qui étoit anciennement pour les Grandes Fêtes dans toute la Province de Sens. Ce Chant est encore en plusieurs Diocèses, et probablement a-t-il été dans toute la Lyonnoise; puisqu'il est encore usité aux grandes [-145-] Fêtes à Lyon, et même à Bourges Eglise Patriarchale de toute l'Aquitaine. Il ne faut point douter qu'il n'eût été aussi à Paris: mais il y a fort long-tems qu'il y est cessé. De sorte qu'aux Fêtes Annuelles et Solemnelles où les Répons brefs admettent l'Alleluia, on chante un Chant très-simple, et qui ne se trouve orné dans les grands Choeurs que par le moyen de la multitude des accords de Musique, que les différentes voix font dessus. Mais comme ces grands Choeurs garnis de voix Musicales sont les plus rares, il paroît qu'il eût été convenable de proposer pour les Eglises où l'on est réduit au simple Plainchant, une modulation plus chargée et plus ornée; afin qu'on s'en servît dans ces Eglises, au moins à la Fête Patronale, où il faut de la distinction.

Lorsqu'on aura pris ce parti, on pourra choisir la maniére de moduler ces Répons, usitée dans les Eglises Cathédrales que je viens de nommer. Il y a plusieurs maniéres de le chanter sur le sixiéme mode: il y en a aussi une du huitiéme, et toutes sont gracieuses et solemnelles.

[-146-] Modulation du sixiéme mode Grégorien pour les Répons brefs des grandes Fêtes, tirée des livres des Eglises en-deçà de la Loire.

[Lebeuf, Traité, 146; text: In omnem terram exivit sonus eorum. * Alleluia. Et in fines orbis terrae verba eorum. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.] [LEBTRA1 30GF]

[-147-] Autre modulation du sixiéme mode pour les mêmes Répons brefs, tirée des livres des Cathédrales d'au-delà de la Loire.

[Lebeuf, Traité, 147; text: In omnem terram exivit sonus eorum. * Alleluia. Et in fines orbis terrae verba eorum. * Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.] [LEBTRA1 31GF]

[signum] On chante à Soissons les Répons brefs à la Fête-Dieu sur l'un de ces Chants.

[-148-] Autre encore du sixiéme, tirée des livres d'une autre Eglise d'au-delà de la Loire.

J'ai appliqué sur ce Répons des Apôtres ce qui est sur le Répons bref de saint Estienne, Lapides torrentis.

[Lebeuf, Traité, 148,1; text: In omnem terram exivit sonus eorum, * Alleluia. Et in fines orbis terrae verba eorum. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.] [LEBTRA1 31GF]

Modulation du huitiéme mode pour les mêmes Répons brefs, tirée des livres d'une Eglise située sur la Loire.

[Lebeuf, Traité, 148,2; text: In omnem terram exivit sonus eorum] [LEBTRA1 32GF]

[-149-] [Lebeuf, Traité, 149,1; text: * Alleluia. Et in fines orbis terrae verba eorum. Gloria Patri et Filio et Spiritui sancto.] [LEBTRA1 32GF]

Autre modulation du huitiéme mode, que j'ai trouvée sur le Répons bref de Prime dans un livre d'Office de l'Eglise d'Arles, écrit vers l'an 1400. Il est parmi les Manuscrits Colbert, Cod. 3724. et à la cotte de la Bibliothéque d'aujourd'hui 4436. 4. 4. a.

[Lebeuf, Traité, 149,2; text: Christe Jesu Fili Dei vivi, * Miserere nobis. Qui surrexisti à mortuis] [LEBTRA1 32GF]

[-150-] Il n'est pas difficile de ressentir la beauté de ces Chants, sur-tout en les chantant lentement, comme il convient aux grandes Fêtes pour lesquelles ils ont été destinés.

Les livres de l'Eglise Métropolitaine d'Arles sont d'autant plus précieux, que l'on y voit l'ancienne tradition des Eglises des Gaules sur les deux Saints Denys soigneusement conservée. Ainsi dans le Calendrier du livre dont je viens de tirer ce beau Chant du Répons bref de Prime, il y a au 3. Octobre: Cypriani Episcopi et Conf. IX. Lect. Dionysii Episc. et Mart. Et au 9. du même mois: Dionysii, Rustici, et cetera.

[Footnotes]

(a) [cf. p.2] Dissertation sur l'état des Sciences en France sous Charlemagne, à Paris, chez Jacques Guerin, Quai des Augustins, 1734.

(b) [cf. p.2] Dissertation sur l'état des Sciences en France depuis la mort de Charlemagne, jusqu'à celle de Roi Robert, à la tête du II. Tome du Recueil de divers Ecrits, chez Barrois, Quai des Augustins, 1738.

(a) [cf. p.4] L'inventeur de cette syllabe si nécessaire ne s'est [-5-] point fait connoître. Les uns disent que ce fut Lemaire, d'autres disent que ce fut Metru, d'autres enfin disent que ce fut Monsieur Dupuy.

* [cf. p.5] S'il n'avoit pas paru nécessaire de multiplier les syllabes pour désigner les sons, il n'y avoit qu'à se contenter d'ut re mi fa mis deux fois de suite; cela auroit exprimé les sons de l'octave: mais quel embrouillement n'eût-ce pas été?

(a) [cf. p.6] Tout le monde s'apperçoit de l'utilité dont font dans le genre d'écrire les deux sortes d'I, sçavoir i et j; et les deux sortes d'U, sçavoir u et v. Cette augmentation [-7-] de caractéres si favorablement reçue depuis quelque tems, et si utilement pratiquée pour la commodité des enfans, fait espérer qu'il en sera de même de l'augmentation des syllabes qui désignent le semi-ton.

(a) [cf. p.8] Remi d'Auxerre le plus sçavant personnage qui fut dans toute l'Eglise Latine à la fin du neuviéme siécle, n'avoit point d'autre idée que nous sur l'origine de ces mots Grecs, comme on peut le voir dans son Commentaire manuscrit sur le Traité de Musica de Martianus Capella qui est à la Bibliotheque du Roy. Cod. 5304.

Il tenoit sa science d'Heric; Heric la tenoit de Raban et d'Haymon d'Halberstad, lesquels avoient conversé avec les Chantres Romains venus en France sous Charlemagne, ou avec leurs premiers éléves.

(a) [cf. p.15] Une Chronique de Tours, Tome VI. maxim<.> Collect. Martene, lui attribue le Répons de Saint Martin, qui commence, O quàm admirabilis.

(a) [cf. p.17] In divinis cantibus audiendis sibi admodum complacebat. Supplement. Manusc. ad Chron. Roberti S. Mariani Autiss. ad an. 1199.

(a) [cf. p.19] Il commence par ces mots: Vrbem Cappadoces.

(b) [cf. p.19] On croit que c'est Pierre de Corbeil mort en 1222. mais les Manuscrits que j'ai vû de cet Office, m'ont paru plus anciens. Je ne mets point Maurice de Sully parmi les Auteurs du Chant Ecclésiastique. On croit faussement que cet Evêque de Paris est auteur des Répons de l'Office des Morts. Ils sont plus anciens que lui, excepté peut-être le Répons Congregati sunt. qui paroît fabriqué en France, et qui peut avoir été modulé à Paris, ou à Sens, ou bien à Chartres.

(a) [cf. p.21] Je tais ici un grand nombre d'Evêques d'Auxerre' pour ne parler que d'un seul. Erard de Lesignes, Cardinal, qui avoit été à Rome au XIII. siécle, y avoit entendu de si beaux Répons de l'histoire de Noë et d'Abraham pour les semaines de la Séxagésime et Quinquagésime, qu'il les introduisit dans son Eglise. Ce fait est très-mal rapporté au I. Tome de la Bibliothéque des Mss. du P. Labbe, page 505. parceque l'Imprimeur a omis deux ou trois lignes qui sont dans le manuscrit original que l'on conserve à Auxerre.

(a) [cf. p.25] Son ouvrage est en manuscrit à Sainte-Geneviéve de Paris. Oudin assure l'avoir aussi vû à l'Abbaye de Foigny, et en celle de Bucilly, Ordre de Prémontré.

(a) [cf. p.43] Je ne parle pas de quelques autres Offices fabriqués au même siécle, tel qu'est celui de la Conception, et celui de sainte Elisabeth Reine de Hongrie. Ils ne sont bons qu'à prouver la grossiéreté du goût qui régnoit alors, ou la simplicité des Auteurs. Voyez le Mercure de France, Février 1737. page 239.

* [cf. p.44] Il y eut aussi alors des Antiennes composées de vers héxamétres pour les Nocturnes des Dimanches, la premiére commençoit Pro fidei meritis. Voyez les anciens livres de Paris, et cetera.

(a) [cf. p.49] Je tiens ce terme de Monsieur Chastelain.

(b) [cf. p.49] J'ai été étonné de la voir scrupuleusement observée dans le projet de Bréviaire intitulé Breviarum Ecclesiasticum.

(a) [cf. p.51] Ce terme est nécessaire ici; il est tiré du Latin Directaneus, employé pour signifier les Chants sans élévation ni infléxion dans la régle de saint Aurelien d'Arles, de saint Benoît, et autres qu'on peut voir citées par Monsieur Ducange Glossar. med. et infimae Latin. voce Directaneus.

(a) [cf. p.74] Saint Odon s'exprime ainsi. Cod. Colbert. 2415. Diaphonia vocum conjunctionem sonat quam nos organum vocamus, cùm disjunctae ab invicem voces et concorditer dissonant et dissonanter concordant.

Guy Abbé Cistercien du XII. siécle rapportant les régles de cette organisation, dit: Si cantus ascendit duas voces et organum incipit in duplici voce, descenderit tres voces et erit in quinta, vel descenderit septem voces et erit cum cantu. Voilà l'accord à la quinte et à l'octave.

(a) [cf. p.88] On disoit en commun proverbe, Li Chanteor de Sens, au XIII. siécle. Voyez le Mercure de France de Février 1734. page 216.

(a) [cf. p.92] Magister cantûs statutis horis doceat pueros Planum cantum principaliter, et Contrapunctum, et aliquos Discantus honestos.... nec faciat eos tantùm insistere in talibus, quòd perdant in Grammatica profectum, attent<.> [-93-] maximè quod in Ecclesia nostra Discantus non est in usu, sed per statuta prohibitus, saltem quoad voces que mutatae dicuntur. Gerson, tome IV. ultimae edit. page 717. Monsieur Dupin a tiré ce Traité d'un Manuscrit de saint Victor de Paris, où je l'ai vû, et où j'ai lû Planum cantum, et non pas Plenum cantum, comme il a mis dans son édition.

(a) [cf. p.104] L'Historien qui peut être fidéle dans tout ce qu'il dit, donne ici une mauvaise origine du mot Sequentia. On voit au reste que Dom Mabillon a douté prudemment dans sa Liturgie Gallicane, que Notker fût le premier auteur des Proses ou Séquences, page 19.

(a) [cf. p.105] Voici le reste du texte: Hic constituit ut Clerici Romani instruerent pauperes Domini nostri J. C. fratres nostros, ut ante Dominicum saecratissimum diei Paschae tribus diebus, hoc est, Domini Coenâ, Parasceve, et sanctâ sepulturâ Domini nostri Jesu Christi, non aliter peterent eleemosynam per urbem hanc Romanam, nisi excelsâ voce cantilenam dicendo per plateas et ante Monasteria et Ecclesias hujusmodi: Kyrie, eleison. Christe, eleison. Domine, miserere nobis. Christus Dominus factus est obediens usque ad mortem. C'est ce qu'on chante aujourd'hui en France à la fin des Ténébres. Vrbem hanc dénote que cet abrégé des actions d'Adrien II. avoit été écrit à Rome.

(a) [cf. p.113] Il eut soin de la belle édition gothique du Breviaire de Paris in-fol. de l'an 1492. dont il y a un éxemplaire à la Bibliothéque de N. D. et un chez les Barnabites.

(a) [cf. p.117] J'en ai dit la raison en écrivant sur la Translation du Corps de saint Marcel, Evêque de Paris, dans mes Observations sur l'Histoire de la même Ville, que Durand Libraire, rue Saint Jacques, a fait imprimer en l'année 1739.


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