TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Author: Fétis, François-Joseph
Title: La Musique mise à la portée de tout le monde, Première et deuxième sections
Source: La Musique mise à la portée de tout le monde, Exposé succinct de tout ce qui est nécessaire pour juger de cet art, et pour en parler sans l'avoir étudié (Paris: Alexandre Mesnier, 1830), i-xij, 1-238.
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[-iij-] LA MUSIQUE mise a la portée DE TOUT LE MONDE,

Exposé succinct de tout ce qui est nécessaire pour juger de cet art, et pour en parler sans l'avoir étudié.

Par Monsieur Fétis, Directeur de la Revue musicale.

PARIS.

Alexandre Mesnier, Libraire, Place de la Bourse.

1830

[-v-] INTRODUCTION.

Nul n'a la science infuse. Il n'est point de connaissances si simples qu'on ne soit forcé d'acquérir par sa propre expérience, ou par l'éducation. Cette proposition, si vraie en toute chose, est surtout incontestable en ce qui concerne les arts. Notre oeil ne saurait discerner les qualités ou les défauts d'un tableau, notre oreille est inhabile à saisir les combinaisons de l'harmonie, si l'exercice ne les y a disposés. Sans doute l'habitude de voir et d'entendre suffit en beaucoup d'occasions pour [-vj-] sentir les beautés de la peinture ou de la musique; mais l'habitude est elle-même une éducation.

Toutefois, il y a bien loin de ce sentiment vague, qui n'a d'autre origine que des sensations irréfléchies, à la sûreté de jugement qui résulte de connaissances positives. Chaque art a ses principes qu'il faut étudier, pour augmenter ses jouissanccs en formant son goût. La musique en a de plus compliqués que la peinture: aussi est-elle à la fois une science et un art. C'est cette complication qui en rend l'étude longue et pénible pour quiconque veut y acquérir un certain degré d'habileté. Malheureusement, il n'est guère possible d'abréger le temps qu'on est [-vij-] forcé d'y employer. De quelque facilité qu'on soit doué, quels que soient les procédés dont on se sert, quelle que soit la méthode qu'on adopte, encore faut-il habituer ses organes à lire avec facilité la foule de signes dont se compose l'écriture musicale, à prendre les intonations avec justesse, à sentir les divisions de la mesure, enfin à combiner tous les élémens; le temps seul peut en donner les moyens.

Mais le temps est précisément ce dont on peut le moins disposer dans le cours de la vie, surtout en l'état de civilisation perfectionnée de nos jours. Obligé d'apprendre une foule de choses diverses, on ne peut y donner qu'une attention fort [-viij-] légère, et l'on est forcé de n'en prendre que ce qui est le plus utile dans l'usage habituel. Les arts, considérés comme délassemens, comme moyens de plaisirs, sont au nombre des objets dont on ne prend en général d'idée qu'en courant, et dont tout le monde se croit juge naturellement et sans travail. Ce n'est pas qu'on n'aimerait à posséder sur ce qui les concerne des notions exactes, pourvu qu'il n'en coûtât pas plus de peine pour les acquérir qu'on n'en éprouve à se mettre au courant de la politique du jour en lisant un journal. Mais où trouver le livre qui satisferait à ce besoin? Essayer de donner des connaissances générales et suffisantes de tout ce qui concourt à l'ensemble [-ix-] de l'art musical, en ne faisant que peu d'usage du langage technique, est une tâche qu'aucun écrivain n'a entreprise: c'est celle que je m'impose dans cet ouvrage. Peut-être dira-t-on qu'on ne trouve dans mon livre que la science des ignorans! à la bonne heure. Cette science est suffisante pour beaucoup de monde, et je ne croirai point avoir dérogé de ma qualité de professeur pour l'avoir enseignée. Répandre le goût de l'art que je cultive est ma vocation: j'y obéis. Tout ce qui mène à ce but me paraît bon en soi. J'ose croire que ce sera là mon excuse auprès de mes savans collègues.

On se tromperait si l'on croyait trouver [-x-] dans ce livre une méthode nouvelle, un système, ou quelque chose de semblable: son titre dit assez l'objet que je me suis proposé. Donner des notions suffisantes de tout ce qui est nécessaire pour augmenter les jouissances que procure la musique, et pour parler de cet art sans l'avoir étudié: tel est mon but. Que si l'on veut apprendre réellement ses principes, la Musique mise à la portée de tout le monde sera encore utile, en ce qu'elle disposera l'esprit à des études qu'on fait presque toujours avec dégoût, parce qu'on n'aperçoit pas la liaison de leurs élémens; mais il faudra de plus des méthodes spéciales, des maîtres, et surtout beaucoup de dévouement et de patience. [-xj-] Dans ce cas, sentir et raisonner de ses sensations ne sera plus l'objet; il s'agira de faire naître soi-même ces sensations: cela est plus difficile et demande du temps. Qu'on ne croie point aux promesses fallacieuses de certains charlatans: en vain ils affirment qu'ils feront des musiciens improvisés, le savoir ne s'improvise pas. Comprendre le mécanisme de la science et du langage de la musique est chose facile; on pourra s'en convaincre en lisant le résumé que je présente au public; mais devenir habile est autre chose: ce ne peut être que le résultat de longs travaux.

[-1-] LA MUSIQUE mise à la portée DE TOUT LE MONDE.

PREMIÈRE SECTION.

Du système musical, considéré dans les trois qualités des sons, savoir: l'intonation, la durée et l'intensité.

CHAPITRE I.

Objet de la musique. Son origine. Ses moyens.

La musique peut se définir l'art d'émouvoir par la combinaison des sons. Ce n'est pas seulement sur l'espèce humaine que l'action de cet art se fait sentir; la plupart des êtres organisés y sont plus ou moins soumis. L'ouïe qu'il attaque immédiatement semble n'être que son agent: c'est sur le genre nerveux que sa puissance se développe avec le plus de force; de là vient la diversité de ses effets. Le chien, le cheval, le cerf, l'éléphant, les reptiles, les [-2-] insectes mêmes, sont sensibles à la musique, mais d'une manière différente. Dans les uns, la sensation ressemble à un ébranlement nerveux porté jusqu'à la douleur; dans les autres, le plaisir subit diverses transformations. L'attention de tous est fixée sans distraction dès que les sons se font entendre.

Les phénomènes développés par la musique dans l'organisation humaine sont surtout très dignes de remarque. Sur un certain nombre d'individus également sensibles à ses accens, il est des combinaisons de sons qui excitent le plaisir des uns, tandis que les autres restent impassibles; et réciproquement. Telle combinaison qui ne nous a point émus dans un moment, nous transporte de plaisir dans un autre. Quelquefois ce plaisir n'est qu'une douce sensation à laquelle on semble s'abandonner d'une manière passive; dans d'autres circonstances, l'action de l'art prend le caractère de la violence, et tout le système vital est ébranlé. La constitution délicate des femmes les rend propres à éprouver dans l'audition de la musique de plus vives sensations que les hommes; il en est même chez lesquelles l'action de cet art porte le délire des sens jusqu'au dernier degré.

[-3-] Mais si le goût de la musique nous est donné par la nature, l'éducation y ajoute beaucoup, et peut même le faire naître. De là vient sans doute que l'on voit dans le monde des hommes, d'ailleurs distingués par les qualités de l'esprit et par des talens d'un autre genre, montrer non-seulement de l'indifférence, mais même de l'aversion pour cet art. Quelques philosophes ont pensé que l'organisation de ces individus est incomplète ou vicieuse; il se peut toutefois que leur manière d'être ne soit que le résultat d'une longue impassibilité des nerfs musicaux, et que le défaut d'exercice ait produit leur insensibilité.

L'action de la musique sur les organes et sur les facultés morales a fait imaginer de s'en servir comme d'un moyen curatif, non-seulement dans les affections mentales, mais même dans certaines maladies où l'organisation physique paraît seule atteinte. Beaucoup de médecins ont fait sur ce sujet des recherches intéressantes: le nombre des ouvrages où ils les ont consignées est très considérable, et les faits qui y sont exposés ont quelque chose de si peu vraisemblable, qu'ils ont besoin de l'autorité du nom des auteurs pour être admis.

[-4-] Malgré sa capacité relative, l'esprit humain a des bornes telles que l'idée de l'infini n'y entre qu'avec effort. On veut trouver un commencement à toute chose, et, dans les idées vulgaires la musique doit avoir une origine comme toutes nos connaissances. La Genèse ni les poètes de l'antiquité profane ne parlent des inventeurs de cet art; seulement on y voit les noms de ceux qui ont fait les premiers instrumens, Tubal, Mercure, Apollon et d'autres. On pense bien que c'est la Genèse que je crois sur cet objet, comme sur d'autres plus importans; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Quant à l'origine de la musique, chacun l'a arrangée à sa fantaisie; toutefois l'opinion qui la place dans le chant des oiseaux a prévalu. Il faut avouer que c'est là une idée bizarre, et que c'est avoir une opinion bien singulière de l'homme, que de lui faire trouver l'une de ses jouissances les plus vives dans l'imitation du langage de certains animaux. Non, non, il n'en est point ainsi! l'homme chante comme il parle, comme il se meut, comme il dort, par une suite de la conformation de ses organes et de la disposition de son ame. Cela est si vrai, que les peuples les plus sauvages et les [-5-] plus isolés de toute communication avaient une musique quelconque quand on les a découverts, lors même que la rigueur du climat ne permettait point aux oiseaux de vivre dans le pays ou d'y chanter. La musique n'est, dans son origine, composée que de cris de joie ou de gémissemens douloureux; à mesure que les hommes se civilisent, leur chant se perfectionne; et ce qui, d'abord, n'était qu'un accent passionné, finit par devenir le résultat de l'art. Il y a loin, sans doute, des sons mal articulés qui sortent du gosier d'une femme de la Nouvelle-Zemble aux fioritures de mesdames Malibran et Sontag; mais il n'en est pas moins vrai que le chant mélodieux de celles-ci a pour premier rudiment l'espèce de croassement de celle-là. Au reste, il importe peu de savoir quelle a été l'origine de la musique: ce qui intéresse, c'est de savoir ce qu'elle est dès qu'elle mérite le nom d'art; c'est d'être susceptible de recevoir toutes les impressions de plaisir qu'elle peut nous donner, et d'en augmenter l'effet autant qu'il est en nous. Voilà ce qui mérite d'être examiné et recherché.

Par quels moyens la musique agit-elle sur les êtres organisés? question qui se répète [-6-] souvent sous diverses formes, et dont la solution renferme tout le mécanisme de l'art. Toutefois, sans entrer dans tant de détails, chacun y répond selon son goût, en disant que c'est la mélodie ou l'harmonie, ou enfin l'union de ces deux choses, mais sans expliquer, et peut-être même sans savoir exactement ce que c'est que la mélodie ou l'harmonie. J'essaierai de lever tous les doutes à cet égard; mais auparavant je dois déclarer qu'il est un troisième moyen d'action que possède la musique, et auquel on n'a point pensé: c'est l'accent, dont la présence ou l'absence est cause que la même mélodie ou la même harmonie produit ou ne produit point d'effet. J'expliquerai aussi en quoi il consiste.

[-7-] CHAPITRE II.

De la diversité des sons, et de la manière de les exprimer par des noms.

Il n'est personne qui n'ait remarqué que le caractère des voix de femmes ou d'enfans diffère entièrement de celui des voix d'hommes: les unes sont plus ou moins aiguës; les autres plus ou moins graves. Il y a une infinité d'intonations possibles entre le son le plus aigu des unes et le plus grave des autres. Chacune de ces intonations est un son distinct pour une oreille exercée. Toutefois on conçoit que si l'on avait voulu donner un nom différent à chacun, cette multiplicité de noms, loin d'être un secours pour l'esprit, aurait inutilement chargé la mémoire; mais les philosophes et les savans qui se sont occupés du soin de coordonner les sons d'une manière régulière, ayant remarqué qu'au-delà d'un certain nombre de sons rangés dans un certain ordre, ascendant ou descendant, les autres se reproduisent ensuite dans le même ordre, et n'ont avec les premiers d'autre différence que celle qui résulte [-8-] d'une voix aiguë à une voix grave qui s'accordent ensemble, ils en ont conclu que les uns ne sont que la répétition des autres à une certaine distance qu'ils ont appelée octave. Par exemple: ayant désigné le premier son par C, le second par D, le troisième par E, et cetera, dans cet ordre, C, D, E, F, G, A, H, ils recommençaient la seconde série par c, d, e, f, g, a, h, et la troisiéme par cc, dd, ee, et cetera. Dans le onzième siècle, un moine italien, nommé Guy Aretin, substitua aux lettres les noms suivans: ut, re, mi, fa, sol, la. Cinq siècles plus tard, un Flamand ajouta le nom de si aux six premiers, et compléta la série, après laquelle on dit ut, re, mi, fa, sol, la, si, deuxième octave, et ainsi de suite: troisième, quatrième, cinquième octaves. Vers 1640, Doni, savant musicien, substitua do à ut, comme plus agréable pour une oreille italienne 1. Les Italiens, les Français, les Espagnols et les Portugais ont adopté ces syllabes pour nommer les sons; les Allemands et les Anglais ont conservé les lettres [-9-] pour le même usage. La série des noms ou des lettres s'appelle la gamme.

Après avoir ainsi désigné les sons, on s'aperçut qu'il y en avait d'intermédiaires que l'oreille appréciait parfaitement. Par exemple, on reconnut qu'entre les sons désignés par ut et re, il y en avait un troisième également éloigné de ut et de ré. Pour ne pas multiplier les noms, on supposa que ce son est quelquefois ut élevé, et quelquefois ré abaissé. On appela ut dièse, l'ut élevé, et ré bémol, le ré abaissé, et l'on fit de même pour les sons intermédiaires de ré, mi, de fa, sol, et cetera. Cette opération a fait du mot dièse le synonyme d'élevé, et de bémol celui de baissé. Il est évident que tout cela n'est qu'une opération factice imaginée seulement pour plus de simplicité; car un son ne peut cesser d'être lui-même, et ne peut se changer en un autre sans cesser d'exister. Ut dièse n'est donc plus un ut; mais les musiciens qui n'ont que de la pratique, et c'est le plus grand nombre, ayant attaché une idée de réalité aux signes représentatifs des sons, et voyant que les signes d'ut ou de ré ne changent pas, et qu'on y joint seulement les signes de l'élévation ou de l'abaissement, c'est-à-dire le dièse [-10-] ou le bémol; ces musiciens, dis-je, se sont imaginé que ut est toujours ut, soit qu'on y ait joint un dièse ou qu'il n'y en ait point. De pareilles erreurs sont fréquentes dans la musique; elles ont jeté beaucoup d'obscurité sur sa théorie.

Des expériences physiques délicates ont démontré que ut dièse n'est pas exactement le même son que ré bémol, et que leur différence est d'un quatre-vingt-unième, la distance de ut à ré étant prise pour unité. Mais la difficulté de construire des instrumens à clavier, tels que le piano ou l'orgue, qui eussent exprimé cette légère différence, et l'embarras que de pareils instrumens auraient causé dans l'exécution, ont fait imaginer d'accorder ces mêmes instrumens en faisant sur la série totale de leurs sons la répartition de ces différences, afin qu'elles fussent moins sensibles à l'oreille. On a donné le nom de tempérament à cette opération. Tous les accordeurs la pratiquent par habitude, sans en connaître la théorie. On conçoit que par le tempérament on n'obtient qu'une justesse approximative; mais cette justesse suffit pour l'oreille.

Si chacun était libre de nommer ut le premier [-11-] son venu, ré le suivant, et ainsi de suite en s'élevant, il régnerait dans la musique une confusion extrême, et l'on ne pourrait s'accorder. Pour obvier à cet inconvénient, on a construit de petits instrumens en acier ayant la forme d'une fourchette et produisant un son modèle qu'on appelle diapason, nom qui par analogie se donne à l'instrument lui-même. C'est sur ce son qu'on accorde tous les instrumens, et que les voix se règlent. En France ce son est la; en Italie, c'est ut. De là sont venues les expressions usitées dans les orchestres pour accorder les instrumens entre eux: en France on dit donner le la; en Italie, suonar il do. Le diapason n'est pas identiquement le même dans tous les pays; il a même subi diverses modifications dans le même lieu. Chaque théâtre de Paris avait autrefois le sien; celui de l'Opéra était le plus bas, et celui du théâtre italien le plus élevé. Il y a maintenant très peu de différence entre eux. Un diapason trop bas nuit à l'éclat de la sonorité, parce que les cordes des instrumens ne sont pas assez tendues; un diapason trop élevé fatigue les voix.

L'usage du diapason n'est pas assez répandu. La plupart des pianos qu'on trouve dans les [-12-] provinces de France sont accordés trop bas. Les chanteurs qui s'accompagnent avec ces pianos habituent leurs voix à une sorte de paresse qu'ils ne peuvent vaincre quand ils doivent chanter au ton du diapason.

[-13-] CHAPITRE III.

Comment on représente les sons par des signes.

L'opération d'esprit par laquelle l'homme a imaginé de représenter les sons de la parole par des signes sera éternellement un mystère; mais une fois parvenu à cette découverte, on conçoit qu'il n'a pas dû éprouver beaucoup de difficulté pour trouver les moyens d'exprimer les sons de son chant. Les Grecs et les Romains se servaient pour cela des lettres de leur alphabet, diversement combinées ou tronquées; les Musulmans n'ont point de signes pour cet objet; les Chinois en possèdent qui sont compliqués et bizarres comme leur langue. Les signes dont se servent les Européens modernes, après avoir subi une foule de modifications successives, sont arrivés à un point de perfection relative, et, malgré leur apparente complication, sont peut-être les plus simples qu'on puisse imaginer. Beaucoup d'auteurs en ont proposé d'autres qui séduisaient au premier coup d'oeil; mais lorsqu'on en venait à l'application, ils se trouvaient ou insuffisans [-14-] ou plus compliqués que ceux auxquels on voulait les substituer.

La collection des signes de la musique s'appelle la notation. On la divise en deux espèces: la première renferme les signes d'intonation, la seconde les signes de durée. Les uns et les autres sont d'une utilité indispensable, car il ne suffit pas de reconnaitre à l'inspection d'un signe le son qu'il représente, il faut encore en connaître la durée et pouvoir la mesurer. Ces signes se disposent sur un papier spécialement préparé qu'on appelle papier de musique. La préparation consiste à tracer horizontalement des réunions de cinq lignes parallèles qu'on nomme portées, et qui sont figurées de cette manière 1.

[Fétis, La Musique, 14] [FETMUS1 01GF]

C'est sur ces lignes ou dans les intervalles qu'elles laissent entre elles que se placent les signes de la notation. J'ai dit que ceux-ci se [-15-] divisent en deux espèces, les signes d'intonation et ceux de durée. Les signes d'intonation sont de deux sortes: on donne le nom de clefs aux uns, et celui de notes aux autres.

La diversité des voix a donné naissance aux clefs, qui, placées au commencement des portées indiquent que ce qui y est écrit appartient à telle ou telle voix. Le signe des voix ou des instrumens aigus s'appelle clef de sol; il est fait ainsi [signum]. On le met ordinairement sur la deuxième ligne de la partie inférieure de la portée, ce qui indique que le signe du son appelé sol se met sur cette ligne. On donne le nom de clef de fa au signe des voix ou des instrumens graves. En voici la forme [ClefF]; sa position ordinaire est sur la quatrième ligne en partant du bas de la portée; elle indique que fa est sur cette ligne. Le signe des voix et des instrumens intermédiaires se nomme clef d'ut; mais comme il y a plusieurs nuances d'élévation ou de gravité parmi ces voix, on exprime ces nuances en plaçant ce même signe sur des lignes différentes. La clef d'ut est faite ainsi [ClefC] elle donne son nom à la note qui se trouve sur la ligne où elle est placée.

Les diverses qualités de voix peuvent se réduire [-16-] à quatre: premier les voix aiguës de femmes; deuxième les voix graves de femmes; troisième les voix aiguës d'hommes; quatrième les voix graves d'hommes. La voix aiguë de femme se nomme soprano ou dessus; la voix intermédiaire du même sexe, mezzo soprano ou second dessus; la voix grave contralto; la voix aiguë d'homme s'appelle tenore; la voix grave, basse. On appelle bariton la voix intermédiaire du tenore et de la basse. Les voix aiguës d'homme étant naturellement, et par l'effet de leur conformation, plus graves d'une octave que les voix aiguës de femmes, on pourrait se servir de la même clef, c'est-à-dire de la clef de sol pour toutes deux, laissant à la nature le soin d'opérer la différence d'octaves. Quant au contralto ou voix grave de femme, qui est à l'octave supérieure de la basse, on pourrait, par les mêmes motifs, écrire sa partie avec la clef de fa. A l'égard des instrumens qui, dans l'orchestre, remplissent les fonctions des voix intermédiaires, on pourrait aussi les réduire à cette simplicité, en indiquant les différences d'octaves par un signe simple tel qu'un -- qui barrerait les clef de sol ou de fa.

Mais s'il est possible de supprimer les clefs [-17-] d'ut dans l'usage ordinaire, ces mêmes clefs sont d'un grand secours dans certains cas dont je parlerai plus loin, et dans l'obligation où l'on est d'en faire usage dans ces occasions, il est nécessaire de se les rendre familières, et conséquemment de s'en servir habituellement. De là vient que la complication résultante de la multiplicité des clefs s'est conservée jusqu'aujourd'hui, quoiqu'on ait reconnu l'avantage qu'il y aurait à la faire disparaître.

Les clefs ne sont que des signes généraux qui indiquent une fois pour toutes le genre de voix ou d'instrument qui doit exécuter la musique qu'on a sous les yeux; les notes sont les signes particuliers de chaque son. Toutefois, il ne faut pas croire qu'il soit nécessaire d'avoir un signe d'une forme particulière pour chacun de ces sons; une pareille multiplicité aurait jeté l'esprit dans la confusion et fatigué la mémoire sans utilité. Ce n'est point la forme de la note qui détermine l'intonation, mais la place qu'elle occupe sur la portée. Pour remplir cet objet un point placé sur la ligne ou dans l'espace suffirait.

La note placée sur la ligne inférieure de la portée représente un son comparativement [-18-] plus grave que celles qui occupaient d'autres positions sur cette même portée; ainsi la note qui est dans l'espace entre la première et la deuxième ligne exprime un son plus élevé que celle qui est sur la première; la note placée sur la deuxième ligne représente une intonation encore plus élevée: il en est de même de toutes les autres positions à mesure qu'on s'élève sur la portée. Si donc on appelle ut la note de la première ligne, on donne le nom de ré à celle qui occupe l'espace qui existe entre la première et la seconde ligne, celui de mi à la note qui est posée sur la deuxième ligne, et ainsi de suite, comme on le voit dans l'exemple suivant:

[Fétis, La Musique, 18; text: ut, ré, mi, fa, sol, la, si] [FETMUS1 01GF]

On conçoit qu'une voix ou un instrument qui seraient bornés à un si petit nombre de sons n'offriraient que de faibles ressources au chanteur ou à l'instrumentiste; aussi n'en est-il point qui soient retenus dans des limites si étroites. Les instrumens surtout dépassent tous de beaucoup l'étendue de la portée de cinq [-19-] lignes. Mais si l'on était obligé de composer la portée d'autant de lignes permanentes qu'il en faudrait pour embrasser l'étendue de certains instrumens, une sorte de labyrinthe inextricable résulterait de cette multitude de lignes, et l'oeil le plus clairvoyant ne parviendrait pas à distinguer une seule note sans un travail pénible. Le moyen dont on se sert pour éviter cet inconvénient est ingénieux. Il consiste à ajouter des fragmens de lignes à la portée, soit au-dessus, soit au-dessous, au fur et mesure des besoins, et de les supprimer lorsqu'ils cessent d'être utiles. Ces fragmens ne se confondent pas avec la portée, et se détachent sensiblement pour l'oeil; on peut en juger par cet exemple:

[Fétis, La Musique, 19] [FETMUS1 01GF]

Toute note placée sur la même ligne que la clef qui est au commencement de la portée prend le nom de cette clef, et sert de point de comparaison pour nommer toutes les autres [-20-] notes. Ainsi, lorsque la clef de Sol se trouve au commencement d'une portée posée sur la seconde ligne, la note placée sur cette ligne s'appelle sol, et toutes les autres se nomment d'après celle-là. S'il s'agit d'une clef de fa posée sur la quatrième ligne, fa se trouve sur cette ligne; il en est de même des autres. On conçoit d'après cela que le nom des notes est éventuel, et ne peut se déterminer d'une manière invariable. La différence des voix qui a donné lieu à la multiplicité des clefs est la cause première de ces variations.

Mais si la position des notes est variable, il n'en est pas de même de leur intonation, laquelle se règle d'après le son modèle qu'on nomme diapason. Ainsi une note donnée, que nous nommerons ut, par exemple, ne peut avoir qu'une intonation, quelle que soit sa position sur la portée. La seule différence qu'il y aura dans les diverses positions de cet ut et dans sa sonorité, c'est qu'il pourra appartenir aux limites aiguës d'une voix, telle que la bassetaille, au milieu ou medium d'une autre, comme le ténor, et aux limites graves d'une troisième qui sera le soprano.

[-21-] Exemple d'une intonation identique en diverses parties.

[Fétis, La Musique, 21; text: Basse taille. Tenore. Alto ou haute-contre. Soprano ou contralto. Soprano ou violon. ut, Son du medium. Son élevé, grave.] [FETMUS1 01GF]

Jusqu'ici l'on a vu comment on représente la suite des sons qu'on appelle ut, ré, mi, fa, sol, la, si; mais on n'a point encore aperçu les signes des sons intermédiaires auxquels on donne le nom de dièse et de bémol. Le dièse est fait ainsi #; le bémol a cette forme [rob].

Toutes les lignes et tous les espaces étant occupés par les notes qui représentent ut, ré, mi, et cetera, il ne reste point de place sur la portée pour les sons intermédiaires; mais comme on suppose dans le langage ordinaire que les mots de ut dièse ou de ré bémol sont suffisans pour exprimer l'idée du son intermédiaire de ut et de ré, de même on est convenu que le # mis avant la note ut, ou le [rob] placé avant ré, suffisent pour représenter aux yeux ce son intermédiaire.

[-22-] Exemples:

[Fétis, La Musique, 22] [FETMUS1 01GF]

Lorsqu'il s'agit de détruire l'effet du dièse ou du bémol, on se sert d'un autre signe qu'on nomme bécarre, et dont voici la forme [sqb]. Le bécarre se met à côté de la note qui était précédée d'un dièse ou d'un bémol, et devient l'équivalent de ces phrases: le dièse est ôté, ou bien il n'y a plus de bémol. C'est en quelque sorte un signe sténographique.

On donne le nom de ton à la différence de deux sons comme ut et ré: la différence de l'un de ces sons à l'intermédiaire, représenté par un dièse ou un bémol, s'appelle demi-ton.

Par une singularité remarquable, la différence qui se trouve entre les sons ut et ré n'est point égale entre tous los sons de la gamme, en sorte que le son intermédiaire ne se trouve point entre mi et fa, ni entre si et ut. La différence entre ces notes n'est que d'un demi-ton. Une suite de sons faite sur le modèle de celle-ci, ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, s'appelle une succession diatonique; si on y introduit les sons [-23-] intermédiaires, on lui donne le nom de succession chromatique. On disait autrefois de la musique qu'elle était dans le genre diatonique quand on y rencontrait peu de sons intermédiaires, et qu'elle appartenait au genre chromatique, lorsque ces sons y dominaient: on ne se sert plus de ces expressions depuis que l'art musical s'est enrichi d'une foule de combinaisons qui résultent du mélange continuel des deux genres. Quelques airs anciens, quelques mélodies simples peuvent donner l'idée du genre diatonique; le genre chromatique est fréquemment employé dans la musique moderne: il en est le caractère distinctif. On y trouve aussi quelquefois un autre genre qu'on nomme enharmonique, mais l'emploi de celui-ci est plus rare. J'expliquerai ailleurs en quoi il consiste.

Les mots diatonique et chromatique, qui ont passé de la langue grecque dans les langues modernes, n'ont qu'une signification impropre dans celles-ci; car, diatonique vient de dia, par, et tonos, ton; or, il n'est pas vrai que la musique procède uniquement par tons dans la musique moderne, puisqu'il y a deux demitons dans toutes les gammes, comme de mi à [-24-] fa, et de si à ut, dans la gamme d'ut. Cela se verra clairement dans le chapitre suivant. L'expression est peut-être plus juste dans chromatique, mais elle manque de clarté. Chromatique vient du mot grec chrôma, qui signifie couleur: c'est qu'en effet cette suite de demitons colore la musique, mais seulement dans le sens figuré.

[-25-] CHAPITRE IV.

De la différence des gammes; des noms qu'on leur donne, et de l'opération qu'on appelle transposition.

La gamme ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, est disposée de manière qu'il y a un ton entre ut et ré, un autre ton entre ré et mi, un demi-ton de mi à fa, un ton entre fa et sol, un ton entre sol et la, un ton entre la et si, un demi-ton de si à ut; en résumé, elle présente une suite de deux tons, un demi-ton, trois tons et un demi-ton.

Si l'on voulait disposer la gamme de cette manière, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, ré, l'ordre des tons et des demi-tons serait interverti, car il y aurait un ton entre ré et mi, un demi-ton de mi à fa, un ton entre fa et sol, un ton entre sol et la, un ton entre la et si, un demi-ton de si à ut, et un ton de ut à ré; en résumé, on aurait une suite d'un ton, un demi-ton, trois tons, un demi-ton, un ton. On fait disparaître cette irrégularité en substituant fa dièse à fa, et ut dièse à ut. De cette manière on a un ton [-26-] de ré à mi, un ton de mi à fa #, un demi-ton de fa # à sol, un ton de sol à la, un ton de la à si, un ton de si à ut #, un demi-ton d'ut # à ré; ce qui présente une suite de deux tons, un demi-ton, trois tons, un demi-ton, comme dans la gamme qui commence par ut.

En opérant de la même manière, et en conservant l'ordre des tons et des demi-tons, on peut commencer la gamme par toutes les notes, même par les sons intermédiaires, et avoir autant de gammes qu'il y a de sons dans l'étendue d'une octave. On donne à chaque gamme le nom de la note par où elle commence; mais au lieu de dire la gamme de ré, de mi bémol, de fa, on dit la gamme du ton de ré, du ton de mi bémol, du ton de fa, et l'on appelle symphonie en ré, sonate en mi bémol, ouverture en fa, les morceaux qui sont écrits avec les sons qui appartiennent aux gammes de ré ou de mi [rob], ou de fa.

On vient de voir que le mot ton a une autre acception que celle qui exprime la distance d'une note à une autre, et qu'il signifie aussi certaines dispositions de sons. Le ton de ré est une expression qui indique que les sons ont la disposition convenable pour une gamme qui [-27-] commence par ré. Ce double emploi d'un mot est une défectuosité de la langue musicale. Il y en a plusieurs autres. Trompées par ces mots: le ton d'ut, le ton de mi bémol, le ton de sol, et cetera, les personnes qui ne sont pas musiciennes se sont persuadées que ton est synonyme de son, et elles disent un ton fort, un ton moelleux, un ton criard, au lieu d'un son fort, un son moelleux, un son criard: ces expressions sont impropres.

Toutes les voix n'ayant pas la même étendue, il arrive souvent qu'un morceau qui est convenable pour certaines personnes contient des sons trop aigus ou trop graves pour d'autres; mais il plaît, on voudrait le chanter, et l'on ne trouve d'autre moyen d'y parvenir qu'en le baissant s'il est trop haut, ou en l'élevant s'il est trop bas, c'est-à-dire qu'en substituant, dans le premier cas, la gamme d'ut à la gamme de ré, ou la gamme de ré à celle de mi bémol; et dans l'autre, qu'en faisant le contraire, c'est-à-dire en substituant une gamme plus élevée à celle du ton dans lequel le morceau est écrit. Cette opération s'appelle la transposition. Les personnes qui ne savent pas la musique transposent naturellement et sans le remarquer, en [-28-] placeant l'air qu'elles chantent dans la position la plus favorable à leur voix; mais l'opération de l'instrumentiste qui accompagne un morceau transposé est beaucoup plus compliquée, car elle consiste à jouer d'autres notes que celles qui sont écrites, ce qui exige une attention soutenue et beaucoup de présence d'esprit, surtout si l'instrument est un piano, car il faut faire une double opération pour la musique de la main droite et pour celle de la main gauche.

On conçoit que s'il fallait faire un calcul pour chaque note, pour chaque dièse, bémol ou bécarre, afin de découvrir ce qu'il faut leur substituer, dans la transposition, l'esprit le plus prompt pourrait éprouver de grands embarras à cause de la rapidité de l'exécution. Mais il est un moyen de simplifier cette opération; il consiste à supposer une autre clef que celle qui est placée au commencement des portées, et à choisir celle qui correspond au ton dans lequel on veut transposer. Par exemple, si le morceau est dans le ton de ré, écrit avec la clef de sol, et si l'on veut transposer en si bémol, on substitue par la pensée la clef d'ut sur la première ligne à la clef de sol, on suppose deux bémols à côté de la clef, et la transposition [-29-] se trouve faite, comme on peut le voir par l'exemple suivant:

[Fétis, La Musique, 29; text: Transposition: ré, ut, si, la, sol, fa, mi] [FETMUS1 02GF]

c'est particulièrement à cet usage que sert la multiplicité des clefs.

La transposition est une des plus grandes difficultés de la musique, considérée sous le rapport de la pratique: elle exige une aptitude particulière que des lecteurs, d'ailleurs habiles, n'ont pas toujours. C'est pour aplanir ces difficultés qu'on a imaginé de faire des pianos qui opèrent la transposition d'une manière mécanique; on les nomme pianos transpositeurs 1.

[-30-] Les éditeurs de musique, dans le but de rendre plus facile aux amateurs la pratique de cet art, transposent souvent les morceaux les plus à la mode pour les mettre à la portée des divers caractères de voix, et dispenser l'exécutant de l'opération de la transposition; mais comme ils ne peuvent transposer toute sorte de musique, il est utile de savoir faire soi-même l'opération nécessaire.

[-31-] CHAPITRE V.

De la durée des sons et du silence en musique; comment on la représente par des signes, et comment on la mesure.

Les alphabets de toutes les langues n'ont qu'un objet: celui de représenter des sons. L'alphabet musical est plus compliqué, car il faut que ses signes d'intonation se combinent avec ceux de durée, et même que les notes indiquent les deux choses à la fois. Cette complication est la cause principale de la difficulté qu'on éprouve à apprendre la musique.

Il est évident pour tout le monde que tous les sons qui entrent dans la composition de la musique n'ont pas la méme durée; il y a beaucoup de nuances dans leur longueur ou leur brièveté. Les notes étant destinées à représenter les sons, on a dû modifier leur forme afin qu'elles pussent exprimer aussi les différences de leurs prolongemens. Dans ce but, on a supposé une unité de durée qu'on appelle ronde; la moitié de cette durée a reçu le nom de blanche; le quart, celui de noire, le huitième [-32-] a été appelé croche, le seizième, double croche, le trente-deuxième, triple croche, et le soixante-quatrième, quadruple croche.

Figures de ces signes de durée:

[Fétis, La Musique, 32; text: Ronde. Blanche. Noire. Croche. Plusieurs croches. Double croche. Plusieurs doubles croches. Triple croche. Plusieurs triples croches. Quadruple croche. Plusieurs quadruples croches] [FETMUS1 02GF]

Remarquez que les noms de doubles croches, triples croches et quadruples croches expriment précisément le contraire de l'idée qu'on y attache; car loin de doubler, de tripler ou de quadrupler la valeur de la croche, la double, la triple et la quadruple croche n'en sont que des fractions. L'origine de ces fausses dénominations se trouve dans le double, le triple et le quadruple crochet qui termine la partie inférieure de la note. Les Allemands disent avec plus de raison demi-croche, quart de croche, huitième de croche.

Quelle que soit la forme de la note et la durée [-33-] qu'elle représente, l'intonation ne varie pas, et le nom de la note reste le même, comme on le verra par les exemples suivans:

[Fétis, La Musique, 33; text: sol, la, si, ut, ré, mi, fa] [FETMUS1 02GF]

Toutes les figures de notes qu'on vient de voir sont destinées à représenter des durées de sons qui sont dans les proportions de 1 à 2, 1 à 4, 1 à 8, et cetera, ou 1/2 à 1, 1/4 à 1, 1/8 à 1, et cetera, c'est-à-dire, qui sont deux fois, quatre fois, huit fois plus longues que d'autres, ou qui n'en sont que la moitié, le quart, le huitième. Mais il y a de certaines durées de sons qui sont trois fois, six fois, douze fois plus longues que d'autres, ou qui n'en sont que le tiers, le sixième, le douzième, et cetera. On a imaginé de représenter les premières par une figure quelconque de note suivie d'un point, en sorte [-34-] que le point augmente la durée de ces notes de la moitié. Ainsi la ronde pointée a la même durée que trois blanches, ou six noires, ou douze croches, et cetera; la blanche pointée est dans la même proportion à l'égard des noires, croches ou doubles croches, et ainsi des autres. Il suit de là que la blanche n'a que le tiers de la valeur de la ronde pointée, que la noire n'en représente que la sixième partie, la croche un douzième, et cetera. Quelquefois enfin les sons se trouvent, à l'égard de certains autres, dans la proportion de 2 à 3. On donne le nom de triolets à ceux qui sont dans la proportion de 3 à 2, et l'on indique leur qualité en plaçant un 3 au-dessus des notes qui les représentent.

Les sons et leur durée ne sont pas les seuls élémens de la musique; le silence plus ou moins long y joue aussi un rôle fort important. La nécessité de le soumettre à des règles de proportion a fait imaginer de le diviser comme les figures de notes, et de le représenter par des signes analogues. On avait pris la ronde pour unité de durée d'un son; on représenta le silence d'une durée correspondante par une pause; la moitié de ce temps fut appelée demi-pause, le quart, soupir, le huitième, demi-soupir, [-35-] le seizième, quart de soupir. Tous ces signes de silence ont une valeur égale à celle des diverses figures de notes. En voici le tableau:

[Fétis, La Musique, 35; text: Ronde. Blanche. Noire. Croche. Double croche. Triple croche. Quadruple croche. Pause. Demi pause. Soupir. Demi soupir. Quart de soupir. Demi quart de soupir. Seizième de soupir.] [FETMUS1 03GF]

On conçoit que la ronde avec un point se représente par une pause suivie d'une demipause; la blanche pointée, par une demi-pause suivie d'un soupir, et ainsi du reste.

Ces différentes proportions de durées relatives de sons et de silences sont susceptibles d'une énorme quantité de combinaisons. L'oeil le plus exercé éprouverait quelque difficulté à les discerner, si l'on n'avait imaginé de les séparer de distance en distance par des barres qui traversent perpendiculairement la portée. On donne le nom de mesure à l'espace qui se trouve compris entre deux barres de séparation. Au moyen des barres, l'oeil isole facilement [-36-] chaque mesure de cette multitude de signes, pour n'en considérer que le contenu. La somme totale de ce contenu doit être d'une durée uniforme dans toutes les mesures; mais cette durée peut être à volonté égale à la valeur d'une ronde, ou d'une blanche, ou d'une blanche pointée, et cetera.

On rend aussi plus facile la lecture de ce qui est contenu dans chaque mesure, en divisant celles-ci par parties égales qu'on nomme temps, et qu'on marque par des mouvemens de la main. Cette division peut se faire en deux, trois ou quatre parties: le compositeur indique à cet égard son intention par un signe qu'il place au commencement de chaque morceau. Si la division doit se faire en deux temps, le signe est un [Cdim]; si c'est en trois temps, le signe est 3 ou 3/4; enfin, s'il faut diviser la mesure en quatre temps, le signe indicateur est C. A l'inspection du signe, les musiciens disent que la mesure est à deux, à trois ou à quatre temps.

Remarquez qu'on trouve encore ici un exemple de la pauvreté de la langue musicale; car on donne le nom de mesure à des choses absolument différentes; mesure se dit de l'espace qui est compris entre deux barres, de la division [-37-] de cet espace, et aussi de l'instinct de l'exécutant pour faire cette division avec facilité. Par exemple, on dit qu'un chanteur ou un instrumentiste ont, ou n'ont pas de mesure, en raison de leur aptitude à diviser le temps. Cette aptitude étant indispensable pour bien exécuter la musique, on dit aussi de celui qui ne la possède pas qu'il n'est pas musicien; ce qui ne signifie point qu'il ne fait pas sa profession de la musique, mais qu'il n'a pas les qualités du musicien.

J'ai dit que la ronde est considérée comme unité de durée: on en voit surtout la preuve dans certains signes de mesure qui se trouvent quelquefois au commencement d'un morceau de musique, tels que 2/4, 3/4, 6/4, 9/4, 12/4, 2/8, 3/8, 6/8, 9/8, 12/8; car ces signes indiquent que l'espace compris entre deux barres renferme deux quarts, trois quarts, six quarts, neuf quarts, douze quarts de ronde, ou deux huitièmes, trois huitièmes, six huitièmes, douze huitièmes de la même unité. Parmi ces quantités, celles qui sont susceptibles d'être divisées par 2, comme 2/4, 6/4, 2/8 et 6/8, appartiennent à la mesure à deux temps, qui se marque en frappant et en levant alternativement la main; celles qui ne peuvent [-38-] être divisées que par 3, comme 3/4, 9/4, 3/8, et 9/8 sont de l'espèce des mesures à trois temps, où la main fait trois mouvemens, l'un en baissant, le second à droite et le troisième en levant; enfin les quantités 12/4 et 12/8, qui peuvent être divisées par quatre, appartiennent à la mesure à quatre temps, et se marquent par quatre mouvemens de la main en baissant, à gauche, à droite, et en levant.

Tout ce qu'on a vu jusqu'ici concernant la mesure des sons et du silence ne présente que des quantités de durées relatives, et rien n'indique le temps positif qui est dévolu à chaque signe de temps. Il aurait été fort difficile en effet, ou plutôt impossible, d'exprimer par des signes cette durée rationnelle, qui ne peut être représentée que par les vibrations du pendule astronomique, ou par des divisions de ces vibrations. Cependant on conçoit que s'il n'existait aucun moyen d'indiquer cette durée en musique, l'intention du compositeur pourrait être souvent dénaturée dans l'exécution, car chacun étant libre d'attribuer à la ronde, prise comme unité, une durée de fantaisie, le même morceau courrait risque d'être exécuté tantôt avec la lenteur d'une complainte ou d'une romance, [-39-] tantôt avec la vivacité d'une contredanse ou d'une sauteuse. Pour obvier à cet inconvénient, on n'imagina d'abord rien de mieux que d'écrire en tête des morceaux certains mots italiens ou français qui faisaient connaître, tant bien que mal, le degré de lenteur ou de vitesse qu'il fallait donner à la mesure, c'est-à-dire à la durée de la ronde ou à ses fractions. Ainsi les mots largo, maestoso, larghetto, adagio, grave, lento, indiquèrent diverses nuances de lenteur; andantino, andante, moderato, a piacere, allegretto, comodo, furent les signes d'un mouvement modéré diversement modifié: enfin, allegro, con moto, presto, vivace, prestissimo, servirent d'indications pour des vitesses toujours plus accélérées. On conçoit que dans ces variétés de lenteur et de vitesse, la ronde, la pause et toutes leurs subdivisions varient aussi de durée, au point qu'il n'y a pas plus de rapport entre une ronde et une autre ronde, qu'il n'y en a entre la durée relative d'une ronde et d'une double croche. En effet, il est tel mouvement lent où cinq rondes occupent la durée d'une minute, et tel mouvemeut vif où la durée de quarante rondes s'écoule dans le même [-40-] espace de temps. Cette variété dans la durée positive ne change rien à la valeur relative des signes entre eux.

Autrefois, toutes les pièces de musique instrumentale composées par les plus célèbres musiciens portaient les noms de danses connues, tels que ceux d'allemandes, sarabandes, courantes, gigues, et cetera; non qu'elles eussent le caractère de ces sortes de danses, mais elles en avaient le mouvement. Or, ces mouvemens étant connus, il était inutile de les indiquer d'une autre manière. Depuis que ces pièces ont passé de mode, il a fallu recourir à d'autres indications; c'est depuis ce temps que les mots italiens dont il a été parlé précédemment, et beaucoup d'autres encore, ont été adoptés.

Mais qu'il y a de vague dans ces expressions! que de nuances n'y a-t-il point entre tel mouvement allegro (gai) et tel autre allegro? entre tel adagio (lent) et tel autre adagio? De pareilles indications ne peuvent jamais être que des à peu près, que l'intelligence ou l'organisation particulière de chaque exécutant modifie. Il en résulte que la musique est rarement rendue selon la pensée de l'auteur, et que le même morceau prend différens caractères en [-41-] passant par les mains de divers musiciens. Il y a en cela un mal réel qui a été senti depuis long-temps, et auquel on n'a porté remède que depuis peu d'années. Dès la fin du dix-septième siècle on avait reconnu qu'une machine régulière serait ce qu'il y aurait de mieux pour fixer la lenteur ou la rapidité des mouvemens de la musique. Plusieurs musiciens et mécaniciens se sont occupés de chercher les principes de la construction d'une semblable machine. En 1698, un professeur de musique nommé Loulié en proposa une qu'il nomma chronomètre (mesure du temps). Vers la même époque, Laffilard, musicien de la chapelle du roi, en inventa une autre. Plus tard, Harrison, fameux mécanicien anglais, qui s'est illustré par ses montres marines, inventa une machine qui paraît avoir été parfaite, mais dont le prix élevé ne permettait pas d'en rendre l'usage populaire. En 1782, Duclos, horloger de Paris, fit une autre machine, qu'il appelait rhythmomètre (mesure du rhythme), qui reçut alors l'approbation de quelques musiciens distingués. A cette machine succéda le chronomètre d'un mécanicien nommé Pelletier: on ignore aujourd'hui quels étaient sa forme et son mécanisme. [-42-] En 1784, Reneaudin, horloger de Paris, construisit un pendule qui avait la même destination. Le célèbre horloger Bréguet s'occupa aussi de la solution du même problême, sans faire connaître le résultat de ses travaux. Enfin Despréaux, professeur au Conservatoire de musique, proposa, en 1812, l'adoption d'un chronomètre composé d'un tableau indicateur des mouvemens, et d'un pendule ou balancier en cordonnet de soie terminé par un poids, dont les différentes longueurs donnent, suivant des lois physiques très connues, les divers degrés de vitesse. Plusieurs musiciens allemands avaient déjà fait connaître des chronomètres de cette espèce, qui ont le double avantage d'être d'une construction simple et peu dispendieuse, mais qui ont l'inconvénient de ne point rendre sensible à l'oeil le tact ou le frappé des temps.

Une invention que deux mécaniciens habiles, Messieurs Winkel, d'Amsterdam, et Maelzel, se sont disputée, a satisfait enfin à toutes les conditions voulues: je veux parler du métronome, qui a été soumis à l'approbation de l'Institut en 1816, et dont l'usage est maintenant connu des amateurs. Dans cette machine, [-43-] chaque vibration du balancier rend le tact sensible à l'oreille. L'inventeur a pris pour unité la minute, dont les temps de la musique ne sont que des fractions. Toutes les nuances de mouvemens, depuis le plus lent jusqu'au plus rapide, y sont exprimées et représentées par des vibrations de balancier qui se décomposent à volonté en mesures à deux, trois ou quatre temps, et qui représentent, selon la fantaisie du compositeur, des rondes, des blanches, des noires ou des croches. Au moyen du métronome, tout le système de la division du temps en musique est représenté dans son ensemble et dans ses détails.

[-45-] CHAPITRE VI.

De ce qu'on appelle expression dans l'exécution de la musique; de ces moyens, et des signes par lesquels on l'indique dans la notation.

Jusqu'ici il n'a été question que de deux attributs des sons, savoir, l'intonation et la durée: il reste à les considérer sous le rapport de leur intensité, c'est-à-dire sous leurs diverses nuances de douceur ou de force, ce qui complétera le tableau des qualités par lesquelles ils agissent sur nous.

Le douceur des sons produit en général sur l'homme des impressions de calme, de repos, de plaisir tranquille, et de toutes les nuances de ces diverses situations de l'ame. Les sons forts, bruyans, éclatans excitent au contraire des émotions fortes, et sont propres à peindre le courage, la colère, la jalousie et les autres passions violentes; mais, si les sons étaient constamment doux, l'ennui naîtrait bientôt de leur uniformité, et, s'ils étaient toujours forts, ils fatigueraient et l'esprit et l'oreille. D'ailleurs la musique n'est pas uniquement [-46-] destinée à peindre les modifications de l'ame: souvent son objet est vague, indéterminé, et son résultat est plutôt de chatouiller les sens que de parler à l'esprit. C'est ce qu'on remarque particulièrement dans la musique instrumentale.

Or, soit qu'on considère la mobilité des facultés de l'ame et les nombreuses métamorphoses dont elles sont susceptibles, soit qu'on n'aie égard qu'aux impressions des sens, on reconnaît bientôt que le mélange des sons doux et forts, et les diverses gradations de leurs successions, sont des moyens puissans de peindre les unes et de faire naître les autres. On donne en général le nom d'expression à ce mélange de douceur et de force, à ces gradations ou à ces dégradations d'intensité, enfin à tous les accidens de la physionomie des sons, non qu'ils aient toujours pour objet d'exprimer ou des idées ou des sentimens: ils ne sont souvent que le résultat de la fantaisie; mais on ne peut nier que leur mélange bien ordonné n'ait pour effet de nous intéresser d'autant plus vivement que l'objet est moins positif. Si l'on demandait à un habile chanteur ou à un grand instrumentiste ce qui les détermine [-47-] à donner de la force à tels sons, à faire entendre à peine tels autres, à augmenter graduellement l'intensité ou à la diminuer, à faire certains sons d'une manière sèche et détachée, ou bien à les lier ensemble avec abandon et mollesse, leur réponse se ferait long-temps attendre, ou plutôt ils répondraient naïvement: nous l'ignorons; mais nous sentons ainsi. Certes, ils auraient raison s'ils faisaient passer leurs sensations dans l'ame de leurs auditeurs. Il y a plus: s'ils pouvaient s'observer eux-mêmes, ils avoueraient que les mêmes traits ne les ont pas toujours affectés de la même manière, et qu'il leur est arrivé de les exprimer dans des sentimens très différens, quoique le résultat fût également satisfaisant.

Cette faculté d'exprimer de plusieurs manières les mêmes pensées musicales pourrait avoir de graves inconvéniens dans un ensemble où chacun s'abandonnerait à ses impressions du moment; car il pourrait arriver qu'un musicien exécutât avec force sa partie pendant qu'un autre rendrait la sienne avec douceur, et qu'un troisième détachât les sons du même trait que son voisin croirait devoir lier. De là la nécessité que le compositeur indique [-48-] sa pensée, sous le rapport de l'expression, par des signes non équivoques; ce qui a toujours lieu en effet.

Les signes d'expression sont de plusieurs espèces. Les uns sont relatifs à la force ou à la douceur des sons; les autres sont destinés à faire connaître s'ils doivent être détachés ou liés; d'autres enfin indiquent de légères variations de mouvement qui contribuent à augmenter l'effet de la musique.

Quelques mots italiens servent à indiquer les diverses nuances de la force ou de la douceur des sons: Piano, ou simplement P, signifie qu'il faut chanter ou jouer avec douceur; Pianissimo, ou PP, indique l'excès du doux; Forte, ou F, fort; Fortissimo, ou FF, très fort. Le passage du doux au fort s'exprime par Crescendo, ou Cresc., ou Cr.; celui du fort au doux par Decrescendo, Diminuando, Smorzando, ou par les abréviations de ces mots. Un son doux suivi d'un fort s'indique par PF, et le contraire par FP. Un petit nombre de sons plus forts que d'autres s'expriment par Rinforzando, ou simplement Rf; Sforzando, ou Sf; Forzando, ou Fz. Enfin, l'augmentation ou la diminution de force instantanée s'indiquent [-49-] par ces signes <>. La fantaisie peut multiplier ces sortes de signes et en imaginer de nouveaux; mais ceux qu'on vient de voir suffisent pour les masses de chanteurs ou d'instrumentistes. Quant à l'expression qu'un grand artiste met dans son jeu ou dans son chant, ce sont des accens de l'ame qui ne se présentent presque jamais de la même manière dans les mêmes circonstances, et qu'on ne pourrait peindre aux yeux par des volumes de signes.

Les signes des sons détachés sont de deux sortes. La première consiste en des points allongés qui se placent au-dessus des notes: ces points indiquent la plus grande légèreté possible dans l'émission du son.

[Fétis, La Musique, 49,1] [FETMUS1 03GF]

Lorsque les sons doivent être détachés avec une certaine lourdeur, les notes sont surmontées de points ronds qui sont placés quelquefois sous une ligne courbe, comme dans cet exemple:

[Fétis, La Musique, 49,2] [FETMUS1 03GF]

[-50-] Une courbe sans points placée au-dessus des notes est le signe des sons liés.

[Fétis, La Musique, 50] [FETMUS1 03GF]

Les altérations de mouvement, qui sont un moyen d'expression dont on abuse quelquefois, s'indiquent par ces mots: calando, con fuoco, con moto, lorsqu'il s'agit d'augmenter la vitesse, et par celui de ritardando, s'il faut la diminuer. Plus souvent le compositeur abandonne le soin de ces légères perturbations à l'intelligence des exécutans.

Il est quelques autres signes accessoires dont l'utilité se fait sentir dans l'exécution, mais qui n'ont point de rapport aux trois qualités principales des sons, et que, par ce motif, je ne crois point devoir exposer ici.

Tout ce qui précède renferme le tableau de ce qu'on appelle la notation. Il suffit d'en avoir compris le mécanisme pour suivre avec facilité le reste de cet ouvrage; car on se tromperait si l'on croyait devoir charger sa mémoire de tous les termes et de la figure de tous les signes. Les efforts auxquels une étude semblable donnerait [-51-] lieu seraient en pure perte pour l'objet que se proposent et les lecteurs de ce livre et son auteur. Il importe peu qu'un homme du monde appelé à juger une composition musicale et à en parler, sache distinguer un ut d'un sol, ou une noire d'une croche; mais il est nécessaire qu'il connaisse l'usage de tout cela, ne fût-ce que pour se soustraire à l'importance pédantesque de ceux qui en ont fait une étude. Qu'il soit utile autant qu'agréable de savoir la musique, c'est ce qui ne peut être mis en doute. Mais comparés à la population générale d'un pays, ceux qui possèdent cet avantage sont presque toujours en petit nombre. C'est pour les autres, c'est-à-dire pour ceux que mille obstacles empêchent de se livrer à l'étude d'un art difficile, que ce livre est composé; l'auteur manquerait donc son but, si pour se faire comprendre il exigeait qu'on acquît des connaissances auxquelles il doit suppléer.

Ce serait une erreur de croire que le système de notation qui vient d'être exposé a été de tout temps en usage parmi les peuples européens. Ce n'est que vers la fin du dixième siècle qu'on commença à employer les notes et la portée; le nombre de lignes de celle-ci variait beaucoup. [-52-] Cette notation, dont l'inventeur n'est pas connu, ne fut pas d'abord généralement adoptée: elle subit diverses transformations; beaucoup de signes, qui sont maintenant abandonnés, y furent introduits dans les quinzième et seizième siècles, et la complication de ceux-ci était telle qu'il était alors fort difficile d'apprendre à lire et à écrire la musique. Il n'existe pas maintenant dix musiciens qui possèdent la connaissance de ces signes. Ce ne fut que sous le règne de Louis XIII que la notation commença à se simplifier, et à prendre la forme qu'on lui voit aujourd'hui.

[-53-] DEUXIÈME SECTION.

Des sons considérés dans leurs rapports de succession et de simultanéité; du résultat de ces choses.

CHAPITRE VII.

Ce que c'est que le rapport ou la relation des sons.

Il y a beaucoup d'analogie entre les impressions que la musique laisse dans l'ame de ceux qui ignorent ses procédés, et les sensations du compositeur au premier jet de son inspiration. En général, le public n'est frappé que d'un ensemble dont il n'aperçoit pas les détails, et le musicien a trop de fièvre pour analyser sa pensée; mais lorsque celui-ci veut écrire ce qu'il a inventé, une grande différence s'établit entre lui et le vulgaire: dès qu'il a saisi sa plume, le calme rentre peu à peu dans son ame, ses idées s'éclaircissent, le morcellement de ses périodes musicales en phrases plus ou moins régulières s'opère sous ses yeux; les [-54-] voix, les instrumens qui les accompagnent, et l'expression dramatique des paroles cessent de faire un tout homogène. Alors se manifeste une pensée musicale qu'on appelle mélodie; alors s'établit la différence des sons qui se succèdent et de ceux qui se font entendre simultanément; alors les défauts de nombre dans les phrases deviennent aussi remarquables pour le musicien que les fautes de quantité le sont pour le poète: l'arrangement des voix, les dispositions des groupes de sons, le choix des instrumens, le rhythme, tout enfin devient l'objet d'un examen particulier; tout est susceptible de perfectionnemens dont la nécessité n'avait point été aperçue d'abord, et l'art vient prêter son secours au génie.

De toutes les opérations de l'esprit, celle par laquelle un compositeur de musique conçoit l'effet de sa composition paraît être et la plus difficile et la plus étonnante. Quelle complication! Que de rapports divers! Que de talent, de perspicacité, d'expérience et d'observation, même dans un ouvrage médiocre! car ce n'est point assez d'être ému par la situation qu'on veut peindre ou le sentiment qu'il s'agit d'exprimer; il faut encore trouver des mélodies [-55-] analogues à ces divers objets; il faut que ces chants se combinent et se partagent souvent entre plusieurs voix de différens caractères, dont il est indispensable de pressentir l'effet; il faut enfin que tout cela soit accompagné par un nombre plus ou moins considérable d'instrumens, qui diffèrent d'accent et de sonorité, et qui doivent être employés de la manière la plus satisfaisante et la plus utile à l'effet général. Chacune de ces choses entraîne une multitude de détails qui concourent à compliquer les élémens de cet art singulier. Il suffit au musicien de jeter un coup d'oeil sur le papier qui reçoit ses inspirations pour se rendre compte de sa composition comme s'il l'entendait réellement exécuter.

Dès qu'on porte avec attention ses investigations dans la musique, on y remarque quatre choses principales qui concourent à son effet, savoir: la succession des sons qui, comme on vient de le voir, se désigne par le nom de mélodie; leur simultanéité, d'où résulte l'harmonie; la sonorité, qui est plus ou moins satisfaisante, suivant le choix ou la disposition des voix et des instrumens; et enfin l'accent, qui vivifie tout cela, mais qui échappe à l'analyse. [-56-] Les rapports sensibles des sons se présentent donc sous trois aspects: premier succession; deuxième simultanéité; troisième sonorité. Chacune de ces divisions se subdivise comme on le verra par la suite.

[-57-] CHAPITRE VIII.

De la mélodie.

C'est dans sa propre voix que l'homme trouve le type originaire de la musique. Cet instrument, le premier de tous, parce qu'il est à la fois le plus touchant et le plus fécond en effets divers, ne donne par lui-même que des idées de successions de sons, et ne fait pas même supposer la possibilité de simultanéité dans leur émission. De là vient sans doute que la mélodie est la première chose qu'on remarque, quand une éducation précoce n'a point modifié les dispositions naturelles. Disons plus: c'est elle seule qui attire l'attention de ceux qui sont complètement étrangers aux études musicales, et l'harmonie des accompagnemens frappe en vain leur oreille; elle n'est pas entendue. Il y a environ vingt ans qu'on s'est assuré, par diverses expériences, qu'une partie du public de nos spectacles croyait que l'orchestre jouait à l'unisson des chanteurs. On est plus instruit maintenant, grace au perfectionnement des méthodes d'enseignement et à l'influence [-58-] des journaux. Au reste, il est remarquable que les peuples européens sont les seuls qui aient fait usage de l'union de l'harmonie à la mélodie depuis le moyen-âge: l'antiquité paraît n'en avoir eu aucune connaissance, et les Orientaux ne la comprennent pas quand on la leur fait entendre. La mélodie est de tous les pays et de tous les temps.

Il ne faut pas croire que cette mélodie, telle qu'on l'entend dans les chants populaires et au théâtre, n'ait d'autre règle que la fantaisie. Le génie le plus libre, le plus original, obéit, à son insu, lorsqu'il imagine des chants, à certaines règles de symétrie dont l'effet n'est pas plus de convention que ne l'est le rhythme du tambour sur des masses de soldats qu'on fait mouvoir. Qu'on ne croie point que cette régularité de formes n'affecte que ceux qui ont étudié les principes de la musique: quiconque n'a pas l'oreille inerte ou rebelle y est sensible, sans qu'il soit nécessaire pour cela d'analyser ses sensations.

La différence de vitesse et de lenteur, rangée dans un ordre régulier quelconque, constitue ce qu'on nomme le rhythme en musique. C'est par le rhythme que cet art excite les plus vives [-59-] émotions, et l'action de ce rhythme est d'autant plus puissante qu'elle est plus prolongée. Par exemple, une noire suivie de deux croches est une succession qu'on rencontre à chaque instant dans la musique sans la remarquer; mais qu'elle se prolonge un certain temps, elle deviendra un rhythme capable de produire les plus grands effets.

Le rhythme est susceptible de beaucoup de variétés.

Dans les mouvemens lents, tels que l'adagio, le largo, il est presque nul; mais dans les mouvemens modérés ou rapides il est très remarquable. Quelquefois il ne réside que dans la mélodie; d'autres fois il est dans l'accompagnement; enfin, il est des cas où deux rhythmes différens, l'un placé dans le chant, l'autre dans l'accompagnement, se combinent pour produire un effet mixte.

La musique dépourvue de rhythme est vague et ne peut se prolonger sans faire naître l'ennui. Cependant on emploie quelquefois avec succès des mélodies de cette espèce pour exprimer une certaine rêverie mélancolique, le calme des passions, l'incertitude et d'autres choses semblables. Toutefois, de pareils cas sont rares.

[-60-] D'aprés ce qui vient d'être dit, on conçoit que le rhythme fait partie des règles de symétrie auxquelles la mélodie est soumise; elle en est la première et la plus impérieuse; c'est elle qui souffre le moins d'exceptions, et à laquelle on est le moins tenté de se soustraire.

La seconde règle, qu'on nomme la carrure des phrases, est encore une sorte de rhythme; mais son effet est moins immédiat que celui du rhythme proprement dit. Une phrase, en musique, est une suite de sons dont l'ensemble forme un certain sens mélodique. Par exemple, le commencement de la romance du Prisonnier:

Lorsque dans une tour obscure

Ce jeune homme est dans la douleur.

est une phrase. Toute phrase est renfermée dans un certain nombre de mesures: communément ce nombre est de quatre; cependant il y a aussi des phrases de deux, de trois et même de six mesures.

Une phrase musicale isolée ne peut avoir qu'un sens incomplet, quel qu'en soit le nombre de mesures; elle n'est en quelque sorte qu'un commencement de proposition, dont la phrase suivante est le complément. Dans le rapport [-61-] qui lie ces deux phrases entre elles, se manifeste un besoin particulier de l'oreille, savoir celui de similitude dans le nombre de mesures dont elles se composent. Or, ce nombre étant communément de quatre, ainsi qu'il a été dit plus haut, il en résulte que le sens se complète en deux fois quatre mesures, d'où est venue la dénomination de carrure des phrases. Cette expression s'applique par extension aux phrases dont le nombre de mesures est moindre ou plus grand que quatre, pourvu qu'il y ait similitude entre elles. Ainsi, deux phrases correspondantes de trois ou de six mesures sont carrées. Carrure est synonyme de symétrie. Toute phrase symétrique est carrée, quel que soit le nombre de ses mesures.

Quelquefois la phrase première de quatre mesures est coupée par un repos incident à son milieu, c'est-à-dire au bout de deux mesures; dans ce cas, l'oreille exige que la même césure musicale se fasse sentir dans la phrase complémentaire ou correspondante. Je citerai pour exemple la romance du Prisonnier, dont il a été parlé plus haut:

[-62-] [Fétis, La Musique, 62; text: A. B. 1. 2. 3. 4. Lorsque dans une tour obscure Ce jeune homme est dans la douleur Mon coeur guidé par la nature Doit compatir à son malheur.] [FETMUS1 04GF]

Dans cet exemple, A est le commencement de la proposition dont B est le complément; 1, 2, 3, 4, sont des membres de phrases correspondans et symétriques.

Quelquefois le sens musical reste suspendu après la deuxième phrase de quatre mesures; dans ce cas une troisième phrase de quatre [-63-] doit servir de complément pour satisfaire l'oreille. Tel est l'exemple qu'on en trouve dans la célèbre canzonette du Mariage de Figaro qui commence par ces mots: Mon coeur soupire, et cetera.

[Fétis, La Musique, 63; text: Mon coeur soupire la nuit le jour Qui peut me dire si c'est d'amour?] [FETMUS1 04GF]

On serait dans l'erreur si, de ce qui a été dit précédemment, on tirait la conséquence qu'un morceau de musique quelconque doit toujours renfermer un nombre pair de mesures; car il arrive souvent, dans un finale d'opéra ou dans toute autre pièce écrite pour plusieurs voix, [-64-] que la mesure finale d'une phrase sert aussi de première pour une autre phrase, ce qui rend à la fin le nombre des mesures impair, sans que l'oreille en soit blessée: cette sorte d'enjambement a même de la grace quand elle est faite à propos.

Il n'est pas sans exemple qu'une phrase isolée de cinq ou de trois mesures se trouve placée au milieu d'autres phrases régulières et carrées; mais un pareil défaut est toujours choquant pour une oreille délicate, et l'on peut affirmer avant l'examen que la phrase est mal faite, et qu'en la considérant avec soin l'auteur aurait pu la carrer. Au reste ce sont des cas fort rares, car le musicien se conforme à la carrure des phrases comme le poète à la mesure des vers, naturellement et sans y penser.

Toutefois, certaines mélodies populaires des pays de montagnes, tels que la Suisse, l'Auvergne, l'Écosse, sont empreintes de nombreuses irrégularités de ce genre, et n'en sont pas moins agréables. L'irrégularité est même ce qui plaît le plus dans ces sortes de mélodies, parce qu'elle contribue à leur donner la physionomie particulière, étrange, sauvage, si l'on veut, qui pique notre curiosité en nous tirant de nos habitudes. [-65-] Mais il ne faut pas s'y tromper; ce qui nous séduit un instant en elles nous fatigue bientôt si nous n'en sommes distraits par d'autre musique, et l'irrégularité qu'on y remarque et qui nous plaisait d'abord finit par nous sembler monotone et affectée. Un musicien peut tirer un parti avantageux de ces sortes de mélodies; mais il faut qu'il sache les employer à propos et qu'il n'en soit point prodigue.

La mélodie, fruit de l'imagination et de la fantaisie, libre de toute entrave en apparence, est donc soumise à deux conditions d'où dépend son existence, savoir, le rhythme et le nombre. On va voir qu'il en est une troisième non moins importante, non moins impérieuse et plus gênante: je veux parler de la modulation. On appelle de ce nom le passage d'un ton dans un autre, c'est-à-dire de la gamme d'une note dans la gamme d'une autre note. Il est nécessaire d'expliquer en quoi consiste le mécanisme et le but de ces changemens de ton. Si un morceau de musique était tout entier dans le même ton, il en résulterait une sorte d'uniformité fatigante, qu'on désigne exactement par le nom de monotonie (un seul ton). De petits airs, d'un style naïf et simple, peuvent [-66-] seuls admettre l'unité de ton sans donner lieu aux inconvéniens de la monotonie. Dès qu'il s'agit d'un morceau d'une certaine étendue, la modulation devient nécessaire; mais celle-ci est soumise aux exigences de l'oreille comme le rhythme et la forme des phrases. Dès qu'on veut faire usage de la modulation, ou plutôt dès qu'on y est déterminé par la nature des chants qu'on invente, l'embarras du choix des tons se présente. En effet, l'oreille n'admet pas que toute succession de tons puisse lui plaire. Pour atteindre ce but, il faut qu'il y ait quelque analogie entre le ton qu'on quitte et celui dans lequel on entre; et cependant il est un grand nombre de circonstances où la modulation doit être inattendue pour être agréable.

En réfléchissant sur la contradiction qui semble naître de cette double obligation, on s'aperçoit qu'il y a dans un morceau quelconque deux sortes de modulations; l'une, principale, qui en détermine la forme; l'autre, accessoire, qui n'est qu'épisodique. La modulation principale ayant pour objet, tout en contribuant à la variété, de présenter avec simplicité la pensée du compositeur, n'admet que l'analogie de tons dont il vient d'être parlé, tandis que les [-67-] modulations incidentes étant destinées à réveiller l'attention de l'auditeur par des effets piquans, ne sont point soumises à cette analogie. Plus la première est naturelle et simple, plus elle est satisfaisante; plus les autres sont inattendues, plus elles contribuent à l'effet.

Cela posé, une nouvelle difficulté se présente: la voici. Quel que soit le ton principal choisi par l'auteur d'un morceau de musique, plusieurs autres tons se groupent autour de lui de manière à y avoir beaucoup d'analogie; car s'il s'agit d'un ton majeur, on trouve d'abord le ton mineur relatif, c'est-à-dire celui qui a le même nombre de dièses ou de bémols, puis celui qui a un dièse ou un bémol de plus, et enfin celui qui a un dièse ou un bémol de moins; s'il est question au contraire d'un ton mineur, on trouve d'abord le ton majeur relatif, c'est-à-dire celui qui a le même nombre de dièses ou de bémols, puis ceux qui ont un dièse ou un bémol de plus ou de moins. Mais de tous ces tons, quel est celui qu'il faut adopter? Voilà ce qui heureusement est en question; car on conçoit que s'il n'y avait qu'une manière de sortir du ton principal, la modulation serait toujours prévue, et dès lors le plaisir causé par [-68-] la musique serait beaucoup diminué, ou même s'évanouirait complètement. Il suffit, pour qu'une modulation soit agréable et régulière, qu'elle ait lieu du ton principal à l'un de ses analogues, c'est-à-dire qu'elle introduise dans la mélodie un dièse ou un bémol de plus, ou qu'elle en retranche un. Supposons un ton majeur, ré, par exemple, dans lequel il y a deux dièses, savoir, au fa et à l'ut: la pensée du compositeur pourra être également simple et naturelle, soit qu'il conduise sa modulation en si mineur, où il y a le même nombre de dièses; soit que cette modulation passe en la, où il y a un dièse de plus; en fa dièse mineur, où il se trouve aussi un dièse de plus, et en sol, où il y a un dièse de moins: la fantaisie seule détermine le choix.

Toute modulation principale peut donc se faire par quatre tons différens. Et qu'on ne croie pas que le pédantisme des écoles ait réglé les choses à ce petit nombre de moyens; les compositeurs les plus audacieux, ceux dont le génie a le plus d'indépendance, ont été ramenés malgré eux à s'y renfermer, parce qu'ils ont reconnu que tout ce qui en sort choque l'oreille au lieu de lui plaire. Ils ne se livrent à des [-69-] écarts et ne s'abandonnent à toutes les saillies modulées de leur imagination qu'après avoir établi d'abord régulièrement la modulation principale; mais celles-là, loin de déplaire à l'oreille, lui procurent des sensations d'autant plus vives qu'elles sont plus inattendues.

Je viens de dire que tous les compositeurs se conforment au système régulier de la modulation principale; je dois ajouter que parmi les quatre tons dont on peut se servir pour cet objet, il est ordinaire qu'on en adopte un de préférence à d'autres pour le faire entendre plus souvent. Ainsi, bien que la modulation la plus simple, la plus naturelle, la plus universellement adoptée, soit celle où la mélodie passe d'un ton majeur dans un autre ton majeur qui a un bémol de moins ou un dièse de plus, comme de ré en la, ou bien d'un ton mineur au ton majeur relatif, comme de si mineur en ré majeur, cependant quelques musiciens ont préféré des modulations moins usitées, et s'en sont servi habituellement. Rossini, par exemple, a adopté la modulation qui passe d'un ton majeur à un ton mineur avec un dièse de plus, comme du ton de ré majeur au ton de fa dièse mineur; mais il s'est servi si [-70-] souvent de ce moyen qu'il l'a usé et l'a rendu plus trivial que la modulation la plus ordinaire.

Telles sont les trois conditions principales de la mélodie: première symétrie de rhythme; deuxième symétrie de nombre; troisième régularité de modulation. On serait dans l'erreur si l'on se persuadait qu'elles sont autant d'obstacles à la production des idées, car le rhythme, le nombre, la modulation sont si bien inhérens aux facultés du musicien, qu'il y obéit sans le remarquer et comme par instinct, uniquement occupé du caractère gracieux, énergique, gai ou passionné de sa mélodie ou cantilène 1. Que d'autres entraves bien plus réelles il est obligé de surmonter, dans la production et dans l'arrangement de ses idées! S'il écrit sur des paroles, dans le style dramatique, l'arrangement des vers, la prosodie, la rapidité de l'action, et beaucoup d'autres considérations le contraignent bien davantage, comme on le verra dans la suite; et cependant, l'homme de génie en triomphe toujours. C'est un mystère qui ne [-71-] peut être compris que par les compositeurs eux-mêmes que cette faculté d'inventer, de conserver de l'élan, de la chaleur, du délire, de se passionner enfin au milieu de tant d'obstacles; de rester indépendant dans le choix de son sujet, et de le manier avec dextérité, comme si rien ne s'y opposait. Lorsqu'on songe à toutes ces choses, on conçoit qu'il peut y avoir du mérite même dans de la musique médiocre.

Il est des mélodies qui séduisent par elles-mêmes et dépouillées de tout ornement étranger, même d'accompagnement: celles-là sont en petit nombre. Il en est d'autres qui, bien que purement mélodiques, ont besoin du secours d'une harmonie quelconque pour produire leur effet. Il en est enfin dont l'origine réside dans l'harmonie qui les accompagne. Quiconque n'est pas insensible à l'effet des sons, saisit facilement l'ensemble des mélodies de la première espèce: aussi deviennent-elles promptement populaires. Les mélodies qui ne produisent leur effet qu'avec le secours d'un accompagnement quelconque n'exigent pas de grandes connaissances musicales pour être senties, mais toutefois elles ne peuvent plaire [-72-] qu'aux oreilles habituées à entendre de la musique. On pourrait les appeler les mélodies de la bonne societé. Quant aux mélodies de la troisième espèce, qu'on peut nommer mélodies harmonieuses, les musiciens seuls sont en état de les apprécier, parce qu'au lieu d'être le résultat d'une idée simple, elles se compliquent de divers élémens, et exigent conséquemment une sorte d'analyse pour être comprises: analyse qu'un musicien fait avec la rapidité de l'éclair, mais que l'homme du monde ne peut faire que lentement et avec peine. Ce ne sont pas moins des mélodies très réelles, et c'est à tort qu'on s'écrie souvent qu'il n'y a point de chant dans un morceau quelconque, lorsque ce genre de mélodie s'y trouve: on devrait dire seulement que le chant n'en est pas facile à comprendre. S'attacher à en saisir l'esprit serait augmenter ses jouissances, et n'exigerait pas une étude fort longue; mais la paresse naturelle que nous portons en toute chose exerce son influence, même sur nos plaisirs.

Quoique la mélodie soit en apparence ce que tout le monde peut apprécier avec facilité, elle est cependant une des parties de la musique sur lesquelles on porte les jugemens les plus erronés. [-73-] Il est peu d'habitués des théâtres lyriques qui ne se croient en état de prononcer sur la nouveauté d'une mélodie; néanmoins, outre que l'érudition musicale leur manque pour cela, combien de fois ne sont-ils pas dupes des ornemens du chanteur, qui donnent un air de nouveauté à des choses surannées? Que de vieilleries habillées à neuf au moyen d'accompagnemens de formes différentes, d'instrumens nouveaux, de changemens de mouvement, de mode ou de ton! Et tandis qu'on n'aperçoit pas les analogies réelles qu'il y a entre telle mélodie ancienne et telle autre qu'on croit nouvelle, que de fois il arrive qu'on signale des ressemblances imaginaires, parce qu'on a remarqué quelque similitude de rhythme entre deux mélodies dont les caractères, les formes et l'inspiration n'ont rien d'analogue! Les bévues de ce genre sont innombrables; néanmoins on n'en reste pas moins convaincu de l'infaillibilité de son jugement, et l'on est toujours prêt à retomber dans les mêmes erreurs avec la même assurance.

Mais, dit-on, il n'est pas besoin de tout examiner pour savoir si telle mélodie est agréable ou déplaisante! Cela se sent plus que cela [-74-] ne s'analyse, et tout le monde est en état de juger de ses sensations. Tout cela est incontestable; mais qu'en faut-il conclure? Que chacun est en droit d'affirmer que telle mélodie lui plaît ou lui semble insignifiante ou désagréable, mais non de décider de son mérite, s'il n'est en état de l'analyser. A Dieu ne plaise qu'on soit contraint de compter les mesures des phrases pour s'assurer qu'elles sont carrées! un pareil travail, indigne de quiconque a le sentiment de la musique, n'est jamais nécessaire quand on a su rendre son oreille délicate, sous le double rapport du rhythme et du nombre. C'est à perfectionner cet organe qu'il faut travailler; et pour y parvenir, l'attention seule est nécessaire, sans y joindre le secours de la science. Qu'un homme du monde, au lieu de s'abandonner sans réserve au plaisir vague que lui cause un air, un duo, se décide à en examiner l'ordonnance, à considérer la disposition et le retour des phrases, les rhythmes principaux, la cadence, et cetera: d'abord ce travail lui sera pénible et troublera ses jouissances; mais insensiblement l'habitude suppléera l'attention, et bientôt elle sera telle que l'attention même sera moins nécessaire. Alors, ce [-75-] qui n'aura paru d'abord qu'un calcul aride deviendra l'origine d'un jugement facile et la source des plus vives jouissances.

Il est une autre objection qu'on répète volontiers et qu'il ne faut point laisser sans réponse parce qu'elle est spécieuse et peut faire naître des doutes, même dans un esprit juste. "Gardez-vous de toute cette science," disent ceux qu'une paresse insensible domine: "elle ne peut qu'affaiblir vos plaisirs. Les arts ne nous procurent de jouissances qu'autant que leurs effets sont imprévus. Ne cherchez donc point à acquérir des connaissances dont le résultat doit être de vous rendre propre à juger plutôt qu'à sentir."--Tout ce raisonnement est fondé sur cet axiome de philosophie: "Apercevoir c'est sentir; comparer, c'est juger." Mais le perfectionnement de l'organe auditif, qui résulte de l'observation de l'effet des sons, n'est qu'un moyen de percevoir mieux et d'augmenter par là la somme de ses jouissances. Voila pourquoi l'attention est nécessaire à l'homme du monde tandis qu'il tirerait peu d'utilité d'un savoir imparfait. Tout le monde porte des jugemens sur la musique; les uns par un instinct aveugle et avec précipitation, les autres par un [-76-] goût perfectionné et avec réflexion. Qui oserait dire que la première espèce de jugemens vaut mieux que l'autre?

Lorsque je traiterai de l'expression dramatique, je ferai voir qu'elle est la portion de la mélodie que l'oreille la moins exercée juge sainement par instinct.

[-77-] CHAPITRE IX.

De l'harmonie.

Plusieurs sons qui se font entendre simultanément, et dont la réunion flatte plus ou moins agréablement l'oreille, prennent le nom collectif d'accords. Le système général des accords et les lois de leur succession appartiennent à une branche de l'art musical qu'on désigne par le nom d'harmonie.

Harmonie est un mot générique quand il signifie la science des accords. Mais on dit aussi l'harmonie d'un accord pour indiquer l'effet qu'il produit sur l'oreille. Autre exemple de la pauvreté de la langue musicale.

Par suite de l'éducation des peuples modernes civilisés, on se persuade que le sentiment de l'harmonie est si naturel à l'homme qu'il a dû le posséder de tout temps. C'est une erreur, car il y a beaucoup d'apparence que les peuples de l'antiquité n'en ont point eu d'idée; les Orientaux, même de nos jours, n'y sont pas plus initiés. L'effet de notre musique en accords les importune. La question de la connaissance [-78-] que les Grecs ou les Romains ont pu avoir de l'harmonie a été vivement controversée, mais inutilement, personne ne pouvant alléguer de preuves en faveur de son opinion. L'équivalent du mot harmonie ne se trouve pas employé une seule fois dans les traités de musique grecs ou latins qui sont parvenus jusqu'à nous 1; le chant d'une ode de Pindare, celui d'un hymne à Némésis et quelques autres fragmens, sont tout ce qui s'est conservé de l'ancienne musique grecque, et l'on n'y trouve aucunes traces d'accords; enfin la forme des lyres et des cythares, le petit nombre de leurs cordes qui ne pouvaient être modifiées comme celle de nos guitares, ces instrumens n'ayant point de manches comme les nôtres, tout cela, dis-je, donne beaucoup de probabilité à l'opinion de ceux qui ne croient point à l'existence de l'harmonie dans la musique des anciens. Leurs adversaires opposent que cette harmonie est dans la nature. -- A la bonne heure; mais que de choses sont dans la nature, et [-79-] n'ont été remarquées que très tard! L'harmonie est dans la nature, et cependant l'oreille des Turcs, des Arabes et des Chinois n'a pas encore pu s'y accoutumer.

Les premières traces de l'harmonie se font apercevoir chez les écrivains du moyen-âge, vers le neuvième siècle; mais elle resta dans un état de barbarie jusques vers le milieu du quatorzième, époque où quelques musiciens italiens commencèrent à lui donner des formes plus douces. Parmi ces musiciens, ceux qui se distinguèrent le plus furent François Landino, surnommé Francesco Cieco, parce qu'il était aveugle, ou Francesco d'egli organi, à cause de son habileté sur l'orgue, et Jacques de Bologne. L'harmonie se perfectionna ensuite entre les mains de deux musiciens français, Guillaume Dufay et Gilles Binchois, et d'un Anglais, Jean Dunstaple. Tous trois vécurent dans la première moitié du quinzième siècle. Leurs élèves ajoutèrent à leurs découvertes, et depuis lors l'harmonie s'est continuellement enrichie d'effets nouveaux.

L'habitude d'entendre de l'harmonie dès notre enfance nous en fait un besoin dans la musique. Il semble d'ailleurs que rien n'est [-80-] plus naturel, et, dans l'état de civilisation musicale où nous sommes parvenus, il est rare que deux voix chantent ensemble sans chercher à s'accorder, c'est-à-dire à faire des accords. Chaque voix ne pouvant produire qu'un son à la fois, deux voix qui s'unissent ne peuvent donc faire que des accords de deux sons; ceux-là sont les plus simples possibles. On les désigne par le nom d'intervalles, parce qu'il y a nécessairement une distance quelconque d'un son à un autre: les noms de ces intervalles expriment les distances qui se trouvent entre les deux sons. Ainsi l'on appelle seconde l'intervalle compris entre deux sons voisins, tierce celui qui se trouve entre deux sons séparés par un autre, quarte celui qui renferme quatre sons, et ainsi de suite à mesure que la distance s'augmente d'un son, quinte, sixte, septième, octave et neuvième. Les intervalles qui dépassent la neuvième conservent les noms de tierce, quarte, quinte, et cetera, parce que ce ne sont que des doubles ou triples tierces, quartes, quintes, et cetera, et que leur effet est analogue aux intervalles non redoublés.

Si l'on n'a point oublié que divers sons, tels que ré [rob], ré [sqb] et ré # conservent la dénomination [-81-] commune de ré par l'idée de réalité qu'on attache au nom des notes, on concevra sans peine que chaque intervalle est susceptible de se présenter sous différens aspects; car si ré forme toujours une seconde à l'égard d'ut, ce ré ou cet ut pourront être dans l'état de bémol, de bécarre ou de dièze, et dès lors la seconde sera plus ou moins étendue, plus ou moins resserrée. Un intervalle réduit à sa plus petite dimension, et dans lequel on ne trouve que les signes d'un ton et d'un mode quelconque, se désigne par l'épithète de mineur; le même intervalle, dans sa plus grande extension relative au ton, est majeur. Par exemple, l'intervalle d'ut [sqb] à ré [rob] est une seconde mineure; celui d'ut [sqb] à ré [sqb] est une seconde majeure. Mais si, par une altération momentanée qui n'est conforme à aucun ton, on construit des intervalles plus petits que les mineurs ou plus grands que les majeurs, on désigne les premiers par le nom de diminués, et les autres par celui d'augmentés. Par exemple, l'intervalle d'ut # à fa [sqb] est une quarte diminuée qu'on ne peut considérer que comme une altération momentanée; car il n'est aucun ton où ut soit diézé, tandis que fa ne [-82-] l'est pas; par le même motif, l'intervalle d'ut [sqb] à sol # est une quinte augmentée. Les divers degrés d'extension des intervalles sont donc de quatre espèces: diminué, mineur, majeur, augmenté.

On se servait autrefois des dénominations de juste et de faux pour les variétés d'extension de la quarte et de la quinte; mais ce qui est faux ne pouvant trouver place en musique, on a renoncé à ces mauvaises expressions.

Tous les intervalles ou accords de deux sons ne produisent pas le même effet sur l'oreille: les uns lui plaisent par leur harmonie, les autres l'affectent moins agréablement et ne peuvent la satisfaire que par leur enchaînement avec les premières. On donne le nom de consonnances aux intervalles agréables, et celui de dissonances aux autres.

Les intervalles consonnans sont la tierce, la quarte, la quinte, la sixte et l'octave. Les dissonans sont la seconde, la septième et la neuvième.

Les intervalles consonnans et dissonans ont la propriété de se renverser; c'est-à-dire que deux notes quelconques peuvent être à l'égard l'une de l'autre dans une position inférieure [-83-] ou supérieure. Par exemple, ut etant la note inférieure et mi la supérieure, il en résulte une tierce; mais si mi est la note inférieure et ut la supérieure, elles formeront une sixte.

Le renversement des consonnances produit des consonnances; celui des dissonances engendre des dissonances. Ainsi la tierce renversée produit la sixte, la quarte produit la quinte; celle-ci produit la quarte, la sixte produit la tierce, la seconde produit la septième, et celle-ci la seconde.

On a disputé long-temps pour savoir si la quarte est une consonnance ou une dissonance; deux gros livres ont même été écrits sur cette question: on se serait épargné beaucoup de mauvais raisonnemens si l'on eût pensé à la loi du renversement. La quarte est une consonnance d'une qualité inférieure aux autres; mais elle est une consonnance.

Le renversement est une source de variété pour l'harmonie, car il suffit de déplacer la position des notes pour obtenir des effets différens.

J'ai dit que les intervalles consonnans sont agréables par eux-mêmes, et que les autres ne le deviennent que par leur combinaison avec [-84-] eux. Il résulte de cette différence que la succession des consonnances est libre et qu'on peut en faire un aussi grand nombre qu'on veut de suite; deux dissonances, au contraire, ne peuvent se succéder; et dans la résolution d'une dissonance sur une consonnance, la note dissonante doit descendre d'un degré. Cette règle, qu'on ne viole pas sans blesser les oreilles délicates, n'est cependant pas toujours respectée par Rossini ni par les compositeurs de son école; mais si le maître de Pésaro fait pardonner ses défauts en faveur des qualités de son génie, il n'en reste pas moins certain que ses négligences sont condamnables, et que ses ouvrages seraient plus beaux s'il s'en était abstenu.

On conçoit que si l'on réunit deux ou trois consonnances, telles que la tierce, la quinte et l'octave dans un seul accord, cet accord sera consonnant; mais si à plusieurs consonnances on ajoute une dissonance, l'accord deviendra dissonant. Dans la plupart des accords dissonans il n'y a qu'une dissonance; quelques-uns cependant en contiennent deux.

Si l'on était obligé d'énumérer tous les intervalles qui entrent dans la composition d'un accord de quatre ou de cinq sons, la nomenclature [-85-] de ces accords serait embarrassante dans le langage de la science et fatigante pour la mémoire; mais il n'en est point ainsi. L'accord qui se forme de la réunion de la tierce, de la quinte et de l'octave s'appelle par excellence l'accord parfait, parce que c'est celui qui satisfait le plus l'oreille, le seul qui puisse servir de conclusion à toute espèce de période harmonique, et qui donne l'idée du repos. Tous les autres se désignent par l'intervalle le plus caractéristique de leur composition. Ainsi un accord formé de la tierce, de la sixte et de l'octave, s'appelle accord de sixte, parce que cet intervalle établit la différence qui existe entre cet accord et le parfait; on donne le nom d'accord de seconde à celui qui est composé de seconde, quarte et sixte, parce que la seconde est la dissonance dont la résolution descendante est obligée; on appelle accord de septième celui qui est composé de tierce, quinte et septième, et cetera.

C'est surtout dans les accords composés de trois ou de quatre notes que la variété résultante du renversement se fait apercevoir, car l'harmonie de ces accords peut s'offrir à l'oreille sous autant d'aspects différens qu'il y a de [-86-] notes dans leur composition. Par exemple, l'accord parfait est composé de trois notes qu'on peut placer à volonté dans la position inférieure. Dans la première disposition, l'accord est composé de tierce et de quinte: c'est l'accord parfait; dans la seconde, l'accord renferme la tierce et la sixte: c'est l'accord de sixte; enfin dans la troisième, les intervalles sont la quarte et la sixte: c'est l'accord de quarte et sixte. La même opération peut avoir lieu pour tous les accords, et donne lieu à des groupes de formes et de dénominations différentes qu'il est inutile d'énumérer ici puisque ce livre n'est point un traité d'harmonie. Il suffit qu'on se fasse une idée nette de l'opération.

Il y a des accords dissonans qui ne blessent point l'oreille lorsqu'ils se font entendre immédiatement et sans aucune préparation: ceux-là s'appellent accords dissonans naturels; il en est d'autres qui feraient un effet désagréable si la note dissonante ne se faisait d'abord entendre dans l'état de consonnance. Cette obligation se nomme préparation de la dissonance, et cette espèce d'accords se désigne sous le nom d'accords par prolongation. Dans d'autres accords on substitue une note à une [-87-] autre qui entre plus naturellement dans leur composition. Dans cet état, ces accords s'appellent accords par substitution. Les accords par altération sont ceux dans lesquels une ou plusieurs notes sont momentanément altérées par un dièse, un bémol ou un bécarre accidentels. Enfin, il est des harmonies dans lesquelles la prolongation, la substitution et l'altération se combinent deux à deux ou toutes ensemble. Si l'on considère en outre que toutes ces modifications se reproduisent dans tous les renversemens, on pourra se former une idée de la prodigieuse variété de formes dont l'harmonie est susceptible. Cette variété s'augmente encore par la fantaisie de certains compositeurs qui, quelquefois, anticipent dans leurs accords sur l'harmonie des accords suivans: ce genre de modifications, bien qu'assez incorrect dans une foule de circonstances, n'est pas dépourvu d'effet.

Dans tous les accords dont il vient d'être parlé, les sons ont entre eux un rapport plus ou moins direct, plus ou moins logique: il est des cas où ce rapport disparaît presque entièrement. Dans ces sortes d'anomalies harmoniques, une voix ou un instrument grave, du médium [-88-] ou de l'aigu, soutiennent un son pendant un certain nombre de mesures. Cette tenue se désigne sous le nom de pédale, parce que, dans l'origine de son invention, elle ne fut employée que dans la musique d'église par l'organiste, qui se servait pour cela du clavier des pédales de son instrument. Sur la pédale une harmonie variée se fait entendre et produit souvent un très bon effet, quoique, chose singulière, le son de cette pédale ne soit en rapport avec elle que de loin en loin: il suffit que le rapport se rétablisse d'une manière convenable à la conclusion.

Lorsque l'instrumentation n'avait point encore acquis d'importance dans la musique d'église, l'orgue était presque le seul instrument dont on faisait usage pour ce genre de musique. Son emploi se borna même pendant long-temps à soutenir les voix dans l'ordre où leur partie était écrite, sans y mêler rien d'étranger. Lorsque la basse chantante devait garder le silence, la basse de l'orgue se taisait aussi, et la main gauche de l'artiste était alors occupée à exécuter la partie de ténore ou de contralto. En 1609, un maître de chapelle de la cathédrale de Mantoue, nommé Louis Viadana, imagina [-89-] une basse indépendante du chant, propre à être exécutée sur l'orgue ou tout autre instrument à clavier, et qui, n'étant point interrompue comme l'ancienne basse, reçut de lui le nom de basse continue. Il exprima par des chiffres, placés au-dessus des notes de cette basse, les accords des différentes voix, et cette manière abrégée lui permit de ne point écrire sur la partie destinée à l'organiste ce qui appartenait aux voix. Cette partie surmontée de chiffres prit en Italie le nom de partimento, et en France celui de basse chiffrée.

Si l'on écrivait un chiffre pour chaque intervalle qui entre dans la composition d'un accord, il en résulterait une confusion plus fréquente pour l'oeil de l'organiste que la lecture de toutes les parties réunies en notation ordinaire, et le but serait manqué. Au lieu de cela, on n'indique que l'intervalle caractéristique. Pour l'accord parfait, par exemple, on n'écrit que 3, qui indique la tierce. Si cette tierce devient accidentellement majeure ou mineure par l'effet d'un # ou d'un [sqb], on place ces signes à côté et en avant du chiffre; si elle devient mineure par l'effet d'un [rob] ou d'un [sqb], on use du même procédé. Lorsque deux intervalles sont caractéristiques [-90-] d'un accord, on les joint ensemble: par exemple, l'accord de quinte et sixte s'exprime par 6/5. Les intervalles diminués se marquent par un trait diagonal qui barre le chiffre de cette manière [7/]; quant aux intervalles augmentés, ils s'expriment en plaçant à côté du chiffre le #, le [rob] ou le [sqb] qui les modifie. Lorsque la note sensible est caractéristique d'un intervalle, on l'exprime par ce signe +.

Chaque époque, chaque école, ont eu des systèmes différens pour chiffrer les basses. Ces différences sont de peu d'importance: il suffit que l'on s'entende et que l'organiste ou l'accompagnateur soit instruit des diverses méthodes.

Dans l'état actuel de la musique, l'orgue ne tient plus qu'un rang secondaire au milieu de la masse d'instrumens dont il est environné, en sorte que la basse chiffrée ou continue a perdu une partie de son intérêt; mais il n'est pas moins nécessaire qu'elle soit cultivée, soit pour développer dans les jeunes artistes le sentiment de l'harmonie par ce genre d'étude, soit pour conserver la tradition des belles compositions de l'ancienne école. Autrefois, on ne disait point en France: il faut étudier l'harmonie, [-91-] mais il faut apprendre la basse continue. Les Allemands ont conservé l'équivalent de cette expression dans leur general bass, et les Anglais dans leur thorough bass.

L'histoire de l'harmonie est l'une des parties les plus intéressantes de l'histoire générale de la musique. Non-seulement elle se compose d'une succession non interrompue de découvertes dans les propriétés aggrégatives des sons, découvertes qui ont dû leur origine au besoin de nouveauté, à l'audace de quelques musiciens, au perfectionnement de la musique instrumentale, et sans doute aussi au hasard; mais il est une section de cette histoire qui n'est pas moins digne d'intérêt: c'est celle des efforts qu'on a faits pour rattacher à un système complet et rationnel tous les faits épars offerts par la pratique à l'avide curiosité des théoriciens. Et remarquez que l'histoire de la théorie est nécessairement dépendante de celle de la pratique, car à mesure que le génie des compositeurs hasardait de nouvelles combinaisons, il devenait plus difficile de les rattacher au système général et de reconnaître leur origine. Les nombreuses modifications que subissaient les accords dénaturaient si bien leur forme [-92-] primitive qu'on ne doit pas être étonné s'il a été commis beaucoup d'erreurs dans les divers classemens qui en ont été faits.

Jusque vers la fin du seizième siècle on ne fit usage que d'accords consonnans et de quelques prolongations qui produisaient des dissonances préparées: avec de tels élémens, les formes harmoniques étaient bornées de telle sorte qu'on ne songea point à les réunir en corps de science, et qu'on n'imagina même pas qu'il y eût une liaison systématique entre les accords qu'on employait. On considérait les intervalles deux à deux, et l'art de les employer selon de certaines conditions composait toute la doctrine des écoles. Vers l'an 1590, un Vénitien, nommé Claude Monteverde, se servit pour la première fois des accords dissonans naturels et des substitutions; dès lors le domaine de l'harmonie s'étendit beaucoup, et la science qui en est le résultat attira les regards des maîtres. Ce fut environ quinze ans après les heureux essais de Monteverde que Viadana et quelques Allemands, qui lui disputent son invention, imaginèrent de représenter l'harmonie par des chiffres, et pour cela furent obligés de considérer les accords isolément; alors, [-93-] ce nom d'accord fut introduit dans le vocabulaire de la musique, et l'harmonie, ou la basse continue, comme on disait, devint une branche de la science que les musiciens devaient étudier. Pendant près d'un siècle les choses restèrent en cet état, quoique de nombreux ouvrages élémentaires eussent été publiés dans cet intervalle pour aplanir les difficultés de cette science nouvelle.

En 1699, Sauveur, géomètre français qui, comme le dit l'auteur de son éloge, n'avait ni voix ni oreille, se passionna si bien pour la musique, qu'elle devint l'objet de toutes ses méditations et le but de tous ses travaux. La doctrine des sons lui parut mériter d'être soumise à l'analyse mathématique, et ses recherches furent si bien couronnées par le succès qu'il fonda une science nouvelle, à laquelle il donna le nom d'acoustique; science qui depuis a beaucoup occupé les plus grands géomètres et les plus savans musiciens. Reprenant une expérience indiquée par un moine, nommé le Père Mersenne, dans un gros livre rempli de choses curieuses et d'inutilités, qui a pour titre l'Harmonie universelle, Sauveur en tira des conséquences que le Père Mersenne n'avait point [-94-] aperçues. Cette expérience consiste à faire résonner une grosse corde métallique, tendue par un poids convenable, en la pinçant avec force. Outre le son principal qui résulte de la résonnance de toute la longueur de la corde, on entend aussi assez distinctement deux autres sons, dont l'un est l'octave de la quinte du premier, et l'autre la double octave de sa tierce; en sorte que l'accord parfait majeur se trouve ainsi donné par la nature. Sauveur découvrit dans l'examen de cette expérience que les deux derniers sons proviennent de vibrations partielles de la corde, et cette découverte le conduisit à toutes les conséquences du système complet et démontré de la science des sons.

Il avait appelé son fondamental celui qui est donné par les vibrations de la totalité de la corde, et sons dérivés les deux autres; Rameau, qui se fit connaître en 1722 par la publication de son Traité d'harmonie, s'empara du résultat des découvertes de Sauveur et des dénominations de fondamental et de dérivés. Les appliquant à la science des accords, dont il voulut trouver les bases dans les phénomènes de la physique, il en forma son système de la basse fondamentale; système fameux qui eut [-95-] une vogue prodigieuse en France, non-seulement parmi les musiciens, mais aussi parmi les gens du monde. Du moment que Rameau eût adopté l'idée de faire ressortir toute l'harmonie de certains phénomènes physiques, il fut obligé de recourir à des inductions forcées; car toute harmonie n'est point renfermée dans l'accord parfait majeur. L'accord parfait mineur était indispensable à son système; il imagina je ne sais quel frémissement de corps sonore qui, selon lui, faisait entendre cet accord à une oreille attentive, bien que d'une manière moins distincte que l'accord parfait majeur. Au moyen de cette disposition il n'avait plus qu'à ajouter ou retrancher des sons à la tierce supérieure ou inférieure de ses deux accords parfaits pour trouver une grande partie des accords en usage de son temps, et de cette manière il obtint un système complet où tous les accords se liaient entre eux. Bien que ce système reposât sur des bases très fragiles, il avait l'avantage d'être le premier qui présentât de l'ordre dans les phénomènes harmoniques. D'ailleurs Rameau avait le mérite d'être aussi le premier qui eût aperçu le mécanisme du renversement des accords; à ce titre, il méritait d'être placé au [-96-] rang des fondateurs de la science harmonique. Il est fâcheux qu'il ait gâté l'utilité que ses découvertes pourraient avoir pour la science par l'idée de sa basse fondamentale, qu'il composait des sons graves des accords primitifs, et pour laquelle il avait établi des règles de fantaisie qui ne pouvaient avoir qu'une application forcée dans la pratique.

Dans le temps où Rameau produisait son système en France, Tartini, célèbre violoniste italien, en proposait un autre qui était aussi fondé sur une expérience de résonnance. Par cette expérience, deux sons aigus qu'on faisait entendre à la tierce en faisaient résonner un troisième au grave, également à la tierce du son inférieur, ce qui donnait encore l'accord parfait. Là dessus, Tartini avait établi une théorie obscure que Jean Jacques Rousseau vanta au détriment du système de Rameau, quoiqu'il ne l'entendit pas, mais qui n'eut jamais de succès. Les systèmes d'harmonie étaient devenus une sorte de mode; chacun voulut avoir le sien et le fit prôner. La France vit éclore presque dans le même temps ceux de Baillière, de Jamard, de l'abbé Roussier et beaucoup d'autres qui sont maintenant ignorés et qui méritent de l'être.

[-97-] Marpurg avait tenté d'introduire en Allemagne le système de Rameau, mais sans succès. Kirnberger, célèbre compositeur et théoricien profond, venait de découvrir la théorie des prolongations, qui explique d'une manière satisfaisante et naturelle des harmonies qu'aucune autre théorie ne peut expliquer. Plus tard, Monsieur Catel reproduisit en France cette même théorie d'une manière plus simple et plus claire, dans le traité d'harmonie qu'il composa pour le Conservatoire de Musique. S'il m'est permis de parler de mes travaux, je dirai que j'ai complété cette même théorie par l'explication du mécanisme de la substitution, et de la combinaison de cette même substitution avec les prolongations et les altérations.

Depuis Sauveur, l'acoustique a fait de grands progrès; mais ces progrès ont eu peu d'influence sur ceux de la théorie de l'harmonie. Les découvertes de Chladni et de Monsieur le baron Blein sur les harmonies produites par les résonnances des corps sonores de diverses dimensions finiront, je crois, par fournir une doctrine complète sur l'existence des différens accords dans les phénomènes physiques, et la coïncidence de ces phénomènes et de la [-98-] théorie qu'on en déduit avec ce que nous enseignent nos sensations, offrira de l'intérêt à ceux qui aiment à réfléchir sur la liaison des causes physiques aux morales. Mais il ne faut pas oublier que l'harmonie ayant son principe dans nos sensations, la théorie, sous le rapport de l'art, est toute métaphysique. Tous les phénomènes de résonnance qui ont occupé les géomètres n'existassent-ils point, la théorie de l'harmonie, considérée sous le rapport des sensations, ne serait pas moins réelle. Cette théorie peut se présenter sous divers aspects, parce que les accords ont différentes proprietés dont un auteur ne saisit quelquefois qu'un côté; mais les dissidences qui semblent exister entre les auteurs des diverses méthodes en usage sont de peu d'importance, n'y ayant guère de différence réelle entre celles-ci que dans la durée des études qu'elles exigent. Ce qui prouve ce que j'avance, c'est qu'elles finissent par mener toutes au but, qui est la pratique.

[-99-] CHAPITRE X.

De l'art d'écrire la musique. Contrepoint. -- Canons. -- Fugue.

Dans la poésie, comme dans quelques-uns des arts du dessin, la composition se présente à l'imagination du poète ou de l'artiste sous la forme d'une idée simple qui s'exprime comme elle se conçoit, c'est-à-dire sans complication d'élémens. Il n'en est pas de même en musique. Dans cet art, tout est complexe; car composer n'est pas seulement imaginer des mélodies agréables, ou trouver l'expression vraie des divers sentimens qui nous agitent, ou faire de belles combinaisons d'harmonie, ou disposer les voix d'une manière avantageuse, ou inventer de beaux effets d'instrumentation: c'est faire à la fois tout cela, et beaucoup d'autres choses encore. Dans un quatuor, dans un choeur, dans une ouverture, dans une symphonie, chaque voix, chaque instrument a une marche particulière, et de tous ces mouvemens se forme l'ensemble de la musique. Que l'on [-100-] juge d'après cela de la complication qui embarrasse cette opération de l'esprit qu'on nomme composition, et des études qui sont nécessaires pour vaincre tous les obstacles d'un art si difficile!

Il fut un temps où l'on ne pouvait pas dire que les musiciens composaient: seulement ils arrangeaient des sons. Ce temps renferme près de trois siècles, c'est-à-dire depuis la fin du treizième jusque vers 1590. Quelques misérables cantilènes populaires et le plain-chant de l'église étaient les seules mélodies qu'on connût; il n'était pas rare de voir le même chant de cette espèce servir de thème obligé à vingt compositions différentes, et s'appliquer indifféremment à toute espèce de paroles. Nulles traces d'expression, d'enthousiasme, de passion ni d'élévation ne se font remarquer dans la foule de messes, de motets, de chansons à plusieurs voix et de madrigaux qui virent alors le jour: singularité d'autant plus remarquable que c'est précisément dans le même temps que la fermentation des imaginations fut la plus ardente en idées religieuses, en philosophie,

en poésie, en peinture, que le génie de l'homme s'est élevé aux plus hautes régions, et que ses [-101-] passions se sont développées avec le plus de violence. Mais libre de toute entrave, la pensée du poète pouvait en un instant créer des beautés sublimes, comme fit le Dante, sans être arrêté par les difficultés d'un art matériel; instruit par ce qui était sous ses yeux, le peintre ne pouvait tarder à s'apercevoir que l'imitation de la nature devait être le but de ses travaux; avertis par l'excès des maux qui accablaient l'humanité, le philosophe, le jurisconsulte, le théologien, n'avaient besoin que de laisser éclater leur indignation pour parler avec éloquence de la liberté, des lois et de la religion. Dans tout cela, comme je l'ai dit, les idées sont simples, le génie trace la route et la science vient après. En musique, ce fut le contraire. Il fallut d'abord que les musiciens s'occupassent du soin de créer les ressources matérielles de leur art; mais dans la recherche de ses moyens ils se trompèrent, et crurent marcher vers le but.

Leur erreur fut un bien; car il ne fallait pas moins que toute la persévérance de leurs efforts pour débrouiller le chaos des formes variées que peut prendre l'enchaînement des sons. Que de combinaisons harmoniques dans [-102-] les ouvrages de ces vieux maîtres! que d'adresse dans le maniement des difficultés. Habitués que nous sommes à faire usage des procédés qu'ils nous ont enseignés, nous n'y voyons que des subtilités scolastiques; mais ceux qui ont fait cette science étaient des hommes de génie.

Un mot presque barbare, qui n'a plus depuis long-temps qu'une signification traditionnelle, sert à exprimer l'opération d'écrire la musique selon de certaines lois: ce mot est celui de contrepoint. Il paraît tirer son origine de ce que, dans quelques notations particulières du moyen âge, on écrivait la musique avec des points, dont les distances respectives entre plusieurs voix s'appelaient point contre-point (punctum contra punctum); par contraction on a dit contrepoint. Les musiciens de profession appellent celui qui enseigne l'art d'écrire en musique un professeur de contrepoint: les gens du monde lui donnent le nom de maître de composition; cette dernière locution est vicieuse, car on n'apprend point à composer. Si le contrepoint était autrefois l'art d'arranger des points contre des points, c'est maintenant celui de combiner des notes avec des notes. Cette opération serait certainement [-103-] longue, fatigante et destructive de toute inspiration, si le compositeur ne parvenait, au moyen d'études bien faites dans la jeunesse, à se rendre familières toutes ces combinaisons, de telle sorte qu'elles ne soient pour lui que comme les règles de la grammaire, auxquelles personne ne pense en écrivant ou en parlant. Ce qu'on nomme la science en musique n'est une science véritable qu'autant qu'elle est devenue une habitude qui ne distrait point l'imagination.

De quelque manière que la pensée du compositeur soit dirigée dans l'arrangement des voix ou des instrumens, il ne peut faire que cinq opérations différentes, qui sont: premier de donner à chaque partie des notes d'égale durée; deuxième de faire la durée des notes d'une voix plus rapide de moitié que celles d'une autre; troisième de les réduire dans une partie au quart de la valeur de celle d'une autre; quatrième de lier les notes en syncopes dans une partie, tandis qu'une autre marche en suivant les temps de la mesure; cinquième de mêler ensemble ces divers genres de combinaisons, en y joignant les accidens du point et différentes sortes d'ornemens. La décomposition de ces diverses combinaisons a fourni [-104-] cinq espèces de contrepoints ou études, qu'on appelle contrepoints simples de première, de seconde, de troisième, de quatrième et de cinquième espèce. Ces études se font sur un chant choisi ou donné, et l'on commence ordinairement par écrire à deux voix, puis à trois, à quatre, à cinq, à six, à sept et à huit. Plus le nombre de voix augmente, plus les combinaisons se compliquent; si l'on écrit à trois parties, par exemple, on peut mettre une seule note à une voix, tandis qu'il y en a deux à la seconde, et quatre à la troisième; à quatre parties on peut y joindre la syncope, et cetera. On conçoit que de pareilles études souvent répétées enseignent à prévoir tous les cas, à vaincre toutes les difficultés, et cela sans efforts et presque sans y penser. On se persuade en général qu'un musicien instruit écrit avec plus de calcul que celui qui n'a jamais fait d'études; mais c'est une erreur: je crois même que le contraire a lieu, et qu'à tout prendre, celui qu'on nomme par dérision un musicien savant, quand il est vraiment digne de ce nom, écrit moins péniblement que celui qui, n'ayant point fait d'études, peut être à chaque instant arrêté par des difficultés qu'il n'a point prévues.

[-105-] Le contrepoint simple, dont il vient d'être parlé, est la base de toute composition, car ses applications sont de tous les instans, de toutes les circonstances; on ne peut écrire quelques mesures avec élégance sans en faire usage, et celui qui en parle avec le plus de mépris en fait comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. Il n'en est pas de même de ce qu'on nomme contrepoint double; celui-ci est fondé sur de certaines conditions dont l'usage est limité. Un compositeur dramatique peut écrire un grand nombre d'opéras sans avoir occasion de s'en servir; mais dans la musique instrumentale et dans la musique d'église, cette espèce de contrepoint est fréquemment employée. En écrivant du contrepoint simple, le compositeur n'est occupé que de l'effet immédiat de l'harmonie; mais dans le contrepoint double il faut encore qu'il sache ce que cette harmonie deviendrait si elle était renversée, c'est-à-dire si ce qui est aux parties supérieures passait à la basse, et réciproquement; en sorte que l'opération de son esprit est réellement double.

Lorsque le contrepoint peut être renversé à trois parties différentes, on lui donne le nom [-106-] de contrepoint triple; s'il est susceptible d'être renversé à quatre parties, il s'appelle contrepoint quadruple.

Le renversement peut s'opérer de plusieurs manières. S'il consiste dans un simple changement d'octave entre les parties, c'est-à-dire si ce qui était aux voix graves passe à l'aigu, et réciproquement, sans changer le nom des notes, on appelle cette faculté de renversement contrepoint double à l'octave. Si le renversement peut s'opérer à l'octave de la quinte, soit supérieure, soit inférieure, on appelle la composition contrepoint double à la douzième; enfin si l'arrangement de l'harmonie est tel que le renversement puisse avoir lieu à l'octave de la tierce supérieure ou inférieure, c'est un contrepoint à la dixième. Le contrepoint double à l'octave est plus satisfaisant pour l'oreille que les deux autres; il est aussi d'un usage plus général.

Lorsqu'il s'agit de développer un sujet, une phrase, un motif, et de les présenter sous toutes les formes, comme Haydn et Mozart l'ont fait dans leurs quatuors et leurs symphonies, Haendel dans ses oratorios, et Monsieur Chérubini dans ses belles messes, le contrepoint [-107-] double offre des ressources immenses que rien ne pourrait remplacer; mais dans la musique dramatique, où ce développement d'une même idée musicale nuirait à l'expression et mettrait à la place de la vérité une affectation pédantesque, ce contrepoint serait non-seulement inutile en beaucoup d'occasions, mais même souvent nuisible. Le goût et l'expérience doivent guider le compositeur à cet égard.

Jusqu'ici l'on a vu que la science ne se composait que d'objets utiles ou nécessaires; nous allons la considérer dans ses abus et aberrations. Comment qualifier en effet ces bizarres arrangemens de sons qu'on appelle contrepoints rétrogrades, c'est-à-dire allant à reculons, contrepoints par mouvement contraire, dans lesquels les voix se meuvent dans des directions opposées, contrepoints rétrogrades contraires, ou à retourner le livre, contrepoints inverses contraires, qui sont encore plus compliqués? Tout cela, je le répète, est l'abus de la science. L'oreille souffre des entraves que le musicien s'est imposées, et n'en tire aucun profit. Ces vaines subtilités n'existent que pour l'oeil. Il ne faut pas croire toutefois que ce soient ces logogryphes musicaux qui ont [-108-] donné aux gens du monde leurs préjugés invincibles contre la science, car il y a long-temps qu'ils ne font plus partie de la musique usuelle et qu'ils sont relégués dans la poussière de l'école. Ils n'ont même jamais eu grand crédit: quelques maîtres pédans du seizième et du dix-septième siècles sont les seuls qu'on puisse accuser d'avoir essayé de les substituer à la science véritable. Ce sont ces musiciens qui avaient imaginé des bizarreries telles que le contrepoint sauté, dans lequel il était défendu de faire agir les voix par mouvemens conjoints, le contrepoint lié, où l'on s'interdisait toute espèce de saut de tierce, de quarte, et cetera; le contrepoint obstiné, qui n'admettait qu'un seul trait répété sans cesse par une voix pendant que les autres cheminaient à l'ordinaire, et mille autres folies qu'il serait trop long de détailler. Le monde et les musiciens ont fait justice de cette dégradation d'un art dont la destination véritable est d'émouvoir, et non de se transformer en énigmes.

Certaines formes de convention, qu'on nomme imitations, canons et fugues, sont cependant fort utiles et ne partagent pas le discrédit de celles dont il vient d'être parlé. J'oserais [-109-] presque dire qu'on en tire des effets plus grands, plus majestueux, plus variés que de toutes les autres combinaisons de la musique. Les personnes qui ont entendu dans l'institution royale de musique religieuse dirigée par Monsieur Choron les compositions de Palestrina, de Clari et de Haendel; celles qui ont assisté dans la chapelle du roi à l'exécution des belles messes de Monsieur Chérubini; celles enfin qui se rappellent les effets des symphonies de Haydn, de Mozart ou de Beethoven, et qui n'ont point oublié la puissance magique des ouvertures de la Flûte enchantée, et de Don Juan, toutes ces personnes, dis-je, me comprendront lorsqu'elles sauront que toutes ces belles créations ont pour bases ces mêmes formes de convention auxquelles le génie a su donner de la vie. Il est nécessaire que j'explique en quoi consistent ces formes.

Dans l'analyse de la musique, on rencontre quelquefois de certaines phrases dont le caractère est plus prononcé que celui des autres, et qui offrent l'avantage de pouvoir être répétées plusieurs fois en contribuant à augmenter l'effet général du morceau. Mais si la même voix ou le même instrument étaient [-110-] toujours employés pour faire cette répétition de phrases, celles-ci deviendraient monotones et fatigantes: il y a donc de l'avantage à faire passer la phrase qu'on veut répéter d'une partie dans une autre et même, pour plus de variété, à la transporter tantôt à une quarte, tantôt à une quinte ou à une octave plus haut ou plus bas. La phrase principale ainsi conduite d'une partie dans une autre et variée de position, prend le nom d'imitation, parce que les voix ou les instrumens s'imitent mutuellement, et l'on dit que l'imitation est à la quarte, à la quinte ou à l'octave, selon le degré d'élévation où elle se fait. Pour donner un exemple d'imitation connue de tout le monde, je citerai la scène des ténèbres de l'opéra de Moïse, par Rossini, où la phrase d'accompagnement passe alternativement d'un instrument à un autre.

L'imitation est libre en ce qu'elle ne se fait pas toujours avec exactitude depuis le commencement d'une phrase jusqu'à la fin. Mais il est des espèces d'imitations plus rigoureuses, qui non-seulement se poursuivent dans toute l'étendue d'une phrase, mais qui se continuent même pendant toute la durée d'un morceau: celles-là prennent le nom de canons. Ce genre [-111-] de musique était autrefois fort à la mode dans la société: on les chantait à table, et presque toujours les paroles en étaient burlesques. Tout le monde connaît celui qui commence par ces mots: Frère Jacques, dormez-vous? Ils étaient tous faits sur ce modèle. Vincenzo Martini est le premier qui ait introduit les canons au théâtre, dans son opéra de la Cosa rara. Ils sont devenus depuis lors d'un usage fréquent: Rossini et ses imitateurs en ont mis dans presque tous leurs ouvrages; mais leurs canons diffèrent de celui de Martini, en ce que ces compositeurs se bornent presque toujours à faire la phrase principale d'un chant agréable, négligeant tout ce qui sert à l'accompagnement, au lieu que le canon de Martini, comme ceux de tous les maîtres qui ont su faire ce genre de musique, se compose d'autant de phrases qu'il y a de voix, et celles-ci se servent mutuellement d'accompagnement, en passant alternativement d'une partie dans l'autre. Pour écrire de bons canons de cette espèce, il faut avoir fait de bonnes études musicales qu'on ne fait plus en Italie. Monsieur Chérubini en a composé beaucoup qui sont d'un bel effet et d'une grande pureté de style.

L'imitation des canons peut se faire comme [-112-] l'imitation libre, à la quarte, à la quinte, à l'octave, et même à tous les intervalles; c'est ce que signifient ces mots qu'on voit souvent écrits sur la musique: Canon à la quarte, Canon à la quinte inférieure, et cetera. La voix qui commence le canon se nomme l'antécédent; celle qui l'imite prend le nom de conséquent.

Quelquefois le canon est double: c'est-à-dire qu'on rencontre de ces canons où deux parties commencent à la fois deux chants différens, et sont suivies de deux autres parties qui les imitent. Il y a aussi des canons où l'imitation se fait par mouvement contraire, ce qui signifie que tout ce qui se fait en montant par une voix se fait en descendant par celle qui imite, et réciproquement. Enfin, dans les anciennes écoles de musique, on faisait une foule de canons où l'on s'imposait des conditions bizarres comme celles des contrepoints dont j'ai parlé, et même plus singulières encore: par exemple, il fallait que toutes les notes blanches de l'antécédent devinssent noires dans le conséquent, ou qu'on supprimât toutes les noires pour ne laisser que les blanches, et cetera. Les maîtres de ces écoles se faisaient entre eux des espèces de défis et s'envoyaient des canons composés d'après [-113-] ces conditions bizarres, dont ils gardaient le secret. Ils les écrivaient sur une seule ligne, afin que leurs adversaires fussent obligés d'en chercher la solution, et les enveloppaient à dessein d'autant de difficultés qu'ils pouvaient. C'étaient des espèces d'énigmes où chacun s'efforçait de montrer son adresse et sa perspicacité. Le maître qui aurait refusé un pareil défi ou qui aurait échoué dans la recherche de la solution du canon aurait été déshonoré.

Mais comme dans toute espèce de combat il y a des règles qu'on ne peut enfreindre, il y en avait une dans les défis de canons qui obligeait l'auteur d'un canon énigmatique à l'accompagner d'une devise propre à faciliter la recherche de la solution. Les livres des vieux maîtres du seizième et du dix-septième siècles nous ont transmis une collection de ces devises, dont voici quelques-unes.

Clama ne cesses, ou Otia dant vitia, faisaient connaître que le conséquent devait imiter toutes les notes de l'antécédent en supprimant les silences.

Nescit vox missa reverti, ou Semper contrarius esto, ou enfin In girum imus noctu ecce ut consumimur igni, indiquaient que le conséquent [-114-] devait imiter l'antécédent par mouvement rétrograde. Remarquez que dans cette dernière devise toutes les lettres prises à rebours forment les mêmes mots qu'en lisant de gauche à droite.

Sol post vesperas declinat signifiait qu'à chaque reprise le canon baissait d'un ton.

Caecus non judicat de colore indiquait que les notes noires de l'antécédent devaient se convertir en blanches dans le conséquent. Et ainsi des autres.

Toutes ces subtilités n'allaient guère au but de l'art; mais elles étaient dans le goût de ces temps de pédantisme.

L'imitation peut prendre une forme périodique et parfois interrompue pour être reprise ensuite: dans ce cas on lui donne le nom de fugue, qui vient de fuga, fuite, parce que, dans une imitation de cette espèce, les parties semblent se fuir dans les reprises du motif. La fugue, lorsqu'elle est bien faite et lorsqu'elle est maniée par un homme de génie, comme Jean-Sébastien Bach, Haendel ou Monsieur Chérubini, est la plus majestueuse, la plus énergique et la plus harmonieuse de toutes les formes musicales. On ne peut l'employer avec succès dans la musique dramatique, parce que sa marche [-115-] très développée nuirait à l'intérêt de la scène; mais dans la musique instrumentale, et surtout dans la musique d'église, elle produit des effets admirables, d'un ordre tout particulier. Le magnifique alleluia du Messie de Haendel, et les fugues des messes de Monsieur Chérubini, que chacun a pu entendre à Paris, sont des modèles de ce genre de beautés. Toutefois, il le faut avouer ces beautés sont de celles qu'on ne peut goûter qu'après s'y être accoutumé, parce que la complication de leurs élémens demande une oreille attentive et exercée. On peut lui appliquer ce vers de Boileau:

C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

La fugue n'a pas toujours eu la forme qu'on lui connaît aujourd'hui; comme toutes les autres parties de l'art musical, elle s'est perfectionnée lentement. Les diverses parties qui la composent sont maintenant le sujet, les contre-sujets, la réponse, l'exposition, les épisodes ou divertissemens, les reprises modulées, les strettes et la pédale.

La phrase qui doit être imitée se nomme le sujet. Cette phrase est ordinairement accompagnée par d'autres qui forment avec elle un [-116-] contrepoint double, c'est-à-dire susceptible d'être renversé de manière à échanger leur position en passant alternativement des voix inférieures aux supérieures, et de celles-ci aux inférieures: ces phrases d'accompagnement s'appellent contre-sujets. Lorsque la fugue est écrite pour quatre voix ou pour quatre parties instrumentales, il y a ordinairement un contresujet: dans ce cas, elle est susceptible d'être riche d'harmonie, et libre dans ses mouvemens. Quelquefois le compositeur emploie deux contre-sujets: on dit alors que la fugue est à trois sujets. Une fugue semblable est plus difficile à faire; mais elle est plus sèche, plus scolastique et moins variée.

L'imitation du sujet se nomme la réponse. Cette réponse ne peut pas être en tout semblable au sujet, parce que si celui-ci module d'un ton quelconque à un ton analogue, il faut que la réponse ramène l'oreille de ce ton nouveau dans le ton primitif, car c'est précisément dans cette sorte de promenade d'un ton dans un autre que consiste l'intérêt de la fugue. La marche inverse que l'on suit dans la réponse à l'égard du sujet oblige à un léger changement d'intervalle qu'on appelle mutation. Ce qu'il y a de [-117-] remarquable, c'est qu'on juge de l'habileté d'un musicien sur l'adresse avec laquelle il saisit le point de la réponse où il faut faire la mutation dans un sujet donné; sur cent musiciens instruits à bonne école, il n'en est pas un qui ne fasse cette mutation au même endroit; tandis que ceux dont les études ont été mal dirigées ne sont jamais certains de réussir à la faire comme il faut: c'est comme une espèce de pierre de touche de leur savoir; aussi quand on dit de l'auteur d'une fugue, il a manqué la réponse, on ne peut rien ajouter de plus méprisant.

L'exposition se compose d'un certain nombre de reprises du sujet et de la réponse, après lesquelles viennent les épisodes, qui se composent ordinairement d'imitations formées de fragmens du sujet et du contre sujet. Ce sont ces épisodes qui jettent de la variété dans la fugue, et qui servent à moduler. Lorsque le compositeur juge qu'il s'est assez étendu sur les développemens du sujet, il rentre dans le ton primitif, et fait ce qu'on appelle la stretta ou les strettes, mot qui vient de l'italien stretto, parce que ces strettes sont des imitations plus vives du sujet et de la réponse. Cette partie de la fugue est la plus brillante, [-118-] et c'est celle où le compositeur peut mettre le plus d'effet. Quand le sujet est favorable, il y a plusieurs strettes de plus en plus vives. Elles se terminent ordinairement par une pédale où toutes les richesses de l'harmonie sont réunies.

Rousseau a dit qu'une belle fugue est l'ingrat chef-d'oeuvre d'un bon harmoniste. On n'était point assez avancé dans la musique en France, du temps de Rousseau, pour sentir le prix d'une belle fugue, et cet écrivain n'avait jamais eu l'occasion d'en entendre de semblables.

Ce n'est que vers le commencement du dix-huitième siècle qu'on a fait des fugues dans le système que je viens d'analyser. Jusque là on n'avait eu que du contrepoint fugué, c'est-à-dire du contrepoint à quatre, cinq, six ou sept parties, dont le sujet était pris dans les antiennes et les hymnes du plain-chant, avec des imitations et des canons. Ce genre de compositions fuguées se désigne sous le nom de contrepoint alla palestrina, parce qu'un célèbre compositeur nommé Palestrina, qui vivait dans le seizième siècle, en a porté le style au plus haut point de perfection. Dans ce genre [-119-] de musique, en apparence si sec et si peu favorable aux inspirations, Palestrina a su mettre tant de majesté, un sentiment religieux si calme et si pur, qu'il semble avoir écrit toutes ces difficultés scientifiques sans peine, uniquement occupé de rendre dignement le sens des textes sacrés. Lorsque ses motifs sont exécutés avec la tradition parfaite d'exécution de la chapelle sixtine, l'impression qu'ils laissent ne peut être égalée par aucune autre, sous le rapport de la grandeur des proportions. A l'époque où ce maître écrivait, on n'avait point encore imaginé de considérer la musique sous le rapport dramatique. De nos jours, ce besoin de dramatique se porte dans tous les styles, même dans celui de la musique d'église; il en est résulté de grandes beautés, mais il me semble que, sous le rapport de la convenance et de l'élévation des sentimens religieux, le contrepoint fugué de Palestrina l'emporte sur elles.

D'après ce qui vient d'être dit, on peut se former une idée du mécanisme des compositions scientifiques, et de l'utilité dont elles peuvent être. Si j'ai su me faire comprendre, bien des amateurs renonceront à leurs préjugés [-120-] contre la science, et avoueront que c'était un ridicule de vouloir que les musiciens ne sussent pas ce qu'ils faisaient pour écrire de bonnes choses. Si l'art d'écrire en musique est quelquefois entaché d'un air de pédantisme, ce n'est pas la science qu'il en faut accuser, mais des esprits mal organisés qui en ont fait usage. Et remarquez que la science n'a jamais cet air qu'entre les mains de musiciens qui ne sont réellement point savans. Cette science, pour être réelle, a besoin d'être tournée en habitude, afin que celui qui la possède ne s'en souvienne plus, ce qui ne peut avoir lieu que lorsqu'elle a été étudiée dans la jeunesse; car il est trop tard pour songer à réformer par la science des habitudes vicieuses, quand elles sont contractées. Plus le compositeur dont les études ont été mal faites a de talent naturel, moins il peut se corriger quand il n'est plus jeune. S'il s'obstine, il perd les qualités qu'il tient de la nature, il s'alourdit et devient pédant.

[-121-] CHAPITRE XI.

De l'emploi des voix.

A quelque degré de perfection que parvienne un instrumentiste, il sera toujours difficile qu'il exerce sur des masses populaires une puissance égale à celle qui est dévolue à la voix humaine, lorsque celle-ci sera dirigée par un bon sentiment et perfectionnée par de bonnes études. Il n'est même pas besoin de faire preuve d'une grande habileté de mécanisme pour faire naître dans l'ame des impressions vives et fortes par les voix; l'harmonie même n'est pas nécessaire: l'unisson suffit. Je citerai à cet égard un des effets les plus étonnans qu'on puisse entendre: c'est celui de quatre ou cinq mille enfans des établissemens de charité qui, à Londres, dans l'église de Saint-Paul, chantent à l'unisson des cantiques, certain jour de l'année, avec simplicité et candeur. Les plus grands musiciens, Haydn entre autres, ont avoué que tout ce qu'ils avaient entendu de plus beau n'approchait pas de l'effet prodigieux qui naît de la réunion de ces voix [-122-] enfantines à l'unisson le plus parfait qu'on puisse imaginer. Il y a quelque chose d'attractif, de sympathique dans cet effet, car les personnes dont la sensibilité est la moins expansive n'ont pu retenir les larmes qu'il leur arrachait. A cet exemple de la puissance des voix à l'unisson, on pourrait en ajouter quelques-uns tirés des ouvrages dramatiques; toutefois il est utile de dire que ces effets ne réussissent qu'avec de grandes masses, et qu'en général l'harmonie offre plus de ressources.

Les choeurs à grand nombre de parties étaient en usage dès le seizième siècle, particulièrement en Italie; plus tard, on imagina de diviser ces voix en plusieurs choeurs de quatre parties chacun, et de placer dans les grandes églises plusieurs orgues pour accompagner ces choeurs; mais outre qu'il est difficile de mettre de l'ensemble dans l'exécution d'une musique si compliquée, l'effet qu'on en obtenait ne répondait presque jamais à l'idée qu'on s'en était formée. On a fini par s'apercevoir que des choeurs bien écrits à trois ou quatre parties réelles ont plus d'énergie, d'exactitude et même d'harmonie. En général l'usage des choeurs à quatre parties a prévalu. [-123-] Les genres de voix qui entrent dans leur composition sont le soprano ou dessus, le contralto ou haute-contre, le tenore, qu'on appelait autrefois en France la taille, et le basso ou basse.

La partie de contralto était chantée autrefois en Italie par des castrats, dont le timbre de voix a quelque chose de pénétrant que rien ne peut remplacer. Cependant la coutume de mutiler des hommes pour en faire des chanteurs ne s'étant jamais établie en France, on y remplaçait le contralto par des hautes-contres, genre de voix qui ne se rencontre guère que dans le Languedoc, et particulièrement dans les environs de Toulouse. La même cause a fait disparaître presque entièrement de la musique les castrats et les hautes-contres; cette cause est la révolution française, qui, nous ayant mis en possession de l'Italie, a fait abolir la coutume de la castration, et qui, ayant détruit les maîtrises de cathédrales, a privé les habitans du Languedoc de l'instruction musicale qu'ils y recevaient sur les lieux.

De la disparition presque totale de deux espèces de voix si utiles est résulté un assez [-124-] grand embarras dans la disposition des choeurs et dans leur exécution. L'essai des voix de femme en contralto pour remplacer les castrats ne fut point heureux, parce que ces voix manquent de timbre dans le bas; et l'emploi des ténores pour tenir lieu des hautes-contres ne le fut pas davantage, parce que la musique écrite pour celles-ci se trouvait trop haute pour les autres. Cette double difficulté a déterminé plusieurs compositeurs à écrire leurs choeurs à quatre parties pour deux voix de femme, soprano et mezzo soprano, tenore et basse. Par ce moyen, l'harmonie s'est trouvée remplie sans sortir des bornes des voix: le ténore s'est seulement élevé de deux ou trois notes au-dessus des bornes étroites dans lesquelles il était autrefois renfermé.

Dans le dessein de ne point appauvrir les dessus en les divisant en deux parties, Monsieur Chérubini a imaginé d'écrire dans quelques-unes de ses messes des choeurs à trois parties, composés seulement du soprano, du ténore et de la basse, et a su tirer les plus beaux effets de cette disposition, malgré sa pauvreté apparente; mais il faut tout le savoir d'un maître tel que lui pour [-125-] surmonter les difficultés qui s'y rencontrent, et pour produire de pareils effets avec des moyens si bornés.

Rossini et ses imitateurs, mus par le désir de remplir leur harmonie, ont pris un autre parti à l'égard des choeurs: il consiste à les écrire presque toujours à cinq ou six parties, savoir, deux basses, deux ténores, premier et second dessus. Cette abondance apparente n'est toutefois qu'une véritable stérilité, car les voix intermédiaires redoublent à chaque instant les mêmes notes et les mêmes mouvemens. Une pareille méthode n'est applicable qu'à des choeurs dont l'harmonie sans mouvement se désigne sous le nom d'harmonie plaquée: c'est en effet celle qui est en usage dans cette école. Elle séduit la multitude par son remplissage; mais les oreilles exercées et délicates sont à chaque instant blessées de ses imperfections.

L'emploi des voix dans la distribution des rôles de théâtres se fait toujours en Italie de la manière la plus convenable pour obtenir le meilleur effet possible dans les morceaux d'ensemble. Ainsi l'on trouve dans presque tous les ouvrages deux basses, un ou deux ténores, une prima donna contralto ou mezzo soprano [-126-] et un soprano; ce qui, dans la réunion des voix, offre l'ensemble d'harmonie le plus complet. Il n'en est pas de même en France, où c'est presque toujours le poète qui décide du choix des acteurs, en raison du physique et de certaines qualités qui n'ont point de rapport à la musique. L'habitude que l'on a d'ailleurs de désigner les emplois par les noms des acteurs qui s'y sont distingués, encombrent nos théâtres de voix de même espèce, parce que ces emplois ne diffèrent que par des nuances indifférentes pour la musique. Ainsi l'on a des Elleviou, des Philippe, des Gavaudan, des Laruette et des Trial, qui étaient des amoureux ou des comiques, et dont les voix étaient des ténores; tous les emplois ont des doubles, en sorte que les ténores abondent dans nos grands théâtres, tandis qu'on n'y trouve qu'une ou deux basses. Or, cette dernière espèce de voix étant destinée aux rôles de pères ou de tuteurs, il en résulte que s'il n'y a point de personnages de ce genre dans un ouvrage, le compositeur est obligé d'écrire la musique pour des ténores et des dessus. Avec ces moyens bornés on peut faire de jolis couplets, des romances, des airs et des duos agréables, mais jamais de bons morceaux d'ensemble; [-127-] jamais il n'y a d'harmonie dans les voix. Telle est l'origine du peu d'effet de la plupart des finales de nos opéras-comiques, et de l'infériorité où la musique française se trouve à l'égard de l'italienne sous ce rapport. L'harmonie vocale est une source d'effets charmans, mais on ne peut l'obtenir avec des voix de même espèce.

On trouve en Italie comme en France une sorte de voix de basse qu'on désigne sous le nom de bariton: elle tient le milieu entre la basse grave et le ténore, et produit un fort bon effet quand elle est employée dans son véritable caractère; mais dans nos théâtres, on s'est encore obstiné à en faire des ténores. Martin, Solié et Lays, qui possédaient des baritons, ont beaucoup contribué à en altérer le caractère. On semble revenir maintenant à des idées plus saines, et sentir la nécessité de renfermer les voix dans leurs bornes naturelles.

L'art d'écrire convenablement pour les voix et d'une manière favorable aux chanteurs est mieux connu des compositeurs italiens que des allemands et des français; la cause de cette différence réside dans les études de chant qui entrent dans la première éducation des compositeurs en Italie, tandis que les français et les [-128-] allemands négligent absolument ces études. Sans parler des avantages de la langue italienne, qui sont incontestables, on trouve je ne sais quoi de facile et de naturel dans la disposition des phrases, dans le caractère des traits, dans leur enchaînement et dans l'analogie du rhythme poétique avec le rhythme musical, qui favorise l'émission de la voix et l'articulation du gosier et de la langue dans le chant italien; avantages qui ne se rencontrent que bien rarement dans la musique française, et plus rarement encore dans l'allemande; car celle-ci est souvent chargée de modulations qui rendent les intonations fort difficiles. On attribuait autrefois la facilité du chant italien au cercle étroit de ses modulations et de ses formes; mais Rossini a démontré par ses ouvrages que ce cercle peut s'agrandir sans que le chant perde de ses avantages. Il est vraisemblable que la popularité que sa musique a acquise en France contribuera à améliorer notre système de chant; mais pour que la réforme soit complète, le concours des poètes et des musiciens sera nécessaire, comme je le démontrerai ailleurs.

Il est un point sur lequel les compositeurs [-129-] italiens portent toute leur attention, pour éviter la fatigue aux chanteurs; c'est celui du degré d'élévation dans lequel ils maintiennent les voix. Dans leur musique, chaque genre de voix parcourt une étendue au moins égale à celle qu'on lui donne dans la musique française; mais les traits de grande extension, soit à l'aigu, soit au grave, ne s'y présentent que de loin en loin, et la voix reste ordinairement dans son médium, tandis qu'on rencontre dans les partitions françaises des morceaux qui, sans parcourir une grande étendue, font éprouver beaucoup de fatigue au chanteur, parce qu'ils reposent long-temps sur des notes peu favorables. Les ouvrages de Grétry offrent beaucoup d'exemples de ce défaut. Une cantatrice montera sans fatigue aux sons les plus élevés de sa voix, tels que ut ou ré, tandis qu'il lui sera très pénible de chanter long-temps sur mi, fa, sol. Il en est de même des ténors, qui se partagent en deux sortes de sons très distincts, savoir, les sons de poitrine et les sons de tête, qu'on désigne quelquefois sous le nom de voix mixte. Il faut beaucoup d'art au chanteur pour affaiblir autant que possible le passage des sons de poitrine à la voix mixte, et de celle-ci aux [-130-] sons de poitrine, de manière à rendre peu sensible la différence des timbres: ce passage a lieu dans la plupart des voix de ténore entre le fa et le sol. Or, on conçoit que si le compositeur fait reposer le chant sur ces notes, il fait éprouver au chanteur une fatigue qui nuit au développement de ses moyens, et qui lui est beaucoup plus pénible que ne le serait l'obligation de monter aux sons les plus élevés de la voix de téte. Il arrive souvent aux chanteurs des accidens dont ils sont bien moins coupables que le compositeur qui les y a exposés.

Il est des intervalles que la voix ne peut franchir qu'avec beaucoup de peine, et que le chanteur ne fait entendre qu'avec timidité, parce qu'il est fort difficile de les entonner avec justesse. Ces intervalles sont ceux de quinte mineure, de quinte augmentée, de quarte majeure ou triton, de quarte diminuée et de seconde augmentée; le passage de l'une à l'autre note qui forment ces intervalles n'est pas naturel aux mouvemens du gosier, ce qui oblige le chanteur à des préparations qu'il n'a point le temps de faire dans les traits rapides. Si quelque circonstance met le compositeur dans la nécessité [-131-] d'en faire usage, il faut que ce soit au moyen de notes d'une certaine durée.

Ce ne sont pas seulement les sons que le chanteur articule qui peuvent opposer des obstacles à la justesse de son chant; il suffit que son oreille soit affectée d'une harmonie étrangère à l'intonation qu'il doit attaquer, pour qu'il n'aborde cette intonation qu'avec incertitude. Par exemple, s'il doit faire entendre ut # et si l'accord qui précède renferme ut [sqb] dans d'autres parties vocales ou dans l'accompagnement, le souvenir de cet ut [sqb] occupera l'oreille du chanteur, de telle sorte qu'il ne prendra l'ut # qu'avec timidité, et rarement avec justesse. On a donné le nom de fausses relations à ces successions de sons qui n'ont point de rapport entre eux. Les compositeurs anciens de l'école italienne les évitaient avec soin; on les trouve quelquefois dans la musique de l'école actuelle.

Le choix des mots influe aussi beaucoup sur l'émission des sons de la voix, et l'art du compositeur consiste à ne placer certains traits, certaines notes que sur des syllabes qui en facilitent l'exécution. Tel trait, telle note, qui coûtent beaucoup de peine au chanteur sur [-132-] une syllable, lui deviennent faciles sur une autre. Il est d'autant plus nécessaire d'être en garde sur ce point, lorsqu'on écrit de la musique sur des paroles françaises, que notre langue abonde en syllabes sourdes et nasales qui détournent le son de sa route naturelle. Par exemple, on ne pourra jamais donner des sons de bonne qualité, ni articuler du gosier d'une manière facile sur les syllabes on, an, en, ein, vif, et cetera; il faut donc, lorsque ces sortes de syllabes se rencontrent dans les vers lyriques, que le musicien les place dans le médium de la voix, et qu'il évite d'y placer des traits ou des sons soutenus.

[-133-] CHAPITRE XII.

Des instrumens.

La nature a établi des nuances très diverses dans les différens timbres de voix; l'art est allé plus loin dans la fabrication des instrumens, qui, dans l'origine, ont été construits à l'imitation de ces mêmes voix. Le son, comme on sait, n'est que l'air mis en mouvement et modifié de plusieurs manières; mais que de variété dans ces modifications d'un principe si simple! Quelle différence entre la nature du son d'une cloche et celle des instrumens à vent, à claviers, à archet, à cordes pincées et à frottement! Enfin, dans chacune de ces grandes divisions, que de nuances dans la qualité des sons! Et cependant, tout n'est pas fait encore, et chaque jour de nouvelles découvertes, de nouveaux perfectionnemens ouvrent de nouvelles routes où d'autres découvertes restent à faire et de nouveaux perfectionnemens à introduire.

Les instrumens les plus anciens dont il soit fait mention dans l'histoire sont les instrumens [-134-] à cordes pincées, telles que les lyres, les cythares et les harpes. Les monumens de l'antiquité nous en offrent de nombreux modèles; mais les formes sont différentes et caractéristiques chez les divers peuples. Ainsi les lyres et les cythares appartiennent particulièrement aux Grecs, aux habitans de l'Asie mineure et aux Romains; la harpe semble être le partage des habitans de la haute Asie, de l'Égypte et du nord de l'Europe.

La fable, qui se mêle en tout à l'histoire des Grecs, attribue à Mercure l'invention de la lyre, qui n'eut originairement que trois cordes. Le nombre de ces cordes fut successivement augmenté, mais il ne fut jamais porté au-delà de sept, ce qui en faisait un instrument fort borné, puisqu'il n'avait point de manche, comme nos guitares, pour qu'on pût y modifier les intonations de ces sept cordes, lesquelles conséquemment ne pouvaient rendre que sept sons différens. Il résultait de là qu'un musicien ne pouvait changer de mode sans changer de lyre. Il est difficile de se faire maintenant une idée nette de la différence qu'il y avait entre la lyre proprement dite et ses variétés, nommées chélys ou cythare. Les [-135-] poètes emploient indifféremment l'un de ces noms pour l'autre, et les détails qu'on trouve dans Athénée et dans quelques auteurs sont insuffisans pour nous éclairer à cet égard. Tout ce qu'on sait, c'est que ces instrumens se pinçaient quelquefois avec les doigts, mais plus souvent avec une espèce de crochet qu'on appelait plectre, ce qui prouve qu'on ne faisait sonner qu'une corde à la fois.

L'origine de la harpe est environnée d'obscurité. On la trouve dans l'Inde, en Égypte, sur les monumens les plus antiques, chez les Hébreux, en Italie, chez un ancien peuple nommé Arpe, chez les Scandinaves et dans l'ancienne Angleterre, sans pouvoir découvrir si tous ces peuples l'avaient reçue par communication, ou s'ils l'avaient inventée simultanément. L'usage de la harpe chez les anciens peuples de l'Inde et de l'Égypte fait présumer que les Grecs et les Romains en ont eu connaissance, et qu'ils s'en servaient; mais le nom que nous lui donnons ne se rencontre chez aucun des écrivains de l'antiquité. On croit généralement que le trigone ou sambuque n'était que cet instrument. Un savant commentateur des poésies de Callimaque a prouvé que tous les instrumens [136-] à cordes obliques, tels que le nablum, le barbitos, le magade, le psalterium et la sambuque, dont il est parlé dans l'Écriture sainte et dans les écrits de l'antiquité, étaient du genre de la harpe, et d'origine phénicienne, chaldaïque ou syrienne. A l'égard des Romains, on croit que l'instrument qu'ils nommaient cinnara n'est autre chose que la harpe, et que ce nom n'est que la traduction de kynnor ou kinnar, qui, dans le texte hébreu de l'Écriture sainte, désigne la harpe de David. Le nombre des cordes de la harpe antique était de treize dans l'origine; mais ce nombre s'est successivement augmenté jusqu'à vingt, et même jusqu'à quarante. Ces cordes étaient faites de boyaux comme celles de nos harpes, ainsi qu'on le voit par une épigramme grecque de l'Anthologie. Les peuples de l'antiquité ne paraissent pas avoir eu connaissance des cordes d'acier ni de laiton; mais plusieurs auteurs assurent qu'ils faisaient usage, dans l'origine, de cordes de lin; ce qui est difficile à croire, car de pareilles cordes ne pouvaient produire qu'un son sourd et presque nul.

D'abord la harpe n'eut aucun moyen de modulation, parce qu'il était impossible d'y mettre [-137-] un assez grand nombre de cordes pour représenter tous les sons qui correspondent aux notes exprimées par les dièses et les bémols. Ce ne fut que vers 1660 qu'on imagina, dans le Tyrol, d'ajouter des crochets à l'instrument pour élever l'intonation des cordes lorsque cela était nécessaire; mais l'obligation de se servir des mains pour faire mouvoir les crochets était fort gênante; un luthier de Donawerth, nommé Hochbrucker, inventa en 1720 une mécanique qu'on faisait mouvoir avec les pieds, et qui de là prit le nom de pédale. Quoique fort imparfaites, les pédales étaient utiles. Mais la difficulté de mouvoir les pieds en même temps que les mains, difficulté à laquelle on n'était point habitué, fit rencontrer beaucoup d'obstacles à l'inventeur. En 1740, la harpe à pédales n'était point encore connue en France: ce fut un musicien allemand nommé Stecht, qui l'y introduisit. Hochbrucker, neveu du luthier, et bon harpiste pour le temps, en perfectionna l'usage vers 1770. Mais ce fut surtout Naderman, luthier de Paris, qui donna au mécanisme de la harpe à crochets toute la perfection dont il était susceptible; cependant le principe de ce mécanisme [-138-] était vicieux et sujet à beaucoup d'accidens; c'est ce qui détermina Monsieur Sébastien Érard à le remplacer par un mécanisme mieux conçu, dans lequel une fourchette pinçait la corde sans la tirer hors de la ligne perpendiculaire, comme cela avait lieu dans la harpe à crochets. Le succès de son invention le conduisit ensuite à compléter les améliorations dont la harpe était susceptible, en donnant à chaque corde la possibilité de fournir trois intonations, savoir, le [rob], le [sqb], et le #, ce qu'il fit au moyen d'un mécanisme à double mouvement. Il ne paraît pas qu'on puisse rien ajouter à ces harpes; toute la perfection désirable s'y trouve.

J'ai dit qu'on n'a point connu chez les Grecs les instrumens à cordes pincées ayant un manche sur lequel on appuie les cordes en divers endroits pour en modifier les intonations; mais les monumens égyptiens offrent quelques exemples de cette espèce d'instrumens; ce qui pourrait faire croire que ce peuple a été assez avancé dans la musique. L'origine des instrumens à cordes pincées et à manche paraît se trouver dans l'Orient. La wina de l'Inde, qui consiste dans un corps de bambou attaché à deux grandes courges, et qui est [-139-] monté de plusieurs cordes qu'on appuie sur des chevalets avec les doigts, paraît être le type de ces instrumens; mais c'est surtout l'eoud ou luth des Arabes, importé en Europe par les Maures d'Espagne, qui a servi de modèle à tous les instrumens de cette espèce, car ces instrumens n'en sont que des variétés plus ou moins compliquées.

Le corps du luth, convexe du côté du dos, et à table plate, a un manche large garni de dix cases pour poser les doigts afin de varier les intonations. Il est monté de onze cordes, dont neuf sont doubles, trois à l'unisson et six à l'octave. Les deux premières ou chanterelles, sont simples. Cet instrument est difficile à jouer, et demande beaucoup d'étude. Il était autrefois cultivé avec succès; Bérard, en Allemagne, et deux musiciens nommés Gaultier, en France, s'y sont rendus célèbres dans le dix-septième siècle. Du nom de luth, on a fait luthier, qui signifia d'abord un fabricant de luths, et qu'on a appliqué depuis à tous les facteurs d'instrumens à cordes, et même à ceux qui construisent des instrumens à vent.

Une imitation du luth, de proportions beaucoup plus considérables, et monté d'un plus [-140-] grand nombre de cordes, a été nommé autrefois archiluth. De tous les instrumens du même genre, celui-là avait le son le plus volumineux; mais la largeur excessive de son manche, qui le rendait fort incommode à jouer, l'a fait abandonner.

Le théorbe était aussi une espèce de luth qui avait deux manches accolés parallèlement; le plus petit de ces manches était semblable à celui du luth, et portait le même nombre de cordes; mais le second, qui était beaucoup plus grand, soutenait les huit dernières cordes, qui servaient pour les basses.

Deux autres sortes de luth ont été fort en usage vers le commencement du dix-huitième siècle; le premier de ces instrumens s'appelait la pandore. Il y avait le même nombre de cordes qui s'accordaient de la même manière; mais au lieu d'être faites de boyau, ces cordes étaient de métal. Une autre différence se faisait aussi remarquer dans sa forme. Au lieu d'être convexe, le dos de la pandore était plat. Le second instrument du genre du luth était la mandore. Celui-ci n'avait que quatre cordes qui étaient accordées de quinte en quarte. On abaissait quelquefois la corde la plus haute ou [-141-] chanterelle d'un ton pour obtenir d'autres accords: cela s'appelait jouer à corde avalée. Ces deux instrumens ont cessé d'être en usage depuis long-temps.

Enfin, un petit instrument qui appartient à l'espèce du luth se nomme mandoline. Le corps est rond comme le luth, mais le manche a plus de rapport avec la guitare, dont je parlerai tout à l'heure. La mandoline se tient de la main gauche, et l'on en tire des sons par le moyen d'une plume qu'on tient avec l'extrémité du pouce et de l'index; mais il faut que l'index soit toujours au-dessous du pouce sans serrer la plume. Les quatre cordes de cet instrument sont accordées à l'unisson de celles du violon. En Italie il y a des mandolines à trois cordes, d'autres à cinq, dont l'accord varie selon le caprice des maîtres. Le calascione ou colascione, petit instrument avec un très long manche, dont le peuple napolitain se sert, est une espèce particulière de mandoline qui se joue aussi avec une plume. Il est ordinairement monté de trois cordes, mais quelquefois il n'en a que deux.

Toute cette famille du luth a disparu de la musique européenne, et ne se retrouve plus [-142-] que dans l'Orient, où elle joue un grand rôle dans les concerts. Dans les seizième et dix-septième siècles elle tenait la première place dans ce qu'on nommait les concerts de chambre (musica da camera), et c'était avec ces mêmes instrumens qu'on accompagnait les madrigaux, villanelles, chansons de tables et autres, qui étaient toujours chantées à plusieurs parties. Tous les concerts que représentent les tableaux du Titien, de Valentin, et des autres peintres anciens de l'école italienne, offrent de ces réunions d'instrumens à cordes pincées et de chanteurs. Quoiqu'ils n'eussent qu'une qualité de son peu éclatante, ces mêmes instrumens faisaient aussi partie des orchestres dans l'origine de l'opéra. On en voit un exemple dans le drame musical intitulé: Il Sant' Alessio, composé par Etienne Landi en 1634. L'instrumentation de cet ouvrage était composée de trois parties distinctes de violons, de harpes, de luths, de théorbes, de basses de viole, et de clavecins pour la basse continue. Un pareil orchestre paraîtrait aujourd'hui bien sourd, mais l'effet en serait original.

La guitare paraît être originaire d'Espagne, quoiqu'on la trouve dans quelques parties de [-143-] l'Afrique. Elle est connue en France depuis le onzième siècle; on lui donnait alors le nom de guiterne. C'est à peu près le seul des instrumens à cordes pincées et à manche qui soit resté en usage. On sait que le corps de la guitare est aplati des deux côtés; elle est montée de six cordes, et son manche est divisé par cases pour y poser les doigts. En France, en Allemagne et en Angleterre, l'art de jouer de la guitare est porté à un très haut point de perfection; dans ces derniers temps, Messieurs Sor, Aguado et Carcassi en ont fait un instrument de concert, et sont parvenus à y exécuter de la musique très-compliquée à plusieurs parties; mais en Espagne, pays originaire de cet instrument, il ne sert qu'à accompagner les boleros, les tirannas et autres airs nationaux, et ceux qui s'en servent en jouent d'instinct en frappant les cordes ou les raclant avec le dos de la main.

Toutes les recherches qui ont été faites pour découvrir si les peuples de l'antiquité ont eu connaissance des instrumens à archet ont été infructueuses, ou plutôt il est à peu près démontré qu'il leur a été complètement inconnu. Il est vrai qu'on a cité une statue d'Orphée qui tient [-144-] un violon d'une main et un archet de l'autre; mais en y regardant de près, on s'est aperçu que le violon et l'archet sont de l'invention du sculpteur qui a restauré la statue. On a cité aussi des passages d'Aristophanes, de Plutarque, d'Athénée et de Lucien, où l'on prétendait trouver la preuve de l'existence de l'archet chez les Grecs; mais le moindre examen fait évanouir toutes ces prétendues preuves.

Nul doute que les instrumens à table d'harmonie, à manche, et à cordes élevées sur un chevalet et mises en vibration par un archet ne soient originaires de l'Occident; mais à quelle époque, et dans quelle partie de l'Europe ont-ils été inventés? voilà ce qu'il n'est pas facile de décider. On trouve dans le pays de Galles un instrument de forme presque carrée, ayant un manche et des cordes élevées sur un chevalet; cet instrument, qui paraît exister dans le pays de toute antiquité, se nomme crwth, et se joue avec un archet. On le regarde en Angleterre comme le père des diverses espèces de violes et du violon.

Les monumens gothiques du moyen-âge, et particulièrement les portails d'église du dixième siècle, sont les plus anciens où l'on [-145-] trouve des instrumens de l'espèce générique qu'on nomme viole; mais on serait encore dans l'incertitude sur les divisions de ce genre d'instrumens, si le manuscrit d'un traité de musique composé par Jérôme de Moravie, au treizième siècle, n'avait levé tous les doutes à cet égard. On y voit que la viole se divisait en deux sortes d'instrumens: la rubebbe et la viole, ou vielle 1. La rubebbe n'avait que deux cordes qui s'accordaient à la quinte; la vielle en avait cinq qui s'accordaient de différentes manières. Ces instrumens n'avaient pas précisément la forme de nos violons et de nos violes; la table d'harmonie ou dessus, et le dos de l'instrument n'étaient point séparés comme dans ceux-ci par la partie intermédiaire qu'on nomme éclisses; le dos était rond comme celui des mandolines, et la table était collée sur les bords. Plus tard, ces rubebbes et ces vielles subirent diverses modifications, et donnèrent naissance aux différentes violes, savoir: la viole proprement dite, qui se plaçait sur les genoux et qui était montée de cinq cordes; le pardessus de viole, qui avait aussi [-146-] cinq cordes accordées à la quinte de la viole, la basse de viole, que les Italiens nommaient viola da gamba, pour la distinguer des autres qu'on désignait souvent par le nom de viola da braccio; la basse de viole était montée tantôt de cinq cordes, tantôt de six; le violone, ou grande viole, qui était posé sur un pied, et qui était monté de sept cordes; et l'accordo, autre espèce de violone qui était monté de douze cordes, et même de quinze, dont plusieurs résonnaient à la fois et faisaient harmonie à chaque coup d'archet. Le violone et l'accordo avaient un manche divisé par cases comme le luth et la guitare; on ne pouvait les jouer qu'en se tenant debout, à cause de leurs grandes proportions. Il y eut encore une espèce de viole, qu'on appelait viole d'amour. Ses proportions étaient à peu près celles du pardessus de viole; elle était montée de quatre cordes de boyau attachées comme aux autres instrumens, et de quatre cordes de laiton qui passaient sous la touche, et qui, étant accordées à l'unisson avec les cordes de boyau, rendaient des sons doux et harmoniques quand l'instrument était joué d'une certaine manière.

Vers le quinzième siècle, il paraît qu'on réduisit [-147-] en France la viole à de plus petites proportions pour en former le violon tel qu'on le connaît aujourd'hui, et pour borner cet instrument à quatre cordes. Ce qui peut faire croire que cette réforme se fit en France, c'est que le violon est indiqué dans les partitions italiennes de la fin du seizième siècle sous les noms de piccoli violini alla francese (petits violons à la française). Le violon est monté de quatre cordes accordées par quintes, mi, la, ré, sol. Il sert pour les dessus. La supériorité des sons du violon sur ceux des violes lui fit bientôt donner la préférence, et il devint d'un usage général. D'habiles luthiers se formèrent en France, en Italie et en Allemagne, et de leurs ateliers sortirent d'excellens violons qui sont encore très recherchés par les virtuoses. Parmi ces luthiers on remarque Nicolas et André Amati, de Crémone, à la fin du seizième siècle; Antoine et Jérôme Amati, fils d'André; Antoine Stradivari, élève des Amati, ainsi que Pierre-André Guarneri et Joseph Guarneri; Jacques Steiner, tyrolien, également élève des Amati, et plusieurs autres. Les violons de ces habiles artistes se vendent depuis cent louis jusqu'à six mille francs.

[-148-] De toutes les anciennes violes, on n'a conservé que celle qu'on nomme proprement viole, ou alto ou quinte, et qu'on a réduite à quatre cordes, qui sont accordées une quinte plus bas que les cordes du violon. Cet instrument fait l'office du contralto dans l'orchestre.

La basse de viole, instrument difficile à jouer et dont les sons étaient un peu sourds, a disparu pour faire place au violoncelle, moins séduisant peut-être dans les solos, mais plus énergique et plus propre aux effets d'orchestre.

Il fut introduit en France sous le règne de Louis XIV par un Florentin nommé Jean Batistini; mais il ne fut définitivement substitué à la basse de viole que vers 1720.

Le violone et l'accordo, instrumens dont on se servait dans les orchestres pour jouer la basse de l'harmonie, avaient le défaut de toutes les espèces de violes, celui de ne produire que des sons sourds et dépourvus d'énergie. A mesure que la musique eut plus d'éclat, il fallut songer à donner plus de force à la basse. C'est pour arriver à ce but qu'on construisit en Italie des contrebasses au commencement du dixhuitième siècle. Ces instrumens, qui sont aujourd'hui le fondement des orchestres, ne furent [-149-] adoptés en France qu'avec beaucoup de difficulté. En 1757, il n'y avait qu'une contrebasse à l'opéra, et l'on ne s'en servait que le vendredi, qui était le beau jour de ce spectacle. Gossec en fit ajouter une seconde; Philidor, compositeur français, en mit une troisième dans l'orchestre pour la première représentation de son opéra d'Ernelinde, et successivement le nombre de ces instrumens s'est augmenté jusqu'à huit. La contrebasse est montée avec de très grosses cordes qui sonnent à l'octave inférieure des sons du violoncelle. Ces cordes sont au nombre de trois aux contrebasses françaises, et sont accordées par quintes; les contrebasses allemandes et italiennes sont montées de quatre cordes, accordées par quartes: ce dernier système est préférable, en ce qu'il rend l'instrument plus facile à jouer.

La troisième espèce d'instrumens à cordes est celle où ces cordes sont mises en vibration par le moyen d'un clavier: l'origine de ces instrumens est évidemment dans celui qu'on nomme psalterion ou tympanum. Celui-ci, dont on se servait beaucoup autrefois, était composé d'une caisse carrée, sur laquelle une table d'harmonie en sapin était collée. Sur cette [-150-] table, des cordes de fil de fer et de laiton étaient tendues et accordées de manière à rendre tous les sons de la gamme. Celui qui jouait de cet instrument avait dans chaque main une petite baguette dont il frappait les cordes. Un pareil instrument était à la fois incommode et borné dans ses moyens; on songea à le perfectionner, et des recherches qu'on fit à ce sujet résulta le clavicorde, qui consistait en une caisse de forme triangulaire avec une table d'harmonie, des chevilles auxquelles étaient attachées des cordes de laiton, et un clavier qui faisait mouvoir de petites lames de cuivre, lesquelles frappaient les cordes. Le second instrument de la même espèce qu'on fabriqua fut le clavicitherium, qui était monté de cordes de boyaux qu'on mettait en vibration au moyen de morceaux de buffles poussés par les touches du clavier. La virginale était aussi un instrument à cordes et à clavier. On a répété souvent que le nom de cet instrument était une flatterie pour Élisabeth, reine d'Angleterre, qui en jouait et qui l'aimait beaucoup; mais c'est une erreur, car la virginale existait déjà en 1530, et portait le même nom. Le clavecin était aussi déjà inventé à cette époque. Cet instrument, le [-151-] plus grand de tous ceux de son espèce, avait à peu près la forme des pianos à queue de nos jours. Il avait souvent deux claviers qui pouvaient être joués ensemble; et qui faisaient sonner à la fois deux notes accordées à l'octave pour chaque touche. Les cordes du clavecin étaient mises en vibration par des languettes de bois armées d'un morceau de plume ou de buffle qui étaient soulevées par les touches du clavier. Le bout de plume ou de buffle ployait en appuyant sur la corde, et la faisait résonner en s'échappant. L'épinette, qui n'était qu'un clavecin carré, était construite sur le même principe. Il y en avait d'une espèce particulière dont le son était fort doux, et qu'on appelait à cause de cela sourdines. Le clavecin, l'épinette et le clavicorde ont continué d'être en usage jusque vers 1785.

Le son, toujours grêle et souvent désagréable de tous ces instrumens, avait déterminé depuis long-temps quelques constructeurs de clavecins à chercher les moyens d'en produire de plus doux; déjà, en 1716, un facteur de Paris, nommé Marius, avait présenté à l'examen de l'Académie des sciences deux clavecins dans lesquels il avait substitué des petits marteaux [-152-] aux languettes pour frapper les cordes. Deux ans après, Christoforo, Florentin, perfectionna cette invention et fit le premier piano qui a servi de modèle pour ceux qu'on a faits depuis lors; mais il paraît que les premiers essais de ce genre furent reçus froidement, car ce n'est que vers 1760 que Ztumpf, en Angleterre, et Silbermann, en Allemagne, eurent des fabriques régulières, et commencèrent à multiplier les pianos. En 1776, Messieurs Érard frères fabriquèrent les premiers instrumens de cette espèce qui aient été construits en France; car jusque là on avait été obligé de les faire venir de Londres. Les premiers pianos qu'on construisit à cette époque n'avaient qu'une étendue de cinq octaves, et les marteaux frappaient sur deux cordes à l'unisson pour chaque note. Dans la suite l'étendue du clavier fut successivement portée jusqu'à six octaves et demie, et le nombre de cordes appartenant à chaque note s'éleva jusqu'à trois, afin que le son eût plus de corps et de force. De nombreux changemens ou perfectionnemens ont été faits dans la fabrication des pianos. Leur volume a été augmenté, leur mécanisme a subi mille transformations, leur qualité de son a cessé d'être [-153-] maigre et criarde pour devenir moelleuse et puissante. La forme même de l'instrument a beaucoup varié; on en a fait en carré long; qui sont ceux dont l'usage est le plus commun; à queue, c'est-à-dire dans la forme des clavecins; verticaux, dont les cordes sont perpendiculaires, et de beaucoup d'autres formes qu'il serait trop long de détailler. Les pianos anglais ont eu long-temps une supériorité incontestable sur les autres, principalement les pianos à queue; mais on en construit maintenant à Paris qui peuvent lutter avec eux sous le rapport de la qualité des sons et sous celui du mécanisme. Les pianos allemands, et surtout ceux de Vienne, sont aussi fort agréables, mais leur son est moins puissant. Leur mécanisme est très léger et facilite l'exécution des difficultés.

De tout ce qui vient d'être dit, il résulte que les instrumens qui ont pour principe des cordes flexibles et sonores sont susceptibles de beaucoup de variété, et qu'ils ont subi des modifications de tout genre, comme tout ce qui appartient à la musique; les mêmes circonstances se font remarquer dans les instrumens qui ont pour principe sonore l'air insufflé. Ces instrumens se divisent en trois espèces [-154-] principales: premier les flûtes qui résonnent au moyen de l'air introduit dans un tube par un orifice latéral ou perpendiculaire; deuxième les instrumens à anches, dans lesquels les battemens d'une languette flexible produisent le son; troisième les instrumens à bocal, où les intonations se forment par les modifications du mouvement et de la position des lèvres.

Les flûtes d'une forme quelconque se trouvent chez tous les peuples qui ont cultivé la musique. L'Inde, l'Égypte, la Chine, nous en offrent des variétés qui remontent aux temps les plus reculés. Les Grecs et les Romains avaient des flûtes de formes différentes pour la plupart de leurs cérémonies religieuses, pour les festins, les mariages, les funérailles, et cetera. La flûte à plusieurs tuyaux de diverses longueurs, qu'on voit encore entre les mains de quelques musiciens ambulans, paraît être la plus ancienne dont les Grecs ont fait usage; ils attribuaient son invention à Marsyas. Après celle-là venait la flûte phrygienne, qui n'avait qu'un seul tuyau percé de trois trous, et qui se jouait en mettant un des bouts de l'instrument dans la bouche; la flûte double, composée de deux tuyaux percés de trous, lesquels se réunissaient [-155-] vers un seul orifice qu'on appelait embouchure, se tenait des deux mains. C'est le seul instrument de l'antiquité qui puisse faire croire que les Grecs et les Romains ont connu l'harmonie; car il n'est pas présumable que les deux tuyaux fussent destinés à jouer à l'unisson. Quelques critiques ont cru que les deux tuyaux de cette flûte ne jouaient point ensemble, et qu'ils ne servaient qu'à passer d'un mode dans un autre. Tout cela est fort obscur. Les trois espèces de flûtes principales dont il vient d'être parlé se divisaient en une infinité d'autres; les archéologues prétendent que le nombre des variétés était de plus de deux cents.

On a souvent agité cette question si les Grecs et les Romains ont connu la flûte traversière, qui est la seule dont on se sert maintenant dans la musique régulière. Des monumens antiques récemment découverts ont résolu la difficulté en montrant sur un bas-relief un génie qui joue de cette flûte. Cela explique les passages des écrivains de l'antiquité, qui établissent en beaucoup d'endroits les différences de la flûte droite avec la flûte oblique. Cette flûte oblique n'était que la flûte traversière.

On ne se servait autrefois en France que de [-156-] la flûte à bec, c'est-à-dire dont l'embouchure était placée à l'une des extrémités. Toutes les parties de flûte qui sont indiquées dans les opéras du siècle de Louis XIV se jouaient avec des flûtes de cette espèce. On l'appelait aussi flûte douce ou flûte d'Angleterre. Dans la nouveauté, on donna le nom de flûte allemande à la flûte traversière, parce que son usage se renouvela d'abord en Allemagne; jusque vers la fin du dix-huitième siècle, elle n'eut que six trous, qui se bouchaient avec les doigts, et un septième, qui s'ouvrait par le moyen d'une clef. Comme la plupart des instrumens à vent, celui-là était imparfait dans plusieurs notes, qui manquaient de justesse; ces défauts ont été corrigés par les clefs qu'on y a ajoutées, et qui se trouvent maintenant au nombre de huit 1.

Ces clefs ont d'ailleurs procuré la facilité d'exécuter beaucoup de traits qui ne pouvaient se faire sur l'ancienne flûte.

[-157-] La flûte est naturellement dans le ton de ré; ce qui n'empêche pas qu'elle soit susceptible d'être jouée dans tous les autres tons. On se sert dans la musique militaire et dans la musique d'instrumens à vent qu'on nomme musique d'harmonie, de flûtes un peu plus petites: celles-ci sont accordées en mi [rob], en fa, et cetera. Une autre espèce de petite flûte qui se nomme octavin ou piccolo sert aussi dans l'orchestre, lorsqu'on veut obtenir des effets brillans ou certains effets particuliers, tels que le sifflement des vents dans la tempête. Le piccolo, dont les proportions sont de moitié plus petites que celles de la flûte ordinaire, sonne une octave plus haut, ce qui rend la qualité de ses sons criarde et souvent désagréable. Les compositeurs de l'école actuelle poussent l'usage de cet instrument jusqu'à l'abus.

La matière des flûtes est ordinairement le buis ou l'ébène, ou l'érable, et cetera; mais tous ces bois ont l'inconvénient de s'échauffer par le souffle, et de faire varier l'intonation de l'instrument. Pour obvier à ce défaut, on a fait des flûtes de cristal qui étaient à peu près invariables; mais leur poids, incommode dans l'exécution, et leur fragilité, les ont fait abandonner. [-158-] On a trouvé plus simple et plus utile d'adapter à la flûte ordinaire un corps à pompe qui se tire lorsque la flûte s'échauffe, et qui rétablit l'équilibre en allongeant le tube.

De toutes les anciennes flûtes à bec, une seule est restée en usage; c'est le flageolet, dont l'effet est agréable dans les orchestres de bal. Cet instrument était autrefois fort défectueux sous le rapport de la justesse, et fort borné quant à ses moyens d'exécution; mais on l'a beaucoup perfectionné depuis quelques années, par le moyen des clefs qu'on y a ajoutées.

De toutes les variétés d'instrumens à anche dont on a fait usage à diverses époques, on n'a conservé que le hautbois, le cor anglais, la clarinette et le basson.

Le plus ancien de ces instrumens est le hautbois; car les ménétriers s'en servaient déjà vers la fin du seizième siècle. A cette époque, c'était un instrument grossier, d'un son dur et rauque, qui n'avait que huit trous, sans clefs. Sa longueur totale était de deux pieds. Il resta long-temps dans un état d'imperfection qui ne permettait de l'employer dans l'orchestre que pour la musique champêtre. On ne commença [-159-] à lui ajouter des clefs que vers 1690. Les Besozzi, qui se rendirent célèbres par leur talent sur cet instrument, s'attachèrent à le perfectionner; un luthier de Paris nommé De Lusse y ajouta une clef vers 1780; et quelques autres améliorations faites dans ces derniers temps l'ont porté à un point de perfection qui ne laisse rien à désirer.

La qualité de son du hautbois se prête merveilleusement à l'expression quand il est bien joué; ce son a plus d'accent, plus de variété que celui de la flûte. Quoiqu'il soit le produit d'un petit instrument, il a beaucoup de puissance et perce souvent au-dessus des masses d'orchestre les plus formidables. Le hautbois était l'instrument à vent aigu dont les compositeurs faisaient le plus fréquent usage il y a quarante ans. Il convient également aux effets de l'orchestre et aux solos.

L'instrument auquel on a donné improprement le nom de cor anglais peut être considéré comme le contralto du hautbois, dont il est une variété. Ses dimensions sont beaucoup plus grandes, en sorte que pour en faciliter le jeu, on a été obligé de le courber. Le cor anglais sonne une quinte plus bas que le hautbois, [-160-] à cause de la longueur de son tube. Le son en est plaintif, et ne convient qu'aux mouvemens lents, aux romances, et cetera. C'est un instrument moderne, et qui était inconnu il y a soixante ans.

Le basson, qui appartient aussi à la famille des hautbois, et qui en est la basse, a été inventé en 1539 par un chanoine de Pavie nommé Afranio. Les Italiens l'appellent fagotto, parce qu'il est formé de plusieurs pièces de bois réunies en faisceau. Son étendue est de trois octaves et demie environ; sa note la plus grave est le si [rob] au-dessous de la portée, à la clef de fa. La forme de cet instrument a subi beaucoup de modifications, et malgré les travaux de beaucoup d'artistes et de luthiers habiles, il est loin d'être arrivé à la perfection. Plusieurs de ses notes sont fausses, et ne peuvent être corrigées jusqu'à un certain point que par l'adresse de l'artiste qui en joue. Presque tous ses sons graves sont trop bas, comparés aux sons élevés. On a multiplié ses clefs jusqu'au nombre de quinze, et ses moyens d'exécution en sont devenus plus riches, mais tous ses défauts n'ont pas été corrigés. Plusieurs sons n'ont pas cessé d'être sourds; d'autre sont restés [-161-] faux, principalement dans le bas. Il est vraisemblable qu'on ne vaincra ces défauts qu'en perçant l'instrument sur de meilleurs principes et dans un système nouveau. Peut-être faudra-t-il changer sa forme et recourber son extrémité inférieure, afin de l'échauffer plus promptement.

Les défauts que je viens de signaler dans le basson sont d'autant plus fâcheux que c'est un instrument indispensable dans la composition des orchestres. Il remplit à la fois l'office de ténore et de basse des instrumens à anche, et lie les différentes parties de l'harmonie. Son emploi est d'un meilleur effet dans l'orchestre que dans le solo. Ses accens sont tristes et monotones lorsqu'il chante seul.

On se sert quelquefois en Allemagne d'une contrebasse de basson qu'on appelle contre-basson; ses proportions sont plus grandes que celles du basson, dont il sonne l'octave grave. Cet instrument est difficile à jouer, et exige que l'exécutant soit constitué d'une manière robuste. Il a le défaut d'articuler lentement les sons.

La clarinette est un instrument beaucoup plus moderne que le hautbois et le basson; [-162-] car elle n'a été inventée qu'en 1690, par Jean-Christophe Denner, luthier de Nuremberg. Elle n'eut d'abord qu'une seule clef, et ne fut que d'un usage fort rare, à cause de ses nombreuses imperfections; mais la beauté de ses sons détermina quelques artistes à chercher des améliorations dans sa construction. Insensiblement, le nombre de ses clefs s'accrut jusqu'à cinq; mais arrivée à ce point, elle n'offrait encore que peu de ressources. Cependant elle resta dans cet état depuis 1770 jusqu'en 1787, où une sixième clef lui fut ajoutée. Enfin, le nombre de ces clefs s'est successivement élevé jusqu'à quatorze; mais tous les défauts n'ont pas disparu. Outre les difficultés d'exécution, qui existent encore, plusieurs notes manquent de justesse et de sonorité. Il en est de la clarinette comme du basson; il faudrait que son tube fût percé d'après un meilleur système acoustique.

Les difficultés d'exécution sont telles sur la clarinette, que le même instrument ne peut pas servir pour jouer dans tous les tons. Les tons dans lesquels il y a beaucoup de dièses exigent une clarinette particulière; il en est de même des tons dans lesquels il y a beaucoup [-163-] de bémols. Pour comprendre ceci, il faut savoir que plus le tube d'un instrument à vent est court, plus ses intonations sont élevées, et que ces intonations s'abaissent à mesure qu'on alonge le tube. Il résulte de là que si l'on alonge une clarinette de telle sorte que son ut soit à l'unisson de si [rob], il suffira de faire l'instrument de cette dimension pour que l'instrumentiste produise l'effet du ton de si [rob] en jouant en ut; il sera donc dispensé d'exécuter les notes qui offrent des difficultés à vaincre dans l'exécution. Si l'on continue à alonger la clarinette de manière que son ut sonne comme la, l'effet que produira l'artiste en jouant en ut sera comme s'il jouait en la, avec trois dièces à la clef. Telle est l'explication de ces mots dont les musiciens se servent: clarinette en ut, clarinette en si [rob], clarinette en la.

La clarinette n'a été introduite dans les orchestres français qu'en 1757; elle est devenue depuis lors d'un usage général, non-seulement dans les orchestres ordinaires, mais dans les orchestres militaires, où elle joue la partie principale. Le son de cet instrument est volumineux, plein, moelleux, et d'une qualité qui ne ressemble à celle d'aucun autre instrument, [-164-] particulièrement dans la partie grave, qu'on nomme le chalumeau. On se sert dans la musique militaire, pour les solos, de clarinettes en mi [rob] ou en fa, qui ont un son aigu et perçant qui convient à ce genre de musique, dont l'exécution se fait en plein air. Il y a aussi de très grandes clarinettes qui sonnent une quinte plus bas que les clarinettes en ut, et qui ont une qualité de son concentrée; on les nomme cors de bassette. Ce sont les contraltos de la clarinette.

Dans la troisième espèce d'instrumens à vent, qui se jouent avec une embouchure ouverte ou bocal, sont compris les cors, les diverses sortes de trompettes, les trombones, le serpent et les ophicléides.

Les airs de chasse ne furent joués dans les premiers opéras que par des cornets, faits en corne et percés de trous: on appelait ces instrumens grossiers des cornets à bouquin. Le cor de chasse fut inventé en France en 1680, mais il ne servit d'abord que pour l'exercice dont il porte le nom. Transporté en Allemagne, il y fut perfectionné, et fut appliqué à l'usage de la musique. En 1730, on commença à s'en servir en France, mais il ne fut introduit dans [-165-] l'orchestre de l'Opéra qu'en 1757. Les sons qu'on en pouvait tirer alors étaient en petit nombre, mais en 1760, un Allemand nommé Hampl découvrit qu'il pouvait en donner d'autres en bouchant en partie avec la main la portion ouverte de l'instrument qu'on nomme le pavillon. Cette découverte ouvrit la carrière à d'habiles artistes qui se livrèrent à l'étude du cor. Un autre Allemand, qui se nommait Haltenhoff, compléta les améliorations de cet instrument en y ajoutant une pompe à coulisse au moyen de laquelle on en règle la justesse lorsque les intonations s'élèvent par la chaleur.

Il est dans la nature du cor de ne donner que de certaines notes d'un son pur, franc et ouvert: les autres sons ne s'obtiennent que par l'artifice de la main et sont beaucoup plus sourds; on les nomme sons bouchés. Mais comme il est des tons où ces sons bouchés sont précisément ceux qu'on entendrait le plus souvent, ce qui serait sans effet, on a imaginé d'ajouter au cor des tubes d'alonge dont les fonctions sont de changer le degré d'élévation de l'instrument, comme on change celui de la clarinette en alongeant son tube. [-166-] Par exemple, si l'on suppose que le cor est en ut, on conçoit qu'en y ajoutant un tube qui baisse ut d'un ton, le cor sera en si [rob], et tous les sons ouverts du ton d'ut seront des sons ouverts du ton de si [rob]. Si le tube ajouté est plus grand, il mettra le ton du cor en la; s'il est plus grand encore, il pourra le mettre en sol, et ainsi de suite. Il résulte de là que l'artiste joue toujours en ut, et que le tube ajouté opère la transposition nécessaire.

Ce système est ingénieux, et satisferait à tous les besoins, si la musique ne modulait pas, ou si, en modulant, elle laissait le temps de changer le tube transpositeur; mais il n'en est pas toujours ainsi. Le compositeur se voit donc obligé de supprimer les parties de cors dans de certains endroits où elles produiraient de très bons effets, ou de les écrire en sons bouchés qui ne rendent point sa pensée. Frappé de cet inconvénient du cor ordinaire, un musicien allemand nommé Stoelzel imagina d'y ajouter des pistons par lesquels il mettait à volonté la colonne d'air du cor en communication avec celle de tubes additionnels, et par là obtenait des sons ouverts à toutes les notes. Cette amélioration, perfectionnée par plusieurs [-167-] facteurs d'instrumens de cuivre, sera quelque jour d'une grande ressource, mais n'est pas encore généralement adoptée.

Le cor est un instrument précieux par la variété de ses effets: tour à tour énergique ou suave, il se prête également bien à l'expression des passions violentes et à celle des sentimens tendres. Aussi bien placé dans les solos que dans les remplissages d'orchestre, il se modifie de mille manières, mais il faut le bien connaître pour en tirer tout le parti possible. L'art d'écrire les parties du cor avec les développemens de toutes ses ressources est un art tout nouveau.

La trompette est le soprano du cor, car elle sonne un octave plus haut que cet instrument. Plus bornée que le cor, puisqu'elle n'a pas les sons bouchés avec la main, elle n'est pas moins utile dans beaucoup de circonstances. Sa qualité de son est plus argentine, plus claire, plus pénétrante, et les effets d'un de ces instrumens ne peuvent être remplacés par ceux de l'autre. Leur réunion offre quelquefois des combinaisons fort heureuses. On ne connaissait point autrefois d'autre trompette que la trompette de cavalerie; pendant [-168-] bien des années, il n'y en eut pas d'autres à l'Opéra. Enfin des trompettes perfectionnées furent apportées d'Allemagne par les deux frères Braun, vers 1770, et depuis lors, la trompette de cavalerie a disparu des orchestres. Au commencement de ce siècle, on fit des trompettes semi-circulaires, qui n'étaient à proprement parler que de petits cors; mais le son de ces trompettes n'avait pas l'éclat des autres. On est revenu à l'ancien modèle depuis deux ou trois ans.

Les intonations de la trompette se modifient pour les changemens de tons de la même manière que dans le cor; c'est-à-dire, par le moyen de tubes additionnels.

Divers essais avaient été faits il y a environ vingt-cinq ans, pour augmenter les ressources de la trompette, mais sans que le résultat eût répondu à ce qu'on en attendait; enfin un Anglais a imaginé d'y ajouter des clefs comme aux clarinettes ou hautbois, et ses recherches pour y parvenir ont été couronnées par le succès; mais il s'est trouvé qu'il avait créé un nouvel instrument dont la qualité de son a peu de rapport avec le son de la trompette ordinaire; c'était une acquisition, [-169-] mais non un perfectionnement. L'inventeur désigna sa trompette à clef sous le nom de Horn-bugle. Cet instrument, sur lequel on peut exécuter des chants comme sur la clarinette ou le hautbois, est maintenant employé avec succès dans la musique militaire, et même dans l'opéra. Rossini en a fait un heureux essai dans le premier acte de Semiramide.

Le principe de la construction des trompettes à clefs une fois découvert, on en a conclu qu'on pouvait l'appliquer à des instrumens de même nature, mais de plus grandes dimensions, qui seraient l'alto, le ténor et la basse de cette même trompette. On a donné à cette famille nouvelle d'instrumens de cuivre le nom d'ophicléide. L'étendue de ces divers instrumens est à peu près celle des voix auxquelles ils correspondent. Leur réunion produit d'heureux effets, qui ne peuvent être remplacés par les autres instrumens de cuivre qui n'ont pas les mêmes moyens de modulation.

Il est un autre genre d'instrumens qu'on nomme trombones, et qui est aussi susceptible de donner toutes les notes en sons ouverts, par le moyen d'une coulisse que l'exécutant fait mouvoir pour alonger ou raccourcir le tube [-170-] sonore. Cet instrument se divise en trois voix, savoir: l'alto, le ténore et la basse. Le son des trombones est plus sec, plus dur et plus énergique que celui des ophicléides; mais ces instrumens ont des effets qui leur sont propres, et qui ne ressemblent à ceux d'aucun autre.

Toute cette grande division d'instrumens de cuivre se met en vibration par le moyen d'une embouchure conique et concave contre laquelle on applique les lèvres plus ou moins rapprochées, en soufflant et en marquant la note par un coup de langue. Cet exercice est fort difficile, et exige autant de dispositions naturelles que de travail. Il est des personnes dont la conformation des lèvres est un obstacle insurmontable pour bien jouer du cor ou de la trompette.

Aux instrumens à embouchure ou bocal qui viennent d'être nommés, il faut ajouter le serpent, instrument barbare qui fatigue l'oreille dans nos églises, mais qui n'est pas aussi désagréable dans la musique militaire, lorsqu'il est uni aux autres basses telles que le trombone et l'ophicléide. Cet instrument fut inventé en 1590 par un chanoine d'Auxerre, nommé Edme Guillaume. Sa construction est vicieuse de tous [-171-] points; beaucoup de ses intonations sont fausses, et à côté de notes très fortes on en rencontre qui sont très faibles. L'expulsion du serpent des églises sera un pas de fait vers le bon goût en musique.

Le plus considérable, le plus majestueux, le plus riche en effets divers et le plus beau des instrumens à vent est l'orgue. On a dit que c'est plutôt une machine qu'un instrument; cela peut être vrai; mais de quelque manière qu'on le qualifie, il n'est pas moins certain que c'est une des plus belles inventions de l'esprit humain.

Quelques passages des écrivains de l'antiquité, et notamment de Vitruve, ont mis à la torture les commentateurs qui voulaient éclaircir ce que ces écrivains entendaient par l'orgue hydraulique, dont ils attribuent l'invention à Ctésibius, mathématicien d'Alexandrie, qui a vécu du temps de Ptolémée-Évergète. Tout ce qu'en ont dit ces commentateurs n'a servi qu'à prouver qu'ils étaient complètement ignorans de l'objet en question. Vraisemblablement on ne saura jamais quel était le mécanisme de cet orgue hydraulique. Quant à l'orgue pneumatique, c'est-à-dire celui qui est mis en vibration [-172-] par l'action de l'air, qu'on dit aussi avoir été connu des anciens, sans autre garantie que quelques passages obscurs de poètes, il est vraisemblable que ce n'était que l'instrument rustique des Écossais et des Auvergnats, que nous nommons cornemuse.

L'orgue le plus ancien dont il soit fait mention dans l'histoire est celui que l'empereur Constantin-Copronyme envoya en 757 à Pépin, père de Charlemagne. Ce fut le premier qui parut en France. On le plaça dans l'église de Saint-Corneille, à Compiègne. Cet orgue était excessivement petit et portatif comme celui qui fut construit par un Arabe nommé Giafar, et qui fut envoyé à Charlemagne par le kalife de Bagdad.

Un prêtre vénitien, nommé Grégoire, paraît avoir été le premier qui ait essayé de construire des orgues en Europe. En 826, il fut chargé par Louis-le-Pieux d'en faire un pour l'église d'Aixla-Chapelle. Les progrès furent peu rapides dans l'art de construire cet instrument; il paraît même que ce ne fut qu'au quatorzième siècle que cet art commença à se développer. François Landino, surnommé Francesco d'egli organi, à cause de son habileté sur cet instrument, [-173-] y fit beaucoup d'améliorations vers 1350. En 1470, un Allemand nommé Bernard, organiste à Venise, inventa les pédales.

L'orgue se compose de plusieurs suites de tuyaux, dont les uns sont en bois ou en mélange d'étain et de plomb, qu'on nomme étoffe, à bouche ouverte comme les flûtes à bec, et dont les autres portent à leur embouchure des languettes de cuivre ou anches. Ces tuyaux sont placés debout, du côté de leur embouchure, dans des trous qui sont pratiqués à la partie supérieure de certaines caisses de bois qu'on appelle sommiers. De grands soufflets distribuent le vent dans des conduits qui communiquent avec l'intérieur des sommiers. A chaque rangée de tuyaux correspond une réglette de bois qui est aussi percée de trous à des distances égales aux trous du sommier. Cette réglette s'appelle registre. Le registre est disposé de manière à couler facilement lorsqu'il est tiré ou poussé par l'organiste. Si le registre est poussé, ses trous ne correspondent point à ceux du sommier dans lesquels les tuyaux sont placés, et dès lors le vent ne peut entrer dans les tuyaux; mais s'il est tiré, ces trous se trouvent dans une correspondance parfaite, et l'air peut [-174-] pénétrer dans les tuyaux. Alors, lorsque l'organiste pose le doigt sur une touche, celle-ci, en s'enfonçant, tire une bâguette qui ouvre une soupape correspondante au trou du registre, et le tuyau de la note rend le son qui appartient à cette note. Si plusieurs registres sont tirés, tous les tuyaux de ces registres qui correspondent à la note touchée résonnent à la fois. Si le tuyau est une flûte, le son est produit par la colonne d'air qui vibre dans le tuyau; si c'est un jeu d'anche, le son résulte des battemens de la languette qui brise l'air contre les parois du bec du tuyau.

Outre la variété de sons qui provient de cette diversité de principe dans leur production, l'orgue en a d'autres qui sont le résultat des différentes formes et dimensions des tuyaux. Par exemple, si le tuyau de la note qui correspond à l'ut de la clef de fa au-dessous de la portée est un jeu de flûte de huit pieds de hauteur, on lui donne le nom de flûte ouverte; ce jeu est dans toute l'étendue du clavier à l'unisson des différentes voix que renferme cette étendue, savoir la basse, le ténor, le contralto et le soprano le plus aigu. La hauteur des tuyaux décroît à mesure que les notes s'élèvent. [-175-] Si le plus grand tuyau n'a que deux pieds, et s'il est de l'espèce des flûtes, on lui donne le nom de prestant, qui veut dire excellent, parce que c'est le jeu qui résonne avec le plus de netteté et qui perd le moins son accord. Ce jeu est plus élevé d'une octave que la flûte ouverte. Si le tuyau n'a qu'un pied de hauteur à la note la plus grave, il résonne à deux octaves au-dessus de la flûte ouverte: on nomme flageolet l'ensemble de ses tuyaux. Un jeu de flûte qui a huit pieds dans son ut grave résonne à une octave plus bas que la flûte de quatre. Il y a des jeux de seize et même de trente-deux pieds. Lorsque l'espace dont on peut disposer n'est pas assez vaste pour qu'on puisse faire usage de tuyaux d'aussi grandes dimensions, on se sert d'un moyen ingénieux qui consiste à boucher l'extrémité du tuyau opposée à l'embouchure; la colonne d'air sonore ne trouvant point d'issue est forcée de redescendre pour sortir par une petite ouverture qu'on nomme la lumière, et de cette manière, parcourant deux fois la hauteur du tuyau, elle sonne une octave plus grave que si elle était sortie immédiatement par le haut de ce même tuyau. Cette espèce de jeu de flûte se nomme bourdon. Si c'est un jeu de [-176-] quatre pieds bouchés, on l'appelle bourdon de huit; s'il est de huit pieds, c'est un bourdon de seize. Parmi les jeux de flûte, il y en a en étoffe, dont le tuyau se termine par un tuyau plus petit qu'on nomme cheminée; d'autres ont la forme de deux cônes renversés et superposés; chacun de ces jeux a une qualité de son particulière, et cetera. Les jeux d'anches, qu'on appelle trompettes, clairons, bombardes, voix humaine, se présentent sous la forme d'un cône renversé ouvert. Les tuyaux du chromorne, autre jeu d'anche, sont des cylindres alongés. La fantaisie des facteurs d'orgues peut varier ces sortes de jeux à volonté.

On trouve dans l'orgue une sorte de jeu dont l'idée est très singulière, et dont l'effet est un mystère. Ce jeu, qu'on désigne en général sous le nom de jeu de mutation, se divise en fourniture ou mixture et en cymbale. Chacun de ces jeux se compose de quatre, ou cinq ou six, et même dix tuyaux pour chaque note. Ces tuyaux, de petite dimension et d'un son aigu, sont accordés en tierce, quinte ou quarte, octave, double tierce, et cetera, en sorte que chaque note fait entendre un accord parfait plusieurs fois redoublé. Il en résulte que l'organiste ne [-177-] peut faire plusieurs notes de suite sans donner lieu à des suites de tierces majeures, de quintes et d'octaves. Mais ce n'est pas tout: si l'organiste exécute des accords, chacune des notes qui entrent dans sa composition fait entendre autant d'accords parfaits redoublés ou triplés, en sorte qu'il semblerait qu'il doit en résulter une cacophonie épouvantable; mais, par une sorte de magie, lorsque ces jeux sont unis à toutes les espèces de jeux de flûte, de deux, quatre, huit, seize et trente-deux pieds, ouverts ou bouchés, il résulte de ce mélange, qu'on nomme plein jeu, l'ensemble le plus majestueux et le plus étonnant qu'on puisse entendre. Aucune autre combinaison de sons ou d'instrumens ne peut en donner l'idée.

Outre les solos de flûte, de hautbois, de clarinette, de basson et de trompette qu'on peut exécuter sur l'orgue, le jeu de cet instrument peut se diviser en trois grands effets, qui sont: premier la réunion de tous les jeux de flûte, qu'on appelle fonds d'orgue; deuxième la réunion de tous les jeux d'anches, qui prend les noms de grand jeu ou grand choeur, et le plein jeu.

Un grand orgue a ordinairement quatre ou cinq claviers pour les mains, et un clavier aux [-178-] pieds, qu'on nomme clavier de pédale. Le premier clavier appartient à un petit orgue séparé, dont le nom est positif. Le second clavier est ordinairement celui du grand orgue: il peut se réunir au premier pour jouer les deux orgues ensemble: on y ajoute quelquefois un troisième clavier, qu'on nomme clavier de bombarde, sur lequel on joue les jeux d'anches les plus forts. Le quatrième clavier sert pour les solos: on l'appelle clavier de récit. Le cinquième clavier est celui d'écho. Quant au clavier des pédales, il sert à l'organiste pour jouer la basse, lorsqu'il veut disposer de sa main gauche pour exécuter des parties intermédiaires.

On a long-temps regretté que l'orgue, qui est pourvu de tant de moyens de variété et d'une si grande puissance d'effet, ne fût point expressif, c'est-à-dire, qu'on ne pût lui donner les moyens d'augmenter et de diminuer graduellement l'intensité du son. Quelques facteurs anglais et allemands avaient d'abord imaginé de faire ouvrir ou fermer par une pédale des trappes qui permettaient au son de se produire avec force, ou qui le concentraient dans l'intérieur de l'instrument. Mais ce genre [-179-] d'expression avait l'inconvénient de ressembler à un long bâillement. Avant la révolution, Monsieur Sébastien Erard entreprit de construire un piano organisé, dans lequel les sons étaient expressifs par la pression du doigt sur la touche: il avait réussi complètement lorsque les troubles de la révolution se manifestèrent, et les choses en demeurèrent là. Depuis lors, un amateur instruit, nommé Monsieur Grenié, a imaginé de rendre l'orgue expressif au moyen d'une pédale dont la pression plus ou moins forte donne aux sons une intensité plus ou moins grande. Il a prouvé la réalité de sa découverte d'abord dans quelques petites orgues, ensuite dans des instrumens de plus grande dimension à l'École royale de musique et à la Congrégation du Sacré Coeur, à Paris. L'effet de ces orgues est de la plus grande beauté. Monsieur Érard vient de mettre le comble à la perfection de l'orgue en réunissant, dans un instrument qu'il a construit pour la chapelle du roi, le genre de l'expression de la pédale sur les deux claviers du grand orgue, à l'expression par la pression du doigt sur un troisième clavier. Dans cet état, l'orgue est vraiment un des chefs-d'oeuvres de l'esprit humain.

[-180-] Les plus célèbres facteurs d'orgue sont, en France: les Dallery, Clicquot, Messieurs Érard et Grenié; en Italie: Azzolino della Ciaja de Sienne, les Tronci de Pistoie, Eugène Biroldi, Jean-Baptiste Ramaï, les Serassi de Bergame, un prêtre dalmate, nommé Nanchini, et son élève Callido; en Allemagne: Jean Scheibe, Godefroi Silbermann, Jean-Jacques et Michel Wagner, Schroetker, Ernest Marx, Gabler, J.-G. Tauscher et l'abbé Vogler. Ce dernier s'est distingué par son système de simplification, qui a débarrassé l'orgue d'une foule de détails inutiles.

Les orgues à cylindre, dont les musiciens ambulans font usage, et la serinette, sont construits d'après les mêmes principes que le grand orgue. Un cylindre piqué avec des pointes de cuivre tient lieu d'organiste et fait mouvoir les touches. L'art de piquer ou de noter ces cylindres se nomme la tonotechnie.

Dans ces derniers temps, on s'est servi de l'action de l'air comprimé pour établir un nouveau système d'instrumens. Ce système consiste à faire agir le vent par un orifice très-petit, qui s'ouvre graduellement sur des lames métalliques très minces, qui entrent en vibration [-181-] dès que l'air les frappe, et qui sonnent des sons graduellement plus forts, à mesure que l'action du vent se développe. Ces instrumens ont été inventés en Allemagne depuis peu d'années. Leurs variétés se nomment phys-harmonica, éoline, éolodion, et cetera; ils n'ont point assez de force pour produire de l'effet dans de grandes salles; mais ils sont fort agréables dans un salon.

L'effet de ces instrumens est analogue à celui qui se manifeste dans l'harmonica, dont le principe est le frottement. Un Irlandais nommé Puckeridge, paraît avoir été le premier qui imagina de réunir un certain nombre de verres à boire, de les accorder en variant leur intonation par la quantité d'eau qu'il y mettait, et d'en tirer des sons en frottant leur bord avec les doigts légèrement mouillés. Le célèbre docteur Franklin fit quelques perfectionnemens à cette découverte, principalement en indiquant des procédés pour fabriquer des verres propres à fournir des sons purs. L'instrument ainsi perfectionné fut apporté en Europe, et deux soeurs anglaises, Mesdemoiselles Davis, le mirent en réputation par leur talent à le jouer. Plus tard, on a perfectionné l'harmonica en le construisant [-182-] avec des cloches de verre traversées par un axe en fer, et mises en mouvement par une roue. Un clavier d'une espèce particulière faisait avancer sur le bord des cloches un tampon en peau qui remplaçait le doigt, et de cette manière on put exécuter des pièces régulières sur l'harmonica, et y faire des accords. L'effet vitreux de cet instrument est nuisible à la santé parce qu'il ébranle le système nerveux avec trop de force.

Divers instrumens à frottement ont été faits à l'imitation de l'harmonica: le plus célèbre est le clavicylindre que le physicien Chladni a fait entendre à Paris vers 1806. Bien que l'inventeur de cet instrument ait gardé le secret de sa construction, on a cru découvrir qu'il consistait en une suite de cylindres métalliques sur lesquels une manivelle faisait agir des archets qui étaient mis en contact avec eux par le moyen des touches d'un clavier.

Il me reste à parler de la dernière et de la moins importante espèce d'instrumens: ceux de percussion. Ces instrumens sont ceux dont les formes et l'usage laissent le moins de doute dans les représentations que nous en offrent les monumens de l'antiquité. Ils se divisent [-183-] en deux classes principales: les sonores et les bruyans. Parmi les instrumens de percussion sonores, qui ont été en usage en Égypte, en Grèce et à Rome, il faut ranger le sistre, qui consistait en une espèce d'ellipse en cuivre, traversée par des tringles sonores qu'on frappait avec une baguette pour le faire résonner; les cymbales, formées de deux plateaux sonores qu'on frappait l'un contre l'autre, et les crotales ou grelots. Un seul instrument bruyant se fait remarquer dans les peintures ou les bas-reliefs antiques; c'est le tambour à grelots, que nous appelons tambour de basque. On en jouait comme de nos jours, soit en le frappant avec la main, soit en l'agitant.

La musique moderne admet un grand nombre d'instrumens de percussion. Parmi les sonores, on remarque, le triangle, qui tire son nom de sa forme, et qui consiste en une verge d'acier qui se frappe avec un morceau de fer. Ce petit instrument, qui est originaire de l'Orient, produit un assez bon effet dans certains morceaux, lorsqu'on n'en prodigue pas l'usage. Il s'unit bien, dans la musique militaire, aux autres instrumens de percussion sonore. Le chapeau-chinois ou crotale et les cymbales [-184-] viennent aussi de l'orient où l'on fabrique les meilleurs. Ces instrumens ne servaient autrefois que dans la musique militaire; mais Rossini et ses imitateurs en ont transporté l'usage; ou plutôt l'abus, au théâtre, en l'unissant au plus bruyant des instrumens de percussion, cette grosse caisse étourdissante, qui n'est bien placée qu'à la tête d'une troupe de soldats dont elle guide les pas.

Au nombre des instrumens bruyans de percussion se trouvent les timbales, qui se distinguent des autres par la possibilité de varier leurs intonations et de pouvoir s'accorder. Les timbales consistent en deux bassins de cuivre recouverts d'une peau tendue par un cercle de fer qui se serre par des vis. Chaque timbale rend un son différent, et ces sons se modifient en serrant ou desserrant le cercle de fer. Les deux timbales s'accordent ordinairement à la quinte ou la quarte l'une de l'autre: mais il est des cas où cet ordre est interverti. Bien que l'intonation de la timbale ne soit pas d'une perception facile; cependant une oreille attentive parvient à la discerner quand l'instrument est bien accordé.

Deux autres instrumens du même genre [-185-] s'emploient dans la musique militaire: l'un est le tambour proprement dit, qui n'est que bruyant, et qui sert à marquer le rhythme de la marche des soldats; l'autre est la caisse roulante, qui consiste dans une caisse plus alongée que le tambour, et qui rend un son plus grave et moins fort. On les introduit quelquefois dans les orchestres ordinaires.

Dans la récapitulation que je viens de faire des instrumens de musique, j'ai négligé quelques variétés qui n'ont eu qu'une courte existence, ou qu'on ne peut considérer que comme des instrumens de fantaisie. Toutefois je ne dois point passer sous silence ceux de cette espèce qui ont eu pour objet de résoudre deux problèmes difficiles, en enrichissant la musique d'un système d'effet qui n'existait pas, et en fournissant aux compositeurs les moyens de conserver leurs improvisations. Je veux parler des instrumens qui réunissent le clavier à l'archet, et des pianos mélographes.

Il y a plus d'un siècle qu'on a essayé pour la première fois de donner aux instrumens à clavier la faculté de soutenir les sons à l'exemple des instrumens à archet. Vers 1717, un facteur de clavecins de Paris essaya de résoudre la difficulté [-186-] dans un instrument qu'il nomma clavecin vielle, parce qu'il ressemblait à une vielle posée sur une table, parce qu'au lieu d'archet il y avait mis une roue, et parce que le son était semblable à celui d'une vielle. Cet instrument fut approuvé par l'Académie des sciences. Il paraît qu'il se passa beaucoup de temps avant qu'on songeât à perfectionner l'invention de ce facteur. Vers la fin du dix-huitième siècle, un mécanicien de Milan, nommé Gerli, fit entendre dans plusieurs concerts et dans des églises un instrument qui avait la forme d'un clavecin, et qui était monté de cordes de boyau, lesquelles étaient jouées par des archets de crin, selon ce qui est rapporté dans les journaux italiens de ce temps.

Lors de l'exposition des produits de l'industrie qui eut lieu aux Invalides, en 1806, Schmidt, facteur de pianos, à Paris, présenta un instrument qui avait la forme d'une longue caisse carrée; à l'une de ses extrémités se trouvait un clavier avec un mécanisme de piano ordinaire; de l'autre côté était un autre clavier destiné à faire mouvoir de petits archets cylindriques qui faisaient résonner des cordes de boyau. Les sons qu'on obtenait par ce mécanisme [-187-] avaient l'inconvénient de ressembler à ceux de la vielle.

Divers autres essais ont été tentés et ont plus ou moins réussi. Un mécanicien, nommé Pouleau, a fait, vers 1810, un orchestrino qui était du même genre que l'instrument de Schmidt; les sons en étaient assez agréables, mais faibles. L'abbé Grégoire Trentin a construit ensuite un violin-cembalo qui était de la même espèce. Il en est de même d'un sostenante-piano-forte inventé par Monsieur Mott, de Brighton, et du plectro-euphone que Messieurs Gama, de Nantes, ont fait entendre à Paris en 1828. Enfin, Monsieur Dietz est arrivé aussi près que possible de la solution du problème, dans son polyplectron, qu'il a fait connaître dans le même temps. Les principes d'après lesquels Monsieur Dietz a construit son instrument sont plus conformes à ce que l'observation enseigne sur la résonnance des instrumens à archet, que ceux qui avaient été adoptés par ses prédécesseurs. Le polyplectron est susceptible de produire une foule d'effets fort jolis; mais ce sont ceux d'un instrument particulier plutôt que des imitations du violon et des autres instrumens à archet.

L'idée de construire un clavecin ou piano au [-188-] moyen duquel on conserverait les improvisations d'un compositeur a beaucoup occupé plusieurs mécaniciens. Un Anglais, nommé Creed, fut le premier qui écrivit, en 1747, un mémoire où il prétendait démontrer la possibilité de cette invention. On assure qu'un moine nommé Engramelle exécuta, vers 1770, une machine de cette espèce dont le succès fut complet; mais les explications qu'on en donne sont fort obscures, et de nature à faire naître des doutes sur la vérité des faits. D'un autre côté, Jean-Frédéric Ungher, conseiller de justice à Brunswick, a réclamé, dans un ouvrage allemand imprimé en 1774, l'invention de la machine attribuée à Creed, et a prouvé qu'il avait exécuté antérieurement un instrument semblable.

Au mois d'août 1827, Monsieur Carreyre a fait, devant l'Académie des beaux-arts de l'Institut, l'essai d'un piano mélographe qui consistait en un mouvement d'horloge, lequel faisait dérouler d'un cylindre sur un autre une lame mince de plomb où s'imprimaient, par l'action des touches du piano, certains signes particuliers qui pouvaient se traduire en notation ordinaire, au moyen d'une table explicative. Après l'expérience, la bande fut enlevée pour [-189-] en opérer la traduction, et une commission fut nommée pour en faire le rapport; mais ce rapport n'ayant point été fait, il est vraisemblable que la traduction ne s'est point trouvée exacte. Dans le même temps, Monsieur Baudouin a lu à l'Académie un mémoire, accompagné de dessins, sur un autre piano mélographe; mais l'Institut n'a point prononcé sur le mérite de cette découverte. Il résulte de tout cela que le problème reste encore à résoudre.

Dans l'exposé rapide qui vient d'être fait de ce qui concerne les instrumens et leur fabrication, on a pu remarquer la prodigieuse fécondité d'imagination qui s'est manifestée dans toutes ces inventions. Les choses en resteront-elles où elles sont à cet égard? cela est très probable. Tous les hommes de mérite qui se sont occupés de la construction des instrumens ont voulu les perfectionner par une application plus sévère des principes de la théorie; mais dans la pratique les résultats n'ont point été ce qu'ils espéraient, soit par des causes inconnues, soit qu'on n'eut pas pris les précautions nécessaires. La théorie s'est trouvée quelquefois en opposition avec la pratique. Par exemple, les principes de la résonnance des surfaces vibrantes [-190-] démontrent que les violons, violes et basses sont construits sur des données arbitraires plutôt que fondées en raison; mais dans l'application de ces principes on n'est point parvenu à faire des instrumens aussi bons que ceux qu'on fabrique par des règles dont l'origine est inconnue. Même chose se remarque dans les pianos. Le temps portera la lumière dans ces faits mystérieux.

[-191-] CHAPITRE XIII.

De l'instrumentation.

L'instrumentation est l'art d'employer les instrumens de la manière la plus utile pour en tirer le meilleur effet possible dans la musique. Cet art peut s'apprendre avec le temps et l'expérience des effets; mais il exige, comme toutes les autres parties de la musique, une disposition particulière, un certain pressentiment du résultat des combinaisons. Le compositeur, en disposant l'ensemble de sa musique, en faisant en un mot ce qu'on appelle la partition, c'est-à-dire la réunion de toutes les parties qui doivent concourir à l'effet, ne pourrait écrire qu'au hasard, s'il n'avait présens à la pensée la qualité des sons de chaque instrument, leur accent, les effets qui résultent de leurs combinaisons partielles ou totales. Quelquefois, il est vrai, on obtient des effets qu'on n'avait point prévus; dans d'autres circonstances, ceux qu'on s'était efforcé de produire ne réussissent pas; mais en général, un compositeur habile [-192-] parvient au but qu'il se propose dans l'arrangement de l'instrumentation.

Ce n'est pas une des moindres merveilles de la musique que cette faculté d'entendre par la seule force des facultés intellectuelles l'effet d'un orchestre dont on dispose l'instrumentation, comme si cet orchestre jouait réellement; c'est cependant ce qui a lieu chaque fois qu'un compositeur imagine un morceau quelconque; car le chant, les voix qui l'accompagnent, l'harmonie, l'effet des instrumens, tout enfin se conçoit d'un seul jet, toutes les fois qu'un musicien est né véritablement digne de ce nom. Quant à ceux qui n'imaginent les choses que successivement, on peut assurer que leurs conceptions musicales resteront toujours dans des bornes étroites. Tel était Grétry, qui avait le génie de l'expression dramatique et celui des chants heureux, mais qui, n'étant que médiocrement musicien, ne pouvait se former tout d'un coup l'idée de l'ensemble d'un morceau. Mais Haydn, Mozart, Beethoven, Chérubini, Rossini, n'ont jamais été forcés d'y revenir à deux fois pour comprendre les effets qu'ils voulaient produire.

Il est un genre de connaissances matérielles [-193-] qui n'est pas moins utile au compositeur: c'est celui de la portée de chaque instrument, des traits qu'ils peuvent exécuter et de ceux qui leur offriraient des difficultés insurmontables. Ce genre de connaissances peut facilement s'acquérir ou par la lecture des partitions, ou par les leçons d'un maître, ou, mieux encore, par la culture de quelques-uns de ces instrumens. Le soin que prend un compositeur de ne mettre dans chaque partie que ce que les artistes peuvent exécuter avec facilité tourne au profit de l'exécution de sa musique.

Rarement on fait usage d'un seul instrument de chaque espèce dans l'instrumentation; presque toujours les clarinettes, les hautbois, les bassons, les cors, les trompettes s'emploient deux à deux: cependant on écrit quelquefois une partie de flûte seule, lorsqu'elle doit s'unir à des parties de clarinettes ou de hautbois. Quelquefois les cors sont au nombre de quatre; mais dans ce cas on en écrit deux dans un ton et deux dans un autre. Dans les morceaux qui demandent de l'éclat et de la force, on ajoute deux parties de trompettes aux parties de cors. Le trombone ne s'emploie point seul; il est ordinaire de réunir le trombone alto, le ténore, [-194-] et la basse. Le système général des instrumens à vent dans une ouverture ou dans un autre grand morceau dramatique, se compose de deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux ou quatre cors, deux trompettes, trois trombones et deux bassons. On y joint presque toujours deux timbales.

Deux parties de violons, une ou deux parties de violes, violoncelle et contrebasse composent l'ensemble des instrumens à cordes d'une symphonie, et de toute espèce de musique à grand orchestre. Le nombre d'instrumentistes qu'on réunit à chaque partie de violon est indéterminé. Il peut être de huit, dix, douze et même de vingt. Les parties de violes, de violoncelle et de contrebasse sont jouées aussi par un certain nombre d'artistes.

Mozart, Haydn et quelques autres compositeurs distingués variaient le système d'instrumentation de leurs morceaux; quelquefois ils n'employaient que les hautbois et les cors comme instrumens à vent; d'autres fois, les flûtes et les clarinettes remplacaient les hautbois; d'autres fois enfin toutes les richesses de l'orchestre étaient réunies. D'heureuses oppositions d'effets résultaient de cette variété. Dans [-195-] la nouvelle école, tous les moyens sont toujours réunis pour obtenir le plus grand effet possible, quel que soit le caractère du morceau. Chaque partie de la composition, prise isolément, est plus riche d'effets, grace à cette profusion de moyens; mais une certaine monotonie est la suite inévitable de l'uniformité de ce système. Malheureusement il en est de ce défaut comme de celui de l'abus du bruit; il a fini par devenir un mal nécessaire. Accoutumée à ce luxe d'instrumentation, l'oreille, bien qu'elle en soit souvent fatiguée, trouve faible ce qui en est dépourvu. Rien n'est funeste comme de fatiguer les sens par des sensations fortes trop prolongées ou trop répétées: le palais d'un gourmand, lorsqu'il est usé par les sauces relevées et par le piment, trouve que les mets simples et naturels manquent de saveur.

Les accompagnemens d'une musique bien faite ne se bornent point à soutenir le chant par une harmonie plaquée; souvent on y remarque un ou deux dessins qui semblent au premier abord devoir contrarier la mélodie principale, mais qui, dans la réalité, concourent à former avec elle un tout plus ou moins [-196-] satisfaisant. Ces systèmes d'accompagnemens figurés peuvent importuner une oreille peu exercée, mais ils complètent le plaisir des musiciens instruits et des amateurs éclairés. Quelquefois ils deviennent la partie la plus importante du morceau, et les voix leur servent en quelque sorte d'accompagnement. Cela se remarque dans ces airs bouffes italiens qu'on désigne par ces mots: note et parole, et dans les choeurs. Dans ces circonstances, il est nécessaire que les formes de l'accompagnement soient gracieuses et chantantes, ou sémillantes et vives. Les oeuvres de Mozart, de Cimarosa et de Paisiello renferment des choses charmantes en ce genre. Parmi les ouvrages français, les opéras de Monsieur Boieldieu sont remplis de ces sortes d'accompagnemens spirituels.

Les instrumens de cuivre, tels que les cors, trompettes, trombones et ophicléides ont acquis une importance qu'ils n'avaient pas autrefois; Méhul et Monsieur Chérubini ont commencé à la lui donner; Rossini a achevé la révolution, et a enrichi l'emploi de ces instrumens d'une foule de combinaisons et d'effets qui étaient inconnus avant qu'il écrivît: employés avec sobriété, ces mêmes effets augmenteront beaucoup [-197-] la puissance de la musique dans certaines circonstances où l'emploi des moyens ordinaires est insuffisant.

Après avoir jeté un coup d'oeil sur les riches combinaisons d'effets dont on a poussé l'usage jusqu'à l'abus depuis quelques années, une question se présente; la voici: abstraction faite des créations du génie, que fera-t-on maintenant pour continuer la marche progressive des effets dont on est devenu si avide? Espère-t-on en obtenir de nouveaux en augmentant le bruit? Non, car ces moyens mêmes sont interdits, à moins qu'on n'augmente le diamètre des timbales et des tambours. D'ailleurs on se lasse du bruit comme de toute autre chose. D'un autre côté, il y aurait peut être beaucoup de difficulté à ramener le public à la simplicité d'orchestre de Cimarosa et de Paisiello, car il faudrait bien plus de génie pour faire adopter cette marche rétrograde qu'il n'en a fallu pour nous conduire au point où nous sommes. Que reste-t-il donc à faire? Il me semble qu'on peut l'indiquer; voici mes idées à cet égard.

La variété, comme on sait, est ce qu'on désire le plus dans les arts et ce qui est le plus rare. Le moyen d'obtenir le meilleur effet de [-198-] l'orchestre serait donc d'établir cette variété dans l'instrumentation, au lieu d'adopter un système différent pour chaque morceau. Tous les opéras du dix-septième siècle ont pour accompagnement des violons, des violes et des basses de viole. Au commencement du dix-huitième siècle, l'accompagnement consiste en violons, basses, flûtes ou hautbois; successivement les ressources augmentent, mais les formes de l'instrumentation sont toujours de même tant qu'un système est en vigueur. De nos jours il est rare de trouver un air, un duo, une romance même qui n'aient pour accompagnement deux parties de violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûtes, hautbois, clarinettes, cors, trompettes bassons, timbales, et cetera. Quelle source de monotonie qu'une semblable obstination à reproduire sans cesse les mêmes sons, les mêmes accens, les mêmes associations! Pourquoi, avec des moyens bien plus développés, ne donnerait-on pas à chaque morceau une physionomie particulière, par la différence de sonorité des instrumens? On aurait des airs, des duos, des romances, des quatuors même accompagnés par des instrumens à corde de différentes espèces, ou [-199-] même d'une seule, telle que des violoncelles ou des violons et altos; on pourrait diviser le système des instrumens à cordes en deux: une partie serait à sons soutenus, l'autre à sons pincés. On pourrait également employer des flûtes ou des clarinettes seules; des hautbois avec des cors anglais et des bassons; des associations d'instrumens de cuivre, telle que les trompettes ordinaires, trompettes à clefs, cors, ophicléides et trombones. Cette variété que je propose pourrait être établie non-seulement dans des morceaux différens, mais même dans le cours d'une scène. La réunion de toutes les ressources aurait lieu dans les situations fortes, dans les finales, et cetera, et l'on en tirerait d'autant plus d'effet que cette réunion serait plus rare.

Tout cela, dira-t-on, n'est pas le génie. Je le sais; il est heureux qu'il en soit ainsi; car s'il y avait des procédés pour faire de bonne musique, ce ne serait plus un art. Mais pourquoi n'offrirait-on pas à ce génie, sans lequel on ne peut rien, toutes les ressources que l'expérience ou la réflexion font trouver? Pourquoi borner son domaine? Réduisez Mozart et Rossini au quatuor de Pergolèse, ils trouveront de [-200-] beaux chants, une harmonie élégante, mais ils ne pourront produire les effets si énergiques que vous admirez dans leurs compositions. Comment supposer l'existence de Don Juan et de Moïse, avec des violons, altos et basses? N'en doutons pas, les beaux effets qu'on y trouve sont le résultat d'un orchestre formidable et du génie qui a su le mettre en oeuvre. Les grands maîtres des anciennes écoles ont aussi inventé des effets d'un autre genre avec des moyens bien plus simples; et voilà pourquoi je demande qu'on ne renonce point à ces moyens. Je désire qu'on use de tout: le reste est l'affaire du talent. Tout le monde a remarqué qu'au théâtre les morceaux sans accompagnement plaisent toujours quand ils sont bien chantés; cet effet est une conséquence naturelle d'un changement de moyens indépendant même de la manière plus ou moins heureuse dont le compositeur l'emploie. Qu'on essaie du même procédé à l'égard de l'instrumentation, et l'on verra disparaître cette satiété qui se fait toujours sentir vers la fin de la représentation d'un opera de longue durée, quelque beau qu'il soit.

[-201-] CHAPITRE XIV.

De la forme des pièces dans la musique vocale, et dans l'instrumentale.

La musique, soit vocale, soit instrumentale, a diverses destinations qui établissent des différences naturelles dans la forme des morceaux. Quatre grandes divisions s'établissent d'abord dans la musique vocale; ce sont: premier la musique sacrée; deuxième la musique dramatique; troisième la musique de chambre; quatrième les airs populaires. La musique instrumentale ne se divise qu'en deux espèces principales: premier la musique d'orchestre; deuxième la musique de chambre. Ces genres caractéristiques se subdivisent eux-mêmes en plusieurs classes particulières.

Dans la musique d'église, on trouve les messes entières, les vêpres, les motets, Magnificat, Te Deum et litanies. Les messes sont de deux espèces, ou brèves ou solennelles. On appelle messe brève celle où les paroles ne sont presque point répétées. Dans celles-là, le Kyrie, le Gloria, le Credo, le Sanctus et l'Agnus Dei, qui sont les divisions principales, [-202-] ne forment qu'un morceau de peu de durée. Il n'en est pas de même des messes solennelles; celles-ci ont quelquefois un développement si considérable que leur exécution dure deux ou trois heures. Dans ces messes, le Kyrie, le Gloria, le Credo se divisent en plusieurs morceaux, qui sont indiqués par la nature des paroles. Par exemple, après l'introduction du Credo, qui est ordinairement pompeuse, viennent l'Incarnatus est, qui doit former un morceau religieux, le Crucifixus, dont le caractère est sombre ou mélancolique, et le Resurrexit, qui annonce la joie. Les messes solennelles de Pergolèse, de Léo, de Duranté et de Jomelli 1 n'avaient pas autant de développement qu'on leur en donne aujourd'hui. La raison de cette différence consiste dans la manière de concevoir la musique d'église. Les anciens maîtres croyaient que ce genre de musique devait être pompeux ou religieux; mais ils ne pensaient point à le rendre dramatique. Nos compositeurs modernes, Mozart et Monsieur Chérubini, par exemple, ont conçu la musique d'église d'une [-203-] manière toute dramatique, ce qui exige bien plus de développement, puisqu'il faut peindre une foule d'oppositions indiquées par les paroles sacrées.

Lorsque les églises étaient fréquentées par la haute société pendant presque toute la durée des fêtes et dimanches, comme cela se pratiquait il y a environ cinquante ans, on écrivait beaucoup de vêpres en musique; mais depuis que cet usage a cessé, les compositeurs ne se livrent plus à ce genre de travail, qui était très long. Les Magnificat, qui faisaient partie de ces vêpres sont abandonnés ainsi que les litanies. Les Te Deum, qui servent aux réjouissances publiques, et les motets, sont les seules pièces détachées de musique d'église auxquelles les compositeurs travaillent encore. Leur développement plus ou moins grand dépend de la fantaisie du musicien.

Dans les usages des églises catholiques on ne connaît que deux manières de chanter les prières, savoir, le plain-chant et la musique solennelle. Le plain-chant, tel qu'on l'entend dans les églises de France, est horriblement défiguré par une mauvaise exécution; l'usage de la musique solennelle y devient chaque jour plus [-204-] rare, en sorte qu'une oreille un peu délicate est sans cesse exposée à être déchirée par les braillemens des chantres, qui ne comprennent ni les paroles qu'ils prononcent, ni le chant qu'ils exécutent. Il est fâcheux qu'on ne puisse, à l'imitation des églises protestantes d'Allemagne, introduire dans les nôtres un genre de musique simple et facile qui soit chanté par le peuple, sans autre accompagnement que les jeux doux de l'orgue. Il y aurait dans une musique usuelle semblable et plus de recueillement religieux, et plus de satisfaction pour l'oreille. Ce genre de musique aurait d'ailleurs l'avantage de former le peuple à un meilleur goût, et de lui faire perdre l'habitude de ces cris inhumains qui rendent les chants populaires odieux et révoltans.

L'oratorio, en Italie, en Allemagne et en Angleterre, fait partie de la musique religieuse; mais en France, ce n'est que de la musique de concert, car jamais on n'y exécute d'oratorio dans les églises. Lorsque les compositeurs français se livraient à ce genre de travail, ils faisaient toujours exécuter leurs productions au concert spirituel. Haendel, célèbre musicien allemand qui a passé la plus grande partie de [-205-] sa vie en Angleterre, a composé de magnifiques ouvrages en ce genre sur des paroles anglaises; le Messie, Judas Machabée, Athalie, Samson et la cantate des Fêtes d'Alexandre sont cités surtout comme des modèles du style le plus élevé. Quels que soient les progrès de la musique à l'avenir, Haendel sera toujours cité comme un des plus beaux génies qui ont illustré cet art.

Le genre de musique qui est le plus généralement connu est celui du théâtre. Tout le monde juge la musique dramatique, tout le monde en parle, et ses termes techniques ne sont plus même inconnus aux personnes les moins versées dans l'art. Mais tout le monde ne connaît pas l'origine et les variations des divers morceaux qui entrent dans la composition d'un opéra: je crois donc nécessaire d'entrer à ce sujet dans quelques détails.

La musique était réduite aux formes lourdes du contrepoint, qui ne trouvaient leur application que dans la musique d'église et de chambre, lorsqu'une réunion de littérateurs et de musiciens italiens, parmi lesquels on distinguait Vincent Galilée, Mei et Caccini, imagina de se servir de l'union de la poésie à la musique pour faire revivre le système dramatique des [-206-] Grecs où la poésie était chantée. Galilée fit entendre comme premier essai de ce genre de pièces l'épisode du Comte Ugolin, qu'il avait mis en musique. L'accueil qui fut fait à ce premier essai détermina le poète Rinuccini à composer un opéra de Dafne (vers 1590), qui fut mis en musique par Peri et Caccini. Cet ouvrage fut suivi d'Euridice, et tous deux obtinrent un grand succès. Telle est l'origine de l'opéra.

La partie la plus importante de ces ouvrages consistait en récits, qui quelquefois étaient mesurés, et quelquefois libres de toute mesure. Ces récits prirent le nom de récitatif. La marche de ces récitatifs anciens était moins vive, moins syllabique que celle du récitatif de nos opéras; c'était plutôt une espèce de chant languissant dépouillé de mesure en plusieurs endroits, qu'un récitatif véritable; mais c'était cependant à cette époque une innovation remarquable, puisque rien de ce qui en avait précédé l'invention n'en pouvait donner l'idée.

Dans l'opéra d'Eurydice, qui fut le second qu'on écrivit, un des personnages chante des stances anacréontiques qu'on peut considérer comme l'origine de ce qu'on nomme un air. Une petite ritournelle précède ce morceau. Les [-207-] mouvemens de la basse suivent note pour note ceux de la voix, ce qui donne de la lourdeur au caractère du morceau, mais ce qui établit une différence notable entre ce genre de morceau et le récitatif, où la basse fait souvent des tenues. Au reste, le modèle des airs d'opéras existait auparavant dans les chants populaires qui étaient connus depuis long-temps. Les airs prirent une forme un peu plus arrêtée dans un drame musical d'Étienne Landi, intitulé Il Santo Alessio, qui fut composé et représenté à Rome en 1634. Celui qui se trouve au premier acte de cet ouvrage, sur les paroles: se l'hore volano, est remarquable non-seulement par le rhythme de la première phrase du chant, mais aussi par un trait de vocalisation assez étendu sur il volo; mais, comme tous les airs du dix-septième siècle, il a le défaut de contenir des changemens de mesure et de passer alternativement de trois à quatre temps. Une monotonie de forme se trouve dans tous les airs de cette époque: ils sont tous coupés en couplets comme nos vaudevilles ou nos romances. Cette habitude se retrouve encore dans tous les opéras de Cavalli, qui en composa près de quarante, et particulièrement dans son Jason, qui [-208-] fut représenté à Venise en 1649. Par une singulière disposition, tous les airs de ce temps étaient placés au commencement des scènes et non vers la fin, comme dans les opéras modernes.

Dans la seconde moitié du dix-septième siècle, la coupe des airs fut changée, et les plus habiles compositeurs en adoptèrent une qui était ce qu'on pouvait imaginer de plus défavorable à l'effet dramatique et à la raison. Ces airs commencaient par un mouvement lent qui se terminait dans le ton du morceau; puis venait un mouvement vif, conçu dans un système d'expression scénique, après quoi l'on revenait au mouvement lent, qui était répété en entier. Le moindre défaut de ce retour était de détruire l'effet musical qui venait d'être produit par l'allegro; car il arivait souvent qu'il était un contresens. Par exemple, dans l'air de l'Olympiade, où Mégaclès, déterminé à s'éloigner d'Aristée qu'il aime, pour la céder à Licidas, son ami, adresse à celui-ci ces vers touchans:

Se cerca, se dice:

L'amico dov'è?

L'amico infelice,

Rispondi, mori, et cetera.

[-209-] C'est-à-dire: "Si elle cherche, si elle dit: Où est ton ami? réponds: Mon malheureux ami est mort. Ah! non; ne lui cause point une si grande peine pour moi; réponds seulement en pleurant: Il est parti. Quel abîme de maux! quitter ce qu'on aime, le quitter pour toujours, et le quitter ainsi!"

Tous les compositeurs qui ont écrit de la musique sur ces paroles n'ont pas manqué, après le mouvement vif et dramatique qu'ils plaçaient sur ces mots, quel abîme de maux! de revenir froidement au commencement, et de reprendre le mouvement lent des mots, si elle cherche, et cetera, comme s'il était possible que Mégaclès se calmât subitement après une explosion passionnée. Jomelli est le premier qui ait senti la nécessité de finir par les quatre derniers vers.

L'usage de la coupe d'airs dont je viens de parler s'est perpétué jusqu'à Piccini et Sacchini. On en écrivit aussi beaucoup dans le cours du dix-huitième siècle qui n'étaient composés que d'un seul mouvement très lent et très développé: de pareils morceaux, malgré tout leur mérite, ne pourraient plus réussir aujourd'hui, où l'on s'est habitué aux rhythmes plus ou [-210-] moins rapides et prononcés. De simples cavatines, d'une courte durée, peuvent seules être écrites dans cette manière.

Parmi les formes d'airs qui ont eu le plus de succès, le rondeau, qui consiste à reprendre plusieurs fois la première phrase dans le cours du morceau, tient la première place. Son invention paraît appartenir à un compositeur italien nommé Buononcini, qui vivait au commencement du dix-huitième siècle. Plus tard, Sarti, autre maître renommé, imagina le rondeau à deux mouvemens, dont il donna, le premier exemple dans l'air un amante sventurato, qu'il écrivit à Rome pour le chanteur Millico, et qui eut un succès prodigieux.

Un compositeur du plus beau génie, nommé Majo, qui ne vécut point assez pour sa gloire, donna le premier exemple d'un air à un seul mouvement allegro sans reprise, dans celui dont les premiers mots sont, ah! non parla. Cette coupe d'air a eu plus de succès en France qu'en Italie, car presque tous les airs d'opéras français des anciens compositeurs ont été fait dans cette forme.

Paisiello, Cimarosa, Mozart, Paër et Mayer ont écrit beaucoup d'airs de demi-caractère composés [-211-] d'un mouvement lent suivi d'un allegro, et quelques-uns de ces airs sont des chefs-d'oeuvre d'expression ou passionnée ou comique. Leur coupe paraît être la plus favorable à l'effet musical. Rossini a fait adopter une autre disposition, qui consiste à faire un premier mouvement allegro modéré, suivi d'un andante ou d'un adagio, et à terminer le morceau par un mouvement vif et rhythmé. Cette disposition serait bonne, quant à l'effet, si elle ne donnait aux morceaux un développement trop considérable, qui souvent fait languir la situation dramatique. La gradation des mouvemens de plus en plus précipités est un moyen presque infaillible de ranimer l'attention de l'auditoire: les imitateurs de Rossini, qui n'ont pas son génie, s'en servent souvent pour cacher la nullité de leurs idées. Il en est de ces coupes d'airs comme des moyens d'instrumentation; on peut s'en servir avec avantage, pourvu que ce ne soit pas un thême tout fait qu'on présente toujours de la même manière. Toutes les dispositions d'airs dont il vient d'être parlé sont admissibles, si l'on sait les employer à propos; il doit résulter de leur mélange une variété qui n'existe [-212-] plus, et dont le besoin se fait sentir chaque jour davantage.

Une sorte de petit air, qu'on nomme couplet quand le caractère en est gai, et romance lorsqu'il est mélancolique, appartient originairement à l'opéra français. Dans sa nouveauté, l'opéra comique, tel qu'il parut aux foires Saint-Laurent et Saint-Germain, n'était que ce qu'on nomme maintenant le vaudeville. Les couplets en faisaient tous les frais. Ce petit genre de musique, né du goût fort ancien des Français pour les chansons, est encore fort à la mode dans le public, et souvent les compositeurs qui veulent lui plaire en font usage jusqu'à l'abus. Cependant, tout en condamnant cette profusion de petits morceaux, je suis loin d'en blâmer absolument l'usage. Les couplets et les romances, qui exigent de la part du musicien de l'esprit et du goût, ont l'avantage de ne pas ralentir la marche scénique, comme le ferait un grand air, et l'on peut y mettre des mélodies aussi suaves, aussi élégantes que dans celui-ci. Toute la différence consiste dans les proportions qui sont plus petites. Les couplets et les romances ont d'ailleurs l'avantage de varier les [-213-] formes. Les compositeurs italiens ont senti qu'il était possible d'en tirer bon parti; depuis peu d'années ils ont introduit dans leurs opéras des romances qui ont toujours été bien accueillies, même par les Italiens. A la tête de ces morceaux il faut placer la romance d'Otello.

Après l'air, le genre de morceau qu'on trouve le plus communément dans la musique de théâtre est le duo. Ses formes ont subi à peu près les mêmes variations que celles des airs. Le premier exemple d'un duo se trouve dans le drame d'il Santo Alessio, dont j'ai déjà parlé; mais c'est surtout dans l'opéra bouffe italien qu'on le trouve le plus souvent employé. Les anciens opéras sérieux italiens n'en contenaient autrefois qu'un seul, qui était toujours placé dans la scène la plus intéressante. Ajourd'hui on n'écrit guère d'opéra qui ne renferme plusieurs duos, ou comiques, ou sérieux, ou de demi-caractère.

Les compositeurs italiens n'écrivent plus que des duos dont ils semblent mesurer le mérite à la taille; ce sont toujours les mêmes patrons, c'est-à-dire les trois interminables mouvemens; et l'on se croirait déshonoré si l'on composait un duo court et gracieux comme [-214-] ceux du Mariage de Figaro et de Don Juan, Su l'aria; Crudel, perche fin ora; ou La ci darem la Mano. Il faudra pourtant en revenir à user quelquefois de ces proportions, qui, quoi qu'on en dise, sont plus dramatiques que la plupart des longs morceaux qui leur ont succédé.

Les trios d'opéras sont nés en Italie, comme tous les morceaux d'ensemble. C'est dans l'opéra bouffe que Logroscino, compositeur vénitien, en fit le premier essai vers 1750. Il fut surpassé dans ses effets par Galuppi, compositeur vénitien; mais ce fut surtout Piccini qui, dans sa Buona Figliola, porta ce genre de morceaux, qu'on appelle en général morceaux d'ensemble, à un point de perfection très remarquable. Les finale, qui n'en sont que des modifications très développées, devinrent aussi nécessaires pour les terminaisons d'actes. On sait tout l'intérêt que Paisiello, Cimarosa et Guglielmi surent répandre sur cette partie de la musique. Le fameux septuor du Roi Théodore fut un pas immense fait dans l'art de jeter de l'intérêt sur les scènes lyriques à personnages nombreux; Mozart compléta ensuite cette grande révolution musicale par ses merveilleux [-215-] trios, quatuors, sextuors et finales de la Flûte enchantée, de Don Juan et du Mariage de Figaro. Rossini n'a point inventé dans la forme des morceaux d'ensemble; mais il a perfectionné des détails de rhythme et d'instrumentation.

Les anciens compositeurs français ne comprenaient pas l'utilité des grandes réunions de voix qui n'auraient peut-être pas été à la portée de leur auditoire. D'ailleurs les sujets d'opéras comiques étaient trop légers, et le nombre des personnages trop peu considérable pour qu'on pût rien écrire de semblable. Cependant Philidor saisit l'occasion qui lui fut offerte dans Tom Jones pour faire un bon quatuor; Monsigny, dont le savoir en musique était fort médiocre, mais qui possédait une imagination très vive et beaucoup de sensibilité, fit aussi dans Félix ou l'Enfant trouvé un trio, sinon fort bon, du moins fort expressif.

Quant à l'opéra sérieux français, Gluck, qui en avait fixé la forme, ne fit entrer dans sa composition que le récitatif porté à sa plus grande perfection, les choeurs, les airs, rarement les duos, et presque jamais les trios, quatuors ou morceaux d'ensemble. Les formes un peu compliquées [-216-] de ce genre de musique ne commencèrent à se naturaliser en France que par les travaux de Méhul et de Monsieur Chérubini. Concevant les développemens de la scène lyrique sur un plan plus vaste que leurs devanciers, ces deux grands musiciens appliquèrent à la scène française les améliorations de l'opéra italien, en les modifiant par les qualités particulières de leur génie. Leurs productions eurent un degré d'énergie de plus que celles de Paisiello et de Cimarosa; ils exagérèrent même la richesse d'harmonie dont l'école allemande avait donné le modèle; ils firent des découvertes dans l'instrumentation, découvertes dont Rossini a profité depuis lors; ils furent enfin plus observateurs de l'exactitude dramatique; mais ils chantèrent moins heureusement, et firent quelquefois consister un peu plus le mérite de la musique dans l'arrangement que dans l'inspiration. Quoi qu'il en soit de l'opinion qu'on peut se faire du genre qu'ils avaient adopté, on ne peut nier que leur mérite soit immense; ce sont eux qui ont fait enfin pénétrer dans la musique des proportions musicales plus grandes que celles dont les Français avaient l'habitude, et qui ont écrit de vrais morceaux d'ensemble, [-217-] de vrais finales dignes de fixer l'attention des musiciens instruits et des gens de goût. Leur exemple a tracé la route à d'autres compositeurs habiles qui leur out succédé: Messieurs Boïeldieu, Catel, Auber, Hérold et d'autres, se font gloire d'avoir reçu leurs conseils et suivi leur exemple. Monsieur Boïeldieu s'est particulièrement distingué par la grace, l'élégance et l'esprit qu'il a su allier avec les formes musicales.

Une des qualités par lesquelles l'école française s'est distinguée le plus, est celle d'avoir produit des choeurs excellens: Rameau fut le premier qui fit briller les opéras français par la beauté de ce genre de morceau. Si son mérite est inférieur à celui de Haendel sous le rapport de la richesse des formes savantes et de la modulation, on ne peut nier du moins qu'il n'ait su donner aux choeurs de ses opéras une grande force dramatique. D'ailleurs, les formes savantes des choeurs d'oratorios et les fugues dont ils sont remplis ne conviennent point à la scène; car il ne faut point détourner l'attention de l'objet principal, qui est l'intérêt dramatique. Depuis Rameau, une immense quantité de choeurs français ont été écrits par Gluck, Méhul, Chérubini, et toute leur école.

[-218-] Cette portion de l'opéra était autrefois la plus faible en Italie, parce que les spectateurs italiens n'y attachaient aucune importance. Messieurs Paër et Mayer ont été les premiers à rendre aux choeurs l'éclat qu'ils doivent avoir dans la musique dramatique; Rossini est venu après eux enrichir cette partie du drame de formes mélodiques qu'on ne lui avait pas données auparavant; il en résulta des effets nouveaux auxquels on n'était pas accoutumé, et qui eurent le plus grand succès. Toutefois il faut avouer que si la voix supérieure des choeurs rossiniens est fort agréable, les autres voix ne les accompagnent que par un placage insignifiant et dénué de toute apparence d'art. Monsieur Meyerbeer a fait de beaux choeurs dans son opéra du Crociato; l'un d'eux a été imité par Rossini dans Semiramide.

L'ouverture des opéras, que les italiens nomment sinfonia, est considérée par quelques personnes comme une partie importante de la musique d'un drame; d'autres en font peu de cas. La première ouverture qui ait joui de quelque réputation en Italie est celle de la Frascatana de Paisiello. L'ouverture d'Iphigénie en Aulide, de Gluck, fit un effet prodigieux [-219-] lorsqu'on l'entendit pour la première fois, en 1773, et depuis lors elle n'a cessé d'exciter l'admiration par le mélange de majesté, de désordre et de pathétique dont elle est empreinte. L'ouverture de Démophon, de Vogel, est aussi fort belle dans son début et dans toute sa première partie, mais la fin est indigne du commencement. Deux autres ouvertures ont eu aussi beaucoup de réputation en France: ce sont celles de la Caravane et de Panurge, composées toutes deux par Grétry. Elles contiennent des phrases d'un chant heureux, mais elles ne méritent point leur réputation, car elles sont mal faites. Dénuées de plan, de facture et d'harmonie, ces ouvertures n'ont pu obtenir leur succès que lorsque le goût du public français était encore à former. Monsieur Chérubini a fait plusieurs ouvertures dont le mérite est très remarquable: elles sont devenues classiques dans presque tous les concerts de l'Europe: on les joue avec un égal succès en Angleterre, en Allemagne et en France. Les plus belles sont celles de l'Hôtellerie portugaise, et d'Anacréon: leur plan, leur facture et leur instrumentation sont également admirables.

Parmi les morceaux de ce genre, il en est [-220-] un qui est considéré comme ce qui existe de plus beau, sous quelque aspect qu'on veuille l'examiner: c'est l'ouverture de la Flûte enchantée, chef-d'oeuvre inimitable qui sera éternellement le modèle des ouvertures et le désespoir des compositeurs. Tout se trouve réuni dans ce bel ouvrage; début large et magnifique, nouveauté des motifs, variété dans la manière de les reproduire, science profonde dans le plan et dans les détails, instrumentation piquante, intérêt croissant et péroraison pleine de chaleur. On peut encore citer comme des modèles d'intérêt dramatique les ouvertures d'Egmont et de Prométhée, de Beethoven. Rossini, dans ses ouvertures de Tancrède, d'Otello, du Barbier de Séville et de Semiramide, a multiplié les mélodies les plus heureuses et les effets d'instrumentation les plus séduisans; mais il y a fait voir que le génie le plus heureusement organisé ne suffit pas toujours pour tirer parti des idées les plus favorables. En effet, tout morceau de musique instrumentale se divise ordinairement en deux parties. La première contient l'exposé des idées de l'auteur et module dans un ton relatif au ton principal; la seconde partie est consacrée au développement de ces [-221-] idées, au retour dans le ton primitif, et à la répétition de certains traits de la première. Le développement des idées dans la seconde partie est ce qu'il y a de plus difficile dans l'art de traiter une ouverture; il exige des études préliminaires dans la science du contrepoint, et du soin dans les combinaisons. Rossini a coupé le noeud gordien; il n'a point fait la seconde partie, et s'est borné à quelques accords pour rentrer dans le ton primitif, et à répéter à peu près exactement toute la première partie dans un autre ton. Le même défaut se reproduit dans toutes les ouvertures de ce compositeur. Les musiciens seuls en sont choqués; la partie du public qui est accoutumée à entendre de bonne musique, éprouve d'abord quelque étonnement dont elle ne se rend pas compte, mais le retour de quelques jolies phrases dissipe bientôt ce moment de surprise.

On a répété souvent qu'une ouverture doit être un résumé de la pièce, et qu'elle doit rappeler quelques traits des situations principales qui s'y trouvent. Plusieurs musiciens ont adopté cette idée, et n'ont fait qu'une espèce de pot-pourri de l'ouverture de leur opéra: cette idée me paraît bizarre. Qu'un résumé de l'opéra soit [-222-] nécessaire, à la bonne heure; mais ce résumé devrait se trouver à la fin de la pièce, où le spectateur peut sentir le mérite du retour de certaines phrases qui lui rappellent des situations de l'ouvrage. Si, au contraire, ces phrases sont entendues par lui avant qu'il ait pris connaissance des situations, elles ne lui rappellent rien et n'attirent pas plus son attention que d'autres phrases ne pourraient le faire. Au reste, il est bon de se rappeler qu'aucune ouverture célèbre n'est faite dans ce système. Les ouvertures d'Iphigénie, de Démophon, de Don Juan, de la Flûte enchantée, d'Egmont, de Prométhée, de l'Hôtellerie portugaise, et d'Anacréon ne sont que des symphonies dramatiques, et non des pots-pourris.

Quoique l'ouverture appartienne à la musique instrumentale, j'ai cru devoir en parler à propos du drame musical. Je reviens à ce qui concerne la forme des pièces vocales.

Dans le cours des seizième et dix-septième siècles il y eut de véritable musique de concert privé, laquelle consistait en une sorte de pièces vocales à quatre, cinq ou six parties, et qu'on nommait madrigaux et chansons; l'usage de ce genre de musique a diminué dès que l'opéra [-223-] fut devenu assez intéressant pour attirer l'attention des amateurs; insensiblement les airs d'opéras ont pris la place de ce qu'on nommait la musique de chambre, et celle-ci a fini par disparaître presque entièrement. On n'en a conservé que les canzonette, en Italie; les liedern, en Allemagne, et les romances pour une ou deux voix, en France. Ces différentes pièces participent du goût national empreint dans les autres parties de la musique de chacun de ces peuples: ainsi le goût des Italiens pour le chant élégant et embelli de fioritures, se remarque dans les canzonette; les liedern ou chansons allemandes se distinguent par une franchise de ton remarquable uni à un sentiment d'harmonie recherché; les romances françaises brillent surtout par une expression ou dramatique ou spirituelle des paroles. On donne souvent le nom de nocturnes aux romances à deux voix.

Ces petites pièces ont quelquefois une vogue prodigieuse dans la nouveauté, et leurs auteurs jouissent pendant dix ou douze ans de réputations de salons fort brillantes, qu'ils perdent par suite de l'engouement qui se manifeste pour quelque nouveau venu. Un musicien [-224-] devenu célèbre dans un genre plus élevé, Monsieur Boïeldieu, a fait des romances charmantes qui ont été fort recherchées; après lui est venu Garat, puis Blangini, puis Madame Gail, à qui Monsieur Romagnési a succédé; Monsieur Amédée de Beauplan a joui d'un instant de vogue; aujourd'hui Messieurs Panseron et Bruguière sont à la mode.

La musique instrumentale se divise en plusieurs branches qui se rattachent à deux espèces principales: premier la musique de concert; deuxième la musique de chambre.

La symphonie tient le premier rang dans la musique de concert. Son origine remonte à un certain genre de pièces instrumentales qu'on nommait autrefois en Italie ricercari da suonare, et en Allemagne partien, lesquelles se composaient de chansons variées, d'airs de danses et de fugues ou morceaux fugués, destinés a être exécutés par des violes, des basses de violes, des luths, théorbes, et cetera. Lorsque ces pièces passèrent de mode, on leur substitua des morceaux coupés, en deux parties d'un mouvement assez vif, suivis d'un autre morceau d'un mouvement plus lent, et d'un rondeau qui tirait son nom de la répétition d'une phrase principale. Les premières symphonies ne furent [-225-] d'abord composées que de deux parties de violon, alto et basse. Un musicien allemand nommé Vanhall commença à perfectionner la symphonie, en y ajoutant deux hautbois et deux cors; il fut imité par Toelsky, Van-Malder et Stamitz. Gossec ajouta les parties de clarinettes et de bassons aux autres instrumens, et les menuets avec les trios augmentèrent le nombre des morceaux qui existaient déjà dans la symphonie. Le menuet tire son nom de la mesure à trois temps dans laquelle il est écrit. Il était autrefois d'un mouvement presque aussi lent que la danse dont il porte le nom; mais insensiblement sa vitesse a augmenté, et Beethoven a fini par en faire un presto. C'est à cause de cela qu'il lui a ôté son nom de menuet, pour lui substituer celui de scherzo (badinage). Je n'ai pu découvrir ce que signifie le nom de trio qu'on donne à la seconde partie du menuet. Il se pourrait qu'il vînt de ce qu'on supprimait quelquefois un instrument dans cette seconde partie.

On ne peut guère prononcer le nom de symphonie sans réveiller le souvenir de Haydn. Ce grand musicien a si bien perfectionné le plan et les détails de ce genre de musique qu'il en est en quelque sorte le créateur. L'histoire [-226-] des progrès du génie et du talent de cet homme étonnant est l'histoire même des progrès de l'art. Déjà ses premiers ouvrages annonçaient sa supériorité sur ses contemporains; mais ils étaient bien inférieurs à ceux qui, depuis, sont sortis de sa plume. Si l'on n'oublie pas que ces mêmes ouvrages ont toujours été mesurés au degré d'habileté des exécutans, habileté qu'il a lui-même provoquée et dont il est en partie cause, on concevra sans peine quelle profondeur de talent il a fallu pour produire des chefs-d'oeuvre en se conformant ainsi à des entraves et à des considérations particulières. Si Haydn était venu dans un temps où le savoir des exécutans eût été ce qu'il est aujourd'hui, il n'aurait rien laissé à faire à ses successeurs. Le talent principal de Haydn consiste à tirer parti de l'idée la plus simple, à la développer de la manière la plus savante, la plus riche en harmonie, la plus inattendue dans ses effets, sans jamais cesser d'être gracieux. Une autre qualité le distingue, c'est la rectitude et la netteté du plan, qui sont telles que l'amateur le moins instruit en suit sans peine les détails comme le musicien le plus habile.

Mozart, toujours passionné, toujours mu [-227-] par un sentiment profond, a moins brillé que Haydn dans le développement de la pensée de ses symphonies; mais il a trouvé, dans cette sensibilité exquise dont il était si abondamment pourvu, une puissance d'émotion qui entraîne toujours l'auditoire et qui lui fait partager sa passion.

Beethoven, dont le talent fut long-temps méconnu en France, règne maintenant dans la symphonie. Plus hardi que les deux grands artistes que je viens de nommer, il ne craint pas d'aborder les plus grandes difficultés, et souvent il en triomphe avec bonheur. Son génie s'élève aux plus hautes régions, nul n'a connu mieux que lui les effets d'instrumentation, dans lesquels il a fait beaucoup de découvertes; mais il est souvent bizarre, incorrect, et semble plutôt improviser que suivre un plan arrêté. Du reste il partage le sort de tous les hommes de génie, en occupant l'attention plutôt des beautés qu'il prodigue que des défauts qui les déparent.

Les quatuors, quintettis, sextuors, et cetera, sont des diminutifs de la symphonie; ils sont destinés à en tenir lieu dans les concerts privés. Haydn, Mozart et Beethoven sont encore [-228-] les chefs de ce genre de symphonie en miniature, et souvent le talent qu'ils y déploient est tel qu'ils font oublier les étroites proportions des moyens qu'ils mettent en usage. Les mêmes qualités que ces trois grands artistes ont mises dans la grande symphonie se retrouvent dans le genre du quatuor.

Un homme qui a vécu pauvre, isolé et méconnu en Espagne, a aussi cultivé ce genre, et particulièrement le quintetto, avec un rare bonheur d'inspiration: cet homme est Bocchérini. N'ayant point assez de communications avec le monde pour être informé des progrès de la musique et des variations du goût, il composa pendant près de cinquante ans sans renouveler ses sensations musicales par l'audition ou par la lecture des oeuvres de Haydn ou de Mozart: il tira tout ce qu'il écrivit de son propre fonds; de là l'indépendance de manière et de style, l'originalité d'idées, et le charme de naïveté qui caractérisent ses productions. On peut désirer plus d'acquit, plus de richesse d'harmonie et quelque peu moins de vieillesse dans les formes de la musique de Bocchérini, mais non plus de véritable inspiration.

[-229-] La sonate, pour un instrument seul ou pour plusieurs réunis, est encore une sorte de symphonie. Son nom vient de suonare, qui signifie jouer d'un ou de plusieurs instrumens. Ce mot ne s'appliquait autrefois qu'aux instrumens à cordes ou à vent; en parlant des instrumens à clavier on disait toccare, d'où l'on avait fait toccata, qui signifie une pièce à toucher; depuis près d'un siècle, sonate se dit de toutes les pièces de ce genre, pour quelque instrument que ce soit.

Comme la symphonie ou le quatuor, la sonate se divise en plusieurs morceaux, qui consistent en un premier mouvement, un adagio et un rondeau: rarement on y joint un menuet. Les sonates accompagnées par un ou deux instrumens prennent ordinairement les noms de duos ou trios. Il y a des sonates de piano composées pour être exécutées par deux personnes. Les quatre mains embrassent toute l'étendue du clavier et remplissent l'harmonie d'une manière riche et intéressante de formes, quand ces pièces sont écrites par un compositeur habile.

Les meilleures sonates de piano ont été écrites par Charles-Philippe-Emmanuel Bach, Haydn, Mozart, [-230-] Beethoven, Clémenti, Dusseck, Cramer; les sonates fuguées de Jean-Sébastien Bach pour clavecin et violon sont des chefs-d'oeuvre. Corelli, Tartini, Locatelli, Leclair, sont à la tête des auteurs qui ont composé les meilleures sonates de violon. Francischello et Duport se sont distingués dans la composition des sonates de violoncelle. Quant aux sonates d'instrumens à vent, il y en a peu qui méritent d'être citées. En général, la musique destinée à ces instrumens est restée dans un état d'infériorité très sensible: un compositeur habile pourrait y acquérir de la réputation, par cela seul qu'il mettrait ce genre de musique à la hauteur des pièces qui ont été écrites pour tous les autres instrumens.

Depuis plusieurs années, la sonate est tombée dans le discrédit. Certaine futilité de goût, qui a fait invasion dans la musique, a substitué aux formes sérieuses de ce genre de pièces des ouvrages plus légers auxquels on donne les noms de fantaisies, d'airs variés, de caprices, et cetera. La fantaisie, dans son origine, était une pièce où le compositeur se livrait à toutes les saillies de son imagination. Point de plan; point de parti-pris; l'inspiration du moment, [-231-] de l'art, de la science même, mais cachée avec soin, voilà ce qu'on trouvait dans la fantaisie telle que Bach, Haendel et Mozart savaient la faire. Mais ce n'est point cela qu'on entend aujourd'hui par ce mot. Jamais fantaisie ne fut moins réelle que ce qu'on trouve dans les pièces qui portent ce nom. Tout, excepté l'art et la science, y est réglé, compassé, arrangé sur un plan qui est toujours le même. Entendre une fantaisie moderne, c'est les entendre toutes, car elles sont toutes faites sur le même modèle, sauf le thème principal, qui n'est pas même d'invention; car c'est presque toujours le chant d'une romance ou d'un air d'opéra qui en fait les frais. La fantaisie se terminant toujours par des variations sur ce thème, l'air varié n'en diffère point. Il n'est pas possible que le dégoût et la satiété ne soient la suite de l'abus qu'on fait de ces formes; alors on reviendra à de la musique plus réelle, et l'art rentrera dans son domaine.

Ces tristes fantaisies, ces airs variés si monotones, ont aussi usurpé la place du concerto, sorte de pièce qui n'est pas sans défaut, mais qui a du moins l'avantage de montrer le talent de l'artiste sous un aspect de grandes proportions. [-232-] Concerto, mot italien qui signifiait autrefois un concert, une assemblée de musiciens qui exécutent divers morceaux de musique (on dit maintenant academia), s'écrivit d'abord concento. Dans le dix-septième siècle on commença à donner le nom de concerto à des morceaux composés pour faire briller un instrument principal que les autres accompagnaient, mais ce ne fut que vers le temps de Corelli, célèbre violoniste romain, que ce genre de pièce devint à la mode. On croit généralement qu'un autre violoniste, nommé Torelli, qui ne le précéda que de quelques années, donna au concerto la forme qu'il a conservée jusque vers 1760. Le concerto, lorsqu'il était accompagné d'un double quatuor de violon, viole et basse, s'appelait concerto grosso, grand concert. Le concerto grosso avait des espèces de tutti où tous les instrumens étaient employés; mais un autre genre de concerto, qu'on appelait concerto da camera, n'avait qu'une partie principale avec de simples accompagnemens. Il n'y eut d'abord que des concertos de violons, mais par la suite on en a fait pour tous les instrumens, et l'on y a joint des accompagnemens d'orchestre complet.

[-233-] Les concertos de violon composés par Corelli, Vivaldi et Tartini furent autrefois célèbres dans le monde; ils le sont encore dans l'école, et méritent la vénération des artistes par la grandeur des pensées et la noblesse du style. Stamitz, Lolli et Jarnowick, bien qu'ils ne fussent pas dépourvus de mérite, ne surent point conserver au concerto son caractère d'élévation. Leurs efforts eurent pour but de se mettre à la portée du public par des choses agréables, et l'on doit avouer qu'ils y réussirent souvent. Le premier de ces violonistes, qui était né en Bohème, et qui brilla à la cour de Manheim, vers 1750, réduisit à deux le nombre des morceaux qui entraient dans la composition du concerto, c'est-à-dire à un premier morceau et au rondeau ou rondo, et divisa chacun de ces morceaux en trois solos, entrecoupés de tutti. Les rondeaux de Jarnowick eurent beaucoup de succès. Enfin parut Viotti, qui, sans rien inventer quant à la forme du concerto, se montra tellement inventeur dans le chant, dans les traits, dans la forme des accompagnemens, dans l'harmonie et dans la modulation, qu'il fit bientôt oublier ses devanciers, et qu'il laissa ses rivaux sans espoir de soutenir [-234-] la comparaison. Viotti ne brillait point par le savoir: ses études avaient été médiocres; mais sa richesse d'imagination était telle qu'il n'avait pas besoin de songer à économiser ses idées. Il composait bien plus par instinct que par réflexion; mais cet instinct le guidait à merveille, et lui faisait rencontrer juste, même dans l'harmonie.

On ne s'est avisé de faire des concertos de clavecin que long-temps après les premières compositions du même genre pour le violon, et plus tard encore on en a eu pour les instrumens à vent: mais les uns et les autres ne furent que des imitations des formes arrêtées du concerto à la Stamitz. Cependant ce sont précisément ces formes qui me semblent vicieuses et qui me paraissent causer l'ennui de l'auditoire. Comment se fait-il qu'on soit resté jusqu'aujourd'hui attaché à une coupe aussi défectueuse que celle de ces concertos où le premier tutti fait entendre exactement les mêmes phrases que le premier solo? où il suit la même modulation de la tonique à la dominante pour revenir ensuite à la tonique et recommencer la même marche? où trois solos, qui ne sont que le développement des mêmes [-235-] idées, les reproduisent sans cesse en variant seulement le ton? où les cadences de repos, multipliées à dessein pour avertir le public qu'il doit applaudir l'exécutant, contribuent à rendre le morceau plus monotone? enfin, où le morceau final reproduit à peu près le même système et tous les défauts du premier allegro? Il serait temps de chercher les moyens d'éviter ces défauts et de ne plus avoir de ces cadres tout faits pour toute espèce de sujets. La fantaisie d'un compositeur doit être libre, et les idées ne doivent pas être accommodées à la forme, mais la forme aux idées.

Il est un genre de musique instrumentale qu'on peut considérer comme une branche de la musique sacrée: je veux parler des pièces d'orgues. Outre que les ressources immenses de l'instrument invitent le génie de l'organiste à la variété, la diversité des cultes et des cérémonies de chaque rite occasionnent l'emploi de beaucoup de styles différens. Par exemple, dans les églises protestantes, l'organiste doit savoir accompagner par une harmonie riche d'effet et de modulation les chorals et cantiques. De plus, il doit posséder une imagination féconde pour les préludes de ces cantiques, qu'il [-236-] faut savoir varier avec élégance sans nuire à la majesté du temple et sans négliger la science. La fugue, véritable fondement de l'art de toucher de l'orgue, doit être familière à l'artiste; enfin il est nécessaire qu'il possède la connaissance des anciens styles pour en tirer parti dans les circonstances favorables. L'Allemagne a produit une quantité prodigieuse de grands organistes; depuis Samuel Scheidt, qui vivait à Hambourg au commencement du dix-septième siècle, et qui posséda un talent de premier ordre, on compte Buxtehude, Reinken, Jean-Sébastien Bach, Kittel, et cetera, qui ont écrit dans tous les genres des pièces d'orgues qui seront long-temps encore considérées comme des modèles de perfection.

L'art de l'organiste catholique est encore plus étendu. La nécessité de bien connaître les plains-chants romain et parisien, ainsi que les différentes manières de les accompagner, soit en les plaçant à la basse, soit en les mettant au-dessus; l'art de traiter les messes, vêpres, magnificat, hymnes, antiennes et Te Deum selon l'importance des fêtes, les offertoires et autres grandes pièces, les fugues ou le style fugué; tout cela, dis-je, appartient à cet art [-237-] de l'organiste, dont on ne soupçonne point en général la difficulté. Dans les préjugés ordinaires, un organiste est un artiste vulgaire, auquel on donne peu d'attention; dans le fonds cependant, un organiste qui possède toutes les qualités de son art devrait marcher de pair avec les compositeurs les plus renommés, car rien n'est plus difficile ni plus rare que de rencontrer cette réunion de qualités.

Il s'en faut de beaucoup que le répertoire de l'organiste catholique soit aussi riche que celui de l'organiste protestant. Après Frescobaldi et un petit nombre d'anciens organistes italiens et français qui ont laissé de beaux ouvrages, on ne trouve rien. Malheureusement il n'y a point une seule place d'organiste en France qui offre des ressources suffisantes pour vivre; il n'est donc point étonnant que l'émulation des artistes ne soit point excitée, et que l'art d'écrire pour l'orgue se détériore de plus en plus. Il est douteux que cet art se régénère, si le talent ne peut espérer une existence honorable.

Dans l'aperçu qui vient d'être fait de la forme des pièces de musique, quelques genres secondaires ont été négligés, parce qu'ils ne sont que [-238-] des divisions, ou plutôt de légères modifications de genres plus importans; mais rien d'essentiel n'a été oublié.

[Footnotes]

(1) [cf. p.8] On conçoit que pour ne pas faire de ce livre un ouvrage scientifique, je supprime ici et dans la suite des détails et des explications qui ne répondraient pas à mon but.

(1) [cf. p.14] Il y a du papier de musique qui contient dix portées dans chaque page, d'autre douze, quatorze, seize et même vingt-quatre. On appelle papier à la Française celui qui est de hauteur, et papier à l'Italienne le papier d'une largeur oblongue.

(1) [cf. p.29] On s'est servi de divers procédés pour opérer la transposition mécanique; mais les premiers pianos transpositeurs qui ont été en usage sont ceux de Messieurs Roller et Blanchet, facteurs à Paris, boulevard Poissonnière. Monsieur Pfeiffer [-30-] a perfectionné leur invention en bornant cette opération à la pression d'une pédale. Monsieur Pfeiffer, facteur de pianos, demeure à Paris, rue Montmartre, numéro 18.

(1) [cf. p.70] Ces deux mots sont synonymes. Le second est tiré de l'italien cantilena.

(1) [cf. p.78] Ces traités ont été écrits depuis le temps d'Alexandre jusques vers la fin de l'empire grec. Les plus importans sont ceux d'Aristoxène, d'Aristide Quintilien, d'Alypius, de Ptolémée et de Boèce.

(1) [cf. p.145] La vielle dont il s'agit n'avait point de rapport avec l'instrument qu'on appelle aujourd'hui de ce nom; celui-ci s'appelait rote dans l'ancien langage français.

(1) [cf. p.156] On a même fabriqué en Allemagne des flûtes qui ont jusqu'à dix-sept clefs; elles ont une étendue plus grande que les autres; mais cette multiplicité de clefs est embarrassante, et la sonorité de l'instrument en est altérée.

(1) [cf. p.202] Maîtres napolitains qui écrivaient vers le milieu du dix-huitième siècle.


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