TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Fn and Ft: RAMERR TEXT
Author: Rameau, Jean-Philippe
Title: Erreurs sur la musique dans l'encyclopédie
Source: Erreurs sur la musique dans l'encyclopédie (Paris: Sebastien Jorry, 1755; reprint ed. New York: Broude Brothers, 1969).
[-1-] ERREURS SUR LA MUSIQUE DANS L'ENCYCLOPEDIE.
A PARIS,
Chez Sebastien Jorry, Quai des Augustins, près le Pont Saint Michel, aux Cigognes.
M. DCC. LV.
Avec Approbation et Privilége du Roi.
[-3-] ERREURS SUR LA MUSIQUE DANS L'ENCYCLOPÉDIE.
Les Chiffres comme 1. 2. 3. 4. et cetera marqueront les Alinea de l'Article dont il sera question.
Accompagnement, page 75.
1. C'Est l'exécution d'une harmonie complette et réguliére (a) et cetera à quoi j'ajouterai, représentant le corps sonore, pour éviter [-4-] dans la suite toute équivoque, toute discussion.
Il semble, en effet, que le Musicien ait imaginé l'Accompagnement de l'Orgue ou du Clavecin, pour présenter continuellement à l'oreille cette harmonie fondamentale, complette et réguliére, que nous offre la Nature dans tous les Corps sonores.
2. On y a pour guide et cetera. Les Italiens méprisent les chiffres; la partition même leur est peu nécessaire; la promptitude et la finesse de leur oreille y supplée, et ils accompagnent fort bien, pour ceux qui ne s'y connoissent pas (falloit-il ajouter) sans tout cet appareil.
[-5-] C'est justement parce que les Italiens n'ont que leur oreille pour guide dans la Composition, aussi bien que dans l'Accompagnement, que le Chiffre, faute de Méthode, ne leur est pas d'un grand secours: et c'est aussi la raison pour laquelle ils péchent à tout moment, dans cet Accompagnement, contre la plénitude de l'harmonie, et contre sa succession naturelle, comme cela va se vérifier.
Pour juger d'un Art, surtout en Législateur, il faut non seulement le connoître, il faut de plus être doué de tous les talens qu'on doit y supposer, pour pouvoir se rendre raison des effets qu'on en éprouve.
[-6-] On dit que les Italiens accompagnent fort bien sans Chiffres, même sans Partition: remarque frivole, à laquelle je répondrai, sur le même ton, que les François font plus, puisqu'ils accompagnent d'oreille les yeux fermés. Donc la promptitude et la finesse de l'oreille l'emportent chez ceux-ci sur les premiers.
Les moins expérimentés accompagnent sans chiffres et sans partition les Rondeaux qui ne roulent presque jamais que sur deux ou trois tons rélatifs; mais lorsqu'il s'agira de ces transitions que l'oreille ne peut pressentir, et dont je parlerai bientôt, c'est-là qu'échouent les plus grands talens au défaut de la Méthode.
[-7-] La plus grande preuve qu'on puisse donner contre son oreille en Musique, c'est de vouloir faire entendre qu'une nation peut en être plus favorisée qu'une autre.
L'expérience forme l'Oreille, Il y a des têtes également bien organisées chez toutes les Nations où la Musique est en régne; mais tel qui aura passé ses premieres années dans un lieu où l'on entend rarement de la Musique, peut fort bien n'être pas compris dans le nombre.
Page 76. 6. huitiéme ligne, Monsieur Rameau réduit à deux cas cette succession et il prononce en général, qu'un Accord consonnant ne peut être précédé que de celui de septiéme [-8-] de la dominante, ou de celui de sixte-quinte de la sousdominante, excepté dans les cadences rompuës, et dans les suspensions; encore prétend-il qu'il n'y a point d'exception quant au fond. Il nous paroît que l'Accord parfait peut encore être précédé de l'Accord de septiéme diminuée, et même de sixte superfluë.
Cette citation de Monsieur Rameau est tirée de son Plan d'Accompagnement, page 22. (a) où il admet les cadences pour principe (ce qu'il falloit dire) et ausquelles il n'oppose d'exceptions que rélativement à sa méthode et à son [-9-] doigter (ce qu'il falloit dire encore ) sans quoi il n'auroit pas ajouté immédiatement après, où (ce mot se rapporte aux cadences) je prouverai cependant qu'il n'y a point d'exception quant au fond; puisqu'effectivement l'Accord consonnant qui termine la cadence rompuë est précédé de même que celui qui termine la parfaite, et puisque la suspension ne fait que suspendre pour un instant la route d'une ou deux notes de quelque Accord que ce soit.
Quant à l'objection, Il nous paroît et cetera c'est manquer de connoissance et d'oreille, que de ne pas reconnoître l'Accord sensible, seul annéxé à toute Dominante [-10-] qui précéde un Accord consonnant, dans les Accords de septiéme diminuée et de sixte superfluë, qui annoncent toujours, de même que le sensible, une Cadence parfaite, plus ou moins absoluë, en quoi consiste toute leur différence. S'il s'y trouve encore une différence entre le Mode majeur et le mineur, ce n'est pas là le cas d'en faire mention, puisqu'il ne s'y agit que des Cadences également pratiquées dans l'un et l'autre Mode par tous ces mêmes accords: étant à remarquer que Monsieur Rameau a donné le nom d'Accord sensible à celui de la septiéme d'une Dominante qui précéde le Consonnant, Dominante [-11-] qu'il appelle ensuite Dominante tonique, pour que ce même accord soit toujours reconnu dans toutes ses différentes combinaisons ou imitations, de même qu'il y est sensible, et cela rélativement à la tonique, de laquelle seule on doit être principalement occupé dans l'Accompagnement.
Dans quel labyrinthe ne jettet-on pas un Amateur Curieux par toutes ces différences qui peuvent etre recueillies sous un seul objet? Le détail des régles de la Musique est immense, il est impossible de pouvoir les communiquer par ce détail: au lieu que leur principe est simple, précis, et facile à concevoir.
[-12-] C'étoit dans un Ouvrage, tel que le Dictionnaire Encyclopédique, qu'il falloit s'attacher uniquement au principe, sans y entrer dans des détails qui, quand même ils seroient justes, jettent de la confusion et rebutent à la fin.
Après le principe posé, on peut donner à la fin le détail qui en dépend, mais en recommandant de s'y attacher plus ou moins, selon que le besoin le requiert, comme je le dirai en tems et lieu.
Page 76. deuxiéme colonne. Premier. Quoique suivant les principes et cetera il y a des Accords qui seroient insupportables avec tout ce remplissage.... [-13-] Un accord n'est tel qu'avec tout son remplissage, il doit être complet selon la définition: s'il est insupportable, pourquoi l'employer? Mais en ce cas ce n'est plus un Accord, et s'il est Accord il est donc supportable.
Le défaut d'oreille est un grand obstacle à quiconque prétend se donner pour Législateur en Musique.
Ibidem. Dans la plupart des Accords dissonans... il y a quelque son à retrancher... Ce Son est... quelquefois la Quinte. Peut-on se donner pour Musicien, et prononcer contre la Quinte qui est l'arboutant de l'harmonie, et qu'on doit par conséquent préférer partout [-14-] où elle peut être employée? A-t-on oublié que l'Accompagnement est l'exécution d'une harmonie complette et réguliére? On décide ici déja contre le compléement; mais comment la régularité se trouvera-t-elle dans un Accord dont on retranchera quelques sons? La régularité de l'harmonie consiste autant dans sa succession que dans sa plénitude: un son doit y être précédé et suivi de tel et tel autre, si vous le retranchez, que devient pour l'oreille le son qui le précéde, et comment reçoit-elle celui qui doit le suivre, lorsqu'elle n'est nullement prévenuë en sa faveur? Il en est de ce défaut de succession, [-15-] pour les oreilles délicates, comme d'un homme à qui la voix manque au milieu d'une phrase.
Comparons la définition de l'Accompagnement avec les retranchemens qu'on propose, nous verrons qu'on n'y est nullement d'accord avec soi-même. Voyons maintenant jusqu'où l'Auteur va porter son indiscrétion, nous reconnoîtrons bientôt, ou qu'il s'en est laissé imposer, ou qu'il veut nous en imposer lui-même.
Page 77. Cinquiéme. quatorziéme ligne. Les Italiens font peu de cas du bruit.... Une tierce, une sixte bien adaptée, même un simple unisson, c'est à-dire, rien, quand le besoin le demande, leur plaisent plus [-16-] que tout notre fracas et cetera. En un mot ils ne veulent pas qu'on entende rien dans l'Accompagnement, dans la Basse, qui puisse distraire l'oreille de l'objet principal, et ils sont dans l'opinion que l'attention s'évanoüit en se partageant. Les François enchérissent encore sur cette opinion: car ils prétendent qu'on ne doit point s'appercevoir de l'Accompagnement dans un Concert, qu'on doit seulement s'appercevoir qu'il n'y est pas lorsqu'il y manque.
Monsieur Rousseau va plus loin dans sa Lettre sur la Musique Françoise page 51. jusqu'à 56. où il prétend nous donner pour rafinement [-17-] de goût une harmonie dénuée de sa plénitude: pur effet de l'ignorance commune à tous ceux qui n'ont que leur oreille pour guide dans l'Accompagnement.
Ce qui peut se présenter à l'oreille à force de tâtonnemens, ne se présente pas de même au jugement, ni aux doigts dans la promptitude de l'exécution, où l'on n'a pas le tems de réflèchir: et c'est pour lors qu'au défaut de pouvoir exécuter sur le champ un certain fond d'harmonie, on s'accroche à quelques notes de la Partition, sinon l'on s'en tient à l'Octave de la Basse. Tel est ce rafinement prétendu, ce choix si [-18-] heureusement pratiqué, et si heureusement conçu, commun presqu'à tous les Accompagnateurs sans Méthode.
Si le choix des intervalles, et du lieu où ils doivent être placés, si encore la résonnance des uns doit l'emporter sur celle des autres, cela ne peut regarder que l'objet principal du Concert, qui seul doit occuper l'Auditeur; mais dans un Accompagnement qui ne doît pas distraire de cet objet principal, et qui n'est admis que pour représenter le Corps sonore, ce choix devient non seulement inutile, mais pernicieux, dès qu'il se fait au préjudice du compléement de l'harmonie ordonné [-19-] par la Nature même, et confirmé par la définition donnée: outre qu'au défaut de ce compléement, la succession est interrompuë par les parties obmises: si bien que c'est justement en ce cas que l'Accompagnement pourra manquer, puisque l'oreille n'y trouvera plus cette nourriture d'harmonie que lui offre le corps sonore en résonnant.
Si nous y réfléchissons un peu, nous verrons combien la plénitude de l'harmonie dans l'Accompagnement est nécessaire aux Concertans, soit lorsque l'oeil ou l'oreille même peut les tromper, soit par une faute de copie, soit surtout lorsqu'ils veulent ajouter [-20-] au Chant quelques ornemens de leur goût: ils ne voyent dans leur partie qu'une seule note d'une harmonie qui en peut contenir jusqu'à cinq différentes: or quelque bien organisés qu'ils soient, ils tomberont souvent en défaut, en se prévenant sur une modulation toute naturelle, dont le Compositeur se sera expressément écarté pour surprendre, si l'Accompagnateur n'a pas soin pour lors de rendre son harmonie complette, dans l'incertitude où il doit être de l'intervalle capable de guider l'oreille en pareil cas.
Les plus grands Musiciens, c'est-à-dire seulement ceux qui ont le plus de talens dans leur [-21-] Art, se préviennent quelquefois contre certains intervalles, faute de réflèxion. Les Italiens, par éxemple, ont affecté pendant longtems de ne point employer la quinte superfluë dans leur harmonie, quoique ce soit la Note sensible même, et par conséquent la plus capable de mettre l'oreille sur les voies de la modulation: je ne sais ce qui en est à présent: et c'est apparemment sur de pareilles préventions qu'on a fondé le prétendu retranchement, et le choix imaginaire absolument contraire à la définition.
Les Italiens font peu de cas du bruit. Je rappelle ce discours pour faire remarquer que le mot de [-22-] bruit trop familier à l'Auteur, en fait d'harmonie, ne peut guères être prononcé que contre une mauvaise harmonie, sinon c'est à l'oreille de celui qui la taxe de la sorte qu'il faut s'en prendre.
Quand il s'agit de résoudre une question en Musique, c'est la Nature qu'il faut consulter, et non pas son opinion.
Si l'harmonie de l'accompagnement doit être donnée avec une certaine discrètion, notre unique modèle, en ce cas, est le corps sonore qu'il représente: le son fondamental de ce corps sonore domine tellement sur ses harmoniques, qu'à peine ceux-ci se distinguent avec lui: donc on ne [-23-] sçauroit trop multiplier les sons de la Basse, et diminuer la force de ceux de son harmonie; c'est pourquoi, nonseulement on double la Basse avec ses Octaves, d'autres instrumens l'exécutent encore avec le Clavecin: et quant aux Accords, si l'effet en domine trop, c'est le bruit de l'instrument qu'il faut diminuer, et non pas celui qu'on suppose si mal-à-propos dans l'harmonie, qu'on ne peut tronquer sans déroger aux loix de la Nature même, tant dans la plénitude d'harmonie qu'elle nous prescrit, que dans la plus parfaite succession qu'elle nous indique par les routes fondamentales qu'on en reçoit.
[-24-] L'amour-propre est un grand séducteur, surtout quand il favorise nos passions, nous ne pouvons imaginer pour lors qu'il y ait des bornes au-delà de notre point de vuë.
Si la Mesure est naturelle à tous les Animaux, c'est aussi le premier effet qui nous frappe en Musique: nous ne devenons sensibles aux rapports des sons qu'après l'avoir écoutée, cette Musique, pendant quelque tems: notre sensibilité sur ce point n'a d'abord que la Mélodie pour objet, et ce n'est qu'après un certain nombre d'années, selon qu'on est plus ou moins bien organisé, qu'on entend plus ou moins souvent [-25-] de la Musique, et qu'on y donne plus ou moins d'attention, qu'enfin l'harmonie commence à prendre le dessus. Or, l'on s'apperçoit assez par tous les raisonnemens de l'Auteur, qu'il n'est encore sensible qu'à la seule Mesure, puisqu'il a pû souscrire à un retranchement de parties dans les Accords, qui interrompt la succession de ces parties, et par conséquent la Mélodie qui en doit naître, surtout quand il se trouve une dissonance avant ou après la partie retranchée. Il est vrai que ce défaut échappe volontiers dans l'Accompagnement; mais rien ne doit échapper dans un Art dont on veut rendre compte, [-26-] chaque partie d'une harmonie successive ayant sa mélodie naturelle qui, même, doit faire loi avant toute chose: aussi estelle le plus généralement suivie dans les Chants les plus agréables. (a)
Ce n'est donc, à le bien prendre, que la Mesure qui a séduir ici Monsieur Rousseau, attendu qu'elle tient l'un des premiers rangs dans les airs Italiens: aussi s'est-il fort étendu sur cet Article dans la Lettre que j'ai déja citée, jusqu'à reprocher à notre Musique de n'en être pas susceptible, lorsqu'elle n'y péche que dans le [-27-] Récitatif, aussi bien que celui des Italiens, encore la Mesure des Vers y supplée-t-elle: c'étoit au contraire l'occasion d'en faire l'éloge, puisque les sentimens du coeur, les passions ne peuvent être bien rendus qu'en altérant la Mesure.
Un Particulier qui a besoin d'être excité, d'être animé par le mouvement, parce qu'il n'est encore sensible qu'à la différence du haut et du bas, du doux et du fort, est pardonnable; mais un Musicien, du moins se donnant pour tel, qui veut dogmatiser...
On voit donc assez qu'uniquement occupé de la Mesure, tout le reste lui a échappé. Au défaut [-28-] de l'oreille il a vû l'Italien employer tantôt plus, tantôt moins de doigts dans les Accords, d'où il a conclu que celui-ci ne complettoit pas toujours ces Accords: prévenu en faveur d'un pareil Accompagnement, il en a auguré si favorablement qu'il a voulu nous le donner pour modéle dans sa Lettre, et pour mieux nous convaincre sur ce sujet, il y applique ce qui n'y est de nulle conséquence, et que Monsieur Rameau n'a prétendu appliquer qu'aux parties dominantes du Concert: voici les propres termes de la Lettre. (a) Je me souvins [-29-] alors d'avoir lû dans quelqu'Ouvrage de Monsieur Rameau, que chaque consonnance a son caractére particulier, une maniere d'affecter l'ame qui lui est propre; que l'effet de la tierce n'est point le même que celui de la quinte et cetera. Plus loin page 57. C'est donc un principe certain et fondé dans la Nature, que toute Musique où l'harmonie est scrupuleusement remplie, tout Accompagnement où tous les Accords sont complets, doit faire beaucoup de bruit, mais avoir très-peu d'expression et cetera.
On ne peut que louer extrémement toutes les conséquences tirées de ces principes, excepté qu'ils ne conviennent point à [-30-] l'accompagnement du Clavecin, pour lequel on les rappelle: cet Accompagnement représentant partout le corps sonore, dont l'harmonie est toujours complette, je le répéte encore, outre les autres raisons que j'ai rapportées en faveur de ce compléement.
Le défaut de connoissance et d'oreille a donc fait appliquer mal-à propos de si beaux principes à un objet qui n'en est nullement susceptible, de sorte que par ce moyen l'on s'est crû en droit de pouvoir citer comme une perfection un véritable trait d'ignorance, sans y voir ni sentir qu'il en naissoit un défaut essentiel, contre la mélodie même, en faveur [-31-] de laquelle tant de beaux raisonnemens ont été imaginés.
Rappellons-nous ces mots cités il n'y a qu'un moment, ils, c'est-à-dire, les Italiens, ne veulent pas qu'on entende rien dans l'Accompagnement, dans la Basse, qui puisse distraire l'oreille de l'objet principal, et ils sont dans l'opinion que l'attention s'évanoüit en se partageant. Si cela est, à quoi sert donc ce choix si heureusement conçu, puisque l'attention ne doit pas s'y porter.
Surprendre un Législateur de Musique dans un cas d'insensibilité à la mélodie, c'est-à-dire ici, à la marche naturelle et indispensable que doivent avoir entre-elles [-32-] les parties de plusieurs accords successifs, c'est déja beaucoup; mais que conclure de cette contradiction surprenante qui se trouve entre tout l'article et sa définition? le jugement n'y est-il pas aussi nécessaire que l'oreille?
Pour un Partisan de la Mélodie c'est bien mal prendre sa bisque que de s'inscrire contre la plénitude de l'harmonie en général.
Quoique l'effet de la tierce soit différent de celui de la quinte, ce n'est pas à dire pour cela qu'il faille retrancher une consonnance en faveur de celle dont l'effet doit dominer: c'est le plus souvent dans le défaut de proportion entre les voix, entre les instrumens, [-33-] que la partie qui devroit dominer, se trouve éteinte par celle qu'on ne devroit entendre qu'à peine, de même que les sons harmoniques du corps sonore. Souvenons-nous de l'effet qu'a produit sur toutes les ames sensibles l'Amour triomphe, dans un Choeur de Pigmalion, où l'Acteur reprend seul, avec le Choeur, ces mêmes paroles sur la dix-septiéme, double octave de la tierce, pendant que le son fondamental y est extrêmement multiplié par des unissons et des octaves, et pendant que la douziéme, octave de la quinte de ce même son fondamental, est aussi multipliée, mais moins: c'est bien là que l'harmonie [-34-] triomphe, sans le secours d'une mélodie qui affecte par elle-même, ni d'aucun des accessoires dont cette mélodie a besoin pour se rendre agréable, sçavoir, la mesure, la différence du haut et du bas, du doux et du fort, le son de la voix ou de l'instrument, la situation et l'Acteur, dont on tient souvent ce qu'on attribuë à la seule mélodie: laissant à part l'harmonie, qui ordonne de la modulation et des intervalles propres à l'effet, et dont l'empire absolu règne partout, comme une mére sur ses enfans.
Ce seul exemple doit détruire tout ce beau raisonnement, qu'on a employé dans la Lettre pour [-35-] établir une chimére, l'unité de mélodie, mots qui frappent l'oreille dans le discours, mais dont l'effet n'a que de foibles attraits en Musique sans le secours de l'harmonie; outre que ce mot d'unité ne peut empêcher que chaque partie d'un duo, d'un trio, d'un quatuor, n'ait sa mélodie particulière: qu'est-ce que cela signifie donc? on doit y remarquer, si je ne me trompe, que Monsieur Rousseau a compté sur le peu de connoissance des Lecteurs, et sur des oreilles encore peu versées dans l'Art: qui croiroit cependant que lui-même renverse tout son édifice, après l'avoir élevé jusqu'aux nuës, en disant, page 48. [-36-] et 49. de la Lettre, il faut garder la dureté des dissonances, les sons perçans et renforcés, le fortissimo de l'Orchestre pour des instans de désordre et de transport, où les Acteurs semblant s'oublier eux-mêmes, portent leur égarement dans l'ame de tout Spectateur sensible, et lui font éprouver le pouvoir de l'harmonie sobrement ménagée. Quel pouvoir! la vérité échappe ici malgré qu'on en ait: quel aveu pour un Partisan outré de la mélodie! que lui reste-t-il donc, à cette mélodie? L'usage qu'en font les Italiens va bientôt nous l'apprendre.
Outre le susdit éxemple, combien n'y a-t-il pas d'autres Choeurs [-37-] de Monsieur Rameau, sans parler de celui de l'Opéra de Jephté, qui ont également pénétré jusqu'à l'ame: il est vrai que la plûpart sont secondés pour lors d'une situation intéressante.
D'ailleurs les situations qu'exposent les Monologues de Thesée au quatriéme Acte d'Hippolyte et Aricie, de Télaire au deuxiéme Acte de Castor et Pollux, de Tirtée au deuxiéme Acte, des Talens Lyriques, et de Dardanus, au quatriéme Acte de l'Opéra de ce nom, seront presque insensibles avec la voix seule, à moins que l'Acteur ne soit capable de nous y séduire par son jeu et par son action; au lieu que, fût-il immobile, l'harmonie suppléera certainement à [-38-] son défaut, toute proportion gardée entre la voix et les instrumens: proportion dont le défaut n'est presque jamais soupçonné par ceux qui ont dessein de critiquer, sinon il y auroit bien de la mauvaise foi dans leur critique.
Si l'on prétend fonder l'unité de mélodie sur les unissons dont les violons augmentent le bruit de la vocale, je n'ai plus rien à dire. Je me sers ici du mot bruit familier à l'Auteur en fait d'harmonie; ne seroit il pas plus convenable à la mélodie?
Qu'on éxécute un Chant dénué de tous ses accessoires, de mesure surtout, et où il ne paroisse pas qu'on puisse joindre des paroles, [-39-] on en sera beaucoup moins affecté que d'un tambour qui battra en mesure: qu'on en fasse autant de l'Amour triomphe que j'ai cité, son effet ne changera point, l'harmonie y triomphera toujours.
Au reste ces sortes d'unissons ne conviennent qu'à des airs vifs et gais exempts d'action, d'intérêt, de sentimens, de passions, tels que presque tous les Rondeaux des airs Italiens, où l'on abuse même de cette gaité dans des cas qui y sont opposés. Les Musiciens Italiens ne cherchent en général qu'à amuser l'oreille par des mouvemens qui égaient, qui excitent, qui animent, par des roulades où le Chanteur puisse se [-40-] faire admirer, et par des doux, des forts, des hauts, des bas, à la portée de tout Musicien: de sorte que pour les imiter à propos, cela ne dépend plus que de nos Poëtes.
Il ne faut point de réflèxion pour juger si la Musique plaît ou non; c'est ce qui fait que les Gens de goût ne veulent point l'approfondir, et plus ils sont pénétrans, plus ils cédent aux discours, quoique trompeurs, qui s'accordent avec leur goût, borné d'ailleurs par leur peu d'expérience: on ne s'en tient pas là, on se donne pour Compositeur, on croit pouvoir leur présenter impunément de la Musique dans des genres tout-à-fait [-41-] opposés, comme partant de la même source, imaginant, sans doute faute de sentiment et de connoissance, qu'aucun ne pourra s'appercevoir d'une pareille disparate: c'est un fait qui me revient à la mémoire, dont il y a plusieurs témoins, et que je crois pouvoir citer pour faire connoître combien il est facile d'en imposer à quiconque n'éxamine rien.
Il y a dix ou douze ans qu'un Particulier fit éxécuter chez Monsieur *** un Ballet de sa composition, qui depuis fut présenté à l'Opéra, et refusé: je fus frappé d'y trouver de très-beaux airs de Violon dans un gout absolument Italien, [-42-] et en même tems tout ce qu'il y a de plus mauvais en Musique Françoise tant vocale qu'instrumentale, jusqu'à des Ariettes de la plus plate vocale secondée des plus jolis accompagnemens Italiens. Ce contraste me surprit, et je fis à l'Auteur quelques questions, ausquelles il répondit si mal, que je vis bien, comme je l'avois déja conçu, qu'il n'avoit fait que la Musique Françoise, et avoit pillé l'Italienne.
Je tire à présent de ce fait une conséquence qui me paroît juste, sçavoir que si le Ballet eût été représenté à l'Opéra, et que le Public en eût pû juger comme moi, Monsieur Rousseau n'auroit pas manqué d'en [-43-] tirer avantage en faveur de tous les paradoxes qu'il a avancés dans sa Lettre et cetera. Cependant il auroit eû grand tort, puisque ce Ballet auroit seulement prouvé qu'une bonne Musique Italienne vaut mieux qu'une plate Musique Françoise, que dans l'ouvrage d'un mauvais Auteur, ce qu'il a pillé vaut mieux que ce qu'il a fait lui-même, enfin qu'il n'est pas impossible à cet Auteur de piller de fort bonnes choses, parce que sans aucun génie, dénué d'oreille, de sentiment, d'expérience, et de connoissances, on peut ne pas manquer absolument d'un certain gout; mais ce degré de gout est si commun qu'il ne mérite aucun éloge, [-44-] pas même le nom de gout, réservé à un sentiment plus fin: outre que c'est peut-être lui faire grace encore, puisqu'il peut bien n'avoir fait le choix que sur le témoignage d'un tiers, ou sur une célébrité générale.
Tant qu'on ne considérera que la Mélodie comme principal moteur des effets de Musique, on ne fera pas de grands progrès dans cet Art, puisque même elle y a moins d'empire que la mesure, selon ce que j'en ai déja touché, et ce qu'on peut aisément éprouver d'ailleurs, en éxécutant lentement un air qui aura réjoui par sa gaîté. Au reste, ce n'est ni du haut ni du bas que naît l'expression, [-45-] et c'est uniquement du rapport des modes entrelacés par une certaine transition de l'un à l'autre, excepté qu'on n'y veuille jouer le mot, ou qu'il ne s'y agisse de l'imitation de quelques Météores.
Que l'on passe, par éxemple, du mode d'ut à celui de sol, par l'intervalle d'ut à fa diéze, et que ce fa diéze soit donné au-dessus, ou au-dessous d'ut, dès que l'inflèxion y sera dirigée par le même sentiment, l'effet en sera absolument le même: alternative qui s'observe tous les jours rélativement à l'étenduë des voix, et qu'on peut remarquer dans bien d'autres cas.
[-46-] Ce n'est donc que de l'harmonie, mére de cette Mélodie, que naissent directement les différens effets que nous éprouvons en Musique: non que ses accessoires n'y contribuent, sçavoir la Mélodie, la mesure et cetera mais sans elle, ces mêmes accessoires tombent en pure perte: réflèxion qui ne doit pas être indifférente.
Il s'en faut bien que l'harmonie soit au comble de sa perfection, je n'en ai cité que de foibles esquisses, en comparaison de ce qu'elle pourra produire lorsque la Nature y sera imitée dans tous ses points.
Si le Révérend Père Castel s'en fût tenu à l'harmonie pour constater son [-47-] analogie avec les couleurs, je crois qu'il auroit eû autant de Partisans que de Lecteurs: en effet, l'harmonie, aussi bien que les couleurs, a besoin d'une certaine durée pour que ses rapports puissent pénétrer jusqu'à l'ame: et de même qu'une succession rapide de couleurs ne forme qu'une confusion qui peut, tout au plus, amuser les yeux, de même aussi une succession rapide de sons, ordinaire à la Mélodie, surtout dans des mouvemens vifs, ne fait qu'amuser l'oreille.
Une pareille analogie décide beaucoup en faveur de l'harmonie, dont la durée nécessaire, pour produire son effet sur l'ame, a été reconnuë de nos premiers [-48-] Modernes: voyez Zarlino, Kirkers, et autres, ils disent précisément que la Basse doit marcher a pas lents, pendant que les autres parties peuvent doubler, tripler le pas, et plus: sous-entendant l'harmonie dans le mot de Basse, puisque toute l'harmonie de quelque Musique que ce soit, porte sur la Basse. Mais avons-nous besoin, en ce cas, d'autre autorité que notre propre expérience?
Tout Choeur de Musique qui est lent, et dont la succession harmonique est bonne, plaît toujours sans le secours d'aucun Dessein, ni d'une Mélodie qui puisse affecter d'elle-même: [-49-] et ce plaisir est tout autre que celui qu'on éprouve ordinairement d'un Chant agréable, ou simplement vif et gai: l'un se rapporte directement à l'ame, l'autre ne passe pas le canal de l'oreille: j'en appelle encore à l'Amour triomphe, déja cité plus d'une fois: que l'on compare le plaisir qu'on en éprouve à celui que causera un air, soit vocal, soit instrumental, bientôt on en sentira la différence.
Allons plus loin, et remarquons que, dès qu'il s'agit de peindre une situation dans une Mélodie dont la vivacité doit répondre à un caractére vif, gai, bouillant, effréné, si l'on n'y rallentit [-50-] pas le mouvement, ou du moins si l'on ne donne pas à la Note, sur laquelle l'expression doit se faire sentir, une valeur double, triple, quadruple, et même plus, de celle qu'éxige le courant du chant, l'effet est manqué: ce qu'on reconnoîtra dans tous les morceaux de Musique, où se trouvent quelques traits sensibles d'une expression marquée.
Croit on pour lors que l'effet éprouvé naisse de la Mélodie? On se trompe: ce repos forcé, dont je viens de parler, n'a lieu que pour faire sentir à l'ame le rapport des deux harmonies qui se succédent, la derniére empruntant toute sa force de la premiére [-51-] par le plus ou moins de rapport qu'elles ont entr'elles.
Tout le monde, sans en excepter le Musicien, a crû jusqu'à présent que la cause de l'effet résidoit dans la Note du Chant sur laquelle on l'éprouve, ou du moins dans l'intervalle par lequel on y arrive: erreur, erreur, cent fois erreur, dont on auroit dû revenir dès le nouveau systême de Monsieur Rameau (a) où il prouve bien évidemment le contraire.
On fait que nos sens sont trompeurs, cependant on ne jure
que par eux, on n'éxamine rien, et l'on décide toujours par provision, [-52-] on prend le produit pour le générateur, l'effet pour la cause, enfin tout est bouleversé: n'ouvrira-t-on jamais les yeux, ne pourrai-je les désiller? essayons, que risquai-je? j'espere tout de l'éxemple suivant, où je rappelle le même intervalle d'ut à fa diéze, dont il a déja été question.
Dès qu'un intervalle éxiste dans le même Accord, ou dans deux Accords d'un même mode, son effet n'a rien de particulier, si ce n'est qu'à l'aide de l'Acteur, l'intervalle d'ut à fa diéze, par éxemple, peut servir à des apostrophes, interrogations, exclamations, affirmations, négations; mais lorsque le mode change d'un [-53-] son à l'autre, c'est pour lors qu'on sent, dans le même intervalle formé par ces deux sons, presque autant de différentes expressions qu'il y a de rapports différens entre les deux modes qui s'y succédent, ces expressions tenant même du tendre, du triste, du lugubre, de l'affreux, du plaisant, du joyeux, du menaçant, de l'emportement, de l'horrible, selon que le passage se fait à la quinte au-dessus, ou au-dessous, et que les modes sont majeurs ou mineurs, en les secondant d'un mouvement convenable à la situation.
Exemple.
Le nom des Notes expose la [-54-] Basse, et les chiffres au-dessus sont les chiffres en usage dans l'Accompagnement: de sorte que si peu qu'on posséde cet Art, on pourra s'instruire, par son propre sentiment, des différens effets produits par la différence du rapport des modes, en chantant ut au-dessus de la premiére note, et fa diéze au-dessus de la deuxiéme, et encore au-dessus ou au-dessous d'ut.
7
x
ré, ré, (a)
7 7 x ou la, ré,mode majeur ou mineur de sol.
7 7 x x ré si:cadence interrompuë en passant du mode majeur de sol au mineur de mi.
[-55-]
x6 ut la:passage du mode majeur ou mineur d'ut au majeur ou mineur de sol.
x4 ut la:passage du mode majeur d'ut, au mineur de mi.
b b7 ut la:passage du mode mineur d'ut au mineur de si bémol.
b7 la xré:passage du mineur de la au mineur de mi, ou au mineur de sol, en donnant à ré diéze le nom de mi bémol, sans rien changer, d'ailleurs, à son accord.
7 x la ré:passage du mode mineur de la au majeur ou mineur de sol.
7 x fa ré:passage au majeur de fa au majeur ou mineur de sol.
[-56-]
b7 fa la:passage du majeur ou mineur de fa au mineur de si bémol, en donnant à fa diéze le nom de sol bémol, qui est effectivement la septiéme diminuée, b7, de la.
Partout où se trouve un Accord de septiéme diminuée, chiffré b7, l'enharmonique peut avoir lieu, en y prenant pour note sensible celle que l'on veut des quatre qui composent cet Accord tout formé de Tierces mineures: de sorte que la Tonique, annoncée par cette note sensible arbitraire, pouvant être aussi réputée dominante tonique d'un mode majeur ou mineur, on peut passer dans douze modes différens à la faveur de ce même Accord, qu'il [-57-] faut savoir reconnoître dans ses différentes combinaisons; mais en ce cas, une troisiéme note de Basse doit suivre pour faire entendre le mode sous-entendu par la note sensible choisie par préférence: et c'est de-là que naissent principalement ces peintures fortes dont je viens de faire l'énumération, du moins en partie.
Partout encore où se trouve un diéze, chiffré x, au-dessous ou à côté d'un chiffre dans un mode mineur, le même accord de septiéme diminuée peut avoir lieu, et par conséquent l'enharmonique, en y transportant la dominante tonique un demi-ton plus haut, sans que la modulation ni [-58-] l'harmonie en souffrent.
Pour bien sentir l'effet de chacun de ces passages, il faut qu'ils soient amenés par différentes modulations composées d'un certain nombre de phrases harmoniques: voyez comment le Choeur de l'Amour triomphe est conduit dans l'Acte de Pigmalion: après y avoir fait oublier, pour ainsi dire, le mode principal et dominant par d'autres modes, il revient justement lorsqu'on s'y attend le moins, pour faire éprouver, par son retour, l'un des plus agréables effets de l'harmonie: (a) voyez [-59-] aussi le Monologue de Dardanus par où débute le quatriéme Acte au sujet de l'enharmonique: la dureté de l'harmonie y fait bien sentir l'effet de la situation: je pourrois renvoyer encore au Trio des Parques d'Hippolyte et Aricie, dont toute l'horreur qu'elles annoncent se trouve peinte dans un genre diatonique enharmonique; [-60-] mais il faut non-seulement trois grands Musiciens pour le chanter, il y a d'ailleurs une maniére de s'y prendre qu'on peut ignorer, ou à laquelle on n'a pas encore eû la patience de se prêter.
Je demande à présent si l'effet de ce seul intervalle d'ut à fa diéze, pourra jamais produire aux yeux, non plus qu'à l'oreille, les différentes expressions que les différentes modulations y aménent.
Un éxemple bien plus simple encore, et par conséquent plus à portée de tout le monde, c'est lui qui se trouve dans la démonstration du principe de l'harmonie, page 40, au sujet d'un repos absolu après lequel on ne desire [-61-] plus rien, dit, Cadence parfaite: que l'on chante, en effet, telle partie qu'on voudra de ces trois qui forment le repos, si ut, ré ut, fa ou sol mi, qu'on les chante ensemble si l'on veut, l'harmonie de leur Basse fondamentale, sol ut, fera sentir effectivement ce repos absolu: au lieu que, si on leur donne pour Basse, sol la, où pour lors on passe du mode d'ut à celui de la, on y desire une suite.
Tel qui cherche l'harmonie dont il peut accompagner un chant qu'il a imaginé, cherche justement le principe qui le lui a suggéré, principe dont le germe est en lui, et dont toutes les dépendances [-62-] s'y développent à mesure que l'expérience le favorise.
L'harmonie successive engendre la mélodie, c'est-à-dire, tous les chants possibles, dont le fond réside uniquement dans un accompagnement bien conduit, tel que Monsieur Rameau le prescrit dans son Plan, où la succession des consonances, et des dissonances, soit pour préparer celles-ci, soit pour les sauver, se trouve bien plus réguliérement observée qu'elle n'a jamais pû l'être par les régles qu'on en avoit données jusques-là: toute la variété qu'on peut introduire, dans cette mélodie, ne consistant que dans les différentes combinaisons de ce [-63-] fond, et dans les ornemens de goût, tirés néanmoins de ce même fond, soit en formant un chant des différentes notes d'un même accord, soit en passant de l'une de ces notes à l'autre par les moindres degrés naturels, soit en passant d'une harmonie à une autre par ces mêmes dégrés (a), comme cela se pratique naturellement par la seule méchanique des doigts dans ce Plan de Monsieur Rameau. Comment donc un Partisan de la mélodie a-t-il pû penser qu'on dût retrancher quelques [-64-] sons, quelques notes d'un accord? n'auroit-il pas dû voir que l'ordre de cette mélodie se trouvoit détruit par-là, et qu'il en retranchoit justement le son, peut-être le plus favorable à la combinaison la plus heureuse.
Ainsi, toute la Musique étant comprise dans l'harmonie, on en doit conclure que ce n'est qu'à cette seule harmonie qu'on doit comparer quelque science que ce soit.
Reprenons la suite de notre Article; l'Auteur y est toujours le même.
A la fin de l'Article 10. page 76. deuxiéme colonne, on lit: Quand Monsieur Rameau veut qu'on remplisse tous [-65-] les Accords, il a bien plus d'égard à la facilité du doigter et à son systême particulier.... qu'à la pureté de l'harmonie.
En quoi consiste la pureté de l'harmonie, si ce n'est dans son compléement et dans sa régularité? Telle est la définition donnée à la tête de cet Article. Or si le systême de Monsieur Rameau et son doigter répondent à l'un et à l'autre, comme on en convient dans toute la page 76. et au mot chiffrer, c'est donc à cette seule pureté de l'harmonie qu'il a principalement égard: toute harmonie tronquée n'est pure, ni en elle-même, ni dans sa succession.
En éxaminant le Plan de Monsieur [-66-] Rameau sur l'Accompagnement, on auroit bien dû reconnoître qu'il est principalement imaginé pour former l'oreille: il suffiroit, pour s'en convaincre, d'éxercer pendant quelques mois la méchanique des doigts qu'il y fait observer: et pour lors, loin de gloser sur les signes qui servent à guider cette méchanique, comme on le fait à la fin du mot chiffrer, page 337. on auroit vû au contraire que ces signes, tant qu'ils ne varient point, dispensent de toute réflèxion, que pour lors les doigts y marchent machinalement sans pouvoir se tromper, que l'oeil avertissant de l'endroit où le signe change, les [-67-] doigts accoutumés à toutes les différentes routes indiquées par ce changement de signes, s'y prêtent sur le champ, que l'oreille également formée à ces mêmes routes, ordonne et se trouve obéïe dans le moment; enfin que la connoissance des différentes cadences qu'indique ce même changement de signes, d'accord avec l'Oreille, prévient assez tôt les doigts pour qu'ils n'y tombent point en défaut.
Après avoir fait dépendre de la seule oreille la plus parfaite éxécution de l'Accompagnement, comment est-ce qu'on n'a pas senti que cette oreille une fois formée, [-68-] et secondée, tant par la connoissance, que par une méchanique des doigts, devoit être bien plus promptement obéïe dans cette éxécution.
Au commencement du dernier Alinea du même mot chiffrer, toujours page 337. on dit que la Méthode n'exprime point.... la véritable harmonie fondamentale. On auroit dû dire seulement qu'elle ne l'exprime point par ses sons fondamentaux, parce que tout s'y rapporte à la Tonique, qui doit être principalement présente à l'Accompagnateur: et l'on en auroit dû conclure, au contraire, en faveur de la découverte, puisqu'il ne s'y [-69-] agit, pour le Compositeur, que de sçavoir, par éxemple, que l'Accord sensible indiqué par un x, est l'harmonie fondamentale d'une Dominante tonique, comme cela est expliqué formellement dans le Plan, si je ne me trompe.
Dans l'Alinea qui précéde celui qui vient d'être cité, il y a, on sent bien qu'il faut supposer ici que toute dissonance se sauve en descendant; car s'il y en avoit qui dussent se sauver en montant, les points de Monsieur Rameau seroient insuffisans.
Ceci est prononcé d'une maniére à laisser de l'équivoque; car en disant, s'il y avoit des dissonances [-70-] qui dussent se sauver en montant, on laisse à douter s'il y en a, ou non. Il y en a effectivement deux, la note sensible dans son accord, et la sixte ajoutée: or la méthode rend la succession de ces deux dissonances si familiére aux doigts par la méchanique, qu'ils peuvent toujours y prévenir le jugement et l'oreille d'autant plus qu'elles sont toujours suivies d'un Accord parfait indiqué par le signe. Qui plus est, ces dissonances montent toujours seules: ce qui va se vérifier au mot Cadence.
Au reste Monsieur Rameau doit être très satisfait de la justice qu'on rend à son Plan dans ce Dictionnaire: [-71-] et si l'on vouloit s'en tenir à copier fidèlement tous ses principes, sans y ajouter du sien, le Lecteur en seroit mieux instruit; puisque la plupart des exceptions, des objections, des décisions même, qu'on y ajoute, sont fausses.
Déja presque tout ce qui est exposé dans l'Article de l'Accompagnement est contradictoire à sa définition: on y porte l'excès jusqu'à vouloir faire passer pour perfection une des plus grandes preuves de l'ignorance: les exceptions et les objections ont été relevées: pour ce qui est des décisions, Monsieur Rameau en a déja condamné une dans ses observations que je rappellerai bientôt; celles [-72-] qui regardent les Italiens ne sont pas moins erronnées; mais il va s'en trouver d'autres encore bien plus répréhensibles.
Accord, page 78.
Je ne m'attendois pas à trouver ici ces Accords insupportables dont apparemment on a voulu parler à l'alinea premier de la page 76.
Malgré la voix de la nature, malgré l'oreille son fidéle interprete en Musique, malgré ce que Monsieur Rameau a pû tirer de l'une et de l'autre pour constater la supposition, malgré les moyens les plus simples qui ont dû se présenter à Monsieur Rousseau pour lui désiller les yeux sur ses erreurs à [-73-] ce sujet, que dis je, malgré sa décision même sur la génération de la dissonnance, décision absolument opposée à ce qu'on va lire, il attribuë à cette supposition un droit de renversement qui ne peut appartenir qu'à l'harmonie fondamentale.
Dans sa décision sur la dissonance, page 1049, il réfute le la placé entre sol et si, ce qui feroit sol la si, et dissonneroit doublement. Or, sol la si, ou fa sol la qui se trouvent dans le pénultiéme Accord du dernier éxemple de la page 78, et qui se sous-entendent également dans les deux autres appellés dérivés, c'est tout un: comment ne s'est-il donc pas [-74-] apperçu qu'il condamnoit à dissonnance ce qu'il veut faire approuver à Accord.
Tout Accord dérivé ou renversé d'un autre doit contenir le même nombre de sons: cependant l'Accord de la neuviéme en contient cinq différens, et ceux qu'on appelle ensuite ses dérivés n'en contiennent que quatre.
La même harmonie qui précéde et suit un Accord fondamental, doit également précéder et suivre ses dérivés; les intervalles que forment ces derniers avec le son fondamental ne doivent jamais varier; ils doivent encore pouvoir entrer dans les mêmes modes, supposé qu'ils puissent [-75-] être admis dans plusieurs; enfin puisque tous n'en font qu'un différemment combiné, ils doivent par conséquent être tous susceptibles des mêmes accidens: néanmoins rien de tout cela n'arrive aux dérivés prétendus, comme je vais l'expliquer dans le moment; tout y a échappé aux yeux, à l'oreille, au jugement: que de moyens cependant pour empêcher de s'égarer en pareil cas, et que ces moyens sont simples pour un homme intelligent, du moins pour une oreille un peu sensible?
Il n'y a pas un Musicien un peu versé dans l'art qui ne soit au fait de toutes ces particularités par sa [-76-] seule expérience, et pour peu qu'on soit sensible à l'harmonie, on sentira l'énorme discordance qui se trouve dans les Accords prétendus dérivés, l'Accord même par supposition n'étant supportable que dans une succession, où il forme pour lors une espèce de suspension; mais tout cela n'est rien auprès de ce que la nature prescrit en pareil cas; et c'est du moins ce qui n'auroit pas dû échapper à celui qui veut nous en dicter les loix.
Le corps sonore fait résonner son harmonie, an lieu qu'il fait simplement frémir sa douziéme et sa dix-septiéme au-dessous, en leur ôtant le droit de rendre tout autre Son [-77-] que son unisson, par la division à laquelle il les force en même tems: de sorte, même, qu'en supposant chaque partie du corps divisé susceptible d'harmonie, il rendroit précisément la même que celle du corps qui le met en mouvement, puisque chacune de ces parties donne l'unisson de ce dernier corps: donc, cette douziéme et cette dix-septiéme au-dessous, qui sont des octaves de la quinte et de la tierce au dessous du fondamental, seules employées dans la supposition, ne pouvant plus être sensées harmonieuses dans leur totalité, ne peuvent par conséquent être réprésentées par leurs octaves dans une harmonie qu'elles infecteroient [-78-] pour lors, comme lui, étant tout-à-fait étrangères, et ne doivent par conséquent être admises que dans le lieu où la nature les a placées: sinon ces octaves, toujours sous-entenduës partout où elles peuvent être insérées, donneroient une triple dissonnance dans l'accord de la neuviéme entre ces quatre sons, mi fa sol la, qui s'y rencontreroient pour lors: ce qui prouve bien que l'oreille n'en est nullement frappée. Quelle seroit la cacophonie d'une triple dissonnance, lorsque la double, comme fa sol la, est déja insupportable? Je ne sçais si je me fais bien entendre; mais on ne peut contester toutes les vérités que je [-79-] viens de déduire, que pour me fournir les moyens de les mettre dans un plus grand jour. C'est ici où ce passage du Psalmiste conviendroit assez, Oculos habent et non vident, aures habent et non audiunt.
De cette erreur on passe à une autre: croiroit-on, en effet, que le son fondamental de la neuviéme, auquel l'Auteur conserve la même qualité lorsqu il lui fait porter, au deuxiéme accord de l'éxemple, celui de septiéme et sixte, croiroit-on, dis-je, que pour lors ce son fondamental n'est plus tel: ce n'est plus qu'une médiante, ou une su-dominante, selon que le repos va se terminer ensuite sur [-80-] une tonique, ou sur sa dominante: quel est le Musicien qui ne s'en appercevra pas par sa seule expérience? Il y verra que pendant qu'une même harmonie éxiste, passe dans la Basse une note de goût, qui reçoit pour lors comme septiéme et sixte, le son fondamental de cette harmonie avec sa septiéme, et qu'immédiatement ensuite la même harmonie rentrant dans tous ses droits, marche dans l'ordre légitime, où la dissonnance premiere, cette septiéme du son fondamental; qui seule occupe l'oreille dès le moment qu'elle en a été entenduë, se sauve selon nos desirs. On pourroit également faire passer dans [-81-] la Basse plusieurs autres notes de goût, sur lesquelles l'harmonie déja donnée, et qui se conserve encore après, formeroit des Accords tout aussi insupportables que le sont les trois dérivés de l'éxemple; mais on ne fait jamais mention de ces sortes de notes par tout où il s'agit du fond de l'harmonie; l'oreille n'en tient nul compte, et l'on en abandonne toujours le choix à la discrétion des grands Maîtres.
Si cette Basse du deuxiéme Accord n'est plus son fondamental, donc celles qui sont appellées ensuite sa tierce et sa septiéme, ne le sont plus que relativement à une note arbitraire, et absolument indifférente.
[-82-] La page 79. ne contient pas moins d'erreurs. Si, par exemple, il y a deux Accords de septiéme, dont la note sensible fait la différence, ils ont par conséquent chacun leur supposition particuliére, comme on peut le remarquer entre l'Accord précédent de la neuviéme, et celui de la quinte superfluë, où le diéze, qui n'est point dans le premier, marque cette note sensible: pourquoi donc n'a-t-on pas fait la même distinction entre l'Accord de onziéme ou quarte, et celui de la septiéme superfluë, qu'on présente avec les mêmes notes: il falloit ajouter un bémol à la noire si pour désigner, en effet, le premier Accord, [-83-] et pour le distinguer de l'autre, qui seul porte la note sensible.
On ne peut sçavoir ce que signifie cette différence de noms pour un même Accord: les deux notes noircies, pour indiquer qu'elles peuvent être retranchées, n'y changent rien pour cela: d'ailleurs l'Accord de quarte, laissant à part le nom de onziéme, se complette généralement sur une su-tonique, et ce n'est que sur une tonique, ou sur une dominante qu'on en retranche ordinairement les deux noires: au lieu que l'Accord de septiéme superfluë annéxé à la seule tonique se complette toujours: on sçait [-84-] bien que s'il y a moins de parties dans une Musique qu'il n'y a de notes dans un Accord, il faut retrancher de ces notes à proportion, dont le choix dépend du goût: c'est pourquoi il falloit ajouter l'octave de la note par supposition dans l'Accord donné avec le retranchement des deux noires, pour indiquer la quatriéme partie qu'on y joint toujours quand on compose à quatre; mais cela n'auroit pas quadré avec les dérivés imaginaires qu'on y propose.
Les trois Accords de l'éxemple de la quarte, où les deux derniers sont donnés pour dérivés du premier, sont au contraire trois originaux [-85-] de même espéce, où la même supposition a lieu.
Premier. La quarte reconnuë dans tout Accord dissonant pour principale dissonance, puisqu'elle y est toujours septiéme du son fondamental, n'étant point donnée par la même note dans les deux premiers Accords, prouve que l'un et l'autre sont premiers dans leur espéce, la septiéme n'ayant été insérée dans le deuxiéme que pour le faire quadrer avec le premier.
Deuxiéme. La quarte, retranchée sans raison du dernier Accord, prouve encore qu'il est aussi premier dans son espéce, et la septiéme superfluë mi, qui devroit s'y trouver, [-86-] n'en est également retranchée, que parce que la plus basse note fa, y suspend dans la Basse ce même mi: c'est un fait de pratique dont tous les bons Compositeurs peuvent rendre compte.
Troisiéme. Tout Accord dissonant doit contenir au moins quatre sons différens, pourquoi donc n'en présenter ici que trois?
Quatriéme. Tout Accord doit contenir les mêmes sons et en même nombre que celui dont il dérive: pourquoi donc encore n'en présenter ici que trois dans les dérivés, lorsque l'original en contient cinq? Quoi! parce que différens Accords auront plusieurs notes communes, j'y choisirai à mon gré [-87-] celles qu'il me plaira pour faire quadrer ces Accords entr'eux? Je n'ai donc qu'a dire que tous les Accords consonans dérivent de celui de la septiéme, ut mi sol si, puisqu'en retranchant si, j'ai l'Accord parfait majeur et ses dérivés, ut mi sol; et qu'en retranchant au contraire ut, j'ai l'Accord parfait mineur et ses dérivés, mi sol si. Dans une Musique à deux ou trois parties le choix est nécessaire, comme je l'ai déja fait entendre; mais est-ce ici le lieu d'en parler, ou du moins ne devoit-on pas en avertir?
Cinquiéme. Si l'on eût donné le quatriéme et le cinquiéme sons possibles aux deux derniers Accords, pour peu qu'on eût [-88-] eû d'oreille, on auroit senti que la quinte reste pendant que la quarte descend diatoniquement: que dis-je, sans le secours de la quinte, la marche de cette quarte est sensible, outre que comme dissonance elle est nommément spécifiée au mot dissonance, page 1050, sur la fin de 1, où l'on dit, ainsi après sol fa, vous aurez sol mi. Sol étant, dans le cas présent, la quinte qui reste, et fa la quarte qui descend diatoniquement sur mi.
Il faut bien se souvenir que la septiéme d'une note par supposition n'est point encore la principale dissonance, car elle est quinte ou tierce du son fondamental, [-89-] c'est la seule septiéme de celui-ci, qui fait neuviéme ou quarte de la note par supposition, dont l'oreille s'occupe uniquement jusqu'à ce qu'elle soit sauvée.
Je sens bien que ceci n'est pas à la portée de tout le monde, et que pour en juger il faut être un peu initié dans la pratique de la Composition, ou du moins dans sa Théorie: ce n'est cependant que par de pareils moyens qu'on peut arriver aux connoissances nécessaires pour rendre raison des effets de la Musique: Quoi! l'on aimera mieux être séduit, qu'instruit par des vérités qui ne paroissent abstraites que parce qu'on ne veut pas se donner la peine de [-90-] les approfondir: que les personnes qui veulent décider s'en rapportent du moins à un Accompagnateur bon harmoniste, il leur fera entendre et voir les ordres et les suites d'Accords dont elles voudront s'instruire, et si peu qu'elles ayent la tête sonante elles en pourront juger par les effets qu'elles en éprouveront: encore si celles qui ne sont point au fait demeuroient dans le silence? mais non; l'on vient tout récemment de louer à l'excès l'Autour de tant d'erreurs dans le Journal des Sçavants (a), où l'on cite pour preuves les articles de Consonance et de Dissonance. Comme [-91-] il n'y a pas moyen de se tromper sur les consonances, aussi le Panégyriste s'y étend-il presque autant que son Héros; mais pour ce qui est de la dissonance, il n'en dit pas un mot: pourquoi donc la citer? et qu'augurer d'un pareil silence? il auroit pû cependant y remarquer une nouveauté de sa compétence, savoir que, lorsqu'il s'agit de dire comment se prépare la dissonance, on renvoye a préparer, page 1050, 3, deuxiéme colomne: les raisons qu'on en donne ne sont pas recevables, sinon l'on seroit en droit d'en faire autant à tous les articles avec des excuses bien concertées: ce n'est, au bout du compte, qu'abréger [-92-] un article pour allonger l'autre: il vaut donc mieux mettre les choses en place, c'est l'usage, c'est la raison. Au reste je souhaite plus que personne, que les curieux n'ayent pas le tems de s'impatienter.
Cadence page 513.
Fin du premier alinea. Or comme toute phrase harmonique est nécessairement liée par des dissonnances exprimées ou sous-entenduës, il s'ensuit que toute l'harmonie n'est proprement qu'une suite de Cadences.
C'est cette derniere conclusion, il s'ensuit et cetera que Monsieur Rameau a relevée dans ses Observations; [-93-] mais il ne s'en seroit pas tenu là s'il eût éxaminé l'article de l'Accompagnement page 76, 5, où il est dit, l'Accord consonnant parfait ne convenant qu'à la tonique, la succession des Accords consonnants fournit autant de toniques, et par conséquent de changemens de ton; puisqu'il auroit reconnu entre ces deux articles une contradiction manifeste, dont il n'auroit pas manqué de faire mention: en effet, dès que l'on convient que deux Accords consonants peuvent se succéder, c'est convenir qu'il n'y a point là de
Cadences, conséquemment à cet énoncé 3: Comme il n'y a point de dissonnance sans cadence, il n'y [-94-] a point non plus de Cadence sans dissonance et cetera.
Page 514: dernier alinea. Nul Auteur jusqu'ici n'a parlé de cette ascension et cetera. Monsieur Dalembert fait sentir d'abord ensuite le peu de poids de cette réflèxion, mais si l'on examine 1. de la deuxiéme colonne de la page 76, lettre A, on y lira, l'harmonie ascendante est fournie par une succession de quintes en montant.... accompagnées de.... la sixte ajoutée et cetera ce qui est précisément l'énoncé de la régle donnée par Monsieur Rameau dans son Plan: il a donc été parlé de cette ascension: on en convient ici pendant qu'on le nie plus loin: autre contradiction. Ce n'est pas le [-95-] tout: l'Auteur qui croit avoir trouvé une heureuse distinction entre la marche des septiémes et celle des sixtes ajoutées, qualifie l'une de Descendante, et l'autre d'Ascendante: encore s'il y eût pris pour preuve la Basse fondamentale, qui descend de quinte d'un coté, et monte de même de l'autre, auroit-il eû quelques raisons, mais point du tout, c'est de la marche de l'harmonie même qu'il veut parler, non de la fondamentale, non plus que de celle de la dissonance en particulier, conséquemment à ce qui suit dans l'alinea que je viens de citer à A: ainsi par les régles ordinaires, l'harmonie qui naît d'une [-96-] succession de dissonances descend toujours, quoique selon ses vrais principes et selon la raison, elle doive avoir en montant une progression toute aussi réguliere qu'en descendant. Voyez Cadence.
Il n'y a rien dans l'article de la Cadence qui justifie le précédent. Si la dissonance monte dans la cadence irréguliére, cela ne prouve nullement que le total de l'harmonie y monte, de même qu'il descend toujours dans une succession de dominanes, où la note sensible n'a point lieu: au contraire, pendant que la sixte ajoutée monte, l'octave et la tierce descendent toujours sur la tierce et la quinte du son fondamental: de [-97-] plus, eette harmonie ascendante, pour qui ne voit qu'une partie de l'objet, ne peut se continuer avec des sixtes ajouteés, sans y être interrompüe de l'une à l'autre par l'accord parfait, auquel la sixte peut effectivement s'ajouter immédiatement après: la cadence ne peut y être simuleé comme dans une suite de dominantes, où la seule note sensible, qui monte toujours, décide la cadence parfaite: sans cette note sensible, la cadence est simplement imitée dans la marche fondamentale, au lieu qu'avec la sixte ajoutée, qui est une dissonance majeure, aussi bien que la note sensible, la cadence irréguliére est nécessairement annoncée, [-98-] et doit avoir son plein effet, avant que de passer à une autre. Tel est le caractére de la dissonance majeure: en décidant la cadence, elle est seule forcée de monter, et les consonances qu'elle accompagne ont toute liberté de monter ou de decendre, selon que le gout du chant et le rapport des parties entr'elles le requiérent, excepté cependant la consonance contre laquelle la dissonance heurte comme seconde ou septiéme, et qui reste sur le même degré, ou prend une route opposée.
Ce choc de la dissonance est expliqué d'une maniére assez curieuse dans le supplément du Traité de l'Harmonie, page 6.
[-99-] Choeur, page 362.
Je ne rappellerai point la contradiction qui se trouve ici avec ce que le même Auteur dit des Choeurs dans sa lettre sur la Musique, on peut voir ce qui en est à la fin des observations de Monsieur Rameau.
Chromatique, page 387.
1. Genre de Musique qui procéde par plusieurs sémitons de suite.
Il falloit expliquer dans l'Article qu'il n'y avoit jamais deux sémitons chromatiques de suite: au lieu qu'on y laisse même à douter si le sémiton diatonique n'est pas aussi chromatique, on devoit [-100-] y déclarer encore que le sémiton chromatique annonçoit toujours un nouveau ton ou mode.
Dissonance, page 1049.
1. Deuxiéme Colonne. Après avoir donné une idée générale, mais nullement positive, des dissonances, après avoir dit que le Père Mersennes se contente d'en montrer la génération, génération, qui cependant, n'est fondée que sur des calculs dictés par la simple expérience, on tombe sur Monsieur Rameau avec une ironie assez marquée: cet Auteur, dit-on, après avoir dit en termes formels que la dissonance n'est pas naturelle à l'harmonie.... essaye [-101-] d'en trouver le principe dans les rapports, les proportions, analogies, convenances, métamorphoses et cetera.
Si la dissonance étoit naturelle à l'harmonie, il suffiroit d'exposer le fait: et c'est justement parce qu'elle ne l'est pas, quoique l'oreille l'adopte, que pour satisfaire la raison sur ce point, autant qu'il est possible, on ne sçauroit trop épuiser les rapports, les analogies, les convenances, même les métamorphoses, s'il y en a: sans doute que l'instinct qui nous l'a suggérée, cette dissonance, doit trouver dans son principe, dequoi l'autoriser. Voyez le Chapitre IX. de la Génération harmonique, page [-102-] 107, vous y trouverez non seulement tous les moyens sur lesquels on croit pouvoir établir la critique dont il s'agit, vous y trouverez encore les raisons dont se sert Monsieur Dalembert, à la fin de l'Article (O) pour détruire cette critique, et pour en conclure que, sans s'écarter pour le fond des principes de Monsieur Rameau, l'addition de la dissonance à l'harmonie, est l'ouvrage de l'Art, et non de la Nature.
Pourquoi ce Chapitre IX. n'a-t-il été cité d'aucune part? On auroit fait connoître, d'un côté, qu'on n'en imposoit point, et de l'autre on auroit justifié en plein son Auteur: au lieu qu'il semble qu'on [-103-] veuille lui faire grace, en disant, sans s'écarter pour le fond des principes de Monsieur Rameau, lorsqu'on devoit dire tout simplement, selon les principes de Monsieur Rameau. D'ailleurs, quoique, cette addition de la dissonance semble n'être duë qu'à l'Art, les raisons tirées du chapitre en question, celles là, même, que Monsieur Dalembert cite, prouvent assez que la Nature y a beaucoup de part, sinon directement, du moins indirectement, par la nécessité où l'on est de l'employer pour faire distinguer, dans le mode, la tonique de sa dominante, et de sa sous-dominante: l'instinct qui nous la suggére n'est-il pas l'ouvrage de la Nature? [-104-] quand, par éxemple, on descend de l'octave de la dominante sur la tierce de sa tonique, et que l'on monte de la quinte de la soudominante à cette même tierce de la tonique, moins on a d'expérience, plus on est naturellement porté à marcher par les moindres degrés diatoniques, et par conséquent à passer de côté et d'autre par la dissonante qui conduit à ces tierces, pendant que subsiste toujours la même harmonie, dont la Basse fondamentale devient aussi celle de ces deux dissonances, qui sont les seules qu'on puisse employer dans l'harmonie fondamentale: la note sensible, connuë sous le nom de triton, de quinte superfluë [-105-] et cetera n'étant point dissonance par elle-même, puisque c'est, dans son origine, la tierce majeure d'une dominante tonique, comme cela est prouvé dans les Ouvrages de Monsieur Rameau.
Pour donner plus de poids à la critique, on l'appuye principalement des deux remarques suivantes.
Parce que la proportion Arithmétique lui donne, à ce qu'il prétend, remarquez, à ce qu'il prétend, la tierce mineure au grave et cetera. La prétention est certainement bien fondée, puisqu'on ne peut juger de l'effet de cette proportion qu'après l'avoir disposée dans l'ordre de son principe, qui [-106-] oblige de renverser celui dans lequel elle se présente d'abord, et où l'on trouve, pour lors, 1/10 1/12 1/15, sçavoir La, Ut, Mi.
En réduisant à ses moindres termes ou degrés la proportion donnée par des multiples, auxquels toute harmonie est interdite, selon l'exposé des pages 76, et 77, c'est suivre la loi que dicte la Nature, et dans la proportion harmonique susceptible de la même réduction, et dans les fonctions de l'oreille, qui nous fait naturellement réduire tous les intervalles à leurs moindres degrés: (a) la différence qui se trouve pour lors [-107-] entre cette derniére proportion et celle de l'Arithmetique dont il s'agit maintenant, ne consistant que dans la transposition d'ordre entre les deux tierces qui y composent de chaque côté la quinte.
Si l'on suit ici les loix de la Nature, on les transgresse au contraire, en supposant la totalité des multiples susceptible de son harmonie, comme on l'a fait à l'égard de la supposition page 76. et 77.
En suivant toujours ces mêmes loix, on doit remarquer que dans chaque proportion qu'engendre le principe, dans la Géométrique même, dont se forme le Mode (a) la quinte ou douziéme est le terme moyen, et par conséquent le numérateur de chacune de ces proportions! c'est donc à [-108-] elle d'ordonner du Mode: et dèslors sa quinte au-dessous n'étant plus tirée des Multiples, se trouve naturellement harmonieuse.
De cette remarque suit cette autre, sçavoir, que le principe, en cédant à sa quinte le droit d'ordonner du Mode majeur, céde aussi à sa tierce, ou dix-septiéme, celui d'ordonner du mineur: si bien qu'en supposant que ce principe s'appelle fa, sa quinte ut, ordonne d'un côté, et sa tierce, la, de l'autre: de-là vient le rapport intime de ces deux Modes.
Monsieur Rameau croit pouvoir tout concilier: la proportion lui sert pour introduire la dissonance, et le défaut de proportion lui sert pour la faire sentir. Le jeu de mots semble n'avoir été employé que pour jetter plus de ridicule.
[-109-] La dissonance ajoutée à l'Accord parfait n'y est nullement proportionelle: donc, ce n'est pas en ce cas la proportion qui sert à introduire la dissonance: d'un autre côté, l'altération de la tierce ajoutée, pour former dissonance, est un défaut de rapport entre deux Sons, et non de proportion, où il en faut au moins trois; ce n'est donc pas en ce cas non plus que le défaut de proportion sert à la faire sentir.
Quel fruit tirer d'une pareille critique, où l'on ne fait que plaisanter, et où, loin de la soutenir par de bonnes raisons, on se trompe dans tous les points sur lesquels on l'etablit? Seroit-ce en vuë de [-110-] faire valoir un moyen qu'on propose ensuite (3) pour sçavoir où l'on doit la prendre, cette dissonance, et comment il faut l'employer?
Ce moyen, qui consiste dans la seconde, a déja été épuisé par Monsieur Rameau dans les pages 3. 4. 5. 6. 7. du supplément, à son Traité de l'Harmonie, et dans les chapitres XI. XII. XIII. et XIV. de son Nouveau Systême: il y ajoute même une remarque absolument oubliée dans l'article en question, et sans laquelle, cependant, on peut aisément donner dans l'erreur, sçavoir, que cette seconde n'est reçuë dans l'harmonie que comme renversée de la septiéme, seule et [-111-] unique dissonance que puisse porter la Basse fondamentale: et si l'on peut y opposer la sixte ajoutée à l'accord d'une sousdominante, le même Auteur prouve que cet accord pouvant se réduire en celui de la septiéme, à la faveur d'un double emploi, dont il a enrichi son Art, toute dissonance peut fort bien être conçuë sous la seule idée de la septiéme.
5. Pour autoriser cette seconde, on dit, sur le La, entre le Sol et le Si, elle feroit une seconde avec l'une et avec l'autre, et par conséquent dissoneroit doublement: duplicité à laquelle cependant on n'a point eû égard au mot Accord, si l'on veut bien s'en souvenir.
[-112-] Si l'on propose l'Accord fondamental, Sol Si Ré Sol, au quel on ajoute tantôt Fa, tantôt Mi, pour avoir d'un côté, page 1050, l'Accord de septiéme, et de l'autre, l'Accord de sixte ajoutée, qu'est ce que cela conclud, dès qu'on ne dit pas que ces Accords sont les seuls fondamentaux sur lesquels il faille se guider?
Si l'on rappelle ensuite la Basse fondamentale, en enseignant la marche des deux dissonances trouvées par le moyen de la seconde, on en fait dépendre celle de cette Basse, lorsque c'est au contraire sur la marche fondamentale que toutes les autres sont dirigées: on donne ici l'effet pour [-109 <recte 113>-] la cause, et la cause pour l'effet.
Au lieu de tenir toujours le Lecteur sur les voyes du principe, on s'en éloigne à chaque instant: si l'on entreprend d'enseigner comment la dissonance se prépare et se sauve, outre qu'on la rend l'arbitre de sa marche, pendant qu'elle ne la tient que de sa basse fondamentale, comme je viens de le faire remarquer, c'est qu'on est obligé de renvoyer au mot préparer, pour ce qui regarde sa préparation.
Se peut-il que dans un Ouvrage tel que le Dictionnaire Encyclopédique, qui doit être, pour la postérité comme pour le présent, un recueil de vérités, on traite [-110 <recte 114>-] aussi mal qu'on le fait d'un Art d'une Science, dont le principe donné par la nature doit indubitablement influer sur d'autres Arts et Sciences, et doit y entretenir une liaison digne de trouver sa place dans un pareil Ouvrage.
Ce principe consiste dans la résonnance d'un corps sonore, d'où résultent trois sons différens (a), s<> parfaitement unis, qu'on croit toujours n'en entendre qu'un seul, excepté qu'avec une tête bien organisée on n'y donne une attention expresse: ce qui constate plus que jamais l'infaillibilité du jugement de l'oreille, puisqu'elle en est l'unique [-111 <recte 115>-] juge, et qu'elle est extrêmement choquée de la moindre altération entre les consonnances formées de ces trois mêmes sons.
Il n'en faut pas davantage pour composer de bonne Musique et pour jouir de ses effets, comme le prouve le passé, où la seule expérience a conduit le Musicien.
Pourquoi donc a-t-on voulu savoir en quoi consistent les rapports des intervalles harmoniques, en mesurant, pour cet effet, les corps qui les font entendre, en soumettant, en un mot, la Musique à la Géométrie?
Sans doute que reconnoissant l'infaillibilité du jugement de l'oreille, ne pouvant compter sur [-112 <recte 116>-] celui d'aucun autre Sens, ne pouvant même s'assurer d'un rapport d'égalité que l'oeil apperçoit, et trouvant dans la seule Musique le moyen de faire concourir mutuellement ces deux sens principaux, l'ouïe et la vuë, on a tout espéré du secours de l'oreille dans la partie qui lui est particuliere sur la certitude des rapports entre les differens objets qui frappent nos sens; mais sourds à la voix de la nature, insensibles à l'harmonie du corps sonore, les Géométres ont échoué dans toutes leurs recherches sur ce sujet; et le seul fruit qu'ils en ont pû tirer c'est de reconnoître que tels intervalles avoient tels rapports numériques, [-113 <recte 117>-] applicables à des grandeurs, sans que l'Art en ait été plus favorisé pour cela.
On ne se trompoit point, il falloit à l'esprit une certitude sur les rapports qu'ont entr'eux les différens objets qui frappent nos sens: de tous ces sens l'oreille a seule ce droit de certitude dans la seule Musique, et dans quelle circonstance encore? justement en ce qui regarde toutes les vérités Mathématiques et les premiers principes de cette Science.
Semblable à une racine qui, au premier moment qu'elle végéteroit, produiroit troncs, branches et fruits: le corps sonore, dans le moment qu'il résonne, [-114 <recte 118>-] engendre proportions, progressions et rapports. (a) Il fait d'abord entendre, dans ses aliquotes, la plus parfaite de toutes les proportions, dite harmonique, en rapport de 1 1/3 1/5, ou de 15: 5: 3: quand on la reçoit des différentes grandeurs des corps: il fait voir ensuite dans ses aliquantes une autre proportion moins parfaite, dite Arithmétique, en rapport de 1: 3: 5: et la route qu'il se prescrit de côté et d'autre, lui fait enfin engendrer toutes les proportions géométriques, dont les trois premieres, [-115 <recte 119>-] ou les mêmes termes de l'Harmonique, aussi bien que de celle de l'Arithmétique, deviennent les dénominateurs, constituent toute la Musique: l'octave du principe 2, ou 1/2, y étant comprise, soit pour combiner l'harmonie fondamentale, à notre gré, soit pour réduire les rapports à leurs moindres termes.
Des deux premieres proportions naissent les plus simples progressions, et des dernieres naissent de nouvelles progressions, dites, en conséquence, Géométriques, selon les Tables où j'ai déja renvoyé: ce qui constitue toutes les progressions.
De ces proportions et progressions [-116 <recte 120>-] naissent tous les rapports possibles: comment donc la Musique n'auroit-elle pas une liaison intime, pour ne pas dire plus, comme on l'a déja hazardé, avec toutes les autres Sciences, dès qu'elles ne sont fondées que sur les mêmes loix que prescrit son principe?
Si chaque Physicien, chaque Géometre vouloit se donner la peine de vérifier le rapport qu'a la Musique avec l'Art, ou la Science dont il est en possession, peut-être y découvriroit-il ce qu'on n'a fait encore qu'entrevoir dans toutes les comparaisons dont les écrits, tant anciens que modernes, sont remplis.
[-117 <recte 121>-] On sçait bien que chaque Art, chaque Science a ses propriétés particuliéres. Mais ne pourroient-elles pas dépendre, toutes, d'un même principe? Y a-t il deux principes dans la Nature? En pouvons-nous découvrir par un autre canal que par celui de nos sens? Et peuvent-ils nous en offrir un qui leur soit aussi palpable que la tésonnance du corps sonore, et d'où la certitude des rapports puisse naître, comme elle naît ici de l'effet qu'éprouve l'oreille?
Au défaut du secours de l'oreille, au défaut des certitudes qu'on en auroit pû tirer, on a été forcé de suivre dans les Sciences un ordre diamétralement opposé [-118 <recte 122>-] à celui que prescrit la résonnance du corps sonore: on s'est accroché à la premiere branche dont on a crû pouvoir tirer quelques fruits, pour, de-là remonter à sa racine, à son principe: et dans ce renversement d'ordre on a été également forcé de substituer la proportion Arithmétique à l'harmonique, et celle-ci à l'autre, peut-être sans y avoir jamais pensé. Pourquoi effectivement le moins parfait auroit-il été préféré au plus parfait, si l'on n'y eût pas été contraint par le renversement en question?
Malgré toutes les belles découvertes dont nous sommes actuellement en possession, on n'a pû [-119 <recte 123>-] encore remonter jusqu'à leur principe. On s'est contenté d'être arrivé aux proportions qu'il donne; mais en connoît-on bien l'ordre original? Cela ne paroît pas du moins dans les régles du Géométre: il y confond leur premier ordre avec leurs différentes combinaisons, que dis-je, avec de simples imitations. Ce premier ordre qui est 15: 5: 3: pour la proportion harmonique, et 1: 3: 5: pour celle de l'Arithmétique, n'est presque jamais indiqué pour modèle: on donne d'un côté 6: 4: 3: où manquent la dix-septiéme et la sixte, ou bien 5: 12: 10: qui n'en est qu'une combinaison: de l'autre, on donne 1 2 3, 2 3 4, 3 4 5, 4 5 6, lorsqu'il ne se trouve partout que des imitations, où manquent quelques consonnances, [-120 <recte 124>-] excepté dans 4. 5. 6. qui n'en est qu'une combinaison.
L'octave se trouve partout substituée aux consonnances qui doivent rendre la proportion complette et réguliére selon son premier ordre: ce qui ajoute encore aux droits de la Musique.
Je ne sçais si ces derniéres remarques sont de quelque poids en Géométrie: ne se pourroit-il pas cependant que pour n'avoir pas été assez scrupuleux sur la plus grande perfection d'une proportion, on eût laissé échapper quelques vérités plus lumineuses encore que celles qu'on en a tirées? tout n'est pas découvert, et s'il reste quelque chose à sçavoir, après avoir scruté la Nature dans tout ce qu'on y a pû entrevoir, avons-nous d'autres ressources que les [-121 <recte 125>-] conséquences qu'on peut tirer du principe qui se présente aujourd'hui pour la premiere fois, et sans doute pour la derniere, puisque dans tout ce qui frappe nos sens, la certitude des rapports ne peut être donnée que par l'oreille, qui n'a de droits qu'en Musique.
D'où vient qu'en Musique une proportion observée dans sa grande régularité enchante (a) lorsqu'on ne reçoit qu'un plaisir médiocre de l'une de ses combinaisons, dont presque toutes les mesures de la Musique sont remplies? le Géométrique tient ici au Physique, puisque la différence des effets n'y est occasionnée que par celle des rapports.
Peu m'importe de sçavoir que ce [-122 <recte 126>-] qui me plaît dans un Art, naît d'une telle disposition entre ses parties, le sentiment, m'y suffit et pour le mettre en oeuvre, et pour en juger: pourquoi donc mon esprit se trouve-t-il éclairé par des rapports numériques analogues au plus ou moins de plaisir que j'en éprouve? Qu'ai-je besoin de sçavoir, par éxemple, que tel intervalle est comme 4. à 5. c'est pour moi une Tierce d'ut à mi, et cela me suffit: aussi le Musicien, qui n'a que son oreille pour guide, ne peut-il rien comprendre dans un calcul qui semble, au contraire, ne lui offrir que des contradictions.
Une tierce est comme 4. à 5. ou comme 5. à 6. Une Octave comme 1. à 2. cela jure à quiconque ne se conduit que par le sentiment.
[-123 <recte 127>-] Cependant la Nature ne s'explique point en vain: seroit-ce en pure perte qu'elle nous favoriseroit d'un Art où l'infaillibilité du jugement de l'oreille nous fait sentir et la justesse et la perfection des rapports, et le plus ou le moins de perfection entr'eux; pendant que toute réfléxion en doit être bannie, si l'on veut jouir plenement de ses effets? Au lieu que dans tous les objets qui frappent nos autres sens, la réfléxion est nécessaire, pour suppléer à leur défaut sur la certitude de ces rapports, et de leur plus ou moins de perfection entr'eux.
D'un côté le Sens est notre unique arbitre, de l'autre il ne peut rien sans le secours des opérations de l'esprit; mais sur quoi fonder ces opérations, si le sens n'avertit point du plus ou du moins de perfection entre des rapports qu'on appercevra? A combien de recherches l'homme n'a-t-il pas été asservi pour parvenir à cette connoissance? Si par sa grande perspicacité il a enfin franchi la barriére qui s'opposoit à son passage, la gloire qui lui en revient ne doit pas l'empêcher, pour cela, d'admirer l'Auteur qui l'avoit prévenu, en lui présentant un Art dont l'agrément [-124 <recte 128>-] pût l'engager à en faire son amusement, jusqu'au point de le sonder assez pour y découvrir le principe qui pouvoit le guider avec certitude dans ses recherches, en le faisant passer ainsi de l'agréable à l'utile.
Je ne me suis étendu dans des digressions sur un Art dont on peut tirer encore quelques lumiéres, que pour mettre les Editeurs du Dictionnaire Encyclopédique sur la voie des vérités qu'ils ignorent, négligent, ou dissimulent pour y substituer des erreurs, des critiques sans solution, même des opinions: comme si l'autorité, encore moins l'opinion, avoit quelques droits dans les Sciences, surtout dans la Musique, où il ne s'agit que d'être l'Interpréte de la Nature, comme j'ai tâché de l'être partout. Il y a lieu d'espérer qu'on y fera plus d'attention à l'avenir.
FIN.
APPROBATION.
J'Ai lû par ordre de Monseigneur le Chancelier, un Manuscrit intitulé: Erreurs sur la Musique et cetera et j'ai crû que l'impression en seroit aussi agréable au Public qu'utile au progrès de l'Art. A Paris, ce 4. Août 1755. TRUBLET.
ERRATA.
[Footnotes]
(a) [cf. p. 3] Définition dont il faut bien se souvenir dans toute la suite.
(a) [cf. p. 8] Dissertation sur les différentes Méthodes d'Accompagnement.
(a) [cf. p. 26] C'est l'ordre des moindres degrés naturels à la voix, appellé Diatonique.
(a) [cf. p. 28] Lettre sur la Musique Françoise, page 54. jusqu'à 58.
Voyez aussi dans le Dictionnaire, Article I. page 79.
(a) [cf. p. 51] Nouveau Systême de Musique Théorique, Chapitre VIII.
(a) [cf. p. 54] La petite x, tient lieu d'un Diéze et le b, d'un Bémol.
Citer un même passage pour différentes preuves, c'est épargner aux Amateurs le soin, le tems et la peine de feuilleter plusieurs Livres pour satisfaire leur curiosité.
(a) [cf. p. 90] Deuxiéme. Du mois de Juin, 1755.
(a) [cf. p. 114] C'est un fait d'expérience généralement reconnu.
(a) [cf. p. 125] Pages 33. et 49.