TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE
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Author: Serre, Jean-Adam
Title: Observations sur les principes de l'harmonie, Premiére partie
Source: Observations sur les Principes de l'Harmonie, Occasionnées Par quelques Ecrits modernes sur ce sujet, et particuliérement par L'Article Fondamental de Monsieur d'Alembert dans l'Encyclopédie, Le Traité de Théorie musicale de Monsieur Tartini, Et le Guide Harmonique de Monsieur Geminiani (Geneve: Henri-Albert Gosse et Jean Gosse, 1763; reprint ed. New York: Broude Brothers, 1967), I-XVI, 1-107.
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[-I-] OBSERVATIONS SUR LES PRINCIPES DE L'HARMONIE,
Occasionnées Par quelques Ecrits modernes sur ce sujet, et particuliérement par L'Article Fondamental de Monsieur d'Alembert dans l'Encyclopédie, Le Traité de Théorie musicale de Monsieur Tartini, Et le Guide Harmonique de Monsieur Geminiani.
Par J. A. SERRE.
Amant alterna Camenae. Virg.
A GENEVE,
Chez Henri-Albert Gosse et Jean Gosse,
Libraires et Imprimeurs.
M. DCC. LXIII.
[-III-] OBSERVATIONS PRELIMINAIRES.
UNe Théorie philosophique de l'Harmonie a été depuis longtems l'objet des spéculations de divers hommes célébres.
Notre siécle nous offre deux Artistes du premier ordre et deux sçavans illustres qui ont travaillé sur ce sujet, Monsieur Rameau et Monsieur Tartini d'un côté, et de l'autre Monsieur Euler et Monsieur d'Alembert. Il n'étoit pas possible que la Théorie musicale ne fit en de si bonnes mains des progrès considérables. On pourroit même présumer qu'elle a dû être portée à un point fort voisin de celui de la perfection. Quelque plausible que soit cette présomption, je crois pouvoir avancer que cette Théorie se trouve encore à divers égards assez éloignée de cet heureux point.
Dans les Essais sur les Principes de l'Harmonie que je publiai à Paris il y a environ dix ans, je [-IV-] pris la liberté de dire mon sentiment sur plusieurs Articles de la Doctrine de Monsieur Rameau, et sur l'insuffisance des Principes de celle de Monsieur Euler On verra dans la premiére Partie des Observations que je mets à présent au jour sur la même matiére, le jugement que je crois pouvoir porter sur diverses propositions de Théorie musicale que Monsieur d'Alembert a inserées dans l'Article Fondamental de l'Encyclopédie. Il paroit que c'est dans cet Article que cet illustre Géométre a voulu réunir les principales idées qu'il avoit à proposer sur la Théorie de l'Harmonie: Aussi est-ce à cet Article qu'il renvoye le Lecteur dans quelques Ecrits postérieurs (a) pour une plus ample discussion de plusieurs questions rélatives à cette Théorie.
La seconde Partie de ces Observations contient un Extrait raisonné du Livre que Monsieur Tartini a composé en Italien, et qui est intitulé,
Trattato di Musica secondo la vera scienza dell' Armonia.
Dans les divers Articles que Monsieur Rousseau de Genéve a donnés dans l'Encyclopédie, il est rarement question de cette partie de la Théorie [-V-] musicale, qu'on peut appeller la partie philosophique, et j'ignore à quel point il s'en est occupé. Il ne s'est présenté dans la suite de ces Observations que le seul Article Consonnance de ce célébre Auteur, cité avec éloge par Monsieur d'Alembert, sur lequel j'aye eu quelque remarque à faire, comme intéressant cette partie de la Théorie de l'Harmonie à laquelle je me suis principalement attaché.
Dans mon premier ouvrage sur les Principes de l'Harmonie mon intention a moins été de critiquer ce qui m'a paru mériter de l'être, que de tâcher de substituer des idées plus exactes et plus philosophiques à celles qui me paroissoient ne l'etre pas assez. Mon but dans les Observations que je propose à présent sur le même sujet est encore le même; et ce n'est pas sans une vraie peine que je me suis trouvé engagé par ce dessein à relever quelques méprises, dans lesquelles on sera peut-être surpris qu'ayent pû donner des hommes doués d'un aussi beau génie, et munis d'autant de connoissances que le sont Monsieur Tartini, et sur-tout Monsieur d'Alembert.
S'il est des erreurs, dont il importe de montrer le peu de fondement, ce sont surtout, et presque uniquement celles des Auteurs dont la [-VI-] juste célébrité ne pourroit qu'en imposer à la plus grande partie de leurs Lecteurs. Mais si cette célébrité justifie d'un côté la liberté qu'on peut prendre de critiquer les endroits de leurs Ouvrages qui manquent d'exactitude, cette même célébrité doit être en même tems un puissant motif à le faire avec tous les égards dûs au mérite sur lequel elle est fondée. C'est aussi ce que j'ai tâché d'observer avec toute l'attention possible. Je ne sai si l'on pourra remarquer que j'ai eu quelquefois besoin de toute cette attention: je crains bien plutôt qu'on ne me taxe de n'y en avoir pas assez apporté.
Les suffrages, peut-être trop flatteurs, qu'ont accordé à mon premier Ouvrage, soit en France, soit en Angleterre, diverses Personnes très-capables d'en juger, et dont par conséquent l'approbation ne pouvoit que m'être précieuse (a), m'avoient fait espérer que Monsieur d'Alembert auroit examiné avec plus d'attention qu'il ne paroit l'avoir fait, les idées et les vues nouvelles que cet Ouvrage pouvoit contenir; et qu'en conséquence il en auroit dit son sentiment dans les occasions qu'il en a [-VII-] eues, et en particulier dans celles que lui offroient quelques Articles des volumes de l'Encyclopédie qui ont paru quelque tems après cet Ouvrage, comme celui que forme le mot Dissonnance, et sur-tout l'Article même Fondamental.
Comme c'est la recherche de la vérité, et nullement l'envie de contredire, qui m'a engagé à écrire, des Remarques critiques de la part de ce célébre Académicien m'eussent fait un vrai plaisir, et un plaisir d'autant plus sensible qu'elles m'auroient paru plus justes.
Après tout j'ai peu lieu d'être surpris qu'il n'ait pas donné à l'examen de mon premier Ecrit toute l'attention que j'aurois désirée, et à laquelle j'aurois peut-être pû m'attendre de sa part. Ce que cet illustre Géométre a produit depuis dix à douze ans est si considérable, qu'il est naturel d'en conclure, qu'il ne lui a pas été possible de donner à tous les sujets, sur lesquels il a exercé sa plume, et particuliérement à celui de la Théorie musicale, tout le tems qu'auroit pû y consacrer une personne moins occupée, ou occupée de moindres objets.
C'est peut-être ici l'occasion de dire un mot de quelques Remarques écrites de la main de Monsieur R.... sur les marges d'un Exemplaire de mes Essais sur les Principes de l'Harmonie, qui m'est revenu. Je [-VIII-] me ferois un plaisir de les rapporter ici, si elles se trouvoient appuiées de quelques raisonnemens plausibles; mais elles en sont si dépourvues, qu'on me soupçonneroit peut-être de les avoir forgées moi-même. Elles témoignent bien que celles de mes Propositions, qui s'éloignent de ses idées, n'ont pas obtenu son approbation; mais je n'y vois aucune apparence que cet illustre Artiste ait fait attention aux raisons dont elles sont soutenues.
Je crois au reste devoir répéter ici que je n'attaque point la Basse Fondamentale de Monsieur Rameau, adoptée par Monsieur d'Alembert, si l'on ne la considére que comme une Basse méthodique, technique et de convention, propre à faciliter la connoissance et les régles de la composition. C'est dans ce sens qu'elle a mérité l'approbation de la plupart des Musiciens tant en Allemagne qu'en France: je conviens même qu'à divers égards elle ne différe pas de la vraie Basse fondamentale, de celle qui indique continuellement les vrais fondemens et le progrès de la modulation, et qui est par conséquent la vraie Boussole de l'oreille, dans le sens qu'une Basse fondamentale peut l'être.
Mais dans une Théorie philosophique de l'Harmonie il importe de ne pas confondre une Basse fondamentale, qui dans bien des cas ne mérite pas cette dénomination, avec celle qui la mérite toujours exactement.
[-IX-] Je crois avoir suffisamment démontré le fondement de cette distinction dans mon premier Ecrit: On en trouvera encore diverses preuves dans quelques endroits de ces Observations.
On doit d'ailleurs distinguer encore la Basse fondamentale rigoureusement telle de celle qui ne l'est que par une sorte d'analogie. On sait que l'accord parfait majeur est le produit naturel de la résonnance d'un seul corps sonore: par conséquent le principal son de cette résonnance, qui en est aussi le plus grave, est dans un sens exact, le son fondamental de cet accord. Il n'en est pas de même de l'accord parfait mineur, désigné par les trois notes, la, ut, mi; le son le plus grave, le la, est bien la basse physiquement fondamentale de sa quinte mi, mais il ne l'est pas dans le même sens de la tierce mineure ut. Cet ut est lui-même physiquement fondamental de sa tierce majeure mi, et par conséquent ce mi a dans cet accord un double fondement naturel. Il est donc évident que dans l'accord la, ut, mi, le la n'est point proprement la Basse fondamentale de tout l'accord, il ne l'est point dans le sens, qu'il le seroit de l'accord la, ut [x], mi.
Mais si pour se conformer au langage ordinaire de la pratique, on continue de regarder ce la [-X-] comme l'unique fondement de l'accord mineur la, ut, mi, on ne doit pas oublier du moins que cela n'est vrai que dans un sens moins naturel, moins physique que dans le cas où ce même la porte l'accord parfait majeur.
Cette différence essentielle entre les deux genres d'accords parfaits, le majeur et le mineur, mériteroit peut-être moins d'attention dans un sistême de Basse fondamentale, si elle n'influoit pas d'ailleurs fréquemment sur le progrès de la modulation. Mais cette influence y est très souvent fort sensible; telle succession fondamentale, qui seroit vicieuse dans une modulation majeure, se trouve excellente dans une modulation mineure, et cela uniquement en vertu du droit naturel qu'a au titre de son fondamental le son de la tierce, qui caractérise cette derniére modulation.
L'Harmonie admet dans le nombre de ses Accords celui de sixte superflue. Quelque excellent, quelque piquant qu'en soit l'effet, lorsqu'il est employé à propos, il n'y a pas fort longtems qu'il étoit très-peu connu en France. Quand il en a été question, Monsieur Rameau et ses Disciples se sont trouvés un peu embarrassés à en découvrir l'origine, et une origine qui quadrât bien avec le sistême de Basse fondamentale de ce célébre Artiste. [-XI-] Il paroit qu'ils n'ont pas encore réussi dans cette recherche. Monsieur Rameau en particulier s'est crû en droit, (peut-être par prédilection pour un sistême auquel cet accord ne se soumet pas) non seulement de l'exclure du nombre des Accords fondamentaux, mais encore de lui refuser jusqu'au nom même d'accord.
Monsieur d'Alembert et Monsieur de Bethizy l'ont traité cet accord avec moins de rigueur; ils se sont contentés de nous dire qu'il n'a point de Basse fondamentale, ou du moins qu'ils ne lui en connoissent point.
J'ai profité de l'occasion qui s'est présentée plus d'une fois dans le cours de ces Observations, pour démontrer qu'un accord aussi utile dans la pratique de l'harmonie (a) a un fondement, une origine aussi réelle que tout autre accord dissonnant, et qu'il trouve par conséquent très-bien sa place dans une Basse vraiment fondamentale, c'est à dire, dans une Basse qui n'admet dans sa progression que des sons démontrés fondamentaux, que des Toniques, des Dominantes-toniques et des soudominantes, lesquelles se combinent souvent [-XII-] (b), et se succédent toujours d'une maniére réguliére, c'est-à-dire, d'une maniére très-analogue au progrès de la modulation, ensorte qu'on peut dire qu'elle en offre tout le Plan.
La réputation de Monsieur Tartini dans la République de l'harmonie est trop bien établie pour que les Amateurs de la Théorie musicale ne soient pas curieux de connoitre le Livre que cet excellent Artiste a donné au Public sur cette Théorie, et dont j'ai déja indiqué le Titre.
Cet Ouvrage étant écrit en Italien, et ne pouvant sans doute qu'être assez rare en France, j'ai crû devoir en donner une courte Analyse, en attendant que selon le souhait de Monsieur d'Alembert, "Monsieur Tartini engage lui-même quelque Homme de Lettres versé dans la Musique et dans l'Art d'écrire, à déveloper des idées qu'il n'a pas rendues assez nettement, et dont (ajoute Monsieur d'Alembert) l'Art tireroit peut-être un grand fruit, si elles étoient mises dans le jour convenable (a)."
J'accompagne cette Analyse de quelques Réflexions critiques que la lecture de l'ouvrage m'a fait naitre: je souhaite qu'elles puissent faciliter l'intelligence des idées et du systême de Monsieur Tartini à ceux qui sont à portée de lire son Livre.
[-XIII-] Mais ces Réflexions produiront peut-être un autre effet à l'égard de ceux qui ne se trouvent pas dans le même cas; elles pourroient bien prévenir le regret qu'ils pourroient avoir à cette occasion, et leur faire présumer que quelque bien dévelopées que puissent jamais être les idées du célébre Musicien de Padoue, elles ne pourront que contribuer fort peu aux progrès de la Science ou de l'Art musical.
Il y a peu d'années qu'il parut à Londres un ouvrage d'un genre nouveau, et très-propre à intéresser les Amateurs de l'Art musical. Je veux parler du Livre qu'a publié le célébre Monsieur Geminiani sous le titre de Guide ou Dictionnaire harmonique et cetera.
Les Remarques que j'ai faites sur la maniére dont cet ouvrage est éxécuté, et sur le degré de perfection auquel il auroit pû être porté, si l'Auteur eût été aussi versé dans la Théorie, qu'il étoit exercé dans la Pratique de son Art, m'ont paru tenir d'assez près à l'objet principal de cet Ecrit, pour devoir en faire le sujet de la troisiéme Partie de ces Observations.
[-XIV-] TABLE DES MATIERES.
PREMIERE PARTIE.
Réfléxions sur divers points de Théorie musicale traités dans l'Article Fondamental de l'Encyclopédie.
Remarques sur l'expérience par laquelle on prétend qu'un corps sonore fait frémir sans résonner un autre corps qui seroit accordé à sa douziéme ou à sa dix-septiéme majeure au dessous. page 1.
Réflexions sur le principe physique du Phénomène de la Résonnance qui accompagne tout son musical. 5
Observations sur la nature et le fondement de quelques accords, et sur la nécessité de distinguer en Théorie les Intervalles que le Tempérament du Clavecin confond. 9
Observations sur la nature et le but d'une Basse vraiment fondamentale. 16
Observations sur quelques accords proposés par Monsieur d'Alembert. 28
De l'impression de la Basse fondamentale sur l'oreille. 40
Réflexions sur la Gamme des Anciens, et sur les Gammes modernes. 42
Conséquences tirées de la nature du Mode mineur. 57
Examen d'une question rélative à la Basse Fondamentale. 61
Remarques sur les différentes maniéres de procéder dans la Composition rélativement à la Basse. 63
Réflexions sur le Principe fondamental de l'Harmonie. 65
Observation sur l'effet de l'harmonie à l'égard de l'organe vocal. 77
Réflexions sur l'usage du Calcul et des explications physiques en fait de Théorie musicale. 78
Observations sur l'expérience dans laquelle les deux sons d'un intervalle en produisent un troisiéme plus grave, qui en est toujours la Basse fondamentale. 82
De quelques usages qu'on peut tirer des phénomènes du troisiéme son. 94
Des sons produits au grave par la réunion de plusieurs sons entonnés à l'aigu. 98
[-XV-] Du Principe sur lequel est fondée la Régle qui défend de faire entre deux parties deux octaves ou deux quintes de suite. page 102
SECONDE PARTIE.
Analyse critique de l'ouvrage de Monsieur Tartini, intitulé, Traité de Musique selon la vraie science de l'Harmonie.
Occasion et dessein du Traité de Musique de Monsieur Tartini. 109
Division générale de l'Ouvrage. Discours préliminaire. 110
Division du corps de l'ouvrage. Premier Chapitre. 112
Second Chapitre. 120
Troisiéme Chapitre. 125
Quatriéme Chapitre. 142
Cinquiéme Chapitre. 153
Sixiéme Chapitre. 158
Conclusion du Traité. 169
TROISIEME PARTIE.
Réflexions critiques sur l'ouvrage de Monsieur Geminiani, intitulé, Guide ou Dictionnaire harmonique, qui montre exactement les vraies routes de l'Harmonie, et cetera.
Présomptions en faveur du Guide harmonique. 175
Précis de la Préface du Guide harmonique. 177
Observations sur la Méthode du Guide harmonique. 179
Remarques critiques sur l'exécution du Plan du Guide harmonique. 183
Enumération des Branches contenues dans les diverses Classes du Guide harmonique, ou Liste des différens Accords ou différens Chifres que cet Ouvrage assigne à chacune des notes, Re, ut, ut [x], si b, la, sol, fa, fa [x], mi, et qui forment autant de Branches d'Exemple ou de Passages d'harmonie. 185
Branches omises dans le Guide harmonique, et qui devoient y trouver leur place dans l'ordre qu'éxigeoit naturellement le dessein et le Plan de l'ouvrage. 190
Remarques sur les branches d'accords à suppléer dans le Guide harmonique. 199
[-XVI-] FAUTES A CORRIGER.
Page 10. ligne 9. mi, lisez mi b.
26. ligne 26. qui embarasse la, lisez qui peut embarasser dans la.
32. ligne 17. qu'on l'évite, lisez que plusieurs Musiciens l'évitent.
ligne 25. que révolter, lisez que paroitre très dur à.
51. ligne 20. la premiére partie de cet ouvrage, lisez mes Essais et cetera.
58. ligne 1. mineure, lisez diminuée.
62. ligne 26. Tout, lisez Toute.
63. ligne 13. actel, lisez actuel.
ligne 25. le célébre Geminiani, lisez Monsieur Geminiani.
64. ligne 16. effet en, lisez en effet.
81. ligne 12. effacez Petit-Maitre.
84. ligne 24. jeur, lisez majeur.
88. ligne antepenultiéme son, lisez le son.
91. ligne 10 cogionare, lisez cagionare.
ibid. esqisito, lisez esquisito.
127. ligne 18. 9/1. lisez 1/6.
[-1-] OBSERVATIONS SUR LES PRINCIPES DE L'HARMONIE.
PREMIERE PARTIE.
Réflexions sur divers Points de Théorie musicale traités dans l'Article Fondamental de l'Encyclopédie.
Remarques sur l'expérience, par laquelle on prétend qu'un corps sonore fait frémir sans résonner un autre corps qui seroit accordé à sa douziéme ou à sa dixseptiéme majeure au-dessous.
MOnsieur d'Alembert, Auteur de l'Article Fondamental de l'Encyclopédie, le commence par l'exposition du phénomène de la resonnance qui accompagne naturellement tout son musical de son octave, de sa douziéme et de sa dix-septiéme majeure. Il rapporte ensuite d'après Monsieur Rameau l'expérience dans laquelle il s'agit de reconnoitre l'effet de [-2-] l'aigu sur le grave; "Si l'on accorde, dit-il, avec le corps sonore deux autres corps, dont l'un soit à la douziéme au dessous du corps sonore, et l'autre à la dix-septiéme majeure au dessous, ces deux derniers corps frémiront sans résonner, dès qu'on fera résonner le premier: de plus, ces deux corps en frémissant, se diviseront par nne espèce d'ondulation, l'un en trois, l'autre en cinq parties égales; et ces parties dans lesquelles ils se divisent, rendroient l'octave (a) du son principal, si en frémissant, elles résonnoient."
2. Ceux qui connoissent la Théorie de Monsieur Rameau savent qu'il a cru trouver dans cette expérience une indication naturelle de l'accord parfait mineur, et du mode qui en dépend. On a pu voir dans les Essais sur les Principes de l'Harmonie, (page 107. et suivantes) le peu de fondement de cette prétendue indication.
J'ai supposé à la verité que dans l'expérience dont il s'agit, les points fixes étoient immobiles, et que par conséquent les cordes sur lesquelles on la fait ne frémissent point dans leur totalité. Mais Monsieur Rameau dans le premier chapitre de la Génération harmonique a tâché de prouver le frémissement de la totalité.
"Pour s'assurer, dit-il, que la corde grave frémit dans sa totalité, pendant qu'elle se divise en trois, lorsque l'aigue est raclée, il faut y effleurer les points fixes avec l'ongle, et on [-3-] la sentira frémir en ces endroits, où pour lors ce frémissement est imperceptible à l'oeil."
3. Il est vrai que dans des ouvrages postérieurs à la Génération harmonique Monsieur Rameau paroit avoir recconnu le peu de réalité de ce frémissement de la totalité, et Monsieur d'Alembert y a expressément renoncé dans ses Elémens de Musique et cetera. Cependant ces deux Auteurs n'ont pas laissé de retenir la conséquence, après avoir reconnu la nullité du seul fait dont elle pouvoit être déduite. A la vérité il paroit que c'est faute de pouvoir mieux faire que Monsieur Rameau s'est crû en droit de commettre cette inconséquence: Vovez la page 72. de ses Nouvelles Réflexions sur le Principe de l'Harmonie.
4. Mais Monsieur d'Alembert dans la nouvelle Edition de ses Elémens de Musique paroit avoir enfin senti l'absurdité de l'inconséquence, et la nécessité de recourir à une origine plus naturelle de l'accord mineur. Celle qu'il lui donne dans cette édition consiste à reconnoitre un double fondement dans l'accord la, ut, mi; la et ut pouvant être considérés comme générateurs de mi, leur harmonique commun, vû que ce mi est quinte de l'un et tierce majeure de l'autre. C'est précisément l'origine que j'ai proposée de cet accord dans mes Essais comme on le voit page 82 109 et 126; et c'est en conséquence de cette origine, que j'ai cru pouvoir regarder le mode mineur de la, comme résultant d'une combinaison de deux modes majeurs, de la et d'ut, ainsi que je l'explique dans la page 125 et suivante.
5. Pour achever de mettre dans tout son jour [-4-] la nullité de cette indication de l'accord mineur fondée sur le prétendu frémissement de la totalité des cordes multiples du corps sonore, je crois pouvoir indiquer ce qui peut en avoir imposé à cet égard.
En fait d'expériences aussi délicates que celle dont il s'agit, on doit éviter tout ce qui pourroit la rendre équivoque. Monsieur Rameau s'étant servi, à ce qu'il paroit, de cordes de viole ou de violoncelle, on peut présumer avec raison que de telles cordes n'avoient pas dans toute leur longueur cette parfaite égalité qui paroit essentielle dans ce cas-ci.
Pour moi du moins, qui ai fait l'expérience avec des cordes d'acier, je n'ai pu appercevoir le moindre frémissement dans les points fixes en les effleurant avee l'ongle; et lors que j'ai mis des brins de papier extrêmement légers, tant sur les points fixes que sur d'autres endroits de la corde, ceux qui se sont trouvés placés exactement sur ces points ont paru demeurer dans le plus parfait repos, pendant que les autres ont été d'abord culbutés, ou mis dans un mouvement extrêmement sensible. Il est donc certain que dans l'expérience dont nous parlons les points fixes sont immobiles, et qu'ainsi la corde ne frémit point dans sa totalité, si cette expérience est bien faite. Dès lors tout raisonnement fondé sur le frémissement de la totalité des cordes porte à faux, et ne sauroit autoriser en aucun sens l'indication que Monsieur Rameau continue à y trouver.
6. On suppose encore que dans cette expérience les parties de la corde qui frémissent d'une maniére très-sensible ne résonnent cependant point [-5-] du tout. N'est-ce pas là une supposition hazardée pour faire d'autant mieux valoir le prétendu frémissement de la totalité?
N'est-il pas plus raisonnable de penser que ces parties résonnent, puis qu'elles frémissent sensiblement; et même de croire que la force du son qu'elles rendent est proportionnelle à celle du frémissement? Ce foible son étant exactement à l'unisson du générateur qui le produit et qui est beaucoup plus fort, il n'est pas étonnant qu'il en soit couvert, au point de ne pouvoir pas en être distingué.
Réflexions sur le principe physique du Phénomène de la Resonnance qui accompagne tout son musical.
7. Monsieur d'Alembert propose ensuite quelques remarques sur l'explication que quelques Physiciens ont donné du phénomène singulier de la resonnance qui accompagne le son principal que rend un corps sonore.
Quelque bien averée que soit aujourdhui la réalité de ce phenomene, il se trouve cependant encore quelques Musiciens, entr'autres Monsieur Antoniotti (a), qui ne veulent pas l'admettre: mais ceux qui auront fait assez d'attention aux expériences qui en prouvent la vérité (b), de même [-6-] qu'à l'influence de ce phénomène sur la pratique de l'harmonie, pourront penser avec raison que ceux qui le rejettent n'ont pas examiné le fait avec toute l'attention et la sensibilité d'oreille nécessaires en pareil cas.
8. Il pourroit cependant y avoir ici un peu de malentendu. Si les partisans du phénomène pensent avec Monsieur Rameau (c) et Monsieur Bernouilli que le corps sonore se divise en ses parties aliquotes et produit ainsi une complication de différentes vibrations dans une seule et même corde, il y a lieu de craindre, de l'aveu même de Monsieur Bernouilli, que ce ne soit là une supposition ou une conjecture qu'aucune observation ne justifie, quoi qu'en dise Monsieur d'Alembert, qui nous assure que "de très-habiles Physiciens ont remarqué (ce qui, dit-il, n'est pas difficile à concevoir) que la vibration totale d'une corde musicale est le mêlange de plusieurs vibrations particuliéres." Si l'observation de ces Physiciens a été bien faite, il semble que la cause physique et immédiate du péhnomène de la resonnance ne seroit plus équivoque.
Elle le seroit pourtant encore pour Monsieur d'Alembert, vû la question qu'il fait à cette occasion. "Mais pourquoi, demande-t-il, ce son multiple n'en paroit-il renfermer que trois, et pourquoi ces trois préférablement à d'autres?" Si Monsieur d'Alembert pouvoit m'assurer de la vérité de l'observation, je me chargerois volontiers de la réponse à sa question.
9. En attendant je dirai qu'il me paroit plus [-7-] raisonnable de conjecturer avec Monsieur de la Grange (a) que le phénomène de la résonnance est dû, en bonne partie du moins, aux vibrations que le son principal de la corde peut et doit occasionner dans les autres cordes et même dans les fibres ligneuses de l'instrument.
10. Entre ceux qui admettent la réalité du phénomène en question, quelques-uns ont cru avec Monsieur de Mairan que l'air étoit composé d'une infinité de particules de différentes grosseurs, et dont chacune étoit propre à transmettre un ton particulier, ensorte que la corde sonore, en fesant frémir les particules montées à l'unisson de la totalité de la corde, feroit encore frémir, quoique plus foiblement, celles qui répondent à l'octave, à la douziéme et à la dix-septiéme majeure de cet unisson.
11. Monsieur Rameau adopte ce sentiment (Generation harmonique. page 7.); mais Monsieur d'Alembert nous assure dans l'article qui occasionne ces réflexions que ce celébre Artiste se reproche avec raison d'avoir mêlé aux expériences lumineuses qui font la base de son sistème, l'hypothèse physique en question; hypothése, ajoute-t-il, purement conjecturale, et insuffisante pour rendre raison des phénomènes. Cette hypothèse me paroissant en effet, aussi-bien qu'à Monsieur d'Alembert, sujette à de grandes difficultés, l'explication qu'on voudroit en tirer du phénomène de la résonnance ne peut être admise que de ceux qui en auront trouvé la solution.
[-8-] 12. Heureusement il nous reste encore un moyen d'expliquer ce phénoméne, et de l'expliquer même de façon à en rendre la vérité plausible à ceux même qui le révoquent en doute. Ce moyen, quoique différent de celui que conçoit Monsieur de la Grange, ne l'exclut pourtant pas, il lui est même très-analogue.
13. On ne sauroit douter que l'organe de l'ouie ne soit construit d'une maniére admirable et ne renferme une infinité de fibres acoustiques toutes extrêmement sensibles. On peut penser avec raison que ce qu'un corps sonore peut produire sur les cordes d'un clavecin qui se trouvent montées à l'unisson, à l'octave, à la douziéme et à la dix-septiéme majeure de ce corps sonore, ce même corps sonore peut le faire aussi non seulement sur les fibres acoustiques de l'oreille qui se trouvent à l'unisson, mais encore, quoique plus foiblement, sur celles qui répondent à l'octave, à la douziéme et à la dix-septiéme majeure de ce corps sonore.
14. J'ai vu avec plaisir que l'Auteur du Journal Etranger pour le mois de Mai 1760, dans l'Extrait qu'il donne de la Dissertation de Monsieur de la Grange sur le son, pensoit à cet égard comme moi: il est vrai qu'il se propose lui-même une difficulté qui lui a paru très-forte; "On objectera, peut-être, (dit-il) qu'on devroit par la même raison entendre l'octave, la douziéme et la dix-septiéme majeure au dessous du son principal, puisque ce son produit un frémissement dans les cordes double, triple et quintuple. J'avoue, ajoute-t-il, que je ne vois pas de réponse à cette objection; cependant peut-être [-9-] n'est-elle pas sans replique."
Après ce que j'ai dit ci-devant sur ce prétendu frémissement de la totalité des cordes multiples, il est aisé de voir que l'objection tombe d'elle-même.
15. On comprendra aisément que toute autre explication physique de la résonnance, qui seroit bien établie, ne détruiroit point celle que j'ai proposée; il en faudroit plutôt conclure que plusieurs causes concourent à produire le même phénoméne.
Observations sur la nature et le fondement de quelques accords, et sur la nécessité de distinguer en Théorie les Intervalles que le Tempérament du Clavecin confond.
16. Monsieur d'Alembert traite ensuite des accords fondamentaux. On voit qu'il met au nombre de ces accords les deux accords de septiéme re, fa, la, ut, et si, re, fa, la; on a pu voir dans la seconde Partie de mes Essais, et on le verra encore dans la suite, que dans le mode d'ut, l'accord re, fa, la, ut, n'est que le renversement de l'accord de grande sixte fa, la, ut, re; les mêmes raisons ne prouvent pas moins que l'accord si, re, fa, la, dans le mode mineur est renversé de l'accord re, fa, la, si. Dans le mode majeur ce même accord si, re, fa, la peut être nommé accord par substitution, comme tenant la place de l'accord sol, si, re, fa.
17. En parlant de celui de sixte superflue fa, la, si, re [x]. Monsieur d'Alembert nous dit que "ce n'est pas proprement un accord de sixte; car du fa au re [x] (ajoute-t-il) il y a une [-10-] vraie septiéme; mais l'usage l'a ainsi nommé en désignant seulement la sixte par l'épithète de superflue."
18. On voit par cette reflexion de l'illustre Académicien, et cela paroitra encore par la suite, qu'il pense qu'en théorie on ne doit point distinguer les intervalles qui sur un clavecin s'exécutent avec les mêmes touches; et qu'ainsi un re [x] ne différe point d'un mi, ni un mi [x] d'un fa naturel, et ainsi du reste. Suivant cette doctrine un triton sera une fausse quinte, une quinte superflue une sixte mineure, une septiéme diminuée une sixte majeure, et comme nous venons de le voir, une sixte superflue sera une vraie septiéme.
19. Il me semble que s'il y a un moyen d'anéantir toute théorie musicale, c'est certainement une pareille confusion des intervalles, qui va même jusqu'à faire prendre pour consonnances les dissonnances les plus dures. Si un Grammairien nous disoit que pére et paire, fin et faim, champ et chant, et cetera vû la ressemblance de la prononciation, sont des mots synonimes, il n'avanceroit rien, ce me semble, qui ne fût aussi-bien fondé que l'assertion de Monsieur d'Alembert. Encore y a-t-il cette différence, que dans la pratique du clavecin, c'est uniquement par l'extrême difficulté de mieux faire, qu'on tolére le vice sensible de l'instrument, celui d'altérer les intervalles, d'égaliser ceux qui différent entre eux d'un quart de ton, mais dont la différence est, ou doit être soigneusement observée sur les instrumens dégagés de la servitude des touches; au lieu que dans la prononciation des mots indiqués [-11-] ci-dessus, on ne sauroit éviter de leur donner la même prononciation, sans pécher contre ce qui fait loi en fait de langue parlée, contre l'usage. Comment l'illustre Auteur des Elémens de Musique théorique aussi-bien que pratique, a-t-il pû ignorer que le sens, que l'expression musicale d'une quinte et d'une sixte superflues différe aussi essentiellement de celle d'une sixte et d'une septiéme mineure que la signification de pére, fin, champ, poids, poing, et cetera différe de celle de paire, faim, chant, poix, point et cetera?
20. Il est heureux pour le plaisir de notre oreille qu'elle ne soit pas plus revoltée qu'elle ne l'est par les intervalles altérés et équivoques des instrumens à touches; mais cette disposition favorable de cet organe ne nous autorise nullement à confondre les vrais intervalles dont ils occupent la place, et dont à la faveur de ce qui précède, ils nous suggèrent le sentiment tout aussi bien, ou à peu près, que le feroient ces vrais intervalles. Concluons donc avec tous les Musiciens que la distinction établie dans la maniére de noter entre un dieze et le bémol voisin est encore plus fondée sur la nature même des intervalles que sur l'usage, et que cette distinction si essentielle dans la pratique, l'est bien plus encore dans la théorie.
21. Bien loin que la note distingue des intervalles qui dussent être confondus, on auroit peutêtre lieu de souhaiter qu'elle portât plus loin l'exactitude à cet égard, et qu'une vraie tierce mineure, par exemple, ne fût pas confondue avec cette sorte de tierce mineure qui se trouve essentiellement foible d'un comma, et qui, quant [-12-] à l'expression, en est en effet assez différente. Qu'un Musicien consulte son oreille, et qu'il me dise si, lors qu'elle est prévenue du mode majeur d'ut, il ne sent pas une différence sensible d'expression entre la tierce mineure juste d'ut à la, et celle de fa à re, qui est alors foible d'un comma; il s'en faut bien, ce me semble, que celle-ci égale l'autre en douceur.
22. Je ferai à cette occasion une remarque sur la quatriéme proposition du chapitre 7. de la Génération harmonique où Monsieur Rameau se propose de prouver la nécessité du tempérament, même pour la voix. Dans cette vue il examine une question de Monsieur Huyghens, savoir si l'on entonnera les deux sol à l'unisson dans cet ordre de sons,
sol, ut, la, re, sol 24, 32, 27, 36, 24?
Monsieur Rameau répond avec Monsieur Huyghens qu'on ne peut entonner le dernier sol à l'unisson du premier , si l'on donne à chaque consonnance sa juste proportion dans cet ordre de sons, c'est-à-dire, si l'on y chante juste et cetera. Je dirois au contraire qu'on entonnera le dernier sol à l'unisson du premier, si l'on donne à chaque intervalle sa juste proportion, puisque cette proportion n'est juste qu'autant qu'elle est conforme à la nature du mode. Par conséquent on ne chanteroit pas juste l'intervalle de ut à la, si au lieu du la que donne le mode, on entonnoit un la qu'il ne donne pas. La voix n'a donc besoin ici d'aucun tempérament, elle chante très-juste quand elle forme de ut à la, l'intervalle de 32 à 27 qu'exige le mode, ou la basse fondamentale sol, ut, re, re, sol. Ainsi cette proposition de Monsieur Huyghens et de Monsieur Rameau ne prouve nullement la nécessité d'un tempérament [-13-] dans le chant. On voit que ce n'est qu'à la faveur de l'ambiguité de la note, aussi-bien que du langage musical, que ces deux auteurs donnent improprement à l'intervalle de 32 à 27 le titre de consonnance, qui dans le fond ne convient qu'à la vraie tierce mineure de 6 à 5. On peut encore voir (page 40. de mes Essais) quelques réfléxions qui ont rapport à ce sujet.
23. La Théorie du tempérament ne devoit point entrer dans la Théorie de l'harmonie; elle n'est propre qu'à embrouiller celle-ci; son utilité est bornée à prouver la possibilité, et à trouver le moyen d'exécuter avec un certain nombre de touches ou de cordes ce qui à la rigueur en demanderoit environ deux fois autant.
24. Mais il est un cas où le tempérament est nécessaire, et où par conséquent la pratique manque d'un signe propre à le désigner; ce cas c'est celui des transitions enharmoniques; ces transitions, pour être bien rendues, exigent absolument que le son sur lequel portent ces sortes de licences harmoniques soit tempéré, c'est-à-dire qu'il tienne un milieu entre les deux notes, qu'il doit également représenter. Il seroit donc fort à propos, vû la différence sensible qu'il y a entre un semiton mineur et un semiton majeur, qu'il y eût un signe destiné à marquer l'altération à faire dans la note sur laquelle elle doit tomber. On comprend que cette remarque regarde principalement la musique faite pour la voix et pour les instrumens susceptibles d'une parfaite intonation, et où par cela même le défaut d'un signe propre au cas dont il est question, peut naturellement [-14-] induire en erreur le musicien qui exécute cette musique.
25. Revenons à l'accord de sixte superflue fa la, si, re [x]. Monsieur d'Alembert paroit fort embarrassé à en déterminer l'origine. "Comment assigner, dit-il un peu auparavant, l'origine d'un accord fondamental qui renferme tant de dissonances, et qui pourtant n'en est pas moins employé avec succès? Ce qu'on peut imaginer de plus plausible là-dessus ne l'est guéres."
Oui, sans doute, il ne l'est guéres quand on s'en tient à un sistème de Basse fondamentale aussi défectueux en théorie que l'est celui que notre Auteur a adopté: mais dans les principes de la vraie basse fondamentale il est aisé de s'assurer que le fondement de cet accord est précisément celui que je lui ai assigné dans mes Essais page 60 et 61.
26. Monsieur d'Alembert ni aucun autre Auteur François que je sache ne font point mention d'un autre accord de sixte superflue fa, la, ut, re [x], qui n'est pas moins bon que celui dont il est ici question, et dont l'origine est aussi exactement la même. C'est ce que nous aurons occasion d'expliquer plus amplement dans la suite, lors qu'il sera question de l'ouvrage de Monsieur Tartini et de l'emploi qu'il fait de ce dernier accord.
27. En attendant j'ose dire qu'on cherchera en vain dans un seul son fondamental le fondement ou l'origine des accords dissonnans. C'est ce dont Monsieur d'Alembert paroit avoir senti plusieurs fois la nécessité; il a même compris, ainsi que je l'ai déja observé (4.), que dans l'accord parfait mineur la, ut, mi, les deux premiers sons peuvent ête considérés [-15-] l'un et l'autre comme générateurs de mi. A cet égard donc il me paroit dans la bonne voye, et cela d'autant mieux que l'autorité de Monsieur Rameau paroit avoir aujourdhui moins d'influence que jamais sur ses sentimens en fait de théorie musicale.
28. Voici encore un endroit où Monsieur d'Alembert, d'accord avec lui-même et avec son principe sur l'identité des intervalles qui s'exécutent avec les mêmes touches sur le clavecin, regarde en conséquence la septiéme diminuée comme une sixte: "l'accord de septiéme diminuée n'est, dit-il, qu'improprement accord de septiéme; car du sol [x] au si, (il a sans doute voulu dire du sol [x] au fa,) il n'y a qu'une sixte, quoique l'usage lui ait donné le nom de septiéme, en y ajoutant l'épithète de diminuée." Nous avons déja suffisamment fait sentir que cet usage est essentiellement fondé en raison.
29. Monsieur d'Alembert ajoute "qu'on peut avec Monsieur Rameau (Génération harmonique. page 151.) regarder cet accord comme dérivé de l'accord de la dominante du mode mineur réuni à celui de la soudominante." Rien de plus juste que cette observation; donc l'accord sol [x], si, re, fa, a un double fondement mi et re. Point du tout, cette conclusion si naturelle sera rejettée; le sistème ne s'en accommode point: on trouve dans cet accord un intervalle sol [x] fa, qui porte le nom de septiéme, quoiqu'improprement selon Monsieur d'Alembert; n'importe, le sol [x], en vertu de cette dénomination, sera le fondement et de cet accord et de ses renversemens, quoique ce sol [x], comme note sensible, soit de tous les sons du mode et de cet accord celui auquel la qualité de son [-16-] fondamental convienne le moins, vû qu'il est essentiellement en ce cas tierce majeure de la dominante mi.
30. Qu'on tolére de pareilles contradictions dans une basse hypothétique et de pure convention; à la bonne heure: mais la théorie ne se contentera jamais d'une basse fondamentale qui en a si peu le vrai caractére; elle demandera avec raison la basse fondamentale de cette basse hypothétique et arbitraire.
Observations sur la nature et le but d'une Basse vraiment fondamentale.
31. On a pu voir (page 81 et suivantes) de mes Essais et cetera ce en quoi je fais consister la nature et le but de la basse fondamentale. "Le grand objet de la succession fondamentale (dis-je à cette occasion) n'est pas seulement de nous indiquer l'harmonie qui existe; elle doit surtout servir à manifester le principe qui la lie, tant avec ce qui précède qu'avec ce qui suit." C'est-à-dire qu'une basse n'est vraiment fondamentale qu'autant qu'elle remplit deux conditions, dont la premiére demande que chaque accord trouve dans cette basse son fondement naturel et analogue au principe de la résonnance; puisque ce n'est que dans ce cas que les sons fondamentaux représentent véritablement les corps sonores dont les accords sont dérivés, et que réciproquement les accords ne contiennent que des sons pris dans la résonnance des sons fondamentaux. La seconde condition exige que la progression de [-17-] ces sons fondamentaux indique le rapport harmonique que les accords consécutifs ont entre eux, et en vertu duques ils succédent bien les uns aux autres. Pour cet effet il faut qu'il y ait entre les sons fondamentaux la rélation harmonique la plus grande et la plus naturelle que la nature de ces accords peut comporter, eu égard à la premiére condition.
32. Il est aisé de comprendre combien une basse fondamentale qui satisfait toujours à ces deux conditions doit répandre de jour sur la succession des accords et des modulations par l'application continuelle qu'on y fait et du principe de la résonnance et de celui des rapports.
33. Il n'est pas moins facile de remarquer que la Basse fondamentale de Monsieur Rameau manque souvent à ces deux conditions, que les sons qu'il donne pour fondamentaux ne representent pas toujours les corps sonores dont les sons des accords soient les harmoniques, et que les rapports entre les sons supposés fondamentaux ne sont pas toujours aussi simples qu'ils devroient l'être; que bien loin que chacun de ces sons soit le moyen harmonique qui lie deux accords consécutifs, ils ont souvent besoin eux-mêmes des sons de ces accords pour soutenir le rapport peu naturel qu'ils ont avec les fondamentaux vrais ou prétendus, qui précédent ou qui suivent; de sorte que par un renversement absurde, l'accord devient en ce cas le fondement de son fondement.
34. C'est ainsi, par exemple, que dans la succession des deux accords fa la ut mi, et si re fa la, [-18-] Monsieur Rameau leur donne pour basse fondamentale les deux sons fa et si; il est aisé de s'appercevoir que le si manque aux deux conditions que je suppose essentielles; d'abord on voit qu'il ne représente nullement le corps sonore dont les sons re, fa, et la puissent être les harmoniques, et en second lieu des quatre sons si, re, fa, la, c'est justement le si qui a le moindre rapport harmonique avec le fa fondamental qui précéde.
35. La basse fondamentale au contraire qui traite cet accord comme dérivé des deux accords fa, la, ut, et sol, si, re, et qui par conséquent lui donne le double fondement de fa et de sol, satisfait parfaitement aux deux conditions requises, et montre en même tems que cet accord est dans le mode majeur d'ut.
36. Il sera aisé de faire voir que la suite des accords ordinairement désignés dans la Basse
7 7 7 7 7 7 ut, fa, si, mi, la, re, sol, ut,
malgré les transitions simulées du mode principal d'ut, dans ceux de mi, de la, de re, et de sol, que cette basse semble annoncer successivement,et qu'elle annonceroit en effet si ces transitions étoient réelles, il seroit, dis-je, aisé de faire voir que cette suite est renfermée dans le seul mode majeur d'ut, et que la vraye basse fondamentale de ces accords n'est formée que des trois sons fondamentaux de ce mode, ut, sol, et fa, et cela arrangés et combinés de la maniére suivante,
[Serre, Observations, 18; text: Basse Continue, 7, B. C. ut, fa, si, mi, la, re, sol, ut. Basse Fondamentale naturelle, ut, re, mi, fa, sol, la, si] [SEROBS1 01GF]
[-19-] 37. Dans cette Basse fondamentale les sons qui la composent ne dominent pas tous également; voici l'ordre dans lequel se suivent ceux qui prédominent,
Basse Fondamentale principale
ut, fa, sol, sol, ut, fa, sol, ut.
38. Cette Basse fondamentale et les raisons qui en établissent la vérité étant bien conçues, on trouvera aisément la réponse qu'on peut faire à Monsieur de Bethizy, qui, dans le chapitre 7. de la seconde partie de son livre, veut prouver qu'une suite de dominantes simples telles qu'on les observe dans l'Exemple en question, de même que toutes celles de l'Exemple 71. du même ouvrage, ne sont point renfermées dans le mode d'ut, et même n'appartiennent à aucun mode.
39. La Basse fondamentale proposée donnera encore la solution de la question suivante.
Il est démontré que si dans la basse continue
ut, fa, si, mi, la, re, sol, ut,
on entonne comme consonnances justes les quartes ou quintes comprises depuis le si jusqu'à l'ut final, cet ut, ne sera plus à l'unisson du premier, mais se trouvera plus bas d'un comma; On demande donc lequel de ces intervalles doit être altéré pour éviter de détonner ainsi, et pour que tous les sons demeurent exactement dans le mode d'ut?
40. Je répons que c'est l'intervalle du la au re sur lequel tombe l'altération, et que c'est le mode méme d'ut qui la requiert.
On fait que la, tierce majeure de fa, est d'un comma plus bas que la, quinte juste de re: or [-20-] il n'y a que le premier de ces deux la qui appartienne au mode d'ut: si donc les cinq premiers sons de cette basse, ut, fa, si, mi, la, forment exactement les intervalles désignés par ces notes, le la se trouvera tierce majeure juste de fa, comme il est aisé de le démontrer. Il suit de là qu'en donnant au re l'intonation qu'il doit avoir dans le mode d'ut, la quinte en descendant du la au re sera nécessairement une quinte foible d'un comma; et passant ensuite du re au sol, et du sol à l'ut, par quintes justes en descendant, ce dernier ut se trouvera exactement à l'unisson du premier; et tous les sons de cette basse, ut, fa, si, mi, la, re, sol, ut, auront ainsi très-exactement l'intonation qu'exige le mode d'ut.
41. Voici un autre Exemple dans le mode mineur, où la Basse fondamentale de Monsieur Rameau pèche également contre les deux conditions qui me paroissent essentiellement requises dans une vraie Basse fondamentale. C'est le 90. des Elémens de Monsieur d'Alembert, et le 25. de la Génération harmonique. On peut voir les observations de Monsieur d'Alembert sur cet Exemple dans le chapitre 14. du second Livre de ses Elémens.
[Serre, Observations, 20; text: Dessus, ut, re, mi fa, sol, la, si, Basse Continue, Basse Fonmadmentale de Monsieur Rameau.] [SEROBS1 01GF]
42. Dans les principes que je propose cette prétendue Basse fondamentale doit céder sa place à celle-ci qui indique l'unité du mode de la, [-21-] dans lequel cet Exemple me paroit renfermé, comme n'ayant de sons fondamentaux que les trois sons la, re, et mi.
Basse Fondamentale principle
[x] ut [x] [x] [x] la, re, mi, la, re re, mi mi, la.
Les diézes indiquent ceux de ces sons fondamentaux qui portent la tierce majeure; les autres sont fondamentaux dans le sens que comporte l'accord parfait mineur tel que la, ut, mi, ainsi que nous l'avons indiqué ci-devant (4.); c'est-à-dire que l'ut, qui en forme la tierce, est aussi fondamental à l'égard du mi, sa sierce majeure, et qu'en conséquence ce mi porte sur un double fondement, sur la et sur ut, dont il est harmonique commun.
43. La raison qui me fait substituer un mi au sol [x] est trop évidente pour qu'il soit nécessaire d'y insister. Monsieur d'Alembert adopte lui-même cette substitution. Si je mets ensuite un la au dessous de l'ut, c'est que quoique cet ut soit ici actuellement fondamental comme portant sa quinte et sa tierce majeure justes, il n'indique cependant pas aussi bien la liaison de l'accord qu'il porte avec ce qui précéde et ce qui suit, comme le fait le la que je lui associe. Le si qui existe dans cet accord ne s'y trouve que par suspension, et la note qu'il suspend, et dont il tient la place, étant un la, l'accord sol, ut, mi, si représente l'accord sol, ut, mi, la, ou la, ut, mi, sol, tout comme l'accord précédent sol [x], si, re, fa représente l'accord sol [x], si, re, mi, ou mi, sol [x], si, re, et par conséquent la est ici aussi essentiellement fondamental de l'accord sol, ut, mi, [-22-] si, que mi l'est de l'accord sol [x], si, re, fa, quoique ni l'un ni l'autre n'existe actuellement dans l'accord dont ils sont le fondement.
44. Mais en admettant que dans l'accord sol, ut, mi, si, le si tient lieu du la qu'il fait sous entendre, et forme ainsi une neuviéme sur le la fondamental, on pourroit penser que la forme primitive ou fondamentale de l'accord sous entendu sol, ut, mi, la, est plutôt ut, mi, sol, la, que la, ut, mi, sol, vû que l'accord re, fa, la, ut, dans le mode d'ut, qui paroit entiérement semblable à l'accord la, ut, mi, sol, n'est que le renversement de l'accord fa, la, ut, re.
45. Je répons que quelque grande que paroisse la ressemblance entre l'accord la, ut, mi, sol, dont il s'agit ici, et l'accord re, fa, la, ut, dans le mode majeur d'ut, il y a cependant une différence essentielle non seulement dans les rapports qu'ont les sons la et re avec les trois autres sons qui les accompagnent; mais encore dans l'effet de ces deux accords quant au progrès de la modulation. Dans le mode majeur d'ut, des trois sons fondamentaux ut sol et fa, il n'y a que la dominante sol qui puisse porter une septiéme qui soit mineure; les deux autres ut et fa ne peuvent y porter que leur septiéme majeure dont la différence avec une septiéme mineure est comme on fait d'un semiton mineur.
Dans le mode mineur de la, des trois sons fondamentaux la mi et re, il n'y a non plus que la dominante mi qui puisse porter une septiéme mineure, savoir mi re, égale à celle de sol fa, que porte dans le mode maieur d'ut, la dominante sol; les deux autres fondamentaux [-23-] la et re peuvent bien être accompagnés d'une septiéme mineure, le la de sol, et le re d'ut; mais cette septiéme mineure est essentiellement alors plus forte d'un comma que celle de mi à re; et quant à son effet pour le progrès de la modulation, cette septiéme mineure forte a plus de rapport ou d'analogie avec les septiémes majeures du mode majeur, qu'avec la septiéme mineure d'une dominante tonique qui est la même dans le mode mineur comme dans le majeur, ou qu'avec la septiéme que porte le re, dans ce mode majeur.
46. On voit la preuve de cette différence d'effet pour le progrès de la modulation dans l'Exemple même dont il s'agit ici; on voit que dans le second accord le re fondamental est accompagné d'une septiéme mineure, et cependant la modulation, au lieu d'aller en sol, passe à un accord dont mi est le principal fondement; et l'accord de septiéme mineure re, fa, la, ut, est ici suivi de l'accord sol [x], si, re, fa; précisément de la même maniére que dans le mode majeur l'accord de septiéme majeure fa, la, ut, mi, est suivi de l'accord si, re, fa, la. Et comme on ne peut bémoliser le mi dans l'accord fa, la, ut, mi, sans changer le mode; on ne peut de même affoiblir ou supposer affoiblie d'un comma la septiéme mineure forte de re à ut, ou de la à sol, dans le mode mineur de la, que pour changer de mode.
47. La pratique a deux ou trois signes pour indiquer le haussement ou l'abaissement d'un sémiton mineur; elle n'en a point lorsque ce haussement [-24-] ou cet abaissement n'est que d'un comma. La sagacité de l'oreille d'un côté, et de l'autre sa disposition à recevoir pour justes les intervalles qui ne s'écartent que d'un demi-comma, ou à peu près, de la parfaite justesse, ont suppléé à ce défaut de la note; mais ce défaut peu important, si l'on veut, quant à la pratique, est peut-être la principale cause de la lenteur des progrès qu'on a faits jusqu'à présent dans la Théorie de l'harmonie.
48. Je conclus donc, vu les considérations précédentes, que je suis fondé à placer un la sous l'ut, dans la basse fondamentale de l'exemple dont il est question, et que c'est principalement de ce la que dépend la connexion de l'accord dont il est le fondement avec les deux autres accords entre lesquels il se trouve.
49. J'ai encore substitué dans ma Basse fondamentale un re au fa [x], la raison en est évidente si l'on fait attention que le mi, qui forme une septiéme avec ce fa [x], n'est encore ici qu'une note par suspension, une neuviéme sur un re fondamental, et qu'il tient la place de l'octave de ce re, qui ne paroit que dans l'accord suivant: d'où il suit que l'accord fa [x], la, ut, mi, représente l'accord fa [x], la, ut, re, qui n'est que l'accord re, fa [x], la, ut, renversé; accord qui a véritablement toute l'apparence d'un accord sensible de dominante, et où le fa [x] paroit en conséquence comme note sensible du ton de sol: mais l'ut qui forme la septiéme du re étant essentiellement dans le mode de la, une septiéme mineure forte à l'égard de ce re, et cet ut n'ayant point paru en qualité de soudominante, ni le re comme [-25-] dominante tonique, l'accord fa [x], la, ut, re, ou re, fa [x], la, ut, ne se présente à l'oreille que comme un accord de soudominante, dont la tierce peut être également majeure ou mineure; et l'ut, comme le mi, n'y paroit que comme note par suspension qui tient la place du si, qui lui succéde dans l'accord suivant: En sorte que l'accord fa [x], la, ut, mi, en conservant aux sons qui le composent l'intonation qui leur est propre dans le mode de la, porte sur deux fondemens, sur le la qui précéde, et de l'harmonie duquel il reste deux notes ut et mi par suspension, et sur le re, fondement principal, comme soudominante du mode qui fournit sa tierce majeure et sa quinte juste.
50. Enfin j'ai substitué encore un re, à la place du si, qui se trouve dans la Basse fondamentale de Monsieur Rameau, et cela parce que l'accord si, re, fa, la n'est que le renversement de l'accord de soudominante re, fa, la, si, qui ne différe aussi de l'accord précédent qu'en ce que la tierce y est rendue mineure, comme elle peut l'être dans cet accord, et que l'ut, qui n'existoit dans l'accord précédent que par suspension, descend sur le si qu'il suspendoit, pour épurer et completer cet accord de soudominante.
51. Mais si c'est là la véritable marche fondamentale de la modulation dans l'Exemple dont il s'agit; il n'en est pas moins vrai, qu'il y a dans les trois accords que portent les trois notes sol, fa [x], et fa de la Basse continue, une feinte, une annonce très-forte d'un passage du mode de la en celui de sol.
En effet, vû la difficulté où est l'oeil qui lit, et l'oreille qui écoute, de distinguer des intervalles [-26-] notés de la même maniére, et qui à la rigueur ne différent que d'un comma, c'est uniquement l'impression du mode dont l'oreille a été d'abord prévenue, qui détermine le sens et l'effet des accords équivoques, et qui nous les fait recevoir comme tenant à ce mode, jusqu'à ce qu'un ou deux accords décisifs nous obligent à les prendre dans un autre sens, et à les recevoir comme appartenant à cet autre mode, auquel leur ambiguité leur donne aussi le droit d'appartenir.
Mais cette ambiguité, cette indécision dans les accords qui embarrasse la Théorie, se trouve, heureusement pour la pratique, un principe d'agrément et de beauté, comme il seroit aisé de le prouver par un grand nombre de beaux endroits, où les changemens apparens de mode ne sont que simulés.
52. Après les observations que nous venons de faire sur le dernier Exemple que nous avons mis sous les yeux, il ne sera pas difficile de comprendre que les suspensions et les substitutions qui peuvent se pratiquer dans une modulation mineure, y produisant des entrelacemens et des combinaisons d'harmonie, il doit-être souvent moins aisé d'en déterminer la véritable Basse fondamentale, qu'il ne l'est ordinairement dans une modulation décidée majeure, où l'application du principe de la résonnance est, comme on fait, beaucoup plus aisée et plus sensible.
53. Je serai donc peu surpris, si j'apprens que mes observations sur ce sujet paroissent à la plupart de ceux qui pourront les lire, sans y apporter l'attention requise, plus subtiles que solides. Je ne puis que repéter à cette occasion un endroit de la Génération [-27-] harmonique avec la réponse que j'y ai déja faite page 39. de mes Essais et cetera. "Le simple Musicien, dit Monsieur Rameau, a toujours méprisé la source de la science dont il veut se parer. A quoi servent tous ces calculs? dit-il, à quoi bons ces comma, et cetera losque je fais de la bonne Musique sans cela?" Ces calculs, ces comma servent à reconnoitre les vrais sons fondamentaux; ceux auxquels les titres de tonique, de dominante ou de soudominante peuvent appartenir: ils découvrent l'esprit, les finesses de l'harmonie; ils démontrent la sagacité admirable de l'oreille, dont les jugemens, quoique destitués de tout raisonnement se trouvent toujours si bien fondés en raison.
54. Les deux Exemples que j'ai rapportés cidevant, et auxquels on peut joindre le vingt-troisiéme de la Génération harmonique que j'ai examiné dans mes Essais, peuvent suffire pour faire sentir le besoin et la nature de la réforme que la Théorie exige dans la Basse fondamentale de Monsieur Rameau, quelque bien imaginée qu'elle puisse être, à ne la regarder que comme une Basse technique, hypothétique ou de convention.
55. Quant à la maniére de noter les sons qui entrent dans une basse véritablement fondamentale, il suffit, ce me semble, d'écrire au dessous des accords sur une ligne les noms des notes qui les désignent, comme je l'ai fait; cependant si la méthode d'exprimer les sons par les sept premiéres lettres de l'alphabet étoit aussi connue en France qu'elle l'est ailleurs, elle seroit peut-être encore plus commode. Pour indiquer en même tems la valeur ou la durée de chaque note fondamentale, on peut écrire au dessus ou au dessous de [-28-] chaque note un chiffre qui indique la portion de la mesure qu'elle occupe; ou si l'on aime mieux, on peut au lieu de chifres employer les figures ordinaires connues en Musique sous les noms de rondes, blanches, noires et cetera. Par-là on éviteroit de donner à une basse fondamentale la forme d'une basse continue qui à divers égards ne lui convient point. Peu importe au reste la forme pourvû qu'on se ne trompe point sur la nature ou l'essence de la chose: celle de la Basse fondamentale doit être une indication aussi simple et aussi claire qu'il est possible de l'état et de la progression de la modulation.
Observations sur quelques accords proposés par Monsieur d'Alembert.
56. Mais si Monsieur d'Alembert semble encore trop attaché à un système dont il ne sent pas assez le vice, on doit du moins lui savoir gré de ses bonnes intentions et de ses tentatives en faveur de la théorie et de la pratique de l'Art.
"Je crains, dit-il, que la plupart des Musiciens, les uns aveuglés par la routine, les autres prévenus par des systêmes, n'ayent pas tiré de l'harmonie tout le parti qu'ils auroient pû, et qu'ils n'ayent exclu une infinité d'accords qui pourroient en bien des occasions produire de bons effets. Pour ne parler ici que d'un petit nombre de ces accords, par quelle raison m'employet-on jamais dans l'harmonie les accords ut, mi, sol [x], ut; ut, mi, sol [x], si, dont le premier n'a proprement aucune dissonance, le second n'en contient qu'une, comme l'accord usité ut, mi, sol, si?"
[-29-] 57. Je remarque d'abord que Monsieur d'Alembert n'est pas bien informé de ce qui se pratique, lorsqu'il suppose qu'on n'employe jamais les deux accords qu'il indique: il est vrai qu'on n'employe guéres le premier, parce que cet accord étant, aussi-bien que le second, un accord de quinte superflue, un accord par supposition, on ne doit pas redoubler l'ut de la basse, qui d'ailleurs formeroit avec le sol [x], une quarte diminuée, intervalle peu pratiqué et même, selon Monsieur Rousseau, banni de l'harmonie.
58. Quant à ce que notre illustre Auteur nous dit que l'accord ut, mi, sol [x], ut n'a proprement aucune dissonance, et que l'accord ut, mi, sol [x] si n'en contient qu'une, cette singuliére assertion ne doit plus nous surprendre, après ce que nous avons vû ci-devant: l'intervalle ut sol [x] n'est pour lui qu'une sixte mineure, et l'intervalle sol [x] ut qu'une tierce majeure; dès-lors tous les intervalles renfermés dans l'accord ut, mi, sol [x], ut, sont consonnans.
59.C'est grand dommage que l'oreille s'obstine à n'être pas du sentiment de Monsieur d'Alembert; s'il pouvoit l'engager à trouver cet accord consonnant, il deviendroit le fondement d'un mode nouveau, d'un nouveau genre de modulation; ce qui seroit une belle découverte, puisque pour découvrir un nouveau mode, il sufiroit de trouver un accord consonnant qui ne rentrât pas dans l'accord parfait majeur ou mineur.
60. Quant à l'accord ut, mi, sol [x], si, qui contient certainement deux dissonances, il est très-usité, vû que ce n'est que l'accord de quinte superflue dont on a retranché la neuviéme.
[-30-] 61. Aux deux accords précédens Monsieur d'Alembert en joint douze autres comme autant, d'exemples d'accords nouveaux à éprouver: il ajoute qu'on peut en rendre la liste beaucoup plus longue; mais il déclare en même tems qu'il sent toute son insuffisance pour décider sur la bonté de ces divers accords, et qu'il désireroit que quelque Musicien consommé et sur-tout non prévenu d'aucun système, voulût bien s'appliquer à l'examen de ces nouveaux accords. Je les transcris ici en faveur des Musiciens qui ne seroient pas à portée de les voir dans l'Encyclopédie.
ut mib sol si.
ut mib sol b ut.
ut mib sol b si.
ut mi sol [x] si b.
ut mi b sol [x] ut.
ut mi b sol [x] si.
ut mi b sol [x] si b.
ut mi sol la b.
ut mi sol [x] la.
ut mi b sol [x] la.
ut mi sol b si.
ut mi sol b la b.
62. Il n'est pas bien nécessaire d'être Musicien consommé pour s'appercevoir que quelquesuns de ces douze accords ne sont pas nouveaux, et que même il y en a qui ne sont que la répétition ou le renversement de quelque autre (a). C'est ce dont Monsieur d'Alembert aura bien eu le tems de s'appercevoir depuis l'impression du septiéme volume de l'Encyclopédie. Il aura d'ailleurs eu l'occasion sans doute d'apprendre le sentiment de quelques-uns des plus habiles Artistes sur la valeur de ceux de ces accords qui ont en effet le mérite de la nouveauté.
[-31-] S'il veut encore savoir celui d'un excellent Compositeur, voici ce que mon Compatriote Monsieur Fritz m'écrit à ce sujet.
"J'ai fait, me dit-il, tous mes efforts pour engager mon oreille à gouter les accords de la liste en question, sans avoir pû y parvenir, à la réserve de ceux qui sont usités."
63. Monsieur d'Alembert nous avertit que ceux de ces accords qui pourroient n'avoir point d'origine dans la Basse fondamentale ne seroient point à rejetter par cette seule raison. Cette observation est très-prudente rélativement à la Basse fondamentale dans le système de Monsieur Rameau, témoin l'accord de sixte superflue qui n'y a pas encore pû trouver sa place: mais j'ose dire que dans le systême de la basse véritablement fondamentale, il ne se trouvera jamais d'accord praticable, qui n'y trouve son origine aussi bien et aussi naturellement que tout autre accord.
64. Monsieur d'Alembert termine ses réflexions sur les accords par une question assez singuliére, mais conséquente aux idées qu'il a sur la valeur des diézes et des bémols. "Il se présente, dit-il, une belle question bien digne d'être proposée à ceux qui prétendent expliquer la raison physique du sentiment de l'harmonie: pourquoi l'accord ut, mi, sol [x], ut, quoiqu'il soit proprement sans dissonances, est-il dur à l'oreille, comme il est aisé de s'en assurer? Par quelle fatalité arrive-t-il que des accords qui nous flatteroient étant séparés, nous paroissent peu agréables étant réunis? Je l'ignore, et je crois que c'est là la meilleure réponse."
65. Il est certain que quand on ignore la solution [-32-] d'une difficulté proposée, il n'y a rien de mieux à faire que d'avouer son ignorance; mais si, comme on pourroit le penser, cet illustre Géometre a voulu nous faire entendre qu'il n'y a aucune autre bonne réponse à faire à sa question, il me permettra d'oser espérer mieux.
66. Les intervalles ont l'expression que leur nature, et surtout la place qu'ils occupent dans l'harmonie, leur donne; or de quelque maniére qu'on employe l'accord en question, il y aura toujours au moins un'intervalle qui sera très-dissonant.
Si l'intervalle ut sol [x] est, conformément à la note, amené comme quinte superflue, comme tel il doit paroitre très-dur et très-dissonant, de même que l'intervalle sol [x] ut, qui n'est alors pour l'oreille qu'une quarte diminuée, intervalle si dissonant, qu'on l'évite avec grand soin.
Si au contraire l'intervalle ut sol [x] pouvoit être regardé comme l'équivalent de ut la b, et qu'il pût être amené comme sixte mineure, il paroitroit bien alors consonant; mais en échange l'intervalle que ce la b, seroit avec le mi de cet accord, ne se présenteroit plus à l'oreille comme tierce majeure, mais comme quarte diminuée, et comme tel il ne pourroit que révolter l'oreille. Donc de quelque maniére qu'on employe cet accord, il se trouvera toujours former un accord et très-dur et très-dissonant.
67. Une question assez analogue à celle de Monsieur d'Alembert, mais un peu moins nouvelle, et cependant bien plus digne d'une bonne réponse, c'est de trouver la raison pourquoi de deux octaves ou de deux quintes mises de suite, la premiére [-33-] sera très-agréable et la seconde nous choquera, lors du moins que notre oreille pourra sentir cette succession. Quelque difficile que puisse être encore la réponse à cette vieille question, j'aurai peut-être occasion dans la suite d'en proposer la solution qui me paroit la plus plausible.
68. Je pense au reste que s'il y avoit de nouveaux accords à introduire dans la pratique de l'harmonie, ce seroit la connoissance de la vraie Basse fondamentale et de sa maniére de procéder, qui pourroit nous en procurer la découverte, et cela d'une maniére plus facile et plus lumineuse qu'en formant comme an hazard et sans principes des combinaisons de différentes notes.
69. En effet la vraie Basse fondamentale, celle qui ne reconnoit pour sons fondamentaux que ceux qui trouvent dans les accords qu'ils portent leur harmonie naturelle, doit indiquer toutes les maniéres dont ces sons fondamentaux peuvent se suivre. Elle enseigne, par exemple, qu'un ut fondamental et tonique peut être suivi fondamentalement de tous les autres sons du mode d'ut, soit seuls soit combinés deux à deux, mais plus ou moins naturellement selon le plus ou le moins de rapport harmonique qu'ils ont avec cet ut, et selon encore le plus ou moins de rapport harmonique qu'ont avec cet ut les sons qui doivent les suivre, et auxquels ils conduisent la modulation.
La vraie Basse fondamentale doit aussi indiquer les sons fondamentaux qui peuvent ou qui doivent succéder aux dominantes et aux soudominantes, soit que la modulation soit majeure ou [-34-] mineure, soit que l'harmonie soit pure ou mixte, consonnante ou dissonnante et cetera.
C'est en suivant les différentes combinaisons des sons, ou les divers accords possibles que peuvent fournir toutes les progressions fondamentales admissibles, qu'on pourroit découvrir ce qui pourroit encore avoir échappé aux recherches du Musicien pratique.
70. C'est ainsi par exemple que dans le mode mineur de la, ce la pouvant être suivi fondamentalement de fa, ou de si, il peut l'être aussi de tous les deux conjointement. Si donc l'on combine quatre à quatre les six différens sons que présentent les deux accords parfaits fa, la, ut, et si, re [x], fa [x], en autant de maniéres qu'il est possible, deux de ces combinaisons découvriront à un Musicien qui ne les connoitroit pas, deux accords praticables de sixte superflue fa, la, ut, re [x], et fa, la, si, re [x]; et les autres combinaisons ne lui presenteront que des accords ou très-connus ou impraticables. (a)
71. Nous avons déja eu occasion de faire mention de l'accord de sixte superflue fa, la, si, re [x]: l'autre accord fa, la, ut, re [x] est mis plusieurs fois en oeuvre par Monsieur Tartini dans un Exemple composé exprès pour en montrer l'usage: Cet exemple se trouve dans l'ouvrage de ce célébre Artiste dont je me propose de donner [-35-] dans la suite un extrait assez ample. Il propose cet accord comme une nouveauté, et je ne sache pas en effet qu'aucun Auteur François en ait fait mention: mais il est connu en Allemagne depuis quelque tems, et le Traité Allemand de l'Accompagnement par Monsieur Marpurg imprimé à Berlin en 1755. contient un article assez étendu sur les deux accords de sixte superflue (page 125. et suivantes) où cet Auteur enseigne les différentes maniéres de les employer, et même les renversemens dont dans un stile libre il les croit susceptibles. Monsieur Tartini donne bien aussi un ou deux exemples du renversement de l'accord fa, la, ut, re [x], dans lequel le re [x] est placé dans la basse; mais il ne le fait que pour faire sentir combien ce renversement nuit à l'agrément de cette sorte d'harmonie.
72. Le systême de Basse fondamentale de Monsieur Rameau adopté, par Monsieur d'Alembert étoit peu propre à nous procurer la connoissance de ces deux accords; c'est du moins ce qui est vrai de l'accord fa, la, si, re [x], dont Monsieur Rameau n'a pas crû devoir chercher, et Monsieur d'Alembert avoue n'avoir pas sçu trouver le fondement dans cette Basse fondamentale. On peut bien présumer que ce systême n'offre rien de mieux pour l'accord fa, la, ut, re [x], puisqu'il n'en ont pas même fait mention; bien que Monsieur d'Alembert ait dû l'avoir remarqué dans l'ouvrage de Monsieur Tartini, duquel, comme nous le verrons bientôt, il a tiré un article considérable.
73. Cependant comme dans les idées de Monsieur d'Alembert l'accord fa, la, ut, re [x] doit être le [-36-] même que l'accord de septiême mineure fa, la, ut, mi b, il auroit pû le regarder en conséquence comme un accord aussi réguliérement fondamental que l'accord ordinaire de dominante-tonique auquel dans cette supposition il ressemble parfaitement. Mais malheureusement le fondement de cette prétendue ressemblance est, comme nous l'avons vû, si précaire, qu'on peut bien s'assurer qu'aucun Musicien n'y souscrira.
74. C'est dommage pour la Basse fondamentade Monsieur Rameau que le renversement re [x], fa, la, ut, de l'accord fa, la, ut, re [x], fasse un aussi mauvais effet; comme accord de septiéme diminuée, il entreroit de plein droit dans cette Basse.
75. Un autre moyen plus légitime de conférer à l'accord fa, la, ut, re [x] le titre d'accord fondamental, en lui donnant le fa pour unique fondement, c'est de considérer le re [x] comme un de ses harmoniques, comme un son contenu, quoique foiblement, dans la résonnance de ce fa fondamental, et comme étant à l'unisson de la septiéme partie d'une corde, dont la totalité (aussibien que la moitie et le quart) donneroit ce même fa. L'intervalle que forme un tel son harmonique (a) avec le son fondamental différe en effet extrêmement peu, c'est-à-dire seulement d'un 1/225, ou d'environ 1/3 de comma, de l'intervalle exact de sixte superflue, dont celle-ci le surpasse.
76. Mais si la vraie sixte superflue est ainsi [-37-] sensiblement égale à l'intervalle que forme le son harmonique en question avec le son de la totalité de la corde d'où l'on peut le tirer, on ne peut pas eu dire autant de la septiéme mineure: celle-ci surpassant l'intervalle du son harmonique de plus d'un comma, il n'est pas si aisé de les confondre. Cette remarque peut servir de réponse à l'Auteur anonyme de quelques Observations sur les Elemens de Musique de Monsieur d'Alembert inserées dans le Journal Encyclopédique pour le premier de Mars 1762.
77. Si l'on se donne la peine de faire le calcul de ces divers intervalles, on trouvera que c'est bien moins l'intervalle de septiéme mineure que celui de sixte-superflue qui peut être censé donné par la nature et passer pour intervalle physiquement fondamental.
L'intervalle du son harmonique étant exprimé par 4: 7,
ou 128: 224. Celui de sixte superflue l'est par 127: 225.
Celui de septiéme mineure, comme de sol à fa dans le mode
d'ut, par 9: 16, ou 126: 224.
et celui de septiéme mineure forte, comme de mi à re dans
le même mode par, 5:9, ou 125: 225.
78. Que si à l'exemple de Monsieur d'Alembert l'Auteur anonyme trouve à propos de ne pas regarder de si près à la justessce de l'intonation, il peut s'assurer qu'il n'est pas le premier qui ait confondu la septiéme mineure avec l'intervalle physiquement [-38-] fondamental désigné par le rapport 4: 7. Les instrumens à sons harmoniques l'employent ce son physiquement harmonique comme septiéme mineure; mais c'est faute de pouvoir faire mieux. Monsieur Levens Maitre de Musique qui a donné en 1743 un Abrégé des Règles de l'Harmonie avec un nouveau Projet d'un système de Musique sans tempérament ni cordes mobiles, imprimé à Bordeaux, ne donne point d'autre septiéme mineure à la note principale ut, que l'intervalle de 4: 7, que forme le son harmonique dont il est ici question.
Monsieur Tartini dans son Traité de Musique page 128, non seulement donne à cet intervalle le nom de septiéme; il pretend même prouver que cette espéce de septiéme est consonnante; mais il ne la confond cependant pas avec la septiéme mineure que forme une soudominante au dessus d'une dominante tonique. Il note ailleurs cet intervalle et le traite comme sixte-superflue, à laquelle en ce cas il attribue encore la qualité d'intervalle consonnant.
79. On peut remarquer à cette occasion comme en bien d'autres, que non seulement nous manquons souvent de termes propres à désigner les diverses nuances d'un genre de sensations; mais qu'il est encore très-difficile d'en imaginer de nouveaux avec succès. L'intervalle de, 4: 7, tient aux dissonnances par sa dureté; et par son origine il est analogue aux consonnances. C'est sans doute parce que ce dernier rapport a prévalu dans l'esprit de Monsieur Tartini qu'il a cru pouvoir regarder cet intervalle comme consonnant.
80. Ce célébre Musicien trouve encore dans le même intervalle l'origine du tétracorde enharmonique des Grecs; c'est aussi l'origine que je lui [-39-] ai attribuée dans la premiére Partie de cet ouvrage page 44 et suivantes.
81. Je terminerai cet Article sur les accords qu'on pourroit proposer par les réflexions suivantes, c'est que l'emploi, l'usage d'un accord ne dépend pas uniquement de sa bonté, ou de sa douceur à le considerer isolé, mais principalement encore de son aptitude à se prêter aux Régles du Contrepoint: ce que je dis d'un accord doit s'entendre aussi des diverses faces dont il peut être susceptible.
82. C'est ce qui fait qu'il y a plusieurs accords qui sont beaucoup plus usités renversés que directs; et comme les Musiciens manquoient d'un principe propre à déterminer entre les diverses faces d'un accord, celle qui est vraiment directe, il n'est pas surprenant qu'ils ayent souvent regardé comme telle celle qui étoit d'un plus grand usage, et qu'en conséquence ils ayent pris pour fondamentale la note qui se trouve le plus souvent dans la Basse, uniquement par la seule raison de cette circonstance.
83. S'il est un principe propre à déterminer la forme directe et primitive d'un accord quelconque, c'est sans doute le principe de la résonnance, ainsi que je l'ai déja remarqué dans mes Essais. On peut assurer que c'est de la juste application de ce Principe que dépend en bonne partie l'intelligence de la vraye progression fondamentale, et par conséquent celle de la partie la plus importante de la Théorie de l'Harmonie.
84. C'est aussi de ce principe lumineux que Monsieur d'Alembert tire avec raison la conclusion suivante "que ce seroit parlet très-incorrectement, pour [-40-] ne rien dire de plus, que de prétendre que l'accompagnement représente le corps sonore, surtout quand l'accord est chargé de dissonnances et cetera. Puis donc que les divers sons des accords dissonnans ne peuvent pas se rapporter tous à un seul et même corps sonore, comme à leur origine, il est naturel de chercher quel autre corps sonore peut raisonnablement être admis pour le fondement de ceux des sons de l'accord qui en manqueroient autrement. C'est aussi, comme je l'ai déja observé, ce que Monsieur d'Alembert paroit avoir fait en quelques occasions, et qu'il est à propos de faire dans toutes celles où le même cas a lieu.
De l'impression de la Basse fondamemale sur l'oreille.
85. Quelque rapport de dépendance qu'il y ait entre les accords d'une composition musicale, et les sons fondamentaux dont ils sont harmoniquement dérivés, il ne s'ensuit pas qu'on ne puisse concevoir ou composer une bonne mélodie qu'en vertu d'une suggestion actuelle de la part de la Basse fondamentale, vû que la Basse fondamentale d'une seule partie est à divers égards indécise, et ne peut souvent être déterminée qu'à l'aide de quelque accompagnement.
86. L'expérience journaliére démontre assez clairement que sans aucune sorte d'idée de Basse fondamentale les personnes qui ont de l'oreille et un peu de génie musical trouvent très-aisément des chants agréables; et comme pour l'ordinaire ils ne sont qu'un tissu de reminiscences, ils supposent [-41-] d'autant moins pour être conçus le besoin d'aucune suggestion de Basse fondamentale.
87. Quant aux personnes plus exercées dans la pratique de l'harmonie, si à la conception d'un chant elles joignent celle d'une basse, ce sera bien plutôt celle d'une Basse continue, d'une basse de goût, que celle d'une Basse fondamentale; si l'on en excepte les cas où les deux genres de Basse coïncident.
88. Mais si nous n'avons besoin d'aucun sentiment actuel de la vraie Basse fondamentale pour concevoir une bonne mélodie, à plus forte raison, nous n'avons pas besoin pour cela de l'impression actuelle d'une Basse fondamentale qui ne seroit pas la véritable, et dans laquelle il se trouveroit plusieurs sons gratuitement supposés fondamentaux, à l'exclusion de ceux qui le sont en effet.
89. Qu'est-ce donc qui dirige l'oreille dans l'invention et dans l'intonation des sons et des intervalles qui forment une bonne mélodie? C'est sur tout le premier son entonné ou conçu entonné, dont la réminissence dirige tous ceux qui viennent aprés, et qui ne plaisent qu'autant qu'ils ont avec ce premier son divers rapports harmoniques, et que ceux de ces rapports qui sont les plus simples y sont les plus dominans (a): mais à la reminiscence du premier son, du son principal qui produit l'impression du mode ou du ton, il faut ajouter le principe de la résonnance comme une cause qui influe sensiblement dans l'ordre suivant lequel [-42-] les divers sons qui forment un chant doivent se succéder les uns aux autres. C'est donc uniquement la reminiscence des sons entonnés, et principalement du premier entonné, aidée de l'impression de leur résonnance, qui est la boussole de l'oreille, soit à l'égard de l'intonation des sons qui doivent les suivre dans un mode, soit par rapport aux différens modes qui peuvent lui succéder.
90. On comprendra aisément qu'il s'agit ici de la mélodie en général; et que lors que cette mélodie est considérée rélativement aux diverses expressions dont elle est susceptible, elle dépend encore d'autres principes, dont il n'est pas ici question, soit pour le choix des intervalles, soit pour la durée et la qualité des sons, soit aussi pour le choix et l'enchainement des différentes modulations.
Reflexions sur la Gamme des Anciens, et sur les Gammes modernes.
91. Il importe peu de déterminer par quelle route les Anciens Grecs sont arrivés à la formation de leur Gamme
si, ut, re, mi, fa, sol, la;
ou à celle des deux tetracordes qui la composent; il n'est guéres vraisemblable qu'ils ayent pris pour guide aucune basse fondamentale, dont assez probablement ils n'ont pas eu plus de connoissance que tant d'excellens compositeurs modernes, qui n'en ont eu aucune idée distincte: mais on peut [-43-] demander si la Basse fondamentale dont cette Gamme est susceptible est plus simple que celle de notre échelle diatonique ascendante
ut, re, mi, fa, sol, la, si, ut.
C'est sur quoi je proposerai les considérations suivantes.
92. La Gamme ancienne n'arrivant pas à l'octave du premier son avoit l'avantage de ne pas offrir les trois tons de suite fa, sol, la, si; elle avoit encore celui d'être renfermée dans les bornes d'un seul mode: mais d'un autre côté elle avoit le désavantage de former une phrase musicale tronquée, et dans laquelle la note du ton paroit assez indécise. Notre échelle ascendante au contraire a le mérite d'indiquer nettement la tonique du mode, et de former un trait de mélodie qui commence et finit également bien.
93. Mais notre Gamme prise en montant a-t-elle l'avantage d'être renfermée dans les bornes d'un seul et même mode? C'est ce dont Monsieur Rameau et son illustre Disciple ne conviennent pas; ils prétendent que la sixiéme note, le la, ne doit pus y être regardée comme tenant immédiatement au mode d'ut, qu'elle ne doit pas y être considérée comme tierce majeure du fa, mais comme quinte du re fondamental dans le mode de sol, et non dans celui d'ut (a), d'où ils inférent que cette Gamme tient aux deux modes d'ut, et de sol. (b)
[-44-] 94. Il seroit malheureux qu'une Gamme qui semble ne devoir être qu'une énumération diatonique des sons d'un mode eût le double défaut de ne pas contenir tous les sons de ce mode, et d'en contenir un qui lui soit êtranger, puis que l'admission de celui-ci donne nécessairement l'exclusion au la tierce majeure de fa.
95. Les raisons de Monsieur Rameau portent sur la dureté des trois tons de suite qui se trouvent en montant diatoniquement du fa au si, et sur l'imperfection des rapports harmoniques qu'il y a entre les sons harmoniques de fa et ceux de sol, si on les admet pour fondamentaux du la et du si dans cette Gamme. "On les employe cependant ces trois tons de suite (dit ce célébre Artiste page 67. de la Génération harmonique) mais remarquez pour lors qu'on pratique un repos sur l'un des sons fondamentaux du mode, au premier ou au deuxiéme Ton; repos à la faveur duquel on oublie le passé, pour se livrer tout entier à ce qui suit, comme à une chose nouvelle: ce fait est de pratique, aucun Musicien ne peut le contester. Ce repos marque un changement de mode dans le moment qu'il existe, et cetera." Il n'y a personne, suivant Monsieur d'Alembert, qui en entonnant soi-même la gamme ne pratique sur le sol un repos exprimé ou sousentendu. Elémens [-45-] de Musique (Article 57); et (Article 60.) "On ne doit plus être étonné de l'espèce de difficulté qu'on éprouve à entonner naturellement trois tons de suite en montant; puis qu'on ne le sauroit faire sans changer de mode."
96. A cela je répons d'abord que la gamme,
ut, re, mi, fa, sol, la, si, ut,
de même que toute autre échelle diatonique, peut être envisagée sous deux faces différentes, ou comme un trait de mélodie et de chant diatonique; en ce cas peu imporre que ce chant soit traité comme tenant à un, ou à plusieurs modes: ou bien on considére la gamme comme une énumeration complette des sons propres au mode d'ut, auquel cas, quoi qu'il en soit de la mélodie qu'elle offre, et de la Basse fondamentale qui lui convient, c'est une nécessité que cette énumeration contienne tous les sons et les seuls sons propres au mode d'ut. A considérer donc la gamme sous ce dernier point de vuë, il n'importe point qu'il y ait trois tons de suite du fa au si, et que le troisiéme de ces trois tons soit, ou ne soit pas d'une intonation facile ou naturelle, et il est indifférent qu'on lise cette gamme en montant ou en descendant; il suffit qu'elle contienne les sons qu'elle doit contenir.
97. Mais il y a plus, la Théorie aussi bien que la Pratique prouve bien que lors que la Gamme d'ut est regardée comme un trait de mélodie, le repos et le changement de mode dont parlent Messieurs Rameau et d'Alembert fait un très-bon effet, et fait disparoitre le [-46-] dureté du troisiéme ton que forme la septiéme note: mais quelque poids qu'ait l'autorité de Monsieur Rameau dans un cas de pratique, je crois pouvoir assurer que ni l'usage ni la théorie ne démontre la nécessité absolue de ce repos ni du changement de mode d'ut en celui de sol; mais qu'on peut très-bien entonner cette gamme tout de suite, sans y concevoir aucun repos avant d'être arrivé à l'octave ut. L'oreille, en vertu de la reminiscence du fa, sentira bien quelque dureté dans l'intonation du si, mais cette dureté qui lui fait désirer sensiblement l'ut qui doit suivre, ne la révolte pas plus que ne font les dissonnances dans l'harmonie, lorsqu'elles sont traitées réguliérement.
98. J'en appelle donc de la décision de Monsieur Ramenu et de son Disciple aux Musiciens et aux Amateurs non prévenus. Rien de plus fréquent dans les compositions des meilleurs Auteurs, et dans les Traités élémentaires, que les Exemples où les trois tons de suite se rencontrent, et où cependant on ne peut imaginer ni sous entendre aucun repos, aucun changement de mode; en sorte que la Basse fondamentale des notes
fa, sol, la, si, ut. est nécessairement fa, ut, fa, sol, ut. ou fa, sol, fa, sol, ut.
avec cette différence que la premiére de ces deux Basses fondamentales fa, ut, fa, sol, ut a l'avantage d'être en même tems une bonne basse ordinaire ou d'accompagnement, et que la seconde fa, sol, fa, sol, ut, n'est bonne que [-47-] comme Basse fondamentale, vû les deux octaves de suite que porteroient le fa et le sol.
99. Monsieur D'Alembert a pû voir dans le quatriéme chapitre du Trattato di Musica et cetera par Monsieur Tartini, que ce célébre Musicien ne reconnoit pour sons fondamentaux de la Gamme d'ut en montant, considerée comme un Dessus, que les trois sons ut, sol, et fa, ensorte que selon lui la vraie Basse fondamentale de cette Gamme est
ut, sol, ut, fa, ut, fa, sol, ut.
100. Lorsqu'on entonne ut, re, mi, fa, sol, la, si, ut, (dit Monsieur de Bethizy, page 20. de son Exposition et cetera) on peut être toujours dans le mode majeur d'ut; mais lorsqu'on entonne ut, si, la, sol, fa, mi, re, ut, on sort de ce mode pour quelque tems. Il est vrai que dans la suite de son ouvrage, il tient un langage un peu différent. "L'échelle diatonique d'un mode, ditil page 80, commençant et finissant par la tonique, n'est point un chant bien naturel, les notes ut, re, mi, fa, sol, la, si, ut, qui font ce qu'on appelle l'octave d'ut, ne forment point un chant inspiré par la nature: car il n'y a de chant bien naturel que celui dont la Basse Fondamentale est naturelle." Je laisse à Monsieur de Bethizy le soin de montrer qu'il n'y a point de contradiction entre les deux endroits de son ouvrage que je viens de citer. Pour moi je crois être bien fondé à recevoir avec Monsieur Tartini comme trèsreguliére et très-naturelle, et en même tems comme Basse fondamentale, la basse que ce célébre Artiste donne à la Gamme ascendante d'ut.
[-48-] 101. Il est vrai que Monsieur Rameau et ses Disciples prétendent, malgré ce que nous venons de rapporter de leur sentiment, qu'on peut, au moyen de ce que cet illustre Artiste appelle le double emploi, faire ensorte que l'échelle diatonique ut, re, mi, fa, et cetera appartienne au seul mode d'ut, et cela en lui donnant la Basse fondamentale
ut, sol, ut, fa, ut, re, sol, ut.
102. Mais il est aisé de voir que ce moyen est illusoire, et ne produit point l'effet prétendu. Dans un mode majeur le re, comme tout autre son fondamental, ne peut être admis pour tel qu'à l'égard de sa quinte et de sa tierce majeure justes: or ce n'est que dans le mode de sol, de re et de la, que re peut porter l'une et l'autre de ces deux consonnances. Dans celui d'ut, il ne rencontre pour quinte, qu'une quinte essentiellement foible d'un comma; et la tierce qu'il peut y porter, non seulement n'est pas une tierce majeure, mais n'est qu'une tierce mineure essentiellement foible d'un comma. On ne peut donc rendre le re fondamental qu'en lui donnant au moins une tierce ou une quinte juste; mais c'est ce qu'il est essentiellement impossible de faire sans sortir du mode d'ut, dans lequel il ne trouve ni l'une ni l'autre.
103. Il suit de là que l'accord re, fa, la, ut, consideré comme renfermé dans ce seul mode, est nécessairement un accord renversé de l'accord fa, la, ut, re, où le re n'entre qu'à titre de dissonnance prise dans l'harmonie de la dominante, et où [-49-] le fa a tout ce qui peut lui assurer le titre de son fondamental. Donc prétendre que re peut être fondamental dans le mode d'ut, c'est prétendre que le mode de sol est renfermé dans le mode d'ut; ou du moins qu'un son peut être réputé fondamental dans un cas où il ne peut être accompagné d'aucun de ses harmoniques naturels.
104. Au reste cette prétention que l'échelle diatonique d'ut en montant porte nécessairement sur quatre sons fondamentaux ut, sol, fa, et re, et appartient ainsi aux deux modes d'ut et sol, se trouve liée à un des principes de Monsieur Rameau sur la progression de la Basse fondamentale: selon lui cette Basse ne doit jamais monter diatoniquement, sur-tout si les deux sons fondamentaux qui formeroient cette progression portent chacun un accord parfait majeur.
105. Mais si la pratique témoigne clairement qu'une semblable progression est légitime, lors du moins qu'il s'agit de passer de la soudominante à la dominante du mode, l'autorité de Monsieur Rameau ne suffit pas pour la rendre illégitime. La Théorie découvre aisément les raisons qui justifient cette progression, comme je pense l'avoir prouvé dans mes Essais et cetera page 67.
106. Si nous consultons l'oreille, nous ne pouvons pas douter que le chant ut fa sol ut, ne soit un chant de basse extrêmement naturel, et même très-beau dans sa simplicité. Cela supposé, je demande, si ce chant n'est pas un chant fondamental, quelle en peut être la Basse fondamentale, à le considérer seul et sans accompagnement? Je ne crois pas qu'il puisse entrer dans [-50-] l'esprit d'aucun Musicien non prévenu, qu'après l'intonation de l'ut et du fa, nous aïons besoin de sousentendre un re pour passer à celle du sol: il me paroit au contraire que si l'oreille a besoin de s'appuier sur un son intermédiaire dans la progression du fa au sol, c'est sur l'ut déja entendu et dans la résonnance duquel il existe un sol, qu'elle s'appuiera, bien plutôt que sur un re qui n'a été entendu, ni par lui-même, ni dans la résonnance d'aucun des deux sons qui précédent le sol. Je crois donc être en droit de conclure que le chant ut fa sol ut est un bon chant fondamental, et que s'il y avoit une note à suppléer, pour indiquer la liaison du fa au sol, cette note seroit la tonique ut, et nullement un re, vû sur-tout que l'intervalle du fa au re, forme une fausse consonnance, une tierce mineure essentiellement fausse d'un comma.
107. Mais voyons présentement si les quatre notes ut re sol ut, considérées comme formant un chant, soutiendront l'épreuve à laquelle le chant ut fa sol ut, a été soumis. Voyons, dis-je, si ce chant, ut re sol ut, ou si l'on veut, ut fa re sol ut, est ou n'est pas susceptible d'une Basse fondamentale, différente de ce chant lui-même. Mais peut-on douter un moment que le chant
ut re sol ut,
n'ait très-naturellement pour Basse fondamentale
ut sol sol ut.
et le chant ut fa re sol ut. celle-ci; ut fa sol sol ut.
Donc ces deux derniers chants n'ont point le caractére de chants fondamentaux.
108. Cela étant, n'est-il pas absurde de condamner [-51-] une progression fondamentale, celle de fa à sol dans le mode d'ut, par la raison qu'elle est diatonique, et d'en admettre une autre qui n'est pas moins diatonique, celle de ut à re, qui est beaucoup moins naturelle, et qui dans le cas dont il s'agit ici n'a point le caractére d'une progression fondamentale, et doit plûtôt être regardée comme le produit de la Basse fondamentale ut, sol.
109. Mais si la Théorie et la pratique démontrent que la progression fondamentale de fa à sol, dans le mode d'ut, est très légitime, quel motif a pû engager Monsieur Rameau à la proscrire? La recherche des motifs est une chose étrangére à l'objet de cet écrit. Ce qu'il y a de certain, c'est que cette progression est peu favorable à l'idée du double emploi que ce célébre Musicien attribue au re dans cette occasion, idée à laquelle il paroit avoir attaché une grande importance. On a pu voir dans la premiére partie de cet ouvrage (page 78.) le peu de fondement de ce double emploi.
110. Suivant Monsieur d'Alembert "l'usage du double emploi est de pouvoir au moyen du renversement de l'accord de soudominante, passer de cet accord ainsi renversé, à un autre accord que l'accord de tonique, auquel il conduit naturellement (a). "C'est-à-dire, selon Monsieur d'Alembert, qu'on ne peut passer immédiatement et naturellement de l'accord direct de soudominante fa, la, ut, re, qu'au seul accord de tonique ut, mi, sol, ut, et nullement à celui de la dominante [-52-] sol, si, re, fa. Mais si la pratique constante des meilleurs Musiciens admet ce dernier passage non seulenqent comme très-bon, mais encore comme le plus naturel, à quoi se réduira l'usage du double emploi? Ne se trouvera-t-il pas ce double emploi, pour me servir de l'expression même de Monsieur d'Alembert, une chose tout-a-fait futile?
111. La considération que dans la progression fondamentale de fa à sol, l'oreille s'aide de l'impression de la tonique ut, fournit une réponse sufisante à l'argument que Monsieur Rameau tire de l'imperfection des rapports qu'il y a entre les deux accords fa, la, ut, et sol, si, re. Cet argument prouve très-bien que la progression fondamentale d'un ton seroit par elle-même peu naturelle, comme dans le cas d'un passage d'ut note tonique à re seconde note. Mais cet argument perd sa force dans le cas de la progression de la soudominante fa à la dominante sol, vû que cette progression suppose nécessairement dans l'oreille une impression forte et récente de la tonique ut, qui favorise assez cette progression pour la rendre naturelle.
112. L'addition de la dissonnance re à l'accord parfait fa, la, ut, quelque avantageuse qu'elle soit par la varieté ou l'agrément qu'elle donne à l'harmonie, et par la facilité qu'elle procure pour l'observation des régles du contrepoint, modifie bien cette harmonie, mais n'en altére pas le fond. Plus un accord primitif renferme de sons, plus il est aisé d'éviter le défaut des octaves et des quintes consécutives en retranchant celui des [-53-] sons qui conduiroit à ce défaut. C'est aussi la principale raison pourquoi l'on accompagne rarement, quoiqu'on puisse très-bien le faire, tous les quatre sons de la Basse continue ut fa sol ut, de leur accord parfait.
113. Après avoir determiné l'idée qu'on doit se faire de la Gamme du mode majeur prise en montant, il est aisé de se former celle qu'on doit en avoir, lorsqu'on l'entonne en descendant. Comme simple énumération des sons renfermés dans un seul mode majeur, il n'importe, comme je l'ai déja remarqué, qu'on la prenne en montant ou en descendant; dans un sens comme dans l'autre, c'est également la Gamme d'un seul mode.
114. Mais si l'on considére la suite diatonique descendante ut si la sol fa mi re ut, comme formant un chant, dès-lors le troisiéme son, le la ne s'y présente plus naturellement comme tierce majeure de fa, mais comme quinte de re, ce qui l'éléve d'un comma, et fait qu'il ne forme plus avec le premier son ut, une tierce mineure juste, mais une tierce mineure foible d'un comma. La raison qui oblige à regarder ce la comme quinte de re, c'est que la progression fondamentale très-légitime de fa à sol dans le mode d'ut, seroit beaucoup moins naturelle, beaucoup moins réguliére, si elle étoit dans le sens opposé, si elle passoit de sol à fa (a); or c'est la progression qui auroit lieu si ce la étoit regardé [-54-] comme tierce majeure juste de fa. Puis donc qu'il doit être traité comme quinte de re, le mode change, et le chant passe dans celui de sol; et le sol qui suit le la en devient la tonique; mais étant traité ensuite sous le fa comme dominante tonique d'ut, la modulation rentre naturellement dans le mode d'ut.
115. Ayant ainsi dévelopé l'idée qu'on doit se faire de la Gamme ascendante et descendante du mode majeur, il est à propos de dire quelque chose de celle du mode mineur. Monsieur d'Alembert dans le Discours préliminaire de la nouvelle Edition de ses Elémens de Musique avoue que le principe de la resonnance qu'il prétend être suffisant pour fonder tout le sysême de l'harmonie, laisse cependant quelque chose à désirer à l'égard de la marche diatonique de l'échelle du mode mineur en descendant, aussi-bien que par rapport à la formation de la sixte-superflue, et à quelques autres faits moins importans, dont (ajoute-t-il) nous ne pouvons guères jusqu'ici alléguer de raison suffisante que l'expérience seule. C'est principalement dans l'Article Gamme de l'Encvclopédie (page 464 du septiéme Volume) que cet illustre Géomètre s'explique sur la difficulté qu'il conçoit dans la marche diatonique de l'échelle du mode mineur, qu'il fait principalement consister dans celle qu'il y a à trouver la Basse fondamentale de cette Gamme.
116. Mais cette difficulté n'est fondée que sur la supposition gratuite qu'une Gamme ne peut être censée telle qu'autant qu'elle forme un trait régulier de mélodie renfermé dans un seul mode. [-55-] Mais si le premier et le principal objet d'une Gamme est de donner l'énumeration diatonique ou graduelle de tous les sons d'un seul et même mode, on n'est point en droit d'imaginer que cette énumeration doive toujours former une bonne mélodie, et en conséquence être susceptible d'une bonne Basse fondamentale. Si, comme l'échelle d'ut en montant, elle a cet avantage, c'est un mérite qu'elle aura de plus; mais qui n'est point essentiel à l'idée d'une Gamme considérée rélativement à son principal objet.
117. Mais l'échelle diatonique descendante
la, sol, fa, mi, re, ut, si, la.
contient-elle en effet tous les sons du mode mineur de la, et doit-on en conséquence regarder comme étrangers à ce mode le fa [x] et le sol [x] qui entrent dans la suite diatonique ascendante
la, si, ut, re, mi, fa [x], sol [x], la?
La réponse à cette question dépend entiérement de l'idée qu'on peut se faire du mode mineur. Si le mode n'est censé mineur, qu'autant que les tierces des fondamentaux sont mineures, le fa [x] et le sol [x] sont étrangers à ce mode; et la suite diatonique ascendante
la, si, ut, re, mi, fa [x], sol [x], la,
n'est point la vraie Gamme du mode mineur de la; elle contient deux sons qui lui sont étrangers, et il lui en manque deux, le fa et le sol naturels, qui lui sont essentiels. C'est donc l'échelle descendante
la, sol, fa, mi, re, ut, si, la,
qui est alors proprement la Gamme du mode mineur de la.
118. Que si au contraire, pour se conformer [-56-] à l'usage ordinaire, on étend l'idée de ce mode, et qu'on regarde le fa [x] et le sol [x] comme lui appartenant, il est évident qu'alors ni l'échelle ascendante,
la, si, ut, re, mi, fa [x], sol [x], la,
ni l'échelle descendante,
la, sol, fa, mi, re, ut, si, la,
ne forme la Gamme complette du mode mineur de la; puisqu'il manque à l'une comme à l'autre deux sons essentiels à ce mode: Il suivroit de là que cette Gamme pour être complette formeroit l'échelle diatonique chromatique.
la, si, ut, re, mi, fa, fa [x], sol, sol [x], la.
119. Mais il me semble que de ces deux maniéres de considérer le mode mineur, la premiére met plus de netteté dans les idées, et convient mieux par conséquent au language de la théorie.
120. Dans la pratique de la musique l'Artiste, qui ne bute qu'à l'effet, s'embarrasse peu des bornes du mode, il prend les sons que son oreille lui suggére pour atteindre son but, sans trop s'informer s'il continue dans le même mode, ou s'il passe dans un autre. Il ne connoit pas d'autre méthode lorsqu'il s'agit de procéder diatoniquement d'une note à son octave, soit en montant, soit en descendant. Il imagine dans ce cas la mélodie diatonique la plus gracieuse que son oreille puisse lui suggérer; n'importe que la Basse fondamentale en soit, ou ne soit pas renfermée dans le mode principal. C'est à de tels traits de mélodie que l'usage a donné les noms d'échelle, de Gamme, d'octave diatonique; on n'est point en droit d'y exiger une régularité, une unité de [-57-] mode ou de modulation à laquelle l'Auteur a pû n'avoir jamais pensé, comme n'étant nullement essentielle à son objet (a). Il ne s'ensuit donc pas de ce qu'on remarque cette unité, cette régularité dans une Gamme, qu'elle doive aussi avoir lieu dans les autres.
121. Le mode mineur de la pris à la rigueur, c'est-à-dire, comme formé des sons de trois accords parfaits mineurs la, ut, mi; mi, sol, si; et re, fa, la, étant en bonne partie l'ouvrage de l'art, s'est trouvé imparfait, n'ayant pas de quoi former une cadence aussi énergique que celle que la nature a donné au mode majeur: l'Artiste n'a pas fait difficulté de prendre dans le mode majeur du même ton la cadence parfaite qui manque à ce mode mineur. Dès lors ce mode, tout imparfait qu'il soit en lui-même, forme à l'aide des notes auxiliaires fa [x] et sol [x], mais surtout du sol [x], que l'art lui procure, un genre de modulation susceptible des expressions musicales les plus fortes et les plus heureuses.
Conséquences tirées de la nature du mode mineur.
122. La considération que l'accord sensible mi, sol [x], si, re dans le mode mineur de la est emprunté du mode majeur dans le même ton, nous conduit à une conséquence pour la pratique, qui paroit avoir échapé aux Musiciens qui ont écrit sur leur Art. Dans les ouvrages qui me sont connus, [-58-] l'accord de septiéme mineure sol [x], si, re, fa, et ses renversemens font supposés ne pouvoir être employés dans les modes que quand leur modulation est mineure, ainsi que s'exprime Monsieur de Bethizy, (Exposition et cetera page 191.) et cela par la raison peu exacte que cet accord appartient uniquement au mode mineur.
123. Mais si dans cet accord le mode est mixte ou équivoque, s'il est autant majeur que mineur, on doit présumer qu'il peut être employé dans le mode majeur aussi-bien que dans le mode mineur, dans lemode majeur en vertu du sol [x], et dans le mode mineur en vertu du fa naturel. On pourra donc, dans le mode majeur d'ut, substituer l'accord si, re, fa, la b, à l'accord sol, si, re, fa, de la même maniére et dans le même sens qu'on substitue dans le mode mineur de la, l'accord sol [x], si, re, fa, à l'accord mi, sol [x], si, re. Il est bien vrai que l'accord si, re, fa, la b, placé immédiatement après l'accord majeur ut, mi, sol, ut, en paroitra plus dur que s'il suivoit l'accord mineur ut, mi b, sol, ut; mais l'effet en revanche n'en sera que plus piquant et plus propre par conséquent à de certaines expressions. J'indiquerai bientôt (126.) une autre raison pour laquelle il me paroit que l'accord de septiéme diminuée a dû naturellement être pratiqué plus souvent dans une modulation mineure que dans une modulation majeure.
Il suit encore de l'ambiguité du mode dans l'accord de septiéme diminuée que cet accord est un moyen praticable pour passer subitement d'une modulation majeure à une modulation mineure sans [-59-] changer la note du ton, et réciproquement.
124. Nous venons d'observer que le mode mineur pris dans un sens resserré n'a point par lui-même de cadence parfaite. Mais en échange il en a une qui semble lui être propre, qui est même d'un usage très fréquent, dont cependant je n'ai pas remarqué qu'il soit fait mention dans l'énumération des différentes cadences, qu'on trouve dans divers Traités élémentaires, non plus que dans l'Article Cadence de l'Encyclopédie. Celle dont je veux parler, et qu'on peut nommer Cadence suspendue, a lieu lorsque la Basse fondamentale passe de la soudominante à la dominante dans un mode mineur, et s'arrête sur cette dominante. C'est par cette sorte de cadence que Corelli, de même que tous les autres bons auteurs, forment fréquemment des repos d'harmonie, et terminent même souvent leurs Adagios. Dans cette occasion l'accord de la soudominante est ordinairement renversé, c'est-à-dire que la note de la Basse continue est alors la tierce de cette soudominante.
125. Cette cadence n'est pas absolument impraticable dans le mode majeur: mais elle n'y forme pas un repos aussi sensible que dans le mode mineur; l'oreille y desirant alors avec bien plus de force la cadence parfaite sur la tonique, dès qu'on lui a fait entendre l'harmonie de la dominante après celle de la soudominante.
126. J'ai taché d'expliquer dans mes Essais et cetera page 131 et suivantes à quels égards et en quel sens le mode mineur peut être regardé comme l'inverse du mode majeur, et comment en conséquence de cette [-60-] relation, la dominante a dans le mode mineur plus d'empire, ou plus de part au titre de son principal (a) que dans le majeur. C'est sans doute en vertu de cet avantage que cette dominante peut procurer à la modulation un repos plus parfait que ne peut faire la dominante dans le mode majeur. C'est peut-être aussi là une nouvelle raison pour laquelle le repos d'harmonie qui suit naturellement l'accord de septiéme diminuée est plus parfait et plus usité dans le mode mineur que dans le majeur.
127. Les observations que je viens de faire sur la note mi, considérée comme quinte du mode mineur de la, m'engagent à donner quelque attention à l'octave diatonique tant ascendante que descendante qui commence et finit par cette note. A la considérer comme un morceau de chant elle fera un très bon effet, si on l'accompagne de la Basse qu'on voit cidessous, telle que me l'a communiquée le célébre Monsieur Fritz.
En montant.
Dessus mi, fa, sol, la, si, ut, re, mi. Basse la, re, ut, fa, mi, la, sol, ut.
En descendant.
Dessus mi, re, ut, si, la, sol, fa, mi. Basse ut, sol, la, mi, fa, ut, re, la.
[-61-] On voit que chaque note de la suite descendante a pour basse la même note qu'elle a dans la suite ascendante. On voit encore que selon la basse, qui peut être regardée comme fondamentale, ces deux suites tiennent l'une et l'autre également au mode mineur de la, et au mode majeur d'ut.
128. Mais quelque bonne que soit cette maniére d'accompagner ces deux octaves diatoniques, on peut encore leur donner deux autres Basses fondamentales, dont l'une soit toute renfermée dans le mode d'ut, et l'autre dans celui de la.
129. On peut voir dans l'Essai sur un troisiéme mode de Monsieur Blainville la maniére dont il accompagne cette double échelle diatonique. La Basse fondamentale qui convient aux accords de cet accompagnement fait voir assez clairement, qu'ils sont en partie dans le mode majeur et en partie dans le mode mineur; cette Basse ne favorise point par conséquent l'idée d'un troisiéme mode; elle en prouve seulement l'indécision dans cette espéce de gamme, à la considérer en elle-même et sans accompagnement.
Examen d'une question rélative à la Basse Fondamentale.
130. Je passe à une question que Monsieur d'Alembert propose: Il observe que Monsieur Rameau a trouvé vingt Basses fondamentales au chant sol ut, rélativement à ce qui peut précéder et à ce qui peut suivre. On peut voir l'énumération [-62-] de ces prétendues vingt Basses fondamentales dans le Nouveau Systême de Musique théorique et cetera page 44. Monsieur d'Alembert demande là-dessns laquelle de ces vingt basses seroit la véritable, si l'on n'avoit que ce seul chant sol ut. C'est, ajoute-t-il, un problême que je laisse à décider aux Musiciens, et dont la décision ne me paroit pas aisée.
131. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner en détail les vingt Basses fondamentales que Monsieur Rameau prétend trouver à ce chant, rélativement aux différentes places, où il peut se trouver dans une Composition musicale: il sufit pour le présent de dire que de ces vingt basses fondamentales il y en a six qui ne le sont que dans le sens impropre ou équivoque que comporte le systême de Basse fondamentale de ce célébre Artiste (a).
132. Pour m'en tenir donc au problême de Monsieur d'Alembert, et dont il me paroit singulier que la solution lui paroisse si difficile, je remarque que ces deux sons pris à part de tout autre, et formant eux-mêmes un chant fondamental, ou sont eux-mêmes leur propre Basse fondamentale, ou, ce qui est encore mieux, ils ont ut pour Basse fondamentale commune. Tout autre basse fondamentale ne sauroit avoir lieu dans la supposition proposée que le chant sol ut est isolé et terminé. [-63-] On sait qu'un chant peut bien commencer par la quinte du ton, mais il n'est bien terminé que par la tonique. En voila, ce me semble, assez sur cette question. Nous avons déja remarqué ci-devant que la Basse fondamentale d'une seule partie, d'un chant seul, est souvent indéterminée et arbitraire; il seroit par conséquent peu raisonnable dans tous les cas où l'arbitraire et l'indéterminé a lieu, de demander la vraie basse d'un chant seul, d'une seule partie qui est susceptible de plusieurs également bonnes.
133. Mais s'il est vrai qu'un beau chant peut être très bien conçu sans aucun sentiment actel de Basse fondamentale, il n'est pas moins certain que toute bonne mélodie, et même toute bonne composition musicale, est susceptible tout au moins d'une bonne basse fondamentale, d'une basse qui exprime de la maniére la plus claire et la plus simple l'enchainement des sons, des accords et des modulations.
Remarques sur les différentes maniéres de procéder dans la composition rélativement à la Basse.
134. J'ai déja eu occasion de remarquer dans mes Essais que plusieurs Musiciens célébres, et en particulier le célébre Geminiani, étoient dans l'habitude non seulement de concevoir la basse avec les parties supérieures, mais encore de faire précéder celle de la basse dans l'ordre de leurs conceptions. Cette méthode étant rendue habituelle par l'exercice peut exciter le génie et faciliter l'invention des parties. Monsieur Nichelman Musicien [-64-] de la chambre du Roi de Prusse a composé un Ouvrage en allemand pour prouver que la méthode de former d'abord un plan de Basse fondamentale, pour en tirer ensuite les différentes Parties d'une composition musicale, a de grands avantages sur la méthode de concevoir d'abord la principale Partie pour y adapter ensuite les autres. Cet ouvrage a pour titre, De la nature et des proprietés de la melodie (a).
135. Suivant cet Auteur la méthode qu'il préfére, celle de composer sur un plan de Basse fondamentale adaptée au sujet qu'on veut traiter, améne naturellement une plus grande varieté d'harmonie et d'expressions, et plus d'ordre et de subordination entre elles.
136. Si cette méthode est effet en la meilleure, elle l'est sur-tout pour ceux dont l'imagination trop froide n'est pas naturellement fertile en beaux chants; c'est une méthode véritablement artificielle, mais qui par la grande pratique peut enfin devenir comme naturelle à ceux qui l'ont adoptée.
137. Quant aux Musiciens qui se livrent d'abord uniquement à la conception d'une Partie principale, ils seront sans doute persuadés que leur methode est celle du génie et de l'enthousiasme.
138. Mais ces deux méthodes doivent-elles s'exclure absolument l'une l'autre? Ne seroit-il [-65-] il pas à propos d être en état de pratiquer l'une ou l'autre selon les circonstances, selon la disposition actuelle où l'on se trouve à l'égard du génie et de l'imagination, et sur-tout selon le genre de musique qu'on veut traiter. Il y a des morceaux destinés à faire briller le chant d'une partie principale; il y en a d'autres dont le mérite doit consister dans l'harmonie: en ce cas-ci la méthode de concevoir à l'aide d'une Basse fondamentale une belle progression d'accords paroit préférable à celle qui commence par une seule des Parties; si du moins cela se pratique jamais en pareil cas. Le Génie peut même, vû la varieté des mouvemens dont la Basse fondamentale est susceptible, se faire sentir dans la succession des accords, si, comme on le doit, l'on suppose un Compositeur qui à une belle imagination joigne une grande pratique de l'harmonie.
Réflexions sur le Principe fondamental de l'harmonie.
139. Après avoir condamné le sentiment singulier de Monsieur Rameau qui a prétendu trouver le fondement de la Géometrie dans le phénoméne de la resonnance d'un corps fonore, Monsieur d'Alembert nous dit "que quand les rapports de l'octave de la quinte de la tierce, et cetera seroient tout autres qu'ils ne sont; quand ces rapports ne formeroient aucune progression; quand on n'y remarroit aucune loi; quand ils seroient incommensurables, soit en eux-mêmes, soit entre-eux, la resonnance du corps sonore qui produit la [-66-] douziéme et la dix-septiéme majeure, et qui fait fremir la douziéme et la dix septiéme majeure au-dessous de lui (a), suffiroit pour fonder tout le systême de l'harmonie (b)."
140. Cette assertion me paroit destituée de tout [-67-] fondement; du moins n'est-elle appurée d'aucun fait. Il est au contraire tout-à-fait naturel de penser que l'harmonie de la resonnance dépend des rapports simples et connus que forment les sons harmoniques avec le son fondamental, et de ce que les harmoniques qui forment avec lui les rapports les plus simples sont en même tems, et par cela même, ceux qui résonnent le plus fortement. On sait que la resonnance d'une corde sonore, outre la douziéme et la dix-septiéme renferme encore des harmoniques dissonans qui sont à l'unisson de la septiéme, de la neuviéme, de la onziéme partie et cetera de la totalite de la corde, mais qui heureusement sont couverts par les harmoniques consonans. Croira-t-on que si ces sons prédominoient sur les harmoniques consonans, autant qu'ils on sont prodominés, la resonnance du corps sonore suffiroit pour fonder tout le systéme de l'harmonie: c'est cependant ce qui devroit encore arriver, si la pensée de Monsieur d'Alembert étoit vraie. Concluons plûtôt que si la résonnance est un des grands principes de l'harmonie, c'est parce qu'entre les sons qu'elle contient ceux qui ont avec le son fondamental les rapports harmoniques les plus simples se trouvent par cela même les plus resonnans, quoique la trop grande ressemblance des octaves du son fondamental les rendent difficiles à en être distingués.
141. Il est vrai que l'oreille n'exige pas une exactitude géométrique dans ces rapports: heureusement elle s'y contente d'une approximation, d'une justesse physique, d'une justesse telle que la nature requiert entre deux cordes voisines, [-68-] pour que les vibrations de l'une puissent faire frémir l'autre; mais l'oreille exige absolument ce degré de justesse, sans lequel les intervalles ne peuvent que lui déplaire.
142. "Monsieur Rousseau ,ajoute Monsieur d'Alembert, a très-bien prouvé au mot Consonnance de l'Encyclopédie, que la considération des rapports est tout-à-fait illusoire pour rendre raison du plaisir que nous font les accords consonnans.
Voici le peu de lignes que je trouve sur ce sujet dans cet Article du Dictionnaire Encyclopédique.
"Un écrivain judicieux (dit Monsieur Rousseau) qui nous a donné nouvellement des principes d'Acoustique, laissant à part tous ces concours de vibrations, a rendu raison du plaisir que les consonances font à l'oreille par la simplicité des rapports entre les sons qui les forment. Selon lui, le plaisir diminue à mesure que les rapports deviennent plus composés; et quand l'esprit ne les saisit plus, ce sont de véritables dissonnances. Mais quoique cette doctrine s'accorde parfaitement avec le résultat des premiéres divisions harmoniques, quoiqu'elle soit très-bien soutenue et qu'elle s'étende facilement à d'autres phénoménes qui se remarquent dans les beaux Arts, s'il se trouve qu'elle ne soit pas en tout d'accord avec l'expérience, s'il n'y a pas toujours une proportion exacte entre les rapports des sons et le degré de plaisir ou de peine dont ils nous affectent, je dis que cette hypothèse est fort vraisemblable, mais qu'il ne la faut pas regarder comme démontrée."
[-69-] 143. Voila ce que notre illustre Gèometre appelle avoir très-bien prouvé que la considération des rapports est tout-à-fait illusoire pour expliquer le plaisir que nous font les accords consonans. Monsieur Rousseau ne rapporte ici aucun fait pour prouver ce qu'il semble insinuer, que la doctrine dont il s'agit n'est pas en tout d'accord avec l'expérience: peut-être ai-je prévenu ses doutes à cet égard, en accordant que dans les rapports des intervalles, l'oreille n'exige pas une parfaite justesse; une telle justesse n'a jamais lieu dans les Arts qui ont pour but d'affecter les sens, et si elle devoit absolument s'y rencontrer, l'Art musical seroit un Art impraticable.
144. Monsieur d'Alembert auroit donc pû se contenter de dire, que quand nous ignorerions ces rapports, la résonnance du corps sonore suffiroit pour établir tout le systême de l'harmonie; et même cette proposition ainsi modifiée seroit sans doute encore trop forte, puisqu'il seroit très-difficile et même impossible de déduire plusieurs régles de l'harmonie du seul principe de la résonnance du corps sonore.
145. Mais avant de quitter ce sujet je crois devoir convenir que dans l'article Consonnance de l"Encyclopédie Monsieur Rousseau propose contre ceux qui font dépendre les différens degrés de douceur des différens intervalles, du concours plus ou moins fréquent des vibrations des corps sonores, une objection qu'il pouvoit presser également contre le sentiment de ceux qui font dépendre les différens degrés de suavité (a) des divers intervalles, [-70-] du degré de simplicité des rapports qui les forment.
146. Voici l'objection. "Les vibrations ou les sons de la tierce mineure, sont comme 5 et 6, et la consonnance en est fort agréable. Que doit il résulter des deux autres sons dont les vibrations seroient entre elles comme 6 et 7? une consonnance un peu moins harmonieuse à la vérité, mais encore assez agréable à cause de la petite différence des raisons; car elles ne différent que d'un trente-sixiéme. Mais qu'on me dise comment il se peut faire que deux sons, dont l'un fait 5 vibrations pendant que l'autre en fait 6, produisent une consonnance agréable, et que deux sons, dont l'un fait 6 vibrations pendant que l'autre en fait 7, produisent une si affreuse dissonnance. Quoi, dans l'un de ces rapports les vibrations s'accordent de six en six, et mon oreille est charmée; dans l'autre elles s'accordent de sept en sept, et mon oreille est écorchée."
147. Cette objection en elle-même très-forte, est aussi exposee avec beaucoup d'énergie. Mais peut-être n'est-elle cependant pas sans réponse. Je remarque d'abord qu'elle n'attaque pas moins le sentiment de Monsieur Rousseau et de Monsieur d'Alembert que celui de ceux qui font dépendre la douceur [-71-] des intervalles de la simplicité de leurs rapports. "La nature, dit Monsieur Rousseau un peu avant l'objection, qui a mis dans les objets de chaque sens des qualités propres à le flatter, a voulu qu'un son quelconque fût toujours accompagné d'autres sons agrébles, comme elle a voulu qu'un rayon de lumiére fût toujours formé de l'assemblage des plus belles couleurs." Monsieur d'Alembert, comme nous l'avons rapporté, fait dépendre la douceur et l'agrément des consonnances uniquement de ce qu'elles sont contenues dans la résonnance de tout corps sonore. Or l'intervalle que produisent deux sons dont les vibrations sont en nombre comme 6 et 7, se trouve compris dans la résonnance de tout corps sonore; les sons harmoniques qui le forment sont à la vérité bien foibles, mais ils y sont perceptibles, comme on peut s'en convaincre, si comme l'a fait Monsieur Rameau, on s'aide de leur unisson pour s'en faciliter la perception (a). On n'aura guéres moins de peine à appercevoir dans la résonnance d'un corps sonore les sons qui font l'un5 et l'autre 6 vibrations pendant que le son fondamental n'en fait qu'une.
148. Mais je demande à mon tour; comment arrive-t-il que de deux sons contenus dans la résonnance du corps sonore, l'un soit consonnant et l'autre très-dissonnant à l'égard du son fondamental, de ses octaves et de sa douziéme, lorsque ces deux sons ne différent d'ailleurs que par la circonstance d'être un peu plus foible et un peu plus aigu l'un que l'autre? si dans l'intention [-72-] de la Nature la résonnance d'un corps sonore ne devoit renfermer qu'un accompagnement de sons agréables, que des consonnances, ainsi que le dit Monsieur Rousseau; comment a-t-elle permis qu'un intervalle aussi dissonant, et selon lui, aussi propre à écorcher l'oreille que l'intervalle, dont les vibrations sont comme 6 et 7, ait été compris dans cette même résonnance?
149. J'avoue qu'en suivant les idées de Monsieur d'Alembert et de Monsieur Rousseau, je ne vois pas de réponse satisfaisante a de telles questions. Mais si le phénoméne de la résonnance est un effet de l'extrême sensibilité de toutes les fibres de l'organe acoustique, conformément à ce que j'ai dit sur ce sujet ci-devant (12), il s'ensuit qu'un corps sonore désigné par 1 agit non seulement sur la fibre propre au son fondamental 1, mais encore, quoique plus foiblement, sur les fibres propres aux sons 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, et cetera qui sont les harmoniques les plus-voisins de ce son fondamental; en sorte que la résonnance de chacun de ces harmoniques est d'autant plus foible, qu'ils se trouvent plus à l'aigu ou plus éloignés du son fondamental, de quelque nature que soit d'ailleurs le rapport harmonique qu'ils ont, soit avec ce son fondamental, soit avec ses harmoniques les plus graves.
150. On doit encore remarquer qu'en vertu de l'équissonnance des octaves l'harmonique consonnant qui répond à 6, doit être plus difficile à distinguer dans la résonnance du corps sonore 1, que l'harmonique dissonnant, ou si l'on veut, [-73-] discordant, qui répond à 7, vû que l'harmonique 6, se confond avec le 3, dont il est octave; au lieu que l'harmonique 7, qui n'est guéres plus foible que le 6, ne trouve dans les sons plus graves aucun autre son avec lequel on puisse le confondre.
151. Je demande encore, comment arrive-t-il qu'un même intervalle exécuté sur le même Clavecin avec les mêmes touches est dans ce moment pour mon oreille un intervalle agréable et trè consonnant, une tierce mineure par exemple ut mi b, et quelques momens après ce même intervalle employé comme seconde superflue, comme ut re [x], me paroit très dur et très dissonnant? C'est que les effets de l'harmonie dépendent extrêmement des rapports, et de la disposition où se trouve actuellement l'oreille en conséquence de ce qu'elle vient d'entendre.
152. Les Réflexious précédentes font voir assez clairement, ce me semble, que l'objection de Monsieur Rousseau fait autant contre son sentiment que contre la pensée de ceux qui sont dépendre la douceur des intervalles de la simplicité des rapports qui les expriment. Essayons de prouver que la difficulté dont il s'agit ne détruit point ce dernier principe.
La tierce mineure dont le rapport est comme de 5 à 6 est un intervalle consonnant dont tout ce que nous avons entendu de musique nous a donné le sentiment. Il suit de là que si nous entendons un intervalle qui en approche beaucoup, nous serons portés à le recevoir comme tierce mineure, si du moins la ressemblance en [-74-] est assez grande, telle par exemple que la donne le temperament du clavecin: l'oreille en ce cas tolérera le défaut de l'instrument, et pourra recevoir l'intervalle temperé pour une vraie tierce mineure.
153. Mais si cet intervalle se trouve être dans le rapport de 6 à 7, l'oreille qui n'aura point l'habitude d'un pareil intervalle, ni d'aucun autre, dont il approche autant qu'il fait d'une tierce mineure, n'y trouvera qu'une tierce mineure sensiblement fausse, et en ce sens il ne pourra que déplaire, ou selon l'expression de Monsieur Rousseau, l'oreille en sera écorchée. C'est ainsi qu'un habit d'homme fait à la Françoise choquera les yeux d'un François, si cet habit est de cinq ou six pouces plus court ou plus long que n'exige la mode: pendant qu'un habillement étranger de pareille longueur ne fera pas sur ses yeux le même effet.
154. De même si malgré le défaut d'habitude où l'oreille peut être à l'egard de l'intervalle de 6 à 7, on trouve le moyen de le lui présenter pour ce qu'il est véritablement, s'il est amené de façon que la phrase musicale en écarte toute idée de tierce mineure, il sera reçu comme intervalle dur à la vérité, mais il pourra en même tems être reçu comme intervalle juste, et ne point revolter l'oreille.
155. C'est aussi ce qu'on peut supposer avoir lieu dans l'accord de sixte superflue fa, la, ut, re [x], lors qu'il est bien amené; vû que dans cet accord nous pouvons considérer avec Monsieur Tartini le re [x] comme désignant un son qui fait [-75-] sept vibrations pendant que l'ut en fait six, et que fa fondamental en fait 1, 2, ou 4.
156. Que si l'on demande encore pourquoi l'intervalle de l'ut au re [x], supposé dans le rapport de 6 à 7, surpasse si fort en dureté la tierce mineure de 5 à 6, voici la réponse que je crois satisfaire à cette question.
La dureté des intervalles ne croit pas simplement en raison du défaut de simplicité de leurs rapports; elle croit encore selon que ces rapports tiennent de plus près aux bornes de l'oreille en fait de sensation harmonique; et c'est l'expérience seule qui peut déterminer ces bornes.
157. Par conséquent l'intervalle dans le rapport de 6 à 7, de même que ceux de 4 à 7, et de 3 à 7, ne peuvent faire sur notre oreille que l'impression que ces deux causes réunies peuvent y produire: Ces rapports non-seulement sont moins simples que ceux des tierces ou des sixtes majeures ou mineures: mais ils touchent aussi de plus près aux bornes que la nature a assignées à l'oreille dans la conception, ou plutôt dans la sensation des rapports harmoniques.
C'est ainsi que la difficulté ou la peine qu'il y a à porter un poids, à peu pres proportionelle à ce poids, lorsqu'il est petit relativement à nos forces naturelles, augmente selon une toute autre loi, quand il s'agit d'un beaucoup plus grand poids, d'un poids qui épuise ou excéde nos forces. Dans ce dernier cas la difficulté devient presque tout-à-coup infiniment grande, et n'est pas moins telle pour quatre ou cinq, que pour mille ou dix mille quintaux.
158. Il n'est pas étonnant qu'en fait de rapports [-76-] harmoniques il y ait un terme, un maximum au-delà duquel tous les rapports forment des intervalles presque tous également et extrêmement durs et dissonnans, à moins que ces rapports ne se trouvent assez rapprochés des intervalles admis dans la pratique de l'harmonie, pour pouvoir en tenir la place.
159. Cette réflexion répond suffisamment à une autre question que Monsieur Rousseau propose à la suite de l'objection à laquelle j'ai tâché de satisfaire. "Je demande encore (dit-il) comment il se fait qu'après cette premiére dissonnance la dureté des accords n'augmente pas à mesure que les rapports des vibrations qui les forment deviennent plus composé; pourquoi, par exemple, la dissonnance qui résulte du rapport de 89 à 90, n'est pas plus choquante que celle qui résulte de celui de 12 à 13. Si le retour plus ou moins fréquent du concours des vibrations (il auroit pu dire également, si le plus ou le moins de simplicité dans les rapports des vibrations qui forment les intervalles) étoit la cause du sentiment de plaisir ou de peine que me causent les accords, l'effet seroit proportionné à cette cause, et je n'y vois aucune proportion; donc ce plaisir et cette peine tirent leur origine d'ailleurs." Il faloit ajouter, du moins en partie, pour rendre cette conclusion exacte.
C'est que l'organisation de l'oreille est telle que nous éprouvons dans cette premiére dissonnance toute la dureté, ou à peu près, que la nature des sons peut nous faire sentir. C'est qu'en un mot, tous nos sens, toutes nos facultés ont leur maximum, leur terme.
[-77-] Observation sur l'effet de l'harmorie à l'égard de l'organe vocal.
160. Mais l'oreille est-elle absolument le seul organe de l'homme qui soit sensible à l'harmonie? Quant à moi, il me semble que la glotte est à sa façon susceptible du plaisir que donnent les accords: il me paroit qu'un homme qui chante éprouve dans sa gorge une sensation agréable, surtout quand il est bien accompagné. Dans l'acte du chant les rubans de la glotte sont tendus, et cette tension étant montée à l'unisson, à l'octave, à la quinte ou à la tierce des sons de l'accompagnement, ces sons agissent sensiblement sur cet organe, comme ils seroient sur d'autres cordes sonores qui seroient montées au même ton que les rubans de la glotte: il me paroit donc que cette légére action des sons de l'accompagnement sur ces rubans sonores y produit une sensation agréable, et contribue en même tems beaucoup à la justesse et à la fermeté de l'intonation du chant.
161. Il me paroit encore que l'effet et le plaisir de cette sensation doit varier selon la nature des intervalles qui la produisent. Ne pourroit-on pas en conséquence présumer qu'un Musicien devenu sourd, ou qui se boucheroit seulement les oreilles en entonnant quelques sons, pourroit, à l'aide d'une glotte musicale et de l'exercice, reconnoitre sans les entendre les intervalles dont un autre Musicien accompagneroit les sons qu'il auroit entonnés?
[-78-] Réfléxions sur l'usage du Calcul et des explications physiques en fait de Théorie musicale.
162. Monsieur d'Alembert blame avec raison l'abus qu'on a fait et qu'on pourroit faire de la Géométrie et des calculs dans la Théorie de l'Art musical.
"Les Géomètres, dit-il, qui ont voulu introduire le calcul dans cette derniére science, ont eu grand tort de chercher dans une source tout-à-fait étrangére, la cause du plaisir que la Musique nous procure." Il est beau de voir un grand Géométre, un subtil calculateur reconnoitre avec un si grand désintéressement l'inutilité de la Geométrie et des calculs pour l'avancement de la Théorie musicale (a). Après un aveu aussi propre à en imposer, et qui flatte si fort l'incapacité où sont la plupart des Musiciens d'entendre les calculs même les plus simples, oserois-je dire que cet illustre Académicien n'a peut-être condamné, aussi sévérement qu'il le fait, l'emploi du calcul, que parce qu'il n'a pas compris tout le parti qu'on peut en tirer? que par ce que sa Théorie musicale est trop dépendante du tempérament du Clavecin?
163. Je n'ai garde de justifier le malheureux usage de la Géométrie et du Calcul qu'en ont pû faire de grands hommes (b). Mais je ne [-79-] crois pas qu'on puisse dire d'aucun Géomètre qu'il ait regardé le calcul comme la cause ou la source du plaisir que la Musique nous procure. Le calcul n'est pas plus la source ou la cause du plaisir musical qu'il ne l'est des phénomènes de la Pesanteur, bien qu'il soit d'un si grand usage dans leur explication.
164. Que si l'intention de Monsieur d'Alembert est ici de blâmer les Géomètres qui ont cru que le plus ou le moins de simplicité des rapports entre les sons qui forment les divers intervalles et les divers accords, étoit, je ne dis pas la seule cause, mais une des causes essentielles du plus ou du moins de douceur de ces intervalles et de ces accords, et qui en conséquence ont pensé qu'on pouvoit calculer ces rapports avec utilité pour la Théorie musicale, je crois avoir suffisamment prouvé ci-devant qu'à cet égard de tels Géomètres n'ont rien avancé qui ne soit très raisonnable.
165. Monsieur d'Alembert veut bien convenir que "le calcul peut faciliter l'intelligence de certains points de théorie, comme des rapports entre les tons de la gamme et du tempéramment; mais ce qu'il faut de calcul, ajoute-t-il, pour traiter ces deux points est si simple et, pour tout dire, si peu de chose, que rien ne mérite moins d'étalage."
Nous avons vu ci-devant que quelque borné que soit l'usage du calcul qu'il approuve dans [-80-] cette occasion, il semble l'avoir resserré par le fait dans des bornes beaucoup plus étroites, lors qu il s'est cru en droit de confondre les divers intervalles que les touches d'un clavecin ne distinguent pas: les assertions très-singuliéres de Monsieur d'Alembert à cet égard prouvent assez clairement qu'il auroit pû, sans étalage, sans le dessein d'en imposer aux ignorans par un faux air scientifique, étendre un peu plus loin qu'il ne l'a fait, le bon usage du calcul en fait de Théorie musicale. Ce n'est pas seulement dans cette Théorie, mais encore dans toutes les sciences, qu'il seroit fort à souhaiter qu'on pût se passer de calculs, et surtout de calculs à la portée de peu de personnes.
166. "Qu'il me soit encore permis, ajoute ce célébre Académicien, d'ajouter (car une vérité qu'on a dite, conduit bientôt et comme nécessairement à une autre) (a) que les explications et les raisonnemens physiques ne sont pas plus utiles à la théorie de l'art musical, ou plutôt le sont encore moins que les calculs géométriques" Il en allégue pour exemple l'hypothése physique sur la différente élasticité des particules de l'air imaginée par Monsieur de Mairan, adoptée d'abord et ensuite rejettée par Monsieur Rameau, comme nous avons eu occasion ci-devant de le remarquer. "Ceux, ajoute-t-il, qui ont les premiers proposé cette hypothèse, ont pû la donner comme une opinion, mais jamais on n'a dû en faire la base d'un traité de l'harmonie. Des faits, et point de verbiage, voilà [-81-] la grande régle en Physique comme en Histoire."
167. Que Monsieur d'Alembert s'inscrive en faux contre des hypothéses aussi peu fondées que peut l'être celle qu'il cite à cette occasion, à la bonne heure; mais de dire que tout raisonnement, toute explication physique soit inutile à la théorie de l'art musical, et doive être qualifiée de verbiage, ainsi qu'il paroit le faire dans cette occasion, c'est, à mon sens, un langage qui peut paroitre en place dans la bouche d'un Musicien Petit-maitre, d'un Musicien purement tel; mais qui doit surprendre dans celle d'un Philosophe, d'un Physicien (a).
168. Rien sans doute de plus important en physique comme en histoire que l'observation des faits; mais cette observation n'est pas toujours si aisée qu'on ne puisse bien s'y méprendre. Pour Monsieur d'Alembert c'est un fait démontré sur le clavecin que la quinte-superflue est une sixte mineure, la sixte-superflue une septiéme mineure, et cetera pour lui comme pour Monsieur Rameau c'est ou ç'a été un fait qu'une corde sonore fait frémir dans sa totalité une corde double, triple ou quintuple. [-82-] Nous avons vû combien peu de réalité il y a dans ces prétendus faits.
169. Les faits d'ailleurs, même les mieux constatés, seroient souvent peu utiles sans les conséquences qu'on en peut déduire; mais si l'observation des faits est sujette à erreur, la déduction des conséquences ne sera pas moins fautive, si elle n'est appuiée de raisonnemens solides, et souvent même de calculs plus ou moins simples, tels en un mot que la nature du sujet comporte; mais aussi lorsque ces raisonnemens ou ces calculs sont justes et solides, et qu'ils sont fondés sur des faits bien observés, les conséquences auxquelles ils nous conduisent le sont également.
Observations sur l'Expérience dans laquelle les deux sons d'un Intervalle en produisent un troisiéme plus grave, qui en est toujours la Basse fondamentale.
170. Monsieur d'Alembert termine l'Article de l'Encvclopedie qui a occasionné ces réflexions par une exposition de l'expérience daus laquelle deux sons à l'aigu formant un intervalle quelconque produisent une espéce de troisiéme son au grave qui se trouve toujours en être la vraie Basse fondamentale. Cette exposition il la tire de l'ouvrage du célébre Monsieur Tartini que nous avons déja eu occasion de citer; ouvrage, dit Monsieur d'Alembert avec raison, qui n'est pas également lumineux par-tout, mais qui contient d'excellentes choses.
171. De là il passe à l'énumeration des principaux [-83-] intervalles, que Monsieur Tartini rapporte avec l'indication du troisiéme son qui en est le produit: il ajoute que ce célébre Artiste ne nous apprend point quel son résulte du triton et de la fausse quinte, et il invite les Musiciens à le chercher. Une légère attention de la part de cet illustre Academicien lui auroit aisément fait apercevoir la loi qui régne dans tous les cas indiqués par Monsieur Tartini, de même que dans tous les autres inter valles dont il ne fait pas mention (a); cette loi étant parfaitement analogue à celle qu'on observe entre les sons harmoniques d'un son fondamental, et le son fondamental lui-même (b).
172. On comprend bien que par sons harmoniques je n'entens pas seulement ceux qui le sont dans le sens musical, et qui sont consonnans, mais encore tous ceux qui le sont dans le sens physique. C'est en ce sens étendu que le son grave ut, étant désigné par 1, est censé son fondamental des sons désignés par
2 3 4 5 6 7 8 9 10 et cetera. ut, sol, ut, mi, sol, la [x], ut, re, mi,
ces nombres exprimant la quantité des vibrations de ces sons dans un tems donné.
173. Que si l'on préfére des nombres qui expriment, non la quantité des vibrations, mais les longueurs des cordes, ainsi que le fait Monsieur Tartini (quoique cette sorte d'expression soit bien moins naturelle moins directe et moins commode que la [-84-] premiére) alors le son fondamental ut désigné par 1, reconnoit pour les sons harmoniques tous les sons exprimés par les nombres fractionnaires de la progression harmonique
1/2, 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, 1/7, 1/8, 1/9, 1/10, et cetera.
174. Mais il ne faloit pas resserrer la loi ou la régle dans des bornes que la nature ne prescrit pas: il ne suffisoit pas de dire avec Monsieur d'Alembert d'après Monsieur Tartini, que deux sons voisins ou consécutifs quelconques de cette suite rendront toujours pour troisiéme son le son grave ut 1 ou, selon Monsieur Tartini, son octave 1/2, il faloit dire,
Premier. Que deux sons quelconques de cette suite rendront toujours le même troisiéme son ut 1/2, (a) si les dénominateurs des termes fractionnaires qui les désignent n'ont d'autre diviseur commun que l'unité. C'est ainsi, par exemple, que la sixte mineure mi ut exprimée par 1/5 : 1/8, et la sixte majeure sol mi désignée par 1/3 : 1/5. c'est-à-dire par deux termes non consécutifs, donnent pour troisiéme son le même ut que rendent les intervalles formés de deux sons voisins, tels que la tierce mineure mi sol, 1/5 : 1/6, le ton jeur ut re 1/8 : 1/9 et cetera.
Et deuxiéme. Il faloit ajouter que deux sons quelconques exprimés par des termes dont les dénominateurs ont un diviseur commun plus grand que l'unité, rendront toujours pour troisiéme son celui dont le terme a pour dénominateur le plus grand diviseur commun de ces deux dénominateurs.
[-85-] 175. Que si au lieu d'employer la progression harmonique 1, 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, et cetera qui exprime les sons par les longueurs des cordes qui les produisent, on préfére la méthode qui paroit bien plus propre et plus naturelle, celle qui les désigne par le nombre ou la fréquence de leurs vibrations, la suite des sons se trouve alors exprimée d'une maniére plus simple par la suite naturelle des nombres 1, 2, 3, 4, 5, et cetera.
Et dans ce cas les deux parties de la Loi pourront aussi être énoncées avec plus de simplicité; elles pourront même se réduire à cette seule Proposition: Deux sons quelconques de
la suite 1 2 3 4 5 ut, ut, sol, ut, mi. et cetera
rendront toujours pour troisiéme son celui qui se trouvera désigné par leur plus grand diviseur commun (a).
176. Selon cette Loi prise dans la généralité que la nature lui donne, on trouvera aisément que le triton
32 45 ut fa [x],
de même que la fausse quinte
45 64 fa [x] ut,
produiront également l'ut 1 pour troisiéme son.
[-86-] On trouvera de même que la quinte superflue 16/ut 25/sol [x], et la quarte diminuée 25/sol [x] 32/ut, produiront l'une et l'autre également l'ut 1 pour troisiéme son, et ainsi des autres intervalles qui sont dans le même cas, c'est-à-dire, qui ne sont pas exprimés par deux nombres consécutifs de la suite naturelle 1, 2, 3, 4, 5, et cetera.
177. "Nous avons cru devoir nous presser, ajoute Monsieur d'Alembert, de faire part à nos Lecteurs d'une si belle experience."
Cette façon de s'exprimer semble indiquer que cette expérience n'étoit point connue en France avant l'année 1757, c'est-à-dire avant la publication du septiéme volume de l'Encyclopédie, et bien moins encore avant l'année 1754, dans laquelle a paru en Italie l'ouvrage de Monsieur Tartini. J'ai cependant quelque raison d'être persuadé que Monsieur d'Alembert a eu entre les mains mes Essais et cetera dès le commencement de 1753 (a), et qu'il [-87-] a pu y voir une annonce exacte, quoique succinte, de ce phénomène harmonique, où cette annonce est immédiatement suivie d'une explication très-naturelle du phénomène, et aisément applicable à tous les cas particuliers allégués ou non allégués par Monsieur Tartini.
178. Il est vrai que sur la fin de l'article de l'Encyclopédie que j'examine, il dit quelque chose de cette annonce:
"Au reste, dit-il, nous devons avertir que dans l'ouvrage de Monsieur Serre, intitulé Essais sur les principes de l'Harmonie Paris 1753, il est fait fait mention de cette Expérience de Monsieur Tartini, comme d'une chose dont plusieurs Musiciens reconnoissent la vérité: l'Auteur ajoute même (continue Monsieur d'Alembert) qu'on peut faire avec deux belles voix de femme, cette expérience que Monsieur Tartini dit n'avoir fait que [-88-] sur des instrumens; mais Monsieur Serre ne parle que du troisiéme son produit par la tierce majeure, et de celui que produit la tierce mineure. Il y a même cette différence entre Monsieur Tartini et Monsieur Serre, que selon le premier les deux sons d'une tierce majeure, comme ut mi, produisent l'octave ut au dessous de ut; et selon le second, c'est la double octave: de même selon le premier, les deux sons d'une tierce mineure la ut, produisent la dixiéme majeure fa au dessous de la; et selon le second, c'est la dix-septiéme majeure au dessous de la, ou l'octave au dessous de la dixiéme fa. Monsieur Serre ne parle point du troisiéme son produit par deux autres sons quelconques, et paroit d'ailleurs n'avoir fait aucun usage de cette experience."
179. Cette maniére de rapporter mon sentiment sur le phénomène du troisiéme son est assurément très-peu exacte. Si l'on en croit Monsieur d'Alembert, je n'ai parlé que du troisiéme son produit par la tierce majeure ou la tierce mineure: il lui paroit d'ailleurs que je n'ai fait aucun usage de cette expérience.
180. Qu'il me soit permis, en faveur de ceux qui n'ont pas sous la main mon premier Ecrit sur les Principes de l'Harmonie, de transcrire ici quelques lignes de l'endroit où j'ai fait mention de l'expérience en question.
"Ce que la résonnance, ai-je dit, d'une seule corde ne produit jamais, un son plus grave que son fondamental de cette corde, deux cordes, deux corps sonores résonnant en même tems peuvent le faire en quelque sorte avec [-89-] plus de succès. C'est une expérience dont plusieurs Musiciens reconnoissent la vérité; il s'agit de savoir si elle contient une indication plus heureuse du mode mineur, ou de l'accord qui en fait le caractère essentiel: c'est à ce dessein que je la rapporte. Si deux belles voix de femme (a) entonnant ensemble les deux sons d'un intervalle, d'une Quinte, d'une Quarte, d'une tierce majeure ou mineure, et cetera on peut entendre en même tems une espéce de troisiéme son, plus grave qu'aucun des deux entonnés, une sorte de foible bourdon d'une intonation déterminée, et qui représente toujours le vrai son fondamental de ces deux sons, et cetera.
181. Il étoit clair, ce me semble que j'étois bien éloigné de borner l'expérience du troisiéme son aux deux tierces; l'et cetera que j'ajoute après avoir nommé expressément la quinte la quarte, aussi-bien que les tierces majeure et mineure, indique suffisamment que je l'étendois à tout autre intervalle musical. D'ailleurs l'explication physique, que je donne ensuite de ce phénoméne, (b) est visiblement relative à tout intervalle quelconque, [-90-] et pour peu que Monsieur d'Alembert y eût apporté d'attention, non seulement il en auroit aisément déduit, à priori tous les cas particuliers du phénoméne qu'il rapporte d'après Monsieur Tartini, mais il lui auroit été encore facile de donner à la loi qui régne dans tous ces cas, toute l'étendue qu'elle tient de la nature même du son. Il n'eût fait en cela que ce qu'a fait l'illustre Géomètre de la Société Royale de Turin, Monsieur de la Grange (a), et comme lui, il auroit pû reconnoitre, ou du moins présumer, lequel de Monsieur Tartini ou de moi a donné la vraie détermination du troisiéme son.
182. J'ai déja eu occasion de remarquer que l'observation des faits est souvent très-difficile et très-délicate: j'ai ici une belle occasion de confirmer cette remarque. Monsieur Tartini, ainsi que l'a remarqué Monsieur d'Alembert, place toujours le troisiéme son une octave plus haut que je ne l'ai fait; et cette détermination, Monsieur Tartini la donne dans tout le corps de son ouvrage comme un fait d'expérience: son systême est même en bonne partie essentiellement fondé sur cette détermination. Mais admirons et la force de la vérité et la bonne foi de ce célébre Musicien. Dans la conclusion de son ouvrage il se propose lui-même des doutes très-plausibles contre ses propres Principes.
183. Voici comme il s'exprime à l'égard de [-91-] la détermination exacte du ton du troisiéme son, (Trattato et cetera. page 170). Il terzo suono, che io dico unisono costantemente a 1/2 quando i dati suoni siano in serie armonica, si può dubitare che sia unisono al tutto, o sia alla prima unità della serie. Di fatto la qualità di questo terzo suono essendo diversa dalla qualità del suono naturale delle corde, questa diversità può cogionare equivoco ad onta del più esqisito senso di udito, e di migliaia di prove." J'ai dit que le troisiéme son étoit constamment à l'unisson de 1/2 quand les sons donnés sont en progression harmonique; mais on peut douter s'il n'est pas à l'unisson de l'unité, premier terme de cette progression En effet la qualité de ce troisiéme son étant différente de celle du son naturel des cordes, cette différence peut rendre l'expérience équivoque (a) en dépit de mille épreuves, faites même avec l'oreille la plus fine."
184. Ce doute de Monsieur Tartini est conforme au language de tous les autres Musiciens sur la facilité que nous avons de confondre un son avec son octave. "On confond souvent, dit Monsieur de Bethizy, l'octave avec le son fondamental." Or si jamais il est difficile de distinguer un son de son octave supérieure ou inférieure, ce doit être sans doute dans le cas de l'expérience dont [-92-] il s'agit, dans un cas où le son qu'il faut apprécier est foible et très-sourd, si même on peut l'appeller un vrai son, et non pas une apparence de son, et qui de plus n'est perceptible qu'autant qu'il est produit par deux autres sons très-forts et très-clairs.
C'est dans de semblables cas du moins qu'un bon raisonnement physique peut être d'un grand secours pour démêler ce qu'il peut y avoir d'équivoque dans une expérience.
185. Aussi ne crains-je pas d'avouer à l'égard du degré d'octave que j'ai assigné au troisiéme son, que ne pouvant déterminer ce degré avec certitude par le sentiment actuel de l'oreille, j'ai crû pour cet effet pouvoir me prévaloir de l'extrême rapport qu'a le phénomène du troisiéme son avec celui qui m'a paru en donner une explication très-simple et très-complette. Dans ce cas-ci comme dans plusieurs autres, où le témoignage des sens est insuffisant, l'analogie est souvent un guide propre à nous conduire à la connoissance de la vérité.
186. Indiquons quelques conséquences qui résultent de la supposition de Monsieur Tartini que le troisiéme son est toujours à l'unisson du second terme 1/2 de la progression harmonique lorsque les deux sons qui le produisent se trouvent répondre à deux autres termes de cette progression, et que par conséquent ce troisiéme son est d'une octave plus haut que le son représenté par le premier terme 1.
187. Selon Monsieur Tartini le troisiéme son est toujours, comme il doit l'être en effet, la Basse harmonique, [-93-] la Basse fondamentale des deux sons qui le produisent. Je demande donc quel sera dans la supposition de cet Auteur le troisiéme son produit par l'octave, c'est-à-dire par les sons 1 et 1/2, par la douziéme 1 et 1/3, et par la dix-septiéme majeure 1 et 1/5. Dans le principe de Monsieur Tartini ce troisiéme son, ce son fondamental devroit être également dans ces trois cas le son 1/2, et non son octave au dessous 1. Mais comme c'est une absurdité assez évidente que le son fondamental d'un intervalle soit à l'aigu de l'un des deux sons qui le composent; Que fait Monsieur Tartini? Il nous dit que l'octave ne produit point de troisiéme son; et ne fait d'ailleurs aucune mention du troisiéme son produit ou non produit par la douziéme, ou par la dix-septiéme majeure.
188. On pourroit penser qu'il ne refuse à l'octave l'avantage de produire un troisiéme son, que par ce que ce troisiéme son étant et l'unisson de l'un des deux sons qui la forment, et s'y confondant en conséquence, il a pû le conter pour nul. Mais si l'on fait attention au troisiéme son 1/2 qu'il accorde à la quinte formée par les termes 1/2 et 1/3, et qui est à l'unisson du premier de ces deux termes, on comprendra bien que si c'eût été là son idée, il l'auroit énoncé expressément.
Mais si dans les trois cas que je viens d'indiquer on substitue l'unité 1 au terme 1/2 comme troisiéme son et comme Basse fondamentale, tout rentre dans l'ordre, tout est lié, tout est d'accord.
189. Monsieur d'Alembert termine ce qu'il rapporte de mon sentiment sur le phénomène du troisiéme [-94-] son, en disant, qu'il paroit d'ailleurs que je n'ai fait aucun usage de cette expérience.
190. J'en ai du moins fait l'usage pour lequel je l'ai alléguée. Il étoit question, dans l'endroit où je la rapporte, de l'origine du mode mineur, et d'examiner si cette expérience ne nous offroit point une indication naturelle de ce mode. C'est, comme je le dis expressément, dans ce dessein que j'en ai fai mention, et c'est la raison pour laquelle je me borne à examiner plus particuliérement ce que le phénomène présente à l'égard des deux genres de tierce. Monsieur d'Alembert pouvoit encore conter pour quelque chose le rapport que j'ai indiqué de cette expérience avec celles de Monsieur Sauveur sur les vibrations concurrentes qu'il nomme battemens, de même que l'explication physique que j'ai tirée très-naturellement de ce rapport.
De quelques usages qu'on peut tirer des phénomènes du troisiéme son.
191. Un autre usage considérable que présentent les phénomènes du troisiéme son, c'est une confirmation très-sensible de diverses Propositions que j'ai avancées dans mon premier ouvrage sur la nature de la Basse fondamentale en opposition au système de Monsieur Rameau. Il est vrai que tout ce que les phénomènes du troisiéme son nous offrent à cet égard, est si parfaitement analogue à tout ce que le principe de la resonnance du corps sonore nous suggére pour l'intelligence de la vraie Basse fondamentale, que je n'ai pas crû, pour établir mon sentiment sur ce sujet, devoir recourir [-95-] aux expériences du troisiéme son, alors peu connues, ou du moins dont aucun Auteur de ma connoissance n'avoit encore fait mention.
192. L'expérience démontre, par exemple, que le troisiéme son formé par l'intervalle de septiéme mineure sol fa, dans le mode majeur d'ut, et par son renversement fa sol, est également un fa et nullement un sol: d'où il suit que de ces deux sons c'est au fa qu'appartient proprement la qualité de son fondamental. Mais cette conclusion je l'ai déduite avec la même facilité du Principe de la résonnance, page 52. de mes Essais et cetera.
193. Il est aisé de reconnoitre que le phénomène du troisiéme son est exactement l'inverse de celui de la résonnance. Dans celui-ci le son fondamental 1 est le générateur de tous les sons harmoniques 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, et cetera lorsqu'on exprime ces sons par rapport au nombre de leurs vibrations,
ou 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, 1/7, 1/8, 1/9, et cetera
lors qu'avec Monsieur Tartini on les désigne par rapport aux longueurs des cordes qui peuvent les produire; et dans l'expérience du troisiéme son, deux ou plusieurs sons de cette suite produisent toujours conjointement le son fondamental 1, ou du moins un de ses premiers dérivés, conformément à la Loi de l'art. (174.) On voit donc que dans l'un de ces phénomènes la nature nous conduit comme du tronc de l'arbre à ses branches, et que dans l'autre elle nous ramène des branches au tronc du même arbre.
194. Il semble au reste que Monsieur d'Alembert n'ait pas assez compris que selon Monsieur Tartini le troisiéme son est toujours le son fondamental de l'intervalle qui le produit, et par conséquent ne [-96-] doit pas toujours être un son propre à entrer dans une basse continue. C'est malheureusement sur cette méprise qu'est fondé un usage que Monsieur d'Alembert a crû qu'on pouvoit tirer de l'expérience du troisiéme son (a). Une suite de troisiémes sons produits par une suite correspondante d'intervalles est démonstrativement, dit Monsieur Tartini, il Basso armonico; expression qui dans son ouvrage est synonyme à celle de radice armonica, et qui répond à ce que nous appellons Basse fondamentale (b); et ce n'est, et ne peut être qu'en ce sens, qu'il ajoute que toute autre basse seroit un paralogisme. Suivant cette idée on peut dire que ce seroit un énorme paralogisme que de donner sol [x] pour son fondamental de l'accord de septiéme diminuée sol [x], si, re, fa; vû qu'aucun des six intervalles compris dans cet accord ne peut produire ce sol [x] comme troisiéme son.
195. "L'Expérience qu'on vient de voir, dit Monsieur d'Alembert, "donne la basse qui doit résulter de deux dessus quelconques; mais elle ne donne pas, du moins directement, celle qu'il faut joindre à un dessus seul: cependant ne pourroit-on pas en tirer quelque parti pour la solution de ce dernier problême? Il s'ensuit d'abord, ce me semble, de l'expérience qu'on vient de [-97-] rapporter, que si on fait un second dessus à un chant quelconque, et que la basse jointe à ce dessus, suivant les regles de Monsieur Tartini, produise un tout désagréable à l'oreille, c'est une marque évidente que le second dessus a été mal fait." La basse ainsi faite étant une basse fondamentale pourroit fort bien, exécutée comme basse continue, produire un fort mauvais tout à l'oreille, quelque bien fait que fût le second dessus: d'ailleurs les régles de Monsieur Tartini n'ont lieu que pour les intervalles formés de deux sons exprimés par deux termes consécutifs de la progression harmonique
1, 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, 1/7, 1/8, et cetera
ainsi que Monsieur d'Alembert semble le supposer; d'où il s'ensuivroit que les intervalles qui ne sont pas dans le même cas se trouveroient manquer de basse.
196. "Cela posé, continue Monsieur d'Alembert, quand on aura fait un premier dessus quelconque, et qu'on lui aura donné une basse, cette basse doit nécessairement par les régles de Monsieur Tartini donner le second dessus, qu'il faut joindre au premier. Or ce second dessus étant fait, si les trois parties forment un ensemble desagréable, c'est une marque que la basse étoit mal faite." Une basse bien faite signifie ici, ou une bonne basse continue; en ce cas il n'est plus question des régles de Monsieur Tartini uniquement relatives à la Basse fondamentale; ou bien cette Basse bien faite est une bonne Basse fondamentale, qui n'étant point faite pour être exécutée, pourroit figurer [-98-] très-mal comme basse continue, quelque bonne qu'elle fût comme basse fondamentale.
197. Avant de finir cet article je dois reconnoitre en faveur du sens dans lequel Monsieur d'Alembert a entendu le terme de Basse harmonique, dont se sert Monsieur Tartini, que cet Artiste ne paroit pas avoir distingué assez clairement dans cette occasion les deux genres de basse désignés en France par les termes de Basse fondamentale et de Basse continue, et qu'il a par conséquent un peu contribué à la méprise que je viens de relever.
Des sons produits au grave par la réunion et plusieurs sons entonnés à l'aigu.
198. Mais ce n'est peut-être pas assez, du moins pour la spéculation, de connoitre le son fondamental, le bourdon que produisent les différens intervalles, il est naturel de demander encore quel sera à cet égard l'effet d'un accord composé de trois ou quatre sons. C'est sur quoi Monsieur Tartini ne dit rien, du moins dans l'endroit où il convenoit d'en parler. Le peu qu'il en dit ailleurs est conforme à ce que je vais remarquer sur ce sujet, excepté le degré d'octave, à l'égard duquel on a déja vû ci-devant que nous différons.
199. Il seroit sans doute bien difficile, par le secours seul de l'oreille, quelque fine qu'on la suppose, de fournir une réponse exacte et complette à la question que je viens de proposer. Mais à l'aide d'un raisonnement fort simple on peut aisément découvrir ce que l'oreille pourroit [-99-] apercevoir dans ce cas, si le phénomène pouvoit être rendu assez sensible. Deux sons quelconques d'un accord proposé, étant considérés à part des autres sons du même accord, doivent produire le troisiéme son, le bourdon qui leur est propre.
200. Un accord devra donc en produire autant qu'il y a d'intervalles renfermés dans cet accord; bien entendu que quelques-uns de ces bourdons pourront coïncider, être à l'unisson l'un de l'autre, suivant la nature de l'accord qui les produira. L'accord parfait majeur, par exemple, exprimé par les trois notes
4 5 6 2 3 5 ut, mi, sol, ou ut, sol, mi.
contient bien les trois intervalles ut mi, ut sol, et mi sol; mais chacun de ces intervalles concourront à produire un seul et même bourdon l'ut 1.
201. Il n'en est pas de même de l'accord parfait mineur
10 12 15 mi, sol, si.
Les trois intervalles mi sol, mi si, et sol si qu'il renferme produiront chacun un troisiéme son différent des deux autres; l'intervalle mi sol produira un ut 2; l'intervalle mi si produira un mi 5; et l'intervalle sol si produira un sol 3: D'où l'on voit que les trois bourdons produits par cet accord parfait mineur forment entre eux l'accord parfait majeur
2 3 5 ut sol mi.
On peut conclure de là que l'accord parfait [-100-] mineur est moins pur, moins consonnant et par conséquent moins parfait que l'accord parfait majeur, et que si les bourdons qu'il forme égaloient à peu près en force les sons qui les produisent, cet accord seroit impraticable, ou du moins ne seroit admissible que comme un accord dissonnant.
202. On peut encore demander quel sera le bourdon, le son radical que doivent produire conjointement les divers sons d'un accord. Il est aisé de s'assurer que ce sera toujours le son qui répond au plus grand diviseur commun des divers nombres qui expriment les différens sons de l'accord.
S'il s'agit par exemple de l'accord parfait mineur
10 12 15 mi, sol, si,
le plus grand diviseur commun des nombres 10, 12, et 15, étant l'unité 1; l'ut grave que désigne 1, et qui forme au dessous du mi un intervalle de trois octaves et une tierce majeure, sera le bourdon demandé.
203. On voit que dans le foible bourdonnement de l'accord parfait mineur que nous venons de considérer, il se rencontre deux ut, l'ut 1, et l'ut 2, le premier produit par la totalité de l'accord, et le second par la tierce mineure mi sol; ce sera donc sans doute principalement un ut, qui pourra être aperçu dans ce bourdonnement; il doit même s'y distinguer d'autant plus aisément, que c'est la seule note du bourdonnement, qui n'existe pas dans l'accord lui-même: mais malgré cet avantage cet ut [-101-] n'affectera point encore assez l'oreille pour lui donner le sentiment de la dissonnance, de la septiéme majeure quele si formeroit avec lui, si le son en étoit plus sensible.
204. Puisque l'accord parfait mineur mi, sol, si produit un ut pour principal bourdon, on comprend qu'on peut dans un bon sens regarder cet ut, comme basse fondamentale de cet accord: dans ce sens on peut considérer cet accord comme un accord par substitution, comme un accord substitué à l'accord parfait majeur ut, mi, sol, dont on retranche le son fondamental pour pouvoir sans dissonnance y ajouter une tierce. C'est une remarque que j'avois déja proposée dans mes Essais, (Note u page 129).
205. Par un raisonnement semblable à celui que je viens de faire sur les deux accords parfaits, majeur et mineur, on découvrira aisément les bourdons ou sons obscurs qui pourrout résulter de tout autre accord praticable. On pourra reconnoitre par exemple que l'accord dissonnant de septiéme
36 45 54 64 sol, si, re, fa.
produiroit pour bourdon principal et fondamental un fa 1, l'unité étant le plus grand diviseur commun des quatre nombres 36, 45, 54, et 64.
206. On trouvera de même que l'accord de grande sixte
16 20 24 27 fa, la, ut, re,
[-102-] aussi-bien que son renversement
27 32 40 48 re, fa, la, ut,
produiroient pour bourdon radical ou fondamental le même fa 1.
207. Je ne pousserai pas plus loin une pareille recherche: elle pourroit paroitre avec raison plus subtile qu'utile. Il me suffira d'avoir mis sur la voye ceux qui pourroient être curieux d'un plus grand détail.
Du Principe sur lequel est fondée la Régle qui défend de faire entre deux parties deux octaves ou deux quintes de suite.
208. Monsieur d'Alembert dans le Discours préliminaire de la nouvelle Edition de ses Elémens de Musique répéte une proposition qu'il avoit déja avancée dans l'article Fondamental de l'Encyclopédie, et sur laquelle j'ai eu occasion ci-devant de faire quelques remarques. Selon cette proposition la résonnance du corps sonore, et les sons multiples qui en dérivent suffisent pour fonder tout le système de l'Harmonie.
Monsieur Rameau ne s'exprime pas moins fortement sur l'importance du principe de la résonnance; c'est selon lui le principe de l'Harmonie servant de base à tout l'art musical théorique et pratique: il en étend même l'influence beaucoup au delà, comme on a pû le voir en divers endroits de ses ouvrages, et sur tout dans ses Nouvelles Réflexions sur le Principe sonore, dont Monsieur d'Alembert ne conseille la lecture à personne (a) [(a) Discours prel. que je viens de citer, page 34.].
[-103-] 209. S'il y a quelque chose qui doive être compris dans le systême entier de l'harmonie, ce sont sans doute les Regles, sans lesquelles il n'est pas possible de faire de la bonne harmonie, celles en particulier du Contrepoint. Une des plus importantes de ces régles est certainement celle qui défend de faire de suite deux unissons, deux octaves, deux quintes, ou deux douziémes semblables (a). Or il est évident que cette régle est directement contraire au principe de la résonnance, puis que deux corps sonores ne peuvent se succéder l'un à l'autre qu'ils ne présentent en même tems dans leurs harmoniques ce que la régle condanne, deux octaves et deux douziémes consécutives. Cette régle est donc bien éloignée d'être fondée sur la résonnance: elle dépend par conséquent d'un autre principe, d'un principe supérieur à celui auquel la régle est directement opposée.
210. Mais quel est cet autre Principe? Il en est un qui me paroit offrir une solution très plausible de ce problême musical. Ce Principe, commun à tous les beaux Arts, dicte que les divers genres d'exécution usités dans ces Arts ne doivent jamais être confondus; qu'on peut bien les entremêler, ou les faire succéder les uns aux autres, pourvû que cela se fasse avec une certaine discretion, qui fasse sentir que l'artiste qui entremêle les différens genres ne les confond point.
[-104-] 211. Les vers et la prose sont deux genres d'écrire; ils peuvent être entremêlés dans un même ouvrage; mais ils ne le peuvent qu'autaut que l'Auteur qui les fait succéder l'un à l'autre ne les confond point. Le chant et la simple déclamation sont deux genres de reciter des vers, à l'égard desquels la même discrétion doit avoir lieu, si l'on veut les entremêler.
La Peinture et le simple Dessein sont encore deux genres d'imitation qui ne pourroient exister ensemble dans un même tableau, qu'autant que la distinction des genres y seroit clairement indiquée.
Il y a en un mot dans chaque Art divers genres d'exécution, qui ne peuvent être entremêlés, s'ils ne le sont de maniére que le genre entremêlé au genre principal paroisse faire un petit tout, et comme une période à part.
212. La Musique est aussi un Art susceptible de plusieurs genres d'exécution qui ne peuvent être entremêlés ou se succéder l'un à l'autre qu'avec une attention, une discrétion semblable à celle qui est requise en ce cas dans tous les arts, si l'on ne veut donner dans le bas, le plat ou le grotesque. Une Musique dont toutes les Parties sont à l'unisson ou à l'octave les unes des autres, est une Musique d'un genre sensiblement different de celui où les parties présentent successivement à l'oreille une grande varieté d'accords.
213. Par conséquent en vertu d'une Régle commune à tous les beaux Arts ces deux genres, le mélodique et l'harmonique, ne peuvent se [-105-] succéder ou être entremêlés qu'avec cette discrétion, qui en fait sentir la distinction. Il faut donc que le genre mêlé au genre principal y fasse un petit tout, bien amené et bien distingué à l'aide de quelque repos plus ou moins parfait, mais suffisant pour éviter la sensation désagréable de la confusion des genres.
214. Mais si la distinction des genres doit être assez marquée lors qu'on les entremêle, c'est surtout dans le cas où le genre dominant de l'ouvrage est moins simple que le genre qui n'y entre que comme un accessoire, que pour y introduire les agrémens de la varieté et du contraste.
La Poésie étant un genre d'écrire moins simple et plus orné que la prose n'admet pas même aucun mêlange de celle-ci, en sorte que la prose ne peut tenir à un poéme qu'à titre de notes ou d'observations détachées du corps de l'ouvrage: mais on peut très-bien, et même avec grace, enchasser quelques tirades de vers dans un ouvrage en prose qui n'est pas trop sérieux.
215. En fait de musique le genre harmonique est en quelque sorte au genre mélodique ce que les vers sont à la prose; le premier, le genre harmonique, est un genre de composition beaucoup moins simple, et beaucoup plus orné que le genre mélodique. Le même principe de goût qui nous guide dans la maniére dont les vers et la prose peuvent être entremêlés, prescrit aussi la maniére dont le genre harmonique et le genre mélodique peuvent se [-106-] succéder dans une composition musicale. Le genre mélodique étant sensiblement le plus simple, peut bien, quoiqu'il soit le genre dominant, admettre dans son tissu quelques accords, bien que ces accords n'y forment pas proprement une période, une phrase distincte; mais le genre harmonique étant supposé le genre principal, le mélodique ne pourra y être introduit avec succès, s'il ne forme une période à part, une phrase musicale bien distincte et bien terminée.
C'est donc un principe de goût, commun à tous les beaux arts, qui fait que dans une composition harmonique deux unissons ou deux octaves de suite doivent nous déplaire, comme étant une transition mal amenée, mal motivée du genre composé au genre simple.
216. Quoi qu'il ne soit pas d'usage en Musique de faire deux Parties qui soient constamment à la quinte ou à la douziéme l'une de l'autre, cela n'empêche pas qu'une pareille sorte de musique ne doive être regardée comme étant un genre de composition possible, et qui tiendroit beaucoup plus de la nature du genre mélodique que de celle du genre harmonique, vû le parallélisme continuel qui auroit lieu entre les deux Parties. Il suit de là que deux quintes ou deux douziémes consécutives, et qui ne forment pas une phrase musicale à part, doivent nous déplaire en vertu de ce principe de goût que nous avons reconnu faire loi dans tous les ouvrages faits pour plaire.
217. La quinte ou la douziéme étant d'ailleurs [-107-] une consonnance plus piquante que l'unisson ou l'octave, la succession de deux quintes ou de deux douziémes n'en sera que plus sensible; On ne pourra donc admettre une pareille succession dans une composition harmonique sans faire éprouver à l'oreille une sensation de fadeur, un vuide d'harmonie plus ou moins désagréable, selon qu'il sera plus ou moins sensible; mais il le sera d'autant moins, que la composition muticale sera chargée d'un plus grand nombre de Parties.
[Footnotes]
(b) [cf. p. XII] Pour former les divers genres d'accords dissonnans.
(b) [cf. p. 5] Voyez le détail de ces Expériences dans la Génération harmonique.
(c) [cf. p. 6] Nouvelles Réflexions sur le Principe de l'harmonie. page 3.
(a) [cf. p. 51] Elémens de Musique. Article 130. Voyez aussi l'Article 103.
(a) [cf. p. 71] Génération harmonique. page 10
(a) [cf. p. 84] Ou plutôt l'ut 1. Voyez en la raison dans les Articles 382. et suivants.
A cet égard là l'assertion de Monsieur Tartini sur le degré de gravité du troisiéme son ne conclut jamais qu'à le rendre d'une octave moins grave que je ne le supose.
Monsieur d'Alembert ne nous dit point si Monsieur Romieu est d'accord avec Monsieur Tartini à l'égard du degré du troisiéme son, ou si comme moi, il le place une octave plus au grave. "En rapportant ce fait comme nous le devons, ajoute Monsieur d'Alembert, "nous ne prétendons rien ôter à Monsieur Tartini; nous sommes persuadés qu'il ne doit la découverte qu'à ses propres recherches; mais nous ne pouvons nous dispenser de rendre un témoignage public à celui qui l'a annoncé le [-87-] premier." Sur quoi je dois observer deux choses,
Premiére. Que Monsieur Tartini ne se donne point pour avoir fait la découverte en question. Après avoir exposé les phénomènes les plus connus, celui de la résonnance, et celui des sons harmoniques de la trompette marine et cetera, il ajoute en parlant de celui du troisiéme son, si è poi scoperto un nuovo fenomeno armonico et cetera." On a découvert encore un nouveau phénoméne harmonique et cetera. Ce n'est pas ainsi qu'on annonce ses propres découvertes.
Deuxiéme. Je ne puis que louer le zéle avec lequel Monsieur d'Alembert rend à Monsieur de Romieu un témoignage public, comme à celui qui a annoncé le premier l'expérience dont il s'agit. L'ouvrage où j'ai rapporté cette expérience étoit public avant la fin de 1752, et les Mémoires de Trevoux en ayant donné l'extrait en Janvier et Février 1753, je laisse à cet illustre Académicien à juger si j'avois quelque droit de partager avec Monsieur Romieu le foible honneur d'en avoir écrit le premier, ou si je méritois de n'être pas même nommé dans cette occasion.
(a) [cf. p. 90] Dans ses Recherches sur la nature et la Propagation du Son, que j'ai déja citées.